COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 50

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 4 juin 2003
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Pascal Lamy, membre de la Commission européenne, sur les négociations dans le cadre de l'OMC

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- Examen de la proposition de résolution de M. Christian Philip (n° 712) sur le deuxième paquet ferroviaire (documents E-1932, E-1936, E-1937 et E-1941)

- (M. Dominique Le Mèner, rapporteur) :

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La Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire a entendu M. Pascal Lamy, membre de la Commission européenne, sur les négociations dans le cadre de l'OMC.

Le Président Patrick Ollier, en souhaitant la bienvenue à M. Pascal Lamy, membre de la Commission européenne en charge du commerce, a indiqué qu'il avait convié les membres du groupe d'études sur l'OMC à cette audition, dans le souci de permettre une meilleure coordination, chaque fois que cela est possible, entre les travaux des différentes instances de l'Assemblée. Il a rappelé que la Commission des affaires économiques avait déjà eu l'occasion, dans un passé récent, d'examiner plusieurs résolutions concernant l'OMC, notamment dans les domaines des services et de l'agriculture. Il a souhaité que le commissaire européen éclaire les députés présents sur les enjeux de la négociation en cours dans le cadre de l'OMC, les positions défendues par les différentes parties à la négociation, et le point où elle en était arrivée.

M. Olivier Dassault, président du groupe d'études sur l'OMC, s'est déclaré très heureux de pouvoir participer à cette audition commune qu'il avait également appelée de ses vœux, et a souhaité que le commissaire européen explique notamment les particularités des mécanismes de sanctions possibles en cas de non application des décisions d'arbitrage prises par les instances de l'OMC, soulignant que les Etats-Unis les avaient mis très rapidement en oeuvre à la suite d'une décision à leur avantage, concernant le refus de la Communauté d'importer du bœuf aux hormones, tandis que la Communauté tardait de son côté à les imposer aux Etats-Unis, ainsi que l'illustrait le cas des 4 milliards de dollars de pénalités prévus par la décision de l'OMC condamnant les subventions détournées sous la forme des « Foreign Sales Corporation », dont le paiement avait été reporté au début de l'année 2004.

M. Pascal Lamy a expliqué qu'il centrerait effectivement son propos sur l'OMC, bien que la dimension multilatérale ne constitue que l'un des aspects de la politique commerciale commune, celle-ci donnant lieu aussi à de nombreuses négociations bilatérales, notamment avec le Mercosur, la Russie, ou l'Ukraine. Le renforcement du système commercial multilatéral demeure toutefois la priorité de la politique commerciale de l'Union. Il a observé que le domaine de la politique commerciale était, d'un point de vue institutionnel, le seul avec celui de la concurrence à être géré de façon fédérale et que cette particularité juridique, qui remontait au traité de Rome lui-même, avait permis à l'Europe communautaire d'occuper, dans le cadre des relations commerciales internationales, une position en rapport avec son poids économique objectif à l'échelle du monde. En pratique, ce fédéralisme se traduit par le fait que le commissaire européen compétent agit exclusivement sur mandat des autorités politiques de l'Union, auxquelles il doit rendre compte des résultats de toute négociation, le Conseil décidant in fine à la majorité qualifiée d'entériner ou non les résultats obtenus après avis du Parlement européen à la majorité. Le commissaire européen ne dispose d'une autonomie, au titre de la compétence exécutive de la Commission européenne, que dans la gestion du contentieux de l'application des accords commerciaux.

Il a rappelé qu'après une longue période de débats internes entre pays membres, opposant les tenants du libre échange aux protectionnistes, une entente s'était dégagée depuis une dizaine d'années sur la stratégie commerciale de la Communauté autour de deux principes : d'une part, l'ouverture aux échanges, qui joue globalement à l'avantage de la Communauté ; d'autre part, le besoin de règles, en particulier dans les domaines sociaux et environnementaux, afin d'encadrer le commerce mondial pour garantir l'effet bénéfique de son développement.

En venant à l'Agenda du développement de Doha, adopté fin 2001, les négociations devant conclure fin 2004, il a évoqué la difficulté qu'a pu représenter la fixation d'un programme pour ces négociations, illustrée d'ailleurs par l'échec constaté sur ce plan à Seattle en 1999, puisque le champ des questions à évoquer constituait déjà en soi un enjeu important pour les participants. Il a indiqué que la Communauté européenne essayait d'y obtenir des avancées conformes à sa propre stratégie commerciale, sous la forme d'un ensemble équilibré de mesures assurant tout à la fois la poursuite de l'ouverture des échanges, et une progression dans la mise en place de règles pour le commerce mondial destinées à tenir compte de valeurs telles que le social, l'environnement et le développement. Il a néanmoins souligné la grande complexité d'un exercice consistant à obtenir un accord simultané de 140 Etats sur une trentaine de sujets.

S'agissant de l'amélioration des règles du commerce, il a expliqué qu'elle visait par exemple à obtenir une articulation entre les accords multilatéraux sur l'environnement et l'OMC, ou encore des dérogations à certains principes protecteurs de la propriété intellectuelle pour faciliter l'accès des pays pauvres aux médicaments, ou enfin à ajuster les conditions de recours aux instruments de défense commerciale pour assurer la protection des marchés nationaux face à la vente à perte.

S'agissant de l'ouverture des échanges, il a indiqué qu'elle concernait le secteur industriel, l'agriculture et les services.

Il a observé que le volet des négociations relatif aux biens industriels était paradoxalement peu médiatisé - alors qu'ils représentaient environ 80 % du commerce mondial hors services - estimant que c'était là la conséquence de la complexité de ces négociations, portant principalement sur la réduction des tarifs. Il a précisé que certains pays du Sud étaient peu enclins à participer à cet effort de réduction des tarifs, alors qu'il existait pourtant de très fortes marges de progression du commerce Sud-Sud, au bénéfice mutuel des participants.

Il a indiqué qu'en ce qui concernait l'agriculture, au-delà de la sensibilité française toute particulière sur cette question, la Communauté souhaitait préserver l'agriculture du libre jeu de la division internationale du travail, s'agissant d'une activité ne se réduisant pas à la vente de produits sur des marchés, mais offrant également un service en termes de sécurité alimentaire et de qualité de l'espace. Cela justifie des actions de soutien pour lesquelles il faut obtenir l'aval des autres partenaires de la négociation, ce qui n'est pas facile, car ceux-ci sont tentés d'accuser la Communauté de jouer le jeu de l'ouverture lorsqu'elle y a avantage, et d'invoquer un besoin de soutien lorsqu'elle se trouve en moins bonne position. Il convient de démontrer que les soutiens européens à l'agriculture ne se traduisent pas par la prise de parts de marchés dans les PED. A propos du lien entre la négociation multilatérale et la réforme interne de la PAC, il a estimé que la seconde aurait dû précéder la première, de manière à éviter la situation actuelle où la négociation concernant la réforme interne se fait à la lumière des négociations multilatérales et prive la Communauté de certaines marges de manœuvres dans le cadre de cette négociation.

