COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 76

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 17 septembre 2003
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président, puis
de M. Michel Bouvard, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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- Examen d'un rapport d'information sur les relations entre l'administration fiscale et les contribuables (M. Jean-Yves Cousin, Rapporteur)

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M. Gérard Bapt, rapporteur spécial pour les crédits de la santé, a évoqué la question des obstacles mis par le cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, à l'exercice de ses pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place, dans ce ministère, au mois d'août, et qui appelle une réponse de principe. Ayant déjà effectué, en tant que rapporteur spécial de la santé, des contrôles sur pièces et sur place, il a pu constater que ces derniers avaient permis de faire progresser le contrôle des rapporteurs spéciaux à la fois sur la régulation budgétaire, en particulier d'améliorer les informations communiquées à ce titre, et dans le domaine prioritaire pour le Président de la République de la politique en faveur des personnes handicapées. Ces contrôles du mois d'août n'avaient aucune intention polémique ou de mise en cause d'une responsabilité politique, pas plus que l'enquête d'information entreprise dans la région toulousaine, auprès de l'ensemble des acteurs médico-sociaux. Si l'accès aux données budgétaires relatives au dégel de 60 millions d'euros de crédits n'a pas soulevé de difficultés et n'appelle pas d'observation, le refus, sur l'instruction expresse du cabinet du ministre, de communiquer au rapporteur spécial des crédits de la santé des circulaires officielles adressées aux services extérieurs du ministère et aux établissements hospitaliers et de retraite pendant les trois premières semaines d'août, méconnaît, lui, la lettre et l'esprit de l'article 57 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Ce refus est d'autant plus ridicule que le rapporteur spécial a vu affichée dans un établissement hospitalier la circulaire permettant d'accélérer la mobilisation des lits autres que d'urgence, mesure qu'il convenait de prendre en l'occurrence. Cette circulaire, le cabinet du ministre lui en a pourtant refusé communication. De toute évidence, il relève pleinement de la compétence des rapporteurs spéciaux pour évaluer la performance des ministères, d'apprécier leur action en période de crise. Il convient donc que la Commission des finances s'oppose sans ambiguïté à la tentative d'un cabinet ministériel de limiter ainsi les compétences d'un rapporteur spécial, de crainte qu'un tel précédent ne fasse jurisprudence.

Le Président Pierre Méhaignerie a estimé injustifié et maladroit cet excès de zèle de collaborateurs ministériels. Pour autant il faut avoir présent à l'esprit le contexte de ce mois d'août pendant lequel M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a été injustement mis en cause. L'article 57 de la loi organique du 1er août 2001 dispose que « tous les renseignements et documents d'ordre financier et administratif qu'ils [les rapporteurs spéciaux] demandent, y compris tout rapport établi par les organismes et services chargés du contrôle de l'administration, réserve faite des sujets à caractère secret concernant la défense nationale et la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat et du respect du secret de l'instruction et du secret médical, doivent leur être fournis. »

Peut-être pourrait-on concéder une ambiguïté pour ce qui a trait à la branche maladie car elle est du ressort de la loi de financement pour la sécurité sociale. Mais la loi organique est tout à fait claire sur les compétences des rapporteurs spéciaux. L'attention du Premier ministre sera donc appelée sur ce qui constitue un attribut essentiel du Parlement. Sans revenir sur l'appréciation précédemment faite, le Président Pierre Méhaignerie a souligné que le cabinet du ministre a pu aussi estimer devoir être très attentif, même si en l'occurrence de façon maladroite, à bien différencier les rôles du rapporteur spécial et de la commission d'enquête qui était déjà d'actualité.

M. Didier Migaud a fait observer qu'il est difficile de considérer qu'alors la commission d'enquête était d'actualité eu égard aux premières réactions de la majorité.

M. Michel Bouvard a souligné que l'administration est habituée à ce que les rapporteurs spéciaux ne traitent que des questions financières, alors même que la loi organique du 1er août 2001 a introduit un nouvel esprit et de nouvelles pratiques. Les rapporteurs spéciaux doivent désormais juger des performances des ministères. C'est pourquoi, il convient de saisir l'occasion pour définir précisément « la règle du jeu » et l'accès aux documents nécessaires à l'exercice de cette mission.

