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COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 53

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 28 juin 2006
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Philippe Houillon, président

SOMMAIRE

 

Pages

- Examen, en application de l'article 88 du Règlement, des amendements au projet de loi de modernisation de la fonction publique (n° 3134) (M. Jacques-Alain Bénisti, rapporteur)


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- Examen, en application de l'article 86, alinéa 8, du Règlement, du rapport sur la mise en application de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales (M. Alain Gest, rapporteur)



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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Jacques-Alain Bénisti, en application de l'article 88 du Règlement, les amendements au projet de loi de modernisation de la fonction publique (n° 3134).

Article 3 (art. L. 970-1 à L. 970-5 et L. 970-6 [nouveau] du code du travail) : Définition et contenu de la formation professionnelle tout au long de la vie des agents publics :

- article L. 970-6 [nouveau] du code du travail : Formation des personnes n'ayant pas la qualité d'agents publics :

La commission a repoussé les amendements nos 70 et 71 de Mme Muguette Jacquaint.

Article additionnel après l'article 3 : Coordination :

La commission a adopté un amendement de coordination du rapporteur.

Article 5 (art. 19, 26 et 58 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984) : Prise en compte de l'expérience professionnelle dans le cadre des concours et de la promotion interne dans la fonction publique de l'État :

La commission a repoussé l'amendement n° 73 de Mme Muguette Jacquaint. Elle a en revanche adopté deux amendements présentés par le rapporteur plaçant l'expérience et la valeur professionnelles au cœur de la promotion des fonctionnaires de l'État et destinés à se substituer aux amendements nos 17 et 18 de la Commission.

Article 6 (art. 29, 35 et 69 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986) : Prise en compte de l'expérience professionnelle dans le cadre des concours et de la promotion interne dans la fonction publique hospitalière :

La commission a repoussé l'amendement n° 74 de Mme Muguette Jacquaint et a adopté deux amendements du rapporteur plaçant l'expérience et la valeur professionnelles au cœur de la promotion des fonctionnaires de la fonction publique hospitalière, ayant vocation à se substituer aux amendements nos 22 et 23.

Article 7 (art. 41 à 44 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984) : Modification du périmètre et des conditions de la mise à disposition :

La commission a repoussé les amendements nos 75, 76 et 77 de Mme Muguette Jacquaint. Puis, elle a adopté un amendement du rapporteur déplaçant une disposition législative dans la section pertinente de la loi du 11 janvier 1984.

Article 10 (art. 432-13 du code pénal) : Encadrement du départ des agents publics vers le secteur privé :

La commission a repoussé l'amendement n° 78 de Mme Muguette Jacquaint.

Article 11 (art. 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993) : Renforcement des commissions de déontologie :

La commission a repoussé les amendements nos 79, 80 et 81 de Mme Muguette Jacquaint. Elle a ensuite adopté deux amendements de coordination et un amendement rédactionnel présentés par le rapporteur.

Le rapporteur a donné un avis favorable à l'amendement n° 68 de M. Francis Delattre, jugeant utile que l'un des membres de la commission de déontologie ait exercé des responsabilités dans le secteur privé. La commission a accepté cet amendement, puis elle a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur.

Article 12 (art. L. 413-5, L. 413-10 et L. 413-13 du code de la recherche) : Application du délai de deux ans au contrôle de la commission de déontologie sur les chercheurs collaborant avec des entreprises privées :

La commission a adopté un amendement de coordination et un amendement corrigeant des erreurs de référence, présentés par le rapporteur.

Article 13 (art. 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983) : Redéfinition de l'interdiction de cumul d'activités et de ses exceptions :

La Commission a repoussé l'amendement n° 82 de Mme Muguette Jacquaint.

Article 14 (art. 37 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, 60 bis de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et 46-1 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986) : Possibilité de service à temps partiel pour l'agent public qui crée ou reprend une entreprise :

Elle a également repoussé l'amendement n° 69 du même auteur.

