COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 36

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 4 février 2003
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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Audition de M. Alain Lambert, ministre délégué au Budget, sur la gestion des crédits budgétaires de l'année 2003.

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La Commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a procédé à l'audition de M. Alain Lambert, ministre délégué au Budget, sur la gestion des crédits budgétaires de l'année 2003.

Le Président Pierre Méhaignerie a tout d'abord indiqué que, compte tenu de l'annulation de l'élection de M. Jean-Pierre Brard, le poste de Secrétaire que celui-ci occupait au sein du Bureau de la Commission serait, pour l'instant, laissé vacant.

Par ailleurs, en application de l'article 14-III de la loi organique relative aux lois de finances, le Gouvernement vient de faire parvenir à la commission le montant des réserves de précaution pour 2003.

Après avoir vivement remercié le Gouvernement d'avoir réservé la primeur de cette information et celle des données de l'exécution 2002 à la commission des Finances de l'Assemblée nationale, le Président Pierre Méhaignerie a souligné que cette procédure, particulièrement soucieuse des droits du Parlement, était extrêmement positive.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, a tout d'abord précisé que cette présentation constituait effectivement une première. D'une part, la primeur des résultats de l'exécution budgétaire n'avait jamais été réservée au Parlement. D'autre part, c'est la première fois que des mesures de mise en réserve sont présentées aux parlementaires avant même leur mise en oeuvre. Cette nouvelle procédure est à la fois plus logique, à l'égard de ceux qui votent la loi de finances, et plus respectueuse des droits du Parlement et de l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances.

En 2002, le solde budgétaire présente un déficit de 49,3 milliards d'euros, hors opérations avec le Fonds monétaire international (FMI). Le besoin de financement, toutes administrations publiques confondues, devrait s'établir aux alentours de 3% du produit intérieur brut (PIB). Ce montant, qui est cohérent avec la situation budgétaire, ne peut aujourd'hui reposer sur des données totalement fiables. Ainsi, de nombreux retraitements comptables, effectués par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), doivent être pris en compte. Le plus spectaculaire a trait à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), puisque lorsqu'il s'agit d'établir le besoin de financement en comptabilité en droits constatés intégrant la TVA due au titre de décembre et payée en janvier, la recette de TVA n'est pas exactement connue. De même, de nombreuses opérations de retraitement entre catégories d'administrations publiques seront consolidées, en raison notamment du paiement par l'État des dettes à l'endroit de la Sécurité sociale. C'est pourquoi le déficit public ne sera notifié à Bruxelles que début mars.

Le déficit budgétaire prévisionnel était de 47 milliards d'euros en loi de finances rectificative pour 2002, les crédits ayant été majorés par amendement de 225 millions d'euros au titre de la « prime de Noël » destinée aux titulaires du revenu minimum d'insertion (RMI). L'écart entre le déficit prévisionnel de 47 milliards d'euros en loi de finances rectificative pour 2002 et le déficit de 49,3 milliards d'euros en exécution 2002 s'explique par trois facteurs : le montant des recettes, qui s'élève à 223,4 milliards d'euros, est inférieur d'un milliard d'euros, les dépenses réelles, qui s'établissent à 273,4 milliards d'euros, sont supérieures de 2 milliards d'euros ; enfin, le résultat final des comptes spéciaux du Trésor est en amélioration de 0,7 milliard d'euros. Les pertes de recettes entre la loi de finances initiale et l'exécution s'élèvent à 10,5 milliards d'euros ou 8 milliards d'euros hors baisse de 5 % de l'impôt sur le revenu, gagée par des économies en dépenses. Elles s'expliquent essentiellement par les recettes fiscales, estimées à 250,4 milliards d'euros en loi de finances initiale et à 240,2 milliards d'euros en exécution 2002, ainsi que par des écarts sur les prélèvements sur recettes, le budget communautaire et les prélèvements au profit des collectivités territoriales ayant été recalés en très légère hausse. Les recettes fiscales se caractérisent par de bonnes rentrées de TVA et d'impôt sur les sociétés. L'impôt sur le revenu constitue à la fois une déception - en l'absence de recouvrement suffisamment performant par rapport aux prévisions - et une satisfaction - au vu des émissions de rôles parfaitement en ligne. Quant à la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), les pertes réelles ont été supérieures aux prévisions de l'automne. Enfin, certains dégrèvements sur d'autres impôts ont été plus dynamiques que prévu, alors que les redressements fiscaux appliqués aux entreprises ont rapporté un peu moins que prévu.

