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COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 46

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 1er février 2006
(Séance de 16 h 30)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean-Pierre Aubert, Président du Consortium de réalisation (CDR) et de M. Bertrand Schneiter, Président du conseil d'administration de l'EPFR, sur les perspectives du CDR et communication de M. Charles de Courson sur le CDR

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La Commission a procédé à l'audition de M. Jean-Pierre Aubert, Président du Consortium de réalisation (CDR) et de M. Bertrand Schneiter, Président du conseil d'administration de l'EPFR, sur les perspectives du CDR, accompagné de M. Pierre Denizet, directeur général adjoint.

M. Jean-Pierre Aubert a tout d'abord rappelé que la création du CDR a été prévue par un protocole signé le 5 avril 1995 entre l'État et le Crédit Lyonnais, pour éviter la faillite de ce dernier et une crise majeure du système bancaire. Contrôlé à l'origine par le Crédit Lyonnais, le CDR est depuis 1998 détenu à 100 % par l'Établissement Public de Financement et de Restructuration (EPFR) que la loi du 28 novembre 1995 a institué pour financer la défaisance du Crédit Lyonnais. En 1995, le CDR a reçu du Crédit Lyonnais un portefeuille d'actifs de 28,3 milliards d'euros contre un paiement de 18,82 milliards d'euros effectué au moyen d'un prêt de même montant de l'EPFR, la différence constituant un passif vis-à-vis de tiers. Ce portefeuille était très disparate. Il allait de plusieurs milliers de créances de montant souvent faible à une créance de 1,5 milliard d'euros sur MGM, d'un patrimoine immobilier de 900.000 m2 de foncier bâti constitué de caves, parkings, mais aussi de sièges sociaux comme ceux de CFAO ou du groupe Lagardère, de 45 hôtels et de 29 golfs, ainsi que de 849 hectares de terrains à construire en France et à l'étranger. Il était également composé de 56 participations contrôlées majoritairement, qui généraient au total 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires et employaient 30.000 personnes, dont Sligos et Concept dans le secteur informatique, AOM dans le transport aérien, Mory dans la messagerie, le groupe Mallart dans le transport et la distribution, racheté par le CDR en 1996 pour éviter le dépôt de bilan, les bennes Marrel, Saged dans le traitement des déchets, la société de bourse Exane et les Assurances Saint Honoré dans le secteur financier, ainsi que de 600 participations minoritaires de sociétés cotées ou non, dont certaines transférées au CDR à la demande expresse de Bruxelles comme Générale des Eaux, Lyonnaise des Eaux, Canal +, TF1, Bouygues, Alcatel Alsthom, Framatome, Aérospatiale, Total, ou encore Usinor Sacilor. Ce transfert comportait également 2.600 dossiers contentieux, dont certains étaient en cours comme ceux de Marland ou Tapie, et d'autres ne sont apparus que plus tard comme Executive Life.

À la fin de l'année 2005, le portefeuille résiduel est de 840 millions d'euros, soit 3 % du portefeuille d'origine, et sa valeur nette comptable est estimée à 137 millions d'euros. Cette décote de 85 % montre que l'on touche le fond de la cuve. Cela signifie que les affaires restantes pourront être difficilement liquidées du fait des procédures judiciaires en cours. Il reste également 300 contentieux à clôturer, représentant environ 200 affaires. Il faut, enfin, radier 190 sociétés sur les 1.500 acquises à l'origine, dont un grand nombre de SCI ou de SNC immobilières qui ne portent plus d'actifs.

À cette même date, le coût de l'intervention du CDR est estimé à 10,4 milliards d'euros. Il comprend pour 15 % la totalité des frais généraux de l'origine jusqu'à la fermeture définitive du CDR, et, pour le reste, la perte sur cessions d'actifs et sur contentieux diminuée des plus-values réalisées sur de très belles participations. À ce coût, qui est celui du CDR stricto sensu, il y a lieu d'ajouter le coût du financement supporté par l'EPFR et la prise en charge directe par lui de quelques risques limitativement énumérés, tels qu'Executive Life.