Article 16 Abrogation du décret-loi du 29 octobre 1936 et suppression des règles de cumul plus restrictives applicables aux agents à temps partiel :

La Commission a adopté un amendement présenté par le rapporteur corrigeant une référence.

Article 17 : Coordinations au sein du code du travail :

Elle a adopté un amendement présenté par le rapporteur corrigeant également une référence.

Après l'article 17 :

La Commission a ensuite examiné l'amendement n° 59 présenté par M. Pierre Morel-A-L'Huissier permettant, dans le cadre d'une expérimentation de trois ans destinée à favoriser le maintien des services publics dans les zones de revitalisation rurale, à un fonctionnaire, après accord de sa part, de cumuler des emplois à temps non complet, l'intéressé ayant la garantie de bénéficier d'une rémunération équivalente à celle d'un temps complet.

Après que M. Michel Piron eut souligné que ce type d'expérimentation méritait d'être étendu pour lutter contre tous les cloisonnements qui pouvaient freiner le dynamisme de la fonction publique, la Commission a accepté l'amendement n° 59.

Article additionnel avant l'article 18 (art. 9 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983) : Définition de l'action sociale dans les trois fonctions publiques :

Puis elle a adopté un amendement présenté par le rapporteur fixant dans la loi statutaire de 1983 une définition commune plus précise et plus complète de l'action sociale pour les trois fonctions publiques.

Après l'article 22 :

La Commission a accepté les amendements nos 86 et 87 du Gouvernement, le premier précisant que le calcul des effectifs des centres de gestion permettant de définir le seuil minimal d'emploi de 6 % de travailleurs handicapés ne prend pas en compte les agents non permanents, le second étendant cette même règle de calcul à l'ensemble des employeurs des trois fonctions publiques, seuls les emplois d'une durée supérieure à six mois devant désormais être pris en compte.

Article additionnel après l'article 22 (art. 15 de la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973) : Recrutement des collaborateurs du Médiateur de la République :

La Commission a été saisie d'un amendement présenté par le rapporteur disposant, d'une part, qu'il est fait une distinction entre les collaborateurs de cabinet du Médiateur et les agents des services de la médiature, et, d'autre part, que des fonctionnaires des trois fonctions publiques peuvent être mis à disposition du Médiateur. Après que M. Bernard Derosier se fut interrogé sur la nécessité, pour le Médiateur, de disposer d'un cabinet, la Commission a adopté cet amendement.

Après l'article 24 :

La Commission a ensuite accepté l'amendement n° 85 du Gouvernement permettant d'ouvrir davantage l'accès au grade de conseiller du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel par la voie du tour extérieur, M. Pierre Morel-A-L'Huissier ayant souligné que les retards dans les délais de traitement des affaires par les juridictions administratives méritaient d'élargir ce corps.

Elle a également accepté les amendements nos 91 et 83 du Gouvernement, le premier clarifiant la situation juridique des fonctionnaires qui cessent leur activité pour se consacrer à un mandat mutualiste en créant un nouveau cas de détachement similaire à celui qui existe pour les fonctionnaires titulaires d'un mandat électif, le second permettant aux fonctionnaires de l'État de bénéficier de l'assurance chômage en cas de perte involontaire d'emploi.

Par ailleurs, la Commission a été saisie des amendements nos 63, 60 et 61 de M. Marc Le Fur ayant pour objet de poser certaines règles en matière de droit de grève dans la fonction publique. Le rapporteur ayant estimé que le fait qu'un tel sujet n'ait pas fait l'objet de discussion préalable avec les syndicats, contrairement à l'ensemble des dispositions du projet de loi, constituait un obstacle dirimant à l'adoption de ces trois amendements, la Commission les a repoussés.

Elle a également repoussé l'amendement n° 67 de M. Georges Tron, le rapporteur ayant précisé que son objet était satisfait par l'amendement qu'il avait présenté avant l'article 18.