Pour obtenir le montant réel de la dépense exécutée, la somme des ouvertures de crédits en loi de finances initiale, en lois de finances rectificatives et en loi de règlement, ces dernières traduisant notamment la charge de la dette, doit être minorée du montant des annulations, y compris celles opérées en loi de règlement concernant les crédits non reportables, c'est-à-dire notamment les crédits de rémunération non consommés, et prendre en compte la variation des crédits de report. Ainsi en 2002, 273,4 milliards d'euros ont été dépensés, alors que l'équilibre du collectif prévoyait 271,4 milliards d'euros de crédits ouverts et la loi de finances initiale 266,4 milliards d'euros. Cet écart s'explique par l'ouverture de 5 milliards d'euros dans le collectif d'été - résultant des sous évaluations de la loi de finances initiale et du paiement de dettes -, par l'effet, à peu près neutre sur la dépense, du collectif d'automne, et par l'annulation à venir de 0,6 milliard d'euros. Cette somme résulte de la contraction entre 0,4 milliard d'euros d'ouvertures, couvrant des dérapages sur des chapitres évaluatifs et 1 milliard d'euros d'annulations, notamment sur des chapitres de rémunération. Au total, la consommation des reports de l'exercice 2001 s'élève à 2,6 milliards d'euros, correspondant aux ouvertures du collectif de fin d'année 2001 reportées sur la gestion 2002 et aux abattements qui avaient été faits sur les montants inscrits en loi de finances initiale pour 2002 en fonction du niveau des reports antérieurs. L'écart constaté de 7 milliards d'euros au niveau des dépenses entre la loi de finances initiale pour 2002 et la dépense réelle s'explique, d'une part, par la charge de la dette qui s'est accrue de 1,2 milliard d'euros, en raison, notamment, d'un dérapage de 0,7 milliard d'euros de la dette négociable, dérapage qui aurait été encore plus fort si les taux d'intérêt n'avaient pas baissé en cours d'année, et, d'autre part, par les dépenses sociales qui ont dérapé de 3,3 milliards d'euros. Ce chiffre est dû au paiement des dettes de l'État pour 1,5 milliard d'euros, à la sous-évaluation de 1,4 milliard d'euros en loi de finances initiale et à la consommation de crédits reportés de la gestion 2001 à hauteur de 305 millions d'euros correspondant aux crédits du plan hôpital ouverts dans le collectif de fin d'année 2001. Les comptes spéciaux du Trésor procurent in fine un excédent de 0,7 milliard d'euros contre 2 milliards d'euros prévus en loi de finances initiale pour 2002. Le compte d'affectation des produits de cessions de titres clôturera avec un excédent d'environ 200 millions d'euros, correspondant à la part de la recette liée à la privatisation totale du Crédit Lyonnais, qui n'a pas été dépensée en dotations en capital. Le compte d'émission des monnaies métalliques, prévu en excédent en loi de finances initiale pour 2002, clôturera avec un solde quasi nul, tandis que le compte d'avances sur le montant des impositions revenant aux départements, communes, établissements et divers organismes est beaucoup moins excédentaire qu'initialement prévu.

L'évolution du solde d'exécution budgétaire en 2001 et 2002 révèle à la fois des récurrences assez fortes d'une année sur l'autre et un certain profil d'évolution de la situation entre la fin novembre et le solde final. Si le solde s'améliore toujours en fin d'année, l'amélioration a été encore plus forte en 2002, à raison de 4 milliards d'euros : les recettes ont été plus fortes en décembre 2002 qu'en décembre 2001 et le solde des comptes spéciaux s'est amélioré. En décembre 2002, 3,6 milliards d'euros de plus qu'en décembre 2001 ont été encaissés, avec notamment un effet de décalage des recouvrements positif de 1,1 milliard d'euros sur l'impôt sur le revenu et presque 2 milliards d'euros de recettes non fiscales en plus, correspondant à l'écart sur le total prévu en 2002 par rapport à 2001, dû à certains versements de la Compagnie française d'assurances pour le commerce extérieur (COFACE) et de la Caisse des dépôts et consignations. Quant à l'amélioration du solde des comptes spéciaux, elle s'explique par l'encaissement de recettes sur le compte de privatisation et sur le compte d'affectation du produit des licences UMTS.

