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COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 16

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 7 décembre 2005
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Guy Geoffroy, vice-président,
puis de M. Philippe Houillon, président

SOMMAIRE

 

Pages

- Examen de la proposition de résolution de MM. Jean-Louis Debré et Philippe Houillon tendant à la création d'une commission d'enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l'affaire dite d'Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement (n° 2722) (M. Philippe Houillon, rapporteur)

2

- Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple (n° 2219) (M. Guy Geoffroy, rapporteur)

3

- Examen pour avis du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux offres publiques d'acquisition (n° 2612) (article 4, 6, 9 à 19 et 22) (M. Xavier de Roux, rapporteur)

14

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Houillon, la proposition de résolution de MM. Jean-Louis Debré et Philippe Houillon tendant à la création d'une commission d'enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l'affaire dite d'Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement (n° 2722).

Après avoir rappelé que la fin de la procédure judiciaire de l'affaire dite d'Outreau lève les obstacles juridiques à la création d'une commission d'enquête parlementaire, comme l'a confirmé le garde des Sceaux par courrier, le rapporteur a déclaré que la gravité de l'erreur judiciaire intervenue avait incité le président de l'Assemblée nationale et lui-même à proposer la création d'une telle commission. Les accusations portées à l'encontre des treize accusés qui ont été acquittés ont eu de graves conséquences sur leur vie personnelle, en particulier la mise en détention provisoire, le dénuement financier, la désagrégation de leur famille et l'opprobre de leur entourage, comme l'ont d'ores et déjà reconnu les plus hautes autorités de l'État qui leur ont présenté des excuses officielles.

Bien que le garde des Sceaux ait annoncé la saisine de l'Inspection générale des services judiciaires, composée de magistrats, l'Assemblée nationale ne peut pas rester absente de ce débat car la justice, qui est rendue au nom du peuple français, concerne des sujets aussi essentielles que la vie des personnes, leur famille et leur patrimoine.

La première mission de la commission d'enquête sera d'établir un diagnostic des erreurs commises, aussi bien dans les comportements individuels des différents acteurs que dans les failles de la chaîne pénale. En effet, au-delà du rôle du juge d'instruction, plus de cinquante magistrats, ainsi que des experts judiciaires, ont pris part à la procédure.

La commission d'enquête sera amenée à proposer des solutions afin d'éviter le renouvellement de ces dysfonctionnements, notamment en matière d'organisation de l'instruction, de droits de la défense et de responsabilité des magistrats. Elle devra étudier le sujet avec sérénité et de manière complète. La question de la formation des magistrats devra être évoquée, car l'enseignement de la culture du doute fait actuellement défaut. Par ailleurs, la commission devra s'intéresser aux procédures disciplinaires. Au cours des cinq dernières années, le Conseil supérieur de la magistrature n'a prononcé que vingt et une sanctions, et principalement pour des motifs touchant aux comportements personnels des magistrats. Enfin, il conviendra de se demander si un professionnel normalement compétent et diligent aurait pu éviter ce drame judiciaire.

Après avoir précisé que, si l'affaire d'Outreau ne reflète pas l'image de l'ensemble de la justice française, elle dépasse néanmoins le cas individuel du juge d'instruction, le rapporteur a invité la Commission à adopter la proposition de résolution.

M. André Vallini s'est déclaré très favorable à l'initiative prise conjointement par le président de l'Assemblée nationale et le président de la commission des Lois. Le groupe socialiste votera donc pour la création de la commission d'enquête à laquelle il participera dans un esprit constructif. La commission devra réaliser un véritable examen clinique de toute l'affaire : de l'amont, en étudiant la question de la formation des magistrats, à l'aval, en s'intéressant à la responsabilité de ceux-ci.

Souscrivant aux propos du rapporteur, M. André Vallini a estimé que la commission devra travailler dans la sérénité, mais aussi étudier la question de la responsabilité des médias dans cette affaire. Il ne faut en effet pas oublier que ceux qui crient aujourd'hui au scandale sont également ceux qui réclamaient la mise en détention des suspects lorsque l'affaire a éclaté, notamment les quotidiens Le Parisien et La Voix du Nord.

Mme Anne-Marie Comparini a déclaré que le groupe UDF voterait la proposition de résolution car le rapporteur a bien expliqué que, au-delà des enquêtes internes nécessaires, comme celle confiée à l'inspection générale des services judiciaires, l'Assemblée nationale devait s'intéresser à cette affaire.

Pour avoir travaillé sur ces questions, notamment en déposant une proposition de loi visant à renforcer la protection de l'enfant face à la violence sexuelle, Mme Anne-Marie Comparini a considéré que les policiers et les magistrats n'étaient ni formés ni préparés à ce type d'affaire. La commission d'enquête devra donc aussi s'intéresser à cette question, dans l'esprit des propos du rapporteur.

M. Jacques-Alain Bénisti a estimé qu'il fallait certes prendre en compte la responsabilité des magistrats dans cette affaire, mais aussi celle des médias, tout particulièrement des quotidiens Le Parisien et La Voix du Nord qui ont condamné médiatiquement les personnes mises en examen avant même leur procès. Il s'agit là d'un exemple flagrant des trop fréquentes déviances médiatiques que la commission devra également étudier et pour lesquelles il faudra imaginer la mise en place de garde-fous.

Le rapporteur a précisé que les mêmes médias qui avaient condamné médiatiquement les accusés avant le procès les avaient également en quelque sorte médiatiquement innocentés avant le verdict.

M. Patrick Delnatte a rappelé que l'affaire d'Outreau avait également mis en exergue les dysfonctionnements du dispositif social, des familles d'accueil aux assistantes sociales, tout spécialement en ce qui concerne le recueil de la parole de l'enfant. Comme les travaux de la mission d'information sur le droit de la famille l'ont montré, une réflexion doit être menée sur la question du secret, qui a montré ses limites, au profit d'informations partagées entre tous les acteurs.

La Commission a ensuite adopté à l'unanimité et sans modification la proposition de résolution.

*

* *

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Guy Geoffroy, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple (n° 2219).

Le rapporteur a souhaité tout d'abord retracer la genèse ayant conduit la commission des Lois à se saisir de la proposition de loi adoptée par le Sénat le 29 mars 2005 renforçant la lutte contre les violences conjugales. Outre la prise de conscience de la gravité et de l'ampleur de ce phénomène découlant, notamment, des différentes campagnes de sensibilisation récemment menées par les pouvoirs publics, le calendrier d'examen de cette proposition de loi a connu une accélération heureuse liée à l'adoption définitive par le Parlement, le 24 novembre dernier, de la proposition relative au traitement de la récidive des infractions pénales.

