COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 8

(Application de l'article 46 du Règlement)

mercredi 24 juillet 2002
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Patrick Ollier,
Président de la Commission de la production et des échanges,

et de M. Pierre Méhaignerie,

Président de la Commission des finances, de l'économie générale et du plan.

SOMMAIRE

 

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- Audition, conjointe avec la commission des finances, de l'économie générale et du plan, de M. Michel Prada, président de la Commission des opérations de bourse


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La commission de la production et des échanges a procédé, conjointement avec la commission des finances, de l'économie générale et du plan,, à l'audition de M. Michel Prada, Président de la Commission des opérations de bourse (COB).

Après s'être félicité d'avoir l'opportunité de rendre compte à l'Assemblée nationale, comme chaque année depuis 1996, de l'activité de la COB, M. Michel Prada a observé que la remise de son rapport, plus tardive qu'à l'accoutumée en raison des élections, correspondait à un contexte de marché perturbé. Cependant, l'action de régulation des marchés s'inscrit dans la durée, contrairement à certains comportements à court terme, à l'origine de certains dysfonctionnements du marché boursier.

Le marché a poursuivi en 2001 la correction amorcée en 2000, qui correspondait à l'éclatement de la bulle Internet et à l'abandon de mirages liés à la nouvelle économie. Cette correction a d'ailleurs été amplifiée à l'automne par une série de chocs, le ralentissement des taux de croissance et l'incertitude sur la reprise économique aux États-Unis. En outre, la situation des marchés émergents a été remise en cause par la crise financière en Turquie et en Argentine. La débâcle d'Enron ainsi que la récente faillite de WorldCom mettent en cause la validité de l'information financière aux États-Unis. Si l'économie vit au rythme de cycles, ce qui n'est pas nouveau, il convient de distinguer entre les entreprises frappées par le retournement de conjoncture - celles relevant des nouvelles technologies et des médias - de celles qui ne suscitent pas ces inquiétudes. De même, il faut différencier entre les faillites frauduleuses et les difficultés conjoncturelles et entre les événements américains et la situation européenne. Certaines données économiques fondamentales sont encourageantes, il convient donc de ne pas céder à ce que Keynes appelle un « comportement animal ». La COB n'a pas pour mission de piloter l'offre et la demande, mais doit veiller à la transparence du marché.

Au cours des 18 derniers mois, l'activité des opérations financières s'est ralentie. Cependant, la COB a été fortement sollicitée quant au suivi de l'information financière des sociétés cotées. La procédure de délivrance des visas, des prospectus et des notes d'information a été réformée en 2002 afin d'accroître la responsabilité des émetteurs, des commissaires aux comptes et des intermédiaires financiers, et de s'adapter aux évolutions du marché. Les règles contribuant à l'intégrité du marché ont été renforcées. Les mesures prises en matière de publicité des rémunérations des dirigeants et l'information sur la politique sociale et environnementale contribuent à un meilleur gouvernement d'entreprise. Les exigences d'indépendance des auditeurs sont renforcées, tout comme les règles applicables aux analystes. Dans le domaine de la gestion d'actifs, dans lequel la France conserve le deuxième rang mondial dans la gestion collective, l'épargne salariale a été réformée. Un rapport de place sur la rémunération des gestionnaires pour compte de tiers a été réalisé, de même qu'une réflexion de place sur l'offre au public des produits de gestion alternative. En outre, la clarification des conditions de distribution et de conseil financier nécessitera une intervention législative. S'agissant des travaux d'enquête, la COB a relevé 1400 situations de marché atypiques, elle a mené 90 enquêtes approfondies et une vingtaines de procédures de sanctions sont en cours. Sept sanctions ont été prononcées en 2001 et vingt dossiers environ ont été transmis au parquet.

