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COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 48

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 8 février 2006
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

puis de M. Charles de Courson, Secrétaire

SOMMAIRE

 

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- Audition de MM. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, Bernard Dutreuil, directeur du département Systèmes et moyens de paiement à la Fédération bancaire française et de Mme Catherine Chambon, directrice de l'OCLCTIC (ministère de l'Intérieur), sur la sécurité des cartes bancaires.

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La Commission a procédé à l'audition de MM. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, Bernard Dutreuil, directeur du département Systèmes et moyens de paiement à la Fédération bancaire française et de Mme Catherine Chambon, directrice de l'OCLCTIC (ministère de l'Intérieur), sur la sécurité des cartes bancaires.

M. Christian Noyer a remercié la Commission de l'avoir invité à présenter les principaux résultats des actions conduites par l'Observatoire de la sécurité des cartes de paiement depuis le lancement de ses travaux en 2003.

Trois constats ont motivé la création de l'Observatoire. Premièrement, les cartes ont pris une place majeure comme mode de paiement ; en effet, en 2005, 6,7 milliards de transactions par cartes ont été réalisées, soit plus du tiers des paiements scripturaux effectués par les Français. Le maintien de la confiance des utilisateurs dans cet instrument est donc un élément essentiel de la stabilité financière. Deuxièmement, le succès de ce moyen de paiement en fait une cible de premier plan pour les fraudeurs. Les atteintes à la sécurité des cartes peuvent revêtir une dimension technologique, ce dont atteste la multiplication récente des techniques visant à collecter frauduleusement sur Internet les données attachées à des cartes de paiement. Troisièmement, les rapports parlementaires publiés à l'occasion des débats sur la loi relative à la sécurité quotidienne ont mis en évidence le caractère incomplet et hétérogène des statistiques de fraudes disponibles. De surcroît, il n'existait pas une vision globale des différentes formes que la fraude revêt pour l'ensemble des acteurs concernés, c'est-à-dire les émetteurs, mais aussi les commerçants et les porteurs. Dans ce cadre, le législateur a confié à l'Observatoire trois missions : il est chargé d'effectuer un suivi des mesures de sécurité adoptées par les émetteurs et les commerçants, d'établir des statistiques de fraude, et enfin, de réaliser une veille technologique visant à proposer des moyens de lutter contre les atteintes technologiques à la sécurité des cartes de paiement. Les travaux réalisés par l'Observatoire depuis 2003 ont permis de progresser sensiblement dans ces trois domaines.

Afin de réaliser un suivi des politiques de sécurité des émetteurs et des commerçants, l'Observatoire a d'abord étudié les principes fondamentaux de sécurité qui sont appliqués par les différents systèmes de paiement par cartes, dans le domaine de l'émission des cartes, de l'acquisition des transactions et de la lutte contre la fraude. Des différences significatives ont été identifiées selon que le système de paiement par carte est constitué sous forme de réseau, dans lequel le nombre d'établissements émetteurs et acquéreurs est réduit ou sous forme d'un réseau dans lequel interviennent un grand nombre d'émetteurs et d'acquéreurs. Il en résulte que tous les systèmes de paiement par carte ne sont pas exposés aux mêmes risques. En conséquence, les mesures de sécurité doivent être adaptées aux caractéristiques de chaque système. En 2004, l'Observatoire a poursuivi ses travaux en menant une étude sur la sécurité des paiements à distance par carte, notamment sur Internet. Le renforcement des mesures de sécurité pour ce type de paiement a eu des résultats notables au niveau national. En effet, le nombre de paiements nationaux frauduleux réalisés à distance a reculé de 20 % entre 2003 et 2004, alors que dans le même temps, la vente à distance progressait sensiblement en France. Le recours croissant à un code à 3 ou 4 chiffres pour la validation des paiements à distance explique en partie cette évolution favorable. Néanmoins, la vigilance reste de mise, car les techniques de fraude évoluent, notamment sur Internet, et l'adoption des mesures n'est pas homogène au niveau international. Dans son programme de travail pour 2005 et 2006, l'Observatoire a inscrit une étude sur la protection des données de cartes dans la filière acquisition. Cela couvre l'ensemble des traitements allant de la remise des transactions par le commerçant jusqu'au règlement des dites transactions par débit du compte du porteur et crédit du compte du commerçant. Ce thème est particulièrement d'actualité, car des cas récents de piratage ont touché successivement des sociétés spécialisées dans l'acquisition des transactions, implantées en Russie et aux États-Unis. Dans les deux cas, des fraudeurs sont parvenus à s'introduire dans le système d'information des dites sociétés et à détourner des millions de données de cartes, dont certaines étaient des cartes françaises. L'Observatoire va donc recenser les mesures existantes en France pour se prémunir contre ce type de situation et protéger les données.

