COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 41

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 15 juin 2005
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Philippe Houillon, président

SOMMAIRE

Examen, en application de l'article 86, alinéa 8, du Règlement, d'un second rapport sur la mise en application de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur).

La Commission a procédé, sur le rapport de M. Jean-Luc Warsmann, à l'examen, en application de l'article 86, alinéa 8, du Règlement, de la mise en application de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur, a tout d'abord tenu à préciser la méthode ayant présidé à la préparation de ce rapport. Ainsi, l'ensemble des personnes et des organisations professionnelles qui avaient été auditionnées lors des travaux préparatoires de la commission des Lois sur le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, l'ont été à nouveau afin de connaître leurs observations un an après la promulgation de la loi.

En outre, ces auditions ont été complétées par six déplacements en juridictions, dont trois dans des tribunaux où une juridiction spécialisée dans la lutte contre la criminalité organisée a son siège, à l'instar des tribunaux de grande instance (tgi) de Paris, Marseille et Lille. Les autres déplacements ont eu lieu à Brest, où se situe l'une des juridictions spécialisées en matière de jugement des pollutions maritimes, au tgi de Bobigny qui est confrontée à une forte délinquance et, enfin, au tgi d'Évry dans le ressort duquel est implanté le plus grand établissement pénitentiaire d'Europe, Fleury-Mérogis.

Abordant ensuite les dispositions de la loi du 9 mars 2004, le rapporteur a indiqué qu'il présenterait dans un premier temps celles dont l'application était satisfaisante pour aborder, dans un second temps, celles rencontrant davantage de difficultés.

S'agissant de la première catégorie, il a considéré que les nouveaux moyens de procédure introduits par la loi en matière de lutte contre la criminalité organisée se révélaient efficaces tout en étant utilisés de manière sélective et proportionnée.

Ainsi, la compétence dévolue au juge des libertés et de la détention pour ordonner la prolongation de la garde à vue au-delà des 48 heures de droit commun a été utilisée à 429 reprises au cours du premier trimestre 2005, dont 4 dans le cadre de procédures impliquant des mineurs. Par ailleurs, au cours de ce même trimestre, les juges des libertés et de la détention ont autorisé par ordonnance 192 perquisitions de jour menées dans le cadre de l'enquête préliminaire sans le consentement de la personne concernée. En revanche les perquisitions de nuit, nécessitant elles aussi une autorisation expresse du juge des libertés et de la détention, demeurent peu nombreuses puisque 25 opérations de cette nature ont été autorisées au premier trimestre 2005.

La loi permet également au procureur de la République de demander au juge des libertés et de la détention d'autoriser l'interception des correspondances téléphoniques dans le cadre d'une enquête portant sur des faits relevant de la criminalité organisée. Ces interceptions, qui ne peuvent excéder un mois, ont été autorisées à 400 reprises au cours du premier trimestre 2005.

Par ailleurs, la possibilité offerte, en particulier aux services des douanes, d'étendre à l'ensemble du territoire national une opération de surveillance à l'endroit de personnes contre lesquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de les soupçonner d'être l'auteur de crimes ou délits punis d'une peine égale ou supérieure à deux années d'emprisonnement, a été mise en œuvre à 131 reprises. Ces opérations concernaient, dans 33 % des cas, la lutte contre le trafic de produits stupéfiants, dans 28 % des cas, le trafic de cigarettes et pour 20 % des opérations, le trafic de médicaments, le solde portant, pour l'essentiel, sur des trafics de produits contrefaits.

La clarification législative des possibilités d'infiltration dans les réseaux de criminalité organisée a provoqué une opportune réorganisation des services compétents puisque la police, la gendarmerie et les douanes ont regroupé leurs moyens grâce à la création d'un service central commun spécialisé en cette matière, le service interministériel d'assistance technique (siat). Il convient cependant de conserver présent à l'esprit que la conduite d'opération de cette nature présentant un risque certain pour le fonctionnaire infiltré, elle doit demeurer exceptionnelle. Ainsi, les services des douanes n'ont entrepris qu'une seule opération d'infiltration au premier trimestre 2005.

