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COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

Mercredi 25 octobre 2006

Séance de 10h0

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Guy Teissier, président

 

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– Audition de M. Jean de Ponton d’Amécourt, directeur des affaires stratégiques, sur le projet de loi de finances pour 2007


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Audition de M. Jean de Ponton d’Amécourt, directeur des affaires stratégiques, sur le projet de loi de finances pour 2007

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Jean de Ponton d’Amécourt, directeur des affaires stratégiques du ministère de la défense sur le projet de loi de finances pour 2007 (n° 3341).

M. Jean de Ponton d’Amécourt a indiqué que le moment était venu de faire le point après une année presque complète d’application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Il a rappelé que son audition par la commission le 1er février 2006 avait été l’occasion d’exposer l’organisation et les modalités de gestion du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », en soulignant que le succès du dialogue de gestion, point critique de l’opération, ne dépendait pas seulement de la pertinence des modalités retenues, mais également de l’évolution des crédits.

Le programme 144 sera proche de l’équilibre en fin de gestion 2006, comme en témoignent les chiffres arrêtés au 30 septembre dernier. Pour ce qui est du titre 2, l’exercice devrait se terminer avec un solde positif de 67 millions d’euros, dont près de 60 millions d’euros résultent d’un excédent de dotation au compte d’affectation spéciale « Pensions ». L’excédent des rémunérations – 7 millions d’euros – est faible et dû à un niveau d’emplois pourvus, en moyenne pendant l’exercice, inférieur au volume des emplois financés en raison notamment d’un recrutement plus lent que prévu dans certaines spécialités du renseignement, particulièrement à la DGSE. Ce solde de gestion provisoire est susceptible d’évoluer à l’issue des travaux actuellement menés pour identifier les erreurs de construction budgétaire ou d’imputation des dépenses de personnel. L’année 2006 ayant permis de prendre la mesure des erreurs de construction commises au moment du passage à la LOLF, l’exercice 2007 devrait s’engager sur des bases clarifiées.

S’agissant des autres titres, le solde de gestion du programme en crédits de paiement devrait être négatif de l’ordre de 30 millions d’euros. Le plafonnement des engagements fin 2006, le décret d’avance destiné à financer les opérations extérieures et l’application par le ministère des finances de normes de dépenses ont notamment conduit à reporter en 2007 16 millions d’euros d’autorisations d’engagement prévues sur les études amont, ce qui détériore quelque peu le solde de gestion. Toutefois, cette mesure assurera un niveau de 700 millions d’euros d’autorisations d’engagement pour ces études en 2007, comme le ministre s’y est engagé.

Le programme 144 représente 3,48 %, contre 3,50 % en 2006, du budget total de la défense, et 4,6 % des crédits de paiements, contre 4,5 % en 2006, du budget de la mission défense. Autrement dit, son poids relatif reste tout à fait stable.

La recherche d’une égalité globale entre autorisations d’engagement et crédits de paiement a conduit à une diminution des autorisations d’engagement de 5,2 % pour le programme 144. Cette réduction assez sensible traduit la recherche d’un meilleur équilibre de gestion tout en préservant les grands objectifs fixés par la ministre de la défense, notamment en ce qui concerne les études amont. Dans la même logique, les crédits de paiement progressent de 1,3 % s’agissant du programme 144.

En ce qui concerne les effectifs et la masse salariale, ce programme représente 2,9 % des crédits pour dépenses de personnels accordés à l’ensemble de la mission défense en 2007, soit une réduction de 0,3 % par rapport à 2006, et 2,8 % des emplois exprimés en équivalent temps plein travaillé, sans variation en proportion par rapport à 2006. L’augmentation entre 2006 et 2007 des emplois du programme – plus 110 – traduit notamment la priorité accordée à l’augmentation de l’efficacité des services de renseignement.

La très légère réduction de la masse salariale est le résultat d’une alchimie complexe entre transferts d’effectifs, augmentation ou réduction selon les services et ajustements des crédits visant à alimenter le compte d’affectation spéciale « Pensions », dont la dotation avait été surévaluée en 2006. Elle n’est pas significative d’une réduction des efforts consentis pour le programme, comme en témoigne la progression de 2,1 % des rémunérations d’activité.