S'agissant de l'élaboration des statistiques de fraudes, les travaux de l'Observatoire ont consisté, en premier lieu, à poser une définition et une typologie de la fraude qui soient connues par l'ensemble des acteurs. En second lieu, l'Observatoire a procédé à la collecte de statistiques de fraudes auprès d'un échantillon de déclarants qui couvre l'ensemble des cartes interbancaires et la plupart des cartes privatives dont l'utilisation par les consommateurs est moindre. L'Observatoire a ainsi pu établir des statistiques de fraudes harmonisées pour 2002, 2003 et 2004. Il en ressort que le taux global de fraude sur les cartes de paiement, toutes transactions nationales et internationales confondues, a été estimé en 2004 à 0,07 %, à comparer avec un taux de 0,09 % en 2003 et de 0,08 % en 2002. Le montant de la fraude passe de 273,7 millions d'euros en 2003 à 241,6 millions d'euros, soit une diminution de 11,7 % alors que dans le même temps les capitaux échangés ont augmenté de 7,8 %, passant de 320 à 345 milliards d'euros. Cependant, cette baisse globale se traduit différemment pour les transactions nationales et internationales. La fraude nationale est stable depuis 2002 et demeure à un niveau très faible de 0,03 %. Les transactions internationales présentent, quant à elles, un taux de fraude nettement supérieur, mais en baisse importante, pour les cartes françaises à l'étranger comme pour les cartes étrangères utilisées en France. Les statistiques de fraude pour l'année 2005 seront communiquées lors de la publication du prochain rapport d'activités de l'Observatoire, en juillet 2006. L'Observatoire poursuit ses efforts méthodologiques et complète progressivement ses indicateurs sur la fraude, en particulier sur l'estimation de la part du préjudice liée à la fraude supportée par les porteurs et les commerçants.

La France se distingue positivement des autres pays européens car, d'une part, des statistiques relatives aux cartes de paiement sont rarement disponibles au niveau national et, d'autre part, la fraude en France est inférieure au niveau moyen de celle enregistrée dans les pays de taille comparable. Par exemple, le taux global de fraude au Royaume-Uni s'élève, en 2004, à 0,14 % pour un montant de transactions de 505 millions de livres, soit un taux de fraude deux fois supérieur à celui de la France.

La troisième mission de l'Observatoire est le maintien d'une veille technologique avec l'objectif que cela puisse permettre de mieux anticiper d'éventuelles nouvelles failles de sécurité. Dans ce cadre, l'Observatoire a étudié plusieurs thèmes particulièrement structurants pour la sécurité des cartes de paiement. Il s'agit de la technologie des cartes sans contact, de l'utilisation possible de l'authentification biométrique dans l'environnement des cartes de paiement, du vol de données de cartes sur Internet, ou bien encore de la nouvelle norme de cartes à puce EMV. En complément, l'Observatoire a mis en place un suivi régulier des attaques d'ordre cryptographiques qui peuvent avoir un impact grave sur la sécurité des transactions. Pour chacun de ces thèmes, l'Observatoire a publié une synthèse assortie d'une recommandation. Les travaux récents, auxquels ont participé M. Jean-Pierre Brard et Mme Nicole Bricq, portent sur l'analyse de l'impact de deux projets européens sur la sécurité des cartes, à savoir une proposition de directive sur les services de paiement dans le marché intérieur et l'établissement d'un espace unifié des paiements en euros (SEPA). Ces deux chantiers majeurs doivent aboutir à l'horizon 2008-2010 et sont de nature à modifier sensiblement la structure du marché des cartes de paiement. Il convient toutefois de veiller à ce que cette harmonisation européenne ne se fasse pas au détriment de la sécurité et d'éviter que le niveau global soit tiré vers le bas. À cet égard, il convient de souligner la préoccupation des membres de l'Observatoire sur les incertitudes qui demeurent dans la proposition de directive sur les services de paiement. Certains aspects de la proposition restent imprécis, comme les délais d'exécution pour le règlement des paiements par carte ou la date à partir de laquelle le paiement devient irrévocable. La proposition de directive prévoit par ailleurs la création d'établissements de paiement, dont le statut, dans l'état actuel du texte, ne paraît pas assez protecteur pour garantir la sécurité des fonds déposés par les utilisateurs.