En effet, l'article 35 de cette proposition comprend des dispositions autorisant tant les magistrats - qu'il s'agisse du procureur de la République ou du juge d'instruction - que les juridictions de jugement, à ordonner l'éloignement du domicile à l'encontre de l'auteur de violences conjugales. Or, l'article 5 de la proposition de loi adoptée par le Sénat, dont est aujourd'hui saisie la commission, comprend également des mesures en ce sens. C'est pourquoi, à l'occasion de la cmp sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive, les sénateurs, et en particulier le président de la commission des Lois du Sénat, ont exprimé la crainte que leur adoption dans le cadre de cette proposition ne conduise à l'abandon de la proposition de loi du Sénat sur la prévention et la répression des violences au sein du couple.

Dans un souci d'efficacité, la cmp a néanmoins maintenu ces dispositions dans la proposition de loi sur le traitement de la récidive dont l'entrée en vigueur est parue, à bon droit, plus proche que celle de la proposition de loi sénatoriale sur les violences conjugales. Cependant, afin de rassurer le Sénat quant au devenir de sa proposition de loi, le président de notre commission des Lois s'est engagé à inscrire le rapport sur cette proposition de loi à l'ordre du jour de notre commission et à demander son inscription à l'ordre du jour de notre assemblée. Ces engagements ont été pleinement respectés, et il convient de s'en féliciter.

Abordant ensuite le dispositif de la proposition de loi sénatoriale, le rapporteur a estimé qu'elle constituait une étape importante dans la prise de conscience et le traitement des violences conjugales sans pouvoir prétendre, bien évidemment, juguler définitivement ce phénomène. Cette proposition s'appuie sur un constat soulignant le caractère quotidien, brutal ou insidieux, des violences conjugales qui tendent, bien souvent, à placer la victime - généralement féminine - dans une situation de dépendance, subissant la domination, tant matérielle que psychologique, de son conjoint.

Ainsi, en moyenne en France, une personne décède tous les quatre jours des suites de violences conjugales, dont 80 % de femmes. En outre, 10 % de ces homicides sont commis par l'ancien conjoint ou concubin de la victime. Au-delà des seuls homicides, il ressort de l'enquête nationale sur les violences envers les femmes, menée au cours du premier semestre de l'année 2000, que près d'une femme sur dix serait victime de violence dans son couple, ce qui est considérable et pour le moins atterrant.

Confrontés à ce constat, les pouvoirs publics se doivent de réagir et la présente proposition de loi y contribue. Certes, le droit en vigueur comprend d'ores et déjà de nombreuses dispositions en matière de lutte contre les violences, mais celles-ci ne sont pas spécifiques aux violences conjugales, particulières à de nombreux égards, puisque les faits sont commis dans l'intimité des couples et, par voie de conséquence, souvent difficiles à prouver. Pour autant, certains progrès législatifs sont récemment intervenus, à l'instar de la loi du 26 mai 2004, relative au divorce, qui a autorisé le juge aux affaires familiales à ordonner au conjoint violent de quitter le domicile. En matière de violences conjugales, la mise en œuvre des décisions judiciaires s'appuie généralement sur des associations dédiées à la prise en charge et à l'accompagnement des victimes et qui font un travail remarquable dans le long, mais nécessaire, processus de reconstruction de ces personnes.

Pour sa part, le texte adopté par le Sénat résulte initialement de deux propositions de loi déposées par les sénateurs socialistes d'une part, et communistes et républicains d'autre part, que la commission des Lois de la seconde assemblée a réunies tout en supprimant les dispositions de nature réglementaire initialement prévues par ces deux textes.

Évoquant les différents articles de la proposition de loi, le rapporteur a indiqué que l'article 1er A modifiait l'article 144 du code civil afin que l'âge légal au mariage des femmes soit porté à dix-huit ans, comme celui des hommes, et non plus fixé à quinze ans révolus comme le prévoit le droit en vigueur qui date, sur ce point, de 1804. Ce faisant, il s'agit de lutter contre les mariages forcés qui représentent l'une des pires et premières formes de violences conjugales. L'article 2 prévoit d'élargir le champ d'application de la circonstance aggravante de violences conjugales à l'auteur des faits lié à la victime par un pacte civil de solidarité (pacs). L'article 2 bis crée un nouveau délit dans le code pénal qui punit d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende la privation des pièces d'identité ou relatives à un titre de séjour ou de résidence d'un étranger par son conjoint. Tout en comprenant l'objectif poursuivi par cette disposition, le rapporteur a observé que cette privation ressemblait fort à un vol et devrait donc être juridiquement qualifiée comme tel plutôt que sous la forme d'une nouvelle incrimination.

Pour sa part, l'article 3 corrige une anomalie juridique tenant au fait que le droit pénal en vigueur ne prévoit pas de circonstance aggravante lorsque le meurtre est commis par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un PACS, à la différence des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. L'article 4 complète les dispositions relatives au viol en précisant, ce que la jurisprudence de la Cour de cassation a d'ores et déjà établi depuis plus de quinze ans, que la qualité de conjoint, de concubin ou de partenaire pacsé de la victime ne peut être retenue comme cause d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité. À cet égard, le rapporteur a indiqué qu'il lui semblait souhaitable d'aller au-delà de cette légalisation à droit constant de la jurisprudence en prévoyant l'introduction d'une circonstance aggravante en matière de viol ou d'agressions sexuelles au sein du couple, qui signifierait clairement que le viol entre époux ou conjoint existe et doit être réprimé puisque les peines sont aggravées.

Afin de permettre l'éloignement du domicile de l'auteur des violences conjugales, l'article 5 introduit deux nouvelles dispositions : la première, autorise le juge d'instruction à ordonner une telle mesure dans le cadre du contrôle judiciaire, la seconde, permet au tribunal correctionnel qui condamne une personne au sursis avec mise à l'épreuve de prononcer cette même mesure. Ces dispositions ayant été reprises et complétées par l'article 35 de la proposition de loi sur le traitement de la récidive des infractions pénales, le rapporteur a indiqué qu'il proposerait, par la voie d'un amendement, de les compléter en matière de suivi et de révocation du contrôle judiciaire lorsque ce dernier n'est pas ordonné par le juge d'instruction.

Pour sa part, l'article 5 bis prévoit que le Gouvernement doit déposer sur le bureau des assemblées un rapport sur la politique nationale de lutte contre les violences au sein des couples, portant notamment sur les conditions d'accueil et d'hébergement des victimes, leur réinsertion sociale ainsi que les structures de soin des auteurs des faits. Le rapporteur a observé qu'un tel rapport devrait également porter sur la mise en œuvre des mesures d'éloignement du conjoint violent et ne pas se limiter à décrire les conditions d'accueil et d'hébergement des victimes puisque cela signifierait que ce sont encore et toujours elles qui quittent le domicile conjugal et non pas l'auteur des faits.

