COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 38

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 1er juin 2005
(Séance de 10 h 30)

Présidence de M. Pascal Clément,
président de la commission des lois de l'Assemblée nationale
et de M. Andreas Schmidt,
président de la commission juridique du Bundestag

SOMMAIRE

Réunion conjointe avec la commission juridique du Bundestag sur le thème de la lutte, au niveau européen, contre la criminalité organisée.

La Commission a reçu une délégation de la commission juridique du Bundestag sur le thème de la lutte, au niveau européen, contre la criminalité organisée.

Le président Pascal Clément a dit son vif plaisir de souhaiter la bienvenue à M. Andréas Schmidt, président de la commission juridique du Bundestag, et à ses collègues, M. Wolfgang Goetzer, responsable des questions juridiques du groupe CDU-CSU, M. Michael Grosse-Brömer, président de la sous-commission des affaires européennes de la commission juridique, M. Heinz Koehler, député SPD, et Mme Andréa Vosshoff, députée CDU-CSU.

M. Andréas Schmidt s'est déclaré très heureux de retrouver ses collègues de la commission des lois de l'Assemblée nationale française. Il n'a pas caché qu'il eût souhaité une autre issue au référendum organisé en France le 31 mai, ajoutant qu'il convenait naturellement de respecter cette expression démocratique. Il a souligné que les résultats des dernières élections tenues en Allemagne étaient tels qu'ils ne permettaient pas d'exclure un changement de majorité.

Le président Pascal Clément a rappelé que la présente réunion faisait suite à la visite rendue par la commission des lois de l'Assemblée nationale au Bundestag le 27 octobre 2004, au cours de laquelle une séance de travail fort intéressante et particulièrement nourrie avait été consacrée à la lutte contre les discriminations. C'est cette fois de la lutte contre la criminalité organisée et du mandat d'arrêt européen qu'il s'agira.

La commission des lois a beaucoup travaillé sur ces deux sujets, intimement liés. La transposition en droit interne du mandat d'arrêt européen préconisé par le Conseil européen de Tampere puis par celui de Laeken s'est faite, en France, dans le cadre de l'examen de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Cette loi comprend de très nombreuses dispositions spécifiques en matière de lutte contre la criminalité organisée, que le texte définit en énumérant quinze catégories d'infractions. La loi autorise aussi les services chargés des investigations sur ces infractions à recourir, sous l'autorité d'un juge, à des instruments procéduraux spécifiques : opérations d'infiltrations des réseaux criminels, placement en garde à vue d'un suspect pendant 96 heures, installation d'écoutes téléphoniques dans le cadre de l'enquête de flagrance ou préliminaire ou encore « sonorisation » de véhicules ou de tout lieu par des caméras espions ou des micros.

Le mandat d'arrêt européen, voué à se substituer au système complexe de l'extradition, se révèle particulièrement efficace dans la lutte contre la criminalité organisée transnationale, qui semble malheureusement se développer en Europe, notamment en matière de trafic de stupéfiants ou de traite des êtres humains. Au 9 mars 2005, la France avait remis 285 personnes dont 76 ressortissants français, dans un délai moyen de 45 jours, et avait reçu 245 personnes des autorités judiciaires d'autres pays membres de l'Union européenne. A ce jour, l'application du mandat d'arrêt a principalement lieu avec la Belgique, l'Espagne et l'Allemagne. L'Allemagne a exécuté 26 mandats d'arrêts européens émis par les juridictions françaises, dont quatre concernaient des ressortissants allemands ; pour l'Allemagne, la France a exécuté 47 mandats.

Il apparaît toutefois que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe est saisie d'un recours contre le mandat d'arrêt européen et qu'elle pourrait le déclarer contraire à la constitution allemande. Après avoir précisé que la mise en œuvre du mandat d'arrêt européen en France a imposé la réforme préalable de la Constitution par la loi constitutionnelle du 25 mars 2003, le Président Pascal Clément a souhaité des éclaircissements sur cette question d'importance.