S'agissant des services, il a rappelé leur part considérable dans l'économie européenne (2/3 du PIB), celle-ci faisant jeu égal dans ce domaine avec les Etats-Unis. Il a en outre souligné la sensibilité de l'opinion publique européenne à ce volet de la négociation multilatérale, qui s'explique notamment par la conception très large des services d'intérêt général prévalant en Europe, qui constitue d'ailleurs sans doute une de ses spécificités.

Il a rappelé que l'offre de l'Union européenne en matière de services avait été préparée en vue d'assurer l'entière sauvegarde des services publics au sein de l'Union et qu'elle ne risquait pas de conduire à des remises en question de notre réglementation de ces services. Il a insisté sur la différence existant, en effet, entre le volet externe et le volet interne, l'ouverture externe portant sur le seul commerce des services, non leur réglementation et ne se traduisant pas par un surplus de libéralisation. Ainsi, une entreprise étrangère doit, en préalable à son entrée sur le marché européen, se soumettre obligatoirement aux règles en vigueur, dont l'Union garde la totale maîtrise.

Il a conclu en insistant sur l'importance de l'équilibre à trouver entre l'ouverture aux échanges et le renforcement de certaines règles dans la stratégie commerciale européenne, en précisant que cet attachement aux règles donnait une position spécifique à la Communauté européenne dans la négociation multilatérale, puisque les Etats-Unis ne partageaient pas la sensibilité européenne sur les questions sociales et environnementales, notamment, et que les pays du Sud percevaient cette volonté d'un renforcement des règles comme une forme de « néo-protectionnisme » visant à les priver de leurs avantages comparatifs.

S'exprimant au nom du groupe UMP, M. Michel Raison a rappelé que son groupe était très attaché à l'OMC, à l'heure où de fausses informations attisent la peur dans les esprits. Estimant que l'OMC était un outil indispensable pour fixer des règles aux échanges internationaux, il a déploré les attaques contre cette institution, dont il a jugé qu'elles constituaient un soutien indirect aux Etats-Unis, souvent réticents à fixer de telles règles.

Puis, il a souhaité savoir quels seraient les secteurs pour lesquels l'Union européenne se montrerait offensive ou défensive (comme cela peut être le cas pour le textile par exemple) dans les négociations et s'est également interrogé sur les stratégies, secteur par secteur, de nos principaux concurrents.

Il a souhaité connaître la part des échanges de services dans le commerce mondial et quels étaient parmi eux ceux dans lesquels l'Europe avaient le plus d'atouts.

Evoquant les services publics, il a par ailleurs souhaité connaître les services régaliens qui seraient défendus par l'Union européenne dans les négociations multilatérales et, citant à titre d'exemple, les services postaux, a exprimé la crainte que leur dérégulation n'entraîne des problèmes importants pour le monde rural.

Plus généralement, reconnaissant que l'ouverture des échanges était une bonne chose, il a appelé à être vigilant quant à son impact sur les équilibres environnementaux et culturels ainsi que sur l'aménagement du territoire.

Abordant les questions agricoles, il a fait part du désaccord de son groupe sur l'analyse de M. Pascal Lamy. Rappelant que les échanges de produits agricoles représentaient moins de 10 % du commerce mondial et concernaient moins de 10 % des produits agricoles, il a fait part des interrogations des agriculteurs, qui ne comprennent pas pourquoi certains secteurs économiques agricoles sont « massacrés » alors qu'ils ne représentent qu'une très faible part des échanges. Il a enfin insisté sur les doutes du groupe UMP quant à l'opportunité de mener la réforme de la politique agricole commune préalablement à la tenue des négociations dans le cadre de l'OMC. Jugeant que cette méthode n'était pas la bonne, il a souhaité que M. Pascal Lamy justifie son choix.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard, s'exprimant au nom du groupe socialiste, a regretté de « rester sur sa faim » à l'issue de l'exposé de M. Pascal Lamy. Reconnaissant que l'OMC devait avoir pour mission de réguler le commerce international, elle a plaidé en faveur d'une transparence accrue de cette institution, dont elle a regretté l'opacité qu'elle a jugée fortement préjudiciable aux Etats membres.

Notant que le fondement doctrinal de la position européenne reposait sur la nécessité d'une ouverture des échanges, elle a jugé que cette démarche n'était valable que si cette ouverture était encadrée par des règles. Or, a-t-elle déploré, dans le secteur des services, l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) peine à aboutir et les négociations se caractérisent par leur grande opacité. Elle a notamment regretté que le Parlement ne soit pas mieux informé et doive soit s'en remettre à des « fuites », soit se plonger dans la lecture de documents rédigés en anglais et difficiles d'accès. Elle a jugé que l'Union européenne devait, dans ce domaine, accomplir des efforts, afin que les Etats membres disposent d'une information claire et intelligible.

Puis, rappelant que M. Pascal Lamy avait affirmé que l'ouverture du commerce n'était pas synonyme de libéralisation, Mme Geneviève Perrin-Gaillard a souhaité que le commissaire explicite ces propos.

Après avoir souligné que lors du sommet du G8, les chefs d'Etat avaient reconnu l'accroissement des disparités entre pays, la dégradation permanente de l'environnement et l'aggravation des questions sociales, ainsi que la pérennisation des conflits armés, elle a jugé que ce constat montrait bien que les règles imposées jusqu'ici au commerce international n'avaient pas permis un développement harmonieux des pays du Nord et de ceux du Sud. Elle s'est étonnée que dans ce contexte, le G8 ait estimé opportun de poursuivre la libéralisation du commerce mondial, sans l'assortir de règles.

Elle s'est par ailleurs inquiétée que, dans le cadre de l'AGCS, toutes les activités humaines aient vocation à supporter une ouverture des échanges, citant à titre d'exemple les secteurs de l'eau, de l'énergie, de la santé et de l'éducation. Jugeant qu'il était temps d'avoir des éclaircissements sur les évolutions à venir, elle s'est déclarée dubitative quant à l'opportunité d'une ouverture accrue des échanges et s'est inquiétée des risques d'ingérence de l'OMC vis-à-vis des Etats membres, ainsi que de la non prise en compte des droits sociaux dans les négociations multilatérales.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard a en conséquence plaidé en faveur d'un ralentissement du processus de libéralisation, redoutant le caractère irréversible de l'AGCS et souhaitant que celui-ci puisse être revu.