Au vu du bilan de la gestion 2002, il est désormais impératif d'appliquer le principe de précaution à la gestion des finances publiques, ce qui explique que le budget 2003 ait été élaboré de manière prudente. Pour autant, toute exécution budgétaire demeure soumise à un certain nombre d'aléas. L'objectif poursuivi par la mise en réserve de crédits est double : il s'agit de respecter la norme de dépenses résultant du vote d'un plafond de 273,8 milliards d'euros par le Parlement - sous réserve d'un taux d'inflation effective de 1,5 % - et de respecter, en exécution, l'équilibre de la loi de finances, dont le déficit s'établit à 44,6 milliards d'euros, sous réserve que l'environnement macroéconomique ne soit pas fondamentalement bouleversé. Si la régulation budgétaire n'est pas une idée neuve, puisque les annulations de crédits de la précédente législature n'ont jamais été inférieures à 3 milliards d'euros, la méthode du gouvernement se veut innovante. Cette méthode passe par la transparence, avec l'annonce, dès le 25 septembre, d'une mise en réserve précoce, confirmée à chaque étape de la procédure parlementaire. Le souci de transparence est affirmé puisque les mises en réserve sont présentées dès leur mise en place et avaient été annoncées. Cette démarche a d'ailleurs été validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision sur la loi de finances initiale pour 2003, dont il a été jugé qu'elle respectait le principe de sincérité budgétaire. Cette méthode passe également par un souci d'efficacité, dans la mesure où une mise en réserve précoce facilite la gestion et où les crédits non mis en réserve seront garantis en exécution. Pour autant, un certain nombre d'aléas pèsent sur la gestion, tant en dépenses qu'en recettes. Au titre des besoins certains, il faut tout d'abord mentionner des ouvertures effectuées en collectif de fin d'année 2002, qui n'ont pas été payées en 2002 et sont reportées sur 2003. Comme elles ne sont pas prévues dans l'équilibre de la loi de finances initiale pour 2003, il s'agit d'un surcroît de dépenses qui doit être financé. S'agissant, par ailleurs, de certaines dépenses d'équipement, tous les crédits qui seront consommés en 2003 n'ont pas été ouverts, car il existe des reports importants. Il s'agit là d'une pratique usuelle, qui est de bonne gestion, même si, en contrepartie, les dépenses non inscrites au budget devront mécaniquement, être financées en gestion. Au titre des opérations extérieures, la présence des troupes françaises à l'étranger entraîne des surcoûts non provisionnés, notamment en rémunérations. Enfin, des aléas du type de ceux engendrés par le naufrage du « Prestige » ou les événements de Côte-d'Ivoire ont, nécessairement, des conséquences budgétaires.

Du côté des recettes, il convient de rappeler qu'un point de croissance coûte en moyenne 1,7 milliard d'euros au budget général, principalement sous forme de moindres recettes de TVA. De plus, des aléas pèsent toujours sur l'impôt sur les sociétés, même si le bon niveau du quatrième acompte 2002 est plutôt rassurant, et sur certaines recettes non fiscales. C'est pourquoi l'application du principe de précaution doit se traduire par des mises en réserve de crédits. Le Premier ministre a arrêté le montant de ces mises en réserve à environ 4 milliards d'euros, chiffre finalement établi à 3,975 milliards d'euros. Le plafond des annulations éventuelles n'a pas été pris en compte, contrairement à ce qui a pu être soutenu dans la presse. Ce plafond n'est d'ailleurs pas de 4,1 milliards d'euros comme cela a pu être écrit, mais de 6,415 milliards d'euros, soit 1,5 % du total des crédits ouverts sur le budget général, les budgets annexes et les comptes spéciaux. La répartition des mises en réserve tient compte des dépenses obligatoires. Un traitement homogène est appliqué aux différents ministères, lesquels peuvent redéployer les mises en réserve, selon leurs choix de gestion. Ces redéploiements ne pourront naturellement pas affecter les dépenses obligatoires.