M. Andréas Schmidt a souligné que la criminalité organisée constitue un défi majeur dont le préjudice, pour la seule Allemagne, a été évalué à 3 milliards d'euros en 2004, montant double de l'estimation faite l'année précédente. Mais les criminels s'en prennent à l'Union européenne tout entière, laquelle est d'autant plus soucieuse de contrer efficacement ce fléau que crime organisé et terrorisme sont liés de multiples manières. En ce domaine particulièrement, l'efficacité suppose le renforcement de la coopération, dont le mandat d'arrêt européen constitue la première étape. Selon une estimation de la Commission européenne, 2 600 mandats d'arrêt européens avaient été émis en septembre 2004, 653 personnes avaient été arrêtées et 104 suspects remis aux autorités judiciaires des pays membres qui en avaient fait la demande. En Allemagne, le rapport entre arrestations sur requête d'extradition et extraditions s'est amélioré, s'établissant à 600 arrestations pour 800 arrestations et, parallèlement, le délai moyen d'exécution des requêtes est passé de neuf mois à six semaines. Depuis qu'a l'été dernier l'Allemagne a, au terme d'un long débat parlementaire, transposé la décision relative au mandat d'arrêt européen, seuls 19 Allemands ont été arrêtés et extradés sur cette base.

En dépit de ces progrès incontestables, la question s'est compliquée après qu'un Allemand soupçonné d'appartenir à Al-Qaïda, menacé d'extradition vers l'Espagne en vertu d'un mandat d'arrêt européen émis par ce pays, a saisi la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Le plaignant a fait valoir le principe de non-rétroactivité des peines, arguant de ce que les faits qui lui sont reprochés sont antérieurs à 2002, date à partir de laquelle l'Allemagne a considéré comme un délit le soutien à une association terroriste à l'étranger - ce qui était le cas en Espagne depuis bien plus longtemps. Il a aussi fait valoir que les différences d'échelle des peines selon les juridictions allemandes et espagnoles faisaient que les citoyens européens ne pouvaient plus prévoir les peines dont étaient passibles leurs actes éventuels.

Il est apparu au cours des délibérations orales d'avril dernier que la Cour constitutionnelle a voulu faire de ce cas la base d'un débat sur la préservation des droits constitutionnels des citoyens allemands face aux actes judiciaires européens. Elle a aussi souhaité appeler l'attention sur la légitimité démocratique de ces textes en s'interrogeant publiquement sur la participation des parlements nationaux à leur mise en œuvre. De ce fait, nul ne sait comment elle tranchera. Ce n'est donc pas la compatibilité avec la loi fondamentale allemande qui est remise en question par la Cour mais la procédure suivie pour introduire le principe du mandat d'arrêt européen en droit interne. Au cours de l'audience d'avril, un des juges constitutionnels a en effet dit douter que le Bundestag ait convenablement participé à l'élaboration du texte.

Le président Pascal Clément a remercié le président Schmidt d'avoir précisé le champ du recours, dont on cerne mieux qu'il porte moins sur le fond que sur la forme, puis il a ouvert la discussion.

Pour M. Jacques Floch, l'enjeu est l'harmonisation du droit pénal au sein de l'Union européenne. Les premier pas ont été faits pour les conditions de l'obtention des preuves, question qui avait déjà posé problème, car il fallait accepter de reconnaître que les méthodes utilisées par chaque Etat étaient convenables, démocratiques et satisfaisantes au regard du droit international. Le droit, internationalement reconnu, qu'ont les citoyens de connaître les conséquences de leurs actes mis en exergue dans le cas exposé par M. Schmidt montre la nécessité de rechercher l'harmonisation de l'échelle des peines. Si ce n'est pas fait, le décalage actuel persistera et les recours de criminels présumés se multiplieront. Certains estiment, à tort, que ces droits sont exorbitants alors qu'ils sont la grandeur de la démocratie. Pour autant, comment ne pas souhaiter l'accélération de l'harmonisation du droit pénal en Europe ?

