COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 8

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 21 octobre 2003
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport d'information de M. Serge POIGNANT sur la politique de soutien au développement des énergies renouvelables


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La Commission a examiné le rapport d'information de M. Serge Poignant sur la politique de soutien au développement des énergies renouvelables.

Le président Patrick Ollier a indiqué que le rapport de la mission d'information sur les énergies renouvelables serait d'une grande utilité dans la perspective du projet de loi sur l'énergie dont il a souhaité l'examen rapide par le Parlement.

Il a rappelé que l'idée d'une mission d'information relative aux énergies renouvelable était née au cours d'un déplacement de certains membres de la Commission en Finlande où il a été constaté qu'une politique très ambitieuse de soutien aux énergies renouvelables était conduite quasiment sans faire appel à la filière éolienne dont le développement faisait alors l'objet de critiques justifiées en France.

Après avoir remercié M. Serge Poignant pour la qualité de son travail, il a précisé que le but des rapports d'information réalisés par la Commission était de conduire un travail de prospective et de réflexion indépendant afin d'alimenter le débat par des propositions qui peuvent être innovantes par rapport à la politique du Gouvernement.

Après avoir précisé le champ de son travail en indiquant, d'une part, qu'il n'avait pas cherché à conduire une analyse technique (celle-ci ayant été réalisée récemment par MM. Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques) et, d'autre part, qu'il n'avait étudié que la question des énergies renouvelables et non, par exemple, celle, pourtant également très importante, de la maîtrise de la demande d'énergie, M. Serge Poignant a rappelé ce qu'étaient les énergies renouvelables.

Puis, il a rappelé la situation énergétique particulière de la France, liée à la part prépondérante de l'énergie nucléaire dans la production d'électricité, et a précisé en avoir tenu compte en se plaçant dans la perspective d'un renouvellement du parc électronucléaire qu'il a jugé souhaitable.

Il a ensuite indiqué que la France, où 60 % de la production d'énergie d'origine renouvelable correspond à une valorisation thermique directe (chauffage au bois par exemple), était le grand pays européen dans lequel les énergies renouvelables jouaient le rôle le plus important (6,8 % de notre offre totale d'énergie primaire contre 2,6 % en Allemagne par exemple). Il a ensuite indiqué que notre pays était dans la moyenne européenne quant à la part des énergies renouvelables dans la production d'électricité mais qu'il était, en revanche, le pays européen le moins avancé quant à la production d'électricité par des sources renouvelables autres que l'hydraulique.

Il a ensuite estimé que le principal objectif d'une politique de promotion des énergies renouvelables devait être de contribuer à la lutte contre le changement climatique en favorisant la maîtrise de nos émissions de dioxyde de carbone même si d'autres objectifs étaient également pertinents.

Puis, il a rappelé le caractère indicatif de l'objectif d'une production d'électricité égale, en 2010, à 21 % de notre consommation totale fixé par la directive du 27 septembre 2001 et le fait qu'un pourcentage fixe ne permettait pas de tenir compte de la forte variation d'une année à l'autre de la production d'origine hydraulique.

M. Serge Poignant a ensuite constaté que l'essentiel de nos émissions de dioxyde de carbone provenait des secteurs utilisant le plus de combustibles fossiles, c'est-à-dire du secteur des transports et des secteurs résidentiels et tertiaires (dans lequel les combustibles fossiles, gaz naturel et fuel, sont utilisés pour faire face aux besoins de chauffage) alors que, dans notre pays, la production d'électricité n'avait émis, en 2001, que 5,3 % du volume total de dioxyde de carbone relâché dans l'atmosphère.

Il a conclu, en conséquence, que la priorité devait porter sur le développement des énergies renouvelables pour satisfaire les besoins de chaleur des secteurs résidentiels et tertiaires (grâce à l'utilisation de la biomasse, du solaire thermique et de la géothermie) et pour se substituer aux produits pétroliers utilisés dans le secteur des transports (grâce à l'utilisation des biocarburants). Il a jugé que l'intérêt d'un développement des énergies renouvelables dans le secteur électrique était moindre.