L'action internationale de la COB se développe dans le contexte de la globalisation, qui rend particulièrement nécessaire la coopération internationale et européenne des régulateurs. La COB est ainsi membre actif de l'OICV (Organisation internationale des commissions de valeurs mobilières) et du FSF (Financial Stability Forum) . M. Michel Prada a indiqué que l'OICV lui a confié la présidence d'un groupe de travail sur cette coopération, qui a abouti à l'adoption du premier memorandum of understanding international à Istanbul en mai 2002. Au niveau européen, le plan d'action sur les services financiers engagé par la Commission, de même que le processus « Lamfalussy », prévoient un cadre législatif harmonisé et la prise de plusieurs directives, sur les services d'investissement, d'infractions de marché, l'information financière et les normes comptables. Un comité européen des régulateurs de valeurs mobilières a été créé à Paris en septembre 2001. Euronext, première entreprise de marché continentale, regroupant les places de Paris, Amsterdam et Bruxelles, rejointes par le Portugal et le Liffe londonien appelle une régulation harmonisée. Dans ce cadre, la COB contribue à la définition de règles de marché homogènes. En outre, la COB est impliquée dans les travaux du GAFI, et a créé en 2001 l'institut francophone de la régulation financière.

S'agissant du projet de fusion entre la COB et le Conseil des marchés financiers (CMF), le ministre de l'économie a repris le projet de juillet 2000. Cette réforme est nécessaire, tant pour accroître la visibilité du système que pour en améliorer le fonctionnement. Il convient de distinguer la régulation prudentielle de la régulation de marché. L'autorité de marché doit être publique, en charge de l'intérêt général, de la protection des épargnants comme du développement du marché. Elle doit être indépendante, disposer d'un système de sanctions conforme à la Convention européenne des droits de l'homme, être pluridisciplinaire et responsable devant les tribunaux, le Gouvernement et le Parlement.

En ce qui concerne Vivendi Universal, le rôle de la COB n'est pas d'apprécier les questions de stratégie ou de contrôler la gestion, mais la pertinence des informations économiques. Les équipes de la COB ont eu des relations suivies et parfois « musclées » avec celles de l'entreprise en cause. Il s'agissait notamment de faire respecter les normes comptables françaises et pas seulement américaines. On peut estimer que cette mission a été accomplie convenablement. Les informations ont correctement été rendues publiques, mais leur complexité n'a peut être pas permis au marché d'en mesurer la portée. L'entreprise a été prise à revers par le marché, suite à l'acquisition « à brides abattues » d'actifs à prix élevé et du fait d'un endettement excessif. Une enquête est diligentée par le directeur général de la COB sur l'information financière passée. La COB travaille en relations étroites avec la nouvelle équipe dont le Président vient de rappeler le calendrier de travail : lever les craintes sur la situation de liquidité du groupe, déjà sécurisée et qui devrait être consolidée fin août ; publier les comptes semestriels au milieu de l'été ; auditer la situation financière et comptable ; poursuivre le désendettement par des cessions d'actifs dont le recentrage de Canal + est le premier exemple, en fonction d'une stratégie affichée à l'automne. La COB veillera à ce que le marché soit correctement informé.

Dans un contexte de troubles mondiaux et de doutes, il n'y a pas lieu de mettre en cause l'ensemble des entreprises et l'ensemble des règles : la place de Paris est plutôt en avance, même si des progrès sont encore à réaliser. Une mise en _uvre plus effective du gouvernement d'entreprise doit voir le jour, notamment sur le plan de l'éthique professionnelle et financière. Un groupe de travail, dirigé par M. Daniel Bouton, a été créé sur ce sujet. De même, la microstructure doit être mieux maîtrisée, notamment au niveau des mécanismes amplificateurs de la volatilité des prix. Le CMF et la COB ont lancé une étude sur ce sujet. Les investisseurs doivent être appelés à plus de patience, de prudence et à une meilleure répartition des risques. La confiance doit pouvoir être retrouvée, car des signes de reprise de l'économie réelle apparaissent aux Etats-Unis, en Europe et même au Japon. En outre, on peut rappeler que l'indice CAC 40 atteignait 1850 points en 1995. Son niveau actuel doit donc être apprécié au regard de références à long terme. Enfin, la conjoncture actuelle ne doit pas nuire au renforcement de la place de Paris, dont le caractère est stratégique. Il faut donc poursuivre sa modernisation pour en accroître sa performance.