Globalement, les ressources affectées au programme devraient permettre à toutes ses composantes de remplir leur mission tout en prenant leur part de l’effort de maîtrise des dépenses publiques.

M. Jean de Ponton d’Amécourt a ensuite détaillé les principales évolutions pour chacune des actions du programme 144.

S’agissant de l’action 1 « Analyse stratégique », la réduction des crédits consacrés aux études politico-militaires et sociales (EPMES) découle directement de la recherche de l’égalité entre autorisations d’engagement et crédits de paiement. L’amélioration sensible de la sélection des thèmes d’étude et l’attention portée à la qualité des intervenants, grâce à la mise en place d’un comité scientifique composé notamment de personnalités reconnues dans le monde universitaire, devraient se traduire par une amélioration des résultats obtenus et permettre de répondre avec une bonne réactivité aux besoins des services, essentiellement dictés par l’actualité des relations internationales. Une centaine d’EPMES devrait être commandée en 2007.

Pour l’action 2 « Prospective des systèmes de forces », la réduction sensible – 8 millions d’euros sur un total 2006 de l’ordre de 20 millions d’euros – des autorisations d’engagement au titre des études opérationnelles et technico-opérationnelles sera compensée par un niveau de reports équivalents de crédits de 2006, qui devrait permettre le maintien de l’effort dans ce domaine. Une attention particulière sera apportée à une meilleure efficacité dans l’utilisation de ces crédits en 2007.

En ce qui concerne l’action 3 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France », les moyens consacrés aux deux services de renseignement sont stables, hormis une légère réduction des autorisations d’engagement de la DGSE, en phase avec l’actualisation de la loi de programmation militaire (LPM). En termes d’effectifs, cette action est la seule à enregistrer une progression, la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) gagnant 61 postes militaires et trois de personnels civils alors que la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) bénéficie d’un transfert de 47 postes du programme 178, ainsi que des moyens nécessaires à la création de 52 postes de personnels civils. Cette progression traduit l’importance accordée par le ministère et par le gouvernement à ces acteurs essentiels de la sécurité du pays.

L’action 4 « Maintien des capacités technologiques et industrielles », qui représente à elle seule près de 80 % des crédits du programme hors titre 2, concentre les évolutions les plus importantes. La diminution des autorisations d’engagement (- 91 millions d’euros) résulte principalement du plafonnement des autorisations d’engagement de la LPM (- 56 millions d’euros) portant notamment sur les études amont. En sens inverse, le volume des crédits de paiement augmente de plus de 43 millions d’euros du fait de la croissance de plus de 36 millions d’euros des crédits d’études amont. Ce plafonnement, qui permet en fait d’améliorer la « soutenabilité » des engagements pour les années futures, conduit à un montant d’autorisations d’engagement de 693 millions d’euros pour les études amont en 2007, conforme, si l’on y inclut les reports de crédits, à l’objectif de 700 millions d’euros annoncé par le ministre. Le montant des crédits consacrés en 2007 au paiement des études amont atteindra 638 millions d’euros, dont 15 millions d’euros affectés au développement des pôles de compétitivité, ce qui répond à l’ambition de porter le montant des crédits de paiement des études amont à 700 millions d’euros en 2008.

Les autorisations d’engagement comme les crédits de paiements connaissent, entre 2006 et 2007, des variations très différentes d’une catégorie d’études amont à l’autre, qui résultent de deux phénomènes : tout d’abord la surestimation dans le passé du montant d’autorisations d’engagement, que le projet de loi de finances réajuste au strict contenu des projets dont la notification est très probable ; ensuite, la grande sensibilité des études amont, particulièrement celles de la catégorie « espace », à la politique des démonstrateurs, dont les prises de commande se font nécessairement par à-coups. C’est ainsi que les études « espace » connaissent une chute de 35,8 % des autorisations d’engagement, mais une progression de 13,4 % des crédits de paiement, les études nucléaires, en sens inverse, une hausse de 21,9 % des autorisations d’engagement et une baisse de 8,9 % en crédits de paiement, et les études classiques des mouvements de respectivement - 8,8 % et + 6,4 %.

