COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 23

(Application de l'article 46 du Règlement)

mardi 2 décembre 2003
(Séance de 17 heures 30)

Présidence de M. Serge Poignant, Secrétaire

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Hubert CARON, secrétaire national, et de M. Paul BONHOMMEAU, représentant la Confédération paysanne


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La Commission a entendu M. Hubert Caron, secrétaire national, et M. Paul Bonhommeau, représentant la Confédération paysanne.

M. Serge Poignant, président, a rappelé la volonté des commissaires d'aborder l'ensemble des questions intéressant l'agriculture lors de l'audition, ainsi que leur souhait, depuis plusieurs mois, d'entendre les organisations agricoles.

M. Hubert Caron, secrétaire national de la Confédération paysanne, a tout d'abord fait état de sa déception au vu du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, dont il a estimé qu'il n'allait pas assez loin et qu'il était en outre d'essence très libérale, délaissant l'ensemble des domaines relatifs au développement des territoires ruraux, comme la santé, l'éducation, ou encore le logement social. Regrettant que ce projet de loi « vienne de Paris » et n'ait pas été élaboré en concertation avec les acteurs de terrain, il a en outre estimé qu'il consistait surtout en un catalogue de mesures consenties à divers groupes de pression, comme les chasseurs ou les propriétaires fonciers. Il a également regretté que soient mises en œuvre des mesures d'exonération fiscale qui profiteront aux installations « classiques » de jeunes agriculteurs, pour lesquelles existent déjà des aides. Le projet de loi lui a donc semblé privilégier le soutien à certaines initiatives privées et ne pas présenter de réelle dynamique territoriale.

Il a déclaré que la Confédération paysanne condamnait fermement certaines mesures figurant dans ce projet de loi. Il a cité en premier lieu, s'agissant des dispositions relatives au soutien des activités agricoles, les nouvelles exonérations fiscales accordées aux seuls agriculteurs déjà bénéficiaires d'aides de l'Etat à l'installation et a regretté que ces mesures ne soient pas orientées vers les installations « hors norme » ou progressives, ces dernières représentant la moitié des installations agricoles. Il a également déploré la suppression du plafond de taille des exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL), ainsi que la faculté de constituer des sociétés en participation pour les assolements en commun, jugeant que ce « débridement » desservirait les petites exploitations et pourrait conduire à leur disparition. Il a en outre déploré la possibilité pour les membres d'une société civile d'exploitation agricole (SCEA) de mettre à disposition de celle-ci un bail, mesure dont il a jugé qu'elle visait en réalité à faire « sauter les verrous » du statut du fermage pour permettre le développement des grandes exploitations.

Puis, évoquant les dispositions relatives à la rénovation du patrimoine bâti, M. Hubert Caron s'est inquiété de la faculté donnée au bailleur de soustraire du bail rural un ou des bâtiments de ferme pour les affecter à d'autres usages, et a noté que si le bailleur pouvait bénéficier du concours de la SIDER pour réaliser des travaux de rénovation des constructions, cette mesure ne permettrait pas pour autant de développer le logement social en milieu rural.

S'agissant des dispositions relatives à l'accès aux services, il a regretté que la notion de service public en soit absente et a estimé que l'évolution du fonctionnement des maisons de service public constituait un danger pour ces services : leur gestion pouvant être confiée à des organismes privés, telles que des sociétés d'assurance, il est à craindre que l'accès aux services publics des populations les plus défavorisées ne soit plus garanti. Il a par ailleurs jugé que l'octroi d'aides financières et d'exonérations fiscales pour l'installation de médecins et infirmiers libéraux n'était pas opportun, les efforts devant davantage porter, selon lui, sur les hôpitaux publics et les maternités aujourd'hui menacés de fermeture en milieu rural.

Concernant les dispositions relatives à la chasse, il a estimé que le projet de loi répondait surtout aux attentes des sociétés de chasse, la responsabilité civile des chasseurs en cas de dégâts causés aux récoltes par le grand gibier étant restreinte par le projet de loi, lorsque l'assolement des terres agricoles favorise l'entrée du gibier sur le fonds. Jugeant cette disposition inacceptable, il a souhaité que le mécanisme d'indemnisation des dégâts occasionnés aux cultures tienne compte de l'introduction, dans les milieux, de gibier par les sociétés de chasse. Il a en outre déploré que les délais accordés aux victimes des dégâts de gibier pour agir en justice soient réduits par rapport à ceux reconnus par la jurisprudence. Il a enfin souhaité que les agriculteurs puissent donner leur avis sur la régulation du gibier par les plans de chasse et se prononcer sur le recours à des battues administratives en cas de dégâts avérés sur les cultures.

