COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 40

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 11 mars 2003
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de MM. Yves Cannac, Jacques Marseille et Roger Fauroux sur la performance des dépenses de l'État

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La commission des Finances a procédé à l'audition de MM. Yves Cannac, Jacques Marseille et Roger Fauroux sur la performance des dépenses de l'État.

Après avoir insisté sur l'importance de ces auditions, le Président Pierre Méhaignerie a souligné la détermination des députés à réformer en profondeur les administrations publiques. L'entrée en vigueur de la loi organique du 1er août 2001 oblige à repenser les dépenses de l'État en fonction de leur finalité et de leur efficacité, appréciées notamment grâce à des indicateurs de performance. Le 8 avril prochain sera organisé un débat à partir d'un rapport de la Commission des finances sur les recommandations de la Cour des comptes qui n'ont pas été mises en œuvre. De même, de nombreuses observations de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC) n'ont pas fait l'objet de traductions concrètes de la part du Gouvernement. Aujourd'hui, au pied du mur, il convient donc d'agir.

M. Hervé Novelli a demandé si le débat pourrait se prolonger tard dans la nuit, car il y aura beaucoup à dire sur les recommandations non suivies d'effet.

Après avoir indiqué que l'observatoire de la dépense publique de l'Institut de l'entreprise était un groupe de réflexion réunissant des personnalités issues du monde administratif ou de l'entreprise, M. Yves Cannac a souligné que la maîtrise de la dépense publique ne signifiait pas obligatoirement sa réduction. En revanche, il faut lutter contre des dérives causées soit par des gaspillages, soit par des avantages excessifs accordés à certaines catégories. Nécessairement structurelle, la maîtrise de la dépense publique se distingue aussi de la régulation budgétaire, par essence conjoncturelle. Même si nous nous concentrons sur les dépenses de l'État, il convient de porter un regard sur l'ensemble des dépenses publiques. La principale menace de dérive est actuellement le fait des dépenses de santé. Dans ce contexte, il faut réfléchir aux conditions institutionnelles, c'est-à-dire aux choix d'organisation et de fonctionnement de l'État, ainsi qu'à certaines catégories de dépenses qui appellent un effort particulier de maîtrise.

Il faut disposer d'un système d'évaluation, ce que permet la loi organique, qui doit être pleinement mise en œuvre. S'agissant de l'exécutif, il faut mieux organiser les responsabilités, prendre des engagements dans la durée et améliorer les conditions de gestion du personnel. La responsabilisation financière des cadres doit s'accompagner de leur autonomie. Le management participatif doit être encouragé et assorti de récompenses, tant personnelles que collectives. Les engagements des ministres, centrés sur l'impact final, doivent être cohérents avec l'action des grands gestionnaires, focalisée sur la qualité de la prestation. Il faut sortir de la confusion entre responsabilité politique et administrative. L'application déconcentrée de la loi organique ne peut pas être confiée aux préfets. En revanche, il est souhaitable de recourir à un système d'agences. Les prévisions triennales globales édictées par les ministres doivent les lier, dans une certaine mesure, pour les années suivantes. Les gestionnaires doivent pouvoir conserver le bénéfice des crédits économisés et conserver leurs fonctions pendant une durée significative. La gestion du personnel doit permettre un vrai management. Celui-ci est limité par les mécanismes d'avancement automatique ou par la pratique actuelle d'attribution des primes. Le Gouvernement doit assurer au citoyen la simplicité de la réglementation. De même, les structures d'administration centrale ou déconcentrée doivent être simplifiées. Certaines fonctions peuvent même être déléguées aux collectivités locales.

S'agissant du Parlement, il s'est doté grâce à la loi organique du 1er août 2001 de pouvoirs comparables à ceux des démocraties voisines. Le Gouvernement n'a certes pas tenu compte de toutes les recommandations de la MEC, mais cette instance doit devenir un lieu de pouvoir. L'action du Public Accounting Committee britannique conduit à des modifications de la gestion administrative. De même, les enseignements tirés des indicateurs de performance contenus dans la loi de règlement ne doivent plus rester sans suite pour les ministères. Il faut aussi que le Parlement dispose d'un instrument d'audit et d'évaluation qui soit à sa libre disposition, permettant ainsi à la MEC d'effectuer un examen périodique et approfondi de toutes les dépenses. De plus, les travaux du Parlement doivent être éclairés par des comparaisons internationales. Enfin, les parlementaires, les groupes politiques et les partis doivent prendre pleinement conscience de l'importance de leur mission.