En revanche, la Commission a accepté l'amendement n° 90 du Gouvernement permettant de donner une base légale conforme au droit communautaire au financement par les personnes publiques de garanties de protection sociale complémentaire, le rapporteur ayant fait observer qu'une telle disposition aurait sans doute permis de recueillir la signature de plusieurs syndicats lors de la conclusion du protocole du 25 janvier 2006.

Elle a également accepté l'amendement n° 89 du Gouvernement rapprochant le droit au congé de longue durée des fonctionnaires du droit commun des travailleurs salariés.

Mais, après que le rapporteur eut fait observer que le dernier rapport de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation sur les autorités administratives indépendantes présentait des pistes de réforme intéressantes qui justifiaient une réflexion approfondie, elle a repoussé l'amendement n° 62 de M. Marc Le Fur tendant à subordonner la nomination du directeur d'une agence administrative indépendante à son audition par le Parlement.

Après l'article 26 :

La Commission a accepté l'amendement n° 84 du Gouvernement l'autorisant à adopter par ordonnance la partie législative du code général de la fonction publique.

Elle a également accepté l'amendement n° 88 du Gouvernement permettant, de manière rétroactive, de rétablir l'égalité de traitement entre les magistrats affectés à l'École nationale de la magistrature et les autres magistrats entre le 1er janvier 2002 et l'entrée en vigueur du décret n° 2004-422 du 12 mai 2004 et du décret n° 2007-970 du 8 septembre 2004 relatifs aux emplois de direction de cette école.

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La Commission a procédé, sur le rapport de M. Alain Gest, à l'examen, en application de l'article 86, alinéa 8, du Règlement, de la mise en application de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

Le rapporteur a souligné la nécessité d'établir un bilan de la mise en œuvre de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, et notamment d'établir un état des lieux des transferts de compétences, des transferts de personnels et des expérimentations. Le rapport intervient plus d'un an et demi après la publication de la loi, car celle-ci est entrée en vigueur de manière progressive. Les premiers transferts ont eu lieu au 1er janvier 2005, mais certains débutent au 1er janvier 2007, tandis que la plupart des expérimentations ont été initiées en janvier 2006. Les transferts de personnels se déroulent en plusieurs étapes, avec le début des transferts définitifs au 1er janvier 2007. Il n'est donc pas possible d'établir un bilan définitif à ce stade, puisque la mise en œuvre de la loi n'est pas achevée.

Plutôt que de détailler les 202 articles de la loi, il est préférable de se concentrer sur les principaux éléments, c'est-à-dire la publication des textes d'application, les transferts et délégations de compétences, les expérimentations, les transferts de personnel et la compensation financière. Pour réaliser ce travail, les ministères concernés et les associations d'élus ont été auditionnés et des déplacements ont été effectués, en Poitou-Charentes et dans la Somme, pour rencontrer les élus locaux et les services déconcentrés de l'État.

En ce qui concerne l'adoption des décrets d'application, une période de latence relativement longue s'est écoulée jusqu'en mars 2005, pendant laquelle seuls les décrets absolument nécessaires ont été publiés. C'est par exemple le cas du décret mettant en place la commission consultative d'évaluation des charges - commission qui a fait un travail très apprécié des collectivités locales et qui a eu une influence significative sur les conditions financières des transferts. Les décrets ne posant aucun problème particulier ont été adoptés au cours du second semestre 2005, avec la publication de nombreux décrets au mois de décembre pour que certains transferts soient effectifs au 1er janvier 2006. Les décrets restants sont progressivement pris depuis le début de l'année 2006. Au total, sur près de 70 décrets d'application prévus par la loi, plus de 50 ont été publiés, quatre devraient bientôt l'être et onze sont en cours d'élaboration. Globalement, on constate donc un réel effort des ministères pour élaborer les décrets, mais également les 37 circulaires d'application qui ont été très utiles pour guider le processus de transfert des compétences. Cependant, pour les articles issus d'amendements parlementaires adoptés contre l'avis du Gouvernement, la parution des décrets est difficile. C'est le cas, par exemple, du décret relatif à l'expérimentation en matière de création d'écoles primaires par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), que le ministère de l'éducation nationale n'a pas présenté au motif qu'il n'y avait pas de candidats et que le contexte était délicat compte tenu de la grève administrative des directeurs d'école. Or, étant donné qu'il y a désormais des candidats et que le conflit avec les directeurs d'école est sur le point d'être réglé, il n'y a plus de raison de retarder l'adoption de ce décret. Le transfert aux régions de certains lycées agricoles a également fait l'objet de réticences. Enfin, des problèmes se sont posés pour le transfert des routes nationales à La Réunion et à la Guyane. Sous réserve de ces cas, le travail d'élaboration des décrets a été convenablement mené.

