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COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE
ET DES FORCES ARMÉES

Mercredi 17 janvier 2007

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Guy Teissier,
président

 

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– Examen du rapport d’information sur les perspectives d’externalisation pour le ministère de la défense (M. Marc Francina, rapporteur)


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Perspectives d’externalisation pour le ministère de la défense (rapport d’information)

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport d’information de M. Marc Francina sur les perspectives d’externalisation pour le ministère de la défense.

M. Marc Francina, rapporteur, a souligné en préambule le caractère large de la notion d’externalisation. Mode de gestion consistant, pour l’administration, à confier à un partenaire privé une fonction ou une activité qui était jusqu’alors assurée en régie, l’externalisation peut être mise en œuvre pour un vaste éventail d’activités, allant de l’entretien des espaces verts d’une base aérienne à la mise à disposition d’avions-écoles. Cette démarche connaît aujourd’hui un essor considérable au sein du ministère de la défense, comme en témoignent la croissance des dépenses d’externalisation et la multiplication des projets en la matière. Elle est fondée sur deux facteurs principaux : d’une part, elle doit permettre à nos forces armées de se recentrer sur leur cœur de métier, d’autre part, elle a vocation à améliorer la performance du ministère, tant en termes de réduction de coûts que de qualité du service.

Détaillant les deux étapes principales du développement de l’externalisation, il a indiqué que la première vague, à partir de la fin des années 1990, avait essentiellement résulté de la professionnalisation des armées. Ont peu à peu été confiées à des prestataires privés de nombreuses activités périphériques qui répondaient à une certaine urgence, face à la profonde transformation des armées, notamment la disparition des appelés. Cette forme d’externalisation a été de ce fait davantage subie que conceptualisée et anticipée par le ministère.

A la suite de cette première vague, un deuxième mouvement s’est engagé qui fait l’objet d’une démarche plus globale et constitue un volet de la stratégie ministérielle de réforme. Amorcé en 2002, il porte sur un nombre croissant d’activités, revêtant un caractère plus opérationnel.

Au cours des quatre dernières années, de nombreux projets d’externalisation ont ainsi été engagés, ou du moins ont fait l’objet de réflexions poussées, afin d’être lancés prochainement. Parallèlement, le cadre juridique de ce type d’opération a connu des évolutions significatives, avec la publication en 2004 d’un nouveau code des marchés publics et du décret d’application concernant les marchés de la défense, ainsi que l’introduction d’un nouveau support juridique, le contrat de partenariat de l’Etat, par une ordonnance de juin 2004.

M. Marc Francina a répertorié quatre catégories principales d’externalisation : la formation, le soutien, l’immobilier et les équipements. Au titre de la formation, un marché portant sur les avions-écoles de la base de Cognac a été signé en avril dernier, tandis qu’un projet similaire, concernant les hélicoptères destinés à former les pilotes des trois armées et de la gendarmerie, sur la base de Dax, devrait être conclu d’ici la fin de 2007. L’externalisation de la formation des pilotes d’hélicoptère NH 90 est également à l’étude. Pour les fonctions de soutien, la gestion du parc des véhicules commerciaux du ministère de la défense, soit plus de 20 000 unités, vient d’être confiée à un opérateur extérieur, par un marché signé le mois dernier. Parallèlement, les fonctions d’entretien des matériels font l’objet d’un nombre croissant de partenariats. En matière immobilière, la gestion des logements de la défense, avec d’une part le parc domanial et pris à bail de la gendarmerie, d’autre part le reste du parc de logements domaniaux, sera confiée à des prestataires privés ; une expérimentation ayant été engagée en ce sens. Enfin, en matière d’équipement, peuvent être cités le leasing de deux avions à très long rayon d’action (TLRA), conclu dès 2005, ainsi qu’un projet en matière de télécommunications, pour l’armée de l’air. A plus long terme, la défense examine la possibilité de recourir à des partenariats pour mettre à la disposition des armées des navires de transport, dits Roll-On-Roll-Off, des navires de soutien et d’assistance, mais aussi des avions de ravitaillement en vol et de transport.