Après avoir indiqué que l'article 6 prévoyait l'application outre-mer des dispositions de la proposition de loi, le rapporteur a exprimé le souhait que les travaux menés au sein de la Délégation au droit des femmes de l'Assemblée nationale d'une part, et dans le cadre de la mission commune sur le droit de la famille d'autre part, permettent d'enrichir le texte par des propositions aussi constructives que possible et, ce faisant, conduisent à l'adoption de ce texte à l'unanimité comme cela a été le cas au Sénat.

Il a conclu son propos en observant que nombre de mesures à prendre en matière de traitement des violences conjugales ne relevaient pas de la loi mais de la politique pénale et que, compte tenu des légitimes attentes des associations en la matière, il conviendrait que la Représentation nationale adopte rapidement des mesures efficaces attestant de sa volonté sans faille d'éradiquer ce fléau moderne que sont les violences conjugales.

Après avoir souligné que les statistiques démontraient que les femmes étaient majoritairement concernées par les violences conjugales, Mme Chantal Brunel, rapporteur de la délégation aux Droits des femmes, a indiqué que cette dernière avait adopté plusieurs recommandations destinées à améliorer le dispositif de la présente proposition de loi.

Relevant, à l'instar des nombreuses associations qu'elle avait rencontrées, que le peu d'efficacité du recours de la médiation pénale dans les cas de violences au sein du couple s'expliquait par la difficulté pour la victime de se retrouver sur un pied d'égalité avec son agresseur, elle a jugé nécessaire de limiter à une seule fois pour des faits de même nature le recours à cette procédure.

En outre, deux procédures d'urgence mériteraient d'être mises en œuvre. La première permettrait, à la demande du procureur de la République, le versement anticipé et en urgence aux victimes de violences conjugales des prestations à caractère social ou familial. Dès lors qu'est engagée une procédure judiciaire, la seconde mesure permettrait, d'une part, à celles des victimes exerçant une activité privée de démissionner de leur emploi et de percevoir des allocations chômage, et, d'autre part, à celles des victimes ayant le statut de fonctionnaires de bénéficier d'un droit prioritaire à la mobilité géographique.

Considérant que la polygamie constitue une forme de violence conjugale, il serait utile de réserver, éventuellement par l'entremise d'un tuteur extérieur, le versement des allocations familiales aux mères de famille concernées, afin de favoriser l'allocation des moyens à l'éducation des enfants et d'accompagner la « décohabitation » entre les époux.

Enfin, Mme Chantal Brunel a annoncé qu'elle déposerait à titre personnel des amendements permettant de donner une forme juridique à ces recommandations.

M. Alain Vidalies a, tout d'abord, reconnu la nécessité d'engager une démarche commune, sinon consensuelle, dans le traitement d'un phénomène jusqu'alors caché et qui, par son ampleur et le nombre d'actes concernés, pourrait constituer le plus grave des phénomènes pénalement qualifiables. Sa solution exigerait un débat qui ne soit pas limité au temps imparti à l'examen des « niches » parlementaires, et qui implique plus étroitement le Gouvernement.

M. Alain Vidalies a ensuite regretté que la prévention ne soit pas prise en considération dans le texte soumis à l'Assemblée nationale, alors même que celui-ci contenait à cet égard, dans sa version initiale, des dispositions intéressantes, leur caractère réglementaire ne constituant pas un élément dirimant pour les exclure de la présente proposition. La nécessité d'informer nos concitoyens, sans doute dès l'école, et de former à ces problématiques les policiers, les magistrats, les avocats et jusques et y compris les membres du corps médical, est pourtant manifeste.

M. Alain Vidalies s'est en outre interrogé sur la cohérence d'ensemble du code pénal si la Commission adoptait un des amendements du rapporteur faisant du viol entre conjoints une circonstance aggravante.

Enfin, il a émis des réserves sur certains des amendements déposés par les députés de la majorité appartenant à la mission d'information relative à la famille.

M. Patrick Delnatte, relevant l'importance et l'urgence du traitement d'un fléau tel que les violences conjugales, a fait observer que la lutte contre ce phénomène ainsi que l'alignement à dix-huit ans de l'âge minimum du mariage pour les femmes comme pour les hommes ouvraient la voie à des amendements permettant de lutter contre le mariage forcé déposés au nom de la mission d'information relative à la famille.

L'égalité entre les hommes et les femmes ainsi que la prise en compte des violences faites aux enfants, qui sont souvent les victimes collatérales des violences conjugales, doivent constituer les objectifs de la présente proposition de loi. En outre, il convient d'inverser le point de vue traditionnel qui pousse la personne violentée à quitter le domicile conjugal et d'imposer, en conséquence, l'éloignement du coupable. Il convient également de prendre en considération, au-delà des violences physiques, les violences psychologiques parfois exercées au sein du couple.

Ces préoccupations doivent conduire à définir un outil juridique cohérent, qui prenne en compte la prévention, l'accompagnement et le traitement du problème, dans la logique de dispositifs qui existent, par exemple, en Autriche, en Espagne ou en Belgique.

M. Jacques-Alain Bénisti, après avoir fait observer que son expérience d'élu local lui avait permis de constater que les violences conjugales touchaient en très grande majorité des femmes, a demandé au rapporteur des précisions sur la méthode statistique utilisée dans la détermination du taux de 80 % évoqué par lui.

Il a estimé que la médiation pénale, en imposant une confrontation de la victime avec son agresseur, n'était pas adaptée à la résolution de ce type de problème et qu'il convenait, en la matière, de trouver une solution plus satisfaisante, susceptible de tenir compte de la volonté de la première de s'éloigner au plus vite du second.

Il s'est interrogé sur les moyens de concilier l'interdiction légale absolue de la polygamie et la prise en compte de la situation réelle de femmes poussées avec certains de leurs enfants hors du foyer par la violence exercée par un mari qui vit avec plusieurs femmes.

Puis, il a fait remarquer que certaines caisses d'allocations familiales affectaient d'ores et déjà à la seule mère les prestations qu'elles versaient et que cette mesure pouvait constituer un moyen réellement dissuasif pour les conjoints violents.