Puis, elle a souhaité savoir comment le commissaire envisageait d'assurer une meilleure information du Parlement et si son mandat lui permettrait de mettre un terme à certaines négociations. Sur ce point, elle a suggéré que ce mandat puisse être revu si tel n'était pas le cas.

S'exprimant au nom du groupe UDF, M. Christian Blanc après avoir rappelé les propos de M. Lamy selon lesquels la concurrence et le commerce extérieur constituaient deux compétences « fédéralisées » au sein de l'Union, pour lesquelles la Commission européenne peut négocier et auxquelles s'applique la règle de la majorité qualifiée pour les prises de décisions, a souhaité savoir quelles seraient les conséquences de l'élargissement de l'Union européenne sur les procédures décisionnelles existantes et quelle était l'adhésion des futurs nouveaux Etats membres à ces règles. Il s'est également enquis des éventuelles différences de stratégie des Etats membres vis-à-vis des Etats-Unis, selon qu'ils appartiennent ou pas à la zone euro, mentionnant le cas de la Grande-Bretagne.

M. Olivier Dassault, intervenant en qualité de président du groupe d'étude sur l'OMC et la régulation internationale, a souhaité connaître le montant et la nature du soutien octroyé par les Etats-Unis à leur agriculture dans le cadre du Farm Bill et a demandé s'il pouvait être envisagé de transposer ces aides à l'Union européenne.

Puis, évoquant les sanctions américaines dans le cadre du conflit du bœuf aux hormones, notamment à l'encontre d'entreprises françaises mises « hors marché » par des droits de douane prohibitifs, il a jugé que de telles sanctions pouvaient s'apparenter à une politique économique menée contre la France et a souhaité savoir si ce dossier pourrait être réétudié. Notant par ailleurs que des produits américains, tels les jus de fruits de Floride, avaient été en réponse fortement taxés par la France, il a souhaité savoir comment était opéré un tel choix de réciprocité des sanctions. Il a enfin rappelé que les efforts consentis par de nombreuses petites et moyennes entreprises pour exporter vers les Etats-Unis pouvaient être « ruinés » par les sanctions commerciales et a souhaité que ces entreprises puissent être prises en compte dans le cadre de la politique commerciale communautaire.

En réponse aux divers intervenants, M. Pascal Lamy, commissaire européen chargé du commerce extérieur, a apporté les précisions suivantes :

- il est délicat de détailler publiquement les secteurs pour lesquels l'Union européenne envisage d'être offensive ou défensive dans les négociations, car cela reviendrait à « abattre ses cartes » avant le terme des négociations. On peut toutefois dire que la doctrine générale consiste à être offensif dans les secteurs pour lesquels nous sommes performants et défensifs dans les autres, les négociations constituant globalement un jeu « gagnant-gagnant » pour tous. L'Union européenne est offensive dans tous les secteurs, à l'exception de celui du soutien à l'agriculture. Mais ce propos doit être nuancé, car l'Europe se montrera offensive sur la question de la protection des appellations d'origine et des indications géographiques, l'avenir de l'agriculture européenne étant dans la qualité plutôt que dans la quantité. On peut d'ailleurs noter que la balance commerciale agricole de l'Europe avec les Etats-Unis est excédentaire, alors que notre surface arable est trois fois moindre, en raison de la forte valeur ajoutée des produits que nous exportons (vins et fromages notamment) dans ce pays.

Le secteur textile ne fait pas partie des activités pour lesquelles l'Europe a des intérêts défensifs. En effet, elle est le premier exportateur mondial de textiles et les marchés de la Chine, de l'Inde et du Brésil constituent pour elle de véritables opportunités, sur le segment des produits haut de gamme. Des emplois pourraient donc être gagnés dans ce secteur, notamment si l'intégration euro-méditerranéenne est poursuivie ;

- il est difficile de disposer de statistiques fiables sur la part des services dans les échanges mondiaux car ils ne sont pas soumis à des droits de douane. On peut néanmoins estimer cette part à 20 ou 30 %.

Elle tend à croître rapidement, notamment en raison de l'entrée de certains pays en voie de développement, comme l'Inde, sur le marché des technologies de l'information. S'agissant de l'Europe, ses points forts sont notamment la distribution, les télécommunications, les services financiers et la distribution d'eau, secteurs dans lesquels nous sommes plus performants que les Etats-Unis. On doit par ailleurs souligner qu'en matière de services, les négociations multilatérales ne sont pas fondées sur le principe de réciprocité, mais sur un système de requêtes et d'offres globales ;

- concernant l'agriculture, il existe effectivement un désaccord tactique entre la Commission européenne et le Gouvernement français sur le calendrier, la politique française consistant à « faire traîner » les négociations relatives à la réforme de la Politique Agricole Commune. L'Union européenne a été conduite à mener les négociations internes sur la réforme de la PAC en plein cycle de négociations commerciales, ce qui la place dans une situation inconfortable. Il aurait été plus opportun de mener notre réforme interne préalablement et de décider ensuite de notre position dans les négociations multilatérales ;

- l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) n'est plus en discussion : il a été conclu en 1995 et ratifié par l'ensemble des parties, dont l'Union européenne ; il est accessible au public et définit le cadre régissant les négociations internationales sur les services. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) n'est pas une institution mais un forum de négociation et ne peut donc être comparée, comme le font certains mouvements hostiles à la mondialisation, à des institutions organisées telles que le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale ou l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), cette dernière employant 2000 personnes. Le reproche d'opacité n'est pas réellement justifié, même s'il est souhaitable d'améliorer la communication autour de ces négociations.

La Commission européenne mène la politique commerciale de l'Union européenne conformément au mandat qui lui a été confié par le Conseil des ministres de l'Union européenne et rend compte au Conseil et au Parlement européen, qui a approuvé sa politique. De ce fait, les ministres et certains parlementaires européens ont accès à des informations confidentielles et sensibles sur le déroulement des négociations. Il revient donc à la société civile de consulter ces responsables politiques pour disposer de ces informations, cette surveillance légitime leur permettant de s'assurer, par exemple, de la préservation du périmètre des services publics européens. Dans le cadre de ces procédures, certes un peu complexes, un effort de transparence sans précédent a été effectué. L'information est accessible au public, comme en témoigne la publication récente sur le site Internet de l'Union européenne du document de 1 200 pages en anglais sur l'offre faite par l'Union européenne en matière de services, que la Commission européenne n'a pas encore eu les moyens de traduire ;