M. Charles de Courson a proposé que le Président de la commission précise par écrit aux rapporteurs spéciaux comment doit s'entendre l'exercice des droits qu'ils détiennent pour clarifier les procédures et fournir une interprétation de l'article 57 de la loi organique, cette note étant également adressée aux ministres.

M. Didier Migaud a considéré que la lettre même de l'article 57, éclairée par les travaux préparatoires, ne souffre pas d'ambiguïté.

Le Président Pierre Méhaignerie a indiqué avoir écrit à M. Jean-François Mattei le 3 septembre.

Sans contester l'utilité d'une note sur la portée de l'article 57, M. Augustin Bonrepaux a néanmoins remarqué ne pas se souvenir qu'au cours de la précédente législature, un rapporteur spécial se soit plaint d'un obstacle mis à l'exercice de son contrôle.

Le Président Pierre Méhaignerie a donné l'exemple de M. Alain Lambert au ministère des finances.

M. Augustin Bonrepaux a précisé qu'un député n'avait jamais rencontré ce type de problème. Une intervention auprès du ministre est nécessaire, ce d'autant plus que le Président de la commission a incité les rapporteurs spéciaux à effectuer des contrôles. En raison même de la répartition des budgets, le budget de la santé et des personnes handicapées est au surplus le seul budget pour lequel le contrôle d'un rapporteur spécial de l'opposition puisse recouvrir un enjeu réel.

En conclusion, le Président Pierre Méhaignerie a fait part de son intention de saisir le Premier ministre de la question et a tenu à rappeler que le débat sur la commission d'enquête n'avait pu que contribuer à une certaine nervosité des collaborateurs ministériels. S'agissant des rapports spéciaux confiés à l'opposition, leur répartition a répondu au souci de préserver l'équilibre existant sous la précédente législature entre la majorité et l'opposition.

M. Jean-Louis Dumont a souhaité savoir si le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées avait répondu à la lettre du 3 septembre, jugeant que l'absence d'une réponse à ce jour serait inquiétante.

Le Président Pierre Méhaignerie a considéré qu'un délai de quinze jours n'était pas anormal.

M. Jean-Pierre Balligand a souligné que la mise en œuvre de la loi organique relative aux finances publiques du 1er août 2001 doit permettre d'aboutir à une amélioration des contrôles exercés par les rapporteurs spéciaux. Il a rappelé que dans le passé les rapporteurs spéciaux s'étaient heurtés à certaines difficultés, évoquant son expérience personnelle de rapporteur spécial des services du Premier ministre sous le gouvernement de M. Alain Juppé. Il avait alors souhaité obtenir la ventilation des fonds secrets et s'était heurté à une certaine opposition de la part du pouvoir politique de l'époque jusqu'à ce qu'il obtienne finalement gain de cause. Les informations recueillies à l'époque ont enclenché un processus qui a été à l'origine d'une transparence accrue des fonds secrets.

L'attitude du gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin à l'égard du contrôle parlementaire ne doit pas être en retrait de celle observée sous le gouvernement de M. Alain Juppé. Or, il est clair que l'administration est culturellement réticente au contrôle sur pièces et sur place exercé par les rapporteurs spéciaux. C'est pourquoi la proposition de M. Charles de Courson d'une lettre adressée par le Président de la Commission des finances à chaque ministre pour rappeler l'article 57 de la LOLF est une idée judicieuse.

Après avoir également marqué son accord avec cette proposition, M. Gérard Bapt a indiqué qu'il se heurtait, en tant que rapporteur spécial sur la santé, à des problèmes d'articulation avec, d'une part, le budget des personnes âgées et, d'autre part, les financements croisés du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

La Commission a ensuite procédé, sur le rapport de M. Jean-Yves Cousin, Rapporteur, à l'examen d'un rapport d'information sur les relations entre l'administration fiscale et les contribuables.

M. Jean-Yves Cousin a rappelé le contexte dans lequel lui fut confiée la mission relative aux relations entre l'administration fiscale et les contribuables le 21 janvier 2003 par la Commission des finances. Devant le caractère extrêmement vaste de ce sujet, il est apparu opportun de circonscrire cette réflexion à la question du contentieux fiscal. Il s'agit d'un sujet sensible, parce que portant sur un moment de tension aiguë entre les contribuables et l'administration fiscale, peu abordé, et sur lequel son expérience professionnelle lui permet de tenir compte de certaines observations concrètes.