Enfin, il a indiqué que les fonctionnaires territoriaux victimes de violences conjugales pouvaient, en cas de changement de domicile, être pris en charge par le centre de gestion d'une autre région et continuer ainsi à percevoir un traitement en attendant de retrouver un poste.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- la possibilité d'accorder des indemnités de licenciement à la victime de violences conjugales devant quitter son emploi et son domicile constitue une piste de réflexion devant être explorée. Selon les indications fournies par le Gouvernement lors de l'examen de la proposition de loi au Sénat, une négociation en ce sens serait en cours à l'unedic et devrait prochainement aboutir. L'examen en séance publique de cette proposition de loi sera donc l'occasion d'obtenir des informations sur l'état d'avancement de cette discussion entre les partenaires sociaux ;

- au-delà des violences physiques, la violence conjugale revêt bien plus souvent la forme de violences psychologiques, fragilisant progressivement la victime et aboutissant à la placer dans une situation de dépendance totale. C'est donc cette sujétion d'un conjoint à un autre qu'il convient de combattre sachant - et il s'agit d'une statistique significative - que dans 60 % des cas de violences conjugales, l'un des deux conjoints n'exerce pas d'activité professionnelle ;

- la nécessité de mener des actions de prévention et d'information en matière de violences conjugales ne fait aucun doute et ne saurait donc être contestée. Des initiatives en ce sens sont d'ores et déjà entreprises, à l'instar de l'élaboration, au profit des magistrats et des policiers, du guide de l'action publique qui précise et clarifie, à chaque étape de la procédure pénale, de la connaissance des faits au jugement, les différents choix procéduraux possibles et les modalités les plus adaptées de prise en charge des victimes. À cet égard, force est de reconnaître que le recours à la médiation pénale, très développé en cette matière, n'est pas toujours approprié et tend parfois à culpabiliser la victime en l'incitant à reconnaître une part de responsabilité dans les circonstances ayant conduit à la commission des faits ;

- le droit en vigueur aggrave les peines lorsque les faits commis par le conjoint ou le concubin sont qualifiés de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, de violences ayant entraîné des mutilations ou une incapacité totale de travail. Dès lors que ces formes de violences connaissent une réponse pénale plus sévère, les violences de nature sexuelle doivent également en faire l'objet car elles ne sont pas moins graves que les autres ;

- l'éloignement du domicile conjugal de l'auteur de faits de violence doit devenir la règle et non pas l'exception comme c'est le cas aujourd'hui où c'est la victime qui, très souvent, pour se préserver et échapper aux brutalités de son conjoint fuit son foyer. L'entrée en vigueur de la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales devrait juridiquement le permettre, mais il reste à changer les pratiques et les mentalités.

Puis la Commission est passée à l'examen des articles de la proposition de loi.

Article 1 A (nouveau) (art. 144 du code civil) : Élévation de l'âge légal du mariage des femmes :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article additionnel après l'article 1 A (nouveau) (art. 63, 170, 170-1 et 175-2 du code civil) : Audition des futurs époux par l'officier d'état civil en cas de doute sur la liberté du consentement :

La Commission a adopté les amendements identiques nos 1, 7 et 11, présentés respectivement par M. Patrick Delnatte, M. Alain Vidalies et Mme Anne-Marie Comparini, ayant pour objet de rendre obligatoire l'audition des futurs époux par l'officier d'état civil lorsqu'il existe un doute sur la liberté du consentement au mariage.

Après l'article 1 A (nouveau):

M. Patrick Delnatte a présenté l'amendement n° 2 ayant pour objet de permettre à l'officier d'état civil ou à l'agent diplomatique ou consulaire chargé de l'audition commune ou des entretiens séparés des futurs époux préalables à la publication des bans, de déléguer cette tâche à un fonctionnaire titulaire.

M. Alain Vidalies a estimé que ce système de délégation était inspiré des remarques du représentant du ministère des Affaires étrangères devant la mission d'information sur la famille, qui a précisé que les postes diplomatiques ne disposaient pas d'un nombre suffisant d'agents diplomatiques ou consulaires pour mener à bien les auditions. Il a exprimé ses réserves à l'encontre de la création d'une possibilité de délégation très large, puisqu'elle pourrait avoir lieu au profit de tout fonctionnaire titulaire, et qui vise en fait à répondre au problème très circonscrit du personnel du ministère des Affaires étrangères.

M. Patrick Delnatte a rappelé que les auditions des futurs époux, nécessaires afin d'éviter des mariages blancs ou des mariages forcés, ne sont pas toutes effectuées aujourd'hui, et que l'amendement permettrait de combler ce manque.

Mme Anne-Marie Comparini, présentant un amendement identique n° 12, a reconnu que la rédaction actuelle était peut-être imparfaite, mais qu'il était important de permettre à toutes les auditions nécessaires d'avoir lieu.

Le rapporteur a estimé qu'il serait possible de préciser la rédaction de l'amendement, afin que la délégation soit réservée aux seuls fonctionnaires titulaires affectés au service de l'état civil. Il a, pour cette raison, invité leurs auteurs à rectifier les deux amendements afin d'en améliorer la rédaction en vue de leur examen dans le cadre de l'article 88 du Règlement.

Le président Philippe Houillon a approuvé cette proposition de rectification des amendements, estimant qu'il est indispensable que l'officier d'état civil intervienne dans la procédure s'il existe une difficulté ou un doute sérieux.

Les auteurs des deux amendements ont alors fait part de leur intention de les rectifier en vue de leur examen par la Commission dans le cadre prévu par l'article 88 du Règlement.

Article additionnel après l'article 1 A (nouveau) (art. 170-1 du code civil) : Transcription d'un mariage célébré à l'étranger :

La Commission a alors examiné les deux amendements identiques nos 3 et 13, présentés respectivement par M. Patrick Delnatte et par Mme Anne-Marie Comparini.

M. Patrick Delnatte a exposé que ces amendements avaient pour objet de remplacer la transcription automatique par l'agent diplomatique ou consulaire d'un mariage célébré à l'étranger lorsque le procureur de la République ne s'est pas prononcé dans un délai de six mois, par une transcription soumise à la tenue préalable d'une audition des futurs époux.

M. Alain Vidalies a estimé que ces amendement posaient un problème de constitutionnalité, au regard du principe de liberté du mariage, reconnu comme liberté fondamentale par le Conseil constitutionnel. Il a exprimé sa crainte que l'absence de l'audition préalable à la transcription de l'acte de mariage, qu'elles qu'en soient les raisons, ne crée un obstacle à reconnaissance de ce mariage.

M. Patrick Delnatte a fait observer que les amendements donnaient la possibilité à l'un ou l'autre des époux de saisir le président du tribunal de grande instance s'il n'a pas été procédé à l'audition nécessaire à la transcription de l'acte de mariage.

La Commission a alors adopté ces deux amendements identiques.

Article additionnel après l'article 1 A (nouveau) (art. 180 du code civil) : Action en nullité du mariage à l'initiative du ministère public :

La Commission a adopté les trois amendements identiques nos 4, 8 et 14 présentés respectivement par M. Patrick Delnatte, M. Alain Vidalies et Mme Anne-Marie Comparini, permettant au ministère public d'engager l'action en nullité du mariage non seulement en cas d'absence de consentement mais également en cas de vice du consentement.

