COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 2

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 11 octobre 2005
(Séance de 16 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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-  Audition de M. Jean-François Copé, ministre délégué au Budget et à la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, sur le projet de loi de finances pour 2006 (n° 2540)


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Le Président Pierre Méhaignerie a remercié le ministre délégué au budget et à la réforme de l'État d'être venu répondre à de nouvelles questions des députés sur le projet de loi de finances pour 2006.

M. Augustin Bonrepaux a renouvelé son souhait de disposer de simulations, seule façon d'assurer la transparence dont le Gouvernement se dit partisan. La réforme de la dotation globale d'équipement (DGE) est présentée comme une simplification, mais l'on peut craindre qu'elle ne soit pas que cela, et seules des simulations permettront de le vérifier. Quant à la réforme de la taxe professionnelle, il est actuellement impossible de savoir, que ce soit au niveau départemental ou intercommunal, quelles zones en subiront les conséquences.

M. Jean-Louis Dumont s'est inquiété du prélèvement opéré sur le Fonds de garantie de l'accession sociale à la propriété, et ce au bénéfice exclusif du budget général de l'Etat, alors que les banques avaient contribué à ce fonds pour une part notable. Doit-on craindre que la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) soit à son tour, prochainement, victime de telles pratiques, dans lesquelles certains ne manqueront pas de voir une forme de spoliation ? Si l'existence du Fonds ne se justifie plus, d'autres usages des sommes collectées sont envisageables, des suggestions en ce sens ont été faites sous la législature précédente.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, a déclaré que toutes les simulations seraient remises à l'ensemble des parlementaires dès qu'elles seraient prêtes. S'agissant de la DGE, le principe retenu consiste à supprimer la première fraction de la première part, répartie selon le système du taux de concours, et à abonder en contrepartie la DGF des départements les plus pauvres. Il s'agit, en résumé, de substituer à un saupoudrage illisible un dispositif plus péréquateur.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné que les collectivités n'ont qu'une connaissance très approximative du niveau des dégrèvements qui leur sont compensés par l'État. Si elles en étaient mieux informées, leur perception des choses changerait sans doute grandement. Il est exact que l'État leur transfère certaines responsabilités sans compensation, mais il faut aussi prendre en compte le montant de dégrèvements pris en charge. La transparence ne doit pas être à sens unique. Cela dit, il semble qu'il soit effectivement difficile, sinon impossible, de savoir quelles entreprises, dans une ville donnée, bénéficieront du plafonnement de la taxe professionnelle.

M. Augustin Bonrepaux a fait observer que les dégrèvements sont décidés par l'État, non par les collectivités.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, en a convenu, et a souligné que la conférence des finances publiques qu'il appelle de ses vœux permettrait de mettre à plat toutes ces questions. Par ailleurs, la communication des données relatives au bénéfice du plafonnement de la taxe professionnelle pose le problème du secret fiscal.

S'agissant du Fonds de garantie de l'accession sociale à la propriété, il est apparu que le montant des sommes collectées était sans commune mesure avec celui des sinistres indemnisés. Il a donc été décidé de reverser la différence, supérieure à 1.400 millions d'euros, au budget de l'État, à charge pour ce dernier de se substituer au Fonds lorsqu'il y aura lieu de faire jouer la garantie. Ce dispositif est tout à fait conforme à la loi, de même qu'à la convention que l'État avait passée avec les banques. La situation de la CGLLS est tout à fait différente, et il n'y a pas lieu de craindre un prélèvement analogue.

Le Président Pierre Méhaignerie a demandé si la garantie restera bien la même et si les banques continueront de prêter aux mêmes taux.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, a répondu par l'affirmative : il en va de la parole de l'État.

M. Jean-Louis Dumont a précisé que prélèvement lui-même était moins critiquable, selon lui, que sa destination : au lieu d'être affectées au logement social, les sommes en question viendront renflouer le budget général de l'État.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a estimé que l'accession sociale à la propriété n'est pas en danger : elle bénéficie de 500 millions d'euros supplémentaires, grâce au crédit d'impôt qui se substitue à des dotations. Quant aux cotisations que les banques avaient versées, leur statut n'est pas différent de celui des primes que l'on verse dans le cadre d'un contrat d'assurance classique. L'État, constatant que, du fait d'un très faible taux de sinistres, une part écrasante des montants collectés restait inutilisée, a d'abord accepté, en 2000, de réduire le taux de cotisation des banques, avant de préférer reprendre à son compte les obligations du Fonds, ainsi que les sommes accumulées, qui ne sont nullement la propriété des banques : il n'y a pas lieu de rembourser aux assurés les excédents de cotisation qui n'ont pas servi.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, a ajouté qu'il s'agit d'une mesure de bonne gestion, car le risque s'est révélé infime : quelque 8 % de ce qui était prévu. S'agissant du logement social en général, le Gouvernement n'a pas à rougir de son action, car depuis 2002 le nombre des mises en chantier est passé de 40.000 à plus de 100.000.

