COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 21

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 2 février 2005
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Pascal Clément, président

SOMMAIRE

 

Pages

- Audition de M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur le projet de loi de sauvegarde des entreprises (n° 1596)


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- Information relative à la commission

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La Commission a procédé à l'audition de M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur le projet de loi de sauvegarde des entreprises.

Le président Pascal Clément a accueilli le Garde des Sceaux en soulignant que l'examen du texte sur la sauvegarde des entreprises s'inscrit dans le cadre plus vaste de la mission d'information constituée par la Commission des Lois sur le droit des sociétés, mission qui a publié, en décembre 2003, une première étude relative à la gouvernance des entreprises. La mission d'information a ensuite engagé la deuxième étape de ses investigations, consacrée précisément à la problématique globale du traitement des entreprises en difficulté, et procédé, au printemps 2004, à une vingtaine d'auditions. C'est dire l'intérêt qu'elle porte au sujet.

Nul ne doute que le droit actuel, issu des lois de 1984 et de 1985 codifiées au livre VI du code de commerce, soit aujourd'hui inadapté. Des nombreuses auditions conduites par la mission d'information se dégage le constat de l'inefficacité des procédures en vigueur, pour les entreprises elles-mêmes comme pour leurs salariés et leurs créanciers, et pour la santé du tissu économique en général. Le projet de loi, qui implique un changement culturel, tend à corriger ces défauts en organisant le règlement le plus précoce possible des difficultés de l'entreprise, et en instaurant des procédures diversifiées selon la gravité des situations rencontrées. Sans doute suscite-t-il néanmoins quelques interrogations, concernant notamment la phase de conciliation ou la procédure de sauvegarde elle-même.

M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice, a décrit la situation qui est à l'origine de ce texte : environ 45 000 entreprises, dont 90 % emploient moins de dix salariés, éprouvent des difficultés qui les amènent vers les tribunaux de commerce et, du fait du caractère tardif de l'ouverture des procédures judiciaires, ces difficultés conduisent à une liquidation dans neuf cas sur dix ; chaque année, près de 300 000 salariés sont ainsi confrontés à une procédure collective et près de 150 000 sont licenciés. Il s'agit de mettre un terme à ce gâchis social et économique.

Pour commencer, il a fallu identifier les difficultés causées par le droit actuel en demandant un diagnostic aux procureurs généraux ainsi qu'aux acteurs économiques et syndicaux. Tous sans exception ont convenu de la nécessité d'une réforme. Puis un avant-projet de loi a été soumis à la concertation pendant tout l'automne 2003, ce qui a permis de lui apporter des modifications substantielles. Le projet lui-même, après son examen par le Conseil d'État, a été présenté en conseil des ministres le 12 mai 2004.

L'ensemble du dispositif proposé part de l'idée selon laquelle le chef d'entreprise doit manifester l'intention d'anticiper les difficultés et de prendre l'initiative pour sauvegarder son activité. Il s'agit aussi de mieux tenir compte des droits des créanciers, tout en préservant l'emploi et en garantissant l'information des salariés. La procédure de sauvegarde permettra au chef d'entreprise, à son initiative, de cesser de faire face à ses échéances financières pour élaborer, avec ses créanciers, un plan de réorganisation de son entreprise. La négociation entre l'entreprise et ses créanciers se déroulera au sein de deux comités, regroupant respectivement les établissements de crédit et les principaux fournisseurs, et qui se prononceront par un vote sur l'approbation du plan.

Le chef d'entreprise qui voit venir des difficultés aura la possibilité de les gérer tout en restant à la tête de son entreprise. Il aura tout intérêt à opter pour la sauvegarde car celle-ci lui permettra, par exemple, de préserver les cautions des personnes physiques.

Les salariés de l'entreprise en difficulté seront étroitement associés à la sauvegarde de leur emploi en participant à la détection précoce des difficultés. Dans le cadre de la procédure d'alerte, le comité d'entreprise pourra transmettre aux commissaires aux comptes toutes informations utiles. Les salariés auront en outre accès, par l'intermédiaire des représentants du personnel, aux étapes des procédures où se joue la sauvegarde de l'entreprise et des emplois.