Article additionnel après l'article 1 A (nouveau) (art. 181 et 183 du code civil) : Délai d'exercice de l'action en nullité par l'époux :

La Commission a adopté les trois amendements identiques nos 5, 9 et 15 présentés respectivement par M. Patrick Delnatte, M. Alain Vidalies et Mme Anne-Marie Comparini, portant de six mois à deux ans le délai de cohabitation continue au-delà duquel une demande de nullité du mariage pour vice du consentement n'est plus recevable, et prolongeant également de un à deux ans le délai pendant lequel l'époux mineur au moment du mariage qui vient d'atteindre sa majorité peut demander la nullité du mariage.

Article additionnel après l'article 1 A (nouveau) (art. 1114 du code civil) : Crainte révérencielle envers un ascendant :

La Commission a adopté les trois amendements identiques nos 6, 10 et 16, présentés respectivement par M. Patrick Delnatte, par M. Alain Vidalies et par Mme Anne-Marie Comparini, ayant pour objet d'inclure la crainte révérencielle envers un ascendant sans exercice de la violence parmi les motifs d'annulation du mariage.

Après l'article 1 A (nouveau):

La Commission a rejeté trois amendements de M. Michel Vaxès :

-  le premier relatif à la formation des personnels médicaux, des travailleurs sociaux, des magistrats et des personnels de la police et de la gendarmerie pour répondre aux cas de violences au sein du couple ;

-  le deuxième relatif à la création d'un plan national d'action contre la violence à l'égard des femmes ;

-  le troisième relatif à la prise en compte du sexe dans les statistiques du ministère de l'Intérieur relatives aux crimes et aux délits.

Article 1er (art. 132-80 [nouveau] du code pénal) : Définition du principe général d'aggravation de la peine pour les infractions commises au sein du couple. Extension de cette circonstance aggravante aux faits commis par l'ancien conjoint, concubin ou pacsé :

Le rapporteur a présenté un amendement ayant pour objet de limiter l'application de la circonstance aggravante en cas d'infraction commise par un ancien conjoint ou concubin aux seules infractions commises en raison des relations ayant existé entre l'auteur des faits et la victime.

M. Alain Vidalies a fait observer que la rédaction proposée contraindra le requérant à prouver l'existence d'un rapport entre l'infraction qu'il aura subie et les relations ayant existé antérieurement avec l'agresseur.

Le président Philippe Houillon a précisé que cela correspond au régime normal d'administration de la preuve, auquel il ne serait guère opportun de déroger en l'espèce. Il a ajouté que la preuve qui incombera ainsi au requérant concerne l'application des circonstances aggravantes.

La Commission a alors adopté l'amendement.

Elle a ensuite adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 2 (art. 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13 du code pénal) : Insertion de la référence aux personnes ayant conclu un pacs dans les incriminations prévoyant la circonstance aggravante de violences conjugales :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 2 bis (nouveau) (art. 222-16 bis [nouveau] du code pénal) : Privation des documents d'identité, relatifs au titre de séjour ou de résidence d'un étranger par son conjoint, concubin, partenaire lié par un PACS ou par l'ex-conjoint ou ex-partenaire :

Le rapporteur a présenté un amendement de réécriture globale de l'article afin de déroger à l'impossibilité du vol entre époux lorsque ce vol porte sur les pièces d'identité, de séjour ou de résidence ou sur les moyens de paiement du conjoint.

La Commission a adopté l'amendement et l'article 2 bis ainsi modifié.

Article 3 : (art. 221-4 du code pénal) : Introduction de la circonstance aggravante de violences conjugales pour l'infraction de meurtre :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Articles 4 (art. 222-23 du code pénal) : Légalisation de la jurisprudence reconnaissant le viol entre époux :

Le rapporteur a présenté un amendement ayant pour objet d'introduire une circonstance aggravante lorsqu'un viol est commis par le conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacs.

Le président Philippe Houillon a exprimé ses réserves à l'égard de cet amendement, notamment au regard des difficultés que son application pourrait engendrer, et fait part de sa préférence pour une consécration pure et simple de la jurisprudence.

La Commission a adopté l'amendement et l'article 4 ainsi modifié.

Article 5 (art. 132-45 du code pénal ; art. 138 du code de procédure pénale) : Éloignement du domicile de l'auteur des violences conjugales :

La Commission a adopté un amendement du rapporteur prévoyant que, lorsque le contrôle judiciaire n'est pas ordonné par le juge d'instruction, il peut néanmoins être révoqué par le juge des libertés et de la détention et entraîner l'incarcération du prévenu ou du condamné ne respectant pas ses obligations.

La Commission a rejeté un amendement de M. Michel Vaxès ayant pour objet de soumettre les auteurs de violences conjugales à une prise en charge thérapeutique.

La Commission a adopté l'article 5 ainsi modifié.

Après l'article 5 :

La Commission a rejeté trois amendements de M. Michel Vaxès :

-  le premier visant à attribuer une aide financière aux victimes de violence au sein du couple ayant des revenus inférieurs à 75 % du smic ;

-  le deuxième permettant d'intégrer les victimes de violences conjugales dans le champ du recours en indemnité devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions ;

- le troisième visant à accorder, de droit et sans conditions de ressources, l'aide juridictionnelle dont peuvent bénéficier les mineurs victimes d'agressions physiques ou sexuelles.

Article 5 bis (nouveau) : Rapport du Gouvernement sur la politique nationale de lutte contre les violences au sein du couple :

La Commission a adopté un amendement du rapporteur précisant que le rapport sur la politique nationale de lutte contre les violences au sein du couple doit être déposé tous les deux ans sur le bureau des assemblées et qu'il rend compte non seulement des mesures relatives aux victimes des violences conjugales mais aussi de celles concernant les auteurs de ces violences et, en particulier, celles tendant à prononcer leur éloignement du domicile conjugal.

La Commission a alors adopté cet article ainsi modifié.

Article additionnel après l'article 5 bis (nouveau) : (art. 222-16-2 [nouveau] et 226-14 du code pénal ; art. 7 et 8 du code de procédure pénale) : Lutte contre l'excision et les autres mutilations sexuelles :

La Commission a adopté un amendement du rapporteur tendant à renforcer la lutte contre l'excision et les autres mutilations sexuelles, en permettant de réprimer de telles pratiques commises à l'étranger sur une victime mineure résidant habituellement en France.