Les rapports publics de la Cour des comptes notamment ceux de 2001 et de 2002 ont fait des analyses précises sur un grand nombre de sujets. Le dernier rapport public a ainsi proposé de supprimer les aides publiques aux mutuelles de fonctionnaires. De même, le rapport précédent mettait profondément en doute l'utilité du CNRS. Des rapports particuliers ont aussi critiqué la gestion des emplois au ministère de finances, la politique de la ville ou encore la gestion de la direction des constructions navales. L'annonce d'une procédure de suivi de ces dossiers par la Commission des finances est donc particulièrement encourageante. Les dépenses de personnel et les transferts sont deux domaines où les charges de l'État pourraient être mieux maîtrisées. L'augmentation de l'emploi public ne diminue pas le chômage, bien au contraire, car son coût se répercute sur l'emploi marchand. L'amélioration de la qualité du service public dépend plutôt de l'amélioration de ses méthodes de fonctionnement. Des administrations comme l'éducation nationale, les finances, l'intérieur ou la justice devraient voir leurs effectifs baisser. Des études de l'OCDE montrent que la France dispose, avec l'Italie, du plus grand nombre de professeurs par rapport au nombre de ses élèves. Or, les résultats ne sont pas meilleurs. Compte tenu de l'absentéisme et des décharges de service, on recense un nombre d'enseignants inférieur, de 40.000, au nombre théorique. Lors de la présentation du budget 2003, le ministre de l'éducation nationale s'est félicité du maintien du nombre de postes budgétaires, ce qui ne va pas dans le sens d'une rationalisation de la gestion publique. Alors que l'économie est largement libéralisée, les effectifs du ministère des finances ne baissent pas. S'agissant du ministère de l'intérieur, la France dispose du plus grand nombre de forces de l'ordre par habitant en Europe. De même, l'augmentation des effectifs du ministère de la justice ne s'est pas accompagnée d'une réforme de la carte judiciaire, qui date pourtant de l'Ancien Régime.

La contractualisation, l'externalisation et la décentralisation doivent conduire à une déflation des effectifs de l'État. Recourant déjà à des emplois contractuels, il pourrait davantage demander aux fonctionnaires titulaires de renoncer à la garantie de l'emploi à vie contre des salaires plus attractifs. L'externalisation des activités liées à l'informatique, l'hôtellerie ou la gestion immobilière doit permettre des gains de productivité. Dans certains pays, la règle du market testing oblige les administrations à se comparer périodiquement aux prestataires privés. La décentralisation, qui doit à terme réduire les besoins en personnel, risque, dans l'immédiat, de conduire à un dérapage supplémentaire de l'emploi public du fait des réticences des fonctionnaires à déménager en province ou à être transférés vers les collectivités territoriales.

Les dépenses de transfert de l'État peuvent elles aussi être rationalisées. Lorsqu'elles génèrent des effets d'aubaine ou qu'elles sont particulièrement néfastes à la compétitivité de notre pays, elles doivent pouvoir être remises en cause. Il faut préférer la liberté à l'assistance déresponsabilisante. Les subventions aux associations sont particulièrement lourdes. Est-il normal que certaines tirent l'essentiel de leurs revenus de subventions publiques ? L'efficacité requise de l'État par la loi organique doit aussi concerner les associations. Dans un souci de simplicité, une action associative ne devrait pas pouvoir cumuler plus de trois types de financements publics.

La transparence, qui permet d'éviter les gaspillages, et la responsabilité, qui permet la motivation individuelle et collective, doivent présider à la maîtrise des dépenses publiques. Ce message devrait être entendu par les Français.