- s'agissant du champ de l'ouverture des marchés, l'Union européenne choisit souverainement les activités pour lesquelles elle fait des offres d'ouverture commerciale dans les négociations internationales et conserve la possibilité de réguler ces activités ouvertes comme elle le souhaite en interne. Les services publics ne sont pas concernés, y compris dans le domaine audiovisuel, car le débat en cours avec le gouvernement français sur la méthode la plus pertinente pour préserver la diversité culturelle a lieu dans le cadre de la Convention et concerne les institutions, non la politique commerciale. S'agissant des services postaux, la conclusion des négociations en cours aboutirait en 2007 à un degré d'ouverture vis-à-vis de l'extérieur qui serait comparable à celui déjà réalisé en 1997 au plan intérieur ;

- en ce qui concerne les relations Nord-Sud, l'ouverture des échanges est une condition nécessaire mais non suffisante pour assurer le développement ;

- s'agissant des droits sociaux, l'Union européenne n'a certes pas réussi à établir des liens entre l'OMC et l'Organisation internationale du travail (OIT) comme elle l'aurait voulu, pour soumettre le commerce international au respect des cinq conventions de base de l'OIT. Cet échec s'explique par la position prise par la nouvelle administration américaine, qui fait front commun avec les pays en développement sur ce sujet. Ces derniers voient dans cette demande émanant de pays riches une atteinte à leur souveraineté et un risque de destruction de leurs avantages comparatifs en matière sociale, leur crainte étant la création, à plus long terme, d'un salaire minimum mondial ou d'une sécurité sociale mondiale qui seraient pour eux inacceptables. Il convient toutefois de ne pas perdre de vue cet objectif qui devrait vraisemblablement conduire tôt ou tard à des prises de position divergentes au sein des pays en développement, lorsque certains souffriront de la concurrence de pays tels que la République populaire de Chine ;

- s'agissant de la politique agricole américaine, il est difficile de déterminer le coût exact du Farm Bill, celui-ci autorisant un soutien public dont le montant varie en fonction de données aussi imprévisibles que le niveau des prix agricoles. Ce système consistant à garantir à l'agriculteur un prix donné pour sa production quel qu'en soit le prix d'achat réel sur le marché en comblant la différence, il est impossible de connaître par avance le montant de l'enveloppe consacrée par l'Etat à ces interventions. Il faut donc se satisfaire d'un contrôle a posteriori de la conformité de cette enveloppe aux engagements pris à l'OMC. Si les Etats-Unis dépassaient leur plafond de dépenses, fixé à environ 30 milliards de dollars, contre 90 milliards de dollars pour l'Union européenne, les règles établies dans le cadre de l'OMC permettraient de sanctionner cette attitude.

Il convient de s'interroger sur les disciplines complémentaires pouvant être acceptées par l'Union européenne en matière agricole. Un découplage partiel entre le montant des aides et le niveau de la production permettrait à l'Union européenne d'obtenir le classement de l'ensemble de ses aides agricoles dans la catégorie des aides autorisées (« boîte verte »), ce qui constituerait un avantage décisif dans les négociations face aux Etats-Unis, dont le système d'aides reste très couplé à la production. Il est donc de l'intérêt de l'Union européenne d'aboutir à une situation où les Etats-Unis, dont les exploitations agricoles se caractérisent par des superficies très importantes, subiront seuls les attaques des autres membres de l'OMC. En outre, l'Union européenne ne peut continuer à soutenir de la même façon les exploitations agricoles, quelle que soit leur taille, d'où la proposition de découplage ;

- s'agissant des sanctions, les disciplines instaurées dans le cadre de l'OMC obligent les Etats à se soumettre aux décisions de l'Organe de règlement des différends (ORD) de l'OMC. L'ORD demande à la partie perdante une mise en conformité de sa réglementation avec les règles de l'OMC et peut autoriser la partie gagnante à prendre des sanctions commerciales à l'encontre de la partie perdante en l'absence de mise en conformité. S'agissant des contentieux relatifs à la banane et au bœuf aux hormones, les Etats-Unis ont pris des sanctions un peu rapidement. Le contentieux relatif à la banane est en voie de règlement, tandis que celui sur le bœuf aux hormones, qui donne lieu à des sanctions américaines d'environ 150 millions de dollars depuis 1999, sera résolu dès que l'Union européenne aura adapté sa législation et fourni à l'ORD les éléments scientifiques attendus, démontrant les risques de certaines hormones pour la santé humaine.

Par ailleurs, l'Union européenne a gagné dans le contentieux l'opposant aux Etats-Unis en ce qui concerne les avantages fiscaux qui constituent des subventions aux exportations de leurs sociétés (FSC). Si les Etats-Unis ne mettent pas ce système de subventions déguisées en conformité avec les règles du commerce international avant la fin de l'année, l'Union européenne est autorisée par l'ORD à prendre des sanctions pouvant aller jusqu'à 4 milliards de dollars. La Commission européenne a publié la liste des produits américains qui pourraient être surtaxés dans ce cadre, cette liste ayant été adoptée avec le souci de limiter le plus possible les effets secondaires qui pourraient être provoqués par ces droits de douane pour nos entreprises. Les produits y figurant ont donc été sélectionnés pour leur poids ou leur sensibilité dans les exportations américaines et leur caractère moins sensible dans les importations des entreprises européennes.

M. Léonce Deprez a souhaité obtenir des précisions sur la situation de la pêche artisanale, dont la régulation apparemment insuffisante nourrit en France l'inquiétude des professionnels. Il s'est en particulier inquiété des excès de certaines formes de pêche farinière conduisant à « labourer » les ressources naturelles de la mer.

Il a par ailleurs souhaité connaître la position de l'Union européenne sur les projets du Gouvernement français de réduire le taux de la TVA dans le secteur de la restauration.

Il s'est enfin interrogé sur le rôle joué à l'OMC par l'Union européenne pour limiter les causes économiques des massacres sur le continent africain. Il a ainsi constaté que le pillage des richesses du sous-sol dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC) constituait un enjeu central dans la guerre qui dévaste ce pays et a suggéré d'établir au niveau mondial des règles commerciales de nature à limiter de telles dérives.

M. André Chassaigne s'est interrogé sur les moyens d'intervention de l'Union européenne dans le cadre de l'OMC en matière de protection commerciale extérieure et de tarifs industriels pour éviter que de nombreuses entreprises ne soient pénalisées par l'importation de contrefaçons comme, par exemple, la coutellerie de Thiers. Il s'est inquiété de l'orientation suivie par l'Union dans les négociations de l'OMC qui semble se traduire par le sacrifice de l'agriculture en échange de la défense d'autres secteurs, comme l'industrie, et de la non application des sanctions en cas de non respect des règles de l'OMC. Il a souligné, enfin, qu'en matière de services, la réduction permanente du périmètre des services publics, au sein même de l'Union, conduit à ce qu'ils soient de plus en plus touchés par la libéralisation.