La finalité de ces mises en réserve est double. En premier lieu, il s'agit de pouvoir répondre à des besoins d'innovation, ce qui traduit le constat que l'annualité est parfois un cadre trop restrictif pour l'action publique. De fait, chaque année, le vote du collectif de fin d'année se traduit par des dépenses imprévues lors du vote de la loi de finances, qui doivent naturellement être financées : c'est l'objet de la réserve d'innovation. En cours de gestion, des opportunités non prévues peuvent survenir et il faut être capable de les saisir, sans dégrader le solde budgétaire. En second lieu, ces mises en réserve ont une finalité de précaution, les choses n'étant pas, à cet égard, irrémédiablement figées et pouvant être réexaminées en juin prochain. En définitive, les priorités budgétaires se voient appliquer un principe d'auto-assurance, qui signifie que les éventuels aléas de gestion ou dépenses nouvelles pourront être financés par redéploiement. En revanche, les priorités ne seront pas remises en cause, ce qui permet de garantir que, pour la défense, la police, la justice et l'aide publique au développement, la dépense exécutée pourra être égale à la dépense votée. Si des aléas apparaissent, ils seront simplement financés sous enveloppe.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a insisté sur la sincérité budgétaire en rappelant l'écart qui a existé entre le déficit prévu par la loi de finances initiale pour 2002, 30 milliards d'euros, et celui prévu par le collectif de juillet 2002, 46 milliards d'euros, comparativement aux chiffres définitifs de la gestion 2002. Ces chiffres ne remettent en cause que de manière marginale les données du collectif de printemps. Il a également souligné l'impact de la consommation des crédits reportés depuis la gestion 2001 sur l'aggravation du déficit. Le Gouvernement a tenu ses engagements en finançant les sous-évaluations de dépenses, et en gageant systématiquement les mesures nouvelles de manière à ne pas aggraver le déficit. La dégradation des recettes fiscales reste marginale et s'explique essentiellement par un décalage technique dans la perception de l'impôt sur le revenu. Il n'est donc pas nécessaire de « rebaser » les prévisions pour 2003. Pour la gestion 2001, les opérations effectuées au cours de la période complémentaire ont atteint, en recettes, un sommet historique de 6,5 milliards d'euros. Quel est le volume des dépenses et des recettes réalisées au cours de la période complémentaire 2002 ?

S'agissant de l'exercice 2003, les mises en réserve de crédits sont conformes aux engagements du Gouvernement. Elles respectent la procédure d'information du Parlement et la loi organique relative aux lois de finances. En outre, les ministres disposeront d'une souplesse de gestion grâce aux possibilités de redéploiement qui leur sont offertes. Les dérapages constatés en 2002 sur la charge de la dette et les dépenses sociales de l'État risquent-ils de se prolonger ? La Commission européenne a lancé, le 21 janvier dernier, une procédure d'« avertissement préventif » recommandant d'améliorer le solde budgétaire corrigé des effets de la conjoncture de 0,5 point de PIB par an, et d'affecter les recettes supplémentaires découlant de la croissance économique à la seule réduction du déficit. Ces recommandations ont-elles été prises en compte dans le programme pluriannuel de finances publiques que le Gouvernement a adressé à la Commission européenne ? Ce programme diffère-t-il de celui que le ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie a présenté devant la commission des Finances en octobre dernier ?

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget, a répondu que, comme en témoigne l'analyse du Rapporteur général, l'exécution du budget 2002 a été totalement maîtrisée et les engagements que le Gouvernement a pris devant le Parlement ont été scrupuleusement tenus. Le décalage entre le déficit « rebasé » par le collectif de décembre et le déficit constaté s'explique par l'aléa des reports sur lesquels les Rapporteurs spéciaux pourraient utilement se pencher. Le volume des opérations effectuées au cours de la période complémentaire n'est pas encore arrêté, et sera communiqué à la commission des Finances, dès qu'il sera disponible. En tout état de cause, contrairement aux années passées, aucune opération exceptionnelle n'a été réalisée au cours de la période complémentaire. On ne peut pas avoir fermement combattu ces opérations en tant que sénateur et les admettre en tant que ministre.