Les transferts et délégations de compétences ont eu lieu ou sont en cours dans le respect des délais fixés par la loi. Ainsi, pour le transfert de 18 000 km de routes nationales aux départements, les arrêtés préfectoraux de transfert ont été publiés dans tous les départements de métropole sauf celui de la Seine-Saint-Denis. De nombreuses collectivités ont déposé leur candidature pour les ports ou les aéroports. La loi prévoyait en effet la possibilité de candidatures multiples, le préfet devant désigner la collectivité bénéficiaire. En pratique, les collectivités candidates ont plutôt constitué des syndicats mixtes.

Pour les transferts facultatifs, les demandes des collectivités sont rares. Par exemple, la délégation du contingent préfectoral de logement sociaux ne concerne qu'une trentaine de communes, trois collectivités sont intéressées par le transfert des logements étudiants et seule une trentaine des 176 monuments historiques proposés sera effectivement transférée. Ce manque d'intérêt s'explique, d'une part, par la crainte des collectivités locales de se voir transférer des ressources insuffisantes pour exercer ces compétences, compte tenu des dépenses engagées par l'État, et, d'autre part, par le manque de volontarisme de l'État, notamment en matière de logement.

Certains transferts peuvent faire l'objet de critiques. Ainsi, certaines compétences transférées demeurent strictement encadrées par l'administration de l'État, par exemple en matière de formations sociales ou paramédicales : l'État définit un cahier des charges et dresse la liste des organismes pouvant être agréés, ce qui réduit l'autonomie de la région. La possibilité de recentraliser les politiques de prévention sanitaire menées par les départements a abouti à une situation peu lisible, avec par exemple, en Poitou-Charentes, un département qui conserve la compétence, un autre qui la transfère à l'État et les deux derniers qui ne la recentralisent que partiellement. La délégation des aides versées par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), prévue par un amendement parlementaire, n'a pas été mise en œuvre, car les services de l'État n'ont pas informé les collectivités locales de cette possibilité. Les sénateurs avaient souhaité que la délégation des aides à la pierre puisse bénéficier aux communautés de communes sans condition de taille, mais très peu de communautés de communes en ont fait la demande. Enfin, la question du transfert des parcs de l'équipement se posera sans doute, dans le prolongement du transfert des routes nationales d'intérêt local.