Le coût du CDR a pu être ramené de 14,69 milliards à 10,4 milliards d'euros par la recherche d'une optimisation des actifs, par une gestion active des risques, et par la maîtrise des dépenses de fonctionnement. Dans les trois premières années d'existence du CDR, la priorité avait été donnée à une liquidation rapide. Ainsi, M. Michel Rouger soulignait dans son message commentant l'exercice 1996 que l'objectif assigné au CDR était « d'avoir réduit le portefeuille des deux tiers avant fin 1998 ». À fin 1997, le portefeuille avait été diminué de 60 %, passant de 28,3 milliards d'euros à 11,3 milliards d'euros.

La contrepartie de ces cessions accélérées a été, en dépit de la réalisation de quelques belles plus-values sur titres, l'enregistrement d'une perte de 7,5 milliards d'euros dont, il est vrai, une perte de 1,5 milliard sur la seule créance MGM, qui n'est pas due à une cession hâtive, mais aux actions frauduleuses commises notamment par les anciens actionnaires de ce studio américain. Le 8 février 1998, une lettre de M. Dominique Strauss-Kahn adressée à MM. Raymond Lévy et François Lemasson, respectivement Président du Conseil de Surveillance et Président du Directoire du CDR, a fixé un nouveau cap, visant à mettre en œuvre « une stratégie qui ne devra plus être exclusivement liquidative, mais au contraire déterminée dans le souci de valoriser au mieux les actifs du CDR dans le respect des intérêts de l'État ». Cette orientation a été confirmée, d'abord par M. Laurent Fabius approuvant le contrat d'entreprise 2002-2005 et l'avenant n° 20 au protocole de 1995, et en 2004, par une lettre de M. Nicolas Sarkozy demandant d'adosser le CDR à la Caisse des Dépôts et Consignations.

En complément de cette valorisation des actifs, le contrat d'entreprise 2002-2005 a fixé comme objectif prioritaire une maîtrise accrue des frais généraux. Le CDR a dépensé au total sur ces quatre années 277 millions d'euros, dont 124 millions d'honoraires contentieux, sur un total de 1.462 millions d'euros depuis 1995. La maîtrise des frais généraux pendant cette période est due d'abord à l'externalisation systématique des fonctions supports et à la diminution rapide des effectifs : de 24 personnes aujourd'hui, ils devraient être de 10 personnes à fin 2006, contre 161 personnes à fin 2001 et 465 en 1996. Les honoraires liés aux contentieux se sont élevés, depuis l'origine, à 261 millions d'euros dont 120 millions d'euros pour le seul dossier Executive Life. En dehors de ce dossier, extraordinaire dans tous les sens du terme, le coût moyen unitaire des 2.600 dossiers traités ressort à 55.000 euros. Le CDR a gagné un dossier sur deux, en a perdu un sur dix et, pour le reste, a transigé dans des conditions acceptables, voire satisfaisantes.

Sur la période 2002-2005, les honoraires versés aux avocats et aux banques d'affaires pour la vente des actifs ont été de 16 millions d'euros sur un total de 217 millions d'euros versés depuis l'origine. Ce chiffre de 217 millions représente lui-même 0,78 % du portefeuille de 28,3 milliards d'euros et 1,3 % du montant des encaissements : ces pourcentages sont dans la fourchette basse des pratiques en vigueur.

Au total, la perte a pu être réduite de 2002 à 2005 d'environ 550 millions d'euros sur les 4,3 milliards d'euros de réduction totale, alors que le portefeuille résiduel était largement illiquide et que les 1.350 contentieux en cours avaient une ancienneté moyenne de l'ordre de 10 ans.

