COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 23

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 20 novembre 2002
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Michel Bouvard, Vice-Président,

SOMMAIRE

 

pages

- Examen pour avis du projet de loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (M. François d'Aubert, Rapporteur pour avis) (n° 187)

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- Informations relatives à la Commission

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La Commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a procédé à l'examen pour avis, sur le rapport de M. François d'Aubert, Rapporteur pour avis, du projet de loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n° 187).

M. François d'Aubert, Rapporteur pour avis, a souligné que la discussion en Commission du projet de loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 avait lieu quelques jours après le vote de sa première annuité dans le projet de loi de finances pour 2003. Cet enchaînement ne correspond pas à l'ordre de préparation des deux textes, puisque la nomenclature du budget a évolué depuis la conception de la programmation.

Une annulation de 321 millions d'euros sur les crédits de la défense vient d'être décidée par le Gouvernement. Si celle-ci porte sur l'exercice 2002, elle va nécessairement induire un report de charges sur l'exercice 2003 qui est la première année de la programmation. Cependant, cette annulation et le report de charges sont bien inférieurs aux cinq années précédentes. En outre, 707 millions d'euros avaient été gelés par lettre du ministre du budget cet été. Donc, le niveau effectif d'annulations apparaît, au final, relativement réduit. Il faut aussi ajouter que 300 millions d'euros devraient être rétablis en 2003 pour des financements innovants. De plus, des ouvertures de crédits d'un montant de 88 millions d'euros au titre III et, au titre V, de 210 millions d'euros en crédits de paiement et de 4,65 milliards d'euros en autorisations de programme sont proposées dans le cadre du projet de loi de finances rectificative.

Le contexte stratégique connaît aujourd'hui de profondes évolutions. La situation internationale se caractérise par une très forte imprévisibilité. Elle est marquée par les risques liés à la prolifération des armes de destruction massive. Elle est aussi, bien évidemment, marquée par les menaces terroristes. Certes, comme l'a rappelé le ministre de la défense devant l'Assemblée nationale le 24 octobre dernier, notre pays affronte ce type de menaces depuis bien longtemps. Pour autant, ce risque a changé d'échelle depuis le 11 septembre 2001. Un effort significatif est accompli en faveur de la lutte contre le terrorisme.

Cet effort repose sur une meilleure articulation entre la sécurité intérieure et extérieure, sur un renforcement de la surveillance du littoral, grâce, notamment, à la mise en service de la chaîne des sémaphores, ou bien encore sur un renforcement de la protection aérienne. Il convient de souligner que l'armée de l'air a considérablement amélioré son dispositif d'interception aérienne.

En outre, la fonction de renseignement sera renforcée. Dix drones multi-capteurs, multi-missions et deux stations les accompagnant seront utilisés par l'armée française en 2008, alors même qu'ils avaient été écartés par le projet du précédent gouvernement. Ce même projet avait fait l'impasse sur les opérations spéciales qui se verront dotées de 10 hélicoptères Cougar Mk2, tandis qu'un programme d'amélioration de leurs moyens de transmissions sera lancé. S'agissant des services de renseignement proprement dits, leurs dotations seront renforcées, comme en témoigne le budget pour 2003, qui a vu les crédits correspondant, hors rémunérations et charges sociales, progresser de plus de 5 %.

Si le contexte stratégique évolue, le cadre international est lui aussi marqué par des mutations profondes. Lors de la présentation du rapport spécial relatif au budget de la défense, les retards et les « ratés » de la construction de l'Europe de la défense ont été soulignés et, singulièrement, ceux de l'Europe de l'armement. L'A400M est emblématique des difficultés de la coopération européenne.

La percée de l'avion américain Joint Strike Fighter chez nos partenaires européens, tels que l'Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni est particulièrement inquiétante. En outre, le développement de cet appareil mobilise très largement leurs crédits de recherche, qui servent à financer la recherche américaine. Par ailleurs, la percée des entreprises américaines dans le capital des entreprises européennes risque, à terme, de nuire à l'autonomie stratégique de l'Europe.

