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COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE
ET DES FORCES ARMÉES

Mercredi 14 février 2007

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Guy Teissier,
président

 

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– Examen du rapport d’information sur les évolutions des relations transatlantiques en matière de défense (MM. Francis Hillmeyer et Marc Joulaud, rapporteurs)


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Evolutions des relations transatlantiques en matière de défense (rapport d’information)

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport d’information de MM. Francis Hillmeyer et Marc Joulaud sur les évolutions des relations transatlantiques en matière de défense.

M. Francis Hillmeyer, rapporteur, a observé, en préambule, que les interrogations sur la pérennité de la relation transatlantique ont pris un tour nouveau à l’occasion de la guerre en Irak. Celle-ci a entraîné une méfiance croissante des opinions publiques européennes à l’endroit des Etats-Unis, alors que les gouvernants n’ont eu de cesse d’essayer de retisser des liens politiques. Même si les coopérations pragmatiques n’ont jamais cessé, on a assisté à d’importantes transformations qui ne rendent plus la solidarité aussi automatique que par le passé. Pour ces raisons, l’OTAN a le lourd privilège d’être le lieu où s’expriment les inquiétudes sur l’avenir de la relation transatlantique. Cela ne l’empêche pas de réaliser un travail considérable, mais il n’est guère possible de masquer combien elle est fragilisée par les questions sur sa mission exacte et ses frontières futures, tandis que son articulation avec une politique européenne de sécurité et de défense en plein essor est sujette à de rapides évolutions.

Evoquant la relation transatlantique à partir de 1989, il a rappelé que les deux vagues d’adhésion à l’OTAN de 1999 et de 2004, tout en jouant un rôle de « sas » vers l’Union européenne, ont permis d’intégrer dix Etats anciennement membres du Pacte de Varsovie et de l’ex-Yougoslavie. Le contexte de liberté nouvelle et la diversité des situations des nouveaux membres ont cependant conduit à faire perdre en cohésion à l’Alliance ce qu’elle a gagné en extension. Les nouveaux membres ont pu donner l’impression de renforcer l’atlantisme tant il était important pour eux de bénéficier de la protection militaire américaine. Le sentiment d’un alignement systématique avec la politique menée par les Etats-Unis été renforcé par la participation de pays d’Europe centrale et orientale à la coalition en Irak, même si des divergences sur la guerre se sont également manifestées entre membres fondateurs. L’identité de vues avec Washington n’est toutefois pas une donnée définitivement acquise et dans la plupart des opinions publiques des nouveaux Etats membres, les positions peuvent évoluer. Il en est de même des gouvernements qui s’adaptent et manifestent aujourd’hui un intérêt certain pour la politique européenne de sécurité et de défense (PESD).

Il a fait valoir que les efforts consentis au titre de la défense font apparaître des clivages au moins aussi déterminants avec, d’une part, une disproportion des efforts de défense entre l’Europe et les Etats-Unis tendant à s’accroître et, d’autre part, l’inégalité des efforts consentis par les Etats européens. Quatre d’entre eux seulement dépensent plus de 2 % du PIB pour leur défense, tandis que sept membres de l’Alliance y consacrent moins de 1,5 %.

Il a estimé par ailleurs que, depuis 2004, la réduction de la place de l’Europe dans les priorités stratégiques américaines joue un rôle déterminant dans les relations transatlantiques. Les revues de défense quadriennales américaines de 2001 et 2006 notent que l’Europe est largement en paix et que les menaces proviennent désormais d’un « arc d’instabilité » allant du Moyen-Orient à l’Asie du Nord-Est, du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive. Pour y faire face, une nouvelle politique d’implantation des forces a été décidée : entre 2006 et 2011, près de 200 bases et installations devraient être fermées et le nombre de militaires passerait de 106 000 à environ 40 000, la présence militaire américaine reposant désormais sur des forces plus légères et davantage déployables. Dans le même temps, de nouvelles bases sont prévues en Roumanie et en Bulgarie, dont le principal intérêt est d’ordre géographique, avec une proximité plus grande des zones de préoccupation.