L'arrêt rendu le 30 septembre 2005 par la Cour d'appel de Paris dans l'affaire Tapie-Adidas, condamnant le Crédit Lyonnais et le CDR à payer aux liquidateurs du groupe Tapie la somme de 135 millions d'euros, a surpris beaucoup de commentateurs. Les avocats consultés, connaissant déjà le dossier ou l'abordant avec un œil neuf, ont estimé que la cassation s'impose, d'abord parce que la Cour d'appel a fondé l'indemnisation du groupe Tapie sur un défaut de financement par le Crédit Lyonnais ayant empêché la réalisation d'une plus-value, alors que le mandataire n'a pas l'obligation de financer son mandant et qu'il est par ailleurs poursuivi pour soutien abusif. Mais la cassation s'impose aussi parce que la Cour d'appel a indemnisé une perte de chance en allouant des dommages intérêts représentant 100 % du gain éventuel, ce que prohibe une jurisprudence constante de la Cour de cassation.

Le jeudi 12 janvier 2006, le Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie a publié un communiqué indiquant que « Compte tenu des éléments du dossier opposant le Consortium de Réalisation et la liquidation du groupe Tapie, et de l'analyse des trois hautes personnalités indépendantes nommées par le Ministre, les deux représentants de l'État au sein du conseil d'administration de l'EPFR du 18 janvier 2006, ne formuleront pas d'objection à la décision du CDR de se pourvoir en cassation sur l'arrêt de la Cour d'appel de Paris ». Le conseil d'administration du 18 janvier 2006 de l'EPFR qui, supportant directement la charge financière de ce risque, dispose de la décision en dernier ressort, a effectivement décidé qu'il n'avait pas d'objection à la formation du pourvoi, déposé le lundi 30 janvier 2006 par le CDR, qui a demandé au Premier Président de la Cour de cassation qu'il soit examiné en procédure d'urgence, ce qu'il a accepté en fixant au 4 juillet 2006 l'audience à laquelle il sera examiné par la chambre commerciale.

Le dossier Executive Life a commencé avec la dénonciation, en 1998, de fraudes qu'auraient prétendument commises le Crédit Lyonnais et sa filiale Altus en achetant la compagnie californienne d'assurance-vie et son portefeuille de Junk Bonds. Entre 1999 et 2001, le dossier avait déjà fait l'objet d'analyses juridiques approfondies dont il ressortait que le risque se chiffrait en milliards de dollars, et de nombreuses discussions avaient été engagées avec le Ministère fédéral de la Justice aux États-Unis et le Parquet fédéral de Los Angeles, sans qu'aucun accord ne soit en vue.

Dès 2002, en plein accord avec les pouvoirs publics, ont été relancées de façon prioritaire les démarches tendant à obtenir des autorités américaines l'application à cette affaire du National Treatment, consistant à obtenir l'application de la jurisprudence créée à l'occasion du sauvetage des Caisses d'Épargne américaines aboutissant à ne pas les condamner pour les fautes commises avant leur réhabilitation par le Gouvernement américain, pour éviter que le contribuable américain ne paye deux fois ce sauvetage d'un coût de l'ordre de 100 milliards de dollars dans les années 80. Cette jurisprudence devait s'appliquer au Crédit Lyonnais, dont le sauvetage par l'État français, en liaison avec la Commission européenne, avait permis d'éviter une crise systémique du système bancaire international. Le 16 janvier 2003, M. Chertoff, actuel Ministre de la sécurité intérieure des États-Unis, et à l'époque principal adjoint du Ministre de la Justice, a fait part à M. Levitte, Ambassadeur de France, et aux avocats de la France et du CDR, de la décision du gouvernement américain de ne pas accorder le bénéfice du National Treatment au Crédit Lyonnais en raison des fautes qu'il aurait commises après sa réhabilitation. Il fallait donc plaider ou transiger.

L'appréciation des risques liés à la poursuite du contentieux donnait le vertige. Outre une amende pouvant s'élever à des centaines de millions de dollars, le risque était surtout que le Crédit Lyonnais, et le CDR, venant aux droits et obligations d'Altus, soient reconnus coupables par un jury populaire de fautes les mettant en grave danger dans les futures procédures civiles où l'enjeu se comptait en milliards de dollars. De plus, le risque était grand que le Crédit Lyonnais, s'il était reconnu coupable des fautes dont le Parquet l'accusait, se voit retirer par la FED sa licence d'exercer son activité de banque aux États-Unis.