Les actions 5 « Soutien aux exportations » et 6 « Diplomatie de défense » ne connaissent que des évolutions marginales qui résultent pour l’essentiel d’ajustements techniques et de réaménagements de périmètre, tels que le transfert de seize postes permanents à l’étranger vers le programme 178 au titre des nouveaux postes attribués à la France dans les états-majors de l’OTAN et de l’Union européenne.

M. Jean de Ponton d’Amécourt a estimé que le programme 144 disposera en 2007 des moyens nécessaires à la réalisation de ses objectifs.

Il a souligné que la principale caractéristique du programme est de ne pas disposer aujourd’hui d’une véritable stratégie propre, mais plutôt d’un regroupement des stratégies particulières de chacune des actions. Un groupe de travail a été chargé d’élaborer une stratégie d’ensemble, qui sera présentée lors du budget de 2008.

Voulu par le ministre de la défense, le programme 144 existe avec ses spécificités. Comme tous les programmes LOLF, il comprend les crédits budgétaires attribués à une politique publique identifiée et justifie à ce titre un management d’ordre politique – fixation d’orientations, d’objectifs et planification – pour encadrer les choix budgétaires ou de gestion. Mais la mise en place d’un tel management, nécessairement progressive, se heurte à plusieurs contraintes.

La première tient à la particularité de certains budgets opérationnels de programme (BOP) et notamment ceux des services de renseignement, qui limitent le degré d’intervention possible du responsable de programme. Plus généralement, il faut plusieurs années pour inscrire dans les pratiques et dans les textes les changements induits par les décisions prises sur le périmètre des programmes et sur l’attribution de leur responsabilité.

La deuxième contrainte est liée à la priorité donnée au processus budgétaire durant cette phase d’appréhension de nouveaux mécanismes. La construction budgétaire comme la gestion mobilisent tout au long de l’année, et de façon très lourde, l’équipe de programme et les responsables financiers des services dans une logique de réactivité aux demandes transmises par la direction des affaires financières (DAF). Dans ce contexte, il est encore difficile de donner au management stratégique du responsable de programme sa pleine mesure.

Une réflexion a été lancée dans le cadre du forum des responsables de programme organisé par le ministère des finances, avec un double objectif : donner au responsable de programme les moyens d’exercer la plénitude de ses attributions, notamment pour répartir effectivement les crédits et les emplois entre ses BOP, mais également clarifier les responsabilités et les relations vis-à-vis des instances de régulation transversales, directions financières et directions des ressources humaines, qui dans chaque ministère tiennent encore fortement les rênes du pouvoir. Cette réflexion prend tout son sens dans le cas d’un programme qui regroupe des acteurs qui ne sont pas situés dans la chaîne hiérarchique du responsable de programme.

À ce stade, deux scénarios ont été envisagés par le ministère : ou bien une définition juridique générique des compétences principales du responsable de programme par décret et la désignation de ceux-ci par un arrêté, ou bien une définition juridique détaillée adaptée à chaque ministère par décret et l’adaptation correspondante des décrets et arrêtés d’organisation.

Une troisième voie a également été évoquée, qui a la préférence des pragmatiques : elle consisterait à désigner plus simplement les responsables de programme par une circulaire ministérielle qui comprendrait notamment la définition précise de leurs attributions essentielles. Cette solution aurait le mérite de la souplesse et garantirait la mise en œuvre rapide des évolutions nécessaires.

