COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 45

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 26 mars 2003
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

pages

Communication de MM. Michel Bouvard, Didier Migaud et Charles de Courson, 
membres de la mission d'information sur la mise en
œuvre de la loi organique relative aux lois de finances et communication de M. le Président sur le rôle des rapporteurs spéciaux, des rapporteurs pour avis, et la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances




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La commission des Finances a procédé à l'examen d'un rapport d'étape de la mission d'information sur la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances, sur le rapport de MM. Michel Bouvard et Didier Migaud, membres de cette mission.

Le Président Pierre Méhaignerie a souhaité que la « note d'étape » distribuée, à cette occasion, soit mise « en ligne » sur le site Internet de l'Assemblée nationale et soit annexée au rapport d'information dont la Commission aura à connaître à l'occasion du débat du 8 avril prochain sur la performance des dépenses publiques.

M. Michel Bouvard a dressé un premier bilan d'étape des travaux de la mission d'information. Celle-ci achève actuellement le premier volet de ses travaux : elle a auditionné les services chargés du pilotage interministériel de la réforme, puis les responsables de sa mise en œuvre, pour plusieurs budgets clés. Elle est aujourd'hui en mesure de faire un premier point sur la réforme et d'émettre, à l'attention du Gouvernement, des propositions susceptibles d'en améliorer l'application, qui achoppe sur plusieurs difficultés, lesquelles pourraient mener le Gouvernement à s'affranchir sensiblement des principes posés par le texte. Les inquiétudes suscitées par certains scénarii justifient une mobilisation de l'ensemble de la Commission des finances. Il est en effet essentiel de rappeler les points qui conditionnent la réussite de la réforme. À cet effet, la mission a préparé, à l'attention des rapporteurs, une grille destinée à analyser la pertinence des pistes envisagées par chaque ministère.

La loi organique poursuit deux objectifs : moderniser l'État pour améliorer sa performance, et réformer la procédure budgétaire pour renforcer le rôle du Parlement. La mise en oeuvre de ce texte constitue une opportunité unique de vérifier la pertinence des politiques publiques, de moderniser les structures et d'instaurer une évaluation des résultats. Elle doit être, aussi, le moyen d'affirmer le sens et la portée de l'autorisation parlementaire et de donner au Parlement de nouvelles prérogatives dans la définition et le contrôle de la dépense. La concomitance de ces deux objectifs fait de l'expérience française une réforme inédite. Jusqu'à présent, aucun pays n'a mené de front les deux chantiers. L'importance des enjeux a justifié une mobilisation de l'ensemble des ministères et l'annonce par le ministre du budget d'un calendrier très serré : dans un an, l'architecture du nouveau cadre budgétaire sera décidée, pour permettre une entrée en vigueur du texte pour le projet de loi de finances pour 2006.

Certaines solutions, actuellement envisagées, s'écartent des principes de la loi organique, et la mission d'information a identifié quatre conditions, essentielles à la réussite de la réforme, qui risquent de ne pas être remplies.

Il conviendrait, en premier lieu, de donner aux missions toute leur place. Les missions seront la clé de voûte du budget : elles ont été prévues pour identifier les politiques de l'État et pour permettre une gestion interministérielle de certaines d'entre elles. La définition des missions doit être l'occasion de « mettre à plat » le budget, pour vérifier la cohérence des dépenses visant des finalités identiques et identifier les structures administratives redondantes. La définition des missions est donc, à tout point de vue, essentielle. Les missions serviront en effet d'unités de vote : de la définition des missions découleront le sens et la portée de la seconde partie des lois de finances, et en votant les crédits d'une mission, il s'agira d'autoriser la mise en œuvre d'une politique publique. Les missions constitueront également les unités au sein desquelles s'exercera le droit d'amendement, que la loi organique ouvre à l'initiative parlementaire. Elles formeront, en effet, des enveloppes à l'intérieur desquelles, en déposant des amendements redéployant les crédits entre les programmes, les parlementaires pourront proposer de modifier l'allocation des moyens.

