COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 26

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 5 décembre 2002
(Séance de 8 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Thierry BRETON, Président-directeur général de France Télécom

2

A la demande de plusieurs intervenants, le Président Pierre Méhaignerie a indiqué qu'il tenterait de modifier la date prévue pour la commission mixte paritaire sur la loi de finances rectificative, en l'anticipant au mercredi 18 décembre.

*

La commission des Finances a procédé à l'audition de M. Thierry Breton, Président-directeur général de France Télécom.

Le Président Pierre Méhaignerie a remercié M. Thierry Breton de réserver la primeur de l'information à la commission des Finances, ce qui explique l'heure inhabituelle de la réunion.

M. Thierry Breton s'est réjoui de prononcer sa première déclaration, après le conseil d'administration d'hier soir, devant la représentation nationale. Lors de sa nomination il y a deux mois, le groupe se trouvait dans une situation préoccupante. Face à un endettement gigantesque, l'entreprise ne semblait pas avoir pris la mesure de la situation d'un groupe qui voyait sa cotation se dégrader, qui n'avait plus accès aux marchés de capitaux et qui ne pouvait plus compter que sur 6 milliards d'euros de lignes de crédits disponibles d'ici la fin de l'année, pour un montant de dette de 50 milliards d'euros à rembourser au cours des trois prochaines années. Un important travail d'explication s'avère aujourd'hui nécessaire dans l'entreprise. Il doit s'appuyer sur le rapport de la mission « état des lieux », qui a réuni une équipe de 120 personnes pour un travail extraordinairement efficace et rapide à un coût particulièrement faible pour ce genre de structure, la mission ayant coûté 1,5 million d'euros au total. La situation initiale rendait nécessaire une augmentation de capital, délicate à mettre en œuvre en l'absence de plan de redressement de l'entreprise. Il faut désormais changer le rapport de forces pour bâtir un projet ambitieux reposant sur une gestion rigoureuse, afin d'enclencher un cercle vertueux de développement. France Télécom est aujourd'hui l'opérateur le plus endetté du monde, avec une dette de plus de 70 milliards d'euros. L'entreprise a procédé à environ 100 milliards d'euros d'achats entre 1999 et 2001, dont 80 % ont été payés en cash, situation originale par rapport aux autres opérateurs européens. Certes, elle disposait d'un plan de refinancement qui devait lui permettre de réduire sa dette à 30 milliards d'euros fin 2002, ce qui aurait constitué une situation financièrement supportable avec un ratio de dette rapportée à l'EBITDA (résultat opérationnel courant avant amortissement) égal à 2. Cependant, ce plan n'a pu être mis en œuvre et le ratio est aujourd'hui de 4,7,  ce qui place France Télécom dans une situation très fragile.

France Télécom dispose de compétences très fortes, à commencer par sa richesse humaine s'exprimant notamment au travers de la diversité des statuts et de l'excellence des corps techniques de l'État. Toutefois, sa culture internationale n'est pas réellement développée. L'entreprise a noué un partenariat avec Deutsche Telekom, reposant sur la constitution de joint ventures. L'échec de cette expérience tient d'abord à l'absence de culture managériale internationale dans l'entreprise puis à la rupture des accords, au moment où se développait la bulle financière, rupture due au fait que Deutsche Telekom a tenté unilatéralement une fusion avec Telecom Italia. Dans ce contexte, l'association avec Mobilcom s'explique comme un contrecoup de la rupture avec Deutsche Telekom, l'entreprise française cherchant un autre moyen d'entrer sur le marché allemand alors que les valeurs télécom étaient à leur maximum. Le coût final de l'expérience Mobilcom s'élève à 12 milliards d'euros pour France Télécom. Cette expérience désastreuse, reposant sur des critères financiers hautement contestables, illustre donc une politique d'acquisitions trop rapide en l'absence de compétences managériales internationales suffisantes. Cette politique s'est néanmoins poursuivie, avec l'acquisition d'Orange avant l'éclatement de la bulle financière. Enfin, le coût des licences UMTS a représenté 18 milliards d'euros pour France Télécom, tandis que les opérateurs européens ont déboursé 139 milliards d'euros au total. L'Allemagne et l'Angleterre ont été les deux premiers bénéficiaires, ainsi que Vodafone qui a reçu 35 à 40 milliards d'euros en cash de l'opérateur français, essentiellement pour l'acquisition d'Orange. Il est désormais nécessaire de trouver des synergies dans les opérations futures, pour un groupe dont il faut rappeler qu'il s'est constitué par strates successives, le nombre de salariés passant de 120.000 à 255.000 sur cette période.