Quant aux fournisseurs de l'entreprise en difficulté, la sauvegarde leur évitera de « déposer le bilan ». La participation des fournisseurs principaux aux travaux du comité des créanciers leur permettra de contribuer à l'élaboration du plan de restructuration et à la décision finale.

Le texte prévoit en outre deux procédures amiables : le mandat ad hoc actuel, qui n'est actuellement qu'une faculté, prévue dans la loi par une phrase unique, est maintenu, car il correspond à une demande des praticiens et donne des résultats intéressants ; la procédure de conciliation est revue pour éviter les insécurités juridiques qu'elle présente actuellement.

Autre innovation importante, les procédures collectives seront étendues aux professions libérales et autres professionnels indépendants, lesquels ne bénéficient aujourd'hui, en cas d'infortune, d'aucun cadre juridique pour négocier avec leurs créanciers, ce qui a des conséquences directes sur leur patrimoine personnel. Ils ont souhaité bénéficier du nouveau cadre mis en place par le projet de loi.

En matière de liquidation judiciaire, la situation actuelle n'est pas meilleure. Les procédures durent en moyenne près de quatre ans et 185 000 dossiers sont en cours devant les tribunaux, dont 4 500 depuis plus de vingt ans. Les biens des intéressés peuvent être saisis sans limite de durée. Une procédure simplifiée évitera le recensement du passif en l'absence d'actif afin de clore le processus de liquidation en moins d'un an.

Il est également proposé de réformer le régime des sanctions contre les chefs d'entreprise en faillite en établissant une différence nette entre ceux qui sont malhonnêtes - les « patrons voyous » - et ceux qui se sont simplement trompés dans la conduite de leur projet économique. L'objectif est de permettre à ces derniers, les plus nombreux, de rebondir.

Ce texte, conçu dans la concertation, propose un équilibre entre les entrepreneurs, leurs créanciers et leurs salariés. La diversité des réponses ouvrira une plus grande place à la négociation pour préserver l'activité économique et l'emploi.

L'une des causes de l'échec des procédures actuelles est leur complexité. Il convient de les simplifier en privilégiant la négociation sur l'intervention du tribunal. Quant au concours des professionnels des procédures collectives, s'il est nécessaire, notamment pour la protection des tiers, il doit être limité aux actes pour lesquels il est strictement indispensable.

De nombreux experts s'interrogent sur la définition de la date de cessation des paiements. Dans le nouvel agencement des procédures, ce n'est plus un point central : il faut abandonner cette vision comptable pour lui substituer une approche économique, en se donnant pour objectif principal la préservation de l'activité et l'emploi.

En conclusion, le garde des Sceaux a insisté sur le changement d'état d'esprit indispensable pour faire vivre ces nouvelles procédures au service des entreprises en difficulté et de leurs salariés, afin d'apporter une pierre importante à la lutte pour l'emploi.

Le président Pascal Clément a estimé que la procédure de sauvegarde, si elle constitue incontestablement un progrès, souffre peut-être d'un point faible au plan psychologique : elle suppose que les chefs d'entreprise n'aient rien à se reprocher et soient disposés à se déplacer de leur domicile au greffe de commerce.

Par ailleurs, il est essentiel de maintenir tout ce qui fait fonctionner le système en vigueur et lui confère de la souplesse. Ainsi, pour le mandat ad hoc, il serait regrettable de l'encadrer juridiquement au-delà du strict nécessaire. De même, pour la conciliation, la procédure proposée par le projet, garantit juridiquement l'accord conclu, mais au prix d'une publicité et de facultés de recours qui, dans certains cas, seront dissuasifs.

S'agissant de la question transversale des créanciers publics et de leur privilège, le texte peut-il aller encore plus loin ? L'audition de la directrice de l'urssaf d'Île-de-France - dont l'intelligence et le pragmatisme doivent être soulignés - a confirmé que les urssaf, parfois considérés comme l'ennemi numéro un des entreprises en difficulté, disposent lorsqu'ils le souhaitent de marges de manœuvre appréciables. Les comités de créanciers pourront-ils au-delà imposer aux créanciers publics d'abandonner leurs créances ? En la matière, le projet de loi, n'arrêtant que des principes généraux, accorde beaucoup de place aux décrets ; il serait préférable de faire confiance au législateur.

