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COMMISSION DES FINANCES
DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

Mercredi 10 janvier 2007

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 33

Présidence de M. Pierre Méhaignerie,
Président

 

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– Audition de M. François Loos, ministre délégué à l’Industrie, sur les tarifs de l’électricité

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La commission des Finances a procédé à l’audition de M. François Loos, ministre délégué à l’Industrie, sur les tarifs de l’électricité.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné qu’il est du devoir de la Commission de protéger l’industrie française, soumise à la compétition internationale, et en s’interrogeant sur les conditions d’application souvent ambiguës du tarif de l’électricité pour les entreprises, notamment pour les électro-intensives. Par ailleurs, eu égard aux négociations européennes, quel est l’avenir de la rente nucléaire ? La France conservera-t-elle cet avantage en termes de compétitivité ? L’adaptabilité de certaines entreprises industrielles ne permet-elle pas de mieux gérer les pics de consommation d’énergie ?

M. François Loos, ministre délégué à l’Industrie, a rappelé que, lors de l’adoption de la loi, il avait été décidé de publier sous un mois l’arrêté relatif au tarif transitoire de retour (TARTAM), et que cette loi comportait plusieurs autres dispositifs protecteurs : maintien des tarifs au-delà du 1er juillet 2007, mesure indispensable pour que la directive ne s’applique pas d’office ; création d’un tarif social du gaz, qui complète le tarif social de l’électricité et concernera sans doute 600 000 foyers, désignation d’un médiateur national de l’énergie ; ou encore mise sur pied d’un dispositif du type code de la consommation. Tous les textes d’application ne sont pas sortis, car ils sont examinés par de nombreux conseils consultatifs, compétents dans les domaines de l’énergie et du social.

La loi prévoit que tous les fournisseurs d’électricité puissent servir le tarif de retour. Celui-ci doit être demandé avant le 1er juillet 2007, pour deux ans, mais un bilan sera dressé fin 2008 afin de déterminer les suites à donner au dispositif. Le niveau du tarif de retour ne doit pas dépasser de plus de 25 % le tarif réglementé. Les fournisseurs recevront une compensation égale à la différence entre le coût d’approvisionnement et leur recette ; les clauses non tarifaires des contrats existants seront maintenues. La consommation électrique totale de la France atteint 450 térawattheures (TWH). Les entreprises éligibles au choix entre tarif et prix du marché consomment 300 TWH – l’ensemble des professionnels sont concernés depuis le 1er juillet 2004 – et ont fait jouer leur éligibilité pour 130 TWH, dont 90 sont toujours fournis par EDF et 40 dépendent d’un autre opérateur. Sur ces 130 TWH, environ 60 sont susceptibles de faire l’objet d’une demande de tarif de retour. En effet, les plus intéressés sont les industriels soumis au tarif vert et certains ont opté pour le prix du marché à un moment où il était plus avantageux. Une semaine après la publication de l’arrêté, EDF a reçu une vingtaine de demandes.

Il existe trois tarifs : le bleu pour les particuliers ; le jaune pour les petits industriels ou services, de 36 à 250 kilovoltampères (KVA) ; le vert – le plus bas – pour les industriels au-delà de 250 KVA. Le tarif du ruban – c’est-à-dire de la quantité consommée de manière continue – s’élève à 32,20 euros le MWH hors transport pour les bleus, à 27,80 euros pour les jaunes et à 27,30 euros pour les verts. Après application des taux de 10 %, 20 % et 23 % retenus pour le tarif de retour, on arrive à 41 euros pour le bleu, 41,70 euros pour le jaune et 39,20 euros pour le vert, environ à la moyenne entre le tarif réglementé et le prix du marché, qui s’établit aujourd’hui à 52 euros hors transport.

Le prix du marché a légèrement baissé. Il est très influencé par le tarif du CO2 puisqu’il inclut implicitement celui-ci, de 2 à 8 euros par MWH en fonction du taux de CO2 émis. La hausse importante du prix de l’électricité a fait augmenter le résultat des électriciens ; l’application du tarif transitoire de retour entraînera pour eux une perte de recettes correspondant à la différence avec le prix du marché. EDF devra en outre s’acquitter, comme Suez, d’une taxe sur les installations nucléaires et les barrages, destinée à financer la décote pratiquée par les autres fournisseurs. Pour EDF, l’impact de ces deux mesures, selon les hypothèses, est estimé entre 700 millions et 1 milliard d’euros.