M. Michael Grosse-Brömer s'est félicité de la tenue de cette réunion conjointe et a déclaré que les députés des deux commissions sœurs devraient se rencontrer plus souvent, et rencontrer aussi leurs collègues du Parlement européen. Ainsi permettrait-on des échanges en cadre restreint, hautement souhaitables pour renforcer la coopération policière et judiciaire qui constitue le « troisième pilier » de la politique européenne. De fait, les réflexions de la Commission et du Conseil sur l'harmonisation européenne du droit pénal sont intéressantes, mais elles ne se traduisent pas toujours par des dispositions concrètes. A cela s'ajoutent souvent des difficultés de traduction, et l'on se trouve confronté à un défi redoutable. La multiplication de rencontres telles que celles d'aujourd'hui, à Paris ou à Berlin, serait d'une utilité certaine.

Revenant sur le recours en instance devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, M. Michael Grosse-Brömer a expliqué que l'affaire avait pris une valeur singulière en Allemagne, où elle est devenue le symbole du traitement réservé aux actes judiciaires européens. Les membres du Bundestag en ont tiré la conclusion qu'il leur faudrait désormais être plus vigilants et mieux coopérer, en amont, avec leurs homologues de l'Union sur ces questions. Une des conclusions à tirer du vote intervenu dimanche est aussi qu'il faut davantage expliquer les politiques suivies en matière judiciaire pour que les citoyens prennent conscience de l'urgence qu'il y a à construire un droit pénal européen harmonisé, l'une des clés de la lutte contre la criminalité organisée, dont tous les parlements demandent qu'elle soit plus efficace.

Il conviendrait qu'à l'avenir le Gouvernement allemand ne puisse passer outre un avis du Bundestag sur des questions d'une telle importance ou que, s'il le fait, il en informe les députés. Le recours formé devant la Cour constitutionnelle, dûment motivé, revient à dire qu'un citoyen allemand pourrait, sur la base d'un mandat d'arrêt européen, être extradé pour avoir commis un acte pour lequel il ne serait pas passible de poursuites dans son pays. Une telle disposition est en effet préoccupante et appelle une réflexion de fond de la part des parlementaires.

M. Xavier de Roux a dit se souvenir, ayant été rapporteur du projet de loi constitutionnelle du 25 mars 2003 préalable à l'adoption du mandat d'arrêt européen, que la question de la double incrimination a fait l'objet d'un long débat. La France, européenne de temps à autre, a finalement décidé de se ranger à l'avis du Conseil européen et d'accepter la suppression de ce principe. Mais l'on voit que cela a de fortes conséquences, et la question soulevée devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe mérite que l'on s'y arrête.

Le président Pascal Clément, revenant sur la prise en compte, souhaitée par M. Michael Grosse-Bömer, de l'avis des Parlements nationaux, a rappelé que le traité constitutionnel européen prévoit qu'il faut l'avis négatif de neuf pays sur une disposition pour que l'Union y revienne. Si le Traité est rediscuté, il serait bon de réduire ce seuil d'application du principe de subsidiarité. Qu'il faille qu'un tiers des pays membres expriment un refus avant que l'on réfléchisse est manifestement excessif, surtout si ces pays comptent 150 millions d'habitants sur les 450 millions de citoyens de l'Union.

M. Andréas Schmidt a convenu que l'harmonisation du droit pénal permettrait évidemment de résoudre la question épineuse de la double incrimination, mais que le réalisme devait prévaloir. L'opération, déjà extrêmement difficile à mener à bien, le sera plus encore si l'Union s'élargit à la Roumanie et à la Turquie. L'un des messages du référendum, c'est qu'il ne faut pas trop en demander aux citoyens européens. Ils doivent adhérer à l'idée européenne, et ils ne le feront pas s'ils ont le sentiment d'être les sujets d'une bureaucratie qui décide. Alors, comment agir ? L'orientation choisie est la bonne mais il faut transposer les textes selon des procédures telles que les citoyens les acceptent ; et, sur de tels sujets, on rencontre des difficultés.