Après de multiples négociations et rebondissements, un accord transactionnel est intervenu le 15 décembre 2003 entre le Parquet fédéral de Californie et le Crédit Lyonnais, le CDR, la MAAF et Artémis. Le Crédit Lyonnais et le CDR ont reconnu des fautes techniques aussi neutres que possible par rapport aux procédures civiles. Le Crédit Lyonnais a dû verser une amende pénale de 100 millions de dollars et une amende administrative à la FED d'un même montant. Le CDR, en tant que garant, a remboursé au Crédit Lyonnais les 100 millions d'amende payés à la FED, et a versé 375 millions de dollars à valoir sur les procédures civiles. En présence des demandes déposées par le Commissaire aux assurances de Californie et la compagnie d'assurances Sierra auprès du Tribunal de Los Angeles, la même alternative entre procès ou transaction s'est présentée au plan civil. Là encore, le risque d'une lourde condamnation par un jury a conduit le Conseil d'administration du CDR à proposer au Ministre de l'Économie et des Finances et à l'EPFR une transaction sur la base d'un paiement de 600 millions de dollars incluant les 375 millions de dollars déjà versés dans le cadre de la transaction pénale. Si l'énormité des chiffres est évidente, ils ne sont pas inusuels dans la pratique américaine. Une séquelle judiciaire de dernière minute, comme il en arrive souvent aux États-Unis, a surgi avec une réclamation d'AIG venant se plaindre 12 ans plus tard qu'elle aurait subi un préjudice dans cette affaire.

Au total, il ne semble pas que le CDR soit une « machine à perdre », comme on l'a trop souvent qualifié par une formule injuste que dénonçait déjà M. Raymond Lévy. Le coût est très élevé, mais il découle des actifs et des risques hérités du Crédit Lyonnais dont l'analyse exacte a conduit les pouvoirs publics à créer le CDR pour éviter la faillite du Crédit Lyonnais. Grâce à l'action du CDR, tendant notamment à partir de 1998 à mieux valoriser les actifs, le coût a pu être réduit d'environ 4,3 milliards d'euros par rapport aux premières estimations.

À ce résultat, la gestion du CDR sur la période 2002-2005 a contribué à hauteur de 550 millions d'euros. Certes, le résultat semble modeste. Mais il doit être apprécié en tenant compte du fait que, par définition, les actifs qui restaient étaient les moins liquides, et que les contentieux en cours étaient les plus lourds.

Tout n'a pas été réussi comme on pouvait le souhaiter, le dossier Adidas est là pour le rappeler, mais le mélange entre valorisation des actifs et délai de réalisation préconisé par le contrat d'entreprise 2002-2005 a été positif.

Au début de 2006, le CDR est entré en phase d'extinction avec l'appui logistique de la Caisse des Dépôts et Consignations conformément au protocole signé avec elle le 5 avril 2005. Cet accord a le mérite supplémentaire de délivrer aux débiteurs récalcitrants et aux procéduriers en tout genre le message que le temps ne jouera pas en leur faveur. La continuité de la défense des finances publiques reste essentielle pour éviter des défauts de paiement ou des procédures abusives. Il faudra en tout état de cause gérer les contentieux qui subsistent et notamment les procédures collectives. La durée de ces liquidations, et d'une façon plus générale le rythme judiciaire, principalement des instances pénales, sont l'explication essentielle de la durée de vie du CDR, qui approche toutefois de son terme.

En conclusion, M. Jean-Pierre Aubert a tenu à remercier le Président de l'EPFR et les pouvoirs publics pour la confiance qu'ils lui ont accordée, le Conseil d'administration du CDR pour son implication totale, et le personnel pour sa mobilisation.