Après s'être interrogé sur les conséquences de l'élargissement de l'Union européenne sur la politique commerciale commune, M. Pierre Ducout s'est inquiété du mode d'évaluation, dans les négociations de l'OMC, des subventions indirectes à l'agriculture, en particulier en matière d'imposition, et sur la prise en compte de l'évolution relative des cours du dollar et de l'euro. Plus largement, il a souhaité savoir si le contexte international actuel, qui se caractérise par une prépondérance impressionnante et unilatérale des Etats-Unis comme l'a montré la guerre contre l'Irak, a des répercussions sur l'OMC. Enfin, s'agissant du secteur de la santé, il a souhaité que soit éclaircie la position américaine sur les copies de médicaments permettant de lutter contre les grandes pandémies comme le Sida.

M. Antoine Herth, après s'être, lui aussi, inquiété du contexte des négociations de l'OMC tracé par la guerre contre l'Irak et par la place centrale occupée par les Etats-Unis dans les relations internationales, alors que des divergences politiques sensibles sont apparues sur ce conflit entre les pays membres de l'Union européenne, a souhaité, s'agissant des relations Nord-Sud, connaître le point de vue de l'Union européenne sur l'orientation retenue et souhaitée par les intéressés, fondée sur le principe : « tout sauf les armes ». Il a également souligné que les accords de l'OMC devraient prendre en compte la défense des appellations d'origine et des signes de qualité définis en Europe, encourageant le développement durable et l'agriculture raisonnée, parfaitement compatibles avec une protection non tarifaire.

M. Jean-Marie Sermier s'est étonné que l'on puisse dire que l'agriculture européenne n'est pas compétitive alors qu'elle est, par exemple, moins consommatrice de subventions que celle des Etats-Unis, et a estimé que la réforme de la politique agricole commune intervenue en 1992 puis en 1999 devait s'appliquer jusqu'en 2006. Il a jugé que le découplage aboutirait au démantèlement de la PAC.

M. Jean-Michel Fourgous a souhaité que soient précisés les pôles d'excellence français pour les dix ans à venir et les moyens nécessaires à leur renforcement et, plus largement, que soient tracées les grandes lignes d'une stratégie économique européenne, fondée sur des choix intelligents compatibles avec la protection des niveaux de vie.

Le Commissaire Pascal Lamy a apporté les éléments de réponse suivants aux différents intervenants :

- l'élargissement de l'Union européenne n'aura aucune incidence sur la politique commerciale communautaire, car les futurs pays membres ont été depuis longtemps informés des conditions de la mise en œuvre de cette politique, en partagent les principes et se sont préparés à la rejoindre ;

- il n'existe pas entre les Etats membres de la zone euro et les autres de différence notable en ce qui concerne la mise en œuvre de la politique commerciale, et les Etats-Unis n'opèrent de leur côté aucune distinction, pour ce qui concerne leur politique commerciale, entre les différents Etats membres, qu'ils fassent ou non partie de la zone euro ;

- s'agissant de la pêche, la stratégie commerciale européenne consiste à obtenir des Etats tiers une discipline dans leurs soutiens à la flotte de pêche, et il faut noter que le fait d'avoir pu aboutir à un accord au sein de l'Union sur la réforme de la politique de la pêche, fin 2002, avant l'ouverture de la négociation multilatérale, renforce la position de la Communauté face à ses interlocuteurs ;

- l'application du taux réduit de TVA à 2,1 % à la restauration et son maintien pour les travaux immobiliers, est une question interne à l'Union, qui pourra en décider au vu d'un bilan, notamment en ce qui concerne l'impact en termes d'emploi, en cours d'élaboration ; la Commission se prononcera de manière collégiale sur ce bilan et ce sera Frits Bolkenstein, Commissaire en charge de la fiscalité, qui fera des propositions ; il faudra tenir compte de l'avis de tous les Commissaires et notamment de Pedro Solbes, Commissaire chargé des affaires économiques, car une réduction de la fiscalité a un impact sur l'équilibre des finances publiques ;

- la politique commerciale ne constitue sans doute pas l'instrument adapté pour pacifier le continent africain ; elle ne peut intervenir sur ce plan qu'à la marge, comme elle l'a fait, par exemple, en contribuant à ce que le trafic des « diamants du sang » ne renforce pas les moyens financiers de certaines forces non gouvernementales ;

- les évolutions du commerce mondial n'ont qu'un impact limité sur le tissu industriel communautaire car seulement 10 % des échanges commerciaux de la Communauté s'effectuent avec le reste du monde, contre 90 % entre les Etats membres ; l'essentiel des restructurations provient donc de facteurs internes à la Communauté et leur traitement social relève des politiques publiques nationales ;

- le problème de la contrefaçon, dont souffre l'industrie du couteau à Tiers, fait déjà l'objet de règles de protection de la propriété intellectuelle adoptées à l'OMC sous l'impulsion de l'Union au début des années 90 ; la difficulté tient à l'application de ces règles par des pays qui tirent un revenu de la contrefaçon ; il est possible d'exercer une pression au travers des 140 délégations de l'OMC à travers le monde, mais aussi dans le cadre des relations commerciales bilatérales. Cependant, à terme, tous les pays ont intérêt à la disparition de la contrefaçon, car chacun peut un jour ou l'autre, dès qu'il a dépassé un certain stade de développement, s'en retrouver lui-même victime ;

- les négociations sur les questions agricoles porteront sur un réaménagement des équilibres au sein du secteur agricole, sans que ces négociations conduisent à un troc en faveur d'autres secteurs ;

- en matière de services publics, le mandat du Conseil européen est parfaitement clair, et se traduit par un refus de négocier quelque concession que ce soit ; de toute façon, en ce domaine, il convient, avant d'envisager la moindre ouverture, de poursuivre une réflexion sur la nature des services publics, sur la base du Livre vert que la Commission vient de publier ;

- les subventions indirectes à l'agriculture sont prises en compte dans les négociations pour autant qu'il soit possible de les mesurer, et d'apprécier leur portée d'un point de vue micro-économique ;

- les évolutions de la parité entre le dollar et l'euro, qui sont des phénomènes de court terme, n'ont pas d'incidence sur le contenu des négociations multilatérales qui s'inscrivent dans le moyen terme, même si elle peuvent avoir un impact en termes de soldes extérieurs, selon des mécanismes qui peuvent être complexes, puisque la hausse de l'euro, en abaissant le coût d'une partie des importations européennes, favorise aussi la compétitivité des produits intégrant ces importations comme intrants ;