Le président Pascal Clément a observé que, si le Parlement européen est tout acquis à la cause fédérale, le décalage est parfois réel avec les parlements nationaux. Il l'est particulièrement en France, pays dans lequel les liens sont distendus entre les citoyens et leurs représentants au Parlement européen, avec lesquels ils n'ont pas de dialogue quotidien. On peut donc, en effet, s'interroger sur la nécessité d'une consultation plus fréquente des parlements nationaux.

M. Wolfgang Goetzer a souligné que, depuis la délibération de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, la presse ayant relaté les critiques sévères portées par l'un des membres de celle-ci contre le Gouvernement, la question du mandat d'arrêt européen agite beaucoup les esprits en Allemagne. On a constaté que certains juges portent un regard quelque peu critique sur les modalités de la construction judiciaire européenne, mais cela a donné l'occasion d'un débat de fond et il était bon que ces questions soient tirées au clair. Il est assez surprenant de constater que la réforme constitutionnelle tendant à autoriser l'extradition de citoyens allemands, loin de susciter de telles réserves, avait été adoptée presque à l'unanimité du Bundestag. Sans doute la disposition avait-elle été envisagée sous le seul angle de ce que cela allait apporter à l'Allemagne, sans que l'on soit suffisamment attentif aux risques qu'elle peut présenter. Autrement dit, l'objectif d'harmonisation du droit est incontestable et chacun devra faire des concessions, mais cela ne doit pas empêcher la vigilance. Et le fait est que la question, délicate, n'est pas réglée.

M. Emile Blessig a fait valoir que le débat sur la double incrimination révèle la difficulté de concilier deux exigences : le renforcement de la coopération judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée transnationale et la préservation des droits de la personne qui fondent les systèmes démocratiques. Le problème tient à ce que l'on a défini un espace européen de liberté de circulation des personnes, des services et des biens sans construire dans le même temps un espace judiciaire cohérent. Voilà pourquoi on se livre maintenant à une sorte de course-poursuite permanente, en prenant des dispositions pour parer au plus pressé, sans bâtir l'ensemble réfléchi qu'exige une lutte efficace contre la criminalité. Le moment est venu de définir un corpus des libertés fondamentales européennes.

Le président Pascal Clément a souhaité connaître l'argumentation de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.

M. Andréas Schmidt a exposé que, pour la Cour, le mandat d'arrêt européen a été décidé à l'échelon européen et transposé en droit interne sans discussion de fond à l'échelon national. Elle a reproché aux députés de s'être abrités derrière les exigences du droit européen alors que la transposition, dit-elle, ne s'imposait pas, puisqu'il ne s'agissait pas d'une directive mais d'une décision-cadre. Au delà du cas spécifique qui a servi à la démonstration, c'est bien d'une critique explicite de la méthode retenue par le Bundestag qu'il s'agit.

M. Michael Grosse-Brömer a ajouté que, pour la Cour, le Conseil européen, en élaborant une décision-cadre sur le mandat d'arrêt européen, s'est arrogé une compétence en droit pénal qui outrepasse d'autant plus ses prérogatives que le Parlement européen n'a pas participé à sa mise au point. Le juge constitutionnel a estimé que, dans ces conditions, le Bundestag aurait dû débattre du texte au fond, ce qui, selon lui, n'a pas été le cas. De manière plus générale, la Cour pointe ainsi le fait que certaines décisions prises à l'échelon européen sont entérinées par le Bundestag sans que ses membres ne se soient informés autant qu'ils le devraient des problèmes qu'elles peuvent susciter. L'interpellation du magistrat, estimant que le Bundestag aurait dû rendre un avis sur la base de l'article 23 de la Loi fondamentale, n'est pas entièrement infondée. Une loi organique tend donc à renforcer les droits du Bundestag dans ce domaine, ce qui suppose une implication plus forte des députés dans ces questions, indispensable car le droit européen est voué à se développer. Le débat en Allemagne était incontestablement salutaire, comme il l'est ici en commun, car les députés doivent en effet réfléchir aux moyens de contrôler plus efficacement les textes européens qui leur sont soumis. Mêmes les Européens convaincus ont parfois le sentiment que la subsidiarité aurait pu jouer pour certaines décisions prises à Bruxelles ou à Strasbourg.