Article additionnel après l'article 5 bis (nouveau) : (art. 225-11-2 [nouveau], 225-12-2, 225-20, 227-23 et 227-28-2 [nouveau] du code pénal ; art. 706-47 du code de procédure pénale) : Transposition de la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne relative à la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie :

Le rapporteur a présenté un amendement ayant pour objet de transposer la décision cadre du Conseil de l'Union européenne relative à la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie qui doit l'être au plus tard le 20 janvier 2006. Il a fait remarquer que l'adoption de cet amendement, comportant une transposition nécessaire et urgente, garantira l'inscription de la présente proposition de loi à l'ordre du jour prioritaire.

M. Xavier de Roux a exprimé sa crainte qu'une telle transposition n'engendre des conflits de lois, dans la mesure où il est prévu de condamner au titre de la loi française un étranger commettant hors de France certains délits sexuels.

Après que le rapporteur eut précisé que le texte de l'amendement était fidèle à celui de la décision-cadre à transposer, le président Philippe Houillon a fait observer que l'application de la loi française à un ressortissant étranger commettant hors de France les délits en question sera rendue possible par le retour en France de l'étranger y ayant sa résidence habituelle.

La Commission a alors adopté cet amendement.

Articles additionnels après l'article 5 bis (nouveau) : (art. 222-47 du code pénal ; art. 706-56-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Lutte contre le tourisme sexuel :

Le rapporteur a présenté deux amendements ayant pour objet de renforcer la lutte contre le tourisme sexuel, le premier en permettant de prononcer à l'égard de l'auteur de faits commis à l'étranger sur des mineurs l'interdiction de quitter le territoire national, le second en permettant au procureur de la République d'ordonner l'inscription des empreintes génétiques d'une personne condamnée par une juridiction étrangère pour des infractions de nature sexuelle dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques (fnaeg).

La Commission a adopté les deux amendements.

Article 6 : Application outre-mer des dispositions de la proposition de loi :

La Commission a adopté cet article sans modification.

La Commission a enfin adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

*

* *

La Commission a ensuite examiné pour avis, sur le rapport de M. Xavier de Roux, les articles 4, 6, 9 à 19 et 22 du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux offres publiques d'acquisition (n° 2612).

Le rapporteur a indiqué que, adoptée après presque quinze ans de discussions, la directive du 21 avril 2004 relative aux offres publiques d'acquisition avait créé un cadre pour le déroulement de ces offres dans l'Union européenne, cadre commun sous réserve de certaines dispositions essentielles qui demeurent optionnelles pour chaque État.

Le projet de loi sur les offres publiques d'acquisition a pour objet de transposer cette directive européenne. Il a été adopté en première lecture au Sénat le 20 octobre 2005. La navette parlementaire devrait permettre d'opérer la transposition de la directive dans le délai prévu par son article 21, soit le 20 mai 2006. La mise en œuvre de la loi dès l'année 2006 suppose toutefois une entrée en vigueur encore plus rapide, pour permettre aux sociétés d'en débattre dès leurs prochaines assemblées annuelles, qui se tiennent généralement avant le 20 mai.

Parmi les 26 articles du projet de loi issu du Sénat, la commission des Lois de l'Assemblée nationale est saisie des 14 articles (4, 6, 9 à 19 et 22 nouveau) modifiant des dispositions du code de commerce relatives au droit des sociétés,

S'agissant de la substance même du contenu de la directive, un certain nombre d'États membres de l'Union n'ayant pas souhaité aboutir à une forme de « désarmement  » de leurs entreprises en cas d'opa hostile, le texte finalement adopté ne réalise qu'une harmonisation partielle. Il laisse en particulier aux États membres le choix de transposer ou non plusieurs dispositions importantes :

-  l'article 9 de la directive définit des normes européennes de gouvernance d'entreprise en période d'offre publique ; il prévoit qu'en période d'offre, toute mesure de défense anti- opa doit être d'abord approuvée par les actionnaires de la société cible, dont les intérêts ne sont pas nécessairement identiques à ceux de la direction de l'entreprise cible ;

-  l'article 11 prévoit que les dispositions conventionnelles ou statutaires qui restreignent le transfert des actions ou l'exercice des droits de vote de la société objet de l'offre sont suspendues en période d'offre ;

-  en complément, l'article 12 de la directive instaure un principe de réciprocité permettant à une société de suspendre l'application des articles précités lorsqu'elle devient la cible d'une société qui ne les applique pas. Tel peut notamment être le cas des entreprises de certains pays très développés, comme d'un certain nombre d'économies émergentes.

À la suite des consultations auxquelles il a été procédé au sein du groupe de travail présidé par M. Jean-François Lepetit, ancien président du Conseil des marchés financiers et missionné à cet effet par le ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, le projet de loi a retenu le principe de prééminence de la démocratie actionnariale. C'est pourquoi, comme d'ailleurs une majorité d'États membres, il prévoit l'application obligatoire de l'article 9 de la directive (article 10 du projet de loi), mais sous condition de réciprocité. Cette condition sera appréciée au regard de l'existence de mesures identiques, pour la société européenne initiatrice de l'offre publique, ou de mesures seulement « équivalentes » pour les sociétés émanant d'un État tiers à l'Union européenne, en ce qui concerne l'obligation des mesures anti-opa par les assemblées d'actionnaires (article 11 du projet de loi).

En revanche, suivant également les conclusions du groupe de travail, le Gouvernement n'a pas souhaité introduire en droit français l'application obligatoire de l'article 11 de la directive, qui prévoit la suspension de certaines mesures restrictives des droits de vote en période d'offre ou juste après sa conclusion, notamment du plafonnement du pourcentage de voix pour les plus gros actionnaires, du droit extraordinaire de nomination et de révocation attaché à certains actionnaires, ou encore des obstacles aux transferts de titres.

Néanmoins, compte tenu du fait qu'il importe de permettre aux entreprises, au cas par cas, d'appliquer l'article 11 de la directive si elles l'estiment utile, les articles 9 à 19 du projet de loi prévoient que les entreprises peuvent décider a priori, dans leurs statuts, de suspendre ces mesures restrictives des droits de vote ou qui modifient l'équilibre des votes en assemblée, à l'exception des actions à vote double, qui sont exclues du champ de la directive en raison de leur spécificité en droit français.

Les auditions de représentants de l'administration, des entreprises, et de praticiens réputés pour leur compétences en matière d' opa qui ont été possibles dans le court laps de temps disponible ont montré clairement que le coeur du projet de loi résidait dans la définition et l'application de la clause de réciprocité, dès lors qu'a été retenu à l'article 10 du projet de loi le choix d'une transposition obligatoire de l'article 9 de la directive, c'est-à-dire l'obligation de soumettre les défenses anti-opa à l'assemblée des actionnaires.