Le prix hors taxe de l’électricité à usage industriel, dans l’Europe à vingt-cinq, est en moyenne de 75,80 euros le MWH. Il s’établit à 53,30 euros en France, 85,20 euros en Allemagne, 82,8 euros en Belgique, 67,60 euros en Espagne. Dans un pays disposant de ressources hydrauliques importantes comme l’Autriche, il atteint 57,10 euros. Seules l’Estonie, la Finlande, la Lettonie et la Lituanie font mieux que la France, avec une production nucléaire significative. Quant à l’Italie, avec 101,80 euros, elle arrive en avant-dernière position, devant Chypre.

Les industriels sont, certes, confrontés à la compétition internationale, mais il est demandé à EDF d’investir énormément alors qu’elle pratique les prix les plus bas, ce qui n’est pas propice à la rentabilisation des équipements.

Le Président Pierre Méhaignerie a indiqué que, d’après le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), le prix de revient de Flamanville s’élevait à 33,35 euros le MWH alors qu’EDF annonce un chiffre de 45 euros. L’action EDF a monté et suit toujours une tendance positive. La vraie question est la suivante : la rente nucléaire doit-elle être européanisée ou bien bénéficier aux industriels et consommateurs Français ?

M. François Loos, ministre délégué à l’Industrie, a répondu que le Gouvernement se tiendrait à ce tarif transitoire de retour, à mi-chemin entre le prix du marché et le tarif actuel, allant ainsi au-delà des obligations fixées par la loi.

Chacun des quelque 2 000 sites industriels concernés enregistrera ainsi une économie substantielle (d’environ 20 % sur la facture d’électricité). Le prix moyen du MWH va donc baisser au-dessous des 53,3 euros d’aujourd’hui alors que la France est déjà très bien située par rapport à la moyenne européenne, qui atteint 76 euros.

M. Michel Bouvard a noté que le prix payé par les industriels varie en fonction de leurs activités, ainsi que de leur capacité à maîtriser l’énergie et à réduire leur consommation. Comment les grands industriels bénéficiant de contrats à long terme avec des tarifs très avantageux géreront-ils le changement de système ? Les industries les plus électro-intensives représentent à elles seules 130 000 emplois en France et, dans la mesure où elles produisent souvent des biens intermédiaires, un effet domino risque de frapper d’autres secteurs économiques.

Quelles consignes l’État actionnaire compte-t-il donner à EDF pour satisfaire les attentes du consortium Exeltium s’agissant de la production globale et du prix ? Il convient de comparer la situation de la France avec celles d’Oman – où le coût avoisine les 30 euros –, de l’Australie ou de l’Afrique du Sud et non de l’Autriche, de l’Italie, de l’Espagne ou de l’Allemagne. Des réponses à ces questions dépend la capacité de nos industriels à investir pour renouveler ou accroître leurs capacités de production.

La discussion avec le consortium ne permettra pas de régler tous les problèmes, notamment celui du coût du transport de l’électricité. La réduction de la consommation des grands industriels aux moments critiques permettrait d’éviter d’investir dans la modernisation de centrales thermiques dépassées ; elle doit par conséquent être valorisée, soit par une rémunération soit par une diminution des tarifs pratiqués par le Réseau du transport d’électricité (RTE). De surcroît, les pouvoirs publics compléteraient ainsi leur dispositif d’aide aux industriels français, sans violer les règlements communautaires. Les conséquences économiques sont considérables. En effet, si le fil d’aluminium ou les amines ne sont plus produits en France, les industries aval émigreront également.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, s’est enquis des marges de manœuvre de la France par rapport à l’Union européenne, ainsi que des données objectives détenues par le Gouvernement concernant l’ampleur et l’échéancier des charges appelées à peser sur EDF – renouvellement du parc nucléaire, démantèlement des anciennes centrales et charges sociales.

M. Henri Emmanuelli a évoqué les courriers d’industriels et les articles de presse faisant l’écho de difficultés assez incompréhensibles entre le consortium et la direction d’EDF. L’actionnaire majoritaire d’EDF est pourtant l’État. Quelles sont les directives données à EDF par son actionnaire majoritaire en vue de conserver, voire d’améliorer l’avantage comparatif de la France en matière énergétique ? Il s’agit d’investir non pas à perte mais à prix coûtant. Si le système a changé, que le Gouvernement le dise !

