COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 18

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 13 décembre 2005
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Philippe Houillon, président

SOMMAIRE

 

Pages

- Examen, en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par le Sénat, relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble (n° 2599) (M. Christian Decocq, rapporteur)


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- Information relative à la Commission

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La Commission a examiné, en deuxième lecture, sur le rapport de M. Christian Decocq, la proposition de loi, modifiée par le Sénat, relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble (n° 2599).

Le rapporteur a d'abord rappelé que la proposition de loi relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble, initialement déposée par Mme Martine Aurillac, avait été adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 16 juin 2005. Il a précisé que la commission des Lois du Sénat avait approuvé l'objet volontairement circonscrit de cette proposition de loi et que le Sénat avait adopté la proposition de loi le 13 octobre 2005, en y apportant quelques modifications.

Il a ensuite exposé les différentes modifications apportées par le Sénat. En ce qui concerne l'article premier, le seuil à partir duquel un immeuble est soumis au nouveau droit de préemption créé en faveur du locataire est relevé de six à onze logements ; le délai de réflexion du locataire pour exercer son droit de préemption est porté de deux à quatre mois après notification ; le droit de préemption est étendu aux cessions de parts ou actions de sociétés, et notamment de sociétés civiles immobilières, afin d'éviter un contournement du dispositif par la constitution de telles sociétés ; enfin l'engagement de maintenir chaque logement sous statut locatif pour une durée de six ans est remplacé par un engagement de maintenir les locataires en place lors de la vente pour une durée de six ans. L'information à délivrer aux locataires est également améliorée, afin qu'ils puissent exercer en toute connaissance de cause leur nouveau droit de préemption au stade de la vente en bloc. Le Sénat a enfin introduit dans l'article premier une disposition qui élargit le champ du droit de préemption urbain.

Par ailleurs, alors que l'Assemblée nationale avait proposé dans l'article 2 la suppression de la majorité d'opposition à l'extension par décret des accords collectifs de location, afin de surmonter les blocages empêchant d'étendre ces accords pourtant protecteurs des intérêts des locataires, le Sénat a rétabli le droit d'opposition, estimant que son maintien est nécessaire afin de préserver la concertation en matière locative. Le droit d'opposition prévu par le Sénat devra être exercé par la majorité de l'ensemble des organisations représentatives des locataires et des organisations représentatives des bailleurs, et non la majorité de l'un ou l'autre des deux collèges seulement.

Les sanctions prévues à l'article 3 ont été renforcées. Par ailleurs, le Sénat a adopté sans y apporter de modification l'article 2 bis, relatif à la reconduction du bail lorsque le congé intervient moins de deux ans avant le terme du bail. Enfin, le Sénat a adopté un article additionnel 1er bis, qui crée une incitation fiscale afin de favoriser le maintien dans les lieux du locataire en place lors d'une vente par lots d'un immeuble.

Constatant l'enrichissement du dispositif par le Sénat, le rapporteur s'est félicité de la volonté ainsi manifestée de contribuer à l'élaboration d'une réponse mesurée et pertinente au problème des ventes par lots. Il a souligné la nécessité d'apporter au texte quelques corrections, notamment en ce qui concerne l'application du nouveau droit de préemption créé en faveur des locataires aux cessions de parts sociales, mais également en ce qui concerne le dispositif fiscal.

Il a fait part de son intention de retirer l'amendement, qu'il avait initialement déposé, rétablissant la suppression du droit d'opposition à l'extension par décret d'un accord collectif de location, adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale, dans la mesure où le Sénat semble avoir trouvé une sorte de voie moyenne, qui permettra de protéger les locataires tout autant que la rédaction initialement proposée pour l'article 2.

En conclusion, il a souligné le fait que la proposition de loi, au-delà de son caractère technique, renforce réellement le droit des locataires et permettra de lutter efficacement contre la spéculation immobilière.

M. Jean Tibéri a estimé que la difficulté était de trouver le bon équilibre entre les intérêts légitimes des propriétaires et ceux des locataires. Par exemple, aller trop loin dans la défense de ces derniers, risque de se faire finalement à leur détriment, puisque cela pèsera alors négativement sur le marché locatif. En réalité, la question de l'équilibre entre propriétaires et locataires est un problème ancien et M. Jean Tibéri a rappelé qu'elle se posait déjà alors qu'il s'exprimait au nom de l'opposition, en 1982, sur le projet de loi présenté par Roger Quillot, dont il a salué le travail comme ministre du logement.