- la crise irakienne n'a pas eu d'incidence sur le cours des négociations multilatérales parce que les négociateurs se sont entendus pour établir un cloisonnement entre ces négociations et les questions diplomatiques. De toute façon, tous sont parfaitement conscients des très fortes interdépendances qui structurent le paysage économique mondial, et qui auraient pour effet de rendre contre-productive toute mesure nationale de boycottage ;

- le régime « Tout sauf les armes » est une opération unilatérale de la Communauté européenne en faveur des 50 pays les plus pauvres, qui se superpose aux mesures de préférences commerciales déjà mises en place dans un cadre multilatéral ;

- dans le domaine de « l'agriculture raisonnée », la Commission soutient l'idée de « l'éco-étiquettage » qui est certainement appelée à connaître un développement dans le futur, malgré l'hostilité des Etats-Unis et des pays en développement ;

- l'agriculture européenne n'est pas « non compétitive », mais elle ne supporterait pas l'application des lois du capitalisme de marché et de la division internationale du travail. ; le même constat serait d'ailleurs en partie valable pour l'agriculture américaine ; cela justifie une action de soutien, qui rend indispensable la réforme de la politique agricole commune ; et en la matière, le Conseil des ministres de l'Union peut parfaitement défaire ce qu'il a fait ;

- quant à la compétitivité de l'Union européenne, elle suppose un investissement dans l'intelligence, pour favoriser des productions à haute valeur ajoutée tournées vers la qualité, et échapper ainsi à un enfermement dans la fabrication de biens de type « commodities », pour lesquels les pays émergeants comme l'Inde, le Brésil, et la Chine, sont bien mieux placés que l'Europe du point de vue des avantages comparatifs.

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La Commission a ensuite examiné, sur le rapport de M. Dominique Le Mèner, la proposition de résolution de M. Christian Philip (n° 712) sur le deuxième paquet ferroviaire (documents E-1932, E-1936, E-1937 et E-1941).

M. Dominique Le Mèner, rapporteur, a tout d'abord indiqué que les problèmes liés à l'adoption du « deuxième paquet ferroviaire » s'inscrivaient pleinement dans le cadre de la réflexion générale menée avec le commissaire Pascal Lamy sur l'ouverture des marchés.

Il a remarqué que la France disposait, pour les voyageurs, de transports ferroviaires développés et appréciés mais que le rail accusait un retard persistant par rapport à la route en ce qui concerne le transport de marchandises. Il a ainsi observé qu'en 2001, le transport routier représentait plus de 70 % des parts de marché pour les marchandises, contre seulement 18 % pour le transport ferroviaire, ce chiffre s'élevant à environ 30 % il y a trente ans.

Il a estimé que le transport ferroviaire restait pourtant le mode de transport le plus sûr et le moins polluant et a donc jugé nécessaire d'en renforcer la compétitivité en l'organisant plus efficacement. Il a rappelé que la première phase de libéralisation du fret ferroviaire, entrée en vigueur en France le 15 mars dernier, avait permis d'ouvrir à la concurrence 50 000 kilomètres de lignes internationales de fret. Il a observé que les quatre projets de textes communautaires regroupés sous l'intitulé « deuxième paquet ferroviaire » poursuivaient cette démarche de modernisation des chemins de fer et visaient à favoriser l'émergence d'un espace ferroviaire européen unifié.

Il a estimé que la France, pour éviter tout isolement diplomatique, devait accepter une libéralisation maîtrisée pour le fret ferroviaire, ce processus permettant d'y accroître l'activité et la productivité. Il a toutefois considéré que l'ouverture complète à la concurrence de ce mode de transport devait s'accompagner de garanties sociales et sécuritaires suffisantes, afin de ne pas niveler par le bas les différents modèles existant en Europe. Enfin, il a remarqué que la réalisation d'un véritable espace ferroviaire européen était subordonnée à la mise en place de mécanismes de coordination adaptés, en ce qui concerne tant l'agence ferroviaire européenne que l'interopérabilité.

Il a, en premier lieu, souhaité rappeler ce que la France pouvait attendre d'une libéralisation maîtrisée du transport de fret ferroviaire.

Il a indiqué que le développement du fret ferroviaire s'imposait comme une évidente nécessité. Il a en effet rappelé que ce mode de transport, comparé au transport routier ou aérien, était de loin le plus sûr, puisque les accidents y sont moins fréquents, et le plus respectueux de l'environnement, puisqu'il ne dépend que d'une production électrique, bien maîtrisée en France. Il a donc estimé que le transport par rail des marchandises avait non seulement moins d'impacts négatifs pour la collectivité que les autres modes de transport, mais qu'il pouvait aussi être le plus rentable économiquement s'il était correctement organisé.

Il a précisé que la libéralisation, encadrée par l'ensemble des règles et contrôles proposés dans les quatre textes examinés, permettrait d'accroître fortement la compétitivité du rail par rapport à la route, la simple menace d'arrivée d'une nouvelle entreprise sur le marché des prestataires de service devant naturellement amener l'opérateur historique à améliorer l'efficience de son offre. Il a ajouté que, comme le soulignait à juste titre le rapport de la Délégation pour l'Union européenne, l'ouverture du réseau n'avait pas sérieusement entamé la position dominante des opérateurs historiques dans les Etats de l'Union européenne ayant procédé à une libéralisation du fret ferroviaire.

Il a toutefois assuré que les entreprises ayant recours au rail pour transporter leurs marchandises bénéficieraient inévitablement de ce processus mêlant flexibilité, diversification des services proposés et baisses de prix. Il a précisé que, malgré le maintien d'une position très dominante de la SNCF sur le marché, ce processus pourrait intervenir, à condition que l'entrée de nouveaux opérateurs de transport de fret ferroviaire reste possible sans coût fixe irrécupérable. Il a rappelé que les autorités de régulation du marché, et notamment Réseau ferré de France (RFF), auraient la charge de veiller à ce bon fonctionnement du marché.

Il a donc estimé que, dans ces conditions, l'ouverture à la concurrence du marché européen de transport de fret ferroviaire devrait permettre de développer ce mode de transport sans remettre sensiblement en cause la position favorable de l'opérateur historique. Il a donc jugé ce processus acceptable, la date du 1er janvier 2006 semblant appropriée pour les services de fret international.

S'agissant du transport de fret national, il a noté que l'ouverture à la concurrence semblait moins urgente pour l'unification de l'espace ferroviaire européen. Il a donc considéré que la date du 1er janvier 2008, retenue par le Conseil des ministres de l'Union européenne en première lecture, semblait plus opportune que celle du 1er janvier 2006, proposée par le Parlement européen. Il a précisé que le délai de deux ans ainsi accordé permettrait à la SNCF de disposer du temps nécessaire pour adapter son équipement et ses méthodes au défi de la concurrence.