M. Jean-Jacques Descamps a souligné que, à la suite de la libéralisation du marché de l’énergie par l’Union européenne, le schéma avait été modifié mais que cela ne justifiait pas tout. Le système du TARTAM sera valable deux ans, alors que les industriels attendent une visibilité beaucoup plus longue, une usine se construisant en trois ou quatre ans et s’amortissant en cinq à dix ans. Malgré la libéralisation, le prix du marché est construit par le prix marginal de l’offre et non par la demande, ce qui empêche toute concurrence. Quand découlera-t-il d’une confrontation entre l’offre et la demande, ce qui ne pourra que favoriser l’entrée d’EDF sur le marché mondial de l’énergie ?

M. Jean-Pierre Balligand a confirmé que les investisseurs ont besoin d’une visibilité à long terme. Quelle est la politique de l’État en matière énergétique ? M. Francis Mer, quand il était ministre de l’économie, avait créé l’Agence des participations de l’État (APE), censée faire de miracles en matière de gouvernance. Quelles sont les directives données à cette structure pour représenter l’État actionnaire ? Quelle est la politique de l’État à moyen terme ? Il n’est pas possible que le Ministre soit le porte-parole d’EDF.

Usant de la faculté que l’article 38 du Règlement de l’Assemblée nationale confère aux députés d’assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. François Brottes a préconisé d’élargir les comparaisons internationales à l’Afrique du Sud et aux pays d’Amérique du Sud et d’Amérique du Nord, par rapport auxquels le secteur énergétique français est en perte de compétitivité. La capacité d’investissement ne dépend pas seulement des prix mais aussi des clients. Sans clients industriels, l’attractivité des prix ne suffira pas. À partir de quelle référence sera calculée la somme remboursée aux opérateurs : la différence entre le coût d’achat et le prix du marché ou bien le seul prix du marché ? Parler de « décote » laisse entendre que le Gouvernement a choisi la deuxième solution, ce qui n’aboutit pas au même résultat. Que pense la Commission européenne du TARTAM ? N’existe-t-il pas un risque ?

L’initiative d’Exeltium date de plusieurs mois et les négociations sont toujours en cours. Il est anormal que l’opérateur historique mette autant de temps à formuler des offres alors que la situation est très grave.

M. Hervé Novelli a douté que la coexistence entre tarifs et prix puisse perdurer à moyen ou long terme. La rente nucléaire, qui, d’une certaine manière, appartient au contribuable français, est menacée par une assimilation progressive dans l’ensemble européen. Qu’en pensent les partenaires de la France ?

Le Président Pierre Méhaignerie a observé que les producteurs, dans le secteur énergétique, sont en position de force et en profitent. La Commission se rend-elle compte que la libéralisation du marché ne peut fonctionner réellement ? D’autre part, reconnaît-elle une spécificité aux pays produisant de l’électricité nucléaire ?

M. François Loos, ministre délégué à l’Industrie, a apporté les éléments de réponse suivants :

– la Commission a changé d’approche en élaborant un document décrivant les avantages du nucléaire, alors que, sous la présidence autrichienne, le sujet était tabou. L’enjeu consiste à fixer des objectifs relatifs au rejet de CO2 plutôt que de production d’énergie renouvelable. La position de la Commission est assez proche de celle de la Grande-Bretagne : mener une politique offensive en matière de CO2 tout en redéployant le nucléaire ;

– les discussions avec la Commission sont plus compliquées s’agissant des tarifs. La concurrence est certes stimulante pour toute activité mais couper EDF en morceaux ne rendrait pas le marché plus efficace ; il convient au contraire d’imposer des tarifs, et c’est le choix politique fondamental que le Gouvernement a opéré dans la loi sur le secteur de l’énergie – ce n’est du reste pas original puisque seize États membres sur vingt-cinq se font tancer par l’Europe à ce sujet ;

– les obligations que le Gouvernement fait peser sur EDF sont très lourdes. Premièrement, sur les 450 TWH d’électricité consommés, seuls 60 devraient demander le TARTAM, dispositif financé pour l’essentiel par EDF. Deuxièmement, l’entreprise doit investir 40 milliards d’euros sur cinq ans pour développer le réseau, avec notamment un barrage en Corse, des centrales thermiques et un meilleur approvisionnement de la Côte d’Azur. Troisièmement, le contrat de service public prévoit qu’EDF ne pourra demander une augmentation du tarif supérieure au rythme de l’inflation et que le Gouvernement ne sera même pas tenu d’accorder une telle hausse. Enfin, la mise en œuvre d’un EPR a été décidée par la loi.