Puis, M. Hubert Caron a abordé les dispositions du projet de loi relatives à certains établissements publics. Notant que les missions consultatives des chambres d'agriculture départementales étaient élargies à la filière forêt-bois, à la gestion de l'espace rural et à la prévention des risques naturels, il a regretté que les syndicats minoritaires soient très peu présents au sein de ces instances, notamment à l'échelon régional, et a plaidé en faveur d'un scrutin à la représentation proportionnelle.

M. Hubert Caron a, par ailleurs, jugé que certaines dispositions du projet de loi allaient dans le bon sens mais restaient de portée limitée. Il a jugé que tel était le cas de la possibilité donnée aux conseils régionaux de créer une agence régionale des espaces agricoles et naturels périurbains, jugeant que ces établissements publics interviendraient plus dans le domaine de l'urbanisme et de l'environnement que dans le domaine agricole, qu'ils manqueraient de moyens et devraient être renforcés dans le domaine agricole, notamment en matière d'installation de jeunes agriculteurs. De même, il a regretté le manque d'ambition des mesures en faveur des zones de revitalisation rurale, des espaces pastoraux et des zones humides. Il a porté le même jugement sur les transferts de compétence en faveur des collectivités locales dans le domaine de l'aménagement foncier.

Il a ensuite évoqué les critiques formulées par son organisation à l'encontre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, jugeant qu'il s'inscrivait dans une logique libérale au profit de catégories sociales déjà avantagées, sans assurer le maintien de la présence paysanne sur le territoire. M. Hubert Caron a estimé que l'activité agricole devait rester centrale dans le monde rural et que sa vitalité conditionnait le développement global de l'économie rurale, tout en favorisant la prévention des risques naturels. Il a, en conséquence, regretté le manque d'ambition du projet de loi sur ce point.

Evoquant le soutien à l'activité agricole, il a jugé nécessaire une politique volontariste de soutien aux exploitations et d'accueil de nouveaux paysans prenant en compte les spécificités des candidats à l'installation non issus de milieux agricoles développant des projets incluant souvent une dimension de multifonctionnalité. Il a rappelé que le système actuel d'aides était centré sur l'aide à l'acquisition d'exploitations existantes et prenait mal en compte les créations d'exploitation ou encore les projets innovants.

Il a souligné à cet égard l'intérêt de mesures ne figurant pas actuellement dans le projet de loi, telles que la suppression de l'« obligation de consistance » obligeant le jeune agriculteur qui reprend une exploitation existante à la maintenir en l'état ou à l'agrandir pour bénéficier des aides de l'Etat, et lui interdisant de la partager avec d'autres agriculteurs.

Il a ensuite regretté que le projet de loi n'aborde pas la question du soutien aux petites exploitations, contrairement aux engagements pris par le ministre de l'agriculture. Rappelant qu'un travail important avait été réalisé depuis plusieurs années pour formuler des propositions en ce domaine, il a vivement regretté que rien ne soit fait sur ce sujet. Il a indiqué que les 200 000 exploitations constituant des micro-entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 40 000 euros n'étaient pas soutenues par les pouvoirs publics. Il a estimé prioritaire de leur permettre d'accéder aux droits à produire et à la propriété foncière, ce que ne garantit pas la réglementation actuelle. Il a également jugé important de tenir compte de la diversité des activités de ces petites exploitations, transformant les produits et pratiquant la vente directe, et dont les demandes d'aide ou de subvention sont souvent rejetées faute de satisfaire les critères prédéfinis. Il a également estimé nécessaire d'aménager les seuils conditionnant l'accès aux droits sociaux, et a souhaité la création d'un statut de l'actif rural prenant en compte la pluriactivité et comportant des règles adaptées en matière de cumul des revenus, afin d'éviter les abus. Puis, il a regretté que le projet de loi ne comporte pas de dispositions garantissant l'égalité des droits sociaux entre les conjoints collaborateurs et les collaborateurs concubins du chef d'exploitation ou lié à lui par un pacte civil de solidarité (PACS), et qu'il n'ouvre pas la possibilité de constituer un groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) entre époux.