D’ores et déjà, le rappel par la lettre de mission du ministre des attributions du DAS en matière de prospective, et de leur lien avec la responsabilité du programme 144, a aidé à la clarification au sein même du ministère. Elle a permis au directeur chargé des affaires stratégiques (DAS) d’orienter son action de responsable de programme durant l’année 2006 dans deux directions :

- le lancement d’un plan d’action "prospective" visant au renforcement de la cohérence globale des différentes prospectives dans le ministère (géopolitique, stratégique, technologique, opérationnelle). Un comité de cohérence de la prospective a été créé et réunit, sous la présidence du DAS, la délégation générale pour l’armement (DGA), l’état-major des armées (EMA) et le secrétariat général pour l’administration (SGA). Ce comité, destiné à proposer au ministre les orientations majeures de prospective pour l’année, tiendra sa première réunion au début du mois de novembre ;

- la recherche d’une plus grande implication du responsable de programme dans les processus d’orientation et de management des études technologiques et des études opérationnelles. La nouvelle instruction ministérielle relative aux études amont, en cours d’élaboration, devrait consacrer ce rôle nouveau.

M. Jean de Ponton d’Amécourt a conclu sa présentation en soulignant la qualité du travail accompli par l’équipe de la DAS chargée de l’assister dans le pilotage du programme. Créée de toutes pièces lors de la mise en place de la LOLF, elle ne compte que quatre personnes et dispose de moyens encore trop limités. Quand bien même la mise en œuvre de la LOLF n’en est qu’à ses débuts, il est nécessaire d’accroître ces moyens pour donner sa pleine efficacité à l’action du responsable de programme 144.

Le président Guy Teissier, sortant du cadre strictement budgétaire, a souhaité obtenir des précisions sur la situation au Liban, où le surdimensionnement des forces devient tel que l’on en arrive à compter, dans le sud, un militaire, soldat de la FINUL ou de l’armée libanaise, pour quatre Libanais. S’agissant de la Côte d’Ivoire, la France soutient à juste titre l’action du Premier ministre, mais quelles sont les perspectives de sortie de crise ? Il s’est également intéressé à l’évolution du réseau des attachés de défense français, l’un des plus importants du monde, mais qui a souvent été critiqué. Les efforts de la politique de rajeunissement des cadres et de revalorisation de cette fonction se font-ils sentir ?

M. Jean Michel a souhaité que soit également abordée la question de la situation en Afghanistan.

M. Jean de Ponton d’Amécourt a confirmé que l’effort de revalorisation considérable accompli tant sur le plan de la qualité des attachés de défense que sur celui de leurs perspectives de carrière a porté ses fruits au regard de la situation prévalant il y a une vingtaine d’années. On trouve désormais en poste d’excellents éléments et notamment des linguistes très spécialisés, ce qui témoigne des capacités d’adaptation du ministère de la défense. Dans le même temps, les carrières offertes à ces officiers de grande qualité se sont améliorées : ainsi le général qui jusqu’à présent exerçait les fonctions d’attaché de défense aux États-Unis vient d’être nommé à un poste opérationnel important à l’OTAN.

On peut s’interroger sur l’évolution très inquiétante de la situation en Afghanistan Avec 35 000 hommes, l’OTAN y joue un rôle prépondérant alors que les problèmes qui s’y posent n’ont plus rien à voir avec la confrontation massive à laquelle cette alliance se préparait du temps de la guerre froide. Si les interventions proprement militaires sont tout à fait de la compétence des armées modernes – les Américains et leurs alliés de l’OTAN ont de ce point de vue fait un travail remarquable –, les opérations de stabilisation qui suivent sont beaucoup plus compliquées : il faut notamment consolider le gouvernement, établir un État de droit, faire disparaître le trafic de drogue et mettre en place des cultures de substitution. Le gouvernement français, fidèle à une doctrine constante et contre l’avis de nombre de ses alliés, a toujours soutenu que cette mission devait relever non pas de l’OTAN mais des Nations unies, voire de l’Union européenne en soutien des Nations unies. Or ces dernières ne semblent pas la considérer comme prioritaire et l’abandonnent à l’OTAN, dont la vocation première n’est ni le développement économique ni la lutte contre la drogue. Au surplus, l’Alliance ne dispose que de 35 000 hommes sur place alors qu’elle en avait aligné un moment 70 000 au Kosovo, où le nombre d’habitants comme la superficie sont sans commune mesure… Rien d’étonnant à ce que la situation en Afghanistan reste difficile.