Deux amendements sont proposés pour enrichir cette exigence de réciprocité :

-  en premier lieu, le droit des États, au-dessus des statuts des entreprises, pose souvent des limites aux possibilités d'acquisition d'une entreprise nationale par une entreprise étrangère. Ces limites existent tant dans les économies développées, notamment dans le droit fédéral ou le droit des États des Etats-Unis d'Amérique, que dans les pays encore émergents, par exemple en Chine, en Inde, en Turquie...

Si l'analyse de l' « équivalence » des mesures, prévue par le projet de loi, permettant ou non d'invoquer la clause de réciprocité pour autoriser l'entreprise française cible d'une offre publique émanant d'un État tiers de se défendre à armes égales, ne devait prendre en compte que les seules dispositions du ressort direct des entreprises, cette notion d'équivalence, et donc le contenu même de la clause de réciprocité, pourraient être vidés d'une grande partie de leur substance.

Il va donc de soi que l'appréciation par l'entreprise cible de l'équivalence des mesures, comme la décision de l' amf en cas de contentieux, devront prendre en compte non seulement les statuts de la ou des entreprises initiatrices, mais aussi les règles législatives, réglementaires ou conventionnelles qui sont applicables à chacune d'entre elles en termes de contrôle du capital ;

-  en second lieu, l'équilibre du projet de loi repose sur le double choix de contraindre la direction de l'entreprise cible d'une offre publique à demander à ses actionnaires l'autorisation de prendre des mesures de défense anti-opa, tout en permettant d'invoquer la clause de réciprocité si l'entreprise auteur de l'offre n'est pas elle-même soumise aux mêmes contraintes.

Mais, en application directe de la directive, l'invocation de la clause de réciprocité ne permet à la direction de l'entreprise cible de mettre en œuvre que des mesures de défense qui auront été approuvées, à froid, par l'assemblée générale des actionnaires, un an et demi au plus avant l'offre. Cette condition restrictive risque de rendre inopérante la mesure de défense anti-opa généralement estimée la plus efficace en droit français par les praticiens, c'est-à-dire l'augmentation de capital réservée à certaines catégories d'actionnaires ou à certains actionnaires. En effet, il est manifestement impossible, dans le délai de dix-huit mois avant l'offre, de connaître l'identité de l'éventuel « chevalier blanc » qui pourrait souscrire cette augmentation de capital réservée le moment venu. En conséquence, la clause de réciprocité serait quasi-totalement privée de sa portée réelle.

Il apparaît donc particulièrement légitime de permettre, dans le seul cas très particulier d'invocation légitime de la clause de réciprocité par une entreprise qui serait visée par une offre publique « à armes inégales », de demander à l'assemblée générale d'autoriser la délégation permanente au conseil d'administration ou au directoire, à l'avance, des pouvoirs nécessaires à la réalisation d'une augmentation de capital réservée pendant la période d'offre, c'est-à-dire en particulier la désignation précise du ou des bénéficiaires de cette opération. L'assemblée des actionnaires demeurerait en tout état de cause souveraine, puisqu'elle aurait la totale liberté, à la majorité de blocage du tiers, de ne pas accorder cette autorisation avec délégation « à froid ».

Cette facilité pour la direction devrait cependant être assortie de deux conditions :

- le prix de souscription de l'augmentation de capital réservée devrait être au moins égal à celui de la dernière offre publique, pour ne pas léser les actionnaires en titre ;

- les modalités devraient être soumises au contrôle de l'amf.

Sur un tout autre plan, l'article 22, introduit à l'initiative du Sénat, a pour objet de substituer un régime d'annulation facultative à la nullité impérative introduite de manière générale par la loi de sécurité financière en 2003 pour les délibérations prises par les assemblées en violation des dispositions régissant les droits de vote qui sont attachés aux actions.

Cette orientation confirme celle retenue encore très récemment par le Parlement à l'initiative de la commission des Lois de l'Assemblée nationale en faveur de la sanction de la nullité facultative, laissée à l'appréciation du juge saisi en cas d'omission dans le rapport annuel de gestion d'informations relatives aux rémunérations exceptionnelles des dirigeants à leur entrée ou sortie de fonction, dont la présentation a été rendue obligatoire.

Mais la substitution adoptée par le Sénat est ici limitée à un cas très spécifique : celui de la contestation d'un vote exprimé par voie électronique. Il serait bien préférable de donner au juge la liberté d'apprécier, de manière générale, la nécessité d'annuler ou non la décision contestée de l'assemblée générale, notamment lorsque la contestation porte sur une simple question formelle.

M. Alain Vidalies a rappelé que le Gouvernement et la majorité parlementaire avaient engagé cet été un débat sur le patriotisme économique qui, au vu de ses résultats, conduit à s'interroger sur son véritable objectif, lequel paraît relever plutôt de la « distraction collective ». Il a regretté que les opportunités offertes à cet égard par le projet de loi et, plus particulièrement l'existence de marges de manœuvre dans la transposition de la directive du 21 avril 2004, n'aient pas été mises à profit pour élaborer des dispositions offrant aux entreprises françaises des moyens de résistance adaptées.

Il a par ailleurs constaté que, si l'amendement proposé par le rapporteur à l'article 11 du projet de loi, s'agissant de l'augmentation de capital réservée, pouvait constituer une réponse imaginative face à cette attente, le Gouvernement n'en avait, en tout état de cause, pas pris l'initiative.

Puis, il a estimé que les offres publiques d'acquisition (opa) ne concernaient pas seulement les actionnaires mais aussi les salariés et leurs représentants, compte tenu des éventuelles conséquences humaines des restructurations capitalistiques, notamment en termes d'emploi. Il a donc regretté qu'aux termes du projet de loi, l'adoption de mesures de défense relève des seuls actionnaires plutôt que des conseils d'administration et de surveillance de l'entreprise. Jugeant que cette question mettait en jeu la conception même de l'entreprise, il a suggéré de consulter les salariés et leurs représentants et s'est inquiété de l'évolution d'un « capitalisme managérial », déjà peu satisfaisant en pratique, vers un « capitalisme actionnarial ».

Le rapporteur a rappelé que l'article 7 du projet de loi prévoyait déjà une réunion des comités d'entreprise des entreprises impliquées dans une opa, pour les informer de ces projets, l'audition de l'auteur de l'offre pouvant être demandée par le comité d'entreprise de l'entreprise faisant l'objet de l'opa. Il a noté que, bien que la commission des Lois n'en soit pas saisie pour avis, cet article répondait, au moins partiellement, au souci exprimé par M. Alain Vidalies d'informer les salariés et leurs représentants.