Les expérimentations se mettent en place avec un certain retard sur le calendrier, qui prévoyait qu'elles débutent en janvier 2006. Il faudra donc tenir compte de ce retard au moment de dresser le bilan des expérimentations. La plupart des possibilités d'expérimentation sont peu utilisées, une région ayant été retenue pour le financement des équipements sanitaires, quatre communes pour la lutte contre l'insalubrité dans l'habitat, quatre ou cinq départements pour la protection judiciaire de la jeunesse. Dans ce dernier cas, les interrogations des départements sur le contenu réel et les implications financières de cette politique expliquent le faible nombre de demandes. En revanche, l'expérimentation de l'élaboration par les régions d'un schéma régional de développement économique est mise en œuvre dans la plupart des régions, même si elle se traduit de manière très variable entre les différentes régions. Par exemple, la région Poitou-Charentes a voté un schéma très en amont mais sans concertation avec les départements, ce qui a empêché de signer la convention avec l'État jusqu'à présent. Enfin, l'État est réservé sur la généralisation de l'expérimentation en matière de fonds européens. Il conviendrait d'adopter des mesures législatives pour prolonger l'expérimentation au-delà du 31 décembre 2008 et, à cette occasion, d'étendre l'expérimentation à un plus grand nombre de collectivités. Par exemple, la gestion du FEDER, qui est expérimentée uniquement par l'Alsace, intéresse d'autres régions.

En ce qui concerne les transferts de personnel, la loi du 13 août 2004 a prévu le transfert, en plusieurs étapes, de plus de 90 000 agents techniciens, ouvriers et de service (TOS) des collèges et des lycées, ainsi que de 30 000 agents des directions départementales de l'équipement (DDE). La première étape est la mise à disposition, qui a lieu soit par la conclusion d'une convention entre l'État et la collectivité territoriale, soit par arrêté après avis de la commission nationale de conciliation. Cette étape arrive à son terme et a été achevée en septembre 2005 pour les TOS. Pour les agents des DDE, le délai de négociation des conventions a été repoussé au 31 mars 2006, ce qui a permis de trouver un accord avec 70 départements. La seconde étape, de transfert définitif, commencera au 1er janvier 2007, avec l'exercice par les agents de leur droit d'option entre la fonction publique de l'État et la fonction publique territoriale, et durera plusieurs années car le droit d'option est ouvert pendant deux ans. Même s'il est trop tôt pour disposer d'estimations, il est très probable que la majorité des agents optent pour la fonction publique territoriale, qui apporte de nombreuses garanties, notamment en matière indemnitaire. Les inquiétudes initiales de certains personnels ont ainsi pu être dissipées.

Le processus de transfert des personnels est favorisé par l'existence d'organismes créés par la loi du 13 août 2004 tels la commission commune de suivi des transferts de personnels et les commissions tripartites locales, qui ont été associés aux travaux préalables aux transferts définitifs, comme la définition des cadres d'emplois d'accueil. La question de la compensation financière des emplois non pourvus a été traitée par la commission consultative sur l'évaluation des charges.

Les débats sur le nombre d'agents transférés ont été peu nombreux, à l'exception de la question des emplois supports et d'encadrement. Par exemple, très peu d'ingénieurs des services de l'équipement ou de personnels chargés de la gestion des TOS ont été transférés. Il convient d'éviter de reproduire l'erreur commise lors de l'acte I de la décentralisation, pendant lequel le refus de transférer certains agents de l'État avait eu pour effet de créer des doublons entre les deux fonctions publiques. Hormis ces cas particuliers, la quasi-totalité des effectifs transférés ont été calculés de manière correcte et honnête.

Il est encore trop tôt pour estimer les conséquences financières des transferts de personnels sur les collectivités, car celles-ci seront liées aux décisions de chaque collectivité en matière de régime indemnitaire.

En matière de compensation financière, la commission consultative sur l'évaluation des charges a constaté que la compensation des charges nouvellement transférées a bien été effectuée à l'euro près. Elle a également été le cadre de négociations sur les demandes des élus, qui ont permis d'augmenter de près de 130 millions d'euros la compensation financière, qui avait été estimée initialement à 1,4 milliard d'euros pour 2005. La compensation financière est donc allée au-delà de la stricte application de la loi. Pour les régions, en particulier, les conséquences financières de la loi du 13 août 2004 sont apparues satisfaisantes, et on ne peut leur imputer l'augmentation des impôts.