Puisque la France entend renforcer l'Europe de la défense, afin de permettre à l'Union de gérer les crises de manière autonome, le projet de loi de programmation conforte l'autonomie stratégique de notre pays. Elle repose, avant tout, sur la dissuasion. Celle-ci s'appuie sur une composante aéroportée, qui sera renforcée par l'entrée en service des Rafale. Le missile air-sol moyenne portée amélioré montera en puissance à partir de 2007. Il sera adapté au Mirage 2000N ainsi qu'au Rafale. L'autre composante de la dissuasion repose sur les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG). Après Le Triomphant en 1997 et Le Téméraire en 1999, le troisième SNLE-NG sera admis au service avant la fin de l'année 2004. Le quatrième, Le Terrible, dont la construction a débuté à Cherbourg, serait livré en 2010 et équipé du missile M51, qui complètera le M45. Ces délais illustrent la durée de conception et de vie, particulièrement longue, des systèmes d'armes.

L'autonomie stratégique suppose aussi de disposer d'une capacité autonome de commandement et de renseignement, comme l'ont montré la guerre du Golfe et les opérations menées en Afghanistan. S'agissant de l'observation stratégique de seconde génération, le satellite Helios II sera lancé en 2004 et un second satellite en 2008. Sur le théâtre des opérations, l'enjeu consistera désormais à raccourcir au maximum la boucle renseignement-commandement, afin d'optimiser la conduite des opérations. Les drones jouent, à ce titre, un rôle majeur. En outre, 23 nacelles de reconnaissance seront mises en service, permettant d'effectuer des missions de reconnaissance d'objectifs militaires avec transmission en temps réel des informations recueillies. L'ensemble de ces éléments fait de la France une référence en Europe et lui permet de se présenter comme une Nation-cadre incontournable dans les opérations multinationales qui seront conçues par l'Union européenne. Enfin, l'autonomie stratégique de notre pays suppose aussi de conforter notre capacité à mener une action strictement nationale, telle que celle conduite actuellement en Côte d'Ivoire.

S'agissant de nos capacités de projection et de mobilité, le retard du programme A400M risque d'accroître encore plus le déficit capacitaire entre le retrait du service des Transall et la montée en puissance des A400M, qui ne pourra pas intervenir avant 2008, ce qui nécessitera la location de capacités de transport.

Les transports de chalands de débarquements de type Ouragan seront remplacés par deux bâtiments de projection et de commandement livrés en 2005 et 2006, pouvant porter un plus grand nombre d'hélicoptères. Le NH90, construit en coopération avec les Pays-Bas, l'Italie et le Portugal commencera à être livré en 2005, pour la version marine, et en 2011, pour la version terrestre. Sa conception remonte à la fin des années 1980. La commande de 34 exemplaires sera passée pendant la durée d'exécution de la loi de programmation. Afin de combler les manques pendant ce délai, 24 Cougar et 45 Puma seront rénovés.

S'agissant de la « frappe dans la profondeur », le rapport annexé au projet de loi propose de construire un second porte-avions, afin d'assurer la permamence à la mer du groupe aéronaval. La concomitance avec le programme britannique d'acquisition de 2 porte-avions de 50.000 tonnes permet d'envisager une coopération, s'il est possible de concevoir avec les britanniques un navire permettant le catapultage des avions. Il est aussi possible de fabriquer ce second porte-avions sans coopération. Le choix s'offre alors entre une copie du Charles de Gaulle, donc un navire à propulsion nucléaire, et un bâtiment à propulsion classique. Le débat sur la conception de ce porte-avions est ouvert. La propulsion nucléaire est particulièrement complexe et le porte-avions nucléaire s'avère moins rapide que le Foch. Les coûts prévus pour la fabrication du Charles de Gaulle ont été dépassés de 17 %, ce qui n'est pas énorme, compte tenu des retards budgétaires observés et des 5.000 tonnes de blindage qui ont dû être ajoutées.

