COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 3

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 8 octobre 2002
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de résolution de M. Christian Estrosi (n° 155) tendant à la création d'une commission d'enquête sur la présence du loup en France

 

(M. Patrick Ollier, rapporteur) :

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La commission a examiné la proposition de résolution de M. Christian Estrosi (n° 155), tendant à la création d'une commission d'enquête visant à établir les conditions de la présence du loup en France et à évaluer le coût, l'efficacité et les conséquences des dispositifs engagés par les pouvoirs publics en faveur du loup.

M. Patrick Ollier, rapporteur, a indiqué tout d'abord aux membres de la commission que la proposition de résolution (n° 155) était recevable, les faits susceptibles de donner lieu à enquête paraissant déterminés avec une précision suffisante et ne faisant par ailleurs pas l'objet actuellement de procédures judiciaires, comme le Garde des Sceaux l'a confirmé dans une lettre adressée au Président de l'Assemblée nationale le 17 septembre 2002.

M. Patrick Ollier a ensuite suggéré aux membres de la commission de considérer comme justifiée la création d'une telle commission d'enquête.

Il a rappelé qu'il avait lui-même longtemps réclamé la création d'une commission d'enquête sur ce sujet dans le passé et qu'il avait déploré de ne pouvoir accéder aux informations nécessaires.

M. Patrick Ollier a rappelé ensuite, que c'est le 5 novembre 1992, qu'un agent du parc national du Mercantour avait noté, à l'occasion d'une opération de comptage d'animaux sauvages (mouflons, chamois), la présence d'un couple de loups dans le vallon de Mollières au cœur même de la zone centrale du parc national. La présence du loup dans le Mercantour n'a d'ailleurs été annoncée officiellement qu'au printemps 1993, plusieurs mois après les premières observations du prédateur. Après 1992, les loups qui étaient donc réapparus dans les Alpes-Maritimes se sont propagés dans les autres départements des Alpes-du-Sud avant de gagner en 1997 ceux du Nord. L'on compterait ainsi 30 à 40 loups dans l'arc alpin français, vivant en meutes, principalement dans les Alpes-Maritimes, ou seuls. Ce sont plusieurs départements qui sont aujourd'hui touchés : les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, les Alpes-Maritimes, la Drôme, l'Isère, la Savoie, la Haute-Savoie et le Var.

Le loup a disparu du territoire français au début des années 30, alors que sa présence s'est maintenue et même développée dans les dernières décennies, en Europe du Sud, en Europe centrale, en Scandinavie, notamment en Finlande et alors que, par comparaison, l'ours semble n'avoir jamais vraiment disparu des Pyrénées. Ce retour du loup à la fin du 20ème siècle a entraîné des préjudices considérables, totalement inacceptables pour les hommes et les femmes vivant dans nos montagnes. Il ne s'est pas effectué, en effet, dans un espace vide d'hommes et d'activités, mais dans un monde lui-même très organisé, celui du pastoralisme, de l'élevage ovin extensif.

Ce sont ainsi près de 7 000 ovins et caprins qui ont été tués depuis 1993. Il faut d'ailleurs ajouter à ces pertes en bétail très nombreuses, les préjudices indirects subis par les éleveurs, tels que les avortements de brebis ou l'amaigrissement des animaux qui entraînent d'importants « manques à gagner ».

Le retour du loup s'est soldé également par d'importantes prédations sur les animaux sauvages (mouflons, chamois, cervidés), alors que ces animaux présentent un grand attrait touristique pour le massif alpin.

M. Patrick Ollier a ensuite rappelé les travaux de la mission d'information sur « la présence du loup en France » qui avait rendu son rapport en octobre 1999. Il a estimé que cette mission d'information avait bien perçu les problèmes humains très concrets rencontrés par les éleveurs et les bergers, notant que beaucoup d'entre eux étaient gagnés par le découragement et le sentiment d'être abandonnés, et que leurs souffrances étaient d'ailleurs d'autant plus fortes, qu'ils avaient le sentiment d'être déjà confrontés à des difficultés économiques et sanitaires considérables.