Le Gouvernement a, pour le moment, mis les missions au second plan en décidant de construire la future architecture sur les unités élémentaires du budget. Il n'a pas choisi de construire le budget autour de la définition de grandes politiques publiques. Cette option risque de déboucher sur une construction des programmes sans réflexion sur la justification des dépenses de l'État et sans remise en cause des structures redondantes. En outre, la structuration des programmes pourrait ne pas prendre en compte la dimension interministérielle de certaines politiques et, faute d'un arbitrage préalable, la possibilité de créer des missions interministérielles risque de rester lettre morte. Cette possibilité est pourtant le moyen de s'affranchir des découpages administratifs en présentant les crédits relevant de plusieurs ministères selon une nomenclature, des objectifs et des indicateurs harmonisés. Enfin, les programmes risquent d'être surdimensionnés : comme le montrent les scénarii envisagés pour les ministères de l'industrie, de l'intérieur ou des finances, le Gouvernement travaille actuellement sur l'hypothèse d'un nombre de programmes le plus limité possible, l'absence de prise compte du premier niveau de nomenclature que doit constituer la mission poussant à mettre dans un programme une masse de crédits qui, compte tenu du champ de dépenses couvert, devrait relever de la mission. Au total, le nombre de programmes devrait donc être sensiblement inférieur à celui des actuels agrégats - on compte actuellement environ 110 agrégats -, et l'équilibre envisagé lors des travaux préparatoires de la loi organique - 60 missions et 150 programmes environ - risque de ne pas être respecté.

Des programmes trop volumineux nuiront nécessairement à l'homogénéité et à la clarté même de l'autorisation parlementaire. On voit, par exemple, difficilement quelle pourrait être la cohérence d'un programme au sein duquel coexisteraient la subvention aux Charbonnages de France et les crédits de l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR). S'il est légitime d'assurer la fongibilité des crédits alloués à une finalité bien identifiée, autoriser des redéploiements de crédits entre des politiques manifestement éloignées les unes des autres remettrait en cause la portée même de l'autorisation de dépense. La réduction du nombre des programmes risque de se traduire par des missions « mono-programme » qui ne seraient conformes ni à l'esprit, ni à la lettre même de la loi organique, et auraient pour effet de limiter le pouvoir de redéploiement de crédits, reconnu au Parlement par la loi organique.

Les programmes doivent être structurés en fonction des finalités de l'action de l'État, davantage qu'en fonction de l'organisation des services : c'est la deuxième condition de réussite de la réforme. Les programmes seront les unités de spécialité des crédits et constitueront le cadre d'exécution du budget. Ils ont été créés de manière à substituer à la spécialisation par nature de dépense, actuellement en vigueur, une spécialisation par destination de dépense. Obligatoirement ministériels, ils seront, à titre indicatif, déclinés en actions qui formeront le troisième niveau de la nomenclature. Le calibrage des programmes déterminera l'importance de la souplesse de gestion offerte aux ministres, pour remplir les objectifs qui leur ont été fixés. Les programmes formeront en effet des enveloppes totalement fongibles : le ministre sera libre de modifier la ventilation prévisionnelle du programme entre les actions qui le composent. Il pourra également modifier sa répartition par nature de dépense, sous réserve de ne pas dépasser les crédits de personnel, lesquels constitueront un plafond.

La loi organique a conçu le programme en privilégiant une structuration autour d'actions aux finalités homogènes et clairement définies. Cette exigence, qui découle de la définition même du programme, vise à regrouper dans une même enveloppe tous les crédits finançant une politique donnée : c'est ce qu'on appelle la budgétisation à coût complet. Le Gouvernement ne fait pas de cette budgétisation à coût complet le but de la réforme. Pour certaines dépenses, il substitue à la logique par finalité prévue par la loi organique une approche par structure, consistant à bâtir l'architecture en fonction des entités administratives qui seront chargées de l'exécution de la dépense. Ainsi, des « programmes fonctions support » ou « services polyvalents » pourraient s'affranchir de la budgétisation par objectif. Ces nouvelles catégories de programmes risquent de nuire à la lisibilité de la loi de finances, en faisant coexister des programmes par service et des programmes par politique. Or, c'est bien pour mettre fin à de tels défauts que l'ordonnance de 1959 a été réformée.

