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COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 36

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 29 mars 2006
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Philippe Houillon, président

SOMMAIRE

 

Pages

- Audition de M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire sur le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration


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- Informations relatives à la Commission

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Après avoir désigné M. Thierry Mariani, rapporteur du projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration (n° 2986), la Commission a procédé à l'audition de M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire, sur ce projet de loi.

Remerciant le ministre d'État d'avoir accepté de venir présenter le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration immédiatement après son adoption par le Conseil des ministres, le président Philippe Houillon a vu dans cette totale disponibilité le signe d'un travail fructueux avec la commission des Lois sur ce sujet ainsi qu'une marque de considération à l'égard du Parlement.

M. Nicolas Sarkozy ministre d'État, ministre de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire a estimé tout à fait justifié de présenter le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration devant la commission des Lois juste après son examen par le Conseil des ministres. Il s'est également déclaré disponible pour revenir devant la commission, si besoin, pour répondre de manière plus approfondie aux questions que ses membres pourraient être désireux, avec davantage de recul, de poser sur le texte.

Présentant le détail du projet de loi, le ministre de d'État a indiqué qu'il avait été approuvé par l'assemblée générale du Conseil d'État, ce qui constitue une garantie d'équilibre et de respect des principes constitutionnels.

Soulignant qu'il n'avait pas voulu d'une énième réforme du droit de l'immigration, qui viendrait modifier à la marge, par un ensemble d'ajustements techniques, l'ordonnance de 1945 devenue code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, M. Nicolas Sarkozy a mis en exergue sa volonté de transformation profonde de la politique de l'immigration. Il s'agit d'une rupture avec une forme de pensée unique qui porte préjudice à la France autant qu'aux immigrés.

Depuis des décennies, des experts affirment que les questions d'immigration et d'intégration doivent être dissociées. Il existerait un droit universel à l'immigration, s'imposant à l'État, l'intégration constituant un faux problème. Pour ne pas stigmatiser les nouveaux arrivants, il importerait de ne pas les considérer comme des migrants et de les prendre en compte dans le cadre de la politique de la ville, qui a dramatiquement échoué jusque là.

Proposant pour la première fois un projet de loi qui associe l'immigration et l'intégration, le ministre d'État a estimé qu'il brisait un tabou. Il s'en est expliqué en considérant que l'immigration et l'intégration sont deux enjeux étroitement imbriqués pour une raison évidente : faire entrer en France un grand nombre de migrants, sans se donner les moyens de les accueillir ou d'organiser leur insertion dans la société française, conduit à des situations ingérables. L'intégration est un processus long, complexe, coûteux.

M. Nicolas Sarkozy a rejeté de la manière la plus nette le « poncif » habituel des mouvements d'extrême droite, selon lesquels il existerait des cultures impossibles à intégrer et qui prêchent le concept, totalement illusoire, de 1'« immigration zéro ».

Il a jugé néanmoins qu'il était temps de « parler clair » : la France n'a certes pas vocation à être repliée sur elle-même mais elle n'a pas non plus les moyens d'accueillir tous ceux qui voient en elle un eldorado.

L'angélisme de ceux qui estiment que les hommes sont interchangeables, que l'intégration est un faux problème, ou que l'on peut faire table rase de son passé et de sa culture n'est pas plus acceptable que l'intolérance des partisans de l'immigration zéro. Le ministre d'État s'est ainsi démarqué de la position de MM. Jack Lang et Hervé le Bras, qui, dans leur récent ouvrage « Immigration positive », s'en remettent à la « vertu de l'oubli » comme premier vecteur de l'intégration.

Il a observé que le décalage est aujourd'hui immense entre la perception des phénomènes d'immigration par une petite frange politico-intellectuelle des élites parisiennes et celle de l'immense majorité des citoyens français. En appeler à l'ouverture générale des frontières, à l'abrogation des reconduites à la frontière et à la régularisation générale des sans papiers est irresponsable.

En outre, les Français de toutes origines, parce qu'ils sont confrontés à la réalité, ont, dans leur grande majorité, pris conscience des risques, pour l'unité nationale et la cohésion de notre pays, d'une immigration sans limite et sans projet d'intégration.

D'ailleurs, en 1990, M. Michel Rocard n'écrivait-il pas : « Nous ne pouvons plus recevoir un flux massif et incontrôlé sans que cela n'hypothèque gravement et tout ensemble, d'abord l'équilibre social de la Nation » ? Estimant que ces propos étaient justes, M. Nicolas Sarkozy y a vu la possibilité de transcender les clivages politiques traditionnels sur cette question.

La France compte 2,4 millions de chômeurs et il manque à notre pays 500 000 logements sociaux. Le drame de l'immigration, telle qu'elle s'est déroulée à la fin des années 1990 et au début des années 2000, est que beaucoup de nouveaux arrivants se trouvent sans logement décent et sans emploi. Le taux de chômage des personnes originaires de certaines nationalités atteint 30 à 40 %.

Les conséquences de cet état de fait peuvent conduire à de véritables tragédies, comme en attestent les incendies des 25 et 29 août 2005 à Paris, qui ont entraîné la mort de vingt-quatre personnes originaires d'Afrique, dont de nombreux enfants.