M. Patrick Ollier a rappelé également que le mérite principal de la mission d'information avait été de poser le principe de « l'incompatibilité du loup et du maintien d'un pastoralisme durable ». La mission avait suggéré dans cette optique l'exclusion du loup des zones de pastoralisme et le recours aux dispositifs dérogatoires prévus par la convention de Berne du 19 septembre 1979 « relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe » en cas d'atteinte aux cultures et au bétail.

M. Patrick Ollier a estimé que l'apport des travaux de la mission étaient très utiles, mais qu'il était souhaitable d'aller au delà en adoptant la proposition de résolution de M. Christian Estrosi créant une commission d'enquête.

Il a fait remarquer que, depuis la fin de l'année 1999, en effet, la situation de nos régions alpines semblait s'être aggravée, comme le montrent les attaques de loups survenues dans le parc du Mercantour, sur la commune du Moulinet le 18 juillet 2002, qui s'est soldée par la disparition de plus de 400 moutons, comme le montre également l'augmentation des attaques observées dans les Alpes-Maritimes au cours des dernières années. Les actions gouvernementales menées à compter de 2000 n'ont pas suffi par ailleurs à assurer une vraie préservation du pastoralisme.

La création d'une commission d'enquête apparaît aujourd'hui dans ces conditions comme tout à fait nécessaire, parce qu'elle permettrait de faire enfin la lumière sur les conditions réelles du retour du loup en France, la thèse officielle d'un « retour naturel » d'animaux venant des Abruzzes semblant tout à fait sujette à caution. Seule une commission d'enquête parlementaire disposerait des moyens d'investigation nécessaires ; les travaux menés, il y a maintenant plusieurs années, par la Chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes avaient donné à penser que de multiples irrégularités et disparitions de documents étaient tout à fait vraisemblables.

M. Patrick Ollier a proposé aux membres de la commission d'adopter la proposition de résolution (n° 155) de M. Christian Estrosi. Il a indiqué que la France devait respecter ses engagements internationaux et notamment ceux qui concernent le maintien de la biodiversité, mais qu'elle devait aussi impérativement sauver son économie montagnarde et ceux qui en vivent. Les membres de la commission d'enquête pourront ainsi chercher la vérité, de façon à apaiser les débats actuels et à apporter la sérénité nécessaire dans les territoires.

Usant de la faculté offerte par l'article 38 du Règlement, M. Christian Estrosi a tout d'abord salué la présentation faite par M. Patrick Ollier. Puis, il a souligné que la présence du loup en France posait un véritable problème humain, mais aussi économique ; ainsi, a-t-il indiqué, la présence d'un loup sur le territoire national coûte à la collectivité plus cher que la présence d'un instituteur ou le maintien d'une cabine téléphonique en zone rurale. Il a déploré cette situation, paradoxale à ses yeux à une période où des efforts doivent sans cesse être consentis pour maintenir les populations dans ces zones rurales. Il a estimé qu'on ne pouvait, en conséquence, accepter un maintien de la présence du loup sans justification et continuer à jouer aux « apprentis sorciers » sur cette question.

Ayant rappelé que la Convention de Berne permettait d'éliminer les loups introduits de manière artificielle sur le territoire national, il a déploré qu'il ait été décidé de maintenir près de 50 loups dans le massif alpin sur la seule déclaration de fonctionnaires du ministère chargé de l'environnement, qui avaient estimé au vu d'empreintes génétiques, que les loups viendraient des Abruzzes.

Il s'est déclaré conscient des sourires que cette question pouvait susciter à Paris, mais a insisté sur l'implication des élus sur le terrain, qui se battent depuis des années pour le maintien du pastoralisme. Il a fait observer que de nombreux éleveurs avaient dû mettre un terme à leur activité depuis 1992 et a relevé que les offres de locations annuelles de terrains pour le pâturage des transhumants étaient de plus en plus souvent refusées dans les massifs concernés.