C’est dans ce contexte nouveau que s’expriment les interrogations sur le devenir de l’Alliance, et tout particulièrement s’agissant de ses frontières et de son rôle. Trois Etats participent actuellement au plan d’action pour l’adhésion : l’Albanie, la Croatie et l’ex-République yougoslave de Macédoine, mais la décision d’invitation formelle a été renvoyée au prochain sommet, en 2008. Bien plus délicate est la question de l’adhésion éventuelle d’Etats géographiquement plus éloignés et aux situations politiques encore mal stabilisées, comme l’Ukraine et la Géorgie. Un processus d’adhésion de ces deux Etats supposera au préalable de rassurer la Russie et d’éviter de lui donner un sentiment d’encerclement. Le visage de l’Alliance a par ailleurs profondément changé avec le développement d’une diplomatie active et de multiples partenariats. La question de savoir s’il convient d’aller plus loin dans cette politique de partenariats divise profondément les Alliés, comme en témoignent les réactions au projet de « partenariat global », lancé par les Etats-Unis dans le cadre de la préparation du sommet de Riga. Il s’agissait d’offrir une place davantage institutionnalisée dans le processus de décision et les activités de l’Alliance à des Etats non membres mais contribuant militairement ou financièrement aux opérations. Cette proposition a soulevé de nombreuses objections portant sur le risque de dilution du lien transatlantique et d’un affaiblissement des garanties militaires offertes par l’article 5, tout particulièrement parmi les Etats d’Europe centrale et orientale, pour qui il faut conserver la logique géographique à l’origine de l’Alliance. On peut également craindre le risque d’une confusion croissante avec la fonction normalement dévolue à l’ONU. Sans nier le rôle joué par les Etats non membres contributeurs de forces, qui représentent environ 12 % des effectifs actuellement engagés en opérations, la distinction entre membre et non membre dans le processus de décision mérite d’être préservée.

M. Francis Hillmeyer a relevé qu’au travers de ces débats, c’est finalement surtout le problème des missions de l’OTAN qui est posée. Les réflexions et déclarations officielles sur le sujet n’ont pourtant pas manqué et l’Alliance a de fait élargi ses missions dans deux directions principales : la lutte contre le terrorisme et les plans civils d’urgence. L’opération menée par la force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan comprend des aspects de lutte contre le terrorisme, mais souligne aussi combien l’intégration de cette dimension civile est une condition de la réussite de ce type d’intervention. Pour l’OTAN, deux options se présentent : soit s’appuyer sur des organisations internationales spécialisées dans la gestion civile des crises, soit développer sa propre capacité « civilo-militaire », cette deuxième option ayant été partiellement mise en œuvre en Afghanistan. En ce qui concerne les plans civils d’urgence, si le rôle de l’Alliance peut être utile lorsqu’il s’agit de mieux préparer la réponse à des crises sérieuses, force est de constater que l’utilisation pratique qui a pu en être faite s’éloigne des missions traditionnelles d’une alliance militaire, comme par exemple l’aide aux Etats-Unis après le passage de l’ouragan Katrina et aux opérations de secours à la suite du tremblement de terre au Pakistan en 2005. Une telle dérive est discutable du simple point de vue de l’efficacité et du coût des opérations menées. Mieux vaut pour l’OTAN s’appuyer sur des partenariats, tout particulièrement avec une Union européenne se dotant progressivement de capacités de défense propres à compléter celles de l’Alliance.