Il en résulte une exclusion et une « ghettoïsation » croissante d'une partie de la population immigrée, qui est la première victime d'une telle situation, avec pour corollaire le risque d'une fragmentation croissante de la société française, qui conduit à la division, à la violence et au racisme.

La Cour des Comptes a parfaitement analysé la gravité de cette situation dans son récent rapport sur l'accueil des migrants en soulignant : « La situation d'une bonne partie des populations issues de l'immigration la plus récente est plus que préoccupante. Outre qu'elle se traduit par des situations souvent indignes, elle est à l'origine directe ou indirecte de tensions sociales ou ethniques graves, lourdes de menaces pour l'avenir. »

Le ministre d'État a fait valoir que, depuis 2002, il s'était efforcé de redresser la barre d'un navire à la dérive. Qualifiant de dramatique la situation qu'il avait trouvée à son arrivée au ministère de l'Intérieur, il y a quatre ans, il a dénoncé l'absence jusqu'alors de politique de l'immigration digne de ce nom. Les demandes d'asile avaient quadruplé en cinq ans, passant de 20 000 en 1997 à 82 000 en 2002. La zone d'attente de Roissy était saturée et le hangar de Sangatte se présentait dans toute l'Europe, dans le monde entier, comme le symbole honteux du chaos migratoire français.

Par ailleurs, les flux d'immigration régulière s'étaient accrus d'un tiers en cinq ans, passant de 120 000 en 1997 à 160 000 en 2002, sans compter les immigrés d'origine communautaire ni les enfants. Cette augmentation aurait pu se justifier si elle avait été en rapport avec les capacités d'accueil de la France et régulée, ce qui n'était pas le cas.

En quatre ans, un travail considérable de remise en ordre a été accompli. La loi sur la maîtrise de l'immigration du 26 novembre 2003 a donné au Gouvernement de nouveaux outils de lutte contre l'immigration irrégulière. M. Thierry Mariani, rapporteur de cette loi, a d'ailleurs dressé avec talent un bilan de son application le 2 mars dernier.

Il convient de souligner que le nombre des reconduites à la frontière exécutées a doublé en trois ans, passant de 10 000 en 2002 à 20 000 en 2005. Leur nombre devrait même atteindre 25 000 en 2006.

Cette évolution a été facilitée par l'allongement de la durée de la rétention administrative, de douze à trente-deux jours maximum, et par le développement de la capacité de rétention administrative, le nombre de places ayant été porté de 968 en juin 2002 à 1 500 aujourd'hui, avec un objectif de 2 500 places en juin 2007.

Cette évolution s'explique aussi par une très forte mobilisation des préfectures et des services de police, qui se sont vu fixer des objectifs quantitatifs annuels d'éloignement. Mois après mois, préfecture par préfecture, le ministère de l'Intérieur veille à ce que l'administration de l'immigration obéisse, sur le terrain, aux objectifs politiques que le législateur lui a fixés en 2003.

Une autre mesure clef décidée en 2003 est la généralisation des visas biométriques. Les postes consulaires délivrent 1,9 million de visas de court séjour chaque année. Il est évident qu'une part de ces visas est détournée par des personnes qui, introduites régulièrement en France, avec un visa de trois mois, s'y maintiennent irrégulièrement. Le système de visas biométriques permet, tout simplement, de connaître l'identité et la nationalité de ceux qui ont perdu la mémoire et leurs papiers. Étendu à l'ensemble des consulats d'ici à la fin 2007, ce système facilitera les mesures d'éloignement, en identifiant les étrangers clandestins et leur nationalité. Il constituera aussi une preuve pour les pays d'origine. Un tel dispositif pourrait d'ailleurs être appliqué à tous les pays du G6 et, à terme, à tous les pays de l'espace Schengen.

En attendant la pleine application du système des visas biométriques, des actions diplomatiques vigoureuses permettent aujourd'hui d'atteindre des résultats plus satisfaisants en matière de délivrance des laissez-passer consulaires. Le ministre a indiqué qu'il avait demandé que l'on tienne compte du nombre de laissez-passer consulaires pour les immigrés expulsés avant de délivrer des visas d'entrée en France.

Autre résultat encourageant, le flux global de l'immigration régulière s'est durablement stabilisé, pour la première fois depuis dix ans. Le nombre des premiers titres de séjour délivrés, hors ressortissants communautaires, a même baissé de 2 % en 2005, passant à 164 234.

Enfin, la réforme du droit d'asile du 10 décembre 2003 a permis de réduire fortement les délais d'examen des demandes d'asile qui sont passés de plus de deux ans en 2002 à huit mois aujourd'hui. Le nombre total des demandeurs a chuté de 82 000 en 2002 à 65 000 en 2004 et 60 000 en 2005. Si la tendance observée sur les deux premiers mois de l'année actuelle se confirme, il sera dénombré 15 000 demandes d'asile de moins en 2006 qu'en 2005.

Malgré les progrès accomplis, la situation de l'immigration en France demeure toutefois insatisfaisante. Les flux migratoires restent, en effet, très déséquilibrés.

Les régularisations, qui marquent l'échec de l'État dans la maîtrise des flux, représentent encore une proportion très importante de l'immigration en France, puisque près de 20 000 cartes sont délivrées chaque année à ce titre.