Il a estimé qu'il convenait désormais de faire toute la vérité sur la présence du loup en France, sans tomber dans l'outrance.

Après avoir salué la qualité du rapport précité de la mission d'information, il a regretté que celui-ci n'ait pas été suivi d'effets. Il s'est notamment étonné du refus de mettre en œuvre la proposition d'un recours à l'article 9 de la Convention de Berne qui permet de déroger aux dispositions de cette dernière relatives à la conservation de la vie sauvage, en cas d'atteinte aux activités d'élevage. Il a en outre rappelé que, si de nombreuses municipalités avaient adopté des délibérations afin de mettre en œuvre des battues administratives, délibérations d'ailleurs reconnues comme régulières par le Conseil d'Etat, Mme Dominique Voynet, alors ministre chargée de l'environnement, avait fait échec à ces initiatives en publiant, in extremis, une circulaire. Il a regretté que les conclusions de la mission d'information conduite par MM. Robert Honde et Daniel Chevallier aient ainsi été ignorées et a émis l'espoir qu'une commission d'enquête permette de faire la lumière sur les conditions d'introduction du loup dans le parc du Mercantour en 1992. Il a également souhaité que cette commission puisse faire le point sur les dysfonctionnements existant entre les actions entreprises respectivement par le ministère chargé de l'agriculture et le ministère chargé de l'environnement.

Après avoir noté qu'il conviendrait également de s'interroger sur le devenir du programme européen « Life loup », qui doit prendre fin en mars 2003, il a exprimé le souhait que les membres de la commission de la production et des échanges adoptent la proposition de résolution.

M. Patrick Ollier, président, a alors indiqué que M. Augustin Bonrepaux lui avait fait part de son souhait de voir élargir l'objet de la commission d'enquête à l'ensemble des prédateurs.

M. François Brottes a souligné l'attachement de son groupe à la biodiversité, d'ailleurs récemment défendue par le Président de la République, mais aussi à l'équilibre sylvo-cynégétique auquel les prédateurs sont nécessaires.

Puis, il a souligné que la vraie question était celle de la survie du pastoralisme en montagne. Aussi, il a jugé que s'il était légitime qu'une commission d'enquête détermine l'origine de la présence du loup dans les Alpes françaises, son travail ne devait pas constituer un alibi pour retarder la mise en œuvre des mesures nécessaires pour gérer la crise et notamment de celles recommandées par la mission d'information sur la présence du loup en France. Il a également jugé que, même s'il devait être établi que le retour du loup est d'origine naturelle, le problème de l'incompatibilité de sa présence avec le pastoralisme demeurerait entier.

En conséquence, il a indiqué que le groupe socialiste était favorable à la création d'une commission d'enquête et à l'examen par celle-ci des problèmes posés par d'autres prédateurs que le loup, mais qu'il appartiendrait aux membres de celle-ci de veiller à ce que le Gouvernement prenne aussi rapidement que possible les mesures propres à soulager le désespoir des éleveurs. Il a, à cet égard, regretté que de nombreux instruments restent inutilisés, qu'il s'agisse des possibilités offertes par l'article 9 de la Convention de Berne du 19 septembre 1979 « relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe » ou de celles prévues par circulaire du ministre chargé de l'environnement. Enfin, il a souligné l'intérêt des travaux de la mission d'information sur la présence du loup en France, dont il serait souhaitable que la commission d'enquête s'inspire.

M. Patrick Ollier, président, a exprimé son accord avec l'analyse de M. François Brottes.

M. Daniel Spagnou a, tout d'abord, signalé l'importance des problèmes liés à la présence du loup pour les éleveurs et les montagnards. Il a admis que la présence d'autres prédateurs, tel le lynx, soulevait également des difficultés et qu'elle pouvait justifier une réflexion. Il a toutefois jugé que l'urgence n'était pas la même pour les autres prédateurs que dans le cas de la présence du loup.

M. Patrick Ollier, président, a souligné que la rédaction actuelle de la proposition de résolution avait le mérite de la clarté et qu'un élargissement inconsidéré du champ des investigations pouvait créer des difficultés.