Puis, le rapporteur a indiqué que quatre dispositions relatives à la lutte contre la criminalité organisée devaient faire l'objet de précision ou de compléments juridiques. Il en est ainsi, en premier lieu, en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants. En effet, la clarification du cadre législatif des opérations d'infiltration et le choix d'une procédure dite « ouverte » et centralisée, ont entraîné la suppression des dispositions permettant aux services locaux de la police nationale de conduire des opérations dite de « coups d'achat » contre les petits trafics de stupéfiants pour lesquels la nouvelle procédure d'infiltration n'est pas applicable, ce qui n'est pas satisfaisant et devrait conduire le législateur à les rétablir.

En second lieu, la loi du 9 mars 2004 a prévu, à l'initiative de M. Thierry Mariani, un dispositif permettant de rémunérer les indicateurs de la police selon des modalités devant être précisées par un arrêté interministériel. Or, cet arrêté n'est toujours pas intervenu bien que, d'un point de vue global, 23 des 28 textes réglementaires nécessaires à l'application de la loi soient d'ores et déjà publiés au Journal officiel.

La loi du 9 mars 2004 a ensuite élargi les hypothèses permettant au juge de prononcer des mesures tendant à la saisine des patrimoines des délinquants tout en renvoyant leur mise œuvre aux procédures civiles d'exécution qui sont particulièrement complexes. Une simplification du droit applicable au prononcé des saisies confiscatoires semble donc nécessaire afin que notre pays dispose d'un instrument juridique plus efficace.

Enfin, et comme cela avait déjà été indiqué dans le précédent rapport sur la mise en application de la loi du 9 mars 2004, les dispositions relatives aux repentis ne sont pas, en l'état, applicables à défaut de l'adoption de nombreuses dispositions de conséquence, en matière de droit civil et pénal notamment.

S'agissant des juridictions interrégionales spécialisées (jirs) contre la criminalité organisée, le rapporteur a souligné les délais particulièrement brefs dans lesquels ces juridictions avaient été créées tout en se félicitant des effectifs budgétaires leur ayant été alloués.

Au cours du premier trimestre 2005, 76 nouvelles procédures ont été transmises à ces juridictions sachant que les critères conduisant à leur saisine tiennent, pour l'essentiel, à la dimension internationale du groupe criminel, à son caractère organisé, mais également à la valeur des produits illicites saisis ou au montant du préjudice subi. Certaines situations particulières ont pu apparaître mais semblent en voie de normalisation, à l'instar de la jirs de Nancy qui, au cours du dernier trimestre de l'année 2004, avait été saisie d'un plus grand nombre de nouvelles affaires que les jirs de Paris et de Marseille réunies.

Quant aux incriminations retenues, près de 50 % d'entre elles relèvent du trafic de stupéfiants, un tiers concernent la lutte contre des associations de malfaiteurs et le vol en bande organisée, le reliquat se répartissant entre les affaires de trafic d'armes et d'explosifs, de proxénétisme, de traite des êtres humains ou encore de faux-monnayage.

Observant que le bilan de la mise en œuvre des dispositions relatives à la lutte contre la criminalité organisée était, incontestablement, favorable, le rapporteur a néanmoins émis deux réserves. La première tient à la discordance entre la carte du ressort territorial des directions interrégionales de police judiciaire, mises en place par le ministère de l'Intérieur, d'avec celle des juridictions interrégionales spécialisées dans la lutte contre la criminalité organisée, créées par le ministère de la Justice. Ces divergences sont d'autant plus regrettables qu'il s'agit de deux cartes nouvellement créées concernant des services ayant vocation à travailler de concert et que le Gouvernement avait pris l'engagement, à l'occasion des débats parlementaires, de veiller à la cohérence territoriale de ces différents ressorts.

En second lieu, les pouvoirs publics devront être particulièrement attentifs à la capacité de jugement de ces juridictions spécialisées. En effet les premières affaires instruites dans ces juridictions devant prochainement être audiencées, elles devraient faire l'objet de débats approfondis en raison de leur complexité, ce qui nécessitera un renforcement des moyens mis à leur disposition en termes de nombre de magistrats et de fonctionnaires de justice.