L'immigration pour motif familial occupe également une place très voire trop importante dans les flux migratoires, soit près de la moitié (82 000 en 2005). Chez nos partenaires européens, le niveau de l'immigration familiale est bien inférieur puisqu'il s'établit, en 2004, à 66 000 en Allemagne, pour 20 millions d'habitants de plus, et à 35 000 en Grande-Bretagne, pour la même population que la nôtre.

Tout en se déclarant profondément attaché au principe constitutionnel de protection de la vie familiale ainsi qu'à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit au respect de la vie privée et familiale, le ministre d'État a considéré que c'est au pouvoir politique, au Gouvernement, au législateur, de définir dans quelles conditions s'applique en France le droit à la vie privée et familiale.

L'immigration pour motif de travail, utile aux entreprises et favorable à l'intégration puisque liée à l'occupation d'un emploi, reste, elle, à un niveau marginal : 11 500 cartes de séjour ont été délivrées à ce titre en 2005. La France est ainsi le seul pays développé qui s'interdit de faire venir sur son territoire des migrants dont il peut avoir besoin pour contribuer à la croissance et à la prospérité.

Ce faisant, le système est devenu totalement paradoxal. Au prétexte de protéger l'emploi national, on cadenasse, par un système extrêmement lourd de contrôles a priori effectués par l'administration du travail, l'arrivée de travailleurs pourvus d'un emploi. Dans le même temps, contre toute logique, on laisse entrer en France, avec l'immigration familiale qui obère fortement le marché du travail, des étrangers la plupart du temps très peu qualifiés et peu insérés.

Dénonçant ce « système de Gribouille » qui n'assure pas le lien entre immigration et intégration, M. Nicolas Sarkozy y a vu la source essentielle du malaise français sur l'immigration et il a jugé urgent d'en sortir.

Le ministre d'État a ensuite présenté les grandes lignes du projet de loi, dont l'objectif premier est de permettre de retrouver une maîtrise quantitative de l'immigration. La France ne doit plus subir les flux migratoires, mais être dotée d'instruments permettant de les organiser, de les réguler, de les choisir. Dorénavant, le Gouvernement définira chaque année des objectifs prévisionnels de visas et de titres de séjour en fonction des capacités d'accueil de la France. Le rapport qui sera remis au Parlement en juillet prochain comportera, pour la première fois, des objectifs quantitatifs annuels. Ces objectifs sont en cours de définition, à partir des études du ministère des Finances et du Conseil d'analyse stratégique. Il faut voir loin, non pour planifier de manière rigide, mais pour disposer de repères chiffrés. Il n'est pas normal que le Parlement ne débatte jamais du nombre d'étrangers entrant en France et que le Gouvernement soit dans l'impossibilité de définir des objectifs en la matière. Le Parlement a le droit de connaître avec précision la politique de régularisation et d'entrée des étrangers, et il en débattra désormais chaque année.

La nouvelle politique doit être bien comprise par les candidats à l'immigration, dans les pays d'origine. Ils doivent savoir que, désormais, on ne pourra plus entrer en France clandestinement ou grâce à un visa de tourisme, et espérer obtenir, contre toute logique, en faisant la queue à un guichet de préfecture, un titre de séjour permettant de s'installer durablement. C'est pourquoi la délivrance d'un visa de long séjour, par un consulat, devient la condition nécessaire de l'immigration en France. Désormais, pour immigrer en France, il faudra avoir sollicité l'autorisation préalable de l'État avant d'entrer sur le territoire français. Les exceptions à ce principe ne seront que résiduelles. Dans le même esprit, sera abrogé le système des régularisations dites « de droit » après dix ans de séjour illégal, introduit par les lois de 1997 et 1998, qui revient à récompenser une violation prolongée de la loi républicaine. Ce dispositif donne aux étrangers l'image d'une France où il peut être profitable de ne pas respecter les règles de l'État de droit. Cette suppression de la « régularisation automatique » n'interdit pas, bien au contraire, de prendre en compte des situations humanitaires qui méritent toute notre attention : les préfets garderont la possibilité de régulariser, au cas par cas, mais cette régularisation ne sera plus automatique.

Retrouver une maîtrise quantitative de l'immigration, c'est aussi rendre plus efficaces les outils de lutte contre l'immigration clandestine. Dans cet esprit, les procédures d'éloignement seront profondément simplifiées. Sans méconnaître le droit des étrangers à ce qu'un juge administratif se prononce sur leur situation, il faut simplifier le travail des préfectures et des tribunaux administratifs, qui perdent leur temps en formalités inutiles. La principale innovation du projet de loi consiste à fusionner en une seule décision (un refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire) deux décisions jusqu'alors distinctes (le refus de séjour et l'arrêté de reconduite à la frontière).