Parallèlement, le Conseil européen des paiements a adopté, en septembre 2005, un cadre régissant les cartes SEPA. Ce cadre définit des principes de haut niveau que les systèmes de paiement par carte et les établissements émetteurs ou acquéreurs auront à respecter. Des avancées sensibles sont prévisibles sur le plan de la sécurité avec, par exemple, l'obligation pour tous les systèmes opérant dans l'Union européenne d'adopter dès 2010 la carte à puce accompagnée d'un code secret, ce qui constitue un progrès important dans la lutte contre la fraude sur les transactions internationales. Néanmoins, les conditions d'implantation restent encore imprécises. Il convient ainsi d'approfondir certains sujets complexes comme la définition de normes communes d'interopérabilité technique et de sécurité. L'uniformisation des méthodologies d'évaluation des cartes et des terminaux est également un enjeu important car l'expérience, variable d'un pays à l'autre, pourrait tirer la sécurité des cartes et des terminaux vers le bas, avec les risques de fraude que cela comporte.

Il convient enfin de souligner que le décret relatif à l'Observatoire a limité le mandat de son président dans le temps. Dès lors que la Banque de France assure l'animation de cet organisme, il semblerait logique de remédier à cette incohérence et de supprimer cette limitation.

Mme Catherine Chambon a souligné que ce nouveau système a garanti l'harmonisation des outils statistiques et une plus grande transparence en matière de lutte contre la fraude. Le système est plus efficace tant sur le plan de la répression que sur celui de la prévention. Par ailleurs, la Commission européenne a mis en place un groupe de travail spécialisé qui se réunit environ deux fois par an et qui a pour mission de faire des propositions dans le domaine de la sécurité des cartes bancaires. Son champ de compétences est proche de celui de l'Observatoire, puisqu'il concerne la sécurité, la prévention, l'établissement statistique, la gestion des données... Ce groupe de travail s'appuie beaucoup sur les travaux de l'Observatoire.

On constate une augmentation des piratages des bases de données, la fréquence est à peu près d'un piratage par semaine, alors que celle-ci était d'une par mois, voire une par année, il y a peu de temps. Ces piratages proviennent notamment des États-Unis et de la Turquie et posent le problème de la fragilisation des normes de sécurité, alors qu'en France ces normes sont très fortes.

Les ventes par Internet ont beaucoup augmenté, ce qui facilite le commerce en ligne, mais aussi l'utilisation croissante de moyens de fraude sur Internet. Le phising (« hameçonnage ») est apparu récemment en France et reste encore peu développé. Cependant, des affaires comme celles du Crédit Lyonnais montrent les problèmes que ce type de fraude pose et les limites de la communication menée de façon préventive. Le phising peut prendre plusieurs formes ; il concerne notamment les virements de banque à banque. Sont mis en place des outils complexes, qui enregistrent des milliers de mouvements bancaires. Ce phénomène reste néanmoins peu développé en France, car les virements à l'étranger sont très encadrés et très sécurisés. Le phising peut prendre aussi la forme d'appels par courriel de base bancaire. On constate cependant une baisse des fraudes consécutives à l'utilisation du code CVV qui permet de limiter les simples copies de piste. Ce système efficace n'est cependant pas encore suffisamment généralisé. Deux autres systèmes, le système 3 D secure de visa et l'e carte bleue sont efficaces et mériteraient d'être encore développés. De même, l'information délivrée par les agences bancaires aux PME-PMI qui effectuent des ventes à l'étranger pourrait être accentuée.

Les statistiques établies par l'observatoire et le ministère de l'Intérieur font apparaître une diminution des fraudes, notamment dans deux domaines : les falsifications des cartes de crédit, qui diminuent de 3 % entre 2004 et 2005, et les escroqueries et abus de confiance, qui enregistrent une baisse de 2,1 % pendant la même période. Ces chiffres attestent de l'impact positif des mesures de sécurité prises en la matière. Cependant, on assiste à un accroissement du nombre de piratages des distributeurs automatiques de billets, passé de 80 en 2004 à 200 en 2005. Ceux-ci sont principalement intervenus dans les arrondissements les plus riches de la capitale et dans certaines zones très touristiques. Ils sont liés à l'augmentation de la criminalité, favorisée par le fait que les distributeurs, fabriqués par seulement deux entreprises, présentent des systèmes souvent identiques. Le piratage des terminaux de paiement chez les commerçants tend également à se généraliser et appelle donc constamment des mesures de prévention. À cet égard, les fichiers d'analyse fournis par les travaux des observatoires européens dans le cadre d'Europol constituent une source d'informations précieuse.