Il a par ailleurs appelé à une séparation plus effective entre, d'une part le régulateur, Réseau ferré de France (RFF), qui est aussi le gestionnaire des infrastructures, et, d'autre part la SNCF, qui est aujourd'hui l'opérateur unique. Il a indiqué qu'à défaut, RFF pourrait être accusé de privilégier la SNCF, ce qui poserait des difficultés considérables au plan communautaire.

Il a en outre remarqué que l'opposition de la France à la nouvelle étape de libéralisation du transport ferroviaire avait trouvé ses limites dans le fonctionnement des institutions communautaires. Il a en effet indiqué que la France avait été isolée lors du vote sur le « deuxième paquet ferroviaire » au conseil des ministres de l'Union européenne des 27 et 28 mars derniers, l'hostilité de la Belgique et du Luxembourg n'empêchant pas l'adoption des textes à la majorité qualifiée. Face à un processus qu'il a jugé inéluctable et prometteur, il a donc appelé à rechercher désormais l'efficacité, en influant de l'intérieur sur le processus de libéralisation pour l'améliorer, plutôt que de le subir. Il a ajouté que l'opposition frontale et minoritaire présentait l'inconvénient de « maintenir l'image d'une France fermée », comme le soulignait très justement le rapport de la Délégation pour l'Union européenne.

Il a estimé qu'il n'y avait pas lieu de craindre une libéralisation limitée au seul fret ferroviaire, celle-ci devant s'accompagner d'un contrôle fort, fondé sur un organe régulateur et des normes exigeantes. Il a indiqué que la SNCF, disposant d'une expérience inégalée et de personnels particulièrement compétents, était largement en mesure de relever un tel défi.

Il a toutefois estimé que cette libéralisation devait être assortie de garanties sociales et sécuritaires suffisantes.

Il a tout d'abord indiqué que l'harmonisation des conditions de sécurité devait être plus exigeante, le maintien d'un haut niveau de sécurité, limitant le plus possible les risques d'accidents, constituant un atout du rail à valoriser. Il a en effet remarqué qu'une vigilance insuffisante sur cette question pourrait perturber l'ensemble de la démarche d'ouverture à la concurrence.

Il a observé que les dysfonctionnements des chemins de fer britanniques, habituellement invoqués par les opposants au processus de libéralisation, s'expliquaient certes par une insuffisance durable d'investissements sur le réseau, mais surtout par la faiblesse des normes de sécurité et de leur contrôle, l'utilité des standards de sécurité est comparée, en Grande-Bretagne, au surinvestissement qu'ils peuvent impliquer.

Il a précisé qu'à l'inverse, l'une des principales spécificités du modèle français en matière de sécurité ferroviaire était la fixation d'un niveau très élevé pour les coefficients de sécurité, indicateurs reflétant le rapport entre la résistance maximale des ouvrages et les forces s'exerçant sur eux en temps ordinaire. Il a observé que ce surinvestissement, permettant de faire face aux événements exceptionnels, tendait à minimiser le nombre de victimes d'accidents mais pourrait être considéré par la Commission européenne, dans une logique coût/bénéfices, comme exagéré. Il a donc jugé indispensable pour la France de convaincre dès à présent les instances communautaires de ne pas raisonner en termes de rentabilité financière pour les questions touchant à la sécurité des usagers.

Il a considéré que la présentation générale du dispositif envisagé par la proposition de directive sur la sécurité semblait conforme à cette exigence cruciale de sécurité. Il a ainsi approuvé la nécessité pour chaque entreprise de disposer d'un certificat de sécurité pour accéder au réseau et la faculté de réviser ou retirer ce certificat, de même que les dispositions relatives à la formation des personnels ou encore les procédures décrites pour les enquêtes et sanctions en cas de dysfonctionnements.

Il a en revanche indiqué que certaines modalités prévues pour l'harmonisation des règles de sécurité entre Etats membres n'étaient pas satisfaisantes.

Il a ainsi estimé nécessaire d'améliorer la rédaction de l'article 5 de cette proposition de directive, aux termes duquel les objectifs de sécurité communs sont élaborés en fonction des « critères d'acceptation des risques », tous les risques devant au contraire être combattus sans qu'aucun puisse être considéré par avance comme acceptable. Il a également considéré que ces objectifs ne devaient pas définir des « niveaux de sécurité minimaux devant être atteints » mais des niveaux correspondant à un optimal contraignant, de façon à éviter un alignement des modèles nationaux les plus exigeants en matière de sécurité ferroviaire sur les modèles les plus souples.

Il a en outre noté que l'obligation de transmission préalable à la Commission européenne de tout projet de règle nationale de sécurité, telle qu'elle résultait de l'article 8 de la proposition de directive, ne favoriserait pas une amélioration des conditions de sécurité. Il a précisé que cette disposition pourrait en effet conduire la Commission européenne à empêcher un Etat membre de mettre en place des normes de sécurité plus élevées sous prétexte d'éviter tout protectionnisme. Il a jugé préférable d'éviter les procès d'intention et de permettre aux Etats de prendre toutes les mesures sécuritaires qu'ils jugeraient utiles, à charge pour les opérateurs de s'y conformer. Il a estimé que, d'une manière générale, le droit de la concurrence ne devait pas empêcher certains Etats d'aller au-delà du socle européen de sécurité.

S'agissant des conditions d'activité des personnels chargés de la circulation des trains et de la gestion du réseau ferroviaire, il a indiqué qu'une réflexion devait s'engager face à la disparité des statuts sociaux au sein de l'Union européenne. Il a regretté que le « deuxième paquet ferroviaire » proposé par la Commission européenne n'aborde pas davantage les pistes d'harmonisation des formations et des conditions de travail dans ce secteur.

Il a rappelé que les cheminots de la SNCF disposaient d'un niveau de formation très élevé, la SNCF y consacrant chaque année 45 000 euros par agent. Il s'est inquiété du risque qu'en l'absence de cadre social commun, l'accélération de l'ouverture du rail à la concurrence au niveau européen incite chaque compagnie à assumer le moins possible par elle-même la formation des personnels, qu'elle chercherait à débaucher chez ses concurrents. Il a donc souligné qu'il convenait de soutenir toute initiative visant à instaurer un volet social dans les textes proposés par la Commission européenne.

Il a indiqué que ce volet pourrait consister, comme le proposent plusieurs amendements du Parlement européen, à harmoniser les temps de travail et de repos des conducteurs et personnels de bord effectuant des tâches essentielles à la sécurité du transport, ou encore à instaurer un permis de conducteur de train assurant des services transfrontaliers. Il a également jugé utiles les amendements du Parlement européen chargeant les Etats membres de veiller à ce que les personnels concernés maîtrisent correctement les moyens (codes, terminologie, langue) requis pour les communications opérationnelles. Il a appelé à développer et renforcer ces propositions afin d'élaborer un socle social commun au niveau européen pour l'ensemble des personnels ferroviaires.