Le président Pascal Clément a observé que, si les directives entraînent une transposition automatique, les parlements nationaux peuvent largement amender une décision-cadre et même en refuser l'application. La difficulté tient aussi aux diverses catégories de décisions prises à l'échelon européen, catégories dont le traité constitutionnel tend à réduire le nombre. En l'état, les parlements nationaux sont fondés à débattre du mandat d'arrêt européen.

M. Xavier de Roux a souligné que l'arrêt à venir de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe pourrait fragiliser encore le troisième pilier, dont la faiblesse est bien connue, s'il en ressortait que la décision-cadre, bien qu'adoptée à l'unanimité du Conseil européen, n'a pas vocation à être transposée directement en droit interne. D'autres pourraient suivre cette orientation, et le flou gagnerait, alors qu'il s'agit de lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée. La Constitution européenne devrait régler cette question.

M. Sébastien Huyghe a demandé comment le mandat d'arrêt européen s'articule avec Europol et Eurojust.

Le président Pascal Clément a répondu que le mandat d'arrêt européen est un des outils mis à la disposition d'Eurojust, le parquet européen, dont l'installation progresse de manière satisfaisante.

M. Jacques Floch s'est félicité, à cet égard, de la concession spectaculaire faite par le Royaume-Uni qui a accepté, pour mettre fin à un blocage persistant, de lever son veto à la création d'Eurojust. Sur le fond, le droit européen n'est pas incontestable, soit que certaines instances outrepassent leur mandat, soit que les compétences respectives ne soient parfois pas aussi strictement délimitées qu'il le faudrait. Mais l'on considère que le corpus ainsi constitué forme le droit européen, jusqu'à ce qu'une cour constitutionnelle se dresse pour dire que ce droit a été élaboré dans des conditions insatisfaisantes et renvoie ses auteurs à leurs chères études. Avec l'élargissement, des citoyens de plus en plus nombreux contesteront le droit européen, qu'il soi transposé ou d'application directe. Il y a donc un grand intérêt à ce que les parlements nationaux multiplient les échanges et formulent des propositions sur ce que devrait être ce droit, pour ne pas laisser le Conseil européen ou la Commission l'élaborer seuls. En cette matière, Allemands et Français ont un rôle majeur à jouer, car leur droit forme le pilier du droit européen, et ils se doivent de profiter du moment où les Britanniques se rapprochent de leurs conceptions.

Le président Pascal Clément s'est demandé si la discussion aurait eu la même tonalité huit jours plus tôt...

M. Emile Blessig a rappelé que les principes de l'harmonisation et de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires figurent dans le traité constitutionnel mais que, pour l'instant, on se limite à des dispositions ponctuelles, sans cohérence d'ensemble et sans qu'apparaisse un sens des priorités affirmé. C'est ainsi que, le 9 mai, la France a décidé de reconnaître les décisions de justice étrangères en matière de récidive de faux monnayage, problème certes important mais peut-être moins que d'autres. Au lieu de fixer un cadre, le droit s'essouffle à suivre l'évolution. Cette inversion des valeurs est gênante. La norme n'est pas nécessairement suiviste, et les Européens devraient anticiper en débattant au plus vite de la reconnaissance mutuelle de l'ensemble des dispositions de justice.

M. Xavier de Roux a observé que, si la Cour constitutionnelle de Karlsruhe censurait le Conseil européen, celui-ci saisirait vraisemblablement la Cour européenne de justice. La décision de cette dernière instance l'emporterait-elle sur celle de la Cour allemande ?

Le président Pascal Clément a répondu par la négative.