M. Bernard Dutreuil a indiqué que dans un contexte marqué par le développement des paiements par carte bancaire, la France a cherché à concilier un haut niveau de services et de sécurité. Toutefois, les paiements transfrontaliers, qui supposent souvent le passage d'une technologie à une autre, constituent un maillon faible. L'objectif de l'Union européenne est de faciliter les paiements en Europe en permettant aux consommateurs d'utiliser leur carte en paiement et retrait avec autant de facilité que dans leur propre pays. Cela suppose la transformation des infrastructures et des offres de services existantes, dans un contexte marqué par une forte concurrence économique. Pour obtenir un niveau de sécurité élevé, il a été décidé de généraliser la carte à mémoire sécurisée au standard EMV, avec frappe du code secret. Aujourd'hui, les équipements français sont à cet égard quasiment à niveau - ou le seront d'ici quelques mois. Un travail est mené au plan interbancaire européen pour permettre une meilleure information sur la fraude, davantage de réactivité, et les moyens d'accroître la sécurité des paiements électroniques. Cela suppose néanmoins des mesures d'harmonisation entre les pays, qui connaissent des systèmes de carte différents. La suppression de ces cloisonnements dans un cadre législatif nouveau, introduit par le projet de directive sur les services dans le marché intérieur, pourrait conduire, si nous n'étions pas suffisamment vigilants, à un abaissement des « standards sécuritaires », incompatibles avec le haut niveau d'exigence retenu par la France. Un groupe de travail a donc été créé sur ce sujet au sein de l'Observatoire.

Si cette proposition de directive comporte des éléments de protection des consommateurs et des commerçants, elle n'en présente pas moins encore de nombreux points d'incertitude. Le premier concerne l'abaissement de la sécurité des établissements de paiement susceptibles de traiter, entre autres, des opérations carte. Afin de prendre en compte l'arrivée de nouveaux opérateurs non traditionnels, exerçant une activité de paiement par Internet ou téléphone portable, la proposition de directive crée un statut d'établissement de paiement, distinct de celui d'établissement de crédit, avec un encadrement allégé, au motif que leurs activités ne présentent pas de risques. Or, la création de ces établissements pourrait se traduire par la diminution de la sécurité de l'ensemble des services de paiement. Les professionnels estiment donc nécessaire que ces établissements soient, comme les banques, encadrés par des règles prudentielles plus rigoureuses : capital minimum, mécanisme de protection des fonds, règles de contrôle homogènes notamment.... On peut craindre également une fragilisation du principe de l'irrévocabilité : la proposition de directive donne une définition générale de ce principe - tendant à s'appliquer à toutes les catégories de moyens de paiement - qui risque de remettre en cause les pratiques existantes sur l'irrévocabilité des paiements par carte.

Le régime d'information allégée des consommateurs pour les services de micro paiements, d'un montant inférieur à 50 euros, pose aussi problème. Le seuil de 50 euros ne correspond à aucune réalité économique, le montant moyen des paiements par carte bancaire étant de 46 euros en France. Le seuil retenu devrait donc être beaucoup plus bas, faute de quoi la protection des consommateurs serait affaiblie. La non discrimination des prestataires pour l'accès aux systèmes de paiement mérite par ailleurs une clarification, afin de ne pas réduire le niveau de sécurité. Il en est de même du remboursement des transactions et de la lutte contre la fraude : la proposition de directive prévoit plusieurs dispositions, positives si on les analyse une à une, tendant à la protection du consommateur, notamment dans le cas des paiements par carte, mais l'accumulation peu coordonnée de ces dispositions constitue en réalité un danger pour les clients et crée des niches propices à la fraude. Se pose également le problème des délais d'exécution des opérations, la proposition de directive prévoyant en la matière de faire créditer le compte bénéficiaire au plus tard le lendemain. Or, seuls certains prestataires de paiement, principalement les grandes banques, seront en mesure de respecter une telle contrainte, ce qui conduirait paradoxalement à limiter la concurrence entre les établissements bancaires. Enfin, il conviendrait de revoir le régime de responsabilité sans faute prévu par la directive. Le prestataire de paiement est en effet tenu à une « responsabilité objective », sans faute, de l'inexécution ou de l'exécution incorrecte d'un service de paiement, sauf dans certaines exceptions. Cette responsabilité sans faute, pour laquelle la directive prévoit un champ d'application très large, crée une incertitude juridique pour les prestataires de paiement, qui subiront des utilisations abusives de quelques clients indélicats. De plus, le maintien d'une responsabilité sans faute renchérira inévitablement les services proposés.