En revanche, d'autres lois, notamment en matière d'action sociale, posent des problèmes financiers. C'est le cas de la loi sur le revenu minimum d'activité (RMI), adoptée avant la loi du 13 août 2004, qui est intervenue alors que le nombre de bénéficiaires du RMI était croissant. Cependant, il ne faut pas oublier que l'État a accordé une compensation financière supplémentaire en 2004 et en 2005, comme il le fera probablement en 2006. C'est également le cas de la loi sur le handicap, dont les départements évaluent encore difficilement les conséquences financières. Il conviendra d'être attentif à ces questions lors de l'examen du projet de loi sur la protection de l'enfance, qui prévoit la création de 3 000 à 4 000 emplois par les conseils généraux, ou du projet de loi portant réforme des tutelles.

Le rapporteur a conclu que l'application de la loi du 13 août 2004 s'est révélée très satisfaisante. La négociation a été constante entre l'État et les collectivités territoriales, même lorsque ces dernières refusaient pour des raisons de principe de signer les conventions de transfert, ce qui a permis de mettre en œuvre les transferts sans problème majeur, et l'évaluation de la compensation financière et des effectifs transférés a été transparente. Les collectivités ne remettent pas en cause le bien-fondé des transferts opérés sur le fondement de la loi du 13 août 2004, mais elles souhaitent avoir le temps d'assumer leurs nouvelles compétences et bénéficier d'une pause dans les transferts et les lois ayant des effets induits sur les finances locales. Les collectivités connaissent des modifications importantes de leurs structures, notamment les régions, qui devraient voir leurs effectifs multipliés par trois ou quatre. Il convient donc de ne pas mettre les collectivités locales dans une situation financière plus délicate.

Le Président Philippe Houillon a salué le travail réalisé par le rapporteur en soulignant qu'il ne se borne pas à recenser les nombreux textes d'application de la loi et à faire le point sur leur entrée en vigueur mais qu'il constitue un bilan circonstancié de sa mise en œuvre et présente les caractéristiques d'un véritable rapport d'évaluation.

Après avoir considéré que le rapport d'application constitue une bonne base de référence pour apprécier les modifications qu'il convient d'apporter à la mise en œuvre de la loi de décentralisation, M. Bernard Derosier a regretté que, à la différence de la Commission consultative d'évaluation des charges qui permet d'améliorer les relations entre l'État et les collectivités territoriales, la Commission de conciliation ne fonctionne pas, faute de réelle volonté de conciliation de la part de l'État. Les administrations centrales et certains ministres considèrent encore les collectivités territoriales comme des services déconcentrés de l'État, auxquels ils adressent des circulaires comminatoires, notamment en matière d'action sociale.

Par ailleurs, la législation relative au transfert aux départements de la lutte contre les moustiques, qui fait l'objet de développements dans le rapport, n'est pas satisfaisante. Cette compétence qui touche à la santé publique devrait en effet relever des pouvoirs régaliens de l'État, les collectivités territoriales n'ayant aucun moyen pour décider du choix d'un insecticide.

Le retard constaté dans la publication des décrets n'est pas un problème nouveau, les services de l'État, et en particulier ceux de l'éducation nationale, faisant indéniablement preuve de mauvaise volonté. À titre d'exemple, le décret d'application de la loi de février 2005 créant la prestation de compensation du handicap n'est paru que le 19 décembre 2005 pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2006, mettant ainsi les départements dans l'impossibilité de mener la concertation nécessaire à la mise en œuvre de ce texte.

Le transfert des moyens humains ne s'est pas réalisé de manière satisfaisante dans la mesure où les services déconcentrés de l'État ont tout fait pour conserver leurs emplois budgétaires. Ainsi, pour l'établissement du schéma de traitement des déchets, il a été proposé au département du Nord le transfert de 0,01 équivalent temps plein. S'agissant du transfert des moyens financiers, les difficultés découlent moins de la loi d'août 2004 que d'autres textes. Le transfert du RMI en est l'exemple le plus révélateur : alors que, pour 2005, la dérive du coût du RMI atteint un milliard d'euros, le Premier ministre annonce que la rallonge de l'État sera seulement de 500 millions d'euros. En outre, l'apurement de la gestion 2004 n'a été réalisé qu'en février 2006. De même, le coût des routes nationales transférées n'est actuellement pas compensé : dans le département du Nord, pour 430 kilomètres de routes, l'État a transféré 5,3 millions d'euros alors que le coût de remise en état du réseau estimé à 440 millions d'euros.