Il a ensuite regretté que le soutien actuel aux énergies renouvelables reste insuffisant, en particulier en ce qui concerne la recherche, et qu'il repose sur des mécanismes manquant d'efficacité soit parce qu'ils sont insuffisamment incitatifs (crédit d'impôt dont le taux est trop faible, subventions attribuées selon des procédures trop complexes) soit parce qu'ils entraînent un coût excessif pour la collectivité (obligation d'achat).

Il a ensuite indiqué qu'il proposait en conséquence :

- de définir un objectif ambitieux de développement des énergies renouvelables intégrant toutes les filières qui serait de satisfaire, en 2010, 10 % de nos besoins énergétiques par des énergies renouvelables,

- de résorber progressivement la situation fiscale anormale dont bénéficient des énergies fossiles concurrentes des énergies renouvelables qui sont aujourd'hui peu (fuel) ou pas taxées (charbon, gaz naturel sauf pour les plus gros consommateurs) sans accroître le prélèvement global sur les consommateurs en transférant le financement des charges de service public de l'électricité sur les énergies fossiles,

- de renforcer très fortement les instruments fiscaux de soutien aux énergies renouvelables par trois mesures : augmentation à 50 % du taux du crédit d'impôt et extension de son champ, détaxation totale des biocarburants et délivrance de nouveaux agréments, taux réduit de TVA sur les abonnements aux réseaux de chaleur utilisant des énergies renouvelables,

- de rendre plus efficace et moins coûteux pour la collectivité le soutien aux énergies renouvelables dans le secteur électrique en limitant le bénéfice de l'obligation d'achat aux installations de faible puissance et en lui substituant, pour les autres, des appels d'offre qui doivent être lancés massivement,

- d'améliorer la coordination interministérielle en matière d'énergies renouvelables et d'étudier la création d'un établissement public spécialisé,

- de simplifier le système actuel de primes,

- de mieux prendre en compte les obstacles non économiques au développement des énergies renouvelables en favorisant l'organisation des professionnels, en incitant au changement des habitudes par une exemplarité du secteur public, en réexaminant les réglementations de protection de l'environnement local (classement des cours d'eau, débits réservés) entravant le développement des énergies renouvelables auquel un intérêt environnemental global est attaché et en assurant un suivi des obstacles entravant le développement des énergies renouvelables au sein d'un Conseil supérieur des énergies renouvelables,

- de changer d'échelle notre effort de recherche en amplifiant l'augmentation des budgets publics en vue d'un doublement en trois ans, en améliorant la coordination des organismes publics de recherche et en garantissant l'implication des acteurs privés par une contribution obligatoire des opérateurs de l'énergie aux efforts de recherche sur le modèle des dispositions existant en matière de télécommunications,

- de mobiliser l'opinion, d'une part, par des campagnes de communication sur les possibilités offertes à chacun de recourir aux énergies renouvelables et sur les aides disponibles pour le faire, campagnes qui pourraient être financées par un droit additionnel à la taxe sur la publicité télévisée perçu sur les messages publicitaires des entreprises du secteur de l'énergie, et, d'autre part, par une information systématique grâce à un étiquetage obligatoire sur le contenu en carbone des différentes énergies.

Après avoir salué la grande qualité du rapport de M. Serge Poignant, le président Patrick Ollier a suggéré que la présentation des propositions du rapporteur mette davantage l'accent sur l'insertion de celles-ci dans une logique de développement durable ; il a également jugé qu'il serait opportun d'intégrer au dispositif existant des normes « HQE » (haute qualité environnementale), les propositions concernant l'usage des énergies renouvelables dans les constructions. Puis, évoquant l'énergie hydraulique, il a jugé que des marges de manœuvre existaient encore dans ce domaine et permettaient de créer des barrages, citant l'exemple de la Romanche dans les Hautes-Alpes.