M. Marc Joulaud, rapporteur, a estimé que la mise en place par l’Union européenne d’une politique de sécurité et de défense constituait l’un des événements remarquables des dix dernières années et souhaité mettre en exergue deux points. Tout d’abord, les préventions américaines vis-à-vis de la PESD sont nettement moins fortes qu’auparavant. Ensuite, l’idée de complémentarité des deux organisations s’appuie sur des faits. Par delà les accords de partenariat stratégique dits de Berlin Plus, la PESD comporte une approche globale de la notion de sécurité, avec l’utilisation de moyens militaires, mais aussi policiers, économiques et d’assistance à la reconstruction d’Etats « faillis » ou en difficulté. La complémentarité s’exprime aussi au travers de capacités militaires, la force de réaction rapide (Nato Response Force – NRF) correspondant à des opérations assez importantes de haute intensité, tandis que les groupements tactiques offrent un outil réduit, mais plus rapide et plus souple. Enfin, l’une des grandes forces de l’Alliance reste sa capacité de planification et de commandement, sans commune mesure avec les modestes moyens de l’Union. La décision du Conseil européen de créer un centre d’opérations capable de conduire une opération dans le cas où aucune autre solution existante ne serait disponible apparaît donc comme une étape décisive, même si cette structure légère mérite d’être encore développée. La position de la France au sein de l’Alliance exprime également cette notion de complémentarité. Même si elle n’a pas rejoint la structure intégrée, elle est l’un des principaux acteurs de l’OTAN, qu’il s’agisse du budget, dont elle est le cinquième contributeur en 2006, des opérations ou de la mise en place de capacités de commandement pour jouer un rôle de nation cadre des composantes de la NRF.

Il a noté que, par-delà les divergences politiques, les échanges entre les deux rives de l’atlantique restaient particulièrement denses sur le plan pratique, qu’il s’agisse des relations proprement militaires ou des aspects industriels. Les rapports inégaux entre l’Europe et les Etats-Unis s’agissant des questions industrielles et d’armement sont bien connus et, par comparaison, l’OTAN paraît être le lieu d’une relation plus équilibrée. Son rôle est déterminant en matière de systèmes d’information et de communication ; la définition de normes communes ne devant pas servir de prétexte pour imposer l’achat « sur étagères » de matériels déjà existants ou en cours de développement par les Etats-Unis. Tel est largement l’enjeu du lancement par l’AED d’un programme autonome baptisé ESSOR, pour la définition d’une norme commune de radio logicielle. Parmi les grands programmes structurants figure le système de commandement et de contrôle aériens (ACCS), pour un coût de 2,5 milliards d’euros, auquel les Etats-Unis contribuent à hauteur de 25 % alors qu’il porte seulement sur le territoire européen. L’autre programme d’armement majeur en cours porte sur la capacité de surveillance terrestre aéroportée, l’AGS. Si, lors de son lancement il y a plus de quinze ans, il s’agissait en fait de l’acquisition d’appareils américains JSTAR, la décision prise en 2002 de développer le radar en coopération transatlantique marque un véritable changement et autorise des transferts importants de technologies américaines. L’ensemble du programme représente un coût de 3,3 milliards d’euros, dont 70 % à la charge des Européens. La signature du contrat portant sur la phase de design et de développement, pour un montant d’un milliard d’euros, devrait intervenir au cours du premier semestre 2007.

Le rapporteur a jugé que les deux programmes de défense antimissile en cours de développement en Europe sont plus ambigus, même s’ils reposent sur des démarches et des moyens extrêmement différents. Le premier intervient dans le cadre de l’OTAN et vise principalement, au travers du projet dit de défense antimissile balistique de théâtre active multicouche (ALTBMD), à utiliser de façon plus coordonnée les différents moyens antimissile en service ou en cours de développement en Europe, afin de fournir à terme une capacité contre les menaces de 3000 km de portée. Ce programme pourra être complété par une coopération avec la Russie. Des réflexions sont aussi en cours au sein de l’OTAN pour une défense contre les menaces de plus longue portée, mais le coût prohibitif de celle-ci en rend la réalisation des plus improbables.