En outre, une définition des programmes en fonction des structures administratives risque de maintenir une budgétisation par nature de dépense, en séparant, d'un côté, les crédits d'intervention et d'investissement, regroupés dans des programmes découpés par politiques, et, de l'autre, les crédits de personnel, de fonctionnement et d'équipement, déconcentrés dans les programmes dédiés aux moyens des services. Or, c'est précisément le mécanisme de spécialisation par nature de dépense que la loi organique vise à supprimer.

Enfin, l'introduction de programmes polyvalents pourrait modifier la portée de la fongibilité. La loi organique conçoit la fongibilité dans une logique verticale : à l'intérieur des crédits alloués à une finalité donnée, et afin de remplir les objectifs qui lui ont été fixés, le responsable du programme peut modifier la nature des dépenses, recruter moins pour investir plus, par exemple. En introduisant des programmes polyvalents, le Gouvernement ajoute la possibilité de bénéficier d'une fongibilité horizontale : au sein d'une entité administrative, le responsable pourra modifier la ventilation de ses moyens par finalité. Ce schéma risque d'avoir des conséquences sur la gestion du personnel. L'absence de ventilation des moyens communs par finalité se traduira par une concentration des crédits de rémunération dans un nombre limité de programmes, voire dans un programme unique. Cette concentration fera disparaître les verrous prévus par le texte : au lieu d'être soumis à un plafond de dépenses de personnel pour chacune des politiques poursuivies, les services polyvalents bénéficieront d'un seul plafond global. Cette globalisation des plafonds de rémunération ouvrirait une souplesse de gestion très large, au risque de remettre en cause le mécanisme de maîtrise des coûts de personnel créé par la loi organique.

Au-delà de la structuration des programmes, il est essentiel d'en garantir la déclinaison au niveau opérationnel. Telle est la troisième condition du succès de la réforme. Il ne servirait à rien de définir des programmes, si la souplesse de gestion créée au niveau national ne devait pas se répercuter au niveau des gestionnaires locaux. Sur ce point, les ministères n'ont pas encore suffisamment intégré à leurs travaux la notion de « budget opérationnel de programmes », introduite par les instances de pilotage de la réforme. Or, le caractère opérationnel des programmes suppose que les pratiques administratives évoluent. En premier lieu, les relations entre les donneurs d'ordre et les exécutants doivent aboutir à un véritable « dialogue de gestion ». Par ailleurs, la capacité de coordination des préfets doit être renforcée. Les inquiétudes suscitées, au sein du corps préfectoral, par la loi organique ont surpris la mission d'information, laquelle voit difficilement comment la globalisation des crédits dans 150 grands programmes pourrait aboutir à un cloisonnement plus serré que le découpage actuel en 850 chapitres. L'articulation des politiques au niveau local demeure un des objectifs de la réforme : en créant des enveloppes de crédits très largement globalisées, la loi organique ne peut que faciliter la coordination entre les différents budgets opérationnels. Il importe aujourd'hui que les outils de coordination soient simplifiés. Enfin, la chaîne de contrôle doit être assouplie, conformément à la logique de responsabilisation induite par la loi organique. La conception actuelle du contrôle financier doit disparaître, et le Gouvernement doit, sur ce dossier, faire rapidement évoluer le cadre réglementaire en vigueur.

La réforme repose sur la construction d'un dispositif d'évaluation qui constitue le volet le plus novateur et le plus difficile à mettre en œuvre. La loi organique soumet les gestionnaires à une obligation de s'engager sur des objectifs et à rendre compte de leurs résultats. Cette obligation se concrétisera, tous les ans et pour chaque programme, par la production d'éléments de justification dans le projet de loi de finances et dans le projet de loi de règlement. La mise en place du dispositif d'évaluation de la performance constitue l'indispensable contrepartie de la liberté de gestion offerte par la globalisation des crédits. L'absence de culture de résultat au sein de l'État et le caractère embryonnaire de l'évaluation actuelle produite en font le chantier le plus ambitieux de la réforme. Les premières auditions de la mission d'information font apparaître que trois facteurs pourraient nuire à la qualité de la mesure de la performance : les difficultés rencontrées dans la structuration des programmes risquent de mettre au second plan la construction du dispositif de mesure de performance, l'évaluation pourrait se limiter à une simple mesure de l'activité administrative et les critères d'évaluation risquent d'être construits sans certification, par une source indépendante de l'administration. Les ministères n'ont, pour le moment, pas encore déterminé leurs méthodes, critères et référentiels d'évaluation. Le Parlement a, sur ce dossier, un rôle d'impulsion à jouer.