Le Président Pierre Méhaignerie a fait état du témoignage des entreprises consommant beaucoup d’électricité, dont certaines semblent prêtes à réduire leur production en période de pic en recourant à l’interruption, mais ne sentent pas EDF les pousser dans cette direction. EDF a-t-elle pris conscience qu’il faut adopter une perspective de valorisation financière de cette hypothèse ?

M. François Loos, ministre délégué à l’Industrie, a répondu :

– il est évident que personne ne souhaite la disparition des entreprises électro-intensives. C’est d’ailleurs pourquoi le Gouvernement, en 2006, a demandé au Parlement de créer le consortium Exeltium. Si le processus est long, c’est que le Gouvernement a imposé aux électro-intensifs les plus importants d’intégrer les petites entreprises et que les contrats engagent les parties pour vingt ans, ce qui constitue une durée considérable, sur le modèle finlandais. La conclusion des négociations semble proche, ce qui lèvera un grand nombre de problèmes ;

– en Finlande, le prix moyen du MWH, pour les entreprises, est de 66,60 euros. Le Canada, l’Australie et l’Afrique du Sud, en revanche, font mieux que la France. Mais, pour les fabricants d’aluminium ou de chlore, hautement électro-intensifs, des réponses particulières s’imposent, avec au premier chef l’établissement de prix sur le long terme. Le modèle Exeltium est approuvé par l’Union européenne et les autres pays le copient ou s’y apprêtent ;

– le prix du marché redeviendra-t-il normal un jour ? La disparition des surcapacités, en France comme en Europe, et la prise en compte du CO2 sont deux phénomènes qui font grimper les prix. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a demandé à EDF d’investir 40 milliards d’euros, contrairement aux autres pays européens, qui ne disposent pas de la même programmation pluriannuelle des investissements, innovation qu’il conviendrait d’européaniser ;

– la France est plutôt exportatrice, mais connaît également des situations de production tendues. Elle a donc besoin en urgence de nouveaux équipements, et ceux-ci commencent à être construits. Cela contredit d’ailleurs la théorie de la Commission selon laquelle les prix bas empêchent les investissements. La compétition entre EDF, Gaz de France, Suez, la SNET et Poweo pousse toutes ces entreprises à se lancer dans des projets d’investissement ;

– le Gouvernement a prévu que le tarif transitoire de retour puisse également être appliqué aux entreprises bénéficiant du tarif effacement jour de pointe, ce qui entraîne une baisse supplémentaire de 10 euros par MWH. Cette situation concerne beaucoup d’entreprises. Et une même entreprise peut avoir des sites TARTAM et des sites Exeltium.

M. Jean-Jacques Descamps s’est ému de ce que la caisse centrale d’activités sociales d’EDF, la CCAS, perçoive 1 % du chiffre d’affaires de l’entreprise au lieu de 0,5 %, taux normal pour les comités d’entreprise. Ne faut-il pas envisager d’y mettre fin ?

M. Henri Emmanuelli a signalé que la plupart des départements sont prêts à élaborer leur propre plan d’énergie renouvelable afin de participer aux investissements.

Après avoir précisé que la compensation, au-delà d’une certaine limite, est bornée, M. François Loos, ministre délégué à l’Industrie, a estimé que les collectivités territoriales ont un énorme potentiel d’action dans le domaine des économies d’énergie et des énergies de substitution. Nombre d’entre elles, notamment parmi les communes, ont d’ailleurs déjà mis sur pied des plans, soutenus par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Dans cet esprit, la région et les départements alsaciens ont mené une politique constante de soutien au solaire et au chauffage bois. Cela requiert notamment de former les installateurs, en lien avec les constructeurs. Or, c’est à ce niveau, concret, que des manques existent.

Le Président Pierre Méhaignerie a souhaité qu’EDF ne tende pas de piège aux électro-intensifs.