COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 35

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 11 mai 2005
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Pascal Clément, président

SOMMAIRE

 

Pages

- Examen de la proposition de résolution de M. René André sur l'Office européen de lutte anti-fraude (olaf) (COM [2004] 103 final/E2517, COM [2004] 104 final/E 2518) (n° 1534) (M. Alain Marsaud, rapporteur)



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- Examen de la proposition de résolution de M. Christian Philip sur l'Union européenne et la lutte contre le terrorisme (documents E 2616, E 2634 et E 2734) (n° 2122) (M. Alain Marsaud, rapporteur)



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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Alain Marsaud, la proposition de M. René André sur l'Office européen de lutte anti-fraude (olaf) (COM [2004] 103 final/E2517, COM [2004] 104 final/E 2518) (n° 1534).

M. Alain Marsaud, rapporteur, a rappelé que la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne avait adopté le 8 avril 2004 une proposition de résolution concernant deux propositions de règlements communautaires modifiant le fonctionnement de l'Office européen de lutte anti-fraude, l'olaf. Les négociations sur ces textes au Conseil ont depuis été interrompues mais devraient reprendre à l'automne, rendant donc nécessaire l'adoption définitive par l'Assemblée nationale d'une résolution.

L'olaf a été créé au lendemain de la crise qui a provoqué la chute de la Commission Santer, en 1999, afin d'assurer la protection des intérêts financiers de l'Union européenne face au développement de la fraude. Son rôle est double : il est à la fois chargé d'enquêter sur les irrégularités commises au sein même des institutions européennes (enquêtes internes) et sur les fraudes aux fonds communautaire dans les États membres (enquêtes externes). Les pouvoirs dont disposent ses enquêteurs sont importants puisqu'ils peuvent effectuer des contrôles sur place, accéder aux locaux des personnes concernées, prendre copie de tout document... Bien que faisant partie de la Commission européenne, l'Office bénéficie d'une indépendance fonctionnelle pour l'exercice de ses missions d'enquête. Dans son cinquième rapport d'activité, l'olaf a estimé que l'impact financier des enquêtes menées entre juillet 2003 et juillet 2004 s'élevait à plus de 1,5 milliard d'euros, contre 850 millions l'année précédente.

Pour autant, le rapporteur a estimé que le développement des activités de l'olaf avait mis à jour certaines lacunes, qui sont à l'origine des propositions de règlement modifiant ses règles de fonctionnement.

La première série de dysfonctionnements relevés par la Délégation a trait à l'insuffisante protection des droits fondamentaux des personnes faisant l'objet d'enquêtes de l'olaf, qu'il est effectivement impératif de renforcer. Il est donc bienvenu que les propositions de règlement renforcent les garanties accordées aux personnes concernées par les enquêtes, mais si la Délégation considère que ces droits devraient également inclure l'accès au dossier ouvert par l'Office. S'agissant des nouvelles dispositions relatives au comité de surveillance de l'olaf, la Délégation suggère un rattachement de son secrétariat à la Cour des comptes plutôt qu'à la Commission afin de renforcer son indépendance. La Délégation souhaiterait également qu'un contrôle juridictionnel des actes de l'olaf dans ses fonctions d'enquête soit assuré, contrôle qui devrait incomber au parquet européen, dont la création est envisagée par le traité établissant une Constitution pour l'Europe.

La seconde série de dysfonctionnements est liée au statut ambigu et hybride de l'olaf, à la fois organisme indépendant chargé de faire des contrôles, mais qui reste pourtant un service de la Commission. À ce sujet, la proposition de résolution salue les avancées prévues en matière de circulation de l'information entre l'olaf et les autres institutions et organes européens. Mais, la Délégation considère que les réformes proposées sur le statut de l'olaf sont insuffisamment ambitieuses et recommande une externalisation de l'olaf, afin d'en faire un auxiliaire de justice qui serait placé sous le contrôle du futur parquet européen. En outre, elle suggère que soit engagée une réflexion sur une fusion entre l'olaf et l'Office européen de police, europol.