M. Michel Bouvard a conclu en rappelant qu'après l'échec de trente-six tentatives de réforme de l'ordonnance de 1959, la loi organique du 1er août 2001 a été votée à l'unanimité. En rassemblant les différentes sensibilités politiques, ce texte est l'occasion unique de réformer l'État. L'enjeu exige que le Parlement tienne toute sa place, le rôle des députés, et notamment des députés de la majorité, n'est certainement pas, ici, de protéger le Gouvernement. Ce serait un très mauvais service à lui rendre.

M. Didier Migaud a présenté les propositions que la mission d'information souhaite adresser au Gouvernement. Il ne s'agit pas, pour les membres de la mission, de se substituer à celui-ci, mais d'améliorer la mise en œuvre d'une réforme qui représente un enjeu majeur, pour l'exécutif comme pour le Parlement. Sur chacun des volets développés par M. Michel Bouvard, la loi organique peut être préfigurée, soit en précisant davantage les scénarii envisagés, soit en développant les expérimentations. Il ne s'agit pas, bien entendu, d'anticiper l'entrée en vigueur de la loi, mais d'en tester l'application sur des points clés. C'est d'ailleurs la démarche qu'a choisie le ministre du budget en demandant à chaque ministère de présenter, dans le projet de loi de finances pour 2004, une expérimentation. La mission d'information propose précisément d'étoffer ce volet expérimental. Le développement des expérimentations constitue en effet, lui aussi, une condition de réussite de la réforme, contrainte par un calendrier très serré : dans deux ans et demi, nous examinerons un projet de loi de finances préparé selon les nouvelles règles, et dans un an l'architecture du nouveau cadre budgétaire sera décidée. Pour respecter ce calendrier, il est essentiel que les principaux volets de la réforme soient testés.

La première proposition a trait aux missions. La notion de mission doit retrouver toute sa place dans les travaux de mise en oeuvre de la réforme. À cet effet, il est proposé que la liste des missions envisagées par le Gouvernement, mentionnant celles auxquelles il est prévu de donner un caractère interministériel, soit annexée au projet de loi de finances pour 2004. Cette annexe serait un moyen de mobiliser les ministères sur la définition de leurs politiques et d'accélérer les arbitrages sur les missions interministérielles. Il est nécessaire de réintégrer les missions dans la mise en œuvre de la réforme : c'est un niveau de crédits à la fois utile au Gouvernement et indispensable au Parlement. Cependant, certains ministères l'ont, pour le moment, mis de côté : par exemple, le ministère des sports travaille sur le scénario d'un programme unique composé de sous-programmes, sans mener une réflexion sur le premier niveau de nomenclature. Ce schéma revient à « habiller » les programmes, en multipliant les missions « mono-programme ». Ce serait une interprétation de la loi organique contraire à l'esprit et à la lettre même du texte, qui, de ce fait, pourrait encourir une censure par le Conseil constitutionnel. C'est la capacité pour le Parlement à maîtriser le débat budgétaire qui est en cause. Le Conseil constitutionnel a validé les nouvelles conditions d'application de l'article 40 de la Constitution s'agissant des crédits budgétaires, en validant l'article 47 de la loi organique qui assimile la charge publique à la mission : il est essentiel que l'exercice du droit d'amendement soit garanti.