La Côte d’Ivoire est un sujet tout aussi délicat. La France y compte quatre mille hommes et la complexité extrême de la situation politique tient d’abord au fait que les leaders de ce pays ne souhaitent pas vraiment trouver une solution politique à une crise somme toute confortable pour eux en ce qu’elle leur a permis de se constituer des zones d’influence dont ils tirent pouvoir et revenus. La stabilisation étant réalisée, la France s’attache à faciliter une évolution vers une solution politique, qui passe par des élections. On notera, en Afrique comme ailleurs, que les opérations de stabilisation réussies, comme au Sierra Leone ou au Liberia, par exemple, ont toujours combiné une action de l’ONU, qui devrait en la circonstance être plus active, et celle d’un pays en appui. La France peut incontestablement jouer ce rôle en Côte d’Ivoire, sans oublier évidemment l’Union Africaine. Au Tchad comme au Darfour, la situation est également très tendue.

Face à ce monde nouveau, tous les pays occidentaux sont au maximum de l’emploi de leurs forces et jamais les Nations unies n’ont eu autant d’hommes dans des opérations extérieures. On voit mal comment la communauté internationale pourra encore longtemps faire l’économie d’une réflexion et laisser se développer des États de non-droit comme en Éthiopie, en Somalie ou en Afghanistan.

S’agissant du Liban, la France a exigé et obtenu la mise en place d’une cellule stratégique auprès du secrétaire général et du secrétaire adjoint chargé du département des opérations de maintien de la paix (DOMP), ce qui facilite grandement la conduite des opérations. Elle a également obtenu un mandat robuste permettant de disposer d’équipements puissants et d’éviter aux troupes les situations embarrassantes. Mais il faut également compter avec la réalité du terrain et l’exiguïté d’un théâtre où, en plus des 15 000 soldats libanais, seront bientôt déployés près de 7 000 hommes de la FINUL. Il est donc légitime de s’interroger sur la nécessité d’envoyer la totalité du contingent français annoncé, mais cela suppose une concertation préalable avec les Nations unies et nos partenaires pour ne pas être accusé de trahir les engagements pris.

M. Yves Fromion a déclaré que l’inscription des 700 millions d’euros pour les études amont était un bon résultat. Toutefois, l’exécution de la loi de programmation militaire avait débuté avec des crédits bien en dessous du point moyen fixé pour ces derniers sur la durée de la loi, soit 640 millions d’euros. Cette étape permettra de se fixer des niveaux beaucoup plus ambitieux dans la prochaine loi de programmation : l’objectif de 1 milliard d’euros pour la recherche de défense n’est plus hors d’atteinte. Quant aux exportations de défense, au-delà de leur intérêt en termes d’activité économique et de soutien de l’emploi, elles constituent le moyen d’assurer l’avenir des industries de défense et la capacité à équiper les forces françaises. Or la gestion des procédures d’exportation pose des difficultés, dont le ministre a pris conscience. Un groupe de travail a été mis en place sous la responsabilité du secrétariat général de la défense nationale (SGDN), associant la DAS, qui reste le point d’entrée de toutes les demandes présentées par les industriels à la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Quel est l’état des réflexions sur les moyens de sortir d’une situation proprement ubuesque, avec 700 dossiers très divers à examiner chaque mois, allant des équipements les plus simples aux plus sophistiqués ? Les délais de réponse aux industriels sont parfois très longs et compliquent la situation de certaines PME qui ne peuvent de ce fait prospecter le marché international dans de bonnes conditions.

Si le dispositif français de renseignement a bénéficié d’efforts supplémentaires, la DGSE peine à recruter des spécialistes. Les Britanniques ont deux fois plus d’agents de renseignement que les Français et même les Allemands ont des effectifs nettement supérieurs. Quels que soient par ailleurs les efforts réalisés dans le domaine technique – sachant que les Anglais font bien davantage –, personne ne peut croire que la France pourra garder des capacités et des compétences suffisantes en matière de renseignement si elle ne se résout pas à passer à la vitesse supérieure. La qualité des personnels ne peut être une raison de se satisfaire d’une situation inquiétante à terme.