M. François Dosé, après avoir salué la qualité du travail accompli par le rapporteur, a souhaité obtenir des précisions quant au choix de ce dernier de fixer comme objectif de production d'énergies renouvelables non pas 21 % de l'électricité consommée mais 10 % des besoins énergétiques. Il a également demandé si les propositions du rapporteur étaient compatibles, à terme, avec les règles communautaires, craignant que toute politique de soutien aux énergies renouvelables soit considérée par la Commission européenne comme une distorsion de concurrence.

Rejoignant l'analyse du rapporteur quant à la nécessité d'accroître l'effort de recherche en matière d'énergies renouvelables, il a signalé qu'aux Etats-Unis, les pouvoirs publics n'hésitaient pas à accroître sensiblement le volume des bourses et le soutien octroyés aux étudiants pour promouvoir certains domaines de recherche. Enfin, il a jugé qu'une réflexion visant à développer le recours aux énergies renouvelables ne pouvait faire l'économie d'évoquer la frontière à partir de laquelle l'incitation se révélant insuffisante, il doit être recouru à l'obligation.

M. François-Michel Gonnot a tout d'abord remercié le président Patrick Ollier d'avoir su lancer, au bon moment, cette mission d'information sur les énergies renouvelables ; en effet, a-t-il souligné, celle-ci livre ses conclusions à point nommé, c'est-à-dire à l'issue du débat national sur les énergies et avant que ne soit examiné par le Parlement le futur projet de loi d'orientation sur les énergies.

Après avoir salué la qualité du travail de M. Serge Poignant, il a rappelé que le marché de l'énergie étant tendanciellement en expansion, la promotion de l'offre d'énergies renouvelables n'aura pas à être opérée au détriment des autres sources d'énergies, mais consistera, dans un bouquet énergétique en croissance, à mieux asseoir une filière alternative qui est d'évidence une filière d'avenir notamment en raison de la nécessité de limiter nos émissions de gaz à effet de serre. Il a en outre souligné que la libéralisation du marché européen de l'électricité donnait à la France un rôle particulier puisqu'elle a vocation, en raison de la structure de son parc de production d'électricité, à exporter ; dans ce cadre, il a jugé que les énergies renouvelables auraient à jouer un rôle plus important.

Il s'est par ailleurs réjoui que le rapporteur ait souligné la nécessité d'inscrire le développement des énergies renouvelables dans une logique industrielle par la constitution d'une filière compétitive, appuyée sur une recherche dynamique permettant de rattraper notre retard, qui pourra profiter des perspectives qui s'offrent à l'export notamment en direction des pays en développement. Il a ensuite souligné que le développement des énergies renouvelables nécessitait d'attirer les investisseurs privés dans ce secteur, ce qui ne serait possible que dans le cadre d'un environnement juridique et fiscal, qu'il appartiendra aux pouvoirs publics de définir en concertation avec les professionnels, incitatif mais aussi stable.

Félicitant également le rapporteur pour la qualité de son travail, M. Jean-Louis Christ a convenu de la nécessité de mobiliser l'opinion publique en faveur du développement des énergies renouvelables.

Par comparaison avec la taxe sur les supermarchés, dont le produit finance le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC) et les opérations de restructuration de l'artisanat et du commerce (ORAC), afin de favoriser l'implantation des petits commerces et des artisans en zone rurale, il a ensuite suggéré qu'une taxe sur l'énergie nucléaire puisse financer le développement des énergies renouvelables.

S'associant aux félicitations de ses collègues pour le travail accompli par le rapporteur, M. Philippe Tourtelier a exprimé son accord avec le titre du rapport, soulignant la nécessité de changer d'échelle, et avec le souci du rapporteur de mieux prendre en compte la préservation du climat.

Il a néanmoins regretté que la réflexion ait été conduite sur un parti pris en faveur du nucléaire. Or, il a estimé que le retard français en matière d'énergies renouvelables provenait de la focalisation des crédits publics sur le soutien à l'énergie nucléaire.