M. Augustin Bonrepaux a contesté ce dernier point.

M. Charles de Courson a jugé que la limitation à 1,8% de la progression des dépenses de l'État n'est qu'une apparence. Si l'on ajoute le transfert à la sécurité sociale des allégements de charges sociales, on arrive déjà à 2,3%. Et si l'on ajoute les prélèvements sur recettes au profit des collectivités locales et de l'Union européenne, ainsi que les remboursements de dégrèvements d'impôts locaux, on obtient 3,25% de progression. Encore ce chiffre ne tient-il pas compte des 4,61 milliards d'euros alloués à l'AFITF, et qui devraient figurer au budget général, ni des divers crédits d'impôt, dont certains ont été décidés en 2005 et d'autres en 2006 : si l'on additionne tout cela, on arriverait à 380 milliards d'euros de dépenses, au lieu de 362 milliards d'euros en loi de finances initiales pour 2005, soit une augmentation de 5% !

Sans même critiquer particulièrement l'hypothèse de croissance, d'un demi-point plus optimiste que celle qui fait consensus chez les prévisionnistes, le recours aux recettes non fiscales atteint les sommets de l'artifice : dividende exceptionnel de 950 millions d'euros versé par des sociétés d'autoroutes qu'on privatise par ailleurs, prélèvement des 1.400 millions d'euros du Fonds de garantie de l'accession sociale à la propriété que l'État avait alimenté pour deux tiers seulement et les banques pour un tiers, écrêtement de la trésorerie de l'Institut géographique national pour un montant de 110 millions d'euros, vente pour 350 millions d'euros d'éléments du patrimoine de RFF non affectés au service ferroviaire, surdividende d'EDF... En d'autres termes, le Gouvernement boucle son budget avec des recettes tout à fait exceptionnelles et non reconductibles.

Il en résulte que la part des prélèvements obligatoires dans le PIB continue de s'accroître : ils représentaient 51% de la richesse supplémentaire créée au cours des quatre dernières années, et 58% cette année. Il n'est pas possible de continuer ainsi sans peser gravement sur la croissance et l'emploi.

M. Pascal Terrasse a constaté que ce projet de budget, présenté par ses auteurs comme vertueux, ne mérite guère ce qualificatif, et s'est enquis de l'ampleur des dernières régulations budgétaires, ainsi que de leur répartition par ministère, qui n'ont toujours pas été communiquées aux parlementaires. Il s'est par ailleurs étonné qu'un gouvernement ayant porté de vives critiques contre le FOREC crée, avec le transfert du produit de la taxe sur les salaires à l'ACOSS, une tuyauterie supplémentaire des plus contestables.

M. Jean-Yves Chamard a dit trouver, s'agissant du recours aux recettes non fiscales, quelques excuses au Gouvernement, qui ne peut plus tabler sur les 8 milliards d'euros de la soulte d'EDF, mais a jugé plus critiquable sa timidité en matière de réduction du nombre d'emplois publics. On se contente de 5.000 suppressions au lieu des 8.000 initialement prévues, en arguant pour cela de l'application de la nouvelle loi scolaire, mais en négligeant le fait que 20.000 enseignants au moins se retrouvent sans service à faire, et en créant par ailleurs quelque 48.000 emplois aidés.

M. Michel Bouvard a regretté que les plafonds d'autorisation d'emplois ne figurent qu'à l'annexe C, et non à l'article 55, ce qui fausse la capacité du Parlement a modifié ces plafonds et n'est pas tout à fait conforme à l'esprit de la LOLF. Or le décalage de quelque 130.000 emplois que l'on observe entre les plafonds fixés par le projet de loi de finances et les récapitulatifs contenus dans les « verts » de 2005 rend les parlementaires soucieux de pouvoir utiliser pleinement leur capacité d'amender les plafonds d'autorisation d'emplois.

Il s'est par ailleurs inquiété de l'ampleur de la dérogation accordée au ministère de la défense quant au report de ses crédits : non seulement il pourra reporter jusqu'à 97,5% de ses dépenses en capital, au lieu de 3% pour les autres ministères, mais cette possibilité lui est ouverte sans limitation de temps. Un tel précédent est extrêmement dangereux, peut-être même est-il inconstitutionnel.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget à la réforme de l'État, a dit souhaiter que la question des allégements de charges fasse l'objet, une fois que le budget sera voté, d'une réflexion aussi dépassionnée que possible, et a opéré une distinction entre les allégements actifs, qui visent à diminuer le coût du travail, et les allégements passifs, destinés à compenser certaines décisions de l'État, tel le passage aux 35 heures. Serait-il envisageable d'expliquer aux entreprises que l'on cesse de compenser cette mesure ? Quant au transfert des recettes de la taxe sur les salaires, il se justifie par le fait que les allégements de charges sociales ne sont pas des dépenses, mais une atténuation des prélèvements obligatoires. Cela n'a donc rien à voir avec la création d'un établissement public tel que le FOREC.