M. Bertrand Schneiter, Président du conseil d'administration de l'Établissement public de financement et de restructuration (EPFR), a rappelé que la gestion de la défaisance du Crédit lyonnais avait été confiée entièrement au Consortium de réalisation (CDR). Ce dernier est contrôlé par l'EPFR, établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie. L'EPFR porte le crédit de 145 milliards de francs ouvert en 1995 par le Crédit lyonnais, dont l'échéance est en 2014, rémunéré au taux EONIA depuis 2000. Plusieurs tranches de ce crédit ont été titrisées mais il est remboursable de manière anticipée à la demande du débiteur. L'EPFR est l'actionnaire unique de CDR - son président est membre du conseil d'administration - et il assure son financement sous forme d'un prêt participatif, rémunéré par la remontée annuelle des résultats du CDR. Les ressources de l'EPFR sont constituées par les résultats annuels de CDR, par les dotations en capital que lui verse annuellement l'État et par le produit net de la privatisation du Crédit Lyonnais en 1999.

La surveillance des opérations du CDR par l'EPFR est assurée par la participation du Président au conseil d'administration et au comité des opérations du CDR, les rapports de la Mission de contrôle économique et financier et la présence quasi-systématique des dirigeants du CDR au conseil d'administration de l'EPFR. Celui-ci examine annuellement les budgets et les comptes arrêtés par le conseil d'administration et exerce une mission de surveillance de l'activité du CDR. Il est par ailleurs consulté par le CDR sur la gestion des contentieux les plus lourds afférent aux « risques non chiffrables », dont l'EPFR est le garant.

Depuis sa création en 1995, l'EPFR a reçu, au titre de la privatisation du Crédit lyonnais, un produit net de 5,09 milliards d'euros et de l'État, 8,43 milliards d'euros sous forme de dotations en capital. Il doit encore, sur l'emprunt du Crédit Lyonnais, dont l'échéance est en 2014, un montant principal de 4,6 milliards d'euros. En contrepartie, fin 2005, l'EPFR avait couvert les charges directes du cantonnement à hauteur de 10,8 milliards d'euros et supporté en outre, au titre des charges d'intérêts, un montant estimé, fin 2005, à 7,12 milliards d'euros.

Sur la période récente, les remontées de résultats sur les risques portés par le CDR ont été compensées au niveau de l'EPFR par la couverture directe des risques non chiffrables, qui se sont élevés à 653 millions d'euros dont 568 millions d'euros pour Executive Life. Un autre facteur de la charge du cantonnement est le rythme d'amortissement de l'emprunt. Ce rythme est dicté par l'État, en fonction des priorités d'affectation des recettes du compte d'affectation spéciale des participations financières de l'État. L'emprunt dont l'échéance est en 2014, est rémunéré au taux EONIA, soit 2,1 % en moyenne sur 2005, à comparer au rendement actuel de l'OAT dont l'échéance est en 2014, qui est de 3,45 %. Il présente donc un taux particulièrement avantageux. Cette dette est la moins coûteuse du secteur public, ce qui justifie que l'amortissement ne soit pas accéléré par l'État.

Le conseil d'administration de l'EPFR a considéré que l'année 2006 devrait être mise à profit pour achever le nettoyage aussi complet que possible du bilan du CDR. Le principal frein réside dans les contentieux restant, dont certains sont très médiatisés. L'EPFR devra déterminer, avant l'été, les modalités qu'il proposera à l'État pour assurer la meilleure gestion finale des dossiers du CDR, en liaison avec la Caisse des dépôts et consignations. Économie de moyens, sécurité des opérations et maintien du rôle de financement et de surveillance confié par la loi à l'EPFR seront, pour le Président de l'EPFR, les critères déterminants des propositions à définir.