Estimant que le rétablissement du climat de confiance suppose un contrôle efficace de la sincérité des comptes et du bon fonctionnement des marchés, M. Patrick Ollier, président de la Commission de la production et des échanges, s'est demandé si la COB qui, après sa fusion avec le CMF, comptera environ 300 agents, disposait de moyens de contrôle suffisant.

La question du rôle des agences de notation revenant périodiquement et suscitant une certaine inquiétude, tant l'évolution de leur appréciation sur la solidité d'une entreprise peut avoir des conséquences importantes sur les marchés, il a souhaité savoir si on pouvait établir un certain nombre de critères d'objectivité en la matière et s'il était nécessaire de prendre des mesures législatives ou réglementaires en ce domaine.

Rappelant que la confiance dans les marchés passe également par la confiance dans les régulateurs, M. Philippe Auberger s'est interrogé sur l'intégrité au sein même de la COB et a souhaité connaître les mesures prises par celle-ci pour tirer les conséquences de l'incident sérieux intervenu précédemment.

Il apparaît aujourd'hui que le comportement des dirigeants d'entreprises est profondément modifié par le fait qu'ils détiennent ou non des stock options. Lorsqu'ils en ont, ils semblent plus attentifs à l'évolution à court terme du cours de bourse qu'à la mise en place de stratégies solides pour leurs entreprises. Il a souhaité savoir si la COB avait des suggestions à faire en ce domaine.

Il a demandé au Président de la COB son sentiment sur le contenu du projet de directive européenne sur les OPA et sur les chances d'adoption de celle-ci.

La fusion envisagée entre la COB et le CMF peut-elle être l'occasion de revenir sur le partage actuel entre juge judiciaire et juge administratif, quant à la compétence juridictionnelle pour trancher les recours éventuels contre les décisions prises par la nouvelle autorité ?

M. Henri Emmanuelli a estimé du devoir de l'Assemblée nationale de s'assurer du bon fonctionnement des marchés financiers, au vu des dysfonctionnements actuels. Il a rappelé que le groupe socialiste avait déposé une demande de création d'une mission d'information à ce sujet, mais qu'il était prêt à se rallier aux demandes de création d'une commission d'enquête déposées, dont l'une émane d'un député de la majorité.

La faille essentielle du système financier réside dans le fait que le contrôleur est rémunéré par l'entreprise qu'il contrôle. Le montant des honoraires perçus par les membres du cabinet qui contrôle Vivendi apparaît très élevé. Une telle situation est anormale et il est sans doute nécessaire de légiférer pour assurer l'indépendance du contrôleur. Existe-t-il déjà des règles à ce sujet interdisant notamment qu'un seul client représente une part trop importante du chiffre d'affaires d'une société d'audit ?

Il a rappelé qu'à titre personnel, il avait toujours émis des doutes sur la légitimité du recours à des autorités indépendantes, l'existence de celles-ci n'empêchant pas qu'au final, la responsabilité des politiques se trouve immanquablement engagée, comme l'attestent certains titres de presse dénonçant l'impuissance des politiques à « faire remonter la bourse ».

L'identité des sociétés concernées soit par des procédures de sanctions en cours, soit par des dénonciations au Parquet, doit être rendue publique, car l'anonymat risque de jeter le discrédit sur l'ensemble des sociétés cotées et donc d'accroître encore la crise de confiance actuelle. S'il existe des « moutons noirs », l'absence de leur identification risque de se traduire par une contamination de « l'ensemble du troupeau ».

A propos de Vivendi Universal, il semble que la presse ait fait preuve d'une plus grande diligence que les autorités de marché. Rappelant que la société mère du groupe avait décidé de faire remonter vers elle près de 20 milliards de francs de provisions sans que les conséquences d'une telle décision soient clairement indiquées, il a estimé qu'il serait essentiel que puissent être validées par une instance extérieure la pertinence et l'orthodoxie de certaines décisions prises par les entreprises.