La Marine sera dotée de 60 Rafale, l'armée de l'air en recevra 234. Sur la période de la programmation, 125 commandes et 76 livraisons sont prévues. Le missile SCALP-EG équipera les Mirage 2000 D à partir de 2003 puis les Rafale air et marine à compter de 2007. Le projet de loi de programmation prévoit la livraison de 500 missiles entre 2003 et 2007. Le missile de croisière naval, dont la campagne d'Afghanistan a montré la nécessité, devrait être mis en place sur les frégates multi-missions en 2011 et à partir de 2015 sur les SNLE-NG. La première des 17 frégates prévues entrera en service en 2008. Les deux premières frégates anti-aériennes Horizon seront livrées en 2006 et 2008. La troisième sera commandée en 2007. Ces bâtiments permettront, en outre, de participer à des missions d'évacuation de ressortissants menacés.

En ce qui concerne les armements terrestres, les 117 derniers chars Leclerc seront livrés entre 2003 et 2005. Un consortium unissant Giat Industries et Renault véhicules industriels a remporté le contrat de fabrication de 700 véhicules blindés de combat d'infanterie, dont 150 seront destinés au commandement. Les premières livraisons, prévues en 2006, ne devraient pas de facto intervenir avant 2007. Sur la période de la programmation 180 chars AMX 10 RC seront rénovés.

L'ensemble de ces dépenses d'équipement fait l'objet d'une enveloppe annuelle définie à l'article 2 du projet.

Il faut se féliciter du fait que le périmètre de cette enveloppe soit défini plus restrictivement. Les dotations à la Polynésie, le démantèlement des installations de matières fissibles, la recapitalisation de GIAT industries ou de capitalisation de DCN ne devraient plus peser sur le montant des crédits d'équipement des armées.

Pour autant, cette enveloppe annuelle n'est pas d'une lisiblité parfaite. En effet, il faut lui ajouter les crédits accordés à la Gendarmerie au titre de la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure, soit, pour 2003, 94 millions d'euros. Pour autant, à ce montant, il faut retrancher 100 millions d'euros de « mesures sans incidence financière » pour trouver le montant réellement inscrit au budget. Ce montant correspond à la prise en charge au sein du titre III, à compter de 2003, de rémunérations de personnels, jusqu'ici rémunérés via le compte de commerce des constructions navales, sur le titre V du budget de la défense.

En outre, l'article 7 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances entrera en vigueur en 2006. Donc, dès le projet de loi de finances initial pour 2006, les crédits de la défense devront être présentés sous forme de missions et de programmes. Or, le présent projet de loi de programmation fixe une enveloppe de crédits d'équipement jusqu'en 2008, en se référant aux crédits ouverts en lois de finances initiales. Cette référence aux lois de finances initiales dans le dispositif du projet vise, très certainement, à éviter que les opérations extérieures, généralement imprévisibles et financées par des lois de finances rectificatives, ne viennent réduire les crédits destinés aux équipements. Pour autant, il aurait sans doute été plus pertinent de faire référence aux crédits réellement disponibles. En effet, compte tenu du caractère fongible des crédits à compter de 2006, le respect formel de l'enveloppe de crédits d'équipement en loi de finances initiale ne constituera pas une garantie suffisante de leur mise à disposition aux forces.

Il serait souhaitable que le Parlement puisse se prononcer spécifiquement sur les grands programmes, comme le fait le Parlement allemand. Dans le cadre de la mise en place de la nouvelle nomenclature budgétaire, il serait envisageable, qu'au sein de missions, qui pourraient être les systèmes de force, les plus gros programmes d'armement soient identifiés, sous forme de programmes au sens de l'article 7 de la loi organique. Certes, les 34 principaux programmes d'armement sont aujourd'hui identifiés à l'article, mais une démarche affinée permettrait une meilleure information des parlementaires.