Si l’énumération de ces différents projets témoigne de la dimension nouvelle prise par la politique d’externalisation, cette montée en puissance s’avère modeste puisque seuls quelques contrats ont été conclus. A contrario, M. Marc Francina a souhaité évoquer l’exemple du Royaume-Uni qui s’est engagé dans cette voie depuis plus d’une décennie. Avec la notion de Private Finance Initiative (PFI), le ministère de la défense britannique recourt en effet largement à l’externalisation ; en mai dernier, 55 opérations avaient été conclues au total, représentant un montant de plus de 8 milliards d’euros, et s’étalant sur des durées longues, allant jusqu’à 35 années. De nombreuses opérations ont été réalisées dans les domaines de la logistique, de la formation des personnels, ainsi que dans l’immobilier, pour la mise à disposition de logements, mais aussi pour les écoles militaires et pour la rénovation du siège du ministère de la défense. Les équipements ont donné lieu à plusieurs projets de grande ampleur : outre la mise à disposition de navires Roll-On-Roll-Off, la PFI relative à la fourniture de télécommunications par satellite, par le contrat Skynet 5 conclu en 2003, représente un montant de 3,7 milliards d’euros. Un programme plus important encore, qui devrait porter sur près de 19 milliards d’euros, concerne les avions ravitailleurs. Il s’avère d’ailleurs complexe et difficile à mettre en œuvre, comme en témoigne la longueur des négociations, qui devraient toutefois aboutir sous peu. Ce programme prévoit notamment le partage de l’utilisation de certains des avions avec des acteurs civils, afin de produire des revenus tiers. Ce dispositif soulève des questions importantes, du fait du caractère directement opérationnel de ces avions et des réglementations applicables aux appareils militaires.

Selon un récent rapport du ministère de la défense britannique, les résultats des PFI apparaissent dans l’ensemble favorables, en termes de performance, de respect des délais et des coûts.

S’agissant des avantages attendus de l’externalisation, M. Marc Francina a estimé qu’au-delà de la possibilité de recentrer les personnels sur leur cœur de métier, elle peut être un moyen d’améliorer la gestion du ministère de la défense, en dégageant des économies budgétaires, grâce à la fourniture de services plus adaptés aux besoins des armées, à un contrôle de gestion plus rigoureux, voire à un partage de capacités avec des acteurs tiers. L’externalisation de la gestion des véhicules du ministère devrait ainsi conduire à des économies de l’ordre de 20 %. Le recours à des partenariats public-privé doit se traduire également par une meilleure maîtrise des investissements, en contraignant la puissance publique à analyser les activités qu’elle souhaite externaliser, en envisageant un investissement sur tout son cycle de vie, en termes de coût de possession notamment, et en permettant un transfert de risques vers l’opérateur privé. Enfin, dans le cadre des partenariats, le ministère de la défense a l’opportunité de bénéficier de performances accrues, grâce à des contrats prévoyant une rémunération fondée, au moins pour partie, sur la réalisation d’objectifs.

Il a cependant souhaité que soit pris en compte le caractère régalien des activités de défense, avec notamment la projection de nos forces armées en opération extérieure, qui limite nécessairement le champ des fonctions susceptibles d’être externalisées. Si les tâches ancillaires, la formation, le soutien ou des opérations immobilières peuvent être confiées, sur le territoire national, à des opérateurs privés sans soulever de difficultés particulières, il importe de conserver au sein des armées les compétences nécessaires pour réaliser les missions sur un théâtre extérieur ; quant aux équipements, seuls ceux qui ne sont pas amenés à intervenir « en première ligne » en opération semblent pouvoir faire l’objet de partenariats public-privé.

Peut toutefois être évoqué le dispositif introduit par la loi sur la réserve de 2006, qui prévoit que des volontaires puissent servir en tant que réservistes auprès d’une entreprise qui participe au soutien des forces armées ; il est donc envisageable qu’une entreprise titulaire d’un contrat d’externalisation fournisse ses prestations en opération avec des personnels réservistes prenant un statut militaire lorsqu’ils sont projetés. Ce mécanisme novateur n’a pas encore été utilisé, mais on peut penser que sa mise en œuvre sera limitée en volume – au Royaume-Uni, un système similaire, dénommé Sponsored Reserve, a été mis en place en 1999, mais il ne concerne pour l’instant qu’un nombre limité de personnes, 300 au total.

M. Marc Francina a rappelé, par ailleurs, les incertitudes et difficultés associées à l’externalisation, en précisant que l’évaluation des économies obtenues dans ce cadre s’avère complexe. Il est ainsi difficile d’établir un bilan économique des externalisations réalisées par la défense à la suite de la professionnalisation. En l’absence d’un système de comptabilité analytique au sein des administrations, on ne peut comparer le coût d’une activité assurée en interne à celui résultant de l’intervention d’un opérateur. De plus, pour la défense, une grande partie des activités qui ont été externalisées était auparavant confiée à des appelés, soit une main d’œuvre quasi gratuite, ce qui fausse les éventuels calculs. Néanmoins, l’entrée en vigueur de la LOLF devrait entraîner des évolutions, en introduisant dans les finances publiques une logique proche de la comptabilité analytique.