Abordant ensuite les dispositions de la loi du 9 mars 2004 relatives à la lutte contre les pollutions maritimes, le rapporteur a rappelé qu'elles avaient défini de nouvelles règles de compétence pour les juridictions spécialisées du littoral tout en aggravant considérablement la répression des rejets polluants. Ces dispositions ont permis d'accroître l'efficacité des procédures de déroutement et d'immobilisation des navires tout en améliorant le recouvrement des amendes grâce au cautionnement préalable. Ainsi, depuis la promulgation de la loi, 22 condamnations de navires reconnus coupables de telles pollutions ont été prononcées, le montant moyen de l'amende s'élevant à 200 000 euros. À titre d'illustration, le 10 mai dernier, le tribunal correctionnel de Brest a condamné le capitaine du cargo maltais « Zuara » à une peine de 400 000 euros d'amende, l'avion des services de la douane ayant constaté dans son sillage une nappe d'hydrocarbure de plus de 50 kilomètres de long.

Cependant, il convient de souligner que les moyens mis à la disposition des services en charge de la constatation des pollutions maritimes sont notoirement insuffisants. En effet, aucun avion français n'est équipé d'un dispositif technique de photographie par rayons infrarouges permettant de constater les pollutions la nuit. Certes, il est prévu d'équiper un appareil d'un tel dispositif, mais la protection du littoral de la Méditerranée et la façade atlantique requiert bien davantage de moyens. Une accélération du programme d'équipement est donc indispensable, d'autant que le coût pour les finances publiques sera compensé par les amendes infligées aux pollueurs nocturnes ainsi identifiés. Une diminution du nombre de pollutions peut être envisagée, du moins à moyen terme, et il convient d'ores et déjà de relever que le nombre de pollutions signalées en Méditerranée est passé de 235 en 2003 à 175 en 2004 et de 276 en 2003 à 239 en 2004 pour la façade atlantique.

Évoquant ensuite les dispositions de la loi créant le fichier national des auteurs d'infractions sexuelles, le rapporteur a indiqué que ce fichier devrait être mis en place avant l'été prochain. Toutefois, la difficulté rencontrée en la matière tient à l'identification de toutes les personnes condamnées avant l'entrée en vigueur de la loi et dont il faut retrouver l'adresse qui ne figure pas au Casier judiciaire national. Selon les informations communiquées par les services dudit Casier judiciaire, 20 313 condamnés relèveraient de cette dernière catégorie. Comme le prévoit la loi, un rapprochement de plusieurs fichiers, dont celui de la sécurité sociale, des comptes bancaires et de la police nationale, est en cours et a d'ailleurs substantiellement progressé à la suite des remarques faites dans le précédent rapport d'application de la loi du 9 mars déplorant le retard pris en la matière.

Puis, abordant les dispositions concernant la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (crpc), le rapporteur a rappelé qu'elle poursuivait le double objectif suivant :

-  alléger les audiences correctionnelles pour les affaires les plus simples dans lesquelles les auteurs reconnaissent les faits et, par voie de conséquence, diminuer les délais de jugement :

-  conduire au prononcé de peines plus efficaces, une peine acceptée par l'auteur des faits ayant préalablement reconnu sa culpabilité devant être, selon toute vraisemblance, mieux exécutée.

S'agissant de l'utilisation de cette procédure, sur les 181 tribunaux de grande instance français, 94 y ont eu recours au cours du mois d'avril 2005. En outre, depuis le mois d'octobre 2004, 7 914 affaires ont été traitées dans ce cadre procédural et 6 629 d'entre elles ont abouti à l'homologation par le juge du siège compétent de la peine proposée, soit un taux de réussite remarquable puisque de 83,8 %.

Toutefois, une intervention rapide du législateur est nécessaire afin d'assurer la pérennité du développement de la crpc. En effet, l'avis rendu par la Cour de cassation le 18 avril dernier d'une part, l'ordonnance de référé pris par le Conseil d'État le 11 mai dernier d'autre part, considérant, contre l'avis de la Chancellerie, que le procureur de la République devait être présent aux audiences d'homologation de la peine par le juge du siège, ont provoqué le trouble dans les juridictions et fragilisé le recours à cette nouvelle procédure.

Abordant ensuite les dispositions de la loi dont l'application rencontrait des difficultés, le rapporteur a fait état, dans des termes particulièrement vifs, de la « défaillance » que connaissait l'exécution des décisions de justice. Comme le prévoit l'article 707 du code de procédure pénale introduit par la loi du 9 mars 2004, les peines prononcées par les tribunaux doivent être « mises à exécution de manière effective et dans les meilleurs délais ». Elle prévoit également que, à compter du 1er janvier 2007, la mise à exécution « en temps réel » des décisions de justice doit devenir obligatoire et conduire, pour le condamné à une peine d'emprisonnement inférieure ou égale à un an, à la remise, dès l'audience, d'une convocation à comparaître devant le juge de l'application des peines dans un délai compris entre dix et trente jours.