Le ministre d'État a ensuite présenté le deuxième objectif du projet de loi : maîtriser l'immigration familiale. Il s'agit de redéfinir les règles du rapprochement familial, dans un but précis : s'assurer que les conditions sont réunies pour permettre l'insertion de la famille dans la société française. En premier lieu, la procédure de regroupement familial est réformée. Le migrant qui souhaite faire venir sa famille devra séjourner régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois et non plus un an, durée indispensable pour préparer la venue de sa famille. Il devra se conformer aux principes qui régissent la République française, et, ce faisant, il devra faire la preuve de sa volonté d'intégration à la société qui l'accueille. Il devra être en mesure de pourvoir aux besoins de sa famille par les ressources de son seul travail et non des prestations sociales. Aujourd'hui, plus un migrant a d'enfants, plus il dispose d'allocations familiales et de revenus sociaux pour faire venir sa famille. Désormais, seuls les revenus du travail seront pris en compte.

Mais cette réforme du regroupement familial n'aurait pas de sens si, dans le même temps, on laissait subsister, sans changement, des voies d'immigration familiale détournées : celles des régularisations au titre du respect de la vie privée et familiale, en forte augmentation ces dernières années (12 000 cartes délivrées en 2005). Ces régularisations échappent à toutes les garanties essentielles prévues pour le regroupement familial, qu'il s'agisse du logement ou des ressources. Cette forme de régularisation sera désormais soumise à plusieurs conditions : pour obtenir une carte de séjour à ce titre, l'étranger présent en France devra justifier de l'ancienneté, de la stabilité et de l'intensité de ses liens en France, de la nature de ses liens avec la famille restée dans son pays, de ses conditions d'existence en France ainsi que de son insertion dans la société.

De même, sera renforcée la lutte contre les mariages de complaisance, dont le seul objet est de procurer un titre de séjour et, à terme, la nationalité, au conjoint d'un Français. Les mariages mixtes expliquent l'essentiel de l'augmentation des flux migratoires réguliers en France : on comptait 50 270 mariages mixtes en 2004, contre 14 303 en 1997. Cette évolution reflète en partie l'ouverture internationale de la société française. Toutefois, de multiples témoignages de terrain émanant de préfets, d'élus ou de responsables associatifs, font état d'une utilisation détournée du mariage. Ce phénomène peut receler des pratiques inacceptables au regard des valeurs républicaines, notamment des « mariages blancs » moyennant une rémunération ou des mariages forcés de jeunes filles pour obtenir des papiers. Bien évidemment, le droit d'un Français à épouser une personne de nationalité étrangère ne sera pas remis en cause. Si le texte récemment présenté par le garde des Sceaux constitue un instrument utile pour contrôler la validité des mariages, il convient d'aller plus loin. Le présent projet de loi prévoit à cette fin quatre mesures destinées à combattre les abus liés au mariage. En premier lieu, un visa de long séjour sera exigé pour le conjoint de Français qui sollicite le droit au séjour en France. Ainsi, le mariage ne donnera plus automatiquement droit à une carte de séjour puisqu'il faudra, préalablement, avoir obtenu dans son pays d'origine, un visa de long séjour. De même, trois ans de vie commune seront exigés avant la délivrance de la carte de résident de dix ans, désormais soumise à une condition d'intégration. En outre, il sera possible, en cas de rupture de la vie commune, de retirer la carte de résident dans les quatre ans à compter du mariage. Enfin, la durée de vie commune nécessaire à l'acquisition de la nationalité française sera désormais de quatre ans après le mariage et de cinq ans lorsque le couple n'aura pas vécu trois ans en France.

Présentant le troisième volet du projet de loi destiné à promouvoir une immigration choisie, le ministre d'État a estimé que la France, comme toutes les grandes démocraties européennes, doit être capable d'accueillir les migrants utiles à son économie, étudiants ou professionnels. À cette fin, sera créée une carte de séjour « talents et compétences » d'une durée de trois ans, renouvelable, destinée à des migrants hautement qualifiés, qui contribueront au dynamisme de l'économie française ou au développement de leur pays d'origine. Leurs conditions de séjour seront facilitées et leur famille pourra les accompagner sans formalité excessive. De plus, seront assouplies les conditions de recrutement à l'étranger, dans les secteurs et les bassins d'emplois qui sont handicapés par une pénurie structurelle de main d'œuvre, par la possibilité de déroger au principe dit de « l'opposabilité de la situation de l'emploi ». En effet, si le nombre de chômeurs peut justifier une opposition à l'entrée et au séjour d'étrangers, il existe des secteurs où le besoin d'emplois est patent. Dans le même esprit, seront mises en œuvre des procédures simplifiées d'installation en France en faveur d'étudiants ayant été choisis dans leurs pays d'origine. Les jeunes diplômés étrangers, venant de terminer leur master en France, pourront en outre bénéficier d'une autorisation de séjour de six mois pour chercher un travail.