M. Charles de Courson, administrateur de l'EPFR depuis 2002, a souligné que l'EPFR et le CDR auront achevé, fin 2006, l'essentiel de leurs missions. À fin 2004, la valeur brute des actifs n'atteint plus que 1,302 milliard d'euros et 0,827 milliard d'euros à fin 2005 contre 28,365 milliards à fin 1994 ; ainsi, en 11 ans, 97 % de la valeur des actifs bruts a été réalisée. La valeur nette comptable de ces 1,3 milliard d'euros ne représente que 189 millions d'euros dont 115 millions d'euros de créances pour 913 millions d'euros de valeur brute, 48 millions d'euros de titres pour 312 millions de valeur brute et 26 millions d'euros d'immeubles pour 72 millions de valeur brute.

À la fin 2005, la valeur nette comptable est de 127 millions d'euros et à la fin 2006, on estime à 15 millions d'euros la valeur nette comptable.

Il reste deux grands contentieux à régler, en premier lieu celui d'Exécutive Life, dont le coût global est de 600 millions de dollars, plus 120 millions de dollars d'honoraires. Le seul risque important de ce dossier est qu'Artemis se retourne contre le CDR dès qu'elle connaîtra le montant de sa condamnation au pénal et au civil ou que d'autres acteurs de cette affaire attaquent le CDR pour obtenir réparation. Dans cette affaire, l'État a trop tardé et l'administrateur représentant l'Assemblée nationale a plaidé constamment en faveur d'un accord transactionnel qui, s'il avait été défendu dès 2000-2001, aurait pu permettre d'économiser 500 à 600 millions de dollars.

S'agissant, en second lieu, des affaires Tapie, Adidas constitue la clef de voûte des contentieux. Les procédures se sont accumulées depuis 1992 et ont entraîné le blocage des autres dossiers. Après une tentative de conciliation qui a échoué du fait de la volonté de M. Tapie de sortir in bonis et de la nécessité d'annuler des créances fiscales importantes, il fallut attendre la décision de la Cour d'appel de Paris, en faveur de M. Tapie pour se reposer la question du pourvoi en cassation ou d'une nouvelle tentative de conciliation. L'échec de cette tentative est lié à la demande de Bernard Tapie de bénéficier de 160 millions d'euros en plus des 135 millions d'euros d'indemnités fixés par l'arrêt de la Cour d'appel. On peut considérer que les chances de faire annuler en cassation l'arrêt de la Cour d'appel de Paris sont élevées. Au pire, le coût sera au maximum de 250 millions d'euros et, au mieux, il sera nul.

Les autres risques non chiffrables sont liés à de petits dossiers, dont les coûts sont provisionnés. Le coût global de la défaisance du Crédit Lyonnais est de l'ordre de 16 milliards d'euros constants, non compris la perte de valeur du Crédit Lyonnais entre 1990 et 1994. Coté EPFR, le coût en euros courants est de l'ordre de 14,47 milliards d'euros financés par 9,91 milliards d'euros de dotations en capital versés par l'État - soit 8,21 milliards d'euros de dotations proprement dites et 1,70 milliard euros de cessions des titres du Crédit Lyonnais - et 4,56 milliards d'euros de dettes nettes à rembourser jusqu'en 2014.

Au total, les sommes en jeu sont de 14,47 milliards d'euros non compris deux annulations de dettes : 1,21 milliard d'euros en 1995 et 2,44 milliards d'euros en 1997. Si on actualise avec un taux d'intérêt de 4 %, on obtient le chiffre de 16,26 milliards d'euros, en euros constants, sans compter les 5,25 milliards d'euros d'annulation de dettes. Côté État, à cette somme, il faut ajouter la perte de valeur du Crédit Lyonnais entre 1990 et 1994, qui est de l'ordre de 3 milliards d'euros environ.