Par ailleurs, la loi prévoit la possibilité de bénéficier d'une réduction de 20 % de l'amende délictuelle pour le condamné acceptant, à l'audience, de s'en acquitter dans les 30 jours suivant son prononcé. Or, le décret d'application permettant la mise en œuvre de ces dispositions n'est toujours pas intervenu, alors même que le taux de recouvrement des amendes reste remarquablement faible, de l'ordre de 18 % et que certains tribunaux de grande instance ont d'ores et déjà installé un terminal de paiement par carte bancaire qui ne peut malheureusement pas être utilisé, à l'instar du tgi de Bobigny.

Puis, évoquant le fonctionnement de la chaîne pénale après le prononcé du jugement, le rapporteur a rappelé que, en dehors de la procédure de comparution immédiate concernant 10 % des affaires jugées par les tribunaux correctionnels français, le prononcé du jugement à l'audience n'entraînait pas son exécution immédiate.

En effet, il est tout d'abord nécessaire que le jugement soit dactylographié et que les pièces utiles à son exécution soient transmises au service compétent. Ainsi, dans l'hypothèse d'une condamnation à une amende délictuelle, il importe que les pièces soient communiquées au trésor public qui va éditer dans le mois suivant le titre de paiement sur le fondement duquel l'État va exiger le paiement. Il en est de même lorsque la personne est condamnée à une peine de travail d'intérêt général, auquel cas les pièces doivent être remises au service pénitentiaire d'insertion et de probation (spip) qui va convoquer le condamné afin de rechercher un travail adapté. Il en est encore ainsi lorsque la personne est condamnée à une peine d'emprisonnement sans qu'un mandat de dépôt soit délivré à l'audience, les pièces du jugement devant alors être communiquées au parquet concerné qui engagera ensuite la procédure de mise à exécution de la décision d'incarcération.

Or, force est de constater que les délais de mise à exécution des décisions de justice demeurent inacceptables et ne se réduisent pas. En effet, en 2003, les tribunaux correctionnels français ont rendu 355 765 décisions et le délai moyen entre le jour où la décision a été rendue et celui où les pièces ont été transmises en vue d'engager la mise à exécution du jugement s'est élevé à 7,5 mois, ce délai étant de 7,4 mois en 2001. S'agissant des jugements faisant l'objet d'un appel, le délai moyen s'est élevé à 7,5 mois en 2003, contre 7,3 mois en 2001.

Cette situation signifie que le principe de l'exécution en temps réel des décisions de justice au 1er janvier 2007 n'est pas réaliste en l'état actuel des moyens dévolus à la justice, certaines juridictions se trouvant dans une situation particulièrement critique. Ainsi, au tgi d'Évry, si le délai moyen d'exécution d'une condamnation d'une personne présente à l'audience est de 9,5 mois, il atteint 23 mois lorsque la condamnation est prononcée en l'absence du condamné.

Or, durant ce laps de temps, le jugement ne figure pas au casier judiciaire, ce qui implique que, si la personne commet une nouvelle infraction, le tribunal qui la jugera ne connaîtra pas l'infraction précédente et ne sera donc pas en mesure, le cas échéant, de constater l'état de récidive légale.

Déplorant avec une particulière vigueur cette situation, le rapporteur a appelé de ses vœux l'adoption d'un « plan d'urgence » en faveur des services de l'application et de l'exécution des peines. Le redressement de la situation actuelle ne requiert aucune modification législative mais exige, en premier lieu, le recrutement, durant une période de 12 à 18 mois, d'environ un millier de personnes permettant aux juridictions de résorber leur retard. L'amélioration de la situation suppose également le renforcement des effectifs de fonctionnaires de justice qui interviendra en 2006 uniquement du fait de la prolongation de 12 à 18 mois de la scolarité à l'école nationale des greffes. À titre d'illustration, il convient d'indiquer qu'à Bobigny, sur 325 postes de fonctionnaires de justice, 35 sont vacants, le taux de vacance atteignant 10 % à Évry et 17 % en équivalent temps plein au tribunal de grande instance de Paris.