De fait, le seul programme de défense contre les missiles de longue portée en Europe est américain, comme en témoigne l’annonce récente de négociations pour l’installation d’un système de radars en République tchèque et d’un site accueillant 10 missiles intercepteurs en Pologne. Il s’agit à ce stade d’un programme destiné officiellement en priorité à protéger les intérêts américains et alliés contre les menaces émergentes au Moyen-Orient, et les déclarations insistent sur le fait qu’il n’est pas dirigé contre la Russie. Le maintien de bonnes relations au sein du Conseil OTAN-Russie supposera de bien souligner que ces installations ne relèvent en rien de l’Alliance. De plus, au sein de celle-ci, il faudra éviter toute confusion des financements avec le programme américain. Il n’y a en effet aucun doute sur le fait que l’utilisation des moyens prévus en Pologne et en République tchèque relèvera exclusivement d’une chaîne américaine de commandement.

Le rapporteur a ensuite abordé le deuxième grand chantier de coopération que constitue le processus de transformation militaire de l’Alliance, destiné à adapter les outils de défense aux besoins nouveaux. Le sommet de Prague en 2002 en a marqué le point de départ officiel au travers de deux outils, la NRF et le commandement de la transformation (ACT). Mise en place progressivement à partir de 2003, la première a atteint sa capacité opérationnelle finale lors du sommet de Riga. Catalyseur de l’adaptation des forces, mais aussi « vitrine » de l’OTAN, elle constitue sans aucun doute un succès, même s’il faut aussi en souligner les limites et difficultés, tout particulièrement en ce qui concerne le processus de génération de forces. De plus, la NRF est restée avant tout un instrument européen, les Etats-Unis n’ayant annoncé la participation d’un bataillon d’infanterie qu’en 2006. De manière générale, les Européens assurent 85 % de l’effort militaire de l’OTAN dans le cadre d’opérations extérieures. L’ampleur des opérations en cours pose la question de la capacité collective de l’Alliance à y faire face dans la durée. Les capacités expéditionnaires des Etats membres atteignent leurs limites, compte tenu de leurs engagements multiples ; la NRF compte seulement 25 000 hommes, alors que les effectifs militaires des membres de l’OTAN s’élèvent en tout à 3,8 millions de personnes. Le processus de transformation a donc vocation à se poursuivre.

Si la NRF joue vis-à-vis de la transformation un rôle de laboratoire, c’est ACT qui est chargé d’analyser le retour d’expérience et d’aiguiller la suite du processus. Il est étroitement lié à son équivalent américain, le commandement des forces interarmées (JFCOM), dont le commandant est aussi celui d’ACT. Cette proximité a été recherchée comme un moyen de garantir un lien transatlantique étroit en matière de transformation, afin d’éviter qu’un fossé trop grand se creuse et il est important pour les nations membres de l’Alliance d’entretenir des délégations à même de bien jouer leur rôle. Surtout, il faut veiller à exercer pleinement le contrôle politique sur les activités de ce commandement, pour éviter toute dérive qui verrait les travaux d’ACT devenir de simples décalques des réflexions américaines, voire de leurs intérêts industriels.

Le rapporteur a conclu en soulignant que la relation transatlantique en matière de défense semblait actuellement fondée sur une forme de primat de l’action, permettant d’évacuer les débats les plus dérangeants. Ce constat ne peut faire oublier l’érosion progressive des intérêts communs qui avaient cimenté l’OTAN dans le passé. Alors qu’elle reste l’outil militaire principal de défense du continent européen, son avenir échappe de fait aux Européens et dépendra largement de ce que les Etats-Unis voudront en faire. L’attrait croissant qu’exerce la PESD sur des Etats pourtant très attachés à leur relation avec les Etats-Unis témoigne de la nécessité bien comprise du développement parallèle de structures de défense complémentaires pour l’Europe, même si le partage des rôles reste évolutif.