La mise en garde contre le « court-termisme » devrait s'adresser d'abord aux opérateurs et à cet égard, il serait bon de se rappeler les appréciations que Keynes portait sur le rôle des rentiers.

Remerciant M. Michel Prada pour la clarté de son exposé, M. Jean-Pierre Brard a indiqué qu'il partageait son opinion sur l'évolution boursière constatée depuis 1995, un tel regard à long terme contribue en effet au nécessaire retour à la raison. La situation actuelle a tout à la fois écorné la légitimité des organes de contrôle et suscité des prises de conscience salutaires, notamment en matière de stock options. La crise traversée par Vivendi Universal est liée aux « choix aventuriers » de ses dirigeants plus qu'à un retournement du marché.

La presse a prêté au Président de la COB l'envoi d'un courrier jugeant « pas convenables » les menaces de licenciement d'un contrôleur. Quel est l'état de droit en ce domaine ? Quelles mesures pourraient être prises pour renforcer l'indépendance des contrôleurs ? En outre, il convient d'assurer l'intérêt des petits actionnaires, comme en témoigne l'affaire d'Eurotunnel, et de mieux les protéger contre certains « comportements de Rastignac » illustrés par l'évolution de Vivendi ou de France Télécom.

La fusion entre la COB et le CMF renforcera-t-elle les moyens d'action de la nouvelle autorité et lui permettra-t-elle de mieux faire face à des comportements délictueux ? Peut-on envisager des outils juridiques nouveaux pour renforcer son action ? M. Daniel Bouton, récemment mis en examen, était-il la personne la mieux placée pour présider un groupe de travail sur le gouvernement d'entreprise ? La « doctrine Balladur » faisant obstacle à toute dévolution de fonctions officielles à des personnes mises en examen ne doit-elle pas être maintenue ?

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a souhaité obtenir un premier bilan de la fusion des bourses française, belge et hollandaise. Cette fusion a-t-elle conduit à un renforcement de la coopération entre autorités de régulation ? A propos de l'amélioration de la transparence et de la qualité de l'information, il s'est interrogé sur la réforme des normes comptables et leur nécessaire harmonisation au niveau européen ou international, notamment en ce qui concerne le traitement des provisions. De même, les récents événements posent la question de la responsabilisation et de l'indépendance des auditeurs, ainsi que celle de l'indépendance des analystes financiers. La dictature de la rentabilisation des fonds propres a conduit, malheureusement, les entreprises à mettre en place des montages très risqués et donc fragiles.

Enfin, il a souhaité connaître l'appréciation globale que le Président de la COB porte sur les points forts et les faiblesses de la place de Paris.

En réponse aux différents intervenants, M. Michel Prada a indiqué que :

- la fusion de la COB et du CMF est souhaitable, sachant qu'il ne faut pas aller jusqu'à intégrer dans le même organisme, comme l'a fait le Royaume-Uni et le Japon et plus récemment l'Allemagne, d'une part, régulation du marché et de l'appel public à l'épargne et, d'autre part, régulation prudentielle des intermédiaires financiers. La création d'une autorité unique de marché est justifiée par plusieurs raisons. En premier lieu, la COB et le CMF interviennent aujourd'hui, simultanément ou successivement, pour les mêmes opérations financières. Par ailleurs, la division du travail existant entre contrôle des prestataires de services d'investissement hors comptes de tiers par le CMF et contrôle de la gestion pour compte de tiers, qui relève du domaine de compétences de la COB est opérationnellement perfectible. Enfin, la surveillance des marchés par les deux instances est simultanée, avec des enquêtes qui devraient être mieux coordonnées. Compte tenu de ces complémentarités, la fusion envisagée ne se traduirait pas principalement par des synergies nouvelles, mais par une optimisation et une rationalisation de la régulation. S'agissant des moyens matériels des organes considérés, la COB emploie 270 personnes et le CMF 40 environ : ces moyens supportent sans difficulté la comparaison avec ceux des organes de régulation des places concurrentes, mais il faut tenir compte du fait que les moyens nécessaires sont directement liés à l'activité financière, très variable d'une année à l'autre, ce qui exigera notamment du futur organe commun une flexibilité et une réelle autonomie de gestion. En revanche, la question peut se poser d'un renforcement mesuré des moyens d'enquêtes approfondies sur pièces et sur place, et des moyens de contrôle des informations et documents financiers transmis par les entreprises. Cependant, l'autorité régulatrice n'a pas à se substituer systématiquement aux instruments de contrôle interne des entreprises, mais est, en revanche, appelée à se pencher sur les aspects parfois contestables de certaines pratiques, du point de vue de la transparence de l'information des investisseurs. Il y a environ 1.000 entreprises cotées. Il est donc nécessaire de contrôler l'ensemble de l'information qui les concerne, d'en détecter les oublis, ou les anomalies. Il convient, en outre, de conserver à la future autorité de régulation une taille humaine, seul moyen de lui permettre à la fois d'échapper à la bureaucratisation et à un alourdissement des structures préjudiciables à leur réactivité, et de maintenir le principe d'une réelle collégialité des décisions significatives. Actuellement, toute décision importante est prise collégialement ;