Enfin, s'agissant des cessions, la recherche du pragmatisme doit être la règle, et il ne faudrait pas que le passage du plan de cession à la liquidation empêche en pratique des cessions.

M. Xavier de Roux, rapporteur, a loué la qualité du texte, qui tend à traiter les difficultés le plus en amont possible. Cependant, la mort d'une entreprise étant aussi naturelle que celle d'une personne, il ne s'agit pas de vouloir faire des miracles mais seulement de limiter les conséquences de ces défaillances sur l'environnement économique.

S'agissant des procédures négociées, la formule empirique du mandat ad hoc, créée en 1990 puis reprise en 1994, est reconduite. Quant à la conciliation, elle constitue une version améliorée du règlement amiable résultant de la loi de 1994. Elle règle la question de l'inopposabilité du règlement amiable aux tiers mais elle pose, en sens contraire, la question de savoir si la conciliation doit avoir systématiquement l'autorité de la chose jugée, ou redevenir, dans certains cas, le dispositif souple qu'était auparavant le règlement amiable.

En ce qui concerne la procédure de sauvegarde, son aboutissement exige qu'il existe un bon système d'alerte et, à cet égard, deux écueils se dressent : en faire trop ou pas assez. En faire trop, ce pourrait être donner aux tribunaux de commerce un trop grand nombre d'informations sur la situation des entreprises. Il faut néanmoins souligner que l'urssaf bénéficie de logiciels perfectionnés, dotés de « clignotants sophistiqués » ; elle peut donc négocier seule des moratoires avec les entreprises débitrices. Et la concentration bancaire au sein de grands réseaux de banque-industrie a produit exactement le même phénomène : ces établissements sont équipés de systèmes automatiques surveillant les crédits, pénalisant notamment les petites et moyennes entreprises, qui représentent 90 % des victimes des procédures collectives. L'alerte doit faire en sorte que le tribunal agisse suffisamment en amont, mais elle suppose un changement culturel de la part des entrepreneurs, qui doivent accepter de se placer sous la protection du tribunal. Pour que la peur des tribunaux se dissipe, il faut agir sur les sanctions, et c'est le rôle du parquet ; nombre de présidents de tribunaux de commerce déclarent d'ailleurs qu'ils souhaitent qu'un parquet commercial soit associé à leur travail.

La sauvegarde, procédure collective, est un redressement judiciaire anticipé, intervenant avant la cessation de paiement, et qui permet de discuter globalement avec les fournisseurs et les banquiers, réunis en comités. Les personnes physiques cautions personnelles peuvent se prévaloir du plan de sauvegarde. Si la procédure proposée est bonne, on peut regretter qu'elle intègre toutes les dispositions du redressement judiciaire. Ne serait-il pas souhaitable d'alléger un peu le mécanisme, notamment sur des points comme la vérification des créances ? Lorsque débiteurs et créanciers tombent d'accord sur les comptes, pourquoi prévoir une vérification ?

La question des délais appelle sans doute des ajustements. Ainsi, le fait que l'ouverture d'une conciliation soit possible dans les quarante-cinq jours suivant la cessation des paiements alors que la sauvegarde ne l'est pas peut susciter une telle interrogation. La notion de cessation des paiements, qui demeure donc un fait déclencheur des différentes procédures, suscite du reste un grand débat théorique. Les tribunaux de commerce appréciant l'état de cessation des paiements de façon extrêmement pragmatique, il ne semble néanmoins pas utile de le redéfinir ; les discussions dogmatiques sur ce point passionnent certes les professeurs de droit et certains hauts magistrats de la Cour de cassation, mais elles sont peut-être devenues essentiellement théoriques.