M. Andréas Schmidt a souligné qu'il ne s'agissait là que de pure spéculation. Il a dit espérer que la Cour de Karlsruhe ne censurerait pas l'introduction du mandat d'arrêt européen dans la législation allemande. Selon lui, la Cour souhaite plutôt faire un rappel à l'ordre, sur le mode : « Cette fois-ci, ça passe, mais pensez désormais à débattre au fond des textes qui vous seront soumis et, éventuellement, à les refuser car le Bundestag n'est pas une chambre d'enregistrement ». La Cour de Karlsruhe n'a d'ailleurs pas compétence pour censurer une décision-cadre ; elle ne peut se prononcer que sur sa transposition. C'est dans ce cadre qu'elle pourrait rejeter l'introduction du mandat d'arrêt européen en droit interne.

Le président Pascal Clément en a conclu que le message de la Cour serait d'ordre politique plutôt que juridique.

M. Michael Grosse-Brömer a souligné que les tribunaux nationaux s'interrogent sur leurs prérogatives par rapport à la Cour de justice européenne tout comme les parlements nationaux s'interrogent sur les leurs dans le cadre de l'Union européenne. L'avis du Bundestag est qu'en l'absence de code de procédure pénale européen, et aussi longtemps que n'auront pas été définies précisément les compétences respectives d'Eurojust et des parquets nationaux, la prudence s'impose.

Le président Pascal Clément a fait valoir qu'Eurojust n'est pas un parquet fédéral. Il sera saisi par les parquets nationaux pour faire ce qu'ils lui demanderont et ne point se substituer à eux. Mais l'on constate que pour ce qui concerne, par exemple, l'entraide judiciaire en matière familiale, domaine dans lequel les opinions publiques attendent des résultats rapides, les progrès tardent. Cela étant, les échanges ont pris une tonalité étrangement nationaliste...

M. Christophe Caresche a dit ne pas partager ce point de vue. C'est seulement que l'immensité de la tâche à accomplir impressionne.

M. Jacques Floch a souligné que la discussion porte sur la rencontre entre les droits nationaux et le droit européen, encore en devenir. Les parlements nationaux doivent s'obliger à proposer ce qui devrait constituer le minimum de règles en droit pénal européen, et ils doivent s'y astreindre dans les meilleurs délais, car la grande criminalité s'organise en fonction du « moins-disant pénal ». Ainsi, les trafiquants de stupéfiants savent pertinemment que la sanction de ce délit varie de 1 à 10 selon qu'il est commis aux Pays-Bas ou au Portugal, et les exemples de ce genre abondent. Il serait dramatique pour l'Europe que des centrales criminelles s'installent dans les pays où, pour chaque crime et délit considéré, la sanction est la plus faible.

M. Jean-Pierre Soisson a demandé que la réunion, qui se tient à un moment particulier de l'histoire de l'Union, ne conclue pas ses travaux sans marquer sa confiance dans la progression de l'idée européenne.

Le président Pascal Clément a pris acte de cette remarque et observé que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a exprimé une critique sur la méthode sans remettre en cause la finalité du projet, c'est-à-dire l'harmonisation.

M. Guy Geoffroy a jugé que la discussion sur la méthode était en elle-même une question de fond, comme en avaient témoigné les échanges au sein de la délégation de l'Assemblée pour l'Union européenne lors de l'examen de la proposition de résolution relative à la création d'un procureur européen. La conclusion en avait été que mieux valait transformer progressivement Eurojust en un parquet européen aux compétences élargies que de créer ex nihilo une nouvelle instance aux compétences plus réduites.

Le président Pascal Clément a demandé si, comme le législateur français, le législateur allemand avait défini la criminalité organisée.

M. Andréas Schmidt a répondu que le code pénal allemand prévoyait des infractions spécifiques. Il a souligné en conclusion que si les députés français et allemands ici réunis, tous Européens convaincus, souhaitaient travailler ensemble, c'était pour apporter une réponse européenne aux problèmes de sécurité auxquels leurs concitoyens sont confrontés, et pour leur faire comprendre que cette réponse là est la seule qui vaille, car un Etat isolé est démuni face à la criminalité organisée. Encore faut-il que la réponse européenne soit efficace, car la demande de sécurité est très grande.

Le président Pascal Clément s'est félicité de cette deuxième rencontre, d'autant plus fructueuse que les interlocuteurs apprennent à se connaître.

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