L'amélioration de la situation dans les juridictions exige, en second lieu, que d'importants moyens supplémentaires soient dévolus à la création de postes de juges de l'application des peines (jap) qui ne sont que 295 sur les 8 779 magistrats français. De même, une augmentation massive des effectifs des services pénitentiaires d'insertion et de probation s'impose. En effet, si ces services comprennent 2 518 postes budgétaires et ont bénéficié de 585 créations postes entre 2002 et 2005, ce qui représente un effort considérable au regard des années passées puisque 94 postes seulement ont été créés en 2000 et 2001, ces services vont perdre, en revanche et pour les seules années 2005 et 2006, le bénéfice de 500 emplois jeunes dont les contrats s'achèvent. Dès lors, toutes les solutions pratiques et rapides doivent être envisagées, qu'il s'agisse de l'augmentation des recrutements, du développement de partenariat avec des associations, du recours à des vacations externes mais, en tout état de cause, une énergique impulsion tant politique que budgétaire s'impose.

Enfin, le rapporteur a tenu à faire part de son indignation quant aux tarifs pratiqués par certaines entreprises ou laboratoires d'analyse judiciaires qui contribuent à la spectaculaire augmentation de la dépense publique dédiée aux frais de justice.

En effet, l'accroissement des frais de justice, qui est de l'ordre de 20 % par an depuis près de 4 ans, ne devrait pas être modifié par la mise en œuvre de la loi du 9 mars 2004 qui tend à faciliter l'usage de certains instruments d'investigations, à l'instar des écoutes téléphoniques. Le montant des frais de justice devrait atteindre 600 millions d'euros en 2006, alors même que les crédits initialement inscrits en loi de finances pour l'année 2005 sont de 350 millions d'euros. Dans ces conditions, le « rebasage », c'est-à-dire l'écart entre la dépense prévisible et l'évolution spontanée de la dotation initiale précédente devrait être de 250 millions d'euros, afin que la mise en œuvre de la lolf, qui supprime la nature évaluative des crédits consacrés aux frais de justice en les transformant en crédits limitatifs, se déroule dans des conditions satisfaisantes.

Deux catégories de dépenses devraient être davantage maîtrisées :

-  la première concerne les dépenses induites par les tarifs pratiqués par les opérateurs téléphoniques. En effet, l'État paye des prestations dont le prix n'a pas été négocié spécifiquement et dont le montant est sans rapport avec le coût réel de la prestation. À titre d'illustration, certains opérateurs facturent l'identification d'un numéro de téléphone près de 10 euros, ce qui est d'autant plus inadmissible qu'il s'agit d'activités commerciales autorisées par l'État dans le cadre de licences ;

-  la seconde a trait aux analyses d'empreintes génétiques. Le nombre d'échantillons transmis au fichier aux fins d'analyse connaît une augmentation spectaculaire puisque de 6 507 en 2002, elles sont passées à 17 928 en 2003 pour atteindre 48 175 en 2004, sans qu'une réduction concomitante des coûts unitaires ne soit observée. Fort heureusement, face au retard accumulé dans l'analyse des empreintes, un stock de 20 000 échantillons a fait l'objet d'une mise en concurrence au mois d'avril dernier qui a entraîné une première diminution substantielle du coût unitaire d'analyse illustrant, de ce fait, le niveau élevé des prestations facturées à l'État. Là encore, une généralisation du recours aux procédures de mise en concurrence devrait contribuer à la réduction du coût de ces analyses sans porter atteinte à la liberté du magistrat de recourir comme il l'entend aux différentes techniques d'analyse des preuves.

Le président Philippe Houillon, approuvé par l'ensemble des commissaires, a félicité le rapporteur pour la qualité du travail accompli, comme pour celle de sa présentation devant la Commission. Il a indiqué que ce rapport serait présenté la semaine suivante au garde des Sceaux, qui pourrait alors faire connaître les conséquences qu'il estimait nécessaire d'en tirer. S'il n'y donnait pas toutes les suites que la commission jugerait nécessaires, il appartiendrait alors à celle-ci de prendre les initiatives complémentaires qui s'imposeraient. En particulier, le règlement des dysfonctionnements dans la mise à jour du casier judiciaire apparaît comme un préalable indispensable au traitement du problème de la récidive, qui devrait à nouveau être prochainement abordé.

M. Xavier de Roux a indiqué que, s'agissant de la procédure dite du « plaider coupable », le Conseil d'État s'était a priori contenté, en l'absence de dispositions expresses contraires, d'appliquer le texte général en vigueur relatif à la présence obligatoire du ministère public à l'audience.