M. Jean-Pierre Brard a souligné le caractère important de la question de la sécurité des paiements par carte bancaire, ce mode de paiement étant aujourd'hui universellement utilisé. Il a rappelé que lors de la création de l'Observatoire de la sécurité des cartes de paiement, sous la précédente législature, le secteur bancaire avait émis certaines craintes, qui se sont aujourd'hui apaisées. La France dispose actuellement du système le plus sûr, avec notamment l'« interbancarité », qui n'existe pas, par exemple, aux États-Unis. Cela étant, il convient d'avoir toujours une longueur d'avance sur les fraudeurs, ce qui suppose la mise en place de moyens proportionnés. Par ailleurs, notre système ne constitue pas une référence universelle et pourrait faire l'objet de menaces, telle que l'idée émise Outre-Atlantique de modifier l'emplacement de la puce. S'agissant de la proposition de directive, il convient d'intervenir dès maintenant - au besoin en se déplaçant à Bruxelles - et sans attendre le moment de la transposition, pour garantir le haut niveau de sécurité actuel. Les éléments recueillis par l'Observatoire font en effet apparaître plusieurs problèmes préoccupants.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, s'est interrogé sur les réformes actuellement en cours à la Banque de France :

- quelles modifications de compétences est-il envisagé d'apporter en ce qui concerne le Conseil général et le Conseil de la politique monétaire ;

- comment se passe la réorganisation du réseau déconcentré de la Banque de France ;

- enfin, s'agissant du personnel, quelle réforme du système de retraite est envisagée ?

S'agissant de la politique économique, deux précisions semblent nécessaires : on constate d'abord une certaine inquiétude sur les résultats du commerce extérieur français, quel est le diagnostic, sur ce point, de la Banque de France ? Par ailleurs, s'agissant de l'investissement étranger en France, peut-on évaluer son impact sur la croissance et sur l'emploi ?

Le Président Pierre Méhaignerie a sur ce point souligné que le diagnostic fait par l'Agence française des investissements internationaux (AFII) ne correspond pas à la réalité de la capacité d'attractivité de la France. Les chiffres donnés mélangent en effet aussi bien les fusions, les prises de participation, le rachat de PME en raison d'un ISF trop élevé, que les investissements réellement producteurs d'emplois.

M. Philippe Auberger s'est interrogé sur les effets des récentes et futures augmentations des taux décidées par la Banque centrale européenne sur l'économie française et sur les perspectives d'inflation et de croissance.

M. Louis Giscard d'Estaing a souhaité connaître les résultats de la réforme du processus de fabrication des billets de la Banque de France. Il s'est également interrogé sur la durée de vie de l'Observatoire. On doit également se pencher sur les aspects pratiques d'utilisation des cartes, en particulier pour les micro-paiements. On constate une tendance à la surprotection de ces paiements, par exemple pour les parcs de stationnement ou les péages autoroutiers, qui risque de compliquer la vie des consommateurs. Ne serait-il pas plus simple de relancer la mise en œuvre de Monéo ?

M. Jean-Louis Dumont s'est félicité de ce que les grandes fraudes à la carte bancaire soient poursuivies mais s'est interrogé sur le sort des petites fraudes. On constate en effet, depuis que les réseaux bancaires refusent de délivrer des petites sommes aux particuliers, une recrudescence des vols et des fraudes dont sont victimes les personnes âgées. On peut s'interroger sur la prise en compte de ces méfaits par les services de police.

M. Alain Rodet s'est interrogé sur les statistiques montrant que le taux de fraude en France est inférieur à celui de l'Union européenne. Cela est-il encore vrai, si l'on intègre les données relatives à la délinquance liée aux distributeurs ?