L'enjeu majeur de la prochaine programmation sera de restaurer la disponibilité technique des matériels afin de permettre à notre armée de pouvoir disposer, à tout moment, des pleines capacités qu'exigent les engagements de la France. Au-delà d'un maintien en condition opérationnelle des matériels, grâce à des procédures qui seront améliorées, et du renforcement des entraînements, c'est le bon fonctionnement de notre armée que le présent projet de loi entend assurer.

L'effort en matière de recherche et de technologie programmé pour la période 2003-2008 permettra de consolider ou d'acquérir les technologies nécessaires à la réalisation des futurs systèmes d'armes. Le projet de loi propose une enveloppe d'un montant global de 3.815 millions d'euros sur la période couverte par la loi de programmation. Il prévoit, en outre, le financement direct des organismes de recherche tels que l'ONERA, l'institut franco-allemand de Saint-Louis, et la contribution aux grandes écoles d'ingénieurs sous tutelle du ministère de la défense. De même, le projet de loi propose la poursuite du financement de la recherche nucléaire. Des dotations seront attribuées au commissariat à l'énergie atomique, afin de financer des travaux de recherche spécifiques, mais aussi les investissements dans les moyens d'expérimentation et de simulation tels que le laser mégajoule. L'effort global du ministère de la défense pour la recherche atteindra 7  milliards d'euros (valeur 2003), à l'exclusion des crédits du budget civil de recherche et de développement (BCRD).

Le ministère de la défense a fortement modernisé ses méthodes de gestion ces dernières années. Cependant, des efforts restent à accomplir. Afin de recentrer le ministère sur le cœur de ses missions, l'externalisation de certaines tâches doit permettre d'accroître l'efficacité de ses services. De même, la recherche de méthodes de financement innovantes, permettant notamment d'offrir une alternative à l'acquisition patrimoniale, doit être encouragée. Plus généralement, la modernisation des modes de gestion et l'anticipation de l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances sont des axes majeurs de la réforme du ministère . Les trois armées sont, bien évidemment, marquées par les spécificités propres à chacune d'elles. Pour autant, la recherche de synergies entre elles doit être encouragée. Jusqu'ici, elle s'est principalement traduite par la mise en commun de structures destinées au soutien des matériels. C'est ainsi que la création de la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense a permis le relèvement de 10 points du taux de disponibilité des appareils de l'armée de l'air. De même, de bons résultats sont attendus, suite à la mise en place du service de soutien de la flotte et d'une éventuelle structure intégrée de la maintenance du matériel terrestre, qui serait chargée du maintien en condition opérationnelle du matériel terrestre.

Les mesures en faveur du personnel ne sont pas absentes du projet de loi de programmation. Il est, en effet, essentiel de maintenir les flux et la qualité du recrutement des personnels civils et militaires. Si le processus de professionnalisation des forces sera globalement achevé fin 2002, tous les postes nécessaires n'auront pas encore été pourvus. C'est pourquoi l'article 3 du projet de loi de programmation avance des objectifs à la fois réalistes et ambitieux pour l'évolution des effectifs à l'horizon 2008. Il s'agit également d'ajuster les crédits de fonctionnement afin d'atteindre le format prévu en 2002 par la précédente loi de programmation. Par ailleurs, le projet de loi introduit deux dispositions qui ont pour objectif, d'une part, de fidéliser les militaires engagés et, d'autre part, d'inciter au départ des officiers et sous-officiers.

L'article 4 du projet de loi de programmation crée un fonds de consolidation de la professionnalisation, dont le montant au cours de la période 2003-2008 doit atteindre 572,58 millions d'euros. Il est prévu d'y consacrer chaque année un montant croissant de crédits, dont une somme de 7,93 millions d'euros au titre V. L'article 6 du projet de loi de programmation permet de tirer les conséquences juridiques de la suspension du livre II du code du service national au 1er janvier 2003. Concrètement, il est proposé de régulariser par ordonnances la situation des jeunes Français qui n'ont pas été appelés sous les drapeaux entre le 1er juillet 2001 et le 31 décembre 2002. Le projet de loi propose aussi d'insérer dans la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires des dispositions particulières concernant le statut des payeurs aux armées et celui des postiers interarmées, ainsi que le renouvellement du fondement juridique des commissions de réforme.