Le ministre d'État a souhaité répondre par avance à deux objections qui lui sont faites en matière d'immigration choisie. En premier lieu, la lutte contre le chômage des Français ou des étrangers résidents en France demeure bien évidemment, plus que jamais, la priorité absolue de la politique économique du Gouvernement. Aucune ouverture globale de l'immigration de travail n'est envisagée. Un rapport récent du Centre d'analyse stratégique montre la persistance de goulots d'étranglement dans quelques secteurs précis (restauration, bâtiment et travaux publics, emplois domestiques). L'unique objectif du Gouvernement est de permettre aux entreprises, dans des circonstances spécifiques, de recruter lorsqu'elles ne parviennent pas à trouver sur le marché du travail français la main d'œuvre nécessaire au développement de leur activité. Un emploi de plus en France, qu'il soit occupé par un Français ou un étranger, est source de pouvoir d'achat et de croissance, dans l'intérêt de l'emploi des Français. S'agissant, en second lieu, du risque d'une aggravation de la fuite des cerveaux des pays les plus démunis, le ministre d'État a rappelé que, d'après la Commission européenne, 54 % des immigrés originaires du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, titulaires d'un diplôme universitaire, résident au Canada et aux États-unis, tandis que 87 % de ceux qui n'ont pas achevé leurs études primaires ou secondaires se trouvent en Europe. Actuellement l'Amérique du Nord se réserve les meilleurs migrants, alors que viennent en Europe ceux dont on ne veut nulle part ailleurs. Il faut réduire cet écart en favorisant la venue en Europe et en France de migrants qualifiés à des fins d'études ou professionnelles, ce qui n'est pas synonyme d'immigration définitive. Il faut encourager la mobilité, la circulation des hommes et des compétences. Faire appel à quelques ingénieurs indiens ou chinois ne risque pas d'entraver la croissance économique phénoménale de ces deux pays. Faire venir 1 000 informaticiens de l'Inde, qui compte 900 millions d'habitants, ne s'apparente en rien à un pillage des élites de ce pays. En revanche, la nouvelle loi ne devra en aucun cas favoriser l'immigration à titre définitif, par exemple, des médecins et professionnels médicaux des pays démunis, qui ont tant besoin d'eux, étant rappelé qu'il y a aujourd'hui davantage de médecins béninois en France qu'au Bénin.

Le ministre d'État a également indiqué que l'immigration choisie comporte un volet communautaire à travers les directives européennes que le projet de loi propose de transposer.

Il a ensuite précisé que le projet de loi vise à conditionner l'immigration durable à l'intégration. À travers ce quatrième objectif destiné à lutter contre la montée du communautarisme et la fragmentation de la société française, il s'agit de revenir à une idée simple : on ne peut immigrer durablement en France que si l'on fait l'effort de s'intégrer à la société française, en parlant sa langue et en partageant ses valeurs.

Désormais, l'obtention de la carte de résident de dix ans, qui exprime le plus souvent une installation définitive en France, sera soumise à une condition d'intégration renforcée. L'étranger devra faire la preuve de trois éléments : son engagement personnel à respecter les principes qui régissent la République française, le respect effectif de ces principes et une connaissance suffisante de la langue française. Ainsi, le non-respect des lois françaises ou des comportements contraires aux valeurs de la République, telles que les atteintes aux droits des femmes et à leur liberté individuelle, les violences sur les femmes et les enfants, ou encore le renoncement manifeste à exercer l'autorité parentale, entraîneront un refus de délivrance de la carte de résident. Le respect de cette condition d'intégration sera apprécié par les préfets après avis des maires qui doivent aider les représentants de l'État à juger si un étranger est bien intégré. Il s'agit de donner toute sa portée à un dispositif esquissé par la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité. Dans le même esprit, l'étranger demandant à être rejoint par sa famille devra prouver qu'il se conforme aux valeurs de la République et que, ce faisant, il prend le chemin de l'intégration.

Le contrat d'accueil et d'intégration deviendra obligatoire pour tous les migrants qui entrent en France à des fins d'installation durable, et son contenu sera renforcé. Ce contrat ne doit pas être un papier que l'on signe et que l'on oublie. Il comportera donc des engagements de l'État à l'égard du migrant : formation linguistique et civique, protection contre les discriminations, orientation dans les démarches pour obtenir un emploi, un logement ou pour s'adapter à la société française. En contrepartie, le migrant prendra des engagements à l'égard de la société qui l'accueille : apprendre la langue française, respecter les lois et les valeurs de la République. Le respect de ce contrat constituera le critère décisif d'évaluation de l'intégration effective du migrant lorsqu'il souhaitera obtenir une carte de résident.

Le ministre d'État a indiqué que le projet de loi a pour cinquième et dernier objectif de lutter contre l'immigration clandestine outre-mer. Ayant fait état de son dernier voyage aux Antilles, il a déclaré avoir pris connaissance avec grand intérêt du rapport de la mission d'information sur la situation de l'immigration à Mayotte. Il a estimé que la situation particulière de l'outre-mer justifie une réponse particulière. Sans méconnaître l'unité de la République, la situation de l'immigration à Mayotte, mais aussi en Guyane, à la Martinique et en Guadeloupe, appelle une réponse législative adaptée. Qu'il s'agisse de faciliter les contrôles de véhicules et d'identité, de détruire des embarcations utilisées par les passeurs de clandestins, ou de lutter avec détermination contre les reconnaissances de paternité frauduleuses et l'exploitation de travailleurs clandestins à Mayotte, le projet de loi comporte un ensemble de mesures qui permettront aux services de l'État d'agir plus efficacement contre l'immigration clandestine dans ces territoires. Considérant qu'il ne doit pas y avoir deux politiques de l'immigration, le ministre d'État a précisé avoir, par conséquent, souhaité que les dispositions relatives à l'outre-mer, qui seront défendues par le ministre de l'Outre-mer, figurent dans le présent projet de loi.