Il a en outre considéré que l'appréciation du rapporteur concernant la possibilité d'atteindre l'objectif de la directive du 27 septembre 2001 était trop pessimiste, cet objectif pouvant être atteint. Il a toutefois admis l'importance de l'enjeu posé par la consommation d'énergie par le secteur des transports et par les secteurs résidentiel et tertiaire.

Il a ensuite estimé que les propositions du rapport, même si certaines pouvaient être discutées, étaient globalement d'un très grand intérêt. Il a toutefois exprimé ses réserves quant à la remise en cause du mécanisme de l'obligation d'achat, dont on a pu constater, dans d'autres pays, qu'il avait bien fonctionné, même si d'autres mécanismes de soutien peuvent être étudiés. Il a ensuite jugé que le cœur du problème était, en tout état de cause, la fiscalité et le soutien public à la recherche, domaines dans lesquels des arbitrages budgétaires interviennent nécessairement. Il a, en conséquence, fait part de sa crainte de voir le choix du Gouvernement en faveur du réacteur européen à eau pressurisée EPR conduire à ce que tous les crédits publics de recherche en matière d'énergie lui soit consacré et qu'il ne reste plus de moyens pour soutenir la recherche en matière d'énergies renouvelables.

En réponse aux différents intervenants, M. Serge Poignant a apporté les précisions suivantes :

- les propositions du rapport s'inscrivent naturellement dans une stratégie de développement durable puisqu'elles mettent l'accent sur la lutte contre le changement climatique. Il est effectivement opportun de veiller à une bonne articulation des divers instruments concourant à promouvoir le développement durable notamment en intégrant mieux dans les normes HQE, la maîtrise de la demande d'énergie et les énergies renouvelables ;

- porter à 10 % de notre offre énergétique totale la part des énergies renouvelables est un objectif pertinent car il concerne toutes les filières et extrêmement ambitieux car il implique un effort beaucoup plus important que l'objectif indicatif d'une production d'électricité d'origine renouvelable de 21 % de notre consommation. Atteindre l'objectif de 21 % signifie, en effet, augmenter d'environ 17,5 % notre production totale d'énergie d'origine renouvelable d'ici 2010. Pour porter à 10 % de notre demande d'énergie la production d'origine renouvelable, il faudrait, en revanche, augmenter de 60 % à 90 %, selon l'hypothèse formulée sur notre demande énergétique totale en 2010, notre production d'énergie renouvelable ;

- il n'est pas toujours pertinent d'opposer incitation et obligation. Il peut être nécessaire, selon les cas, de recourir à l'une ou l'autre de ces voies, comme le propose d'ailleurs le rapport d'information. En outre, il importe, en tout état de cause, de faire un important effort de pédagogie en complément, d'où l'importance fondamentale de campagnes de communication ;

- le rapport a cherché à tenir compte des évolutions prévisibles et notamment de l'augmentation estimée de la consommation d'énergie, soulignée à juste titre par M. François-Michel Gonnot ;

- la réflexion conduite sur le développement des énergies renouvelables n'est pas affaiblie par la prise en compte des décisions prévisibles sur le renouvellement de notre parc nucléaire. En ce qui concerne spécifiquement la recherche, en outre, il n'y a pas de lien, a priori, entre une décision de construction d'un réacteur de type EPR, qui en est au stade de la démonstration industrielle et a donc vocation à être financé par les industriels, et la recherche publique fondamentale qui, en matière nucléaire, concerne plutôt les réacteurs de la génération suivante et la fin de vie du combustible et des réacteurs. Il ne faut pas opposer, y compris en matière de recherche, l'énergie nucléaire, pour laquelle l'effort doit être poursuivi, et les énergies renouvelables, pour lesquelles il doit être fortement amplifié.

La Commission a ensuite autorisé, en application de l'article 145 du règlement et dans les conditions prévues à l'article premier de l'instruction générale du Bureau, la publication du rapport d'information.

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