M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, a apporté les réponses suivantes :

Concernant les organes de gouvernance de la Banque de France, le Conseil général doit être au centre du dispositif et sa composition est aujourd'hui optimale, car il s'agit de personnalités indépendantes et compétentes nommées par les plus hautes instances politiques. Le Conseil de la politique monétaire doit subsister, pour que le Gouverneur puisse confronter ses idées et ses analyses avec des personnes compétentes avant les réunions de la Banque centrale européenne. Par ailleurs, l'application d'un certain nombre de décisions du Conseil des gouverneurs de la BCE suppose des décisions du Conseil de la politique monétaire. Une réforme possible serait donc de faire du Conseil général l'organe central de la Banque de France au sein duquel se trouverait un Conseil de la politique monétaire.

Concernant le réseau, la réforme se passe globalement très bien, le dispositif de réorganisation des échelons régionaux et départementaux est opérationnel. Les deux tiers de la réforme sont désormais achevés, le dernier tiers le sera au début de l'été prochain. Au total, le nombre d'implantations de la Banque de France aura été divisé par près de deux.

Concernant le statut du personnel, le principal dossier est effectivement celui des retraites. Il a été décidé de dupliquer pour la Banque de France la réforme des retraites des fonctionnaires adoptée en 2003. On soulignera qu'il s'agit de la première réforme véritable d'un régime spécial. L'hypothèse d'un adossement au régime général, avec versement d'une soulte, n'a pas été retenue. Historiquement, le niveau de cotisation des salariés est faible en raison du caractère non contributif d'une partie significative des retraites. Avec la réforme, l'ensemble du système deviendra contributif. Cette réforme devrait intervenir en 2007, sa mise en œuvre étant bien sûr progressive, l'objectif étant d'arriver à la convergence avec les autres régimes en 2012.

Concernant la fabrication des billets, le deuxième plan de restructuration se termine cette année et, à l'issue de celui-ci, l'outil industriel sera totalement modernisé et mis aux normes industrielles internationales. Ainsi les effectifs seront-ils passés de 2.000 à 950 personnes. L'activité sera bientôt à l'équilibre, avec, à court terme, une perspective de rentabilité. Il sera bientôt possible de répondre aux appels d'offres européens.

Si les investissements étrangers en France ont représenté 37 milliards d'euros en 2005, seuls 3,8 milliards - soit 10 % environ - correspondent véritablement à des investissements en capital social, hors fusions-acquisitions et hors immobilier. Au sein de la catégorie des opérations répertoriées comme « diverses », il reste difficile de mesurer la part des investissements qui contribuent véritablement à une création nette d'activité en France.

Le Président Pierre Méhaignerie et M. Gilles Carrez, Rapporteur général, ont souhaité connaître la fiabilité des palmarès plaçant généralement la France au quatrième ou cinquième rang mondial, alors qu'une étude récente d'un bureau international situe plutôt notre pays au vingtième rang mondial de l'investissement en capital.

Après que M. Charles de Courson eut fait valoir que, parmi les opérations d'investissement, il ne fallait pas sous-estimer celles liées à des rachats massifs d'entreprise, M. Philippe Auberger a ajouté que celles liées à des investissements étrangers pesaient également pour beaucoup.

M. Christian Noyer a précisé que les fusions-acquisitions avaient représenté 4,8 milliards d'euros l'an dernier, alors que les investissements immobiliers pesaient pour 5,9 milliards d'euros. Il est incontestable que les investissements en capital social représentent une minorité de l'investissement total en France. Si les palmarès entre nations restent délicats à établir, la France apparaît comme un pays moins dynamique que la moyenne européenne.

M. Charles de Courson a souhaité connaître la part des étrangers au sein de l'actionnariat des entreprises cotées à la Bourse de Paris. Si des proportions de 40 à 42 % sont souvent évoquées, il semble que cette part soit en réalité supérieure ou égale à 50 %, ce qui signifierait que la grande masse des investissements correspond à des rachats d'entreprises.

M. Christian Noyer a indiqué que les fusions-acquisitions réalisées à 100 % par des étrangers sont rares, mais qu'il est plus fréquent de voir s'accroître la part des étrangers dans la composition de l'actionnariat.