Il a également jugé que le projet de loi aurait pu être meilleur en ce qui concerne l'aménagement rural et la gestion foncière, notamment pour protéger les terres agricoles de la pression urbaine. Il a, en particulier, regretté l'absence de dispositions sur la maîtrise du prix des propriétés foncières, sur l'accroissement de la participation des agriculteurs à l'élaboration des documents d'urbanisme, ou encore sur le contrôle des structures agricoles. Il a également jugé nécessaire de soumettre la répartition des terres à des objectifs de développement durable et de réformer le statut des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) pour leur confier des missions de service public.

Enfin, il a souligné la nécessité de défendre la présence des services publics en milieu rural, ceux-ci contribuant au maintien d'activités économiques, et a condamné le mouvement actuel de libéralisation des services publics, qui pourrait remettre en cause la solidarité nationale, notamment en milieu rural, au bénéfice des populations les plus démunies.

En conclusion, il a souhaité que ces propositions soient prises en compte dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux ou, à défaut, dans le futur projet de loi de modernisation agricole.

M. Jean-Claude Lemoine a tenu à « rassurer » les intervenants en estimant que les dispositions du projet de loi concernant la chasse n'avaient pas pour but de satisfaire les « lobbies » de chasseurs mais de répondre à des exigences d'aménagement du territoire et d'entretien des zones rurales. Il a considéré que ce projet de loi parvenait à établir pour la première fois un bon équilibre entre les différents intérêts en présence, permettant de satisfaire les besoins respectifs de l'agriculture, des exploitants forestiers et des chasseurs. Il a précisé que ce texte comportait de nombreuses dispositions sur les dégâts agricoles provoqués par les animaux sauvages et il a fait remarquer que les schémas départementaux seraient arrêtés après consultation de l'ensemble des intérêts en présence.

M. Francis Saint-Léger a rappelé que le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux pourrait être complété par le futur projet de loi dit de « modernisation agricole ». Il a ensuite souhaité obtenir des précisions sur la position de la Confédération paysanne vis-à-vis des mesures de simplification administratives contenues dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, notamment celles sur l'EARL à associé unique, sur la suppression de la superficie maximale autorisée pour constituer une EARL, sur la transmission des déductions fiscales pour investissement, les encouragements à l'agriculture de groupe ou encore l'exclusion, pour la détermination de l'assiette des cotisations sociales, de la dotation aux jeunes agriculteurs.

Abordant la question de l'aménagement foncier, il a souhaité connaître la position de la Confédération paysanne sur les dispositions qui prévoient un transfert de responsabilité des préfets vers les présidents de conseils généraux. Il a demandé aussi des précisions sur le rôle des chambres d'agriculture et la possibilité d'encourager l'interconsularité.

Il a enfin évoqué la proposition de loi relative à la politique de la montagne et à la revitalisation rurale cosignée notamment par M. Yves Coussain, comportant d'intéressantes dispositions sur la communalisation des droits et biens des sections de communes, et a souhaité savoir si la Confédération paysanne était favorable à ces mesures.

M. Jean-Marc Lefranc a fait part de son désaccord quant à l'appréciation portée sur le projet de loi d'inspiration prétendument « libérale », alors que l'agriculture est un secteur où les pouvoirs publics interviennent fortement.

S'agissant des professionnels de santé, dont certains intervenants ont estimé qu'ils recevaient trop d'incitations à s'installer en milieu rural, il a observé que la pyramide des âges était actuellement très défavorable, aboutissant dans certains secteurs à une véritable pénurie de professionnels.

Il s'est aussi inscrit en faux contre les commentaires sur une prétendue privatisation des services publics, notant que, dans son propre canton, de nombreuses initiatives avaient été prises pour permettre une coopération entre les collectivités locales, l'Etat et certains acteurs du secteur privé, contribuant ainsi à maintenir certains services essentiels à proximité de villages dépeuplés.

Il a enfin estimé que les dispositions relatives à la chasse étaient équilibrées et que l'intervention des chasseurs protégeait en fait les agriculteurs qui, sans leur présence, subiraient des dégâts de gibiers encore plus importants.