Enfin, l'emploi de l'expression « contrôle de légalité », s'agissant du contrôle administratif des actes confié au Préfet, est contestable, seul le juge administratif étant à même de se prononcer sur la légalité des actes en cause.

M. Guy Geoffroy a salué le travail d'évaluation réalisé par le rapporteur. Rappelant que la loi organique du 29 juillet 2004 dont il était le rapporteur a consacré le principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales, il a souhaité savoir si le respect de ce principe soulève des difficultés, et annoncé son attention de réaliser un rapport sur la mise en application de cette loi.

Après s'être félicité de la présentation de rapports d'application des lois dans le cadre de l'article 86 alinéa 8 du Règlement, pratique dont il a estimé qu'elle se révélait à chaque fois un peu plus utile et s'apparentait davantage à une mise en perspective qu'à un bilan, M. Christian Decocq s'est interrogé sur les relations entre les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), tout particulièrement entre les grandes villes et les communautés urbaines, en regrettant la part limitée consacrée à ces dernières dans le rapport. Se référant au contexte actuel dans lequel les EPCI sont amenés à affirmer et à exercer leurs compétences face aux communes, il s'est interrogé sur les difficultés présentes à définir l'intérêt communautaire, par exemple dans le domaine culturel.

M. Patrick Delnatte a souhaité mentionner l'existence, outre le district européen de la côte d'opale, de l'eurodistrict franco-belge qui constitue une expérience intéressante, préparée par un groupe de travail mis en place par les deux Gouvernements.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier a réfuté les arguments selon lesquels l'acte II de la décentralisation aurait été faussé par d'insuffisants transferts financiers de la part de l'État. Il a estimé que les lois de 1982 et 1983 présentaient, quant à elles, moins de garanties en termes de compensations pour les collectivités territoriales. Il s'est ensuite interrogé sur la notion de contrôle de légalité, en faisant valoir qu'il ne saurait être question de restreindre l'autonomie des collectivités locales.

En écho à plusieurs interrogations relatives au contrôle de légalité, le président Philippe Houillon a rappelé les termes du dernier alinéa de l'article 72 de la Constitution qui charge le représentant de l'État du « contrôle administratif » ainsi que la portée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel issue de la décision n° 82-137 DC du 25 février 1982 sur la loi relative aux droits et libertés des communes des départements et des régions.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

--  Concernant le fonctionnement de la commission nationale de conciliation évoqué par M. Bernard Derosier, il convient de signaler qu'en amont de l'examen des différends entre l'État et les collectivités territoriales par cette commission, des comités de pilotage ont été institués dans chaque département afin de procéder aux arbitrages au niveau local. La mission de la commission de conciliation n'est par ailleurs pas d'exaucer toutes les demandes des collectivités et ces dernières oublient trop souvent que la décentralisation intervient à un moment donné et n'oblige donc l'État à compenser les compétences transférées qu'à la hauteur des dépenses à ce moment donné ;

--  S'agissant du financement du RMI, l'estimation des dépenses des départements non compensées pour l'année 2005, qui s'élevait à l'origine à 1 milliard d'euros, a été révisée à la baisse, à 800 millions d'euros, par l'Association des départements de France, et le Premier ministre a décidé une surcompensation à hauteur de 500 millions d'euros ;