Pour conclure, le ministre d'État a fait valoir que ce projet de loi devait échapper aux approches simplistes. Il ne s'agit pas d'opposer, de manière manichéenne, la rigueur au laxisme, la fermeture à l'ouverture, la droite à la gauche, plusieurs mesures facilitant l'immigration quand d'autres la découragent. Il s'agit de constater, honnêtement, que notre politique d'immigration a besoin d'une profonde transformation, et de faire ainsi œuvre utile pour la France. Avant 2002, la France n'avait pas de politique d'immigration, mais laissait faire, alors que nos voisins avaient réussi à trouver les voies et moyens d'une telle politique. Les gouvernements de droite ont également leur part de responsabilité dans le retard pris par la France. Il faut aujourd'hui trouver une voie de passage entre les « donneurs de leçon » qui clouent les partisans d'une politique de l'immigration au pilori du racisme, et ceux qui voient dans tout immigré un danger pour la France. Cette voie de passage devrait être consensuelle, car une véritable réforme de l'immigration vaut pour les trente ans à venir et une majorité de gauche a généralement tendance à maintenir les mesures prises par une majorité de droite. Ce projet de loi a pour ambition de poser les fondements d'une nouvelle politique française de l'immigration. Il faut être à la fois ferme à l'encontre de ceux qui détournent les procédures, et juste à l'endroit de ceux qui aiment la France et souhaitent participer à son histoire. En liant étroitement immigration et intégration, il s'agit de demander aux migrants de faire un effort personnel, responsable, pour rejoindre la communauté nationale. En retour, le projet propose de convaincre les Français que l'immigration, si elle est choisie, peut être une chance pour la France.

Enfin, le ministre d'État s'est dit certain que, dans les cinq semaines qui précéderont l'examen en séance publique, le travail de la Commission permettra d'enrichir le projet de loi, et il s'est déclaré très ouvert aux amendements susceptibles de l'améliorer.

Il a également souligné que le projet de loi n'a de sens que s'il s'accompagne d'une politique ambitieuse d'aide au développement des pays les plus démunis. C'est l'un des grands enjeux des années à venir, qu'il faut intégrer à la réflexion au moment de l'élaboration de toute législation sur l'immigration.

M. Thierry Mariani, rapporteur, a exprimé sa satisfaction que le projet de loi présenté par le ministre d'État favorise enfin une immigration choisie plutôt qu'une immigration subie. Il a estimé que la possibilité qui sera donnée au Parlement de débattre annuellement d'objectifs quantifiés d'immigration était attendue depuis longtemps. Il a souhaité que le texte donne les moyens de vérifier clairement, au cas par cas, la réalité de l'intégration de l'immigrant à la société française, et qu'il permette également de lutter efficacement contre les regroupements familiaux illégaux.

Il a ensuite demandé au ministre d'État de préciser la position du Gouvernement en ce qui concerne l'ouverture du marché du travail national aux ressortissants des pays d'Europe centrale et orientale entrés dans l'Union européenne, notamment au regard de l'échéance de la période transitoire le 1er mai prochain.

Il s'est également interrogé sur l'absence de changement fondamental du droit de la nationalité outre-mer et sur la possibilité de revenir ponctuellement sur l'application du « droit du sol » à Mayotte, tout en notant que la mission d'information sur la situation de l'immigration à Mayotte avait estimé qu'il ne s'agissait pas du principal problème et que cela poserait des difficultés constitutionnelles.

Il a enfin suggéré que les nouvelles conditions posées pour le regroupement familial, exigeant 18 mois de présence sur le territoire, l'existence de revenus du travail suffisants et le respect des principes républicains, soient complétées par une condition supplémentaire relative au logement.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a estimé qu'un amendement parlementaire ajoutant une condition de logement aux différentes conditions exigées pour le regroupement familial serait particulièrement bienvenu.

En ce qui concerne les ressortissants des pays d'Europe centrale et orientale, il a annoncé une ouverture sectorielle du marché du travail, progressivement mise en place au cours de l'année 2006, décidée par le Gouvernement avec l'accord de principe des partenaires sociaux. Il a précisé que les principaux secteurs concernés dans un premier temps seront l'agriculture, le bâtiment et les travaux publics, l'industrie mécanique, l'hôtellerie et la restauration, la boucherie et la boulangerie.

Il a précisé que la suppression du droit du sol à Mayotte poserait un problème de constitutionnalité, et qu'il n'existe par ailleurs pas de consensus politique sur une telle orientation. Il a ajouté que le projet de loi propose des mesures moins emblématiques qui pourront être tout aussi efficaces afin de lutter contre l'immigration illégale à Mayotte. En s'inspirant largement des propositions de la récente mission d'information de la commission des Lois, le projet propose ainsi de créer une procédure d'opposition judiciaire à la reconnaissance de paternité, de restreindre la procédure propre à Mayotte de la dation de nom, de mettre à la charge personnelle du père procédant à la reconnaissance d'un enfant naturel les frais de maternité, et enfin de sanctionner les reconnaissances de paternité de complaisance.

Soulignant son attachement au « droit du sol », le ministre d'État a estimé que sa suppression à Mayotte aurait pour conséquence de polariser les débats sur ce point, au risque d'occulter toutes les autres facettes de la question de l'immigration.