Grâce aux possibilités de redéploiement, les ministres pourront affecter les mises en réserve de crédits de manière à contrarier le moins possible le financement de leurs actions prioritaires. Il n'existe pas aujourd'hui de risque de dérapage de la charge de la dette, les crédits ayant été correctement prévus en loi de finances initiale. De même, la remise à niveau en loi de finances des dépenses sociales permet de mettre fin au décalage, constaté par le passé, entre les prévisions et les réalisations. Rien ne permet d'affirmer que les déficits publics dépassent le seuil des 3 %, même si, pour le moment, les comptes de la sécurité sociale et des collectivités locales ne sont pas connus avec certitude. En tout état de cause, plusieurs mesures de redressement ont déjà été prises, comme le montrent la renégociation du régime d'assurance chômage et les mesures de mise en réserve de crédits décidées au sein du budget de l'État. Le programme pluriannuel de finances publiques, transmis à la Commission européenne, n'a pas subi de modifications par rapport à la présentation qui en a été faite devant la commission des Finances. Ainsi, il n'y a aucune nécessité à procéder à un « rebasage » des prévisions de recettes et de dépenses. Ceci prouve la sincérité du budget 2003.

M. Didier Migaud se déclarant sensible à un effort de transparence, a cependant estimé que les explications apportées par le ministre confirment que les moins-values de recettes et le dérapage des dépenses étaient connus au moment de la discussion du budget 2003, et auraient par conséquent dû être intégrées dans le projet de loi de finances. En recourant à l'argument traditionnel de « l'héritage », le Rapporteur général a fait une analyse quelque peu rapide des causes de la dégradation des comptes publics. L'accroissement du déficit n'est pas seulement le fruit du ralentissement de l'activité économique. Il est également dû aux dépenses supplémentaires déraisonnables engagées par le Gouvernement, notamment en matière de défense, et aux réductions nouvelles d'impôts intervenues alors que la France n'en n'avait pas les moyens. Depuis juin dernier, comme le montre l'avertissement de la Commission européenne, le Gouvernement a aggravé une situation déjà tendue, au risque de provoquer les critiques de nos partenaires et d'isoler notre pays au sein de l'Union.

La loi organique relative aux lois de finances a imposé davantage de transparence, et c'est grâce à ce texte que la commission des Finances est informée en priorité des mesures de régulation. Il n'est pas pertinent de comparer le volume des gels de crédits avec la masse totale des dépenses de l'État. Il faut en effet examiner les conséquences concrètes de ces gels sur les crédits prévus en faveur de l'emploi, de la famille, de la santé ou des personnes handicapées. Sur certains postes budgétaires, la régulation se traduit par l'annulation de 15 à 20 % des crédits de paiement et de 20 à 30 % des autorisations de programme. Ce sont ainsi des pans entiers de la politique de l'État qui sont menacés. Certains responsables de services déconcentrés s'estiment dans l'incapacité de financer les dépenses correspondant aux engagements de l'État. Quel sera l'impact de la régulation budgétaire sur les engagements contractuels de l'État, et notamment sur l'exécution des contrats de plan État-régions ?

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné que les dépenses d'investissement, qui ont une incidence notable sur le secteur du bâtiment et des travaux publics, ne doivent pas faire les frais de l'insuffisance de maîtrise des dépenses de fonctionnement et a interrogé le Ministre sur les conséquences du gel sur les crédits d'investissement, qui risque d'avoir des réactions immédiates sur l'activité économique.

Après avoir salué, à son tour, l'effort de transparence dont fait preuve le ministre, M. Michel Bouvard a souhaité faire trois observations. Depuis le dernier collectif, le Gouvernement a manifesté un louable souci de solder les crédits ouverts, mais il reste à définir la répartition de la régulation entre 2002 et 2003. S'agissant de la régulation pour 2003, le seuil de 1,5 %, fixé d'un commun accord, a été respecté. Il résulte de la nécessité de procéder à des ajustements budgétaires, après une période de forte croissance économique. Mais il est souhaitable, comme l'a justement indiqué le Président Pierre Méhaignerie, que la baisse de l'investissement public ne vienne pas accroître les difficultés des entreprises qui doivent déjà faire face à une atonie de l'investissement privé. Il faut, en effet, rappeler que l'activité du bâtiment et des travaux publics joue une influence considérable sur le niveau d'emploi et que les entreprises du secteur qui disparaissent ne sont pas aisément recréées.

S'agissant de l'aménagement du territoire, l'insuffisance de la consommation des crédits européens est préoccupante. Il faut rappeler que les crédits non consommés à la fin de cette année devront être restitués. Dans cette perspective, il est indispensable de maintenir le niveau des contreparties nationales, c'est-à-dire des crédits budgétaires qui viennent compléter les crédits des fonds communautaires, et notamment ceux du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT).