M. Roger Fauroux a souligné en premier lieu qu'il fallait adopter un discours clair et percutant sur la nécessaire maîtrise des dépenses publiques. Une simple comparaison est éclairante : selon la notice jointe à la déclaration de revenus, les recettes de l'État représentent 280 milliards d'euros et les dépenses 325 milliards d'euros. L'État dépense donc, chaque année, 15 % de plus que ses recettes. Il est indispensable que cela soit bien compris par les citoyens. Il y a un consensus aujourd'hui pour dire que l'on ne peut plus augmenter les impôts : il est donc indispensable de baisser les dépenses. Certaines d'entre elles peuvent difficilement être remises en cause, c'est le cas notamment de la charge de la dette ou des dépenses sociales. Le seul moyen est donc de diminuer le coût de fonctionnement de l'État, c'est-à-dire de baisser le nombre de fonctionnaires. L'État doit être ferme, mais peut procéder avec nuance et intelligence. La conjoncture démographique est d'ailleurs particulièrement favorable : 50 % des fonctionnaires vont prendre leur retraite dans les dix ans à venir. L'objectif devrait donc être de ne procéder qu'à une seule embauche pour deux départs en retraite. Cette politique présente plusieurs avantages : elle ne porte pas atteinte aux droits des fonctionnaires et c'est un processus étalé dans le temps. Elle pourrait cependant susciter l'opposition des syndicats, voire des élus eux-mêmes. Les débats autour de la réforme de la Banque de France et la position de certains élus n'apparaissent pas à cet égard de bon augure.

Il faut absolument casser le postulat d'acier qu'il existerait une corrélation entre les crédits dépensés et la qualité du service public. Par exemple, en matière de fournitures, des pratiques intelligentes doivent permettre de baisser leurs coûts sans diminuer brutalement leur quantité à l'occasion d'un gel des crédits. Ce sont véritablement l'intelligence et l'innovation qui permettront de baisser les dépenses de l'État. Le ministère des finances, en premier lieu, doit être réformé. Selon une étude du ministère lui-même, la collecte des impôts en France coûte 40 % plus cher qu'en Grande-Bretagne, qu'en Irlande et qu'en Espagne. La complexité du système fiscal en France est une fausse excuse, dans la mesure où ces pays connaissent des degrés de complexité comparables. Il est regrettable que la réforme du système de collecte des impôts ait été abandonnée. Les élus ont peut-être eu aussi une part de responsabilité en la matière. La décentralisation est aussi une excellente réforme, mais elle ne constitue en rien une « potion magique ». Elle pose autant de problèmes qu'elle n'en résout, car un État décentralisé est plus difficile à gérer. Il faudra beaucoup d'intelligence pour éviter les doublons. Il faut bien avoir à l'esprit qu'on peut obtenir de meilleurs résultats avec moins d'argent. Ainsi des études montrent qu'il n'y a pas de corrélation entre le niveau des élèves et le nombre d'enseignants.

Deux réformes semblent souhaitables. Tout d'abord, il est nécessaire de remettre à plat, périodiquement, tous les services. Une expérience récente au Haut conseil de l'intégration a montré par exemple que celui-ci faisait double, voire triple emploi avec d'autres organismes. L'administration française ressemble ainsi à un mille-feuilles. Chaque ministère prend des initiatives qui compliquent le système sans le rendre plus efficace. De même, l'État devrait davantage recourir à des consultants extérieurs : leurs services sont chers mais le rendement est très important. En outre, les corps de contrôle tels que la Cour des comptes et l'Inspection générale des finances devraient aussi être mis à contribution : leur contrôle devrait autant concerner la régularité que l'efficacité de la dépense.

Une seconde réforme, souhaitable, consisterait à modifier les règles présidant à la passation des marchés publics en renforçant la procédure de gré à gré. Par exemple, l'expérience de M. Fauroux à Saint Gobain lui a montré qu'il était possible, avec des réformes simples, d'économiser 7 % des coûts d'approvisionnement. L'État, grand client des entreprises de transport négocie-t-il ses tarifs ?