Un débat a suivi l'exposé du Rapporteur.

M. Alain Rodet a relevé de nombreuses incertitudes concernant le second porte-avions portant notamment sur son mode de propulsion, ses matériels embarqués, les possibilités de coopération, ainsi que le calendrier de sa réalisation. L'armée de terre paraît sacrifiée alors même que ses missions sont fondamentales, délicates et variées, ce qui ne peut manquer de susciter une réelle inquiétude.

M. Louis Giscard d'Estaing a rappelé que le présent projet de loi faisait suite à deux événements d'importance : la fin du service militaire et les retards pris dans l'application de la loi de programmation pour les années 1997 à 2002. Un effort de rattrapage, en pleine cohérence avec la professionnalisation des forces armées, est donc indispensable. Toutefois, la question des réserves ne paraît pas suffisamment prise en compte. Il est essentiel de disposer à ce titre de candidats suffisamment qualifiés. La réserve opérationnelle doit atteindre 82.000 réservistes en 2008 et 100.000 réservistes en 2015. Une dotation de 85,83 millions d'euros est prévue sur la période 2003-2008. On peut, par conséquent, considérer que le projet de loi de programmation consacre une somme d'environ de 1.000 euros par réserviste sur six ans. Ce montant est-il suffisant ? L'ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense attribue la compétence de la protection des personnes au ministère de l'intérieur, et non pas au ministère de la défense. La loi de programmation militaire doit être cohérente avec l'impact budgétaire global de l'ensemble de la mission de protection des personnes.

M. Jean-Claude Sandrier a récusé l'idée selon laquelle la loi de programmation en cours d'exécution aurait été mal appliquée, même si, à son terme, environ une année de crédits de paiement manque encore. Cette loi de programmation militaire a été la mieux respectée depuis près de trente ans. Par ailleurs, la plus forte baisse des crédits d'armement est intervenue en 1996. Il ne sert donc à rien de polémiquer sur l'exécution passée.

On peut se demander si la stratégie mise en œuvre aujourd'hui, qui résulte du Livre blanc de 1994 et de la décision d'abandon de la conscription intervenue en 1996, est encore valable pour la durée de la programmation. A l'époque, les spécialistes avaient expliqué que certaines adaptations seraient probablement nécessaires, notamment s'agissant de l'identification des menaces. La menace terroriste étant actuellement la plus préoccupante, la vraie question est désormais de savoir comment s'en prémunir. Comme l'ancien chef d'état-major des armées, le général Kelche, l'a souligné, la réponse au terrorisme ne peut être uniquement militaire.

La question de l'autonomie stratégique de notre pays est également fondamentale. Le rapport annexé au projet de loi affirme l'importance de l'alliance transatlantique, sans en préciser les implications pour la France. Le secrétaire général de l'OTAN prévoit une multiplication et une coordination des missions destinées à lutter contre le terrorisme. Pendant ce temps, la mise en œuvre d'une force militaire propre à l'Union européenne ne progresse pas, et sa stratégie militaire tend à se confondre avec celle des États-Unis.

Enfin, la situation de l'industrie de l'armement est préoccupante, que ce soit dans le domaine terrestre, maritime ou aéronautique. Le rapport annexé ne laisse entrevoir qu'un recul de l'autonomie industrielle de la France, ce qui ne peut qu'inciter à voter contre ce projet de loi, en dépit des aspects intéressants qu'il comporte quant à la maintenance des matériels et à la condition militaire.

M. Laurent Hénart a estimé qu'il était important, pour la protection des intérêts de la France, de conforter sa capacité de projection. Il a souhaité savoir si le Gouvernement allait mettre l'accent sur l'acquisition de nouveaux hélicoptères pour l'armée de terre, ou bien simplement rénover le parc existant et si de nouveaux systèmes d'armes étaient prévus. L'efficacité des hélicoptères a été vérifiée, lors des opérations tant civiles que militaires, notamment dans les Balkans.