Déclarant s'exprimer au nom du groupe socialiste, sans prétendre entrer dans le détail technique d'un texte non encore communiqué aux députés, M. Bernard Roman s'est tout d'abord étonné que le ministre d'État se déclare être sur une position de rupture, alors même qu'il a déjà présenté au cours de l'actuelle législature plusieurs textes relatifs à l'immigration.

Il a annoncé que le groupe socialiste mènerait le débat politique qui s'impose pour défendre les fondements de la République.

Il a exprimé son indignation à l'égard de l'expression d'« immigration subie », en s'appuyant sur sa propre expérience familiale pour rappeler que les immigrés n'avaient jamais été choisis dans le passé et s'étaient pourtant intégrés. Il a estimé que l'emploi de cette expression ne peut qu'inciter la société française à porter un regard négatif sur les immigrés et qu'une telle attitude est inacceptable.

Il a jugé que la rupture annoncée par le ministre d'État est une rupture avec les valeurs de la République, et qu'une bataille politique s'impose afin de contrer certaines mesures, en ce qui concerne le mariage, le regroupement familial, ou encore l'octroi de la carte de résident pour 10 ans. Il a réclamé la transparence sur les chiffres du regroupement familial, s'étonnant que les données pour 2005 annoncent tantôt 25 000 et tantôt 52 000 personnes concernées par cette politique. Il s'est étonné que le droit comparatif soit mobilisé à l'appui de la suppression de la carte de résident, alors même que la plupart des pays européens connaissent des mécanismes de cette nature, parfois même pour des durées plus longues.

Il a estimé que les mesures proposées iront à l'encontre de l'objectif poursuivi. Expliquant que, dans tous les pays où il n'existe pas de régulation progressive de l'immigration, des régularisations massives s'imposent à terme, il a souhaité que la France poursuive la politique de régulation mise en place entre 1997 et 2002, pour éviter d'être confrontée dans quelques années à des régularisations massives, à l'instar de la situation espagnole.

Puis, M. Bernard Roman a demandé au ministre d'État si une concertation préalable avait eu lieu avec l'ensemble des organisations qui travaillent sur le sujet.

Enfin, rappelant que pour faire face au « bug » informatique de l'an 2000, de simples mesures réglementaires avaient permis de faire venir des informaticiens étrangers sans que soit soulevé par les directions départementales du travail le principe d'opposabilité de la situation de l'emploi, il a demandé au ministre d'État s'il avait envisagé, avant de légiférer, de régler un certain nombre de questions - notamment celle de l'opposabilité - par voie règlementaire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a tout d'abord rappelé que, le projet de loi ayant été examiné le matin même en Conseil des ministres, il était impossible de le transmettre plus tôt aux députés.

Il s'est réjoui que ce projet de loi suscite un véritable débat politique, mais s'est étonné que M. Bernard Roman suggère d'utiliser la voie règlementaire qui, à l'inverse de la discussion législative, interdit le débat et ne constitue pas une solution politique. Rappelant son engagement en faveur des droits du Parlement, le ministre d'État a, à cette occasion, suggéré qu'au-delà des fonctions législative et de contrôle, le Parlement puisse, par la voie de résolutions, prendre des positions politiques.

Il a également souhaité que le Parlement puisse avoir à sa disposition des organismes qui lui fournissent des statistiques, afin de garantir la neutralité et l'objectivité des chiffres. En ce qui concerne les 80 000 cartes familiales délivrées en 2005, 50 000 l'ont été pour des mariages, 25 000 pour des regroupements familiaux et 5 000 pour vie privée et familiale.

Le ministre d'État a assuré que la concertation a été menée avec tous ceux qui en ont exprimé la volonté et il a souligné l'importance de la participation de tous à ce débat et non uniquement de ceux qui se sont intitulés spécialistes de la question.

Il a estimé que l'indignation exprimée par M. Bernard Roman à propos de l'expression d'« immigration subie » n'a pas lieu d'être, et qu'il faut clairement distinguer les formes actuelles d'immigration de celles de l'immédiat après-guerre, lorsque la France se reconstruisait et qu'il existait un besoin considérable de main d'œuvre. Il a précisé que l'expression d'« immigration subie » ne procède pas d'une analyse morale mais se borne à constater qu'il existe une immigration illégale et que cette immigration, qui n'est pas choisie, ne doit pas être considérée de la même manière que l'immigration légale.

Contestant ainsi le procès sémantique intenté au rapporteur, le ministre d'État s'est félicité de faire partie d'un groupe politique qui n'a jamais contribué à faire entrer le Front national à l'Assemblée nationale.

M. Bernard Roman a alors rappelé que tel ou tel député de l'actuelle majorité avait cependant permis l'entrée du Front national dans des exécutifs régionaux.

M. Claude Goasguen a considéré que le projet de loi présenté revêt un caractère fondamental et initie une nouvelle politique de l'immigration, qui se distingue de l'accumulation de mesures opérée depuis trente ans sans cohérence globale et qui est en outre adapté à la conjoncture économique et sociale.