Le rapporteur a conclu qu'il serait utile que le statut de l'Office, notamment vis-à-vis de la Commission qu'il est chargé de contrôler, soit davantage clarifié et a donc recommandé l'adoption de la proposition de résolution de la Délégation pour l'Union européenne, sous réserve de l'adoption d'amendements purement rédactionnels.

Après avoir fait part de ses doutes sur la portée effective de la résolution adoptée par l'Assemblée nationale, le Président Pascal Clément a souhaité que la Délégation comme la commission des Lois se montrent vigilantes sur les suites réservées à cette résolution. Il s'est ensuite interrogé sur la fusion éventuelle d'europol et de l'olaf. Rappelant enfin le rôle de la Cour des comptes de l'Union européenne, il s'est également interrogé sur les missions respectives et les rapports de la Cour et de l'olaf.

Après avoir souligné le rôle nécessaire joué par des organismes tels qu'europol ou l'olaf, M. Jacques Floch a estimé qu'ils ne devaient pas pour autant échapper au contrôle du juge, comme il avait pu le constater s'agissant d'europol dans un rapport présenté au nom de la Délégation pour l'Union européenne. De la même manière, l'olaf ne semble pas toujours respecter les droits de la défense dans le cadre des opérations qu'il conduit et un véritable contrôle juridictionnel devrait être mis en place. Puis M. Jacques Floch s'est interrogé sur le coût d'un tel organisme, au regard de ses résultats effectifs.

M. Étienne Blanc a souhaité savoir si l'olaf comprend des représentants de la France et dans quelles conditions ses agents sont nommés.

M. Xavier de Roux a rappelé que les fonctionnaires de la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne détiennent depuis longtemps un pouvoir d'investigation similaire à celui de l'olaf.

Le rapporteur a rappelé que l'olaf était un service de la Commission et n'était donc pas composé de représentants des Etats. Ses agents relèvent ainsi de la Commission et peuvent être de toutes nationalités : l'un de ses principaux directeurs, celui chargé des affaires juridiques, est d'ailleurs de nationalité française.

Concernant, les relations entre les différents organismes européens de contrôle, il a estimé qu'il était souhaitable que le futur parquet européen « chapeaute » à la fois europol et l'olaf, afin de rapprocher ces organes, sans pour autant les fusionner dans la mesure où les missions confiées à europol diffèrent sensiblement de celles de l'olaf. Quant à la Cour des comptes européennes, son contrôle est strictement comptable.

La Commission est ensuite passée à l'examen de l'article unique de la proposition de résolution

Après avoir adopté un amendement rédactionnel du rapporteur, la Commission a adopté un amendement du même auteur tirant les conséquences des dispositions de l'article III.-274 du traité établissant une Constitution pour l'Europe qui prévoit les modalités de création du parquet européen.

La Commission a ensuite été saisie d'un amendement du rapporteur substituant à la demande d'un audit sur les activités de l'olaf le souhait que les résultats de l'audit entrepris depuis soient pleinement pris en compte. Le président Pascal Clément ayant jugé cette disposition inutile, le rapporteur a retiré l'amendement en soulignant que la rédaction de la proposition de résolution n'était plus pertinente, puisque l'audit a déjà été engagé. La Commission a alors adopté un amendement du président Pascal Clément supprimant l'alinéa concerné.

La Commission a ensuite adopté l'ensemble de la proposition de résolution ainsi rédigée.

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Puis la Commission a examiné, sur le rapport de M. Alain Marsaud, la proposition de résolution de M. Christian Philip sur l'Union européenne et la lutte contre le terrorisme (documents E 2616, E 2634 et E 2734) (n° 2122).

M. Alain Marsaud, rapporteur, a indiqué que la proposition de résolution présentée par M. Christian Philip sur l'Union européenne et la lutte contre le terrorisme portait sur deux projets de décisions-cadres et sur une proposition de directive. Aucun de ces trois projets de textes européens ne concerne spécifiquement la lutte contre le terrorisme, leur objet étant d'intensifier la coopération judiciaire et policière contre toutes les formes de criminalité, même s'il est incontestable que l'impératif de la lutte anti-terroriste est un aiguillon utile pour accélérer les réalisations de l'Union européenne dans ces domaines.