Il faut donc absolument introduire une véritable « litanie de l'efficacité » dans la formation. L'émulation doit constituer un facteur d'incitation, au sein de l'État : les comparaisons internationales seront certainement très utiles à cet égard.

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé que M. Jacques Marseille, qui est professeur d'histoire économique à la Sorbonne, a récemment publié un livre dans lequel il expliquait comment le budget français pourrait économiser 500 à 600 milliards de francs par an. Il s'est demandé si ce chiffre n'était pas excessif et destiné à frapper les esprits mais s'il ne recouvrait pas aussi des possibilités d'économies certaines.

M. Jacques Marseille a indiqué que pour tout observateur extérieur de la dépense publique, les problèmes sont bien connus mais que rien n'est entrepris pour les résoudre. Par rapport à la situation de l'ensemble des pays européens, la dérive de la dépense publique française date du début des années 1990. En 1990, la dépense publique française représentait 49,6 % du PIB, tandis que la moyenne de la zone euro était à 49,1 % ; aujourd'hui la dépense publique atteint, en France, 53,4 % du PIB, quand elle est limitée à une moyenne de 48,4 % dans la zone euro. En une douzaine d'années, l'écart entre la zone euro et la situation française représente donc 5 points de PIB. Rapprochée du montant du PIB en volume, que personne ne connaît en France, cette dérive est de 500 milliards de francs, soit une fois et demi le produit de l'impôt sur le revenu et l'équivalent de 8.000 francs par an et par Français, c'est-à-dire un mois du revenu médian français. Pourtant, on ne peut pas dire que, dans les autres pays de la zone euro, les enfants soient moins bien éduqués, les chômeurs plus mal traités, la sécurité moins assurée, les politiques sanitaires plus déficientes.

Cette dérive représente 10 % de la dépense publique globale. Pour revenir au niveau européen, il faudrait donc réduire la dépense publique de 10 %. Cette dérive est d'autant plus scandaleuse qu'elle n'a nullement entraîné un mieux-être social. L'espérance de vie d'un ouvrier demeure inférieure de neuf ans à celle d'un cadre de la fonction publique ; pour une moyenne nationale de 100, un cadre de la fonction publique atteint l'indice 167 en matière de consultations de médecins spécialistes quand un ouvrier n'est qu'à l'indice 46. De même, l'efficacité du système éducatif doit se mesurer en termes de valeur ajoutée par établissement, ratio qui compare la moyenne de reçus au baccalauréat dans l'établissement par catégorie sociale à la moyenne nationale, pour cette même catégorie. Alors qu'un enseignant sur cinq choisit l'établissement de son enfant sans respecter la carte scolaire, seul un ouvrier sur vingt en a la possibilité, si bien que de plus en plus d'ouvriers envoient leurs enfants dans un établissement d'enseignement privé.

M. Jacques Marseille a ensuite exprimé deux inquiétudes. D'une part, la dérive de la dépense publique risque d'entraîner une perte de compétitivité, phénomène que l'on a pu observer en France, à l'occasion de chacune des crises du XXème siècle, où la France décroche de la compétition internationale. La crise de 1929 en témoigne, et la situation actuelle y ressemble, au moins sur le plan boursier. D'autre part, l'iniquité qui résulte de cette dérive de la dépense publique pourrait se traduire par une dangereuse dérive populiste, comme cela s'est déjà produit dans notre histoire, le boulangisme en est un exemple.