La troisième préoccupation concerne les reports de crédits. La Cour des comptes a eu l'occasion de présenter des observations critiques sur les autorisations de programme prévisionnelles, excessives pour 2001. Faut-il s'attendre à des remarques similaires, à la suite du contrôle de l'exécution du budget de 2002 ?

M. Augustin Bonrepaux a considéré que l'audition du Ministre était moins l'expression d'un souhait de vérité de la part du gouvernement qu'une obligation imposée par la loi organique relative aux lois de finances. Sur le fond, il convient de rappeler que l'on ne peut pas tout promettre. Or, les difficultés budgétaires actuelles sont le fruit, d'après le document fourni par le Gouvernement lui-même, de mesures adoptées par la nouvelle majorité et tendant à diminuer les recettes et à augmenter les dépenses. Si les recettes de l'État ont diminué d'un milliard d'euros, les recettes fiscales ont été réduites du seul fait de la baisse de l'impôt sur le revenu, de 0,9 milliard d'euros tandis que les dépenses militaires, déjà mal contrôlées, ont été inconsidérément augmentées. Le gouvernement a beaucoup promis, par exemple aux médecins, et certaines politiques ont été, du coup, sacrifiées : le soutien à la recherche, l'aménagement du territoire ou encore les moyens de la justice. Ainsi, les crédits du titre VI du budget de l'aménagement du territoire subissent une réduction de 30 %. La justice n'a, quant à elle, plus les moyens de faire fonctionner ses services. Par exemple, les magistrats du tribunal de Foix viennent de protester contre une situation qui s'apparente à une cessation de paiements, dont la presse s'est fait l'écho, et, en Ariège, les procédures d'expropriation sont ralenties, faute de moyens. Dans ce département, les entreprises d'insertion n'ont toujours pas reçu les crédits contractualisés pour 2002. Comment pourront-elles, dès lors, supporter les nouvelles réductions de crédits envisagées ? Leur situation critique est d'autant plus préoccupante qu'elles rendent des services considérables et que l'insertion et l'emploi sont des facteurs d'équilibre des comptes de l'État comme de ceux de la Sécurité sociale.

M. Pierre Albertini a félicité le Ministre pour son approche franche et transparente des réalités budgétaires et pour la rapidité avec laquelle le dialogue se noue avec l'Assemblée. Il a souligné que le gouvernement faisait preuve, aujourd'hui, d'une saine humilité dans la formulation des hypothèses et l'a félicité pour la rigueur de sa méthode, fondée sur trois axes, à savoir la maîtrise des dépenses de fonctionnement, la réduction de l'endettement et le ferme soutien aux investissements. Pour 2002, cette méthode s'est révélée satisfaisante, mais pour 2003 les enjeux sont plus importants puisque les aléas internationaux et militaires, la question de la reprise économique et le niveau d'inflation font peser de fortes incertitudes sur l'exécution budgétaire. Dans ce contexte, on ne peut qu'être préoccupé par l'évolution des dépenses sociales et notamment des dépenses de santé notamment s'agissant des hôpitaux. La méthode de régulation retenue est discutable. On ne peut en effet traiter d'une façon homogène tous les ministères. La régulation doit être plus sélective. Certaines politiques, comme celle de la Ville, ne doivent pas en pâtir.

M. Marc Laffineur a félicité le Ministre pour le changement de méthode opéré par le gouvernement, qui contraste singulièrement avec l'irresponsabilité du gouvernement précédent : un déficit de 30 milliards d'euros était prévu pour 2002 et l'audit des finances publiques a dû l'évaluer à 45 milliards d'euros. Dans ce contexte, on ne peut qu'être stupéfait par les propositions formulées par l'opposition. Alors qu'aucune réserve n'avait été prévue, à l'automne 2001, pour 2002, elle se contente aujourd'hui de réclamer des dépenses nouvelles alors que les perspectives économiques pour 2003 sont marquées par une croissance prévisible moins forte et d'importantes incertitudes internationales. La mise de crédits en réserve, en ce début d'année, est donc de bonne méthode. Toutefois, il faut veiller au niveau des dépenses d'investissement. Leur réduction ne doit pas être une facilité pour les ministères, afin de ne pas obérer les possibilités de croissance économique.