Cette réflexion a tendu à l'élaboration de constats puis de propositions équilibrées, qui puissent se révéler profitables à la fois pour le contribuable et pour l'administration fiscale. A cette fin, il a indiqué avoir procédé à de nombreuses auditions des organisations syndicales des administrations fiscales, des représentants des contribuables, du médiateur de la République, du médiateur du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ainsi que de nombreuses personnalités qualifiées en matière fiscale.

Il a par ailleurs pu compter sur le soutien du Président Pierre Méhaignerie et du Rapporteur général Gilles Carrez, ainsi que sur l'aide précieuse de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, de M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire et de M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat.

Evoquant le contenu de son rapport, dont la conclusion donne une présentation synthétique des propositions, M. Jean-Yves Cousin a souligné que les relations entre les contribuables et l'administration fiscale doivent reposer sur un équilibre, afin que les droits des citoyens coexistent avec la nécessité pour l'Etat de prélever l'impôt, ainsi qu'il ressort des principes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Ce nécessaire équilibre doit être observé quand l'administration fiscale conteste l'attitude d'un contribuable ou, à l'inverse, quand un contribuable conteste l'administration fiscale.

En premier lieu, M. Jean-Yves Cousin a fait valoir que la législation relative aux pénalités fiscales est parfois incohérente et illisible et que le taux d'intérêt de retard est désormais unanimement reconnu comme pénalisant.

M. Jean-Yves Cousin a évoqué la pénalité prévue à l'article 1831 du code général des impôts, dont le dispositif renvoie à l'article 852 de ce code, qui lui-même fait référence à son article 257. Cette pénalité, qui sanctionne certaines infractions relatives aux obligations déclaratives qui incombent aux marchands de biens réalisant certaines opérations immobilières, n'est donc pas lisible à elle seule. Comprendre sa portée nécessite la lecture d'autres dispositions.

S'agissant des pénalités de recouvrement, M. Jean-Yves Cousin a souligné qu'il était incohérent que, d'une part, les taux de majoration des droits et, d'autre part, les règles relatives à l'intérêt de retard, soient différents sous prétexte que les impositions concernées sont recouvrées par l'une ou l'autre des directions du Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il apparaît donc nécessaire aujourd'hui de recodifier les dispositions du code général des impôts relatives aux pénalités fiscales. La recodification proposée doit permettre une lisibilité et une cohérence accrues des pénalités fiscales ainsi que la suppression de celles d'entre elles dont le montant est inférieur au seuil de recouvrement ou qui apparaissent désormais obsolètes et sans objet.

Evoquant la question de l'intérêt de retard, M. Jean-Yves Cousin a souligné que son taux actuel de 9% par an, est unanimement considéré comme inadéquat.

L'intérêt de retard ne constitue pas juridiquement une sanction mais la réparation du préjudice financier subi par l'Etat, aux termes d'une jurisprudence constante, récemment réaffirmée par un avis du Conseil d'Etat.

Il reste que son taux constitue une inégalité de fait entre l'Etat et les contribuables, très mal vécue par eux puisque, lorsque l'Etat est condamné à un dégrèvement, le préjudice financier subi par le contribuable est réparé par le versement d'intérêts moratoires, dont le taux, égal au taux de l'intérêt légal, est très nettement inférieur au taux de l'intérêt de retard. La recherche d'un niveau adéquat s'agissant du taux de l'intérêt de retard doit donc être complétée par un dispositif permettant un traitement identique entre l'Etat et les citoyens.

Par ailleurs, en matière d'intérêt de retard, si la solution recherchée doit permettre la réparation du préjudice subi par le Trésor public, elle doit aussi ériger le taux choisi comme un élément dissuasif pour le contribuable, lequel ne saurait considérer l'Etat comme un banquier.

Aujourd'hui, les taux pratiqués s'agissant des crédits les plus courants accordés aux entreprises ou aux particuliers s'établissent entre 6,86% et 7,77%. Il conviendrait donc, en toute logique, de fixer le taux de l'intérêt de retard à un taux d'intérêt un peu supérieur à la moyenne de ces taux.

En règle générale, il conviendrait de retenir un dispositif souple permettant l'actualisation chaque année du taux de l'intérêt de retard, par décret, la loi prescrivant que le taux issu de cette actualisation soit fixé de 0,5 à 1 point de plus que la moyenne des taux constatés chaque année s'agissant des crédits les plus courants du marché privé de l'emprunt.