Les origines nombreuses de la dérive des dépenses publiques sont bien connues. Elles font l'objet de dénonciations récurrentes de la part de la Cour des comptes. Il ne fait guère de doute que les 10 % d'économie seraient facilement obtenus si ses observations étaient suivies d'effets, mais les ministres avouent systématiquement les fautes de leurs services, sans jamais faire quoi que ce soit pour les corriger. Les dépassements de devis sont systématiques ; les exemples en la matière, du prix du char Leclerc à celui de la moindre école maternelle, sont innombrables. Ces problèmes sont dénoncés en permanence par les différentes inspections, par le Sénat, par l'Assemblée nationale. Les travaux de la MEC ont vivement dénoncé le gaspillage financier, par exemple dans le domaine de la formation professionnelle, ou s'agissant du nombre très élevé de tâches administratives conférées aux policiers. Une étude de l'inspection de l'Éducation nationale portant sur cinq académies a évalué à 4 % le surnombre des enseignants ; cela représente 16.800 emplois et un gaspillage de 4 milliards de francs, certains enseignants se trouvant sans classe, tandis que bien des classes sont privées d'enseignant. Comment peut-on justifier le maintien du service de la redevance, créée au moment où la France s'équipait de téléviseurs, et qui ne sert plus à rien depuis que presque tous les Français ont un poste de télévision, alors qu'il suffirait de faire assurer le recouvrement de la redevance par les services compétents pour la taxe d'habitation ? La suppression de ce service permettrait, par exemple, d'utiliser à d'autres missions les 1.500 fonctionnaires qui y travaillent. Les Français, trop souvent suivis par la presse, adoptent systématiquement une logique keynésienne qui les conduit à penser, à tort, que la dépense est un facteur de stabilité.

Pour éviter la hausse systématique de la dépense publique, il faudrait élaborer le budget de l'année n+1 à partir des recettes de l'année n-1, au lieu d'anticiper systématiquement une croissance des recettes toujours incertaine. On pourrait affecter les crédits correspondants à une croissance nulle, les produits fiscaux induits par une croissance positive étant utilisés, le cas échéant, au remboursement de la dette qui pèse actuellement sur les seules générations futures. Il faudrait exiger de chaque ministère qu'il réduise ses dépenses de 10 %. Toutes les subventions aux entreprises devraient être supprimées, puisqu'il est démontré que ce sont les perspectives de croissance qui entraînent les embauches, alors que les subventions se traduisent simplement par des effets d'aubaine, dont le dégât politique s'avère, à terme, très fort. Si la suppression des ces subventions permet corrélativement un allègement des charges sociales, toutes les entreprises en seront très satisfaites. Les subventions aux associations mériteraient aussi d'être systématiquement revues. Le budget de la Culture, qui vise chaque année le « nirvana statistique » de 1 % du budget général, subventionne 13.000 associations. La mission principale du ministère de la Culture devrait être d'assurer l'entretien du patrimoine, auquel il pourrait consacrer 50 % de ses crédits, tandis que le reste serait distribué à tous les Français sous la forme d'un chèque-culture que chacun dépenserait pour les activités culturelles de son choix. Cela représenterait 800 francs par an et par Français, ce qui est plus élevé que la dépense culturelle annuelle moyenne de chaque Français, et favoriserait plus efficacement le développement de la création artistique. Un chèque du même type pourrait être mis en place pour la formation professionnelle, domaine dans lequel beaucoup d'argent public est dilapidé. Enfin, on peut s'interroger sur des questions plus ponctuelles : l'état de la comptabilité publique, qui ne permet pas de connaître la situation patrimoniale de l'État, le fait que l'Institut de France loue des locaux à 60 francs le mètre carré, ou encore les conditions de versement de certaines dotations, par exemple au CNRS, même en l'absence de demande émanant des laboratoires concernés.

Pour conclure, M. Jacques Marseille a précisé que son indignation était à la fois celle du citoyen et du contribuable et qu'il appartenait aux parlementaires de mettre en œuvre le droit proclamé par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de demander compte à tout agent public de son administration.

M. Hervé Mariton a remercié les trois intervenants pour leur analyse pertinente de la dérive des dépenses publiques tout en constatant que, malheureusement, elle n'était guère originale. En effet, des analyses convergentes existent depuis de nombreuses années. La question centrale est donc aujourd'hui celle de leur diffusion et surtout de la mise en œuvre des réformes qui s'imposent. La difficulté consiste à faire adhérer les citoyens à une nouvelle démarche, vertueuse, qui par définition, reste peu attractive. Il faut, en effet, éviter que, dans cinq ans, les mêmes constats d'impasse soient effectués dans les mêmes conditions qu'il y a cinq ans, et opérer des changements sans attendre la pression de l'urgence absolue.