En outre, pour les projets d’externalisation plus récents, le ministère de la défense ne dispose que d’hypothèses de coûts et d’économies qui ne peuvent encore être vérifiées. En tout état de cause, l’exemple britannique tend à montrer que les économies obtenues sont généralement en deçà des attentes : alors que le MoD estimait en 1999 que les PFI allaient générer des économies de 5 à 40 %, celles-ci se limiteraient à 5 à 6 %, selon les données disponibles. De façon générale, les économies résultant d’une externalisation dépendent largement de l’existence d’une certaine concurrence sur le secteur d’activité concerné.

L’externalisation pose également la question des pertes de compétences au sein des armées, alors même que sa réversibilité, par le maintien de savoir-faire en interne en prévision d’un retour en arrière, est complexe, voire irréaliste dans nombre de cas. Il importe en tout cas de s’assurer de la transférabilité des activités externalisées d’un opérateur à un autre, par des dispositions contractuelles adaptées, afin de pouvoir faire face à une éventuelle défaillance de l’entreprise, mais aussi à la perspective du renouvellement des contrats.

M. Marc Francina a abordé en conclusion quelques enjeux centraux du développement de l’externalisation, en insistant d’abord sur la nécessité pour le ministère de la défense d’assurer un accompagnement social adéquat. La gestion des personnels dont le poste est affecté par ces opérations d’externalisation revêt en effet une grande importance. Il semble également souhaitable que le ministère développe son expertise juridique et financière, alors que le montage et le suivi de ces partenariats posent des questions nouvelles et s’avèrent compliqués. Doivent être prises en compte, lors de la passation des contrats – qui s’étalent généralement sur des durées longues – les évolutions éventuelles des besoins de la défense. Enfin, il apparaît nécessaire que le ministère de la défense, qui réalise des efforts pour moderniser sa gestion, puisse bénéficier directement de son action, en disposant des gains financiers obtenus pour les redéployer. A ce titre, un mécanisme de remboursement au ministère de la TVA correspondant au coût des personnels des entreprises chargées des contrats d’externalisation pourrait être mis en place.

Les perspectives offertes par l’externalisation sont réelles et le ministère de la défense entend poursuivre le développement de cette politique. Au-delà des projets déjà en cours, des opportunités supplémentaires existent en matière de formation, d’immobilier ou encore de soutien. Il faut examiner ces différents projets de façon approfondie, en évaluant les économies qu’ils peuvent engendrer, leurs avantages en termes de gestion, mais aussi leurs incidences sociales et opérationnelles.

Le président Guy Teissier a considéré que, si l’externalisation est une bonne chose en soi puisqu’elle est inéluctable dans le cadre de la professionnalisation des armées, elle n’en constitue pas moins un exercice qui connaît ses limites comme le montre l’exemple britannique qui a rencontré un échec dans le domaine des OPEX en voulant faire l’économie d’une structure militaire dédiée à la santé. À cet égard, la situation du service de santé des armées est exemplaire. En revanche, le coût d’un militaire professionnel est trop élevé pour ne pas confier certaines tâches à des prestataires privés. C’est le cas de la garde de jour des casernes qui est souvent le fait de vigiles civils, en général anciens militaires. En cas de situation d’insécurité aggravée, les militaires ont toujours la possibilité de reprendre eux-mêmes leurs tours de garde diurnes. Par ailleurs, l’économie d’ores et déjà réalisée de 5 % constitue un résultat satisfaisant tant il est vrai, qu’au-delà du strict gain financier, les marges dégagées en temps pour les personnels augmentent leur disponibilité opérationnelle. En ce qui concerne la flotte des véhicules utilitaires, il est indéniable que les prestataires privés sont les mieux adaptés à l’entretien régulier de ces matériels.

Le rapporteur a relevé qu’il est parfois délicat de faire jouer la concurrence entre différentes entreprises, notamment au moment du renouvellement des contrats, car le titulaire du contrat apparaît avantagé par rapport aux autres soumissionnaires.

M. Michel Voisin a abondé dans le sens du rapporteur en évoquant l’analogie structurelle qui existe entre les contrats d’externalisation passés par l’armée et certains contrats passés par les collectivités territoriales.

M. Philippe Vitel a rappelé que ces nouveaux marchés ouverts par la professionnalisation des armées constituent un fort stimulant pour les tissus économiques locaux. Il importe d’informer et d’accompagner les entreprises intéressées, notamment les PME, tant les appels d’offres peuvent se révéler particuliers. La ville de Toulon fait ainsi un appel constant au réseau d’intelligence économique local. Mais il convient également de ne pas perdre des compétences : la défense aura toujours besoin d’experts dans des secteurs tels que l’informatique ou le nucléaire. Enfin, de sérieux progrès restent à faire dans le domaine du financement et, partant, du paiement en temps et en heure des prestataires privés. À Toulon, les retards de paiement s’élèvent à 11 millions d’euros, à Brest à 17 millions, sur l’exercice 2006 ; de telles situations sont préjudiciables aux entreprises et faussent la concurrence en favorisant les grandes sociétés à large surface financière.