M. Alain Marsaud a souhaité connaître les modalités d'application des décrets annuels de grâce, et a demandé si, selon le rapporteur, existait réellement la volonté de mettre à exécution les peines privatives de liberté d'une durée inférieure à un an.

M. Gérard Léonard a souligné l'intérêt que revêtait la nouvelle procédure de contrôle de l'application de chaque nouvelle loi par le rapporteur du projet ou de la proposition qui lui a donné naissance. Dans le cas présent, les conclusions de cette procédure paraissent soulever deux interrogations importantes.

En premier lieu, s'agissant de l'application des peines, les souhaits formulés au sein de la commission des Lois pour augmenter le nombre de juges de l'application des peines parmi les magistrats nouvellement formés ont-ils été suivis d'effet ?

En second lieu, si l'on considère certaines divergences de pratiques constatées entre les parquets, par exemple en matière de recours à la technique des empreintes génétiques, l'esprit de la loi, qui a rappelé la nécessité de la cohérence de l'action publique en précisant, s'il en était besoin, que celle-ci s'inscrit dans un contexte hiérarchique sous l'autorité du ministre, seul responsable de la définition de la politique pénale au plan national, est-il suffisamment respecté ?

Après avoir souligné que la qualité du rapport qui venait d'être présenté, parce qu'il pointait certaines insuffisances, avait aussi pour conséquence de mettre la Commission devant ses responsabilités, M. Christian Decocq a demandé si, s'agissant de la question des pollutions maritimes, le rapporteur avait pu procéder à des investigations relatives à la mise en œuvre de la mission de prévention, également prévue par la loi. Par ailleurs, ayant lui-même constaté que certains parquets se refusaient à mettre en œuvre la nouvelle procédure dite du « plaider-coupable », y compris lorsque celle-ci était demandée par les personnes poursuivies parce qu'elle aurait présenté pour elles des avantages par rapport à l'audience publique classique, il a souhaité connaître les fondements d'un tel pouvoir discrétionnaire des parquets. 

M. André Vallini a estimé que le travail présenté attestait d'une véritable œuvre de contrôle parlementaire. Concernant la procédure dite de « plaider coupable », il a souligné qu'elle lui paraissait relever d'une forme de « bricolage », eu égard aux positions prises en la matière par les hautes juridictions appelées à en connaître, et a mis en garde contre l'éventuelle adoption de la proposition de loi déposée au Sénat par M. Laurent Béteille, qui, en prévoyant explicitement l'absence du parquet à l'audience d'homologation de la peine par le juge du siège, lui semblait encourir la censure du Conseil constitutionnel.

M. André Vallini a par ailleurs interrogé le rapporteur sur l'éventuelle modification, à brève échéance, des dispositions de l'article 434-7-2 du code pénal introduites par la loi Perben II et permettant l'incarcération d'avocats soupçonnés de divulgation d'informations issues d'un dossier d'instruction de nature à entraver le déroulement des investigations.

Le président Philippe Houillon a indiqué que le garde des Sceaux avait récemment reçu les représentants des avocats sur ce point, et que la réflexion était en cours.

M. Jacques Floch a estimé important d'obtenir du Gouvernement un calendrier précis pour chacune des mesures correctrices qu'appelait le constat du rapporteur, compte tenu de l'immobilisme qu'il avait lui-même parfois pu constater parmi certains responsables administratifs du ministère de la Justice. Au-delà, la question qui se pose est celle de la prise en compte de la dimension financière des procédures judiciaires par le ministère chargé de les mettre en œuvre : il a ainsi rappelé qu'à l'occasion de ses travaux en tant que rapporteur pour avis du budget de la justice, il avait pu constater que le coût analytique de chacun des types de procédures judiciaires était estimé avec une marge d'erreur dépassant 30 %. Quant aux remarques relatives au coût d'intervention de certains laboratoires, comme à la facturation de leurs prestations spécifiques par les opérateurs de télécommunications, elles ne sont malheureusement pas sans rappeler le dossier passé de l'informatisation difficile et coûteuse du ministère. Elles témoignent ainsi de la nécessité impérieuse que les observations du rapporteur, traduisant les conclusions du contrôle démocratique de l'action d'un ministère qui n'y est pas suffisamment habitué, soient suivies d'effet.