En la matière, il est cependant nécessaire de faire la part entre le souhaitable et le possible. La contrainte budgétaire en 2004 ne permettra pas la réforme proposée de l'intérêt de retard. Une baisse d'un point de l'intérêt de retard aurait un coût de 130 millions d'euros pour les finances publiques. En outre, la fixation du taux des intérêts moratoires au niveau du taux de l'intérêt de retard doublerait presque ce coût.

En conséquence, la réforme de l'intérêt de retard proposée doit constituer un « cap », qu'il faudra s'attacher à rallier dès lors que la France aura satisfait à ses obligations au regard du pacte de stabilité et de croissance. Dans l'attente, il paraît possible d'aménager la législation actuelle. L'article L. 247 du livre des procédures fiscales pourrait être opportunément modifié afin d'ouvrir la possibilité de transiger en matière d'intérêt de retard ou de remettre gracieusement une partie de son montant, notamment dans le cas où la bonne foi du contribuable est avérée. En l'état actuel de la législation, l'intérêt de retard, qui ne constitue pas, à proprement parler, une sanction, n'est pas susceptible d'être l'objet d'une transaction et ne peut être remis que dans quelques rares cas.

Abordant la seconde partie de son rapport, le Rapporteur a évoqué, en premier lieu, le problème des contestations, par les contribuables, du résultat des redressements fiscaux. On peut noter les progrès récents que constitue l'instauration du médiateur du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie relayé, à l'échelon local, par les conciliateurs départementaux.

Trois améliorations très concrètes, évoquées par le XXème rapport du Conseil des impôts, pourraient utilement être mises en oeuvre à brève échéance.

En premier lieu, les commissions départementales des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires et les commissions départementales de conciliation ne disposent que de compétences de fait limitativement énumérées par la loi. Il apparaît que l'élargissement de leurs compétences à l'ensemble des questions de fait serait un progrès considérable. En effet, les contribuables et l'administration fiscale considèrent que le travail de ces commissions a amélioré leurs relations. Ce travail a, par ailleurs, contribué à désencombrer, dans des proportions parfois considérables, les instances juridictionnelles. C'est pourquoi, et sans perdre de vue la charge actuelle de travail des commissions, qui frôle la saturation dans certains départements, un élargissement limité des compétences des commissions à certaines questions de fait constituerait, au moins à court terme, une solution raisonnable. Au nombre de ces nouvelles compétences pourraient figurer les contestations relatives aux montants des charges déductibles des revenus globaux, aux montants des travaux déductibles des impôts fonciers et aux montants déductibles des salaires versés aux dirigeants.

Par ailleurs, deux réformes très précises et ponctuelles amélioreraient de manière significative le fonctionnement des commissions :

- la date à partir de laquelle le contribuable peut consulter le dossier constitué par l'administration fiscale doit être portée de 20 à 30 jours avant la réunion de la commission. Les dates auxquelles le contribuable est convoqué à cette réunion et peut procéder à la consultation de ce dossier seraient ainsi uniformisées ;

- il serait opportun de doter les commissions de la faculté de saisir un expert pour avis.

En revanche, il n'apparaît pas nécessaire de modifier le mode de fonctionnement et la composition de ces commissions.

S'agissant du problème de la juridiction compétente en matière fiscale, M. Jean-Yves Cousin a rappelé que les recours concernant notamment l'impôt sur le revenu et les taxes sur les chiffres d'affaires relèvent des tribunaux administratifs, tandis que les contentieux relatifs aux droits d'enregistrement, aux droits de timbre et à l'impôt de solidarité sur la fortune sont du ressort des juridictions judiciaires. Cette dualité de juridiction ne fonctionne pas, il est vrai, de manière insatisfaisante. Une difficulté existe cependant sur le contentieux du recouvrement. En effet, s'agissant de la régularité en la forme de l'acte prescrivant le recouvrement, le tribunal de l'exécution est toujours compétent, même quand le litige porte sur une imposition relevant de l'ordre administratif. Si la requête du contribuable porte à la fois sur la régularité en la forme de l'acte et sur un moyen portant sur le fond, les deux ordres de juridiction sont compétents pour juger du même acte, selon le moyen considéré. En pratique, il n'est pas toujours possible, dans ce cas, de déterminer avec exactitude, au préalable, le ou les tribunaux compétents. Il est urgent de simplifier cette situation inexplicable, tant pour l'administration que pour les contribuables, en posant le principe simple selon lequel, pour une imposition, le juge du recouvrement est toujours le juge compétent en matière d'assiette.