La mission d'information propose par ailleurs de renforcer le suivi de la structuration des programmes. Les ministères doivent maintenir une construction de programmes « à coût complet », même si celle-ci passe par une réorganisation des responsabilités administratives, voire des modifications de structures. Le recours à la notion de programmes polyvalents n'est pas conforme aux principes de la réforme, et il faut limiter les programmes « support » aux seules dépenses transversales, qu'il est impossible de ventiler par finalité. Le Gouvernement a prévu de finaliser les contours des programmes à l'automne 2003. Ce calendrier risque de se télescoper avec le calendrier budgétaire, le choix du Gouvernement intervenant en plein débats sur la loi de finances pour 2004. Afin de permettre au Parlement de s'exprimer sur la structuration des programmes, avant que le Gouvernement n'en finalise les contours, il est proposé que chaque fascicule de dépenses, annexé au projet de loi de finances pour 2004 comprenne trois informations : une présentation des programmes et des actions envisagés, une justification précise des éventuels programmes support ou polyvalents  et une description des procédures de mandat de gestion à l'étude.

Sur ce dernier point, le Gouvernement a prévu la possibilité de procéder à des délégations de gestion : les responsables de programme pourraient confier l'exécution d'une partie de leurs crédits à des services transversaux, spécialisés dans la gestion de certaines dépenses : gestion des ressources humaines, gestion immobilière ou informatique, études, etc... Cette procédure du mandat de gestion présente l'avantage de concilier une budgétisation à coût complet et une souplesse dans l'exécution opérationnelle du budget. Il serait utile que le Parlement soit informé de l'utilisation qui pourrait en être faite par les ministères.

La troisième proposition consiste à tester la mise en place des budgets opérationnels de programme dans chaque ministère. Outre les expérimentations actuellement en cours, il est prévu que les ministères arrêtent, en juin prochain au moins une expérimentation qui sera intégrée dans le projet de loi de finances initial pour 2004. Ces expérimentations doivent être l'occasion de tester la déclinaison, sur le terrain, des futurs programmes. Il est donc proposé que chaque chapitre servant de support aux expérimentations - celles actuellement en cours comme celles qui seront lancées en 2004 - soit présenté en enveloppes conçues sur le modèle et selon les règles des futurs budgets opérationnels de programme. Le projet de loi de finances pour 2004 comprendrait, dans chaque annexe budgétaire concernée, une présentation du contenu de ces enveloppes. En outre, cette préfiguration des budgets opérationnels s'accompagnerait d'une extension de l'expérience d'allègement du contrôle financier, actuellement en cours au sein du ministère de l'intérieur.

En dernier lieu, la mission d'information propose que les expérimentations comportent un volet « évaluation » et que celui-ci soit porté à la connaissance du Parlement. Le Gouvernement a prévu que les objectifs et les indicateurs devront être arrêtés au premier trimestre 2004. Il serait utile que, dès le dépôt du projet de loi de finances initial pour 2004, les agrégats faisant l'objet d'expérimentations - celles actuellement en cours, comme celles qui démarreront en 2004 - soient présentés selon les éléments de justification requis par la loi organique pour les futurs projets annuels de performances. Cette démarche permettrait de tester un dispositif de mesure de la performance dans chaque ministère. Au demeurant, pour les expérimentations actuellement en cours, les résultats des dispositifs de mesure de la performance devraient, d'ores et déjà, être portés à la connaissance du Parlement. Par exemple, le ministère de l'intérieur aurait dû répercuter, dans les documents budgétaires, les résultats des outils d'évaluation qu'il a mis en place pour accompagner la globalisation des préfectures. Notamment, la globalisation des crédits devrait être accompagnée d'un compte rendu de la gestion des préfectures concernées, susceptible d'éclairer le Parlement sur l'utilisation qui a été faite des enveloppes ouvertes en loi de finances. La liberté de gestion créée par la globalisation n'a pas encore pour corollaire l'engagement devant le Parlement sur des objectifs, mesurés par des résultats évaluables.

M. Didier Migaud a enfin considéré que, si les retards constatés dans la mise en œuvre de la réforme peuvent s'expliquer par le calendrier très chargé qui a mobilisé le ministre du budget, il importe, aujourd'hui, de donner un coût d'accélérateur. Les rapporteurs spéciaux ont un rôle d'aiguillon à jouer, en maintenant la pression sur les ministères.

M. Michel Bouvard a souligné que le responsable du comité interministériel d'audit des programmes a indiqué à la mission qu'il serait inemployé à la fin du mois de mars, faute de transmission par les ministères des programmes qu'ils envisagent de créer. Il y a incontestablement un retard dans la mise en œuvre de la loi organique.