La faiblesse française en matière de commerce extérieur tient assez peu aux importations et s'explique principalement par la dégradation des exportations par rapport à nos voisins européens, les comparaisons, en particulier avec l'Allemagne, étant peu flatteuses. Les raisons de cette faiblesse comparative sont délicates à interpréter : elles ne résident pas tant dans les critères de spécialisation géographique, voire sectorielle, que dans les facteurs de compétitivité. Si les résultats de notre pays en termes de compétitivité-prix ne sont pas déshonorants, la compétitivité-hors prix joue un grand rôle. En particulier, les conditions dans lesquelles les entreprises réalisent leur activité ne sont pas optimales en France, où les contraintes règlementaires sont encore trop pesantes. De même, les résultats en termes de recherche-développement sont inquiétants au regard de l'effort fourni par les grands pays industriels. Alors que l'effort public est souvent très comparable, des pays comme les États-Unis, l'Allemagne ou le Japon obtiennent de bien meilleurs résultats en termes de recherche-développement. Aussi la difficulté ne réside-t-elle pas dans l'effort de l'État mais dans celui des entreprises, ce qui ne peut s'expliquer que par le caractère trop faible de la liaison public-privé pour la recherche-développement.

Après que le Président Pierre Méhaignerie eut rappelé que les entreprises avaient besoin d'être soutenues, M. Jean-Pierre Balligand a fait part de son désaccord avec l'analyse, trop univoque, de M. Christian Noyer. La détention massive d'entreprises françaises par des fonds de pensions étrangers ne permet pas la croissance de la recherche-développement, à la différence de pays comme l'Allemagne. La stratégie de recherche de profit à court terme, élaborée par nombre d'assemblées générales de sociétés où pèsent des fonds de pension est souvent incompatible avec un développement de long terme privilégiant la recherche-développement.

S'agissant de la politique monétaire, M. Christian Noyer a souligné que le relèvement des taux d'intérêt par la BCE, en décembre dernier, s'inscrit dans un contexte de redémarrage de la croissance avec ressaut de l'investissement dans l'ensemble de la zone euro et raffermissement de la demande interne. Après le choc pétrolier de 2004, il n'était plus possible de maintenir des taux d'intérêt tellement bas qu'ils devenaient négatifs en termes réels, car inférieurs à l'inflation. La BCE a donc voulu faire face à un double risque : celui d'une remontée brutale des taux d'intérêt à long terme, susceptibles d'avoir en particulier un impact sur l'investissement des entreprises, et celui d'une dérive du prix des actifs, notamment immobiliers. On ne doit pas oublier que la violence de l'éclatement de la bulle immobilière aux Pays-Bas a contribué à une vraie récession dans ce pays, en 2002 et 2003. Face à ces risques, un léger réajustement de la politique monétaire était nécessaire : le taux d'intérêt à court terme qui maximise la croissance à long terme n'est pas toujours le taux le plus bas possible, c'est celui qui stabilise les anticipations d'inflation et facilite le financement de l'économie au plus bas coût.

Pour effectuer des micro-paiements, il est regrettable de s'exposer au danger que peut représenter la saisie du code, alors que le montant de la transaction est très faible. Il serait souhaitable de développer les transactions sans code ou d'utiliser davantage les systèmes de télépaiement. Il faut noter l'effort accompli par les collectivités locales pour développer le paiement par carte pour de nombreux services de proximité.

Le Président Pierre Méhaignerie a demandé si la Banque de France avait étudié le problème du prêt viager et du prêt hypothécaire.

M. Christian Noyer a répondu que ces deux questions avaient été étudiées. Sur la première, la Banque de France n'a pas de remarque particulière à formuler, même s'il existe un certain risque de voir des personnes âgées dilapider quelque peu leur bien par ce moyen. En ce qui concerne le prêt hypothécaire, le projet paraît présenter une réelle difficulté si l'on s'inspire d'une technique anglo-saxonne consistant à « recharger » le prêt à mesure de l'augmentation de la valeur du bien immobilier. En effet, si un retournement du marché intervient et que cette valeur retombe, l'établissement de crédit n'en réclamera pas moins des échéances élevées ; un tel système peut produire un effet récessif pour l'économie et s'avérer très dangereux du point de vue social et financier. La Banque de France a fait part de sa préoccupation au ministère des Finances, lequel a pris en compte ses arguments.

Le crédit à la consommation est déjà très développé en France, représentant 14  % du revenu des ménages, soit 3 points de plus que la moyenne européenne. De façon générale, l'endettement des ménages français est un peu inférieur à la moyenne européenne, ce qui s'explique par un moindre taux des prêts immobiliers, notre pays comptant moins de propriétaires que les autres pays d'Europe. Ce ratio d'endettement au titre du crédit à la consommation étant déjà très élevé, et les prêts à la consommation augmentant rapidement, l'instrument nouveau est-il réellement nécessaire ?