Dans la pratique, pour sauver une entreprise, on commence généralement par jouer sur la masse salariale. Or le texte prévoit que le régime des licenciements, en cas de sauvegarde, ne bénéficiera pas des assouplissements des licenciements économiques permis par le redressement judiciaire, mais sera le régime de droit commun. Quelle pourra être l'efficacité réelle de la politique de sauvegarde, ainsi privée du levier essentiel consistant à adapter rapidement le niveau de l'emploi à l'activité réelle ? Par ailleurs, certaines organisations patronales s'opposent à l'intervention de l'ags (Association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salaires) dans le cadre de la sauvegarde. Cette intervention sera pourtant absolument indispensable, car l'ags car elle jouera le rôle de « parachute » financier, et permettra de diminuer le nombre de licenciements qui, à défaut, interviendront en aval de la sauvegarde.

Enfin, à la frontière de la sauvegarde et de la liquidation, se pose le problème de la cession de l'entreprise. Actuellement, dans de nombreux cas, le redressement n'en est pas vraiment un, puisque la totalité de l'activité de l'entreprise est cédée à un repreneur : même si, une fois les créanciers payés, l'activité se poursuit, rien n'est redressé pour le débiteur, puisque c'est l'entrepreneur qui change. Le régime applicable doit-il alors être la cession d'activité ou la liquidation ? Des arguments pèsent en faveur de chacune des deux options. Si l'administrateur est autorisé à recevoir les offres de cession d'entreprise dans le cadre du redressement judiciaire, si le même jugement peut prononcer à la fois la liquidation et la cession et si l'administrateur poursuit sa tâche dans le cadre de la liquidation, tous les obstacles seront levés sur la voie d'une solution à peu près raisonnable, et en tout cas plus simple ; ce choix pourrait toutefois susciter des réactions corporatives.

Le rapporteur a ensuite suggéré que le texte aille plus avant sur deux points.

Premièrement, les administrateurs ont tendance, au moins sur la place de Paris, à négocier d'emblée sur la base d'un rabais de 50 %. Or la doctrine fiscale, en la matière, est extrêmement stricte : les abandons de créances ne sont déductibles que lorsqu'ils sont considérés comme indispensables à la survie de l'entreprise qui les consent. Il conviendrait d'améliorer l'incitation à abandonner des créances en prévoyant la déductibilité fiscale, ce qui reviendrait, pour les créanciers, à un amortissement partiel de leurs pertes.

Deuxièmement, le privilège des créanciers publics constitue en France une particularité nationale : la France est l'un des seuls pays d'Europe à accorder un tel privilège. Or le Trésor public, dans beaucoup de ressorts, refuse par principe toute remise de dettes. Les urssaf ne peuvent évidemment pas remettre les dettes de cotisations salariales puisque celles-ci sont versées pour le compte des salariés, de la même façon que la TVA est collectée par l'entreprise pour le compte du Trésor public. Mais, hormis ces deux catégories de créances, le nouveau dispositif devrait supprimer et aligner les organismes publics sur le droit commun, afin de ne pas bloquer la sauvegarde.

Le président Pascal Clément a tenu à saluer la qualité du travail du rapporteur, qui a auditionné une quarantaine de personnes.

En réponse à ces observations, le garde des Sceaux a apporté les précisions suivantes.

- il n'est pas prévu que le chef d'entreprise soit contraint d'entamer de démarche auprès du parquet ; la seule obligation qui lui incombera sera d'informer le président du tribunal ;

- eu égard à l'organisation judiciaire actuelle, il est impossible de créer un parquet commercial partout. On peut réfléchir, en revanche, à la présence d'un spécialiste des affaires commerciales dans chaque parquet, sur la lancée de la tendance observée ses dernières années ;

- dans le cas du mandat ad hoc, il n'est pas inacceptable de proposer que le parquet ne soit pas systématiquement informé ;

- en ce qui concerne le partage entre domaine législatif et domaine réglementaire pour les charges sociales et les créances publiques, le texte propose simplement d'appliquer les règles actuelles : la matière fiscale relève de la loi tandis que la matière sociale relève du règlement. Même si le texte n'entre pas dans le détail, le débat parlementaire éclairera les partenaires économiques et sociaux pour qu'ils comprennent la direction suivie par le Gouvernement ;