France Télécom a été plus raisonnable que d'autres entreprises de télécommunications européennes, notamment s'agissant des licences UMTS. Mais le coup est parti du Royaume-Uni où un spécialiste de la théorie des jeux a laissé accroire aux États britannique puis allemand que le système des enchères allait rapporter de plus en plus. Il a fallu suivre, et France Télécom a acheté.

France Télécom disposera à la fin de l'année de 6 milliards d'euros de ligne de crédits bancaires. Or, les échéances de remboursement sont massives : 15 milliards d'euros en 2003 comme en 2004 et 20 milliards d'euros en 2005.

Les fonds propres sont négatifs de l'ordre de - 440 millions d'euros actuellement. Ils devraient atteindre entre - 6 et - 8 milliards d'euros à la fin de cette année. Il faudra à cette date avoir constitué des provisions pour dépréciations à hauteur de 5 à 7 milliards d'euros. Les résultats nets devraient donc avoisiner entre - 18 et - 20 milliards d'euros cette année, si l'on ne prend pas en considération les situations d'Orange et le coût de la licence anglaise.

L'augmentation de capital est, dans cette perspective, essentielle. Une entreprise comme France Télécom se doit de disposer de fonds propres à hauteur de 5 milliards d'euros environ. L'entreprise doit reprendre son destin en mains, or le sentiment dominant est qu'il est actuellement dans celles des banquiers.

C'est pourquoi a été arrêté un programme d'amélioration opérationnelle, intitulé « TOP » et destiné à dégager 15 milliards d'euros de disponibilités sur la période 2003-2005. Il consiste à établir une plus grande rigueur dans les dépenses opérationnelles, notamment au sein des filiales. Les plans d'investissements, plus ambitieux que ceux des principaux concurrents, contraignent aujourd'hui l'entreprise à procéder à des économies substantielles.

L'engagement de la nouvelle équipe consiste, en effet, à dégager un cash flow libre net de 15 milliards d'euros dans les trois ans pour le remboursement de la dette. France Télécom se focalisera, dans cette perspective, sur ses activités essentielles et nationales. Ses marchés principaux sont aujourd'hui la France, l'Angleterre, mais aussi la Pologne, le groupe étant aujourd'hui actionnaire minoritaire de l'opérateur polonais TPSA (40 %).

Le plan de renforcement de la structure financière du groupe, « Ambition FT 2005 » comprend trois volets de 15 milliards d'euros chacun : une augmentation de capital de l'État de 15 milliards d'euros, un dégagement de cash flow de 15 milliards d'euros et un refinancement obligataire de 15 milliards d'euros. Sur le montant destiné au renforcement des fonds propres, l'État devrait participer par une ligne de crédits sous forme d'avance potentielle d'actionnaire à hauteur de 9 milliards d'euros environ, qui permettrait de desserrer les contraintes du marché, marquer le soutien de l'État et rassurer les actionnaires. De cette façon, l'État agit en actionnaire avisé. Plusieurs fenêtres sont possibles, l'action de l'État offre la meilleure chance de succès, y compris vis-à-vis des petites actionnaires.

Ce plan sera mis en œuvre par une équipe dirigeante largement renouvelée et laissant une part plus importante que par le passé aux ingénieurs, même au sein de la direction financière. En effet, il faut faire davantage appel à des spécialistes de mécanismes simples, qui connaissent les métiers de base de l'entreprise, qu'à des professionnels de montages financiers compliqués.

La nouvelle équipe comprend parfaitement les inquiétudes du personnel, notamment celles des agents relevant du statut de la fonction publique. Les garanties de ceux-ci seront maintenues. Certains veulent revenir vers d'autres administrations. Ce passage devrait être facilité. L'État semble prêt à créer une mission sur leur mobilité, à cette fin.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, s'est interrogé sur le bilan des cessions réalisées en 2002. Puis il a demandé des précisions sur les modalités de l'augmentation de capital à laquelle allait procéder France Télécom et sur la possibilité d'augmenter le nombre de départs naturels de fonctionnaires, qui est pour l'instant de 400 environ.