D'ailleurs, les sept premiers points de la proposition de résolution de M. Philip ne concernent pas directement la position de l'Assemblée nationale sur des projets de textes européens en particulier, mais traitent de la lutte contre le terrorisme en général.

Le rapporteur a ensuite présenté le projet de décision-cadre sur la rétention des données de communication, qui est une initiative conjointe de la France, du Royaume-Uni, de l'Irlande et de la Suède. Le projet vise à imposer aux États membres la mise en place d'une législation rendant obligatoire la conservation par les opérateurs de communication (téléphonie, sms et mms, Internet) des données de trafic, de localisation et relatives à l'abonné ou à l'utilisateur.

L'utilité des données de trafic et de localisation liées à l'utilisation de services de télécommunication n'est plus à démontrer dans la lutte contre la criminalité, comme l'ont prouvé par exemple l'enquête sur l'assassinat du préfet Erignac, celle sur les attentats de Madrid ou sur Richard Reid, auteur d'une tentative d'attentat sur un vol Paris/Miami. L'harmonisation des règles dans ce domaine au sein de l'Union européenne est donc un impératif et a conduit le Conseil européen à prévoir l'adoption de règles d'harmonisation d'ici juin 2005.

Le rapporteur a cependant fait part de l'existence d'un débat sur la base légale de la proposition de décision cadre, la Commission européenne et le service juridique du Conseil contestant que cette question relève du « troisième pilier » et de la coopération judiciaire, car elle concernerait le fonctionnement du marché intérieur, et devrait donc faire l'objet d'une directive. Il existe donc un risque de retrait de la proposition de décision-cadre qui retarderait la mise en place d'une législation européenne en matière de rétention de données, ce qui serait très regrettable.

Concernant la durée de rétention des données, la proposition de résolution considère que le délai minimum d'un an est adapté aux besoins de la justice, et elle souhaite que la décision-cadre fixe également un délai maximum afin de respecter l'équilibre entre besoins des enquêtes et protection de la vie privée. Ces délais correspondent globalement à la pratique concernant les opérateurs français en ce qui concerne les données relatives à la téléphonie et aux SMS ; pour les données Internet et relatives au courrier électronique, les coûts de stockage étant bien plus élevés, la pratique est de ne conserver les données que trois à quatre mois. Le projet de décision-cadre autorise d'ailleurs les États à mettre en place des durées de conservation plus courtes qu'un an pour ce type de données.

Après avoir indiqué qu'il partageait l'avis de la Délégation sur la nécessité de prévoir une harmonisation des régimes d'indemnisation des opérateurs au sein de l'Union européenne, le rapporteur a estimé nécessaire que la nature des données à conserver par les opérateurs soit précisée dans la décision-cadre. En effet, la version initiale du projet se contentait d'imposer la conservation des données stockées par les opérateurs pour des raisons commerciales ou techniques. Or, l'efficacité de l'utilisation des données stockées dans la lutte contre la criminalité ne doit pas dépendre de la politique commerciale des différents opérateurs.

Le deuxième texte faisant l'objet de la proposition de résolution concerne la simplification de l'échange d'informations et de renseignements entre services répressifs. Ce projet, d'initiative suédoise, est une application du nouveau « principe de disponibilité » en matière de coopération policière, consacré au Conseil européen de La Haye en novembre 2004. Selon ce principe, tout agent d'un service répressif d'un État membre est tenu de fournir à ses homologues les informations qui lui sont demandées s'ils les détient ou est en mesure de les obtenir.

Ainsi, le projet suédois vise à rendre automatique l'échange direct d'informations entre services répressifs, sans tenir compte des spécificités procédurales de l'État requis, et notamment l'éventuelle intervention d'une autorité judiciaire. De nombreux États, dont la France, ont considéré que cette approche remettait en cause la distinction entre coopération policière et coopération judiciaire, et qu'il n'était pas acceptable de « contourner » de la sorte les canaux habituels de l'entraide judiciaire. Cependant, si les informations détenues uniquement par des autorités judiciaires devaient être totalement exclues du champ de la décision-cadre, il est à craindre que celle-ci n'apporte rien par rapport à la pratique quotidienne de la coopération policière entre États membres.