- le rôle des agences de notation pose aujourd'hui de nombreuses questions, même si les moyens d'actions en la matière sont limités. Les trois grandes agences mondiales sont américaines, dotées d'un statut particulier et, comme telles, leur supervision relève du ressort principal de la SEC (Securities and exchange commission) qui se préoccupe du sujet, même si l'OICV a également, pour sa part, mis en place un groupe de travail sur ce sujet. En tout état de cause, l'hypothèse d'une action nationale sur les départements nationaux des agences de notation se heurterait immédiatement à la globalisation des activités financières, qui lui retirerait toute portée pratique, tant la question ne peut être abordée que sous un angle international ;

- les problèmes d' « intégrité » évoqués par MM. Philippe Auberger et Jean-Pierre Brard, apparus il y a deux ans au sein de la COB, constituent un sujet malheureux que la commission a traité du mieux possible, puisqu'elle peut en revendiquer la découverte, l'identification, la publicité et l'initiative de l'ouverture des poursuites. Cette affaire, close pour la COB, relève maintenant du ressort de l'autorité judiciaire. Au plan interne, par ailleurs, de nombreuses mesures ont été prises : les règles de formalisation des opérations internes ont été améliorées, et les exigences de déontologie approfondies, notamment avec la révision du règlement applicable aux personnels et aux membres du collège, ainsi qu'avec la désignation d'un « déontologue », M. Pierre Rivière, ancien membre du collège de la COB. Naturellement, si tout a été fait pour éviter la reproduction à l'avenir des comportements coupables précités, il demeure impossible de garantir avec une totale certitude que tel ne sera jamais le cas à l'avenir ; quelles que soient les règles et les précautions prises, nul n'est jamais à l'abri d'une défaillance humaine ;

- il est difficile de rejeter les principes ayant présidé à la création et au développement, peut-être parfois excessif, des stock-options, qui présentent l'avantage de permettre d'intéresser les gestionnaires et les salariés aux résultats et à la création de valeur ajoutée de leurs entreprises. En revanche, il faut souligner que la mise en place de ces modes de rémunérations particuliers constitue une prérogative des assemblées générales, qui doivent les contrôler au regard des intérêts des actionnaires. De même, peut-on s'interroger sur les incidences éventuellement défavorables des délais d'utilisation des stock-options , qui, s'ils sont trop courts, peuvent contribuer à accroître inutilement la volatilité des cours des titres considérés. Enfin, le traitement comptable des stock-options appelle une réflexion de fond, compte tenu du fait que, selon une opinion trop répandue, leur distribution constituerait une forme de création de valeur ajoutée sans aucune conséquence sur les comptes des entreprises qui y recourent. C'est pourquoi l'IASB (International Accounting Standards Board- Conseil international des normes comptables) a inscrit la question des règles de comptabilisation des charges découlant de la mise en place des plans de stock-options à son programme de travail. Les règles méritent sans doute d'être plus exigeantes ;