Enfin, il apparaît nécessaire de conduire dès à présent une réflexion sur l'unité de juridiction en matière de contentieux fiscal. Dès lors que 90% des affaires sont d'ores et déjà soumises aux tribunaux administratifs, le transfert du reliquat du contentieux fiscal à l'ordre juridictionnel administratif constituerait sans doute une simplification opportune.

M. Michel Bouvard, Président, a salué la qualité du rapport présenté par M. Jean-Yves Cousin, rapport qui traite d'un sujet à la fois complexe et sensible. Il est appréciable que ce rapport comporte des propositions concrètes d'amélioration des relations entre l'administration fiscale et les contribuables.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a souligné le caractère très complet du rapport élaboré par M. Jean-Yves Cousin. Le travail réalisé est de nature très technique mais le sujet traité revêt une extrême importance pour l'ensemble des citoyens soumis à l'impôt. Certes, le Gouvernement mène à juste titre une politique ambitieuse d'allégement des impôts, mais cette démarche, tout à fait opportune, ne doit pas conduire à ignorer une autre priorité qui consiste à simplifier les règles applicables au paiement et au recouvrement de l'impôt. L'amélioration des relations entre les contribuables et l'administration fiscale passe incontestablement par un tel effort de simplification.

S'agissant du contentieux du recouvrement, il convient de distinguer, d'une part, ce qui peut et doit être fait à court terme, notamment lors de l'examen de la loi de finances pour 2004 ou du prochain collectif budgétaire pour 2003, d'autre part, les démarches plus larges ayant vocation à être entreprises à plus long terme. A tout le moins, à moyen terme, il faut mettre fin à la dissymétrie actuelle entre le taux de l'intérêt de retard et le taux des intérêts moratoires. Cette réforme comporte certes un coût budgétaire non négligeable, mais elle doit être mise en oeuvre dans des délais raisonnables.

Le Rapporteur général a plaidé pour une unification des juridictions compétentes en matière de contentieux fiscal. Actuellement, environ 90 % des dossiers concernés relèvent de la compétence des juridictions administratives. Celles-ci défendent d'ailleurs de manière efficace les droits des contribuables. Il conviendrait de faire du juge administratif le seul juge compétent en ce domaine. Il serait en outre opportun d'autoriser plus largement les agents des administrations fiscales à opérer des remises s'agissant de l'intérêt de retard et, de plus, de permettre de transiger en la matière, ce qui est impossible dans la rédaction actuelle de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales. Les commissions départementales des impôts directs et des taxes sur les chiffres d'affaires et les commissions départementales de conciliation effectuant aujourd'hui un travail de bonne qualité, elles pourraient se voir opportunément confier quelques compétences de fait complémentaires.

Par ailleurs, dans son XXIème et dernier rapport, le Conseil des impôts émet un certain nombre de propositions qu'il conviendrait également de mettre en œuvre rapidement. Aujourd'hui, on dénombre une multitude de « niches » fiscales, ce qui offre un vaste champ de simplification pour une meilleure lisibilité de l'impôt.

M. Bernard Carayon a salué la qualité du rapport présenté qui a le mérite de proposer des solutions concrètes et opérationnelles afin d'améliorer les relations entre l'administration fiscale et le contribuable. Il s'est ensuite interrogé sur les raisons qui expliquent l'impossibilité actuelle pour les contribuables de se regrouper en association afin de faire valoir leurs droits collectifs devant les juridictions judiciaires, alors même que les droits collectifs des usagers sont aujourd'hui reconnus par le juge s'agissant des contentieux en matière médicale ou de sécurité. Il serait utile que certains dysfonctionnements de l'administration fiscale puissent être mis en cause de manière collective devant le juge. Il a enfin demandé si le contribuable pouvait avoir accès à la totalité de son dossier fiscal, c'est-à-dire tant aux informations officielles qu'à celles qui sont officieuses.