Ainsi, comme le propose la présidence luxembourgeoise, une solution pourrait consister à exclure les autorités judiciaires du champ des « services répressifs » tout en prévoyant une procédure spécifique lorsqu'un service de police demande une information qui n'est disponible dans l'État requis que sur autorisation judiciaire Cette formulation permettrait d'éviter qu'une autorité judiciaire française, par exemple, ne soit tenue de délivrer directement des informations à un service de police étranger, mais autoriserait ce dernier à les obtenir dans les mêmes conditions qu'un service de police français.

Le rapporteur a ensuite abordé la proposition de directive sur la lutte contre le blanchiment. Ce projet a pour but d'étendre les obligations de vigilance à l'égard des professionnels en matière de blanchiment et, surtout, d'incriminer spécifiquement le financement du terrorisme, alors que ces deux activités diffèrent pourtant sensiblement. Il est donc particulièrement opportun que le projet de troisième directive anti-blanchiment distingue désormais spécifiquement le financement du terrorisme par rapport au blanchiment.

Les difficultés dans la négociation de cette directive ont surtout porté sur la question sensible de la suppression pour un avocat de la possibilité d'informer son client qu'il fait à son égard, comme la directive de 2001 l'a imposé, une déclaration de soupçons en matière de blanchiment ou de financement du terrorisme.

S'il apparaît légitime de lutter contre le blanchiment, il est néanmoins indispensable de préserver le principe fondamental du respect des droits de la défense, et notamment le secret professionnel. C'est pourquoi les activités de conseil juridique et les missions de défense et de représentation dans une procédure judiciaire ne devraient en aucun cas être concernées par l'obligation de déclaration de soupçons, alors que la législation européenne actuelle laisse cette question à la libre appréciation de chaque État. Pour être équilibrée, la directive devrait rendre obligatoire cette exception au principe de la déclaration de soupçons dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne.

M. Gérard Léonard s'est réjoui que le « principe de disponibilité » n'ait pas été vidé de sa substance. Il a souhaité connaître les pays dans lesquels ce principe se heurte à l'opposition systématique des magistrats.

M. Xavier de Roux a relevé que peu de pays européens attribuent aux autorités judiciaires un rôle de direction vis-à-vis des services de police dans la conduite des enquêtes, hormis la Belgique, l'Espagne et la France.

M. Jacques Floch a regretté les réticences systématiques du ministère de la Justice face aux mécanismes de coopération européenne, notamment la mise en place d'un parquet européen. Il a estimé que cette attitude réservée à l'égard d'un partage de souveraineté entrave le bon fonctionnement des organismes communautaires.

Le rapporteur a indiqué que la mise en œuvre du « principe de disponibilité » posait des difficultés dans les pays dans lesquels l'autorité judiciaire exerce le contrôle sur la conduite des enquêtes. En conséquence, certaines délégations ont exprimé des craintes sur l'inclusion des autorités judiciaires dans le champ de la décision-cadre : il s'agit de l'Autriche, de la Belgique, de la République tchèque, de l'Allemagne, de la France, de la Hongrie et de la Pologne.

La Commission est ensuite passée à l'examen de l'article unique de la proposition de résolution

La Commission a adopté un amendement du rapporteur souhaitant que le recours éventuel à une directive communautaire plutôt qu'à une décision-cadre du « troisième pilier » pour harmoniser les règles relatives à la conservation des données ne ralentisse pas le processus d'harmonisation.

La Commission a ensuite adopté un amendement du même auteur approuvant la fixation par la décision-cadre de la liste des données dont la conservation est obligatoire.

Puis, elle a ensuite adopté un amendement du rapporteur concernant le projet de décision-cadre sur l'échange d'informations entre services répressifs, visant à maintenir le principe d'une coopération policière entre les seuls services de police, distincte de l'entraide judiciaire, mais selon une procédure spécifique lorsque l'accès à une information nécessite une autorisation judiciaire.

La Commission a enfin adopté un amendement du rapporteur, approuvé par le président Pascal Clément, proposant de rendre obligatoire pour les États membres l'exclusion des avocats, s'agissant de leurs activités de conseil juridique et de défense, du champ d'application des obligations en matière de déclaration de soupçons.

Puis la Commission a adopté l'ensemble de la proposition de résolution ainsi rédigée.

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