Enfin, le DAS étant responsable de la préparation de l’avenir, M. Yves Fromion a demandé comment était conduit le travail d’élaboration de la prochaine loi de programmation militaire au sein du ministère de la défense.

M. Jean de Ponton d’Amécourt a souhaité tempérer les critiques sur le dispositif de soutien à l’exportation : la CIEMMG n’a rien d’une administration tatillonne qui s’ingénierait à mettre des bâtons dans les roues des entreprises. La France reste le troisième exportateur d’armes du monde et ces ventes sont absolument vitales pour son industrie de défense et, partant, pour son autonomie, sans parler des retombées économiques et technologiques. Il reste qu’un contrôle très strict, et reconnu comme tel par nos alliés, est nécessaire et constitue un véritable atout dans les discussions multilatérales sur le contrôle des technologies sensibles, où chaque partenaire est enclin à examiner comment se comporte son concurrent.

M. Yves Fromion a fait observer que les alliés de la France étaient prompts à dénoncer le moindre défaut de son dispositif alors que leurs procédures sont beaucoup plus critiquables.

M. Jean de Ponton d’Amécourt n’en a pas moins maintenu qu’il était essentiel pour la France de préserver un contrôle très sérieux. Incontestablement la sous-direction du contrôle des transferts sensibles, bien que disposant d’équipes de bonne qualité, nécessitait une remise à niveau de son management.

À l’issue d’un audit, deux actions majeures ont été mises en place, dont la première est constituée par le programme de circulation de l’information sécurisée entre cette sous-direction, la DGA, les industriels et les participants à la CIEMMG – SGDN, affaires étrangères, douanes, etc. – de façon à informatiser les procédures. Grâce au soutien du directeur de cabinet du ministre, la mise en œuvre de ce programme a fait plus de progrès en un an que durant les dix années précédentes et il devrait être pleinement opérationnel au printemps prochain. L’un des drames de l’administration réside dans le lancement des programmes informatiques qui ne bénéficient d’aucun suivi. Or il s’agit d’opérations généralement très lourdes et qui exigent une adaptation de l’organisation de l’administration au service informatique, et non l’inverse.

Deuxièmement, les relations de la sous-direction avec l’extérieur ont fait l’objet d’un travail de cartographie et de réorganisation qui débouchera sur une simplification et une informatisation des procédures, avec un personnel mieux qualifié, mais également et surtout, sur une certification ISO 9001 par laquelle la sous-direction s’engagera sur la qualité du service rendu à ses « clients », administrations extérieures, services ministériels concernés et industriels. Enfin, la DGA et la DAS ont décidé la création d’un sas d’accès informatique conjoint se substituant à l’information papier, mais également d’un bureau de relations auprès duquel il sera possible de dénoncer des situations effectivement anormales. S’il peut arriver qu’une procédure en CIEMMG soit bloquée pour une raison parfaitement légitime, il n’est pas acceptable qu’une PME n’en sache rien alors même que son plan de charge en dépend. Or, en l’état actuel des choses, les textes réglementaires, la pratique et l’organisation même des services ne permettent pas de remédier à cet état de choses. Ces points, soulevés à juste titre dans le rapport sur les exportations d’armement remis au Premier ministre, trouveront rapidement une réponse positive.

S’agissant du renseignement, la priorité donnée au renforcement des moyens de la DGSE se traduit dans l’application de la loi de programmation cette année. Toutefois la DGSE reste un univers volontairement maintenu dans son opacité, et son intégration dans le programme 144 est quelque peu artificielle – ce qui n’est pas le cas de la DPSD.

Il est encore trop tôt pour parler de la prochaine loi de programmation militaire. Certes, un travail préliminaire est déjà en cours au sein de la DGA, des états-majors et de la DAS, mais il est difficile de se lancer dans une véritable élaboration d’un projet avant le résultat des échéances électorales.