S'agissant des situations telles que celles rendues publiques dans l'« affaire Danone », il a indiqué que son amendement était en effet plus ambitieux que le texte proposé par le Gouvernement. Il a ajouté que la perception des enjeux pouvait varier fortement d'un pays à l'autre et selon les circonstances, la presse polonaise s'étant récemment opposée à l'acquisition de sociétés polonaises dans le domaine de l'énergie en jugeant ce secteur plus stratégique que celui de l'industrie agro-alimentaire et du yaourt... Il a également rappelé que l'opposition à laquelle s'était heurté le groupe Électricité de France (edf), en raison de son statut d'entreprise d'État, lorsqu'il avait souhaité acquérir le groupe italien Montedison, avait conduit à ouvrir le capital du groupe français.

La Commission est ensuite passée à l'examen des articles dont elle s'est saisie pour avis.

Article 4 (art. L.233-10 du code de commerce) : Notion d'action de concert en cas d'offre publique d'acquisition :

La Commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 4.

Article 6 (art. L. 225-100-3 du code de commerce) : Information des actionnaires sur les caractéristiques de la société susceptibles d'avoir une incidence en cas d'offre publique d'acquisition :

La Commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 6.

Article 9 : Création d'une section V dans le chapitre III du titre III du livre II du code de commerce :

La Commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 9.

Articles 10 (art. L. 233-32 du code de commerce) : Approbation ou confirmation par l'assemblée générale des mesures susceptibles de faire échouer l'offre publique

La Commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 10.

Articles 11 (art. L. 233-33 du code de commerce) : Possibilité de ne pas soumettre les mesures anti-OPA à l'assemblée générale en l'absence de réciprocité :

La Commission a adopté deux amendements présentés par le rapporteur, tendant respectivement :

-  à préciser que l'appréciation de l'équivalence des mesures permettant ou non d'invoquer la clause de réciprocité pour autoriser l'entreprise française cible d'une offre publique émanant d'un État tiers à se défendre « à armes égales », devra prendre en compte non seulement les statuts de la ou des entreprises initiatrices, mais aussi les règles législatives, réglementaires ou conventionnelles qui sont applicables à chacune d'entre elles en termes de contrôle du capital ;

-  à permettre, au titre de l'invocation de la clause de réciprocité par une entreprise qui serait visée par une offre publique « à armes inégales », de demander à l'assemblée générale d'autoriser la délégation au conseil d'administration ou au directoire, à l'avance, des pouvoirs nécessaires à la réalisation d'une augmentation de capital réservée pendant la période d'offre, c'est-à-dire en particulier la désignation précise du ou des bénéficiaires de cette opération. Compte tenu du caractère dérogatoire de cette mesure, elle serait assortie de deux conditions : les modalités de l'augmentation réservée de capital devraient être soumises au contrôle de l'AMF ; le prix de souscription de l'augmentation de capital réservée devrait être au moins égal à celui de la dernière offre publique, pour ne pas léser les actionnaires en titre.

La Commission a ensuite émis un avis favorable à l'adoption de l'article 11 ainsi modifié.

Articles 12 et 13 (art. L. 233-34 et L. 233-35 du code de commerce) : Inopposabilité obligatoire à l'auteur de l'offre des clauses statutaires et seulement facultative des clauses conventionnelles restreignant le transfert d'actions de la société :

La Commission a émis un avis favorable à l'adoption des articles 12 et 13.

Articles 14 et 15 (art. L. 233-36 et L. 233-37 du code de commerce) : Suspension volontaire des effets des conventions et des dispositions statutaires prévoyant des restrictions à l'exercice de droits de vote dans les assemblées réunies pour adopter des mesures de défense :

La Commission a émis un avis favorable à l'adoption des articles 14 et 15.

Article 16 (art. L. 225-125 du code de commerce) : Suspension obligatoire des limitations statutaires au nombre de voix dont dispose chaque actionnaire dans la première assemblée générale suivant la clôture de l'offre :

Le rapporteur a présenté un amendement visant à mettre en cohérence l'article 16 avec l'actuel article L. 225-125 du code de commerce, qui ne permet aux statuts de l'entreprise dont les actionnaires le souhaitent de limiter le nombre de voix par actionnaire pour prévenir l'écrasement des « petits porteurs », que sous réserve d'une majorité qualifiée en assemblée générale extraordinaire, c'est-à-dire des deux tiers des voix des actionnaires présents ou représentés.

Son auteur a précisé que l'amendement avait pour objet d'encadrer le seuil du capital requis de l'initiateur de l'offre publique réussie pour obtenir la suspension de cette limitation du nombre de voix lors de la première assemblée générale suivant la clôture de l'offre, entre le seuil statutaire des deux-tiers et celui de 75 % imposé par la directive.

La Commission a adopté cet amendement.

Elle a ensuite émis un avis favorable à l'adoption de l'article 16 ainsi modifié.

Article 17 (art. L. 233-38 du code de commerce) : Suspension volontaire des restrictions statutaires et conventionnelles à l'exercice des droits de vote lors de la première assemblée générale suivant la clôture de l'offre :

Le rapporteur a présenté un amendement visant à mieux articuler le dispositif prévu par l'article 17 du projet de loi avec celui de son article 16.

La Commission a adopté cet amendement.

Elle a ensuite émis un avis favorable à l'adoption de l'article 17 ainsi modifié.

Article 18 (art. L. 233-39 du code de commerce) : Suspension volontaire des droits extraordinaires de nomination ou de révocation des organes de direction lors de la première assemblée générale suivant la clôture de l'offre :

La Commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 18.

Article 19 (art. L. 233-40 du code de commerce) : Information de l'Autorité des marchés financiers et clause de réciprocité sur l'application par la société des articles L. 233-35 à L. 233-39 du code de commerce :

La Commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 19.

Article 22 nouveau (art. L. 235-2-1 du code de commerce) : Possibilité de ne pas prononcer la nullité d'une décision prise par une assemblée générale recourant au vote par télécommunications en cas d'incident mineur :

Le rapporteur a présenté un amendement proposant une nouvelle rédaction de l'article 22, introduit à l'initiative du Sénat, et tendant à substituer une annulation facultative, plus adaptable à chaque cas d'espèce, à la nullité impérative prévue actuellement par l'article L. 235-2-1 du code de commerce en ce qui concerne l'ensemble des délibérations prises par les assemblées en violation des dispositions régissant les droits de vote qui sont attachés aux actions.

La Commission a adopté cet amendement.

Elle a ensuite émis un avis favorable à l'adoption de l'article 22 ainsi modifié.

La Commission a enfin émis un avis favorable à l'adoption de l'ensemble des articles du projet de loi dont elle s'est saisie pour avis, modifiés par les amendements qu'elle a adoptés.

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