- l'abandon du projet de directive européenne relative aux offres publiques d'achat est d'autant plus regrettable que ce texte aurait pu être transposé facilement en droit français, dans la mesure où l'essentiel des mesures qu'il prévoit sont déjà en vigueur en France. Cet abandon, lié à la crainte assez infondée d'un déséquilibre entre les OPA d'origine américaine et les OPA d'origine européenne, a pour conséquence une absence de règles communes au sein de l'espace communautaire, ce qui s'avère pénalisant ;

- s'agissant de la détermination de la juridiction dont doivent relever les décisions de la COB, il revient au Gouvernement et au Parlement de prendre la décision. Toutefois, les décisions de la COB relèvent plutôt du domaine des sanctions administratives, et de ce fait, s'inscrivent davantage dans une culture administrative ; les différences d'approche entre les deux ordres de juridiction seraient en tout cas dommageables, s'agissant notamment de l'application de la Convention européenne des droits de l'homme ;

- la COB plaide, depuis des années, de façon constante, en faveur d'une séparation des activités d'audit et de conseil. Elle a ainsi été à l'origine de la création du Comité de la déontologie et de l'indépendance, et deux rapports de Monsieur Le Portz avaient mis en exergue les difficultés auxquelles l'audit est aujourd'hui confronté. S'agissant du mode de rémunération des cabinets d'audit, il faut garder à l'esprit le fait que les auditeurs ne sont pas rémunérés par les dirigeants mais par les actionnaires, donc les entreprises. Une solution pourrait certes résider dans la nationalisation des fonctions d'audit, les auditeurs ayant, dès lors, un statut proche de celui des officiers ministériels. Toutefois, un tel dispositif, qui n'existe dans aucun pays parait peu réaliste et soulève le problème de son mode de financement. Une solution alternative, qui a la préférence de M. Michel Prada, consiste à rendre la relation entre l'auditeur et le management plus transparente et plus sûre par l'instauration d'un certain nombre de règles doctrinales de contrepouvoirs et de contrôles. Cette proposition suppose la définition de règles claires, l'instauration d'un contrôle pertinent, le recours à des référents extérieurs, la mise en place de comités d'audit ayant des relations directes avec les auditeurs ainsi que la transparence des rémunérations. Le système français, qui est par de nombreux aspects déjà très proche de ces caractéristiques, peut être perfectionné en ce sens ;

- il faut remédier à la concentration trop grande des cabinets d'audit, qui a été encore récemment renforcée avec la disparition du cabinet Andersen. Afin de favoriser une diversification du système actuel, il faudrait voir émerger un groupe de cabinets de taille moindre, mais susceptible d'être suffisamment forts pour être présents aux niveaux national et international ;

- la question des normes comptables est stratégique pour les entreprises. Jusqu'à une date récente, l'Europe avait laissé ce sujet en déshérence, les directives ad hoc étant anciennes, ce qui a expliqué la progression des normes américaines. La situation est aujourd'hui différente, car l'Union européenne, sous l'impulsion de la Commission, a adopté une démarche cohérente visant à adopter le standard de l'IASB et à faire valoir les conceptions européennes au sein de l'IASB, qui édicte les normes comptables internationales. Par exemple, il n'est pas sûr, du point de vue européen, que les pressions exercées dans cette enceinte par certains comptables anglo-saxons pour faire accepter la notion de valeur de marché (full fair value) soient de bon aloi, et il importe de le faire savoir au sein de l'IASB. En tout état de cause, la nécessité d'un standard mondial s'impose, comme le montrent certains problèmes rencontrés dernièrement dans le domaine de la comptabilité des entreprises en raison des différences de standards entre l'Europe et les États-unis, un tel décalage étant compliqué à expliquer au marché ;

- s'agissant de la profession d'analyste financier, le travail normatif a été assez largement accompli en France, où les règles applicables sont, depuis longtemps, plus rigoureuses qu'outre-Atlantique. Il subsiste, certes, certains conflits d'intérêts, qui sont cependant quasi insolubles, car on ne trouve pas de client pour acheter directement un service d'analyse, comme d'ailleurs un service d'audit, en dehors de l'entreprise auditée et de l'entreprise qui utilise ces analyses pour ses propres clients. La seule solution consiste donc à adopter des principes déontologiques renforcés ou à faire jouer des contre-pouvoirs ;