Une convention a été signée avec la Caisse des Dépôts et Consignations pour gérer les derniers contentieux qui peuvent durer encore des années. Il ne restera plus au CDR que 10 personnes à la fin de 2006. Quel est l'intérêt de maintenir de telles structures alors que leurs missions sont pour l'essentiel achevées ? De plus ne faudrait-t-il pas intégrer dans la dette publique la dette résiduelle de 5,76 milliards d'euros à fin 2004, de 4,61 milliards d'euros à fin 2005 et de 4,10 milliards à fin 2006. Entre 2005 et 2009, l'annuité sera de 671 millions d'euros, puis de 430 millions d'euros entre 2010 et 2014 ? Au sens de Maastricht, la dette du CDR est d'ores et déjà intégrée dans la dette publique.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a salué le travail effectué par le CDR, l'EPFR ainsi que par M. Charles de Courson. S'agissant de l'évaluation générale du coût pour l'État, il convient de prendre en compte les augmentations du capital du Crédit lyonnais pendant la période de crise, soit 1,3 milliard d'euros, la dotation de l'État à l'EPFR, soit 8,4 milliards d'euros, et les dotations à venir de l'État, compte tenu des contentieux en cours, soit 5 milliards d'euros. Cela représente un montant global de 15 milliards d'euros environ. Il faut cependant aussi prendre en compte la valorisation du Crédit lyonnais, qui était estimé à 3 milliards d'euros en 1990. Il a été cédé, en 1999 et en 2002, pour respectivement 5 milliards et 2,2 milliards d'euros. Il faudrait comparer cette valorisation avec celle d'autres banques sur la même période mais il semble que, compte tenu de cette valorisation, le coût global pour l'État soit proche de 15 milliards d'euros et non de 20 milliards d'euros. S'agissant de l'avenir de l'EPFR, celui-ci fonctionne aujourd'hui avec une équipe réduite, alors qu'il y a encore des contentieux non soldés. Il serait dommage de perdre ce savoir-faire, compte tenu des centaines de millions d'euros qui sont en jeu. Le CDR a, dans le passé, récupéré une participation dans la société Usinor-Sacilor. Quand a-t-elle été vendue et y a-t-il eu des instructions en ce sens ?

M. Jean-Pierre Aubert a indiqué que les dernières ventes des actions Usinor-Sacilor dataient de 2003. Alors qu'il avait été initialement prévu de ne donner au CDR que des actifs dévalorisés, compte tenu de l'opposition de Bruxelles, il a finalement été décidé que le CDR hériterait également de quelques actifs de bonne qualité.

M. Didier Migaud a indiqué que cette audition était tout à fait pertinente car il est légitime que la commission des Finances se penche sur ce dossier compte tenu de son coût pour l'État.

La création de cette structure de cantonnement a-t-elle été pertinente ? D'autres formules auraient-elles pu être envisagées ? Quelle est l'estimation du coût final pour l'État ? Les structures qui ont été créées ont-elles encore une justification aujourd'hui et, si tel est le cas, jusqu'à quand faut-il les maintenir ? S'agissant de l'affaire Executive Life, l'ancien Président du Crédit lyonnais continue de penser qu'une transaction était une erreur. Quel jugement faut-il porter sur la transaction, compte tenu des risques encourus ? S'agissant de l'affaire Tapie, la Cour d'appel semble ne pas avoir prononcé le meilleur jugement possible et un pourvoi en cassation apparaît pertinent. Pourquoi avoir tant attendu avant de former ce pourvoi ? Des négociations ont-elles été entreprises avec M. Tapie ?

M. Louis Giscard d'Estaing s'est interrogé sur les conséquences qui auraient résulté pour l'État d'une faillite du Crédit Lyonnais. Lors de la reprise du Crédit Lyonnais par le Crédit Agricole, y avait-il une garantie de bilan dans les clauses de cessions relative à l'affaire Executive Life ? Lors de l'examen de la proposition de résolution de M. Gilbert Gantier tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'affaire Executive Life, la Commission avait été informée qu'une telle démarche était alors inopportune. À quel moment le Parlement pourra-t-il s'informer pleinement de ces enjeux ?

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé que les principes de responsabilité et d'équité devaient guider à la résolution de l'affaire en cause.

M. Jean-Pierre Aubert a indiqué que le CDR détenait, dans son portefeuille initial, 2,5 % du capital d'Usinor-Sacilor, 6,95 % de Bouygues, 5,79 % de Rhône-Poulenc et 3,13 % de Total. Ces titres ont été cédés en bourse, essentiellement avant 2002.