- la procédure de sauvegarde, en évitant les ventes forcées et en apportant une liberté d'action, pourra conduire à une restructuration de l'actionnariat des entreprises ; cet élément de souplesse mérite d'être souligné ;

- pour la conciliation, l'idée de donner aux chefs d'entreprise le choix entre confidentialité et sécurité juridique semble intéressante ;

- le mieux est parfois l'ennemi du bien, et l'alerte systématique et rapide n'est pas toujours dénuée d'inconvénients. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 a repoussé de trois à six mois le délai d'alerte pour l'urssaf. La question peut se poser de la durée optimale en la matière ;

- entre l'avant-projet du Gouvernement et le texte qui a été présenté en conseil des ministres, la durée pendant laquelle il est possible de demander une conciliation après la cessation des paiements a été relevée de trente à quarante-cinq jours ;

- le projet de loi prévoit que les administrateurs judiciaires préparent la cession dès la phase de redressement judiciaire, mais il sera toujours possible d'accentuer cette orientation, comme l'a recommandé le rapporteur : le tribunal ordonnerait simultanément la vente de l'entreprise et sa liquidation ;

- sur les créances publiques, M. Francis Mer, alors Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, avait accompli un très grand pas en acceptant que l'État puisse renoncer au principal et non plus seulement aux intérêts de ses créances. S'agissant de crédits publics, il convient toutefois de tenir compte d'une spécificité : les abandons de créances sont accordés au nom de l'État par des fonctionnaires, qui statuent par conséquent sur de l'argent public qui ne leur appartient pas. L'équilibre du texte semble à cet égard assez satisfaisant, et les créanciers publics consentent déjà deux efforts importants avec l'obligation d'alerte et la possibilité d'abandonner une partie du principal de leurs créances ;

- le projet de loi ne prévoit pas de modifier le droit du licenciement pour la procédure de sauvegarde et doit, de toute façon, rester cohérent avec la loi de programmation pour la cohésion sociale ;

- lors de son élaboration, le projet de loi avait recueilli l'accord de l'ensemble des partenaires économiques et sociaux et un équilibre avait été trouvé entre créanciers et entrepreneurs. Si la discussion parlementaire est naturellement toujours ouverte, la sauvegarde ne peut se concevoir sans recours à l'ags, son intervention garantissant une meilleure efficacité du dispositif de procédure collective, et par conséquent une réduction du risque.

Le président Pascal Clément a déploré que les grands groupes, alors même que le Conseil constitutionnel a consacré les principes d'égalité et de proportionnalité, bénéficient d'avantages fiscaux considérables tandis que les petites entreprises se voient presque systématiquement opposer des fins de non-recevoir.

M. Philippe Houillon a jugé que le texte était un texte intelligent, fondé sur un diagnostic juste. La procédure de conciliation en cas de difficultés avérées, y compris juridiques, et la procédure de sauvegarde sont des réponses judicieuses aux questions posées. En outre, plusieurs dispositions sont favorables aux patrons de petites et moyennes entreprises, notamment la possibilité pour ses personnes physiques cautions de bénéficier des délais et des remises qui seront prévus par les plans de sauvegarde.

Le vide juridique concernant les professions libérales est comblé, comme s'y était engagé le Gouvernement lors de l'examen du projet de loi instaurant le rétablissement personnel.

S'agissant des créanciers publics, la solution proposée constitue déjà, en l'état actuel du texte, une avancée considérable et il semble difficile d'aller plus loin.

La transmission au parquet ne constitue pas en tant que telle une mesure de publicité, mais elle peut s'avérer rédhibitoire pour les débiteurs, attachés à la confidentialité. Il importe par conséquent de supprimer cette disposition, au moins pour le mandat ad hoc.

Il faut par ailleurs étendre à la sauvegarde le régime des licenciements économiques en vigueur en matière de redressement judiciaire, car en rester là serait contraire à l'esprit du texte, la sauvegarde étant destinée à réorganiser l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique. Mais comment la réorganiser sans être doté des outils juridiques nécessaires ?

Si les administrateurs conservent la possibilité de traiter les projets de cessions, les critiques corporatistes devraient s'atténuer. De toute façon, l'efficacité économique est plus importante que les intentions prêtées à telle ou telle profession.