--  L'observation de M. Bernard Derosier selon laquelle les services de l'État demeurent trop souvent réticents à l'égard de la décentralisation est pertinente. Cependant, la décentralisation peut parfois exiger des contreparties, notamment afin de conserver un système statistique national, et il convient de trouver dans ce cas un système qui permette aux services de l'État d'obtenir des informations auprès des collectivités territoriales sans être pour autant inquisitorial ;

--  Les politiques de santé publique sont l'illustration de politiques pour lesquelles la décentralisation n'est pas forcément la solution pertinente et il aurait été plus satisfaisant de prévoir une recentralisation complète et uniforme des compétences en matière de prévention sanitaire ;

--  Le dysfonctionnement évoqué par M. Bernard Derosier concernant la publication des décrets d'application trouve son illustration dans le fait que certaines circulaires d'application ont dû anticiper la publication des décrets d'application ;

--  La préférence exprimée par M. Bernard Derosier en faveur du terme « contrôle administratif des actes des collectivités territoriales » en lieu et place du terme « contrôle de légalité » est discutable dans la mesure où c'est bien le terme « contrôle de légalité » qui est employé au chapitre II du VII de la loi du 13 août 2004 ;

--  Les moyens humains transférés aux collectivités sont conformes à ceux qui étaient antérieurement employés par l'État. Il n'en demeure pas moins que se pose la question des nouvelles tâches à confier aux personnels des administrations centrales qui étaient chargés des compétences transférées aux collectivités. Il faut souhaiter que le recours à des audits internes réalisés par les services d'inspection de l'administration permette aux services de se réorganiser ;

--  Concernant les routes nationales transférées, il convient de distinguer les crédits de fonctionnement, qui sont à la hauteur des dépenses, et les crédits d'investissement, qui peuvent sembler insuffisants. Cette insuffisance des crédits d'investissement n'est cependant que le reflet de l'impécuniosité de l'État, qui consacrait peu de ressources à l'investissement et qui a conservé dans le réseau routier national non décentralisé les routes qui faisaient l'objet des investissements les plus importants. Du point de vue des départements, le problème des moyens d'investissement doit être relativisé, car les routes nationales d'intérêt local ne représentent souvent qu'une proportion faible, de l'ordre de 10 %, de l'ensemble des routes entretenues par le département. En outre, dans une logique de décentralisation, il reviendra à chaque département de faire des choix en matière d'investissement routier ;

--  M. Guy Geoffroy a eu raison d'attirer l'attention de la Commission sur la question de l'autonomie financière et des conséquences indirectes de la loi du 13 août 2004 sur cette autonomie. En effet, l'une des recettes fiscales transférées pour compenser les transferts de compétence - la TIPP - s'est révélée peu dynamique, et il conviendra de rester attentif à l'évolution de cette recette fiscale. En revanche, la taxe sur les conventions d'assurance automobile est une recette fiscale plus satisfaisante. En outre, certaines recettes fiscales des collectivités territoriales, du fait de leur augmentation soutenue, permettent de conforter l'autonomie financière des collectivités, à l'instar des droits de mutation à titre onéreux perçus par les départements ;

--  Comme l'a bien compris M. Christian Decocq, la loi du 13 août 2004 représente un progrès en matière d'intercommunalité, en prévoyant la définition obligatoire de l'intérêt communautaire d'ici le 17 août 2006. La clarification de la répartition des compétences mettra un terme à une situation actuelle peu satisfaisante dans laquelle les actions des communes et des intercommunalités sont trop souvent enchevêtrées. En revanche, on peut regretter que les possibilités de révision des charges financières respectives des communes et des intercommunalités offertes par la loi du 13 août 2004 soient trop peu utilisées ;

--  Le projet de création d'un district européen pour l'agglomération lilloise, évoqué par M. Patrick Delnatte, n'avait pas été signalé auparavant au rapporteur, sans doute en raison de son état d'avancement.

Puis la Commission a autorisé le dépôt du rapport d'application de la loi en vue de sa publication.


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