M. André Chassaigne a souhaité obtenir des précisions sur les positions de la Confédération paysanne en matière de politique d'installation, s'agissant notamment des compléments éventuels à la dotation aux jeunes agriculteurs. Il a également souhaité connaître les propositions du syndicat concernant la cession de terres afin de favoriser l'arrivée de jeunes professionnels non issus du milieu agricole.

Abordant le statut de l'actif rural, il s'est interrogé sur les moyens de mieux concilier, pour une même personne, les activités de production agricole et celles relevant d'autres secteurs, notamment celles qui pourraient être organisées conjointement avec les collectivités locales pour l'animation ou l'activité touristique.

Il s'est étonné de la position apparemment favorable du syndicat vis-à-vis de l'idée de créer des agences régionales de gestion foncière pour les espaces périurbains et souligné les risques de dérives qui en résulteraient. Il a donc souhaité connaître les propositions de la Confédération paysanne pour démocratiser les SAFER tout en étendant leur compétence.

M. Jean Gaubert a tout d'abord souligné l'intérêt incontestable des propositions transmises par la Confédération paysanne et a souhaité connaître son point de vue sur le rôle des agences régionales des espaces agricoles et naturels périurbains, ainsi que sur leurs attributions par rapport à celles actuellement dévolues aux SAFER, soulignant les risques d'enchevêtrement de compétences. Il s'est également interrogé sur les moyens de démocratiser les SAFER et les chambres d'agriculture.

Abordant la question de l'installation progressive, il a demandé si une disposition symétrique de cessation progressive d'activité pouvait être envisagée et, dans ce cas, comment pourrait être supprimée la cotisation minimale des agriculteurs aux régimes sociaux. Il a conclu en indiquant qu'il fallait étudier, en concertation avec la Commission européenne, les possibilités juridiques d'améliorer les modalités d'association statutaire pour les couples, qui ne peuvent actuellement former des GAEC, la formule de l'EARL qui leur est ouverte n'étant intéressante que si, en dessous d'un certain niveau de revenu, elle leur permet d'être assujettis à l'impôt sur le revenu plutôt qu'à l'impôt sur les sociétés.

M. Léonce Deprez a demandé des éclaircissements sur l'expression « agriculture de loisir » en observant que l'espace rural était désormais valorisé par des activités touristiques qui devaient être complémentaires de l'activité agricole.

Il a également souhaité obtenir des précisions sur les critiques formulées par la Confédération paysanne à l'encontre des « lobbies », ce terme renvoyant en réalité à l'activité des nombreux acteurs économiques qui interviennent en zone rurale. Il a souligné qu'il lui paraissait stérile d'opposer les intérêts des uns et des autres et qu'il fallait au contraire chercher une conciliation des intérêts particuliers pour parvenir à un développement harmonieux des zones rurales, conforme à l'intérêt général.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont s'est demandée si les dispositions relatives à la gestion foncière et à l'aménagement rural n'auraient pas dû figurer de préférence dans le projet de loi relatif aux responsabilités locales, plutôt que dans le projet de loi sur le développement des territoires ruraux. Elle a par ailleurs estimé que l'accueil en milieu rural de populations aisées originaires de certaines régions d'Europe, en particulier d'Outre-Manche, contribuait sans doute au renchérissement des prix du foncier. Elle a souligné la nécessité de maintenir des services publics forts en milieu rural et s'est interrogée, dans cette perspective, sur la place des maisons de service public.

M. Patrick Lemasle a évoqué la gestion de la sécheresse estivale, et plus particulièrement, et s'est enquis de l'ampleur des difficultés rencontrées par les éleveurs pour disposer de fourrage dans des conditions acceptables, certains d'entre eux semblant se heurter à des obstacles.