La notion de cessation des paiements suscite la discussion. Quoique le texte retenu ne soit guère satisfaisant en l'état, il sera difficile d'aller plus loin, et le sujet devrait continuer de fournir matière à colloques... Durant la procédure de conciliation, une entreprise peut être en état de cessation des paiements. Par contre, celle qui est soumise à une procédure de sauvegarde ne peut l'être, alors qu'elle est susceptible de bénéficier d'un plan d'étalement de ses dettes sur dix ans, ce qui signifie qu'elle est hors d'état de rembourser ses dettes dans l'immédiat : c'est contradictoire. Une solution possible serait de demander au tribunal de motiver la détermination de la date d'échéance de la procédure.

Enfin, le texte renvoyant à de très nombreuses reprises à des décrets en Conseil d'État, il serait bon que la Commission soit associée à leur rédaction.

M. Jacques-Alain Bénisti a déclaré que les chefs d'entreprise et les juristes attendaient un tel texte depuis des années.

Lorsqu'un chef d'entreprise ou un gérant accomplit la démarche volontaire de se rendre au tribunal de commerce, il sait quelle épée de Damoclès pèsera sur lui tout au long de son parcours. En l'absence de confidentialité, le pôle bancaire sera intraitable à son égard : il lui refusera toute autorisation de découvert ou d'escompte, et le signalera à la Banque de France. Le pôle des fournisseurs l'inscrira sur les listes occultes d'un certain nombre de professions, ce qui le mettra dans le « rouge » pour toute négociation de prix. Quant aux moratoires acceptés par les urssaf régionales, ils aboutissent quelquefois à des accords qui peuvent se révéler préjudiciables aux procédures ultérieures. C'est pourquoi la confidentialité est essentielle.

Le projet de loi prévoit de maintenir de lourdes sanctions à l'encontre des chefs d'entreprise - si les 220 000 créateurs de 2004 en avaient été informés, cela les aurait sans doute dissuadés -, mais ne modifie pas celles applicables aux administrateurs et mandataires judiciaires, qui manquent pourtant souvent à leurs missions. Certains prolongent parfois volontairement les procédures de liquidation pour accroître leur rémunération, en utilisant même les actifs des entreprises dont ils ont la charge pour payer quelques créances chirographaires, bien que la loi leur fasse obligation de rembourser prioritairement les créanciers privilégiés. Ceux-ci, notamment le fisc, lorsqu'ils constatent que le mandataire de justice n'a plus d'actifs à distribuer, font appliquer les articles L. 266 et L. 267 du livre des procédures fiscales et se retournent vers le patrimoine personnel du gérant. De même, lorsqu'un chef d'entreprise ne peut plus faire face à ses échéances, il choisit souvent de régler les salaires au détriment de la TVA, qu'il est ensuite tenu de payer personnellement, toujours en vertu des mêmes articles L. 266 et L. 267.

Par conséquent, si le projet de loi emporte l'adhésion, dans l'ensemble, il mérite, sur ces deux points, d'être affiné.

M. Arnaud Montebourg a rappelé que ce texte intervenait à la suite de très nombreuses réflexions : c'est le troisième en vingt ans, après la « loi Badinter » et la « loi Toubon », sans compter la réforme tendant à restaurer la confiance dans l'institution consulaire, restée à l'état d'avant-projet durant la législature précédente.

Or ce dernier point n'est pas même évoqué par le rapporteur. Il est pourtant fondamental, car chacun s'accorde à dire que les chefs d'entreprise ne veulent pas se présenter devant le tribunal de commerce, chargé de l'administration des faillites. Ils ont beau participer à l'élection de cette juridiction, composée de leurs pairs, ils ne lui témoignent aucune confiance, pas plus qu'aux mandataires de justice. Mais le Gouvernement n'a pas souhaité s'inscrire dans une démarche de moralisation. La loi de janvier 2003 n'a produit presque aucun effet et le garde de Sceaux, après avoir déclaré qu'il entendait modifier les émoluments des mandataires, n'a fait qu'accroître l'ensemble des tarifs, par décret en date du 10 juin 2004, et dans des proportions absolument consternantes : entre 1995 et 2004, les rémunérations des représentants de créanciers pour vérification des créances salariales ont ainsi progressé de 158 % à 800 % ; et les rémunérations des liquidateurs sur les recouvrements d'actifs ont même crû de 200 % à 1 000 %. Les professionnels gravitant autour des tribunaux de commerce ont été favorisés par la Chancellerie, comme d'habitude, la représentation nationale ayant été écartée de l'élaboration du décret. Engager une réforme sans modifier ce dispositif risque tout de même de poser quelques problèmes.