Il a par ailleurs remarqué que l'émergence d'un espace ferroviaire européen supposait la mise en place de mécanismes de coordination adaptés, les textes examinés proposant à cet effet de créer une Agence ferroviaire européenne (AFE). Il a approuvé la définition des objectifs et des modalités d'intervention de l'AFE mais a jugé perfectible sa composition. Il a en particulier regretté que la Commission européenne dispose d'une si forte emprise sur cette agence, dont elle doit nommer le directeur, la moitié des membres du conseil d'administration ainsi que les experts indépendants. Il a suggéré d'accorder aux experts le droit de vote ainsi que d'ouvrir le conseil d'administration de l'AFE à des représentants du Parlement européen et de l'Association européenne pour le développement de l'interopérabilité ferroviaire (AEIF), regroupant un panel représentatif d'industriels du secteur ferroviaire au niveau européen.

Il a enfin estimé que l'interopérabilité, dont les enjeux techniques étaient bien pris en compte par les textes examinés, nécessitait un financement européen spécifique, compte tenu de l'importance des travaux à engager pour que les trains circulent sans entrave d'un Etat membre à l'autre et pour améliorer les liaisons transnationales. Il a rappelé que le coût total de la construction de la ligne TGV Paris-Strasbourg avait été accru de 7 % du seul fait de cette nouvelle exigence et a indiqué que l'extension du système de commande ERTMS au réseau français coûterait environ 600 millions d'euros selon la SNCF. Il a observé que la nature européenne de l'enjeu justifierait l'engagement sur ces projets de financements et d'aides communautaires spécifiques, s'ajoutant aux budgets actuellement consacrés aux transports. Il a donc approuvé l'idée, formulée dans la proposition de résolution, de proposer l'émission par l'Union européenne d'un emprunt pour financer les grands projets d'infrastructure ferroviaire.

Il a en revanche estimé que la publication d'un mémorandum demandant « l'instauration d'une taxe sur les poids lourds pour l'utilisation des routes et autoroutes », évoquée dans la résolution proposée, ne semblait pas envisageable dès à présent. Il a rappelé que ce nouvel impôt viendrait en effet alourdir les charges pesant sur les entreprises de transport alors même que le rail ne constitue pas encore pour elle une solution suffisamment rentable, compte tenu du coût et des rigidités de ce mode de transport. Il a donc suggéré que l'instauration d'une telle taxe n'intervienne pas sans une amélioration parallèle de l'offre ferroviaire et que les recettes dégagées soient utilisées au profit du rail, ce qui permettrait un réel rééquilibrage entre les différents modes de transport.

En conclusion, il a jugé possible d'améliorer la proposition de résolution en précisant mieux les conditions sociales et sécuritaires dont la libéralisation devrait être assortie. Il a ajouté qu'il proposerait également de supprimer de cette résolution la référence à l'ouverture à la concurrence du transport de voyageurs, celle-ci semblant prématurée et ne figurant pas dans les textes examinés. Il a rappelé qu'avant d'envisager, le cas échéant, une nouvelle étape dans le processus de libéralisation, il faudrait s'assurer du succès de l'ouverture à la concurrence pour le fret ferroviaire.

S'exprimant au nom du groupe UMP, Mme Arlette Grosskost a signalé que son groupe se félicitait de la proposition de résolution, celle-ci insistant sur la nécessité de poursuivre la libéralisation dans le secteur ferroviaire. A titre personnel, elle a souhaité que dans l'hypothèse d'une libéralisation du transport de voyageurs, une vigilance particulière soit accordée à la qualité du service public et aux exigences d'aménagement du territoire.

M. Léonce Deprez a regretté qu'il n'ait pas été suffisamment pris conscience de la nécessité pour la France d'être compétitive dans le domaine du fret ferroviaire. Jugeant l'indifférence manifestée sur ce sujet aussi grave que le problème lui-même, il a demandé que la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire procède à l'audition de M. Louis Gallois et du président de Geodis, filiale de la SNCF, les relations entre ces deux entreprises étant pour l'instant insuffisantes.

Le rapporteur a indiqué que la situation du fret ferroviaire était effectivement en constante dégradation par rapport au transport routier et a regretté que ce déséquilibre se traduise par un transfert de charges croissant vers les collectivités locales, dont il a craint qu'elles ne puissent faire face à l'augmentation inquiétante du trafic de fret par la route. S'associant à la demande d'audition formulée par M. Léonce Deprez, il a plaidé en faveur d'une démarche consensuelle pour améliorer l'organisation du fret ferroviaire tout en prenant en compte les exigences de sûreté, de protection de l'environnement et sans remettre en cause le statut de personnels déjà inquiets.

La Commission a d'abord examiné un amendement du rapporteur visant à rappeler la démarche générale conduisant l'Assemblée nationale à formuler un certain nombre de considérants sur les textes examinés. Il a précisé qu'il s'agissait de rappeler que les normes de sécurité ne doivent pas être nivelées par le bas, que la mise en place de mécanismes de coopération est nécessaire pour unifier l'espace ferroviaire européen, que le développement du fret ferroviaire est nécessaire et passe par une libéralisation maîtrisée, et qu'il est nécessaire d'élaborer un cadre social commun pour les personnels concernés. La Commission a adopté cet amendement.

Puis, elle a adopté un amendement du rapporteur visant à atténuer l'opposition au mécanisme de transmission des règles nationales de sécurité à la Commission européenne, celui-ci étant perfectible mais pas inacceptable dans son principe.

Elle a ensuite adopté deux amendements rédactionnels et un amendement de précision du même auteur.

Elle a également adopté un amendement du rapporteur visant à ne pas précipiter l'accès de tous les « candidats autorisés » au réseau de transport de fret ferroviaire, en l'absence de garanties sur la solidité financière et le sérieux des entreprises concernées.

Puis, elle a adopté un amendement du même auteur supprimant la référence à une ouverture à la concurrence du transport de voyageurs, celle-ci ne figurant pas dans les textes du « deuxième paquet ferroviaire » dont l'Assemblée nationale est saisie.

Elle a enfin adopté deux amendements rédactionnels du rapporteur, ainsi qu'un amendement du même auteur conditionnant l'instauration d'une nouvelle taxe sur le transport routier à une amélioration parallèle de l'offre pour le fret ferroviaire, le rapporteur ayant estimé dangereux d'alourdir les charges des entreprises de transport sans leur proposer une autre solution crédible pour acheminer leurs marchandises.

Puis la Commission a adopté la proposition de résolution présentée par M. Dominique Le Mèner ainsi modifiée.

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