Le Président Pierre Méhaignerie, après avoir salué la qualité du travail de la mission, a proposé de transmettre, conjointement avec le Rapporteur général, une lettre à tous les ministres comportant un certain nombre de rappels sur la mise en œuvre de la loi organique. Le risque est grand de voir ce texte enterré par les administrations. Or c'est le levier essentiel de la réforme de l'État.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, s'est associé au Président pour saluer la qualité du travail de la mission, qui débouche sur un constat de retards et de problèmes. Il existe toutefois des dispositions de la loi organique qui sont mises en œuvre correctement, notamment la systématisation du débat d'orientation budgétaire, la discussion sur l'évolution pluriannuelle des finances publiques et l'information permanente du Parlement sur les annulations et mises en réserve de crédits. À cet égard, le Président et le Rapporteur général ont été informés, dès le lundi 24 mars, des gels de crédits, arrêtés la semaine précédente et proposés par le Gouvernement sous forme de mises en réserve au début du mois de janvier. Il faudra d'ailleurs que les rapporteurs spéciaux soient sensibilisés à ce sujet. La masse de crédits susceptibles d'être gelés ou annulés est réduite par rapport à l'ensemble du budget, puisqu'elle s'élève à 20 milliards d'euros environ. Les progrès réalisés en matière de comptabilité budgétaire doivent également être salués : des améliorations notables sont enregistrées en termes de jours complémentaires ou de règlements réciproques. Ceci devrait permettre la mise en place d'une comptabilité en droits constatés, avec d'une part un compte d'exploitation, et d'autre part, un document comparable à un bilan, avec un actif et un passif.

La mission s'est concentrée sur l'article 7 de la loi organique relative aux lois de finances, qui prévoit de passer de la nomenclature budgétaire actuelle à une nouvelle nomenclature en missions, programmes, objectifs et indicateurs. Cette nouvelle nomenclature renvoie naturellement à la question de l'organisation administrative de l'État. À ce titre, la tentation est grande pour les ministères de calquer la nouvelle nomenclature sur l'organisation administrative actuelle, ce qui relègue au second plan l'approche par mission. À la décharge des ministères, il faut toutefois reconnaître que les concepts sont très difficiles à manier : les ministères se demandent s'il est possible de ventiler systématiquement tous les coûts pour mettre en œuvre la logique de coût complet. D'ailleurs la comptabilité analytique dans les entreprises se heurte à des difficultés similaires. De même, les services polyvalents ne correspondent pas à la logique de verticalité des programmes. Aussi, il apparaît nécessaire de procéder par expérimentation. Dans cette optique, il faut mobiliser, de manière empirique, l'ensemble des rapporteurs spéciaux et des rapporteurs pour avis afin d'inciter les ministères à réfléchir aux missions. A défaut, le risque est grand que la nouvelle nomenclature budgétaire résulte d'un dialogue exclusif entre le ministère de l'Économie et des finances et les ministères dépensiers. Il faut impérativement qu'une veille politique, qui relève du rôle des rapporteurs, soit mise en place. Ce rôle est d'autant plus important que l'article 7 de la loi organique apparaît comme l'un des vecteurs essentiels de la réforme de l'État avec la décentralisation et une approche renouvelée du statut de la fonction publique. À cet égard, deux difficultés doivent être soulignées : l'absence de dispositions permettant une gestion efficace des ressources humaines et le problème de l'évaluation des compétences des cadres supérieurs.

Les ministères font généralement preuve de bonne volonté. Ainsi, lors d'un séminaire sur la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances, organisé par le ministère des Sports, il est apparu que le travail sur les indicateurs était approfondi et que les cadres du ministère étaient de bonne foi, lorsqu'ils évoquaient un découpage calqué sur leurs structures actuelles. Par conséquent, le rôle du rapporteur est de recentrer le travail des ministères, notamment en favorisant une approche par mission. Ce rôle est d'autant plus important que les cadres des ministères s'interrogent sur les conséquences de la décentralisation et sur la façon dont ils vont être évalués à l'avenir. Étant donné la forte attente des ministères, les rapporteurs ont donc une valeur ajoutée essentielle à leur apporter.