En réponse aux différents intervenants, M. Hubert Caron, secrétaire national de la Confédération paysanne, a apporté les précisions suivantes :

- le projet de loi n'indemnise pas mieux les agriculteurs victimes de dégâts de gibiers et restreint au contraire la responsabilité des chasseurs. Les « lobbies » évoqués sont constitués par exemple par les chasseurs ou les grands propriétaires fonciers, dont le point de vue, eut égard à leur poids économique, semble mieux pris en compte que celui des jeunes agriculteurs s'installant ou des chômeurs ruraux. Ainsi, certaines mesures telles que les simplifications touchant les EARL dont les surfaces sont au minimum de 10 hectares, ou encore les exonérations fiscales pour la transmission d'exploitations et l'exclusion de la dotation aux jeunes agriculteurs de l'assiette des cotisations sociales, tendent à accroître le capital de ceux qui disposent déjà de moyens importants mais ne s'adressent pas à ceux qui ont le plus besoin d'être aidés ;

- les aides à l'installation devraient pouvoir être perçues par un maximum d'agriculteurs, alors que les aides de l'Etat en la matière restent actuellement réservées à environ la moitié des nouveaux agriculteurs. Le nombre des installations hors normes est aujourd'hui plus important en France que chez ses principaux voisins européens, ce qui est dû à des critères d'octroi qui, faisant prévaloir le critère de viabilité de l'exploitation, sont plus restrictifs que les normes communautaires en vigueur. Les régions ont désormais des crédits destinés à favoriser l'installation hors norme des agriculteurs, ce qui n'est pas le cas de l'Etat, situation qui est anormale ;

- il est nécessaire de mettre en place un statut d'actif rural adapté et d'assouplir les conditions d'accès aux différents régimes de protection sociale. Les cotisations sociales devraient également être adaptées aux revenus de l'agriculteur lorsque ceux-ci sont inférieurs au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) ;

- la Confédération paysanne ne dispose pas de données précises permettant de juger si les cas de cessation d'activité d'agriculteurs installés hors normes sont plus nombreux que ceux d'agriculteurs bénéficiant de la dotation jeune agriculteur (DJA), même si l'on peut penser que le taux de cessation doit être plus important pour les agriculteurs installés hors normes, puisque la DJA est accordée à l'appui des projets les plus solides. Vouloir réserver les aides aux projets a priori les plus prometteurs comporte de sérieux inconvénients, au premier rang desquels une réduction significative du nombre des installations ;

- la notion d'agriculture de loisir s'entend d'une personne ou entreprise non issue du monde agricole décidant de se lancer dans une activité agricole à titre subsidiaire et ne devant donc pas bénéficier du système d'aide à l'installation existant ;

- les agriculteurs ont particulièrement souffert de la sécheresse estivale, les solutions du Gouvernement ayant été trop limitées. La collaboration entre l'Etat et les agriculteurs pour mettre en œuvre des mécanismes de solidarité n'a pas empêché que le coût restant à la charge de ces derniers soit très important, notamment à cause du prix des fourrages. La Confédération paysanne demande donc, pour faire face à cette situation, un accès plus aisé des agriculteurs aux droits sociaux, notamment au revenu minimum d'insertion (RMI). En outre, le fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA), qui ne prend en charge que 25 % du coût de la sécheresse, est actuellement abondé uniquement par l'Etat et les agriculteurs, alors que les banques et les industries agroalimentaires devraient également y contribuer.

Puis, M. Paul Bonhommeau, représentant de la Confédération paysanne, a ajouté les précisions suivantes :

- l'agrandissement des exploitations, qui va de pair avec la suppression des exploitations les plus modestes, constitue un facteur important de dévitalisation rurale, l'accroissement du revenu de l'exploitant se faisant au détriment de celui de la valeur ajoutée créée sur l'ensemble du territoire. L'exemple des battues administratives récentes, très médiatisées, qui se sont déroulées dans l'est de la France et visaient non à prendre en compte les intérêts des agriculteurs, mais à diminuer les risques d'accidents sur le réseau autoroutier, montre que l'existence de grands domaines fonciers, caractéristique de cette région, favorise la propagation du gros gibier. Il existe bien un lien entre la faiblesse du taux d'installation des agriculteurs et la densité du gibier, et il est regrettable que la loi ne définisse pas sur chaque territoire un objectif de développement du nombre d'exploitations ;

- s'agissant de la politique d'installation, le texte du projet de loi reste marqué par l'idéologie des années 1960, tendant à favoriser l'exode rural et la productivité, par des aides qui contribuent à l'accroissement du capital, quel que soit l'usage qui en est fait. La diversification des activités, la multifonctionnalité ou les problèmes environnementaux ne sont pas pris en compte dans les conditions d'attribution des aides à l'installation. La même logique prévaut s'agissant de la transmission des exploitations, axée sur la transmission familiale, ce qui ne correspond plus à la réalité actuelle caractérisée par l'installation de plusieurs milliers de nouveaux agriculteurs chaque année devant se procurer les bâtiments, les terres agricoles et le capital nécessaire à l'exploitation. Il est donc nécessaire de revoir les critères d'attribution des aides afin de les destiner prioritairement à ceux qui en ont le plus besoin, leur affectation, indépendamment du capital de l'agriculteur, semblant anti-économique ;