Le président Guy Teissier a considéré qu’il fallait garantir une bonne maîtrise de la préparation des contrats d’externalisation et conserver un juste équilibre entre les tâches devant rester aux armées et celles pouvant être déléguées au secteur privé. Il a évoqué le cercle national des armées qui, après avoir confié sa gestion à une grande entreprise de restauration pendant cinq ans, a négocié et passé contrat avec un nouveau prestataire. De fait, la France n’a aucun intérêt à tomber dans les mêmes excès que ses partenaires anglo-saxons qui ont dû faire marche arrière dans un certain nombre de secteurs.

M. Jean-Claude Viollet a salué la présentation d’un rapport pragmatique sur un sujet qui n’est pas sans heurter quelques susceptibilités alors qu’il transcende tous les clivages politiques. Le principe qui est à l’œuvre est celui de la maîtrise des coûts de possession des matériels. Celui-ci se décline en trois étapes : acquisition ; maintenance dans la durée de vie ; démantèlement. L’externalisation de la maintenance doit engager l’état-major, la DGA et les industriels dans une démarche commune. Par ailleurs, les coûts de disponibilité technique opérationnelle doivent être pris en compte dès la conception de la loi de programmation militaire et le suivi en loi de finances initiale comme en loi de finances rectificative doit être resserré. Enfin, dans le cadre des engagements à servir dans la réserve (ESR), il ne faut plus hésiter à faire intervenir les personnels d’entreprises prestataires dans les OPEX afin de les inciter à passer ces engagements. Les sociétés concernées ont tout à y gagner car les OPEX sont l’occasion de démontrer la qualité du service et du matériel aux armées aux côtés desquelles nous nous engageons, ouvrant par là des perspectives à l’exportation. Bien entendu, cela ne dispense pas les armées françaises de conserver un socle de maîtrise dans les domaines sensibles et d’être à même d’intervenir par elles-mêmes en toutes situations.

M. Dominique Caillaud a jugé que si l’on souhaitait bénéficier des meilleurs coûts, il était nécessaire d’assurer les paiements avec diligence, sous peine d’avoir affaire uniquement à des entreprises ayant une grande surface financière et de ne pas bénéficier d’une bonne lisibilité des véritables prix de revient. Un paiement rapide est une condition indispensable pour permettre une véritable concurrence au travers du processus d’externalisation. Il a dénoncé la centralisation des marchés quand elle n’est pas nécessaire, ou la conclusion, à l’échelon départemental, des marchés modestes portant par exemple sur l’entretien des matériels ou des bâtiments. A un échelon plus local, les petites entreprises peuvent être candidates, ce qui évite la mainmise des grandes entreprises sur les contrats, celles-ci ayant d’ailleurs pour habitude de sous-traiter ensuite tout en ajoutant leur propre marge.

Le président Guy Teissier a estimé qu’en la matière, le risque d’inertie lié à la double tradition de centralisme, française et militaire, est bien réel. Les règlements des factures doivent être assurés rapidement, pour que la quasi-totalité des marchés ne revienne pas qu’à un nombre réduit de grandes entreprises. Après avoir rappelé sa démarche auprès du ministère, il y a deux ans, pour qu’il assure un paiement plus rapide aux PME, il a souhaité que les entreprises sous-traitantes bénéficient d’un meilleur intéressement dans le cadre des contrats qu’elles concluent avec les grandes entreprises. Une attention particulière doit être accordée au coût de l’entretien, qui a augmenté de 30 % ces dernières années dans des secteurs comme l’immobilier. Il a enfin souhaité savoir si l’ensemble de l’entretien courant était externalisé.

Le rapporteur a indiqué que tout ce qui présente un caractère périphérique est désormais externalisé. L’économat des armées est en train de réaliser un important travail sur le marché de l’habillement, à l’échelle nationale. Les partenariats publics privés étant soumis au code des marchés publics, le paiement doit intervenir dans un délai de 45 jours, faute de quoi des intérêts moratoires sont appliqués. Le ministère de la défense va devoir s’adapter à cette nouvelle contrainte. On notera également que les petites entreprises peuvent être comandataires avec les grandes entreprises, avec paiement direct.

La commission a décidé, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.