M. Laurent Hénart est intervenu sur la régulation des crédits du ministère de la Culture et de la Communication. Il a marqué sa préoccupation du fait que les crédits du titre III ne subissaient un gel qu'à hauteur de 3 % alors que les crédits du titre IV subissaient un gel de 12 %. Il ne faudrait pas que ces efforts de précaution affectent principalement les institutions de province tout en épargnant Paris, dont les grands établissements ont été favorisés lors de la loi de finances initiale.

M. Alain Lambert, ministre délégué au Budget, a salué les propos de M. Didier Migaud relatifs aux efforts de transparence du gouvernement. Cependant, qualifier le budget de 2003 d'irréel, c'est prendre le risque de s'exposer à des critiques plus marquées sur le budget de 2002. En effet, les priorités du gouvernement ont été financées et les difficultés actuelles résultent principalement du laxisme du précédent gouvernement en matière de maîtrise de la dépense publique.

Puis, le ministre a apporté les réponses suivantes :

- le gouvernement défend ses priorités budgétaires comme celle de garantir enfin la sécurité de chaque citoyen. Non seulement, le gouvernement respecte ses engagements, mais il garantit aussi leur financement ;

- les baisses d'impôt ont été financées par des annulations de crédits. Ces baisses permettront, en outre, de soutenir la consommation, véritable moteur de la croissance. Certes, les mises en réserve représentent 4 milliards d'euros de crédits, cependant, elles constituent à la fois une réserve de précaution et une réserve d'innovation ;

- les engagements contractuels de l'État seront respectés ;

- les crédits relatifs aux contrats de plan seront préservés ;

- les dépenses d'investissements sont largement maintenues : les réserves sur crédits de paiement, services votés, portent sur 600 millions d'euros, à comparer avec les reports de crédits d'équipement à intervenir sur la gestion 2003, qui s'élèvent à 5,6 milliards d'euros. S'agissant du collectif 2002, 0,7 milliard d'euros ont, de même, fait l'objet d'un report de l'exercice 2002 sur l'exercice 2003 ;

- les gels de crédits n'auront pas d'effets contreproductifs pour l'utilisation des crédits européens : ces financements seront garantis. Les reports de crédits concernant le FNADT permettront à l'État de mener à bien ses engagements ;

- les recettes d'impôts sur le revenu sont inférieures aux prévisions de la loi de finances rectificative, mais ce résultat n'est pas imputable aux émissions, qui sont conformes aux prévisions, mais au recouvrement, dont une partie se trouve décalée sur la gestion 2003 ;

- s'agissant des dépenses de santé, l'augmentation des honoraires des médecins répondait à de réels besoins ;

- dans le domaine de la recherche, malgré des restrictions budgétaires, les fonds de roulement des établissements restent considérables comme le niveau global de l'effort public. La recherche en France manque surtout de financements privés ;

- en ce qui concerne la justice, il convient de ne pas avoir de propos trop hâtifs : parler de situations de cessation de paiement est manifestement exagéré et ne concourt pas au sérieux et à la sérénité des débats : on ne peut fonder un jugement sur des coupures de presse.

M. Augustin Bonrepaux a jugé que, dès lors, que de tels propos ont été clairement tenus par des magistrats, le rôle de tout député est d'exprimer l'inquiétude manifestée par les acteurs sur le terrain.

M. Alain Lambert a rappelé les efforts du Gouvernement dans le domaine de la politique sociale avec une augmentation des crédits du budget de la Solidarité de 5 %, et dans le domaine de la politique de la Ville. Concernant celle-ci, les engagements pris lors de l'établissement du projet de loi de finances pour 2003 sont respectés. La politique de la Ville est d'ailleurs un bon exemple de « pointillisme administratif » qui empêche une bonne utilisation des crédits. Les procédures, ici comme ailleurs, sont souvent excessives. Le budget de la Culture fait aussi l'objet de mises en réserve de crédits, qui portent notamment sur 10 % de la dotation du titre IV. Des redéploiements sont possibles. De plus, le gouvernement veillera à ce que les crédits finançant les projets régionaux soient ménagés.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné que la commission des Finances serait très attentive aux investissements de l'État, notamment dans le domaine du logement social et des transports. De plus, il convient de saluer l'effort de transparence du Gouvernement, puisque la tenue du présent débat sur l'exécution du budget de l'État en 2002 et sur la régulation budgétaire en 2003 n'est nullement imposée par la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, mais correspond à un souci de respect du Parlement, au-delà des prescriptions du texte organique.

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