M. Claude Goasguen s'est également réjoui de l'implication du Parlement dans l'analyse des questions d'immigration, alors qu'il a été exclu jusqu'à présent de la détermination des politiques migratoires. Ainsi, lors du débat sur la loi du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, dite loi reseda, il n'a pas été possible d'obtenir les informations souhaitées et de mener un véritable débat public. Or, c'est le rôle du Parlement d'être un arbitre entre les positions contradictoires exprimées sur le sujet.

M. Claude Goasguen s'est ensuite interrogé sur les conditions d'exécution de la future loi. Relevant que les difficultés du contrôle constituent l'un des principaux problèmes, il a demandé si des mesures administratives et financières seraient prises pour assurer une meilleure exécution. Il a également souhaité connaître les intentions du Gouvernement en matière d'évolution de l'aide médicale de l'État (ame), qui est la source de nombreux abus.

M. Arnaud Montebourg a exprimé son inquiétude devant les mesures envisagées, qui soulèvent de réelles difficultés au regard de la tradition républicaine et des libertés publiques, à l'instar d'autres lois adoptées sous la présente législature. L'adoption d'un dispositif plus restrictif sur les mariages mixtes en 2003 soumet déjà de nombreux couples dont les intentions matrimoniales sont sincères à des intrusions et des humiliations de la part de l'administration préfectorale, au mépris des valeurs d'humanité. Ce dispositif n'a été appliqué que récemment, étant donné que le décret d'application n'a été publié qu'au début de l'année 2005, et n'a pas encore été évalué. Il est donc prématuré d'adopter des mesures encore plus contraignantes alors que des effets pervers sont déjà apparus pour des dispositions introduites depuis peu.

Rappelant que, même si le texte devait être jugé conforme à la Constitution, par un Conseil constitutionnel qui apparaît aujourd'hui comme une institution dévalorisée, M. Arnaud Montebourg a estimé que le problème de sa conformité au droit européen se poserait, et il a conclu son propos en appelant le ministre d'État à accorder plus d'attention aux personnes qui défendent le respect des droits de l'Homme.

Après s'être félicité que le Parlement puisse discuter de cet enjeu de société important qu'est l'immigration, M. Michel Piron a souligné le lien crucial qui unit immigration et intégration. Il a ensuite déclaré que le « dialogue des cultures » n'est possible que si chacun assume au préalable sa propre culture. Il a enfin demandé s'il était prévu d'accroître les actions de formation à destination des enfants, mais également de leurs parents, qui doivent être impliqués. En effet, l'éducation et la formation, notamment l'apprentissage de la langue, ont une importance décisive car elles conditionnent le respect de la loi.

M. Jean-Pierre Soisson a jugé positif d'engager un débat politique qui permette d'aborder toutes les questions sensibles. En réponse à M. Bernard Roman, il a rappelé qu'il avait été élu en 1992, alors qu'il appartenait à un gouvernement de gauche, à la présidence du conseil régional de Bourgogne avec le soutien du Président de la République de l'époque.

Il a ensuite regretté le manque de lisibilité du projet de loi, qui apporte des modifications à plusieurs textes épars. Ce pointillisme, que n'aurait pas désavoué Georges Seurat, ne met pas en évidence les objectifs de la loi et ne permettra pas aux autres États d'identifier l'orientation générale de la réforme.

En réponse aux intervenants, le ministre d'État a apporté les précisions suivantes :

-  la multiplicité des textes relatifs à l'immigration pose effectivement un problème de cohérence et un effort de codification s'impose. Toutefois, cette situation apparaît comme le résultat des structures administratives, avec trois ministères - Affaires étrangères, Affaires sociales et Intérieur - se partageant des compétences en matière d'immigration. Ainsi, deux textes distincts ont été présentés en 2003, car le ministère de l'Intérieur était compétent pour les questions d'ordre public et le ministère des Affaires étrangères pour le droit d'asile. Le Gouvernement actuel est le premier à avoir chargé le ministre de l'Intérieur de coordonner les différents volets de la politique d'immigration, comme c'est le cas dans la quasi-totalité des pays de l'Union européenne. À l'avenir, il serait opportun de créer un ministère de l'immigration, car celle-ci constitue un sujet politique majeur ;

-  deux décrets ont été adoptés pour réformer l'ame et un troisième le sera prochainement. Le Parlement peut également prendre l'initiative de réviser ce dispositif ;

-  le projet de loi n'est pas contraire aux valeurs républicaines et aux principes fondamentaux du droit français. Il a d'ailleurs été entièrement « validé » par le Conseil d'État ;

-  si un mariage est sincère, une attente de trois ans pour la délivrance d'une carte de résident ne paraît pas être un obstacle insurmontable ;

-  le lien entre immigration et intégration, de même que l'apprentissage de la langue, sont des sujets essentiels. C'est pourquoi le projet de loi comporte un volet consacré aux mères de famille. En effet, dans certaines communautés très repliées sur elles-mêmes, les femmes n'apprendront le français que si cela constitue une obligation.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné M. Thierry Mariani, rapporteur sur le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration (n° 2986)

La Commission a désigné M. Michel Piron, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la fonction publique territoriale (n° 2972).

La Commission a désigné M. Claude Goasguen, rapporteur sur la proposition de loi relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives (n° 2999).

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