Le président Guy Teissier a demandé si malgré l’adhésion de nouveaux membres et la diversification de ses missions, l’OTAN n’était pas à la recherche d’une raison d’être depuis la disparition du Pacte de Varsovie. Il a souhaité savoir si l’hypothèse d’une dissolution de l’OTAN avait été évoquée par les différents interlocuteurs des rapporteurs.

M. Francis Hillmeyer a admis que la diversification des missions, qui tendent à s’éloigner des objectifs initiaux et se rapprochent de l’aide humanitaire, faisait courir un risque de dilution à l’Alliance. Les nouveaux adhérents recherchent en priorité la protection des Etats-Unis et ont inscrit leur démarche dans la perspective d’une adhésion à l’Union européenne, ce qui ne va pas sans entraîner des confusions. Il convient de renforcer une défense européenne autonome pour dissiper cette ambiguïté. La perspective de dissolution de l’OTAN n’a pas été évoquée devant les rapporteurs. Toutefois, la possibilité d’un éventuel relâchement des liens avec les Etats-Unis explique l’intérêt de certains, dont le Royaume-Uni, dans le développement de la PESD.

M. Michel Voisin a estimé que l’OTAN aurait du être dissoute en même temps que le Pacte de Varsovie. Il a regretté que ses actions civilo-militaires, concourant notamment à des travaux de reconstruction ou d’assistance à la mise en place d’institutions, bénéficient au bout du compte systématiquement aux Etats-Unis. Alors que la France dispose d’un régiment spécialisé dans ce domaine, comment faire pour accroître la part dévolue aux Européens ?

M. Marc Joulaud a reconnu que, bien après l’effondrement du bloc soviétique, les questions sur le rôle militaire et politique de l’Alliance, mais aussi sur sa composition géographique, continuent à se poser. Son avenir pose problème, même s’il faut souligner combien les nouveaux adhérents d’Europe de l’Est et les candidats à l’adhésion y sont profondément attachés. Il faudra du temps pour que les conséquences des adhésions à l’OTAN et à l’Union européenne soient bien mesurées, et qu’une attitude plus favorable à la seconde se confirme. Il est certain que les opérations en cours montrent que l’OTAN n’est pas la structure la mieux adaptée pour mener des actions civilo-militaires.

Evoquant la montée en puissance américaine depuis le XVIIIe siècle, M. Jean Michel a rappelé qu’après avoir conquis leur indépendance face aux Anglais, les Etats-Unis avaient racheté les possessions françaises de Louisiane qui s’étendaient du Canada au Golfe du Mexique, puis l’Alaska. Au XIXe siècle, la doctrine de Monroe avait pour objet de faire du continent américain un espace interdit aux influences européennes. Au XXe siècle, les interventions militaires tardives des Etats-Unis dans les deux guerres mondiales, en 1917 et 1941, ont posé cette grande puissance comme l’un des deux pôles de domination, avec le bloc soviétique. Au moment de la chute du mur de Berlin, le Président George Bush avait évoqué avec le Président François Mitterrand une éventuelle disparition de l’OTAN mais il est vite apparu que les Etats-Unis ne sauraient renoncer à un tel instrument de domination militaire et économique. Dans les faits, l’OTAN n’a plus de raison d’être aujourd’hui et les nouveaux adhérents de l’est de l’Europe doivent comprendre que, 60 ans après 1945, lorsque des troupes étrangères stationnent encore dans un pays, il s’agit de troupes d’occupation.

Le général de Gaulle, en retirant la France du commandement intégré de l’OTAN en 1966, a permis à notre pays de recouvrer une liberté de choix tout en restant un allié des Etats-Unis. On peut aisément comprendre les préoccupations de la Russie lorsque des bases de défense antimissile sont installées à ses portes, contribuant à un sentiment justifié d’encerclement. Alors que l’Europe ne manifeste qu’une faible volonté de défense, la nécessité de sécuriser ses approvisionnements énergétiques rend indispensable le renforcement des relations bilatérales avec la Russie, alliée traditionnelle de la France. L’approfondissement de la politique européenne de défense et l’extension même de l’Alliance devraient permettre à terme la dissolution de la seconde. Chaque Etat devrait participer à la construction de l’Europe de la défense en proportion de ses facultés et bénéficier de l’ensemble des avantages qui en découlent, cette observation étant valable aussi bien du point de vue militaire qu’industriel.