- le dispositif de la « caisse pivot », institué par la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social, a permis de gérer partiellement le problème de la pluriactivité dans les zones rurales. Un rapport du Commissariat général du Plan sur les évolutions prévisibles de l'emploi a souligné l'inadaptation grandissante du statut de salarié au développement de la pluriactivité, à la succession des périodes de chômage et d'emploi, et à la nécessité de développer les actions de formation continue. Les agriculteurs s'installant sur une exploitation peuvent aujourd'hui attendre plus de deux ans avant de pouvoir adhérer à la caisse d'assurance sociale de leur activité, ce qui n'est pas acceptable dans la mesure où ce délai est moins long dans d'autres activités comme l'artisanat et les services ;

- la politique foncière agricole a traditionnellement cherché à limiter les prix des terrains agricoles, ce qui ne semble plus être le cas actuellement au nom d'une certaine libéralisation des prix. Il convient toutefois de rappeler que la spéculation sur les biens fonciers renforce l'économie de rente ; il est par conséquent de l'intérêt de tous de la limiter ;

- les SAFER ont pour défaut principal de ne pas respecter la pluralité des syndicats agricoles, mais aussi de se comporter de plus en plus comme un acteur foncier classique faisant prévaloir les intérêts de sa « clientèle », au lieu de faire usage de son droit de préemption ou de révision des prix permettant de mettre en œuvre une politique d'aménagement foncier ambitieuse. Il serait donc nécessaire de réviser le statut juridique des SAFER, pour élargir la participation des acteurs du monde agricole à son capital, ce qui n'est actuellement possible, compte tenu du fait qu'il s'agit d'une société anonyme, que par le biais d'une injonction de l'Etat. Par ailleurs, les moyens d'intervention des SAFER sont trop limités, comme le remarquent les gérants des SAFER eux-mêmes ;

- le statut des biens des sections de communes est complexe, dans la mesure où ces parcelles appartiennent aux habitants, et constituent une survivance de la période prérévolutionnaire. Il serait nécessaire de répartir l'usage de ces sections en fonction des principes régissant la répartition des biens agricoles, c'est-à-dire entre les exploitants qui en ont le plus besoin et ceux qui sont installés à proximité de la section. Les conflits sont de plus en plus importants, ce qui a conduit la Confédération paysanne à prendre ponctuellement la défense des agriculteurs contre les maires des communes ;

- il est nécessaire de mieux réguler les prix des biens fonciers, et de mieux répartir leurs usages entre l'agriculture, la chasse et les loisirs. Une utilisation uniquement agricole des terrains ruraux n'est pas souhaitable, mais les autres utilisations doivent se faire dans la transparence, avec des principes directeurs clairs et une égalité de traitement entre utilisateurs, ce qui suppose un schéma de cohérence territoriale (SCOT) adapté et une impulsion du représentant de l'Etat ;

- il convient de rappeler que la ville de Millau risque de voir son hôpital public supprimé ; il est donc surprenant que ce projet de loi traite en priorité de l'implantation des professionnels de la santé privés en zone rurale ;

- les mesures relatives à la fiscalité des exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL) à associé unique sont intéressantes ;

- la possibilité de créer un groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) par un couple d'agriculteurs est limitée par certaines contraintes communautaires, mais il reste nécessaire d'améliorer le statut du conjoint collaborateur d'un exploitant agricole. Il est incohérent actuellement qu'un couple puisse être réuni au sein d'un GAEC avec une tierce personne et que cela devienne impossible dès lors que cette personne décide de se retirer. Le GAEC reste donc une spécificité française soumise à une obligation de transparence, qui présente aux yeux de la Confédération paysanne l'avantage de réunir dans une même structure des associés travaillant effectivement sur l'exploitation. Par ailleurs, les aides agricoles devraient être accordées non pas à chaque exploitation indifféremment, mais en fonction du nombre de personnes actives sur chaque exploitation.

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