La proposition de loi de Mme Martine Aurillac, améliorée grâce à l'excellent travail du rapporteur, est un bon texte, même s'il ne pourra pas résoudre tous les problèmes, particulièrement délicats, ce qui explique d'ailleurs peut être pourquoi l'actuelle opposition ne s'était pas attaquée à cette question quand elle était au pouvoir. Ainsi, les orientations de la proposition de loi permettront de contenir une spéculation parfois scandaleuse, même s'il n'est pas question de revenir sur le droit des propriétaires de vendre leurs biens. Pour autant, l'adoption de ce texte ne sera peut être pas suffisante, et il serait donc souhaitable que la commission en suive l'application après la promulgation de la loi.

M. Jérôme Lambert a admis que la proposition de loi s'attaquait à un vrai problème, mais il a regretté qu'elle ne lui apporte que des réponses partielles, justifiant ainsi le dépôt d'amendements par le groupe socialiste pour améliorer le texte. Certes, il faut respecter un équilibre entre propriétaires et locataires, mais même avec l'adoption de cette proposition de loi, il restera beaucoup à faire pour le rétablir. Par ailleurs, il faut déplorer la régression opérée par le Sénat, qui a choisi de remonter de six à onze logements le seuil à partir duquel s'appliquera le dispositif.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec a estimé que l'approche retenue par la proposition de loi était erronée car elle laissait de côté un des principaux aspects du problème, l'impossibilité pour la majorité des locataires concernés d'acheter le bien dans lequel ils vivent. Par ailleurs, le texte ne prend pas en compte le constat fait par les maires de l'absence d'outils concrets à leur disposition pour réaliser des opérations de rénovation urbaine. L'information du maire, introduite par le Sénat, et le droit de préemption sont en effet insuffisants face à la spéculation ; il est donc nécessaire de donner aux maires des instruments leur permettant de faire passer les biens concernés dans le secteur locatif social. Enfin, si la prolongation du délai d'exercice du droit de préemption par le locataire introduite par le Sénat reprend en partie un amendement déposé par le groupe socialiste en première lecture, cette amélioration ne sera cependant pas suffisante pour répondre au problème de fond, qui est l'obligation financièrement très lourde pour le locataire d'acheter le bien s'il veut continuer à l'occuper.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- il pourra être utile de faire le point sur les effets de l'application de ce texte, comme M. Jean Tiberi en a exprimé le souhait ;

- la proposition de loi, qui paraît insuffisante à M. Jérôme Lambert, comporte une innovation considérable au regard du droit de propriété, qui est la contrainte supplémentaire imposée au propriétaire d'un immeuble d'habitation lorsqu'il souhaite vendre en bloc cet immeuble ;

- il n'est pas possible de savoir, en l'absence de statistiques précises, si le seuil d'application aux immeubles de plus de dix logements, retenu au Sénat, est moins satisfaisant que le seuil d'application aux immeubles de plus de cinq logements, retenu à l'Assemblée nationale en première lecture. L'argument en faveur du seuil choisi par le Sénat est tiré de ce qu'en deçà de ce seuil, les immeubles concernés seraient des immeubles familiaux ;

- contrairement à ce soutient M. Jean-Yves Le Bouillonnec, le texte apporte également une réponse au problème des locataires qui seraient dans l'impossibilité d'acheter leur logement, notamment grâce à l'article 2 bis, qui a été adopté sans modification par le Sénat et qui prévoit que tout locataire recevant un congé pour vente dans le cadre d'une vente par lots pourra exiger un maintien dans les lieux pendant au moins deux ans ;

- le droit de préemption urbain a été étendu, et il sera désormais possible pour le maire d'exercer son droit de préemption en se fondant uniquement sur un objectif de maintien dans les lieux des locataires.

La Commission est ensuite passée à l'examen des articles de la proposition de loi.

Article premier (article 10-1 [nouveau] de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975, art. L. 210-2 [nouveau] du code de l'urbanisme) : Institution d'un droit de préemption au profit des locataires lors d'une vente en bloc d'un ensemble immobilier :

La commission a rejeté un amendement présenté par M. Jean-Yves Le Bouillonnec, tendant à porter de six ans à douze ans le délai pendant lequel le locataire pourrait disposer du logement qu'il occupait au moment de la vente en bloc, à compter de celle-ci, après que le rapporteur, approuvé par le président Philippe Houillon, eut indiqué que cette durée lui paraissait excessive.

La commission a rejeté un amendement présenté par le même auteur, tendant, d'une part, à exiger que le diagnostic technique rendu obligatoire par le Sénat soit établi de manière contradictoire, et, d'autre part, à faire supporter au bailleur l'obligation de financer les travaux identifiés comme nécessaires par ce diagnostic, après que le rapporteur eut indiqué, d'une part que l'exigence d'impartialité du diagnostic était satisfaite par le recours à un contrôleur technique ou à un architecte indépendants du propriétaire de l'immeuble ou de son mandataire, d'autre part que la mise à la charge du bailleur de dépenses postérieures à la vente n'était pas acceptable.