M. Michel Bouvard, Président, s'est interrogé sur les moyens consacrés aux organismes de recherche, notamment l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA), dont les besoins sont estimés à 24 millions d'euros. Cet organisme ne dispose pas des moyens nécessaires pour mettre en œuvre le programme de modernisation des installations qui lui permettrait pourtant d'être compétitif et de préserver la confidentialité de ses travaux. Il a souhaité savoir où en étaient les projets de standardisation des armements.

En outre, le sommet franco-italien de Rome a permis de confirmer l'achat par l'Italie d'une frégate, mais la question de la coopération européenne dans le domaine militaire reste posée. Les élargissements de l'OTAN et de l'Union européenne ouvrent également des perspectives nouvelles en matière industrielle, à la faveur desquelles les objectifs de coopération militaire devraient être réaffirmés.

La dimension du nouveau porte-avions mériterait d'être précisée. Les crédits destinés à soutenir les bases françaises sur le continent africain seront-ils pérennisés ?

En réponse à l'ensemble de ces interventions, M. François d'Aubert, Rapporteur pour avis, a apporté les précisions suivantes :

- l'armée de terre n'est pas négligée par le projet de loi de programmation militaire. Son budget pour 2003 a même progressé de 5 %. Le développement du véhicule blindé de combat d'infanterie et des hélicoptères correspond aux besoins de l'armée de terre. D'une manière générale, le projet de loi répond aux attentes de l'ensemble des forces armées, sans qu'il subsiste de frustrations particulières. Les programmes en cours, comme le char Leclerc, même si ses livraisons s'achèvent en 2005, généreront un besoin de maintenance à long terme pour les arsenaux. Le problème sera plutôt celui de la capacité d'absorption des commandes ;

- s'agissant du second porte-avions, une coopération paraît logique, voire nécessaire, pour autant que l'on puisse développer une approche technique commune. La priorité française, en termes de matériel embarqué, consiste à disposer de Rafale, dont 9 sont déjà affectés au Charles de Gaulle. En ce qui concerne le mode de propulsion, il est important qu'une expertise puisse être faite par le Parlement. L'augmentation de 17 % des coûts du Charles de Gaulle demeure modérée, compte tenu des retards budgétaires observés et des surcoûts générés par la sécurité nucléaire. La construction d'un second porte-avions classique risque de générer un surcoût plus important encore, en l'absence d'effet de série ;

- la réserve est un enjeu majeur pour la professionnalisation des armées, comme l'ont montré les exemples étrangers. Toutefois, les problèmes liés à la fidélisation des réservistes sont plus forts en France qu'en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Il est essentiel de développer l'attractivité de la réserve. C'est pourquoi la création d'une prime d'incitation au volontariat à servir dans la réserve opérationnelle, d'un montant de 1.500 euros, permettra à ces personnes de disposer d'une aide significative, lors de leur installation dans la vie active. D'autre part, le financement d'un dispositif de formation militaire initiale dans le cadre d'un engagement à servir dans la réserve sera renforcé. Au vu des besoins technologiques des armées, il est impératif de s'assurer de la qualité du recrutement des réservistes. On pourrait, par exemple, s'inspirer de l'exemple britannique, où des personnels sont mobilisables dans le cadre d'opérations particulières et dont l'engagement est alors lié à des formations d'enseignement supérieur. Ainsi, tout en étant préparés à la sortie du cadre militaire, ces personnels pourront y revenir après avoir suivi des formations très spécialisées ;

- les crédits prévus permettront le maintien et la mise à niveau des bases françaises en Afrique ;

- les spécifications techniques du nouveau porte-avions sont encore en cours de définition ;