M.  Bernard Dutreuil a ajouté que les petits paiements posent un problème difficile à résoudre car plus le montant est faible, plus l'économie du traitement de ces petits paiements est difficile à trouver, du fait des coûts fixes. Le citoyen serait exposé à certains risques de fraude s'il ne frappait pas son code pour les petits paiements. Le système Monéo est bien adapté et sa mise en place est progressive depuis environ cinq ans. On constate aujourd'hui un succès mesuré, notamment à Paris, car des accords ne sont intervenus que récemment avec la ville et d'autres partenaires en particulier pour les parcmètres. Néanmoins, le succès de ce système de paiement ne peut se mesurer qu'à plus long terme, car il implique un changement de comportement. Des travaux sont en cours mettant en œuvre des technologies « sans contact » qui ouvrent des perspectives nouvelles d'utilisation dans les transports publics.

Ce sont des considérations sécuritaires qui ont conduit à multiplier les automates distributeurs d'espèces. Le résultat est positif avec la baisse des attaques d'agences bancaires. Cependant, pour les personnes âgées qui éprouvent des difficultés à utiliser les automates ou qui s'estiment en situation de risque, des consignes ont été données, pour que ces personnes soient aidées pour l'accès à l'automate.

M. Jean-Louis Dumont a observé qu'à présent, le client devait revenir le lendemain à la banque pour retirer une somme importante, mais pour retirer des petites sommes au quotidien, ne serait-il pas envisageable de disposer d'automates à l'intérieur des agences ?

M. Bernard Dutreuil a précisé que certains réseaux bancaires avaient prévu des distributeurs internes. Il ne semble pas que les distributeurs de billets soient trop nombreux, puisque l'on demande à la fédération bancaire d'en ajouter de nouveaux. Le taux d'équipement français est très élevé ; il peut cependant être amélioré dans le monde rural, en tenant compte des contraintes économiques et sécuritaires.

Mme Catherine Chambon a confirmé que les craintes que l'on concevait pour les transporteurs de fonds se portent maintenant sur les personnes âgées, mais aussi, en fait, sur toute personne susceptible de retirer des espèces aux distributeurs de billets. Le ministère de l'Intérieur a adressé des consignes aux commissariats pour que les personnes agressées sur la voie publique soient mieux accueillies et prises en charge. Une hausse des agressions de ce type a été enregistrée à Paris, mais pas en province.

M.  Charles de Courson, Président, a demandé si la Banque de France a entrepris des travaux sur la crise du logement que nous traversons actuellement, mesurable par un écart entre l'évolution des revenus des ménages et la progression de la valeur des biens immobiliers.

M.  Christian Noyer a reconnu que cette question était fondamentale, que néanmoins la situation actuelle était différente de celle du début des années 90. A cette époque, la hausse des prix concernait aussi bien l'immobilier d'entreprises que l'immobilier résidentiel, alors qu'aujourd'hui l'immobilier d'entreprises ne connaît pas de phénomène de flambée des prix. La désolvabilisation des ménages n'en est pas moins à craindre. La situation n'est pas trop tendue, car les taux d'intérêt sont bas. La part de revenus consacrée au logement reste un peu plus modérée que lors de la crise des années 90. Néanmoins, si la hausse des prix de 10 à 15  % par an se poursuivait, la situation risquerait de s'aggraver. La Banque de France souhaite mener une action d'information du public afin qu'il refuse des prix trop élevés.

M.  Louis Giscard d'Estaing a souhaité savoir si la Banque de France exerce aujourd'hui une surveillance de l'encours bancaire consacré à l'immobilier.

M.  Christian Noyer a confirmé que les erreurs des années 1990 n'ont pas été reproduites et que les banques ont aujourd'hui l'obligation d'assurer une consolidation de l'ensemble des encours bancaires immobiliers, avec une surveillance totale de la situation.

M.  Jean-Pierre Brard a proposé que la commission des Finances se saisisse de la proposition de directive sur les services de paiement dans le marché intérieur, au regard de la sécurité des cartes de paiement. Il serait souhaitable d'anticiper la finalisation de cette directive et d'en examiner les termes avec la Commission européenne.

Mme  Catherine Chambon a précisé que la Commission européenne a constitué un groupe de travail qui devrait inviter les États-membres à participer, à haut niveau, à ces travaux en novembre 2006.

M.  Jean-Pierre Brard a estimé qu'il serait préférable, pour intervenir à temps, de se mettre en relation avec la Commission européenne dès maintenant, en coordination avec l'Observatoire de la sécurité des cartes de paiement.

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