M. Thierry Breton a précisé que l'ensemble des cessions prévues en 2002 a été réalisé sauf celles d'Eutelsat et de Casema. En ce qui concerne l'augmentation de capital, compte tenu de la grande réactivité des marchés financiers, France Télécom ne peut donner des informations trop précises sur le volume et la date de l'augmentation de capital. Ce serait le meilleur moyen de susciter les attaques spéculatives des hedge funds. Cependant, cette augmentation de capital prendra la forme d'une part d'actions et d'autre part, de manière limitée, d'obligations convertibles en actions. De son côté, l'État interviendra en sa qualité d'actionnaire majoritaire. Cette augmentation de capital montre la détermination de l'État à apporter son aide à France Télécom. Elle devrait permettre à l'entreprise de résoudre ses problèmes de liquidités. S'agissant des fonctionnaires, le nombre de départs naturels représente effectivement 300 à 400 personnes par an. Cependant, le nombre de demandes des départs est en réalité supérieure et il n'existe aucune gestion spécifique les concernant. Une gestion plus avisée du personnel en ce domaine pourrait permettre de les développer.

M. Alain Joyandet a demandé quels étaient les rapports entre l'équipe dirigeante et l'État, actionnaire majoritaire, et des précisions sur le plan de refinancement de France Télécom, notamment sur l'avance d'actionnaire de 9 milliards d'euros que devrait consentir l'État.

M. Thierry Breton a rappelé que les modalités d'intervention précises de l'État concernaient davantage le Gouvernement et seraient communiquées par le ministre. S'agissant du conseil d'administration, il a rappelé que celui-ci a été réuni tous les quinze jours depuis deux mois. Une collaboration étroite avec le conseil d'administration est véritablement essentielle, dans la mesure où chaque administrateur défend l'intérêt de l'ensemble des actionnaires. Chaque administrateur doit être traité sur un pied d'égalité.

M. François Goulard s'est déclaré très convaincu par les propos de M. Thierry Breton, puis a demandé quelles étaient les opportunités pour France Télécom de se désengager de certains investissements.

M. Thierry Breton a rappelé qu'en raison d'une conjoncture très difficile sur le marché des télécommunications, céder les acquisitions faites par France Télécom reviendrait à les revendre à 10 % de leur prix d'achat. Procéder à des cessions aujourd'hui s'avère par conséquent particulièrement délicat. Les seules cessions rentables seraient celles d'Orange, ou de Wanadoo, mais elles ne sont ni souhaitables, ni pertinentes. Ainsi, le plan de refinancement ne comporte pour l'instant aucune cession précise, celles-ci interviendront progressivement quand des opportunités se présenteront.

Usant de la faculté que l'article 38 du Règlement de l'Assemblée nationale confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. François Brottes s'est interrogé sur le rôle de la Commission européenne dans l'attribution des licences UMTS. Il a aussi demandé des précisions sur les contraintes qu'impose la loi de 1996 à France Télécom concernant l'ouverture à la concurrence et l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché des télécommunications en France. Il a observé que British Telecom et Deutsche Telekom n'étaient pas dans une situation meilleure que celle de l'opérateur français.

M. Thierry Breton a déclaré ne pas partager cette dernière appréciation. Il a rappelé le prix énorme qu'avaient coûté les licences UMTS en Europe et le rôle relativement limité de la Commission européenne pour harmoniser les conditions d'attribution de ces licences. Cependant, les prix sont restés à un niveau relativement raisonnable en France, l'Autorité de régulation des télécommunications ayant eu un rôle de pondération essentiel.

Le Président Pierre Méhaignerie a demandé quelle serait l'évolution à venir des investissements.

M. Jean-Pierre Balligand a demandé des précisions sur le développement du réseau ADSL.

M. Gérard Bapt s'est interrogé sur la stratégie future de France Télécom vis-à-vis de sa filiale au Liban.

M. Thierry Breton a précisé qu'il n'y aurait pas de changement majeur concernant les investissements et a rappelé son attachement très fort au développement de l'ADSL. Actuellement, il y a 1,2 million d'abonnés, probablement 1,3 à la fin de l'année, mais on peut espérer porter ce chiffre à 3 millions. L'engagement de France Télécom au Liban pose des problèmes complexes auxquels il s'est déclaré très attentif.

--____--


© Assemblée nationale