Après avoir estimé que les analyses présentées pouvaient faire l'objet d'appréciations contrastées, M. Michel Bouvard a souhaité soulever deux questions. Il a demandé tout d'abord si, en matière de responsabilisation des administrations dépensières, les expériences étrangères avaient été probantes et quel délai sépare l'adoption des réformes et leur mise en œuvre. Il a ensuite souhaité connaître si les objectifs de maîtrise des effectifs de la fonction publique avaient pu être atteints dans d'autres pays, comparables à la France. Dans ceux-ci, les expériences laissent-elles penser que l'objectif de réduction d'un quart des effectifs de la fonction publique sur dix ans, par le remplacement de deux départs à la retraite par un seul recrutement, est réaliste ?

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, s'est aussi interrogé sur la manière d'éviter que les constats soient les mêmes dans cinq ans. La mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances est, dans cette perspective, stratégique. Elle doit contribuer à responsabiliser les gestionnaires. Il faut donc leur faire confiance et les associer à la définition des objectifs pluriannuels. Mais, il faut relever que la loi organique n'induit pas, en elle-même, une baisse des dépenses publiques. Le ministère de l'économie et des finances pourrait être tenté de trouver dans sa mise en œuvre un nouveau cadre pour la régulation budgétaire, en faisant passer au second plan l'essentiel de cette réforme. Or, il convient de bien distinguer les deux exercices.

M. Georges Tron a déclaré partager les opinions exprimées par les intervenants précédents. Il a insisté sur les pesanteurs administratives incroyables qui empêchent l'expression de toute nouvelle attitude à l'égard de la dépense publique. Les travaux menés dans le cadre de la MEC ont permis d'en prendre la mesure. Les constats ayant été établis, il convient maintenant de procéder à une analyse méthodologique des causes de blocages.

M. Augustin Bonrepaux est intervenu sur les conditions de perception des impôts. Il a souhaité connaître l'appréciation des intervenants sur la technique de la retenue à la source. Il a ensuite demandé dans quelle mesure la décentralisation pourrait contribuer à la baisse des dépenses publiques alors que, si elle fait diminuer les dépenses de l'État, elle peut conduire à augmenter celles des collectivités territoriales.

M. Hervé Novelli s'est interrogé sur les raisons de l'inertie administrative. Le manque de pédagogie sur le niveau de la dépense publique, surtout en période post-électorale, est probablement une première raison. On doit même constater que le Gouvernement actuel fait preuve d'une « anti-pédagogie » regrettable. Il n'est ainsi guère compréhensible que le ministre de l'économie et des finances ait indiqué récemment que le nombre de fonctionnaires n'est pas le bon critère à retenir dans le cadre d'une politique de maîtrise des dépenses publiques et que le discours sur la maîtrise du déficit ne soit pas plus rigoureux. Un message différent et plus clair eut été plus cohérent, mieux compris et plus courageux. La deuxième raison expliquant les constats auxquels chacun aboutit réside, sans doute, dans le fait que l'État, en France, est depuis trop longtemps glorifié. On pouvait comprendre le rôle de l'État, après la guerre, lorsqu'il s'est agi de reconstruire le pays, mais aujourd'hui il faut en redéfinir les missions dans le cadre d'une économie mondialisée. La troisième et dernière raison est qu'en France la dépense publique est un symbole de puissance pour les élus et les hommes politiques d'une façon générale.

Le Président Pierre Méhaignerie a considéré que, finalement, seuls de nouveaux rapports de force, notamment au Parlement, pouvaient faire évoluer les choses. L'idée d'une croissance nulle du budget de l'État au cours des prochaines années doit être, à l'évidence, imposée si l'on veut faire baisser le taux de chômage en dessous de 5 %. Les pays qui ont maîtrisé la dépense publique sont ceux où la lutte contre le chômage est efficace.