Usant de la faculté que l'article 38 du Règlement de l'Assemblée nationale confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. Richard Cazenave a indiqué qu'il partageait l'inquiétude exprimée par la mission d'information. Les signaux d'alerte sont manifestes. Il faut que cette réforme soit conduite, de pair, par le Parlement et les structures ministérielles. Or, malgré la proposition qu'il a faite au ministère des Affaires étrangères de collaborer sur ce sujet, aucune réponse ne lui est parvenue. La création de programmes géants, pour des raisons de facilité dans la gestion du personnel, ou de missions uniquement ministérielles est à craindre. Mais parallèlement, il faut trouver des réponses à la nécessité de la fongibilité des moyens : le personnel doit pouvoir passer d'une mission à une autre. Il importe également de trouver une réponse à la question de la souplesse d'utilisation des crédits, au niveau local.

Le Président Pierre Méhaignerie a invité M. Richard Cazenave à convaincre ses collègues de se mobiliser sur la mise en oeuvre de la loi organique.

M. Jean-Pierre Brard a souligné l'importance qu'il y avait, bien au-delà des habituelles querelles politiques, à maintenir le consensus qui a marqué l'élaboration de la loi organique, car c'est fondamentalement les droits du Parlement qui sont en cause. Le Gouvernement n'est pas en retard, mais plutôt en retrait. Les ministres ne sont que les porte-voix de leurs administrations, qui les manipulent. Si, après les trente-cinq tentatives de réforme précédentes, la loi organique était vidée de son contenu, la réforme serait tuée et ce serait un retour en arrière. Il est donc nécessaire de mieux contrôler l'action de la technostructure, qui s'emploie à tenir tête à ceux qui disposent de la légitimité démocratique. Il faut écrire aux ministres, mais également auditionner le ministre délégué au Budget. Ce dernier, ayant participé à l'élaboration du texte, ne pourra être celui qui officialisera la mise à mort de la réforme. Quand un ministre ne renonce pas à son pouvoir politique, il peut peser sur les directeurs de l'administration, qui n'ont pas nécessairement le « QI républicain ».

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé que M. Alain Lambert devait être auditionné au mois d'avril.

M. Michel Bouvard a souligné que les directeurs d'administration centrale avaient également peur des réactions des syndicats.

Usant de la faculté que l'article 38 du Règlement de l'Assemblée nationale confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. François Cornut-Gentille a rappelé qu'il était chargé, par la commission de la Défense nationale, de la rédaction d'un rapport sur la mise en place de la loi organique relative aux lois de finances au ministère de la défense. La réforme budgétaire procède nécessairement par étapes. Toutefois, une mise en route pragmatique se traduira peut-être par une perte de visibilité dans le suivi annuel des budgets. Par ailleurs, il est nécessaire d'institutionnaliser les relations du Parlement avec les ministères et la Cour des comptes. Il faut également préciser l'articulation du rôle de la Commission des finances avec celui des autres commissions.

Le Président Pierre Méhaignerie s'est interrogé sur la façon d'associer les autres commissions aux réflexions sur la mise en œuvre de la loi organique.

M. Michel Bouvard a estimé que le plus simple était que les rapporteurs spéciaux se rapprochent des rapporteurs pour avis et continuent, comme c'est parfois le cas, d'établir des questionnaires budgétaires communs, au moins sur la partie relative à la mise en œuvre de la loi organique. Par ailleurs, la mission d'information a l'intention, au fur et à mesure de l'avancement de ses travaux, d'y associer également les rapporteurs pour avis. Puisqu'il apparaît que des expérimentations sont nécessaires, il est évidemment indispensable d'associer l'ensemble des commissions à leur évaluation et à leur suivi.

Après avoir souligné qu'il existait parfois des difficultés à tracer précisément les frontières entre les champs de compétence des rapporteurs spéciaux, notamment en ce qui concerne le budget du ministère des Affaires sociales, M. Gérard Bapt a fait part de son intention de poursuivre le contrôle qu'il a engagé sur les gels de crédits au sein de ce ministère, et d'en rendre compte, en examinant leurs répercussions au niveau des agences régionales de l'hospitalisation et des directions régionales. S'agissant de l'information de la Commission des finances sur les gels des crédits, il a estimé que l'esprit de la loi organique n'avait pas été respecté, puisque les premières répartitions indicatives par chapitre adressées aux différents ministères par le ministère du Budget n'ont pas été communiquées à la Commission, alors que les ministères en disposaient déjà.

