Version PDF

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 26

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 22 février 2006
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Philippe Houillon, président

SOMMAIRE

Examen du rapport d'information sur l'équilibre territorial des pouvoirs (M. Michel Piron, rapporteur).

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Michel Piron, les conclusions de sa mission d'information sur l'équilibre territorial des pouvoirs.

M. Michel Piron a souhaité tout d'abord rappeler ce qui a motivé son travail. À l'heure où le principe de subsidiarité pénètre plus profondément notre droit, la question de la répartition des compétences entre les différentes catégories de personnes publiques est devenue plus aiguë. L'« acte II » de la décentralisation a correspondu à un approfondissement de celle-ci, mais aussi à la prise en compte d'une diversification des modes d'attribution et d'exercice du pouvoir, tels que les transferts de compétences obligatoires ou volontaires, l'expérimentation, les délégations ou encore la contractualisation. De surcroît, sont intervenus les premiers transferts de compétences de la loi relative aux libertés et responsabilités locales.

Dans ce contexte, il était intéressant que la commission des Lois, qui est aussi la commission de l'Administration générale de la République, mette en lumière la manière dont l'État se réorganise sur le terrain pour accompagner ces mouvements. Cette évolution échappe très largement, voire complètement, au législateur, la matière, étant par nature, réglementaire. Il a paru utile d'étudier de conserve décentralisation et déconcentration, l'objectif étant, notamment, de déterminer si l'équilibre des pouvoirs qui se dessine dans les territoires - entre l'État et les collectivités territoriales mais aussi entre les différentes catégories de collectivités territoriales - comporte des risques de blocage et de paralysie.

Ensuite, le rapporteur a fait observer qu'il avait choisi, dans un premier temps, de dresser un état des forces en présence. Dans un second temps, il lui a semblé utile de confronter le modèle français à un échantillon de systèmes étrangers, dont le choix des pays s'est avéré difficile. En effet, il fallait que leur modèle juridique d'organisation ne soit pas trop différent, ce qui excluait le modèle fédéral allemand, belge ou autrichien et, dans le même temps, qu'il s'en éloigne suffisamment pour constituer un horizon intéressant. C'est pourquoi, ont été retenues l'Italie, l'Espagne, l'Écosse et la Suède. Dans chacun de ces pays, le rapporteur a souligné, d'une part, qu'il avait consacré une journée à des entretiens avec les représentants des organes centraux, dans la capitale, et une autre journée à des entretiens avec des autorités locales de différents niveaux, et, d'autre part, qu'il s'était attaché à étudier, en particulier, les modalités d'attribution des compétences, le partage du pouvoir normatif entre État et collectivités locales, les modes de règlement des contentieux entre ces deux catégories de personnes publiques ou encore l'organisation territoriale des services de l'État.

Enfin, le rapporteur a dit que son souci avait davantage été celui de poser les bonnes questions et d'identifier les sources de blocages - celles qui devront être dépassées pour parvenir à une stabilisation satisfaisante de notre organisation institutionnelle territoriale - que d'offrir des solutions clefs en main et tonitruantes qui n'auraient eu pour objet que de satisfaire des réformateurs en apesanteur.

Après avoir exposé ses motivations et sa méthode de travail, M. Michel Piron a présenté le contenu même de son rapport.

En premier lieu, il s'est interrogé sur l'état des forces en présence et de leurs relations. Il faut d'abord saluer l'avènement d'une véritable organisation décentralisée de la République. L'autonomie des collectivités territoriales a été consacrée dans notre Constitution de manière affirmée. Cette organisation est marquée par la multiplicité des acteurs traditionnels, mais aussi des acteurs nouveaux représentatifs de nouveaux espaces institutionnels et de coordination, à savoir les intercommunalités et les pays. De cette multiplicité, naît évidemment un risque croissant d'illisibilité.

La nouvelle répartition des compétences qui s'est fait jour est aux prises avec des principes eux aussi multiples et parfois contradictoires, tels que la libre administration et le principe de subsidiarité, l'interdiction de toute tutelle d'une collectivité sur une autre et la possibilité de désigner un chef de file. Confrontée à différents principes difficiles parfois à concilier, cette nouvelle répartition des compétences est aussi relativement instable et, à certains égards, encore inachevée. Le mythe des blocs de compétences, qui fondait l'« acte I » de la décentralisation, a vécu, tandis que le bilan de l'« acte II », qui a cristallisé et clarifié certaines évolutions, montre que les avancées sont réelles.