- en ce qui concerne les pouvoirs de la future autorité de marché, il serait utile de réfléchir à la possibilité de mettre en place en France un pouvoir de transaction, alternatif au prononcé de sanctions pénales ou administratives. Le sujet est controversé, mais il mérite d'être traité ;

- la fusion ayant donné naissance à Euronext, avec ses développements ultérieurs, est une opération qui se déroule de manière satisfaisante, la plupart des problèmes de migrations de systèmes informatiques étant en voie d'être surmontés. La philosophie dont procède une telle fusion est très intelligente, en ce qu'elle respecte l'identité nationale  de chaque place, contrairement aux précédentes tentatives de fusion qui ont échoué. Il s'agit d'une fédération de marchés. Cela ne va pas sans poser des problèmes de compatibilité des règles en vigueur dans les quatre pays concernés - bientôt cinq avec l'intégration du LIFFE. Afin d'harmoniser lesdites règles, il a donc été institué un Comité de régulateurs qui se réunit mensuellement et pilote les activités de cinq groupes de travail permanents chargés d'élaborer un manuel de principes communs. Si ce processus conduit à des compromis, on ne saurait pour autant parler de concessions. Par exemple, s'agissant de la pratique typiquement française de l'avertissement aux investisseurs en cas de doutes sur le bien-fondé d'un projet - utilisée d'ailleurs pour 80 % des récentes introductions en bourse de sociétés aux activités liées à l'Internet - qui n'existe pas chez nos partenaires, le compromis trouvé à l'échelle d'Euronext a consisté à admettre cette pratique en obligeant les entreprises elles-mêmes, dans un avenir très proche, à intégrer d'éventuels avertissements à leur note de présentation, au moment de leur introduction sur le marché ;

- dans sa configuration actuelle, la Place de Paris est une place active, puissante, de très haut niveau, et l'une des plus saines qui soient. Parmi les difficultés auxquelles son développement est confronté, les obstacles juridiques sont moins nombreux que par le passé ; en revanche, la question sensible de l'environnement économique, fiscal et social - le poids des charges sociales en particulier - demeure une source de handicaps réels face à la place de Londres. Enfin, la conjoncture économique actuelle ne laisse pas d'inquiéter les observateurs. Dans cette période difficile, il ne faut pas changer de cap. Il importe que des entreprises continuent à être apportées au marché, et qu'une offre suffisante d'épargne de long terme s'investisse à long terme. L'investissement le plus rentable, même si la tendance récente du marché est baissière, reste l'investissement à long terme sous forme d'actions. Le revers conjoncturel actuel ne doit pas faire oublier la nécessité de provisionner des risques pour l'avenir et de drainer de l'épargne de long terme vers les entreprises.

M. Marc Laffineur a relevé que les agences de notation sont puissantes aux États-Unis et a demandé quelle était la perspective de développement d'une agence en Europe. Il a souhaité connaître la volonté américaine relative à la mise en place de nouveaux moyens pour éviter des affaires du type Enron. Enfin, il a interrogé le président de la COB sur l'influence de la chute des cours boursiers sur la consommation et la croissance économique.

M. Jean-Pierre Balligand, après avoir souligné la juste prudence de la COB à l'époque où les marchés étaient euphoriques, a posé une question sur les réformes de droit des sociétés envisageables. En effet, le capital des sociétés est de plus en plus dilué, et le phénomène des stocks options, auto-attribués par leurs bénéficiaires, contribue à cette dilution et à la marginalisation des actionnaires. Or, il convient de protéger les intérêts à long terme des sociétés et des actionnaires. Dans cette perspective, il faut sans doute renforcer les moyens d'audit externes et doter les conseils de surveillance et les conseils d'administration d'organismes ad hoc. En effet, le marché a besoin de confiance et il est actuellement très atteint notamment dans le secteur des assurances.