M. François Huwart, rappelant que l’un des objectifs du programme 144 était de contribuer au maintien de capacités industrielles et technologiques cohérentes, a souhaité savoir comment cet objectif pouvait être atteint au travers du soutien et du développement des industries de défense françaises alors que, dans le même temps, la part des investissements et des financements croisés ne cesse de croître.

M. Jean de Ponton d’Amécourt a expliqué que là se situait précisément l’axe principal de l’action stratégique de la DAS au sein du programme 144. Les capacités futures, et les capacités industrielles qui les soutiennent, relèvent de la responsabilité de partenaires très divers, à commencer par la DGA au travers des études amont. Celles-ci voient nombre de personnes se pencher sur leur berceau : industriels, ingénieurs, services de la DGA, tous avec leur vision propre. Le pouvoir politique, le ministre et son cabinet les suivent avec attention, tout comme les états-majors dans la mesure où en découlera leur capacité à répondre aux menaces à terme.

Très souvent, le travail de réflexion mené sur ces sujets est entaché d’une certaine subjectivité, chacun se sentant défenseur des efforts déjà engagés : il n’est pas anormal que la DGA, ou l’un de ses services, cherche à garantir la survie de telles capacités industrielles pour ses études, ou que les états-majors aient envie de voir aboutir les systèmes qu’ils ont lancés. C’est le rôle essentiel de la DAS d’essayer de donner une cohérence à cet ensemble. Il faut y associer les industriels en cherchant à connaître leur vision de l’avenir, autrement dit quel type de systèmes futurs ils envisagent – malheureusement, dans la plupart des cas, leur réflexion est décevante et se borne à essayer de vendre leurs programmes existants.

À la question de l’autonomie, la réponse ne peut pas être que nationale ; elle est essentiellement européenne. C’est précisément l’objectif visé par le ministre avec la création de l’agence européenne de défense. Ce projet se heurte pour l’instant à l’opposition d’un acteur majeur : le Royaume-Uni. De réels efforts doivent être consentis pour mieux comprendre les raisons de cette position et pour le convaincre d’en changer. Compte tenu du pragmatisme des Britanniques et de leur habitude à travailler sur la base du consensus, l’objectif n’est pas irréaliste. De ce point de vue, on peut noter que le programme de porte-avions semble plutôt bien se porter alors qu’ils n’étaient pas du tout favorables à une coopération à l’origine. Atteindre le même type de résultat pour le rôle et le budget de l’agence européenne de défense constitue une des conditions majeures de l’autonomie européenne.

Se pose ensuite toute la question de la relation des industriels de défense avec d’autres acteurs, à commencer par les États-Unis. L’exercice n’est pas impossible, puisque environ 20 % de l’activité de Thalès est réalisée sur le marché américain où, précisément grâce à sa relation avec les Britanniques, il est considéré comme un acteur acceptable. C’est probablement un modèle à suivre, ce qu’EADS s’emploie à faire. Il sera nécessaire de convaincre les Américains de l’intérêt du maintien d’une industrie et d’une technologie de défense en Europe, y compris pour eux-mêmes en termes de coûts d’approvisionnement. La puissance des lobbies des industries de défense au Congrès rend toutefois difficiles à surmonter les obstacles à l’importation.

M. René Galy-Dejean, se souvenant que certains organismes de réflexion stratégique voyaient autrefois leurs études directement financées par le Premier ministre, s’est demandé si dorénavant c’était la DAS qui se chargeait de les orienter, de les prendre en charge et de leur attribuer les subventions nécessaires. En Afghanistan, l’OTAN est présente, mais inadaptée à la situation, alors que l’ONU n’a pas les moyens de régler le problème : la solution pourrait en quelque sorte consister à combiner les atouts des deux organisations, c’est-à-dire à mieux adapter les forces d’intervention à la réalité des missions. Du temps de la Pax romana, les légions avaient une vocation tout à la fois militaire et générale, effectuant des travaux de construction, voire agricoles. La question est de savoir qui réfléchit en France à l’évolution nécessaire de la nature des forces amenées à intervenir sur des théâtres d’opération extérieurs.