L'idée d'anticipation est intéressante mais, faute de confiance, les mécanismes de règlement amiable ou de mandat ad hoc existant dans la législation actuelle ne fonctionnent pas. Or, dans le projet de loi, des concessions très fortes sont consenties aux établissements de crédit, au risque de déséquilibrer son architecture. Le texte est dans la droite ligne de la loi du 10 juin 1994, tendant à accroître les garanties des créanciers au détriment des pouvoirs que le tribunal de commerce pouvait exercer pour leur imposer le redressement et le sauvetage. Le fait de briser la confidentialité crée un privilège supplémentaire tel que les effets positifs attendus de la réforme seront contredits par ses effets pervers. Si une concertation a peut-être eu lieu, le choix politique retenu ne fait pas pour autant consensus.

Par ailleurs, la sécurisation du système bancaire va conduire à la prise du pouvoir par les établissements de crédit. La compétence du président du tribunal de commerce pour l'homologation est pratiquement liée, avec d'éventuels effets pervers à la clé.

Le risque, c'est que personne ne veuille utiliser la procédure d'anticipation, en raison de l'absence de confiance liée à l'absence de moralisation de l'institution consulaire, d'une part, et de l'absence de confidentialité, d'autre part.

L'affaire des comités de créanciers est également un aimable sfumato : qui détiendra le pouvoir ? Comment fonctionneront-ils ?

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement devrait laisser aux parlementaires la possibilité d'amender sérieusement son texte.

L'idée selon laquelle la question de la cessation des paiements ne serait qu'un bon thème de colloque n'est pas acceptable. Si plusieurs juristes sont venus en parler aux membres de la Commission, ce n'est pas par pur plaisir intellectuel, mais parce que cela a des conséquences sur la responsabilité pénale et civile des différents intervenants, et notamment des débiteurs. Si la cessation des paiements n'a aucune importance, pourquoi ne pas faire sauter tout élément déclencheur de la banqueroute se référant à elle ?

La sauvegarde ne pourra fonctionner convenablement sans mise à contribution de l'ags. Mais le problème de son financement doit être réglé, surtout si le nombre de sinistres économiques reste aussi élevé. Le fait que les professions libérales soient amenées à cotiser à l'ags ne suffira pas à renflouer ses caisses.

Les parlementaires de l'opposition ont procédé à leurs propres auditions, à huis clos - cela aide les langues à se délier -, et il en ressort un scepticisme assez généralisé vis-à-vis du projet de loi.

M. Emile Blessig s'est dit intéressé par les chiffres communiqués par le garde des Sceaux concernant les entreprises : 90 % des entreprises en redressement emploient moins de dix salariés et, dans neuf cas sur dix, la procédure conduit à une mise en liquidation. Dans ces conditions, il est inquiétant que les modalités d'accès au mécanisme de sauvegarde soient définies par décret. Quelles seront, en fin de compte, les entreprises éligibles ? C'est une question fondamentale.

Des efforts de prévention ont été entrepris depuis vingt ans pour aider les entreprises en difficulté. La cessation de paiement est une notion importante mais il faut avant tout déterminer ce qui fonde le péril de l'entreprise défaillante : est-ce la difficulté à poursuivre son projet économique ou bien le risque qu'elle fait courir à son créancier ? Il faudra préciser en quoi la réponse a évolué car ses conséquences pratiques sont cruciales.