M. Philippe Auberger, après avoir félicité M. Jean-Yves Cousin pour son rapport très documenté, a noté que les contribuables soumis à un contentieux fiscal se trouvaient bien souvent très dépendants des avocats. En effet, rares sont les contribuables qui se révèlent aujourd'hui capables de se défendre eux-mêmes face à l'administration fiscale. Le fait que les contentieux fiscaux soient dispersés entre deux ordres de juridiction, judiciaire ou administratif, fait d'ailleurs la fortune desdits avocats et complique le travail de l'administration. Ce constat conduit à préconiser des mesures rapides. Il ne serait pas acceptable de reporter dans le temps la mise en œuvre de réformes pourtant indispensables en arguant d'un contexte budgétaire et financier peu favorable. Certes, la simplification d'un certain nombre de règles est susceptible d'avoir un impact financier, mais cet argument ne saurait en aucun cas justifier l'inaction.

De manière générale, il convient d'examiner avec attention et, sans doute, d'encadrer les modalités selon lesquelles des remises peuvent être octroyées au contribuable de manière individuelle. Une pratique relativement courante des services fiscaux consiste, à l'occasion des vérifications des comptabilités de particuliers comme de sociétés commerciales, à opérer des reconstitutions de revenus ou de recettes à des niveaux initialement extrêmement élevés. C'est le degré de résistance du contribuable concerné qui détermine in fine la somme finale qui lui sera réclamée. Les négociations auxquelles ces demandes de remises donnent lieu relèvent parfois du rapport de force, le contribuable le mieux loti étant celui qui parvient à se défendre. Un constat analogue peut être dressé s'agissant des dégrèvements.

M. Philippe Auberger a fait observer qu'aujourd'hui, l'existence de certains contentieux fiscaux découle du fait que telle ou telle direction départementale des impôts se refuse à désavouer une première appréciation provenant d'un inspecteur voire de l'inspecteur principal. Les contribuables qui parviennent à débloquer leur dossier sont d'ailleurs ceux qui réussissent à le faire « remonter » au niveau national. Afin de réduire le nombre de ces contentieux inutiles, il serait opportun de privilégier la voie de la médiation. Un médiateur départemental, indépendant des structures de l'administration fiscale, pourrait permettre à cette dernière et aux contribuables de parvenir plus facilement à un accord à l'amiable. Une telle procédure présenterait le double avantage de désengorger les tribunaux et d'éviter le recours systématique au Médiateur de la République.

M. Thierry Carcenac a considéré que l'importance du contentieux a effectivement en grande partie pour origine le manque de clarté de la législation et de la réglementation. Il est appréciable que le présent rapport fasse référence à la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, envisageant ainsi le problème sous l'angle, d'une part, des principes qui donnent à l'administration fiscale sa raison d'être et, d'autre part, des droits qui sont ceux du contribuable.

S'agissant des pénalités, il faudra se demander si l'automatisation de leur traitement et de leur mise en œuvre, issue des progrès enregistrés par la réforme-modernisation du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, n'est pas de nature à modifier leur interprétation par le contribuable et leurs modalités d'application ; pour ce qui est de l'intérêt de retard, l'utilisation de l'informatique, qui permet une automatisation du calcul des montants correspondants, permet effectivement d'envisager un taux actualisé périodiquement.

En ce qui concerne la question des transactions, bien distinctes des remises qui, elles, ne mettent pas fin au contentieux, il conviendrait d'étudier l'opportunité d'émettre un document simple authentifiant la transaction. S'agissant des commissions départementales des impôts indirects et des taxes sur le chiffre d'affaires, leur attribuer une compétence de fait en matière d'estimation des frais réels ne semble pas utile puisqu'en tout état de cause, désormais la fourniture de justificatifs précis est exigée pour opérer cette estimation. Enfin, la proposition visant à mettre fin à la dualité de juridiction en matière fiscale, en regroupant le contentieux dans le ressort de la juridiction administrative est une bonne idée, même si elle ferait de la France une exception en Europe.

Il serait par ailleurs souhaitable de pouvoir disposer de quelques éléments statistiques à propos de l'évolution ces dernières années du volume des réclamations, ventilées par imposition. Ces éléments confirmeraient sans aucun doute la réduction du volume du contentieux et du nombre des reconstitutions de comptabilité. Il serait également intéressant d'étudier plus précisément les évolutions propres aux montants des pénalités d'assiette et d'intérêt de retard.