Il a relevé qu’en tant que président de la commission de vérification de l’utilisation des fonds spéciaux, il avait pu observer qu’il n’y avait souvent aucune coordination en ambassade entre l’attaché de défense et le responsable de poste de la DGSE. Les deux étant parties prenantes au programme 144, ne serait-il pas possible de faire en sorte qu’ils travaillent en meilleure harmonie ?

Il arrive à la DGSE de souhaiter acquérir un équipement dépassant ses propres capacités budgétaires. À qui présente-t-elle l’opération et dans quelle action celle-ci est-elle financée ?

M. Jean de Ponton d’Amécourt a indiqué que cette dernière question était une illustration de l’opacité de la DGSE, puisque lui-même ne connaissait pas la réponse. Une acquisition de ce genre, pour ce qui est des activités dépendant d’un financement défense, figurerait à l’action 3. La DGSE relève du ministère de la défense et se retrouve dans le programme géré par le directeur de la DAS, mais pour celui-ci, la DGSE reste terra incognita.

La question des relations entre les agents de la DGSE et les attachés de défense mérite d’être approfondie. Même entre deux services aussi proches que la DRM et la DGSE, la communication n’est apparemment pas spontanée. Cela dit, cela dépend beaucoup des situations et des ambassades.

Le contre-amiral Anne-François de Saint-Salvy, directeur adjoint de la DAS, a confirmé que dans bien des cas la coopération entre le chef de poste de la DGSE et l’attaché de défense était excellente. Dans d’autres, les relations peuvent être effectivement plus limitées voire inexistantes, soit que le contexte de sécurité ne le justifie pas, soit que la protection des informations et sources des services de renseignement justifie une relative séparation.

M. Jean de Ponton d’Amécourt a précisé que 4 millions d’euros étaient prévus au titre des EPMES en 2007. Dans le passé, seulement 1,5 million d’euros environ dépendaient directement de la DAS ; le reste des études étaient lancées soit par le secrétariat général pour l’administration – études à caractère sociologique, voire historique – soit par la DGA pour tout ce qui touchait à la dimension politico-militaire des problèmes technologiques, soit par les états-majors. La création du comité scientifique vise à établir une réelle cohérence, à éviter les doubles emplois et à s’assurer que les études sont de bonne qualité et réellement remises.

Avant même la prise de fonctions du nouveau DAS, le ministre avait pris la décision de renoncer au système des subventions et de le remplacer par un dispositif d’appel d’offres qui d’ores et déjà a eu deux conséquences. Premièrement, l’argent est dépensé pour les besoins de la défense auprès de sources extérieures d’informations de haute qualité. Deuxièmement, les instituts ont été ainsi conduits à développer au maximum la recherche de ressources autonomes pour assurer leur fonctionnement. Les subventions avaient l’inconvénient d’être rapidement considérées comme un acquis servant finalement à financer plutôt les structures des instituts concernés que leurs recherches, auquel venait s’ajouter une certaine subjectivité dans l’exercice. Le nouveau système a le mérite de l’objectivité, mais l’inconvénient d’une certaine incertitude quant à ses effets sur la recherche universitaire. Des subventions continuent à être versées par le Premier ministre, la quasi-totalité allant à un seul institut, l’institut français des relations internationales (IFRI), dont la situation reste très particulière.

Reprenant enfin la problématique de la Pax romana telle que décrite par M. Galy-Dejean, M. Jean de Ponton d’Amécourt a évoqué le rôle de grands officiers républicains tels que Galliéni et Lyautey, tradition naturelle dans les armées mais dont la trace s’est peu à peu perdue. Sans doute serait-il opportun de redécouvrir, non seulement en France, mais aussi dans l’ensemble des pays occidentaux, le sens de cette action civile et militaire. Une réflexion s’impose sur cette problématique difficile, mais essentielle.