Après avoir indiqué qu'il les partageait, M. Thierry Carcenac ne s'est pas étonné des inquiétudes exprimées par les rapporteurs de la mission d'information. La tentation de bâtir les programmes à partir des structures administratives existantes correspond, malheureusement, à la tradition française d'une organisation administrative bâtie autour du concept de l'offre. Tout l'enjeu de la mise en œuvre de la loi organique et, au-delà, de la réforme de l'État, réside dans la capacité à renverser la perspective et à organiser l'État à partir de la demande, c'est-à-dire des attentes des citoyens. La mise en œuvre de la loi organique suppose, par ailleurs, une volonté politique forte et le Parlement devrait pouvoir s'appuyer, sur ce point, sur le ministre du Budget, qui en est l'un des auteurs. Au-delà des budgets opérationnels de programme, il est indispensable d'aller plus loin en matière de contrats de gestion et de contrats d'objectifs.

M. Jean-Pierre Balligand s'est déclaré très inquiet des échos qui lui remontent du terrain et qui lui font craindre une position globalement en retrait de la part des administrations et font apparaître l'isolement de M.  Alain Lambert sur ce dossier, tant il semble être le seul à en mesurer les enjeux. La réforme de l'État restera un vœu pieux tant que les ministres ne consacreront pas personnellement une partie de leur temps à la gestion des services de leur ministère. Dans certains grands ministères, il est inconcevable qu'il n'y ait même pas une réunion annuelle des directeurs.

Le Président Pierre Méhaignerie a reconnu que les ministres étaient soumis à une pression qui n'allait pas en ce sens, tant ceux-ci voyaient leur temps accaparé par les médias ou les différents corporatismes.

En réponse à M.  Gérard Bapt, M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a rappelé le calendrier de la mise en réserve des crédits. A la mi-janvier, le ministère du Budget a décidé d'une mise en réserve et transmis aux différents ministères une répartition indicative de celle-ci. Les discussions avec les ministères se sont étalées sur plus d'un mois pour aboutir à la répartition définitive, qui a été décidée la semaine dernière et transmise sans délai à la Commission. Il est vrai qu'entre temps, un décret est intervenu, pour annuler une fraction des crédits mis en réserve. Juridiquement, l'obligation d'information de la commission des Finances ne porte que sur la décision définitive de mise en réserve. Cette expérience montre surtout la difficulté de l'exercice, tant la masse des crédits sur lesquels peut porter un gel est réduite.

Revenant sur la définition des missions, M. Didier Migaud a tenu à rappeler que cela ne relevait évidemment pas du Parlement, mais qu'il appartenait au Gouvernement de faire des propositions claires et respectueuses de la définition des missions. Le problème est qu'aujourd'hui ces propositions n'existent pas.

M. Michel Bouvard a rappelé son opposition à l'existence de missions qui ne comporteraient qu'un seul programme.

Le Président Pierre Méhaignerie a considéré, d'une part, que l'application de l'article 7 de la loi organique constituait l'enjeu majeur de la réforme et qu'il fallait que le Parlement se montre résolu à refuser une présentation budgétaire qui ignorerait les missions ou retiendrait des missions « mono-programme ». D'autre part, il est indispensable que les rapporteurs spéciaux disposent, au sein de chaque ministère, d'un correspondant dans les services pour les questions concernant la mise en œuvre de la loi organique. Enfin, l'association des rapporteurs pour avis est également indispensable, afin de bien montrer aux autres commissions que l'entrée en application de la loi organique n'est pas, et ne doit pas être, l'apanage exclusif de la commission des Finances, mais qu'elle concerne toute l'Assemblée nationale. Enfin, le schéma, envisagé pour le ministère de l'Industrie, d'un seul programme et d'une seule mission doit conduire à demander à la Cour des comptes de se pencher sur cette question précise.

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