M. François Goulard, se réjouissant du caractère pragmatique des propositions du Rapporteur, a estimé que le véritable problème réside dans le pouvoir considérable donné à l'administration fiscale, théoriquement sous le contrôle du juge. L'usage de ce pouvoir peut confiner à l'arbitraire, comme le montre la pratique des redressements volontairement surévalués et de l'interprétation donnée à certains textes en défaveur du contribuable, afin de « tester » sa volonté de poursuivre ou non le litige au contentieux. Cette pratique de l'arbitraire est propre à la France. Elle résulte non seulement de phénomènes culturels mais aussi de certaines règles de droit.

La lourdeur des pénalités est par ailleurs un véritable problème dans la mesure où elles peuvent conduire à des faillites personnelles totales. L'Etat devrait par ailleurs être mis sur le même plan que tout autre créancier s'agissant des procédures de recouvrement. Enfin, la question de la responsabilité de l'administration fiscale n'a pas encore été réglée de manière satisfaisante.

La suppression de la dualité des juridictions est sans doute une réforme de bon sens. En attendant une réforme plus audacieuse qui consisterait à fusionner les deux ordres, il serait en effet souhaitable, dans un premier temps, en matière fiscale, de dessaisir la juridiction judiciaire au profit de la juridiction administrative.

M. François Scellier s'est déclaré lui aussi favorable à l'unification du contentieux fiscal dans le ressort de l'ordre administratif. Quant au pouvoir de l'administration fiscale, il n'est plus complètement pertinent de parler d'arbitraire, des progrès importants étant constatés depuis vingt ans, à tout le moins dans les textes, en faveur du respect des droits du contribuable. Il est ainsi désormais possible de procéder à d'efficaces recours internes à l'administration fiscale et les pénalités d'assiette ont été sensiblement rationalisées. On observe, cependant, s'agissant de ces pénalités d'assiette, un très faible taux de recouvrement.

En tout état de cause, il est vivement souhaitable d'adopter rapidement de nouvelles réformes pour améliorer les relations entre les contribuables et l'administration fiscale, comme le propose le présent rapport. Dans ce cadre, il faudrait également revoir les modalités d'application de l'alinéa de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales, donnant à l'administration la possibilité de décharger de leur responsabilité fiscale les personnes tenues au paiement d'imposition due par un tiers. En effet, cette disposition semble ne pas empêcher en pratique qu'une épouse demeure solidaire des dettes de son mari, dont elle est pourtant séparée et qui ne s'acquitte pas de ses obligations fiscales. Par ailleurs, la notion « d'imposition définitive » n'est pas non plus sans soulever de difficultés, tant elle peut conduire à empêcher, le cas échéant, toute contestation, notamment de la part du contribuable concerné, du montant d'une taxation d'office largement surévaluée par l'administration fiscale dans le but même d'entraîner une réaction de ce contribuable, particulièrement récalcitrant il est vrai.

M. Pierre Hériaud a souligné l'intérêt d'un rapport qui contient des propositions et des conclusions auxquelles on ne peut que souscrire. Il y a d'ailleurs, dans la matière dont il traite, beaucoup d'« intérêts » qu'il faudrait remettre en cause et dont il faudrait redéfinir les modalités d'application : le taux d'intérêt de retard, le taux d'intérêt moratoire, etc. Le risque serait plutôt de se disperser et, à cet égard, le rapport devrait peut-être hiérarchiser davantage ses priorités.

M. Louis Giscard d'Estaing a relevé qu'à juste titre, le rapport s'attachait à trouver les voies qui conduiraient à réduire l'inégalité de fait entre l'administration et le contribuable. En matière de TVA, par exemple, l'administration impose des pénalités de retard aux entreprises ou aux personnes assujetties qui ne déposent pas leur déclaration en temps utile ; en revanche, les remboursements des crédits de TVA ne sont jamais assortis de la réparation du préjudice financier subi par l'assujetti, alors que les délais légaux aux termes desquels il doit être procédé à ces remboursements sont relativement longs. L'inégalité de traitement entre les contribuables et l'Etat s'agissant de leurs préjudices financiers respectifs n'a donc pas simplement pour origine la différence numérique entre le taux d'intérêt de retard et le taux des intérêts moratoires. Il reste que la proposition du Rapporteur tendant à l'unification de ces deux taux doit être approuvée. Enfin, si les arguments de nature budgétaire soulevés par tous les gouvernements pour retarder la mise en œuvre de ces réformes sont vérifiés, c'est que la dissymétrie de traitement entre l'administration fiscale et le contribuable est avérée.