M. Francis Hillmeyer a considéré que la mise en place d’une alternative crédible à l’OTAN supposait une défense européenne réellement active et des industries d’armement fortes.

M. Marc Joulaud a ajouté que les nouveaux adhérents à l’Union européenne s’appropriaient progressivement la PESD. Même s’ils demeurent marqués par l’occupation soviétique, leur attachement à l’OTAN pourrait s’affaiblir avec le temps et leur confiance dans la PESD se renforcer. Il reste que l’adhésion à l’OTAN donne une assurance militaire performante, qui peut conduire à la tentation de faire l’économie de la construction d’un outil militaire propre. Le renforcement de l’Europe de la défense suppose donc une contribution financière importante de tous les Etats membres. Il pourrait être facilité par le désengagement américain de l’Europe, qui se manifeste notamment par l’allégement des effectifs militaires. Quant à l’implantation de systèmes antimissiles dans l’est de l’Europe, elle relève de la seule souveraineté des Etats concernés.

M. Yves Fromion a rappelé que l’effondrement du bloc soviétique avait conduit à ce que les pays européens, qui ne se sentaient plus menacés, relâchent de manière peu responsable leur effort de défense, renforçant ainsi la mainmise américaine sur l’Europe. Seul un effort financier conséquent permettra aux pays européens d’affirmer leur indépendance en matière de défense. La France reste l’un des pays dépensant le plus pour sa défense, mais cet effort reste contraint et, lors de la précédente législature, les coupes opérées sur le budget du ministère de la défense n’ont pas donné un signal encourageant à nos partenaires européens. Le seuil de 2 % du PIB pour la défense ne doit pas être remis en question, sous peine d’atteindre notre crédibilité politique. Il s’est déclaré particulièrement inquiet de la politique spatiale des Etats-Unis dont la nouvelle version, publiée en 2006, développe ouvertement les thèmes de la domination spatiale et semble vouloir nier le libre accès à l’espace des autres pays. L’espace représentant un défi majeur pour la défense, il faut que l’Europe développe ses capacités techniques et financières, aujourd’hui insuffisantes.

Le président Guy Teissier a souligné qu’une défense spatiale efficace suppose une politique européenne commune.

M. Francis Hillmeyer a insisté sur l’importance des moyens financiers affectés aux armées et à la recherche en matière de défense. Il a rappelé que les Européens n’ont pas aujourd’hui les moyens de mettre en place un bouclier antimissile similaire à celui que les Etats-Unis développent. Les installations américaines annoncées dans ce domaine en Europe s’inscrivent dans une logique de défense nationale américaine. Conforter le développement des outils de défense de la France et de l’Union européenne semble indispensable pour sortir de la relation de dépendance entretenue avec les Etats-Unis, notamment dans le domaine du renseignement.