M. Alain Marsaud a appelé l'attention de la Commission sur l'origine de la dérive des coûts des investigations menées à la demande des magistrats, parfois accentuée par l'automatisme de certains enquêteurs et un recours excessif aux écoutes téléphoniques ou aux recherches d'adn. Il a précisé que le coût des écoutes téléphoniques en 2004 s'est élevé à 80 millions d'euros et il a estimé que la facturation effectuée par les opérateurs de téléphonie pourrait être aisément réduite de moitié, ce qui permettrait une économie substantielle.

Contestant que la procédure de « plaider coupable » puisse être qualifiée de « bricolage », M. Jacques-Alain Bénisti a rappelé que cette nouvelle procédure, qui a concerné 7 914 affaires lors des huit premiers mois suivant son entrée en vigueur, a permis le règlement de 6 629 d'entre elles, démontrant ainsi son efficacité dans le règlement des contentieux. Il a, en revanche, regretté que seulement 94 des 180 tribunaux de grande instance aient recours à cette nouvelle procédure.

M. André Vallini a alors précisé qu'il n'était pas défavorable en soi à la procédure de plaider coupable mais qu'il regrettait que sa mise en œuvre soit trop imparfaite et s'apparente à un « bricolage » pour réinventer une nouvelle forme d'audience.

M. Jean-Paul Garraud a fait valoir que le problème posé par le nombre insuffisant de magistrats affectés à un poste de juge d'application des peines s'inscrivait dans celui plus large du nombre de places offertes à l'École nationale de la magistrature. Celui-ci atteignant à l'heure actuelle son maximum, la ventilation des auditeurs de justice entre les différentes catégories de postes ne peut que se faire au détriment de l'une ou l'autre de ces catégories. Il a, dès lors, jugé préférable de recourir à d'autres types de solution, d'une part en simplifiant la procédure et les tâches du juge d'application des peines, d'autre part en augmentant le nombre de greffiers et en revalorisant cette fonction comme il l'avait déjà proposé dans son rapport pour avis sur les crédits du ministère de la justice.

M. Jacques-Alain Bénisti s'est déclaré favorable à une orientation visant à agir prioritairement en faveur des greffes.

Rappelant que le Conseil constitutionnel avait validé la création de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, M. Guy Geoffroy a estimé que le débat sur la présence du procureur lors de l'audience est apparu en raison de réticences idéologiques à l'endroit de cette procédure et non pour des raisons pratiques. Il a jugé conforme aux exigences démocratiques que le parquet soit placé sous l'autorité du ministre de la justice. Aussi a-t-il exprimé sa perplexité et son inquiétude en constatant que certains magistrats du parquet semblent se considérer déliés de l'obligation d'appliquer les lois votées par les représentants du peuple souverain.

M. Alain Marsaud a estimé que le problème posé par la présence du procureur à l'audience d'homologation de la peine dans le cadre de la procédure de « plaider coupable » provient d'une confusion sur le rôle du procureur dans cette procédure, où il n'est pas une partie à l'audience et il a souhaité qu'un texte législatif vienne rapidement préciser cette question. Concernant l'application des peines, il a appelé à une externalisation de cette mission qui pourrait ainsi alléger d'autant les tâches des services judiciaires.

M. Jacques Floch a contesté qu'il serait impossible de former plus de 250 auditeurs de justice par an sans porter préjudice à la qualité du recrutement, rappelant que l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, par exemple, comprend des promotions de 500 élèves officiers. Souhaitant que l'École nationale de la magistrature abandonne l'idée selon laquelle elle formerait un petit corps d'élite, il a estimé qu'une réorganisation de cette école et une réforme de la composition de son corps enseignant permettraient d'améliorer la formation des magistrats. Il a ajouté que cette réforme permettrait aussi de former des magistrats étrangers et de répondre ainsi à une demande que la France ne peut à l'heure actuelle pas satisfaire. Il a, par ailleurs, rappelé qu'il appartenait au garde des Sceaux de donner aux parquets des instructions pour les lois soient appliquées sur l'ensemble du territoire dans le respect du principe d'égalité.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  Les difficultés rencontrées en matière d'exécution des peines ne relèvent nullement d'une mauvaise volonté des services concernés mais tiennent à l'insuffisance des moyens consacrés à cette mission. Il convient pourtant d'être particulièrement vigilant afin que des décisions de justice soient appliquées de façon homogène sur l'ensemble du territoire national, la situation contraire, en raison de son caractère aléatoire, étant favorable au sentiment d'impunité des délinquants et donc à la récidive. Dans le cadre du débat politique actuel sur la récidive, il convient donc de garder présent à l'esprit les carences des services en charge de l'exécution des décisions de justice car le renforcement de la répression sera d'une efficacité toute relative si les condamnations des juridictions prononcées au nom du peuple français demeurent aussi mal exécutées qu'elles le sont aujourd'hui ;