M. Philippe Auberger a rappelé que les constats étaient largement partagés, mais que les raisons de la dérive des dépenses publiques n'étaient pas claires. La construction communautaire devait servir de cadre, mais le pacte de stabilité n'a pas été véritablement contraignant. Les lois de décentralisation de 1982 et 1983 n'ont pas permis d'économie et il est à craindre qu'il en soit de même avec la nouvelle étape de décentralisation. Les comparaisons sont pourtant instructives. Le coût moyen d'un élève dans l'Éducation nationale a augmenté de 50 %, en francs constants, en quinze ans et, aujourd'hui, il faut constater que certaines classes d'allemand ne comportent que 5 ou 6 élèves, alors que le nombre d'enseignants y est resté constant. L'effort pédagogique sur l'adaptation de l'administration est donc une tâche considérable. Parallèlement, il faut poursuivre un objectif de flexibilité. Il convient, par exemple, de rappeler que l'évolution de la carte judiciaire est aujourd'hui fortement freinée par le manque de souplesse dans la gestion des immeubles occupés par l'administration judiciaire, qui loue très peu d'immeubles, ce qui s'oppose à des regroupements immobiliers ou à des changements d'implantation de tribunaux.

Soulignant la convergence de vues entre les trois intervenants, M. Pierre Hériaud a noté que la question de la maîtrise de la dépense publique n'était pas sans analogie avec le dossier des retraites : tout a été dit, mais on tarde à agir. Il est indispensable à cet égard que les administrations puissent s'approprier la loi organique relative aux lois de finances. Même s'il est vrai que les marges de manœuvre résident pour l'essentiel dans les crédits des titres III et IV, il convient de s'interroger sur les moyens de réduire le poids de la dette et sur l'efficacité des transferts aux collectivités locales : la même dépense est-elle plus efficace lorsqu'elle est réalisée par les collectivités locales ou quand elle l'est par l'État ? Les collectivités locales ayant l'obligation de présenter des budgets équilibrés, il convient de faire en sorte que la décentralisation à venir contribue à la maîtrise de la dépense publique globale.

En réponse aux différents intervenants, M. Yves Cannac s'est étonné que la majorité de ces derniers se soient déclarés d'accord avec les analyses présentées. S'agissant des comparaisons internationales, la France est pratiquement le seul pays à n'avoir fait aucun effort de maîtrise de sa dépense publique, au contraire du Canada - qui est parvenu à réduire ses effectifs de fonctionnaires de 25 % en trois ans et donc le poids de sa dépense publique -, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande ou, pour quitter le monde anglo-saxon, de la Suède ou de l'Italie, qui sans cela n'aurait pu entrer dans la zone euro. La suggestion de Roger Fauroux de ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux paraît, peut-être, excessive ; l'Allemagne s'en est tenue à un remplacement de trois pour deux, ce qui constituerait déjà un effort remarquable en France.

La mise en œuvre de la retenue à la source, si elle a des effets positifs, risque cependant de rendre l'impôt indolore, ce qui se révèlerait catastrophique. Quant à la décentralisation, elle ne pourra avoir un effet favorable qu'à la condition que la question de l'empilement des structures territoriales soit enfin traitée.

L'adhésion des citoyens est également essentielle. Il faut reconnaître que les hommes politiques de tous bords n'ont pas fait grand chose en ce domaine. Outre une meilleure information, il conviendrait de valoriser les expériences menées par certaines administrations qui ont pu faire mieux en dépensant moins. Pourquoi ne pas rêver d'un ministre qui s'excuserait de l'augmentation de son budget ?

M. Yves Cannac a exprimé ses inquiétudes en ce qui concerne la mise en œuvre de la loi organique. Bercy a abordé ce dossier sous le seul angle du maintien de son pouvoir de contrôle et non sous celui de la responsabilisation des différents ministères, qui en est pourtant l'un des enjeux essentiels. La réforme du management administratif étant une condition indispensable à la maîtrise des dépenses, il convient d'accroître les marges de manœuvre des ministères. Même si on ne peut pas suspecter l'implication personnelle du ministre du budget, les facteurs de blocage sont cependant nombreux. La prise en main de la mise en œuvre de la loi organique par le Premier ministre lui-même s'imposerait à l'évidence.