- l'achat du Joint Strike Fighter par la Pologne montre que l'influence des États-Unis en Europe centrale laisse mal augurer de la coopération européenne. Le marché le plus porteur est actuellement celui de la Marine, puisque les matériels d'armement terrestre sont encore abondants du fait du volume des stocks de la guerre froide. La fin de la course aux armements a, en effet, occasionné une réduction drastique des besoins dans le domaine des matériels militaires. Ainsi, la France possèdera 406 chars Leclerc alors que le parc prévu devait être de 1.400 unités. En revanche, compte tenu de l'intérêt des gouvernements européens, en particulier ceux des Pays-Bas, de l'Italie et du Royaume-Uni, pour le matériel aéronautique, les perspectives sont encourageantes. La coopération se développe autour de grands programmes, notamment celui de l'A400M. S'agissant des simulateurs du Tigre, elle devrait être développée entre l'Allemagne et la France ;

- la standardisation des équipements militaires européens est encore limitée, surtout si l'on considère que l'Allemagne est dotée de chars Léopard, alors que la France est équipée des chars Leclerc. Pourtant, l'impulsion politique, encore trop souvent donnée par l'OTAN, n'est pas toujours à l'origine des difficultés de cette standardisation, puisque la barrière technique est également très importante ;

- l'ONERA a des besoins importants, mais ses circuits de financement vont être optimisés : les crédits pourront faire l'objet d'une gestion directe ;

- la capacité de projection française sera améliorée par la livraison de l'hélicoptère NH90, conçu à la fin des années 80. 34 exemplaires doivent être livrés à partir de 2011. En attendant, la France s'est engagée dans la rénovation de 24 Cougar et de 45 Puma ;

- l'exécution de la loi de programmation actuelle fait apparaître un manque de crédits d'équipement, correspondant à une annuité environ. Le titre III a, certes, été exécuté au-delà des objectifs, mais la programmation militaire doit, pour l'essentiel, prévoir les crédits d'équipement ;

- la loi de programmation militaire 2003-2008, plus ambitieuse que la programmation actuelle et que le projet élaboré en 2001, montre la volonté du Gouvernement d'accorder la priorité à l'équipement militaire ;

- la dissuasion nucléaire reste une priorité de la politique de défense française, puisqu'elle demeure la garantie de sa puissance sur la scène internationale. Elle absorbe encore 20 % des crédits d'équipement et bénéficie d'un effort soutenu de recherche, permettant le développement du laser mégajoule et du simulateur AIRIX ;

- l'industrie de l'armement doit effectivement être préservée. Le fait qu'une partie de l'industrie européenne de l'armement passe sous le contrôle américain est préoccupant. En outre, le budget américain de la défense atteint 370 milliards de dollars, soit dix foix plus que le budget de la défense de la France, lequel comprend par ailleurs 8,89 milliards d'euros de pensions. La France reste en revanche, avec le Royaume-Uni, le plus fort contributeur européen en matière de défense. Le changement de statut de DCN doit s'accompagner de restructurations internes. Une réforme de GIAT Industries est par ailleurs souhaitable. Ses effectifs doivent être mieux adaptés à son plan de charge réel. En revanche, les perspectives commerciales de DCN sont plus prometteuses.

Puis, la Commission a examiné quatre amendements présentés par M. François d'Aubert, Rapporteur pour avis, portant sur le rapport annexé :

- les deux premiers tendent à préciser que les crédits d'investissement de la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure attribués à la gendarmerie n'entrent pas dans le champ de la loi de programmation militaire. M. Louis Giscard d'Estaing a observé que ceci résultait par ailleurs de la page 40 du texte du rapport annexé ;

- le troisième corrige une erreur rédactionnelle dans la première phrase du dernier alinéa du 3.1 de la deuxième partie du rapport  ;

- le quatrième mentionne que les effectifs de la gendarmerie sont « prévus » et non « créés » par la loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure.

La Commission des Finances a alors adopté ces quatre amendements et a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi de programmation militaire pour les années 2003-2008.

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Informations relatives à la Commission

La Commission des Finances a nommé :

M. Éric Woerth, Rapporteur d'information sur l'épargne retraite.

M. François Goulard, Rapporteur sur la proposition de M. Noël Mamère tendant à créer une commission d'enquête relative à l'origine des fonds du groupe algérien Khalifa et sur leur utilisation en France (n° 334).

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