S'agissant de l'opportunité de créer une structure de défaisance, il convient de noter que le passif des caisses d'épargne américaines, soit 100 milliards de dollars, a été pris en charge de la même façon au cours des années 1980. La seule alternative à la création de cette structure eût consisté à augmenter le capital du Crédit Lyonnais, pour permettre la gestion interne de ces actifs. Il n'était pas possible que le Crédit Lyonnais dépose son bilan sans qu'un risque systémique majeur n'apparaisse au plan mondial. À titre de comparaison, le fond américain LTCM a été sauvé par toutes les grandes banques du monde à cause des inquiétudes quant à la solvabilité du secteur financier qu'aurait provoqué sa défaillance.

M. Bertrand Schneiter a ajouté que l'actionnaire unique du Crédit Lyonnais en 1995 ne pouvait pas être considéré comme insolvable.

En ce qui concerne l'estimation du coût final des opérations pour l'État, M. Jean-Pierre Aubert a indiqué ne pas pouvoir fournir une estimation globale mais seulement le coût du point de vue du CDR. L'estimation réalisée fin 1994 atteignait 14,69 milliards d'euros. Ce coût serait aujourd'hui de 10,4 milliards d'euros pour le seul CDR. La structure de défaisance a globalement bien fonctionné. La gestion du temps aura été un atout majeur puisque le CDR n'a pas été contraint à partir de 1998 de vendre les actifs trop rapidement. L'équipe qui anime le CDR connaît bien ses dossiers et gagne plus souvent qu'on ne le dit, puisque le CDR a gagné la moitié de ses contentieux et perdu seulement un dixième de ceux-ci. Les autres ont fait l'objet de transactions.

M. Bertrand Schneiter a estimé que le fonctionnement du CDR était exemplaire au regard de la pratique générale des affaires et que les administrateurs étaient particulièrement actifs.

M. Jean-Pierre Aubert a simplement rappelé que s'agissant de l'affaire Executive Life, M. Peyrelevade était le défenseur le plus acharné d'un accord amiable jusqu'au 15 septembre 2003. Sur ce sujet, il convient d'éviter toute polémique.

M. Charles de Courson a souligné que deux tentatives de transactions ont été entamées en vue d'une transaction, s'agissant des affaires de Bernard Tapie. La première a débuté lorsque M. Nicolas Sarkozy était ministre des finances. Elle a échoué car le Conseil d'administration de l'EPFR a opportunément estimé que Bernard Tapie ne pourrait pas bénéficier du moindre euro à titre personnel. La seconde tentative de transaction a été lancée après l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris. Bernard Tapie a demandé 160 millions d'euros et non 140 millions d'euros comme il l'a indiqué dans la presse. Le Gouvernement a refusé cette demande.

M. Jean-Pierre Aubert a ajouté que le protocole de 1995 prévoit que le CDR garantit le Crédit Lyonnias sur tous les actifs qui lui ont été transférés. Une trentaine de plaintes reste à examiner, 50 affaires ayant d'ores et déjà été définitivement traitées. Parmi les contentieux toujours pendants, certains courent depuis de nombreuses années : dans l'affaire IBSA (International Bankers SA), le dépôt de plainte remonte à 1994 et l'audience est attendue pour 2007 ; de même, dans l'affaire Marland, l'action publique a été initiée en 1995 et l'instruction n'a été clôturée que récemment.

M. Charles de Courson a indiqué que toute nouvelle demande de création d'une commission d'enquête se heurterait à l'existence de contentieux en cours. Quant au coût global de la défaisance du Crédit Lyonnais, il peut être chiffré de manière incontestable à quelque 14,4 milliards d'euros, soit plus de 16 milliards d'euros après actualisation, somme qu'il faut augmenter des 650 millions d'euros de charge de portage incombant à l'EPFR. À ce total, on peut légitimement ajouter la perte de valeur subie par le Crédit Lyonnais entre 1990 et 1994, soit environ 3 milliards d'euros.


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