M. Roger Fauroux a insisté à son tour sur la nécessité de s'attaquer à la forteresse de Bercy. L'échec de la réforme de ce ministère est emblématique : alors que la nécessité était évidente et les objectifs clairs, c'est le courage politique qui a manqué devant l'opposition des syndicats et des élus, ces derniers étant largement influencés par les premiers. Cette réforme doit être reprise, pour illustrer la volonté de maîtrise des dépenses publiques : son exemplarité est forte.

Faisant part de son expérience de ministre de l'industrie, il a indiqué qu'à l'époque déjà, l'effectif de l'administration centrale de ce ministère aurait pu être réduit d'un tiers. Aujourd'hui, avec le recul du rôle de l'État dans l'industrie, c'est l'ensemble du ministère qui pourrait être supprimé, hormis peut-être les services compétents en matière de politique énergétique. Il faut vaincre des tabous.

Il est vrai que la décentralisation peut être source de dépenses supplémentaires. Elle exige plus d'intelligence que la centralisation. En tout cas, elle n'est pas une panacée. Le succès réside dans la responsabilisation des acteurs locaux. Cela est vrai également au sein de l'État et l'on pourrait, par exemple, concevoir de renforcer l'autonomie des établissements d'enseignement public. Il est essentiel de sortir d'un système de contrôle administratif largement inquisitorial, qui, afin d'éviter toute malversation, fait de tout responsable administratif un suspect et un malfaiteur en puissance.

Plus généralement, il est frappant de constater que les hommes politiques manquent singulièrement de confiance dans la sagacité des citoyens ou des fonctionnaires et qu'ils pensent à tort que l'immobilisme est un gage de réélection.

Après avoir rappelé que les dépenses liées au chômage ont été multipliées par dix en euros constants entre 1974 et 2002, alors que le nombre de chômeurs n'avait été multiplié que par cinq, M. Jacques Marseille a estimé qu'il serait facile de démontrer que la croissance des dépenses pour l'emploi est corrélée avec une progression du chômage. Un effort de pédagogie est nécessaire, mais les citoyens savent déjà, instinctivement, que la maîtrise des dépenses serait une bonne chose. En tout état de cause, il faut éviter les comparaisons avec le Royaume-Uni, dangereuses politiquement, pour privilégier celles avec l'Italie ou l'Espagne qui nous sont plus proches. Il faudra aussi compter avec les médias qui ont rapidement tendance à qualifier de « rigueur » ou de « politique d'austérité » tout effort de maîtrise de la dépense publique. A cet égard, les récentes déclarations du Premier ministre, indiquant qu'il n'avait pas l'intention de mener une politique de rigueur, augurent mal de l'avenir et constituent une première erreur qui compromet les chances de victoire électorale de l'actuelle majorité dans quatre ans. Au contraire, il convient de faire des réformes, qui sont indispensables et peuvent être comprises par le citoyen et l'électeur.

Il convient d'insister sur la nécessité de s'en tenir à un objectif clair - chaque ministère devra réduire de 10 % ses crédits - et il faudra y associer les supposées « victimes », à savoir les fonctionnaires, par exemple en mettant en place un mécanisme de récompense des initiatives et des suggestions.

En conclusion, le Président Pierre Méhaignerie a cité l'exemple des lycées agricoles privés et publics, indiquant que les différences de contraintes administratives permettaient aux premiers de fonctionner avec une enveloppe financière inférieure de 20 % à celle des seconds. Il faut aussi garder à l'esprit que la dépense locale est électoralement payante puisque, quand un élu dépense 100, il ne demande que 10 à la moitié des contribuables concernés. Cependant, il a estimé que les esprits commençent à évoluer. Ainsi, lorsque le gouverneur de la Banque de France est venu présenter la réforme de celle-ci devant la commission des Finances, il s'attendait à de vives critiques. Or, la plupart des commissaires présents ont soutenu cette réforme et n'ont critiqué qu'un seul de ses aspects, à savoir le fait de privilégier systématiquement les grandes villes au détriment des plus petites. En effet, il n'y a aucune raison que les agences de la Banque de France soient systématiquement situées dans les chefs-lieux de département. Ce travail d'explication préalable est, sans nul doute, l'une des clefs du succès des prochaines réformes.

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