Si l'équilibre des compétences bascule depuis vingt ans en faveur des collectivités territoriales, il reste une limite forte, celle du domaine normatif. Les promesses constitutionnelles du pouvoir réglementaire accordé aux collectivités territoriales et de l'expérimentation sont trop récentes pour s'être concrétisées et se heurtent sans doute encore à un blocage culturel.

Après avoir salué les résultats de la décentralisation, il convient de s'interroger sur la place de l'État territorial, qui connaît aujourd'hui un certain malaise, susceptible d'être dissipé par les importantes réformes en cours. La déconcentration a réellement progressé, tandis que demeurent certaines hésitations. En effet, on a d'abord assisté, ces dernières années, à une multiplication des cadres stratégiques, qui se sont, dans le meilleur des cas superposés, dans le pire, neutralisés. Peuvent être ainsi cités les projets territoriaux de l'État (pte), les projets d'action stratégiques de l'État dans le département et dans la région (pased et paser), pour certains services, les directives nationales d'orientation (dno), tandis que la loi organique relative aux lois de finances (lolf) a, dans le cadre des projets annuels de performances (pap) et des budgets opérationnels de programmes (bop), impliqué la définition d'objectifs nouveaux.

Ensuite, la carte administrative a été peu simplifiée. S'il existe 26 préfectures de région, 100 préfectures de département et 339 arrondissements, demeure au-delà de ces structures une myriade de découpages qui rendent difficilement lisible la carte administrative française et ce d'autant plus que la synthèse n'est pas toujours réalisée à un échelon bien identifiable.

Mais, parallèlement, il faut bien reconnaître l'existence d'évolutions positives récentes, telles que le renforcement des pouvoirs des préfets de région, la mise en place de pôles régionaux, le lancement de la réforme de l'administration départementale de l'État, ou encore la responsabilisation des acteurs locaux dans le cadre de la lolf.

Quant à l'évolution des rapports entre État et collectivités territoriales d'une part et entre collectivités territoriales d'autre part, l'usage de la clause générale de compétence permet à chacun d'investir les domaines qu'il souhaite, l'exemple des politiques culturelles étant, de ce point de vue, symptomatique. La présence de l'État, si elle ne porte plus le nom de tutelle, s'exerce à travers le contrôle de légalité, de manière très différenciée sur le territoire. Mais elle s'exerce aussi dans le cadre d'un dialogue préventif parfois très prégnant - le contrôle de légalité jouant alors un rôle dissuasif - et dans la montée en puissance d'un encadrement normatif technique. Le développement de la contractualisation pourrait, par contraste, apparaître comme la face souriante de l'évolution des rapports entre les différents acteurs. Mais l'inégalité entre les partenaires, comme le montre l'exemple des contrats de plan, conduit à nuancer ce propos.

En deuxième lieu, le rapporteur a fait part des expériences étrangères qu'il a été amené à étudier. Si les pays étudiés présentent parfois des inégalités démographiques et économiques plus marquées qu'en France − l'existence du Mezzogiorno italien suffit à le montrer −, la tendance à la régionalisation y est plus forte. Les exemples étrangers se trouvent trop souvent idéalisés. Les déplacements ont permis de relever, non seulement les réussites − au premier rang desquelles se trouve une meilleure adéquation des moyens aux besoins locaux −, mais aussi les faux-semblants.

Ainsi, la décentralisation régionale, telle que pratiquée par les pays étudiés, en particulier par l'Italie et l'Espagne, ne signifie pas nécessairement une plus grande décentralisation au niveau communal. Les conflits de pouvoirs entre pouvoirs régionaux et pouvoirs urbains affleurent de la même façon que sur le territoire français. Certes des mécanismes de correction au profit des collectivités locale de premier ou de deuxième niveau ont été souvent établis. Mais, de manière générale, les institutions régionales tendent à reproduire le schéma constitutionnel de l'État central. Il serait également erroné de ne pas relever les difficultés de « gouvernabilité » qui traversent certains des modèles d'autonomie décentralisée de nos voisins. Ainsi, il n'est pas rare que certains projets ne puissent voir le jour faute d'un arbitre désigné, en particulier lorsque ces projets concernent plusieurs collectivités régionales. Enfin, l'autonomie financière locale constitue dans tous les pays étudiés un combat de tous les instants.

En tout cas état de cause, les pays étudiés connaissent un nombre plus réduit, sinon d'échelons territoriaux, du moins d'unités territoriales. L'État dispose d'une administration territoriale pour l'exercice de ses compétences, mais cette représentation s'avère de plus en plus réduite. Les régions italiennes, espagnoles comme l'Écosse font largement usage de leur pouvoir normatif, ce qui a permis d'incontestables réussites dans la mise à niveau de certains territoires et l'amélioration des services.