M. Roland Chassain a mis l'accent sur l'importance de cette question et l'angoisse des éleveurs dans les alpages, en jugeant que les pouvoirs publics ne devaient pas rester plus longtemps otages de lobbys prétendument écologistes, soucieux de remettre en cause les traditions locales. Il a en outre estimé que la profession d'éleveur était suffisamment difficile dans le contexte actuel pour que l'argent dépensé en raison de la présence du loup puisse être mieux utilisé pour soutenir la filière. Enfin, il a estimé préférable que la commission d'enquête concentre ses investigations sur le seul cas du loup.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard a fait part, à titre personnel, de son opposition à la création de cette commission d'enquête, en rappelant qu'une mission d'information avait déjà travaillé sur cette question et en estimant très orienté l'exposé des motifs de la proposition de résolution. Elle a jugé, compte tenu des nombreuses causes contribuant aux difficultés de la filière ovine, qu'il serait plus pertinent que la commission d'enquête étudie les conditions d'exercice du pastoralisme, compte tenu de la présence du loup, en soulignant que l'écologie reposait sur l'équilibre entre les espèces et que les prédateurs jouaient un rôle de régulation des populations indispensable. Puis, elle a exprimé son profond désaccord avec les comparaisons de coût formulées par M. Christian Estrosi, en estimant qu'il n'était pas possible de mettre sur le même plan les animaux et les hommes. Enfin, elle a rappelé que le Président de la République avait, à Johannesburg, estimé que l'effort de la France en faveur de la biodiversité et de la protection des espèces sauvages était insuffisant et que la convention de Berne prévoyait également la mise en œuvre de mesures tout à fait nécessaires de protection des animaux sauvages.

M. Patrick Ollier, président, a proposé d'élargir le champ des investigations de la commission d'enquête aux conditions d'exercice du pastoralisme en zone de montagne, en indiquant que cette rédaction permettait de prendre en compte les remarques de Mme Geneviève Perrin-Gaillard et qu'elle offrirait également aux membres de la commission d'enquête la possibilité de s'intéresser aux problèmes posés par la présence d'autres prédateurs que le loup, s'ils le souhaitaient.

M. Christian Estrosi a estimé que la situation des différents prédateurs ne présentait pas les mêmes problèmes ; à la différence de celles du loup, les conditions d'implantation d'ours slovènes dans les Pyrénées ne sont pas susceptibles, par exemple, de justifier une enquête. En toute hypothèse, la création d'une commission d'enquête sur la présence du loup en France répond à une demande forte exprimée depuis de nombreuses années ; les membres de la mission d'information eux-mêmes, qui avaient clairement conclu à l'incompatibilité du loup et du maintien d'un pastoralisme durable, ont semblé regretter de ne pas avoir disposé des moyens d'investigation nécessaires. M. Christian Estrosi a estimé que la formule de la commission d'enquête permettrait d'accéder à la vérité et de disposer des moyens de mieux faire face aux problèmes posés. Il a exprimé son accord avec l'amendement proposé par M. Patrick Ollier.

M. Serge Poignant a exprimé à son tour son accord avec l'amendement du rapporteur et estimé que les différents prédateurs posaient des problèmes distincts.

M. François Brottes s'est déclaré très favorable à l'amendement de M. Patrick Ollier, soulignant que la vraie question posée est celle de la survie du pastoralisme en montagne.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard a rappelé à nouveau que le vrai problème selon elle, tenait aux conditions d'exercice du pastoralisme, la question du retour du loup n'en étant qu'un aspect. Elle a fait part néanmoins de son abstention sur l'amendement de M. Patrick Ollier.

La commission a ensuite adopté l'amendement de M. Patrick Ollier, la proposition de résolution se trouvant ainsi intitulée : « Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions de la présence du loup en France et l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne ».

La commission a ensuite adopté la proposition de résolution n° 155 ainsi modifiée et intitulée.

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