-  Le nombre de postes de juges de l'application des peines offerts à l'issu de la dernière promotion de l'École nationale de la Magistrature est de 5 % du total des effectifs de magistrats contre 10 % pour la promotion précédente. Les recommandations de la mission d'information de la commission des Lois de l'Assemblée nationale sur le traitement de la récidive des infractions pénales sont donc, sur ce point, restées lettre morte. Il est, certes, incontestable que de nombreuses autres fonctions que celles de juge de l'application des peines méritent d'être renforcées par des moyens humains supplémentaires mais, compte tenu de la défaillance des services de l'application et de l'exécution des peines, l'effort budgétaire devrait porter en priorité dans ce domaine ;

-  La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (crpc) constitue un des nombreux instruments mis à la disposition du ministère public par la loi, aux côtés d'autres procédures telles que la comparution immédiate, la composition pénale ou encore l'ordonnance pénale. Dès lors, il est logique de constater que les juridictions recourent différemment à ces nombreux instruments procéduraux. La circulaire du garde des Sceaux du 2 septembre 2004 invitait d'ailleurs les juridictions à mettre en œuvre la crpc de façon progressive et en deux étapes, la première devant concerner les affaires simples pour lesquelles il n'y avait ni victime ni prison ferme requise, à l'instar des contentieux de la conduite en état alcoolique, la seconde pouvant traiter d'affaires plus complexes dans le cadre desquelles des peines d'emprisonnement ferme pourraient être prononcées. À cet égard, il convient de préciser que seul le tribunal de grande instance de Paris est à ce jour passé à cette deuxième étape. Toutefois, certaines juridictions qui n'avaient pas mis en œuvre cette procédure au cours du dernier trimestre de l'année 2004 ont d'ailleurs commencé à y recourir au début de l'année 2005. Une généralisation progressive dans la mise en œuvre de la crpc semble se dessiner et a systématiquement été précédée d'une concertation avec les représentants des avocats qui s'en sont montrés satisfaits. Néanmoins, les incertitudes actuelles concernant la présence du procureur de la République à l'audience d'homologation de la peine proposée dans le cadre de la procédure de crpc, ne sont vraisemblablement pas sans lien avec la légère diminution des tribunaux de grande instance y ayant recours qui est actuellement observée ;

-  S'agissant des dispositions de la loi du 9 mars relatives à la lutte contre les pollutions maritimes, le présent rapport s'est attaché à évaluer leur application et leur efficacité répressive mais n'évalue pas l'éventuelle augmentation des comportements préventifs que ces dispositions auraient provoquée, à l'instar du recours accru des armateurs au nettoyage des cuves des navires dans les ports ;

-  Le groupe de travail mis en place par le précédent garde des Sceaux sur les dispositions de l'article 434-7-2 du code pénal ayant fondé la décision de placement en détention provisoire de Maître France Moulin devrait aboutir à des propositions législatives plus satisfaisantes ;

-  Il importera pour la commission des Lois de veiller tout particulièrement aux conséquences des recommandations de ce rapport et du précédent afin de faire en sorte que les différentes administrations centrales concernées modifient leurs méthodes de travail et acceptent que le Parlement exerce pleinement sa mission de contrôle ;

-  Il est indéniable que certains magistrats ou policiers recourent de façon excessive aux interceptions des correspondances. Toutefois, la croissance des dépenses publiques consacrées à ces opérations est avant tout le résultat des insuffisances de l'État et de son incapacité à négocier avec les opérateurs de téléphonie des tarifs correspondant au service rendu.

Le président Philippe Houillon a souhaité que le rapporteur puisse revenir devant les commissaires, après qu'il aura présenté son rapport au garde des Sceaux et si possible avant la fin de la session ordinaire, pour faire part des réponses susceptibles d'être apportées aux problèmes évoqués dans le rapport d'application.

Puis la Commission a autorisé le dépôt du rapport d'application de la loi en vue de sa publication.

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