Les entretiens tenus à l'étranger ont également permis de recueillir l'avis de nos voisins sur notre système. D'abord, le fonctionnement réel des territoires est non seulement compliqué à comprendre mais la lettre des institutions ne permet pas de décoder la réalité des pratiques. Ensuite, le débat sur la légitimité des institutions locales peine à surgir et lorsque des mesures sont envisagées qui pourraient y conduire, telles que la simplification de l'architecture institutionnelle, elles tardent à déboucher voire sont immédiatement enterrées, la crainte des obstacles constituant le premier des obstacles. Enfin, le débat semble se cantonner dans un cercle relativement fermé, parfois limité à la seule capitale − ce qui permet de subodorer l'opinion du reste du pays sans s'y confronter.

En troisième lieu, le rapporteur a présenté les questions que doit résoudre le modèle français pour sortir du milieu du gué où il se trouve.

En France, la décentralisation est octroyée par le centre, de manière descendante, voire condescendante. La déconcentration se fait en parallèle avec la décentralisation. Les administrations centrales se réforment relativement peu. Dans la recherche d'une solution, il faut s'écarter des deux fantasmes récurrents que sont l'emboîtement vertical impeccable des structures - c'est le fantasme du jardin à la française - et un maillage transversal de l'espace en territoires de projet juxtaposés - c'est le fantasme des thuriféraires des réseaux.

Il faut se poser la question de la dissociation de la carte des collectivités territoriales et de la carte administrative et se demander s'il est toujours nécessaire de mettre un service de l'État en face de chaque niveau de collectivité. Il conviendrait de favoriser les échanges d'expériences entre État et collectivités locales, ce qui pose la question, notamment, de la réforme de la fonction publique et de la participation des collectivités territoriales à la politique de simplification du droit. Il faudrait s'interroger sur la possibilité de regrouper les services de l'État au niveau régional autour du préfet et à un niveau intermédiaire entre la commune et la région, dans des délégations régionales et locales de l'État.

La question de la carte des collectivités territoriales doit être de nouveau posée, sous peine de voir toute réforme se noyer dans l'éparpillement des structures - la même question se posant pour la carte judiciaire et la carte diplomatique -, ce qui implique de s'interroger sur la création de grandes régions, sur la promotion d'une association des communes avec une seule personnalité juridique, une seule structure administrative, des maires délégués représentant chaque commune.

Il faut également s'interroger sur la nécessité de maintenir un schéma identique d'architecture des collectivités territoriales sur tout le territoire, ainsi que sur la création d'un cadre juridique pour les contrats entre collectivités publiques et utiliser les possibilités constitutionnelles ouvertes pour désigner les chefs de file et dans le domaine de l'expérimentation.

Enfin, le rapporteur s'est interrogé sur la possibilité de donner un pouvoir normatif aux régions qui offre à celles-ci, au-delà d'un socle commun défini par le Parlement, la possibilité d'adapter la législation.

Après avoir salué la pertinence et la qualité du travail effectué par le rapporteur, M. Christian Decocq s'est interrogé, du fait de l'évolution de l'intercommunalité, sur la possibilité, à terme, de mettre en place l'élection au suffrage universel des conseillers communautaires. Il a souligné que l'observation du fonctionnement de la communauté urbaine de Lille, présidée par M. Pierre Mauroy et comprenant non seulement la ville de Lille, mais aussi 85 communes parfois très petites, montrait à la fois l'importance des transferts de compétences effectués au profit de la communauté urbaine, permettant la construction d'ouvrages remarquables notamment en matière de transports collectifs, mais aussi une distance croissante entre la fonction publique de cette communauté et les préoccupations quotidiennes de ses habitants. Il a noté que l'élection au suffrage universel des conseillers communautaires permettrait certes de remédier à cette distance, mais conduirait également à l'émergence d'une légitimité politique concurrente de celle des maires, dont les pouvoirs s'affaibliraient du même coup. Il s'est interrogé sur les solutions permettant de sortir d'une telle impasse et a ajouté qu'au sein des communautés urbaines, le clivage existant entre les conseillers communautaires maires d'une commune et ceux qui ne le sont pas tend à l'emporter sur le traditionnel clivage entre gauche et droite.

M. Bernard Roman s'est félicité qu'un rapport d'information ait été décidé par la Commission sur la question de l'équilibre territorial des pouvoirs et a formulé le souhait qu'il ne reste pas sans suite.