La confiance du chef d'entreprise dans la juridiction à laquelle il confie ses problèmes n'est guère compatible avec la possibilité de saisine d'office. Si une institution chargée d'anticiper les difficultés et de tâcher d'y répondre fait par ailleurs peser le risque d'une saisine d'office, il est à craindre qu'il y soit rarement fait recours.

M. Guy Geoffroy s'est fait l'interprète de Mme Arlette Grosskost pour demander comment une entreprise ne bénéficiant pas en permanence des conseils d'un expert-comptable pourra être informée du meilleur moment pour agir et formuler sa requête.

Quelles formes prendront l'homologation et éventuellement la publicité du jugement de conciliation ?

Comment la notion d'abandon de créance s'articule-t-elle avec celle de retour à meilleure fortune ?

En réponse aux intervenants, le garde des Sceaux a apporté les éléments de réponse suivants :

- en permettant à l'État de renoncer désormais à la partie principale de ses créances, et non plus seulement aux intérêts, le texte réduit la différence de traitement, dénoncée à juste titre, entre grandes et petites entreprises ;

- ouvrir un droit d'option aux chefs d'entreprise en cas de conciliation constitue sans doute une réponse intéressante au problème de la confidentialité ;

- la procédure de sauvegarde est le signe que l'activité de l'entreprise continue et que l'emploi est préservé. Il ne s'agit pas d'entrer dans un système dérogatoire au droit commun du licenciement ;

- si de nécessaires précisions sont renvoyées au décret, c'est parce que la Chancellerie, comme à son habitude, a scrupuleusement respecté la règle selon laquelle une loi ne saurait contenir de mesures réglementaires ;

- la loi du 3 janvier 2003 et le décret du 10 juin 2004 forment les bases d'une politique très volontariste en ce qui concerne les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires. L'ensemble des professionnels seront dorénavant inspectés tous les deux ans. En outre, ces derniers mois, un certain nombre de poursuites ont été engagées et plusieurs administrateurs judiciaires et mandataires judicaires ont été radiés. Quant au décret sur leurs rémunérations, il est rigoureusement à « somme nulle » ; il se borne à remplacer certains modes de rémunérations qui incitaient à de mauvais comportements, notamment la rémunération à hauteur de 5 % de l'écart entre la créance déclarée et le montant retenu par le mandataire, par des rémunérations encourageant plutôt le versement des créances salariales dues ; la profession des mandataires judiciaires exprime d'ailleurs un fort mécontentement ;

- l'opposition, majoritaire sous la précédente législature, en tentant de réformer les tribunaux de commerce, s'est bornée à bloquer le système en accumulant maladresses et provocations. Le conseil national qui sera mis en place dans quelques semaines pour réguler l'institution devrait permettre de retrouver une nécessaire sérénité ;

- l'objectif de la réforme est de faire en sorte que les entreprises traversant des difficultés puissent poursuivre leurs activités. Mais, pour que les créanciers acceptent de réinjecter de l'argent dans le système, ils doivent bénéficier de conditions suffisamment satisfaisantes. Par ailleurs, les personnes physiques cautions personnelles ne seront plus soumises à la menace des créanciers. La philosophie de ce texte est de privilégier l'approche économique afin de réduire au moins de moitié les 300 000 emplois supprimés chaque année à l'issue des procédures collectives ;

- il serait risqué de modifier la définition juridique de la cessation des paiements existant car la solution la plus souvent envisagée conférerait un pouvoir considérable aux créanciers ;

- tout chef d'entreprise pourra bien demander l'ouverture d'une procédure de sauvegarde et la constitution de comités, mais en dessous d'un certain seuil, défini par décret, les comités de créanciers ne seront que facultatifs ;

- la sauvegarde ne pourra faire l'objet d'une saisine d'office : il appartiendra au chef d'entreprise pressentant des difficultés d'en prendre l'initiative ;

- la publicité interviendra uniquement dans la procédure de conciliation, et non dans le mandat ad hoc.

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Information relative à la Commission

Le Président Pascal Clément a informé la commission, à la demande du Président de la commission des Finances, de l'économie générale et du plan, de la prochaine reprise des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle en appelant l'attention des commissaires aux lois, parmi les trois thèmes retenus, sur celui de l'évolution du coût des demandes d'asile.

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