M. Michel Bouvard, président, a indiqué qu'il approuvait la proposition consistant à regrouper auprès du seul juge administratif l'ensemble du contentieux fiscal. L'encombrement de la justice administrative soulève cependant le problème des délais de jugement. Il faut prendre garde à ce que ceux-ci ne deviennent pas excessifs par rapport à ceux constatés actuellement avec l'intervention du juge judiciaire. S'agissant de l'importance de l'arbitraire dans les décisions de l'administration fiscale, il existe malheureusement encore une faible minorité de personnes au sein de l'administration fiscale qui se servent de leur fonctions pour résoudre des problèmes privés qui ne sont pas directement liés à des questions de nature fiscale.

En réponse aux différents intervenants, M. Jean-Yves Cousin a apporté plusieurs précisions.

Le regroupement du contentieux fiscal pourrait être considéré comme une première étape vers l'unification des juridictions. Avant d'envisager une telle réforme, force est de convenir que cette première évolution même ne sera pas simple. Les contacts pris avec M. Pascal Clément, président de la Commission des lois, prouvent que le débat sera en tout état de cause fourni et intense. Il s'agit pour l'instant d'une idée, soumise au débat de la Commission des finances - et qui semble d'ailleurs y susciter un certain consensus - et susceptible d'être portée ultérieurement devant les autres instances de l'Assemblée nationale. Ses implications nécessaires (l'amélioration du déroulement du contentieux, la simplification des démarches et la lisibilité du dispositif juridique d'ensemble) concourent clairement à une meilleure égalité de traitement entre l'administration et le contribuable.

Les propositions contenues dans le rapport peuvent naturellement être encore améliorées et précisées. Elles ont effectivement vocation à être déclinées dans le temps et à être progressivement intégrées dans les prochaines lois de finances. L'objectif poursuivi avec ce rapport était, justement, de trouver des pistes pour changer, concrètement, les relations entre l'administration fiscale et le contribuable. Par ailleurs, lors de rencontres avec les agents des administrations fiscales sur le terrain, des propositions ont été émises afin de simplifier la vie des citoyens. Ces propositions pourront, le cas échéant, utilement nourrir les débats de la Commission des finances.

La création d'un médiateur départemental représenterait une réelle avancée. Il existe déjà un médiateur du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Par ailleurs, des « conciliateurs » locaux pourraient être bientôt désignés au sein du ministère. Ils devraient jouir d'une certaine indépendance par rapport à la hiérarchie des administrations fiscales déconcentrées. Ces conciliateurs ont vocation à être recrutés, soit au sein du réseau de la direction générale de la comptabilité publique, soit au sein de celui de la direction générale des impôts. Ils seraient compétents pour les dossiers relevant de ces deux directions à la fois. Ils pourraient, par ailleurs, intervenir sur deux départements. L'enjeu est l'introduction d'une véritable médiation locale pour prévenir l'apparition d'un contentieux devant les tribunaux.

S'agissant des remises, il est vrai qu'un certain arbitraire pouvait être dénoncé il y a de cela quelques années. La situation a évolué, depuis, dans un sens favorable. L'élargissement des compétences des commissions départementales évoquées y a beaucoup contribué. L'insuffisante clarté des textes est également un facteur d'arbitraire : là où des ambiguïtés apparaissent, la doctrine administrative crée nécessairement une part d'arbitraire.

Par ailleurs, si l'on travaille à rétablir une certaine égalité entre le contribuable et l'administration, il faut explorer toutes les pistes : la question soulevée sur les remboursements de crédits de TVA est importante. Par ailleurs, le rapprochement du taux des intérêts moratoires et du taux de l'intérêt de retard constituerait un « signal fort ». Les contraintes budgétaires actuelles incitent à proposer un objectif d'alignement qui pourrait être mis en œuvre dès lors que le déficit public deviendrait inférieur à la valeur de référence du Traité de Maastricht.

M. Pierre Hériaud a tenu à préciser que la réforme proposée concernant la fixation du taux de l'intérêt de retard devait prendre en compte l'hétérogénéité des définitions des taux, qui peuvent être, notamment, nominaux ou actuariels.

M. Jean-Yves Cousin a rappelé la proposition consistant à fixer le taux de l'intérêt de retard en fonction d'une moyenne des taux des crédits les plus courants constatés l'année précédente sur le marché privé de l'emprunt, le mécanisme technique exact restant cependant à définir.

La Commission a ensuite autorisé la publication du rapport.


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