Il a remarqué que la décentralisation n'avait débuté en France que depuis vingt-cinq ans, alors qu'elle était plus ancienne dans d'autres pays avec lesquels le rapporteur avait établi des comparaisons. Il a estimé qu'au fil du temps, des avancées ou des erreurs, était révélée l'absence d'un « grand dessein » pour l'organisation territoriale de la République. Il a rappelé qu'au cours des années 1980, la première phase de la décentralisation en avait consacré le principe, tout en mettant fin à la tutelle de l'État sur les collectivités territoriales et en permettant l'émergence politique de l'échelon régional avant que, de 1992 à 1999, des lois successives, constatant que la France réunissait à elle seule 36 600 communes, soit la moitié de celles de toute l'Union européenne, aient permis la mise en place de véritables intercommunalités, qui couvrent à présent 98 % du territoire national.

Il a toutefois estimé que l'« acte II » de la décentralisation, intervenu en 2003 et 2004 à l'initiative de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre ayant pourtant lui-même présidé un exécutif régional, avait été marqué par une lourde erreur : l'oubli des intercommunalités et le recentrage des compétences de développement, telles que celles relatives aux routes, sur les seuls départements. Il a considéré que les pressions alors exercées en ce sens par le Sénat avaient conduit à dénaturer la décentralisation, conduisant aujourd'hui à une « inorganisation territoriale de la République ».

Puis, il a fait valoir que la question fondamentale de l'attribution de compétences exclusives aux différents niveaux de collectivités territoriales, comme celle de la légitimité démocratique de chacun d'entre eux, du fait de règles électorales différentes, n'étaient pas résolues. Il s'est appuyé sur l'exemple des contrats de plan État-régions, permettant de répartir les efforts entre les différents niveaux de collectivités au moyen de nombreux cofinancements, pour suggérer de mettre fin à la confusion en contraignant chaque niveau de collectivités à s'en tenir strictement à ses compétences. Il a noté que cette logique de clarification, ayant par exemple conduit à attribuer aux départements l'ensemble des compétences routières, devait conduire à s'interroger sur la définition, le cas échéant constitutionnellement, de véritables blocs de compétences pour chaque niveau de collectivités.

Il a également souhaité une simplification de la carte de l'administration territoriale de la République, tout en soulignant qu'après avoir été personnellement favorable à la suppression des conseils généraux, il lui semblait désormais impossible de faire abstraction de l'échelon départemental, compte tenu de l'importance des compétences transférées aux départements dans le cadre de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

S'agissant des intercommunalités, il a souligné que, depuis la loi d'orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République, elles s'étaient considérablement renforcées, leur émergence étant aujourd'hui considérée comme l'évolution la plus marquante survenue dans l'organisation administrative française. Il convient à présent de s'interroger sur le lien entre ces intercommunalités et l'échelon départemental.

Enfin, il a fait valoir que le problème des ressources propres des collectivités territoriales n'avait pas été résolu. Il a jugé que le transfert aux collectivités territoriales d'une partie des recettes de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (tipp) ne leur permettrait pas de disposer de ressources durables et s'apparentait donc à un « faux-semblant ». De même, l'évolution prévisible du nombre d'infirmières prises en charge par ces collectivités, qui ne s'élève actuellement qu'à 10 000 mais devrait atteindre bientôt 30 000, n'a pas été correctement prise en compte par le législateur lorsqu'il a procédé aux transferts de compétences.

Après avoir fait part de son grand intérêt pour le rapport, dont l'auteur n'a pu qu'esquisser le contenu, M. Emile Zuccarelli a indiqué avoir beaucoup souffert, en Corse, des « délires et vertiges » auxquels ont donné lieu les manipulations du concept de décentralisation. Il a noté que celui-ci était souvent mal interprété et s'est élevé contre l'idée, parfois défendue, que la déconcentration pourrait constituer un leurre allant à l'encontre de la décentralisation. Il a rappelé que la décentralisation ne saurait conduire à l'exacerbation d'une recherche de « souverainetés locales », mais visait seulement à rapprocher les décisions du citoyen et apparaissait ainsi comme « l'art de gérer les différences dans des structures identiques ».

Puis, il a regretté que la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 ait conduit à préciser, à l'article 1er de la Constitution, que l'organisation de la République « est décentralisée », un tel adjectif apparaissant comme particulièrement imprécis puisqu'il renvoie à une notion qui n'est nullement définie.

Il a par ailleurs jugé « pathétique » la discussion relative à la part de ressources propres des collectivités territoriales, de même que la recherche, depuis Paris, des espaces régionaux les plus pertinents, jugeant absurde toute comparaison entre, par exemple, le Hainaut et la Californie.