Reste qu'il serait sans doute judicieux de passer sans tarder à l'étape suivante, c'est-à-dire à la « barémisation », qui permettrait d'améliorer la lisibilité du système et de simplifier la vie quotidienne des entreprises, en affichant d'emblée le taux de cotisation réel, soit 26%, et non plus le taux de cotisation théorique avant exonérations. C'est d'ailleurs le même raisonnement qui a conduit à intégrer au barème de l'impôt sur le revenu la déduction de 20%.

Les prélèvements sur recettes ne constituent pas des dépenses, mais des moins-values de recettes : ce n'est pas le Gouvernement qui le dit, c'est le Conseil constitutionnel.

M. Charles de Courson a contesté ce point.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, a rappelé que l'AFITF était née de la volonté du Parlement de créer une structure spécifiquement dédiée à des projets d'investissements stratégiques. Les recettes patrimoniales qui lui sont affectées vont à des dépenses d'avenir, ce qui n'est pas contraire à l'orthodoxie budgétaire. Lorsque le Gouvernement a décidé d'ouvrir le capital des sociétés d'autoroutes, il a d'abord annoncé que le produit des cessions serait affecté en totalité au désendettement, avant d'accepter, à la demande d'un très grand nombre de parlementaires de toutes tendances politiques, d'en réserver une partie à l'AFITF.

Le recours aux recettes non fiscales est traditionnel, car d'ultimes ajustements sont toujours nécessaires au moment de boucler le projet de loi de finances. Le Gouvernement devait en outre faire face à une double contrainte que n'avaient pas ses prédécesseurs : la cessation du versement de la CADES, d'une part, et la forte progression des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales et de l'Union européenne, d'autre part, soit au total quelque 5 milliards d'euros supplémentaires à trouver. Malgré cela, et malgré l'absence de soulte EDF cette année, il a réussi à boucler le budget, en recourant il est vrai à quelques recettes non reconductibles, mais dont le principe n'a rien de choquant, qu'il s'agisse du Fonds de garantie de l'accession sociale à la propriété ou encore du dividende exceptionnel lié à la plus-value de cession des sociétés d'autoroutes.

Si le montant et la répartition de l'ensemble des régulations budgétaires n'ont pas encore été communiqués aux parlementaires, c'est tout simplement parce que tout n'est pas encore décidé ni finalisé. Lorsque que ce sera le cas, tous les éléments leur seront évidemment transmis.

Si les non-remplacements de départs à la retraite sont moins nombreux cette année que l'année précédente, c'est en raison de la loi sur l'école, votée par le Parlement en mai 2005, soit très peu de temps avant l'élaboration du projet de loi de finances. Le Gouvernement n'a pas souhaité avoir, en cette matière, une approche idéologique, mais progressive et raisonnée, de façon à ne pas donner aux fonctionnaires le sentiment d'un manque de considération à leur égard. Pour autant, le chantier de la modernisation de la fonction publique n'est pas abandonné, loin de là, puisque va être lancé le plus grand programme d'audit de l'État qui ait jamais existé : à raison d'un ou deux pôles ministériels tous les deux mois, un diagnostic précis de l'état de l'ensemble des administrations, en termes d'effectifs, de moyens matériels, d'organisation, pourra être dressé en l'espace d'un an environ, et assorti de propositions, qui pourront notamment consister à supprimer des moyens là où il y en a trop et à en ajouter là où il y en a besoin.

Le Président Pierre Méhaignerie a déploré que, lors de la seconde délibération du projet de loi de finances pour 2005, le Gouvernement soit revenu sur une suppression qui avait recueilli l'approbation de l'ensemble des groupes, et observé que nombre de ministres continuent de se prévaloir, lorsqu'ils présentent leur budget à la presse, de moyens en hausse de 4 à 5 %, la stabilité des crédits et des effectifs de leur ministère étant compensée par la progression de ceux des établissements publics dont ils ont la tutelle. La réforme de l'État sera une œuvre de longue haleine.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et la réforme de l'État, a souligné que les conclusions des audits seront écrites et publiques, et que les suites qui leur seront données seront affaires de volonté politique. Il a estimé que la réintégration de l'état C dans l'article 55 n'aurait, du point de vue de la transparence, que des avantages, et reconnu que les reports de crédits du ministère de la défense sont une question délicate.

Le Président Pierre Méhaignerie a remercié le ministre délégué pour ses réponses et insisté sur la nécessité de maîtriser la dépense publique, car les pays d'Europe qui y sont parvenus sont les mêmes qui ont su stimuler la croissance, l'emploi et le pouvoir d'achat.


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