M. Charles de Courson a interrogé le président de la COB sur l'opportunité de rendre les mandats des commissaires aux comptes non renouvelables, voire de leur interdire la constitution de filiales de conseil, afin de renforcer l'indépendance de la profession. Faut-il considérer les stocks options comme des charges d'exploitation et limiter les pouvoirs de délégation des assemblées générales vers les conseils d'administration, s'agissant de la détermination des plans de distribution des stocks-options ?

Le Président Pierre Méhaignerie a souhaité savoir quelle était la hiérarchie des priorités pour renforcer la place de Paris.

M. Michel Prada a apporté les éléments de réponses suivants :

- une agence de notation sur les trois existantes est de droit américain, même si elle relève majoritairement de capitaux français. Une plus forte présence française ou européenne est sans doute souhaitable, mais il faut convenir que l'entrée sur le marché de la notation n'est pas aisée, la notoriété étant un élément indispensable en l'espèce ;

- les contacts réguliers qu'a la COB avec la SEC américaine permettent d'affirmer que les autorités américaines se préoccupent bien évidemment d'éviter de nouvelles affaires Enron. Peut-être celles-ci sont-elles tentées de régler seules ce type d'affaires au plan national mais, d'un autre côté, elles sont conscientes de la nécessité d'adopter des standards communs à l'Europe. Leur changement d'attitude vis-à-vis de l'harmonisation des normes comptables est significative à cet égard ;

- le ministère de l'économie ou le Gouverneur de la Banque de France sont les plus à même de mesurer les effets macro-économiques de la chute des marchés boursiers. Cela étant, l'impact macro-économique est sans doute plus faible en Europe qu'aux États-Unis, comme en témoigne la chute des cours de 1987 qui a eu une faible incidence en 1988. Il y a en France une certaine déconnexion entre le marché boursier et l'activité économique ;

- s'agissant de la réforme du droit des sociétés, beaucoup a été fait, notamment dans le domaine du « gouvernement d'entreprise ». Les réformes adoptées doivent maintenant être mises en oeuvre. Il faudra certainement, en outre, aller au-delà et fixer de nouvelles règles sur la gestion des sociétés.

- l'activité d'audit doit assurément être détachée du management et des directeurs financiers et comptables des sociétés. Aussi une réflexion s'impose-t-elle sur son rattachement aux conseils d'administration et aux assemblées générales ;

- un seul grand pays organise la rotation obligatoire des cabinets de commissaires aux comptes : l'Italie. La France pourrait retenir, quant à elle, un système intermédiaire consistant à organiser une rotation des associés signataires, tous les 7 ou 8 ans. Il faut en effet constater que, dans certaines sociétés, les mêmes personnes signent les comptes depuis 18 ou 20 ans. La rotation des cabinets de commissaires aux comptes risquerait en revanche de poser des problèmes de gestion en début et fin de période. M. Michel Prada avance toutefois, à titre personnel, l'idée d'une rotation organisée sur la base du co-commissariat qui pourrait concilier les contraintes contradictoires ;

- l'interdiction de toute activité de conseil aux cabinets d'audit aurait certes le mérite de la simplification et « purifierait » le secteur, mais comporterait des risques, l'activité d'audit étant austère et la règle pouvant, à terme, affaiblir les cabinets. On pourrait se limiter à rendre incompatibles les activités d'audit et de conseil d'un cabinet auprès d'une même société ;

- s'agissant des plans de stock options, il est de plus en plus évident qu'il faut accorder plus de pouvoirs aux assemblées générales et permettre aux actionnaires de s'exprimer.

M. Henri Emmanuelli a souhaité connaître les dates d'inscription à l'ordre du jour de la Commission des finances des propositions de résolution tendant à la création de commissions d'enquête.

Le Président Pierre Méhaignerie, après avoir constaté que les propositions de résolution avaient été distribuées il y a peu, les 12 et 19 juillet, a indiqué que la désignation de rapporteurs interviendrait très rapidement.

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