Rappelant que la République avait, au fil de son histoire, fait évoluer librement l'organisation territoriale de son administration, il a mis en garde contre le défaut français consistant à créer une nouvelle structure dès qu'un problème apparaît, comme en témoigne la création inopportune des « pays », qui ajoute encore à la complexité territoriale française. Il s'est, en outre, interrogé sur l'articulation entre le principe selon lequel il n'existe pas de hiérarchie ou de tutelle entre les différentes collectivités, la définition de blocs de compétences pour chaque niveau de collectivités et la mise en place de collectivités « chefs de file ».

Il a enfin fait valoir que la réforme de la décentralisation mise en place au début des années 1980 par le ministre Gaston Deferre avait été positive, parce qu'elle avait été précédée d'un long mûrissement et effectuée sans précipitation. Il a rappelé que cette réforme s'était alors inspirée du principe de « gouvernabilité » pour l'échelon municipal, l'adaptation de la règle de la représentation proportionnelle au sein des conseils régionaux n'empêchant, aujourd'hui, aucune d'entre elle d'être « gouvernable » -  à l'exception de la Corse, dont les institutions devraient désormais être rapprochées du droit commun.

M. Patrick Delnatte a souhaité connaître la solution préconisée par le rapporteur pour mieux articuler le rôle des départements et des régions. Prenant l'exemple de la région Nord-Pas-de-Calais constituée de deux départements, il a estimé qu'une départementalisation de la région et une régionalisation du département pourraient être une bonne solution, les mêmes élus pouvant siéger en une assemblée régionale et une assemblée départementale. Il a en revanche considéré que, dans les régions les plus grandes, les départements devaient, en raison de leur proximité, conserver toute leur place, les régions ayant une fonction stratégique et de développement.

Reprenant la parole, M. Émile Zuccarelli a émis des réserves devant une trop grande différenciation des structures, estimant que, de ce point de vue, la région Île-de-France, par sa dimension, est susceptible de faire l'objet d'une décentralisation poussée, étant précisé que le degré de décentralisation ne doit pas être fonction de l'éloignement géographique. S'agissant de la définition de blocs de compétences, il a considéré que le chef de file doit rester sectoriel, et regretté que la loi du 22 janvier 2002 ait donné à la région Corse un rôle de chef de file général par rapport aux départements.

En réponse aux différents intervenants, M. Michel Piron a souhaité apporter les précisions suivantes :

-  Nombre des interrogations soulevées sont reprises dans le rapport écrit et font l'objet de pistes de réflexion.

-  La question de la légitimité relative des communes et des intercommunalités, compte tenu de la montée en puissance de ces dernières et, notamment, de la progression de leur intégration fiscale, se pose avec de plus en plus d'acuité. Elle conduit à s'interroger sur la possibilité, à terme, de désigner au suffrage universel direct les membres du conseil intercommunal, ce qui pourrait passer, dans un premier temps, par la désignation directe du seul président du conseil. En tout état de cause, la tension permanente qui existe entre proximité et efficacité fait partie intégrante du jeu démocratique local et en constitue même un ressort essentiel.

Le développement indéniable de l'intercommunalité pose, en outre, la question de l'évolution des relations entre les autres structures territoriales.

L'attention portée au couple communes-intercommunalité ne doit pas masquer la question du couple départements-région, collectivités dont la complémentarité mériterait d'être recherchée de manière plus approfondie.

-  De manière plus générale, le manque patent de grand dessein pour l'évolution de l'organisation territoriale de notre pays est souligné à plusieurs reprises dans le rapport écrit. À ce titre, la notion de bloc de compétences constitue sans doute une voie moins productive que la réforme des structures. À la notion de « structures identiques » chargées de gérer les différences évoquées par M. Émile Zuccarelli, il conviendrait de substituer celle de « structures adaptées », tant il paraît obsolète d'appliquer les mêmes structures à des territoires diversifiés.

-  La généralisation de la contractualisation ne peut faire l'objet d'une adhésion sans retenue et mérite, en effet, d'être critiquée dans ses modalités actuelles.

-  L'absence de correspondance automatique et nécessaire entre décentralisation et déconcentration mérite d'être affirmée avec force, comme l'illustrent les exemples étrangers, exemples qui montrent également que la question de la coordination entre différents niveaux de collectivités a été résolue par l'acceptation d'une certaine tutelle régionale sectorielle sur les autres niveaux de collectivités.

Puis la Commission a autorisé, conformément à l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

--____--


© Assemblée nationale