La commission a ensuite adopté cinq amendements rédactionnels du rapporteur, ainsi qu'un amendement du même auteur prévoyant, pour corriger une imprécision du texte adopté par le Sénat, que l'extension du nouveau droit de préemption en faveur du locataire aux cessions de parts ou d'actions d'une société civile immobilière n'était envisageable que sous la double condition d'une cession portant sur l'ensemble des parts ou actions, et d'une correspondance entre les droits sociaux et les droits immobiliers sur l'immeuble.

La commission a ensuite adopté l'article 1er ainsi modifié.

Après l'article premier :

La Commission a rejeté un amendement présenté par M. Jean-Yves Le Bouillonnec, tendant à prévoir que le locataire ayant conclu un bail de six ans avec une personne morale et dont le logement serait cédé à une personne physique continuerait à bénéficier de renouvellements de même durée, après que le rapporteur eut relevé que cet amendement, rejeté en première lecture à l'Assemblée nationale, était contraire à la logique juridique du bail selon laquelle sa durée dépend de la nature des contractants.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec a présenté un amendement tendant à prévoir une enquête d'utilité publique, à la demande des locataires, lors de la mise en copropriété d'un immeuble. Le rapporteur a souligné que cet amendement avait été rejeté en première lecture après un dialogue approfondi en séance publique et que les modifications apportées par le Sénat au droit de préemption urbain au profit du maire répondaient en partie aux attentes de l'amendement.

La Commission a rejeté cet amendement.

Article premier bis (art. 1584 et 1594 D du code général des impôts) : Incitation fiscale au maintien dans les lieux du locataire lors de l'acquisition d'un logement vendu par lots :

La Commission a adopté un amendement du rapporteur de réécriture globale de l'article, apportant des précisions techniques au dispositif d'incitation fiscale instauré par le Sénat, l'article 1er bis étant ainsi rédigé.

Article 2 (art. 41 ter de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986) : Possibilité d'étendre les accords collectifs de location :

La Commission a été saisie d'un amendement de suppression présenté par M. Jean-Yves Le Bouillonnec, qui a estimé que le dispositif de la proposition de loi était moins favorable aux locataires que le système en vigueur. Le rapporteur ayant expliqué que le Sénat avait rétabli le droit d'opposition à l'extension des accords collectifs de location, mais en l'élargissant à l'ensemble des deux collèges pour limiter les risques de blocage, la Commission a rejeté cet amendement.

Puis, le rapporteur ayant retiré un amendement tendant à supprimer le droit d'opposition à l'extension par décret des accords collectifs de location, la Commission a adopté l'article 2 sans modification.

Article 2 ter (art. 11-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989) : Durée de reconduction des baux lorsque l'acquéreur s'engage à maintenir les locaux d'habitation sous statut locatif :

La Commission a maintenu la suppression de l'article 2 ter.

Après l'article 2 ter :

La Commission a rejeté un amendement de M. Jean-Yves Le Bouillonnec prévoyant que l'acquéreur ne peut invoquer le congé pour vente donné par le précédent bailleur si le logement est vendu occupé.

Article 3 (art. 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989) : Dérogation à l'application du droit de préemption en cas de congé pour vente. Annulation du congé pour vente :

La Commission a adopté un amendement de coordination du rapporteur, puis l'article 3 ainsi modifié.

Après l'article 3 :

La Commission a rejeté un amendement de M. Jean-Yves Le Bouillonnec tendant à instaurer un moratoire sur les ventes à la découpe, le rapporteur ayant rappelé que cet amendement avait été rejeté en première lecture et que l'allongement du délai de préemption du locataire à quatre mois était déjà une avancée importante.

La Commission a ensuite été saisie de quatre amendements de M. Jean-Yves Le Bouillonnec relatifs aux marchands de biens et tendant respectivement à définir leur activité, fixer les conditions nécessaires à son exercice, instaurer des sanctions et exclure l'utilisation du congé pour vente. Le rapporteur ayant rappelé que ces amendements avaient été rejetés en première lecture et ajouté que les dispositions protectrices de la proposition de loi permettraient d'encadrer l'activité des marchands de biens, la Commission a rejeté ces amendements.

La Commission a également rejeté un amendement de M. Jean-Yves Le Bouillonnec tendant à prévoir l'application des nouvelles dispositions aux opérations en cours, le rapporteur ayant estimé qu'il serait source d'insécurité juridique.

La Commission a enfin adopté l'ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné les candidats à une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers :

· Membres titulaires : MM. Philippe Houillon, Alain Marsaud, Thierry Mariani, Pierre Lellouche, Guy Geoffroy, Jacques Floch, Julien Dray.

· Membres suppléants : MM. Marc Reymann, Didier Quentin, Gérard Léonard, Jean Leonetti, Michel Hunault, Christophe Caresche.

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