M. Lionnel Luca, faisant usage de la faculté qui lui est conférée par l’article 38 du Règlement, s’est félicité de la réflexion engagée par la commission et a souhaité que le rapport soit plus un élément d’alerte qu’un constat. Il a estimé que, depuis la chute du bloc soviétique, l’OTAN s’est érigée en gendarme du monde, se substituant à l’ONU au seul profit des Etats-Unis et regretté que la France participe à ce processus. Il a par ailleurs souligné que l’appartenance à l’OTAN constituait pour beaucoup d’Etats une manière confortable et peu coûteuse d’assurer leur défense en se plaçant sous la protection américaine. Partageant les conclusions des rapporteurs sur la nécessité d’un effort européen en matière de défense, il a proposé qu’à l’image des critères de convergence du Traité de Maastricht soit définie une obligation pour chaque Etat membre de consacrer à la défense entre 1,5 et 2 % de son PIB. Il a également déploré que l’OTAN ait figuré dans le projet de traité instituant une Constitution européenne, considérant que cette mention entretenait une confusion insatisfaisante entre l’Union Européenne et l’Alliance atlantique, d’autant plus que cette dernière est fluctuante et placée sous commandement étranger. Il est donc primordial d’affirmer une volonté européenne de défense autonome et indépendante de l’OTAN, conditionnée par un effort financier substantiel. Il a cependant fait état de la méfiance historique de l’Europe de l’Est envers la Russie, observant que leur attachement envers les Etats-Unis résulte des liens tissés durant la guerre froide et par l’émigration.

Il a relevé que la France s’est par ailleurs engagée dans un approfondissement de son intégration militaire dans l’OTAN, ce qui est contradictoire avec ses positions en politique étrangère, et estimé que la conciliation de ces deux postures risque d’être difficile à terme.

M. Gilbert Meyer a constaté que le rapport apportait plus de questions que de réponses. Il a déploré que l’OTAN se soit peu à peu éloignée de ses objectifs initiaux et que ses missions, exagérément diversifiées, soient aujourd’hui sans rapport avec eux. Pour que la France s’affirme comme partenaire et ne subisse plus l’emprise économique et militaire de l’OTAN, une clarification à la fois des missions et de l’organisation de l’Alliance semble indispensable, afin de mettre en place une structure qui corresponde aux besoins. Les inquiétudes de la Russie pourraient dans le même temps être tempérées par cette mise au point. Ce processus suppose également un effort financier conséquent, à la hauteur des aspirations françaises et européennes en matière de défense.

Le président Guy Teissier a abondé dans le sens de M. Gilbert Meyer, en soulignant que, si un consensus existait en France sur le constat, la mise en œuvre de réformes ne dépendait pas seulement de notre pays.

M. Marc Joulaud a souligné qu’une grande majorité de pays européens restait encore très attachée à l’OTAN et estimé que la montée en puissance de l’Europe de la défense prendra donc du temps.

M. Francis Hillmeyer a indiqué que, lors d’un déplacement récent en Ukraine, une délégation de la commission avait pu constater dans les propos de ses interlocuteurs une confusion entre adhésion à l’OTAN et adhésion à l’Union européenne. Certains pays candidats considèrent à tort que l’Union européenne ne serait pas aussi solide sans l’OTAN.

Par ailleurs, malgré les interrogations pesant sur la raison d’être de l’Alliance, force est de constater qu’aucune solution alternative n’est envisageable à court terme et qu’à moyen terme, l’affirmation d’une Europe de la défense dépendra d’efforts financiers nettement plus importants que ceux aujourd’hui consentis.

M. Yves Fromion s’est interrogé sur les conséquences d’une éventuelle décision française unilatérale de quitter l’OTAN.

M. Francis Hillmeyer a jugé qu’un élément de réponse résidait déjà dans la profonde division qu’une telle hypothèse provoquait parmi les parlementaires. Une décision de ce type nécessiterait un grand courage politique, mais il faut également peser l’intérêt que représente l’OTAN en tant qu’outil diplomatique.

M. Jean Michel a observé que, sans la volonté du général de Gaulle, le siège de l’OTAN serait encore à Fontainebleau et la France participerait au commandement intégré de l’organisation. La France est restée membre de l’Alliance et, subrepticement depuis plusieurs années, elle participe de plus en plus à la structure intégrée. Cette politique permet d’une certaine manière de rassurer les nouveaux Etats membres de l’Europe centrale et orientale, tout en leur présentant les avantages politiques de l’Union européenne, laquelle prend davantage en considération leurs aspirations.

La commission a décidé, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.