COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 44

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 25 février 2004
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Désignation du rapporteur et examen de la proposition de loi de M. Maxime GREMETZ (n° 1390) tendant à instaurer des mesures d'urgence pour lutter contre les délocalisations


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- Examen du rapport d'information de M. Joël BEAUGENDRE sur la desserte aérienne de l'outre-mer :


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- Information relative à la Commission

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A titre préliminaire, le président Patrick Ollier a indiqué que le groupe UMP avait demandé la constitution d'une mission d'information sur les marges arrières pratiquées dans la grande distribution. Rappelant que le Gouvernement avait pris récemment certaines mesures visant à réguler ces pratiques, il a estimé que l'Assemblée nationale, dans son rôle de contrôle du pouvoir exécutif, devait désormais en évaluer les effets. Il a invité le groupe socialiste à s'associer à la création de cette mission d'information. Il s'est enfin demandé s'il n'était pas opportun d'envisager la création d'un observatoire des prix et des marges, afin de mettre en œuvre un dispositif efficace de contrôle et de surveillance des marges commerciales.

La Commission a ensuite désigné M. Maxime Gremetz rapporteur pour sa proposition de loi (n° 1390) tendant à instaurer des mesures d'urgence pour lutter contre les délocalisations, puis procédé à l'examen de ce texte.

M. Maxime Gremetz, rapporteur, a d'abord regretté que les initiatives parlementaires ne fassent pas plus fréquemment l'objet d'un examen en commission et en séance publique. Il a ajouté que cette remarque ne s'inscrivait pas dans une démarche partisane, les majorités parlementaires successives n'ayant jamais modifié le règlement de l'Assemblée nationale pour remédier à cette situation.

Puis, il a rappelé que le Gouvernement, à l'appel du Président de la République, voulait faire de l'année 2004 celle de la lutte pour l'emploi. Il a jugé qu'une telle annonce était généreuse mais ne reflétait pas l'action réelle du Gouvernement et de la majorité. Il a souligné que le Gouvernement avait méthodiquement satisfait chacune des demandes formulées par le MEDEF et a jugé préoccupante et stupéfiante sa passivité face aux délocalisations et aux fermetures de sites de production. Il a ajouté que le Gouvernement ne pouvait plus avoir recours à la seule compassion et a estimé urgent de prendre des mesures courageuses pour remédier aux délocalisations.

Il a observé que l'emploi français était en crise, précisant que, selon l'INSEE, le nombre de chômeurs avait augmenté, en France entre avril 2002 et décembre 2003, de 224 000, alors qu'il avait diminué de 562 000 sur une période comparable entre 1999 et 2001. Il a noté que, dans la tourmente des « plans sociaux » qui avaient particulièrement frappé, depuis une dizaine d'années, les grandes régions industrielles françaises, un processus avait pris une importance croissante : celui des délocalisations, consistant pour les grands groupes à fermer leurs usines françaises pour les implanter à l'étranger, de préférence dans des pays à bas salaires.

Il a précisé que de telles décisions étaient prises, de plus en plus fréquemment, dans des conditions d'une extrême violence vis-à-vis des salariés, sans tenir compte de la situation des territoires concernés. Il a rappelé que certains observateurs avaient parlé de « patrons voyous » et a remarqué que le Président de la République s'était certes ému de tels comportements mais n'avait mis en œuvre aucune action pour y remédier. Il a estimé qu'il était pourtant urgent d'agir et a souligné l'intérêt, à cet égard, de l'initiative des députés du groupe communiste et républicain relative aux délocalisations, tout en annonçant le dépôt imminent d'une autre proposition de loi, relative à la lutte contre l'emploi précaire. Il a ajouté que les responsables politiques devaient non pas démissionner face à une supposée fatalité économique, mais plutôt agir résolument pour tenter de limiter de tels processus.

Il a considéré que les délocalisations constituaient d'abord un phénomène économique amplifié par la dérégulation planétaire des économies. Il a précisé que, même si l'on ne disposait pas de statistiques sur les délocalisations en tant que telles, l'étude de grandes variables économiques telles que la production, les plans de licenciements, les importations et les investissements directs à l'étranger mettait en évidence un accroissement des délocalisations en direction des pays en développement. Il a souligné que ces délocalisations se traduisaient par des licenciements économiques massifs - près de 1 500 plans sociaux en 2003, contre 1 086 en 2002 -, mais aussi par une dégradation de la balance commerciale de la France dans les industries où les pays à bas salaires permettent aux grands groupes de produire bien moins cher.

Il a estimé que, si ces grands groupes préféraient implanter leurs usines à l'étranger, ce n'était pas parce qu'ils peinaient à vendre leurs marchandises et connaissaient de ce fait une situation de crise, mais parce qu'ils étaient engagés dans une « course à la rentabilité » à l'échelle mondiale. Il a ainsi observé que la réduction de 20 % en dix ans des effectifs employés dans l'industrie française coïncidait avec une hausse de 20 % de la valeur ajoutée industrielle, jugeant que cela démontrait que la recherche de profits boursiers guidait les décisions prises.

Il a souligné que la libéralisation « sauvage » des échanges internationaux permettait à ces groupes d'investir à l'étranger sans aucun contrôle, remarquant que les flux d'investissements sortant de France représentaient désormais 10 % du PIB français, niveau particulièrement élevé au sein des pays développés. Il a ajouté que ces flux continuaient à augmenter et avaient été, au cours de la période 1996-2000, plus de deux fois plus importants que les flux d'investissements directs reçus par la France. Il a précisé qu'une étude publiée par l'INSEE en novembre 2003 soulignait que « les entreprises constamment internationalisées entre (1986 et 1992) perdent plus d'emplois, ou en créent moins, que celles qui ne le sont pas ».

Il a ensuite considéré que les délocalisations constituaient également une menace pour le potentiel productif de la France. Il a rappelé que les groupes ayant recours à des délocalisations justifiaient leur approche par l'importance du « différentiel social » existant entre la France et d'autres pays : produire français serait trop cher, comparé aux économies envisageables en employant une main-d'œuvre bon marché dans des pays en développement. Il a toutefois souligné que cette situation résultait de conditions de travail souvent indignes dans les pays en développement. Il en a conclu qu'il convenait d'améliorer la protection des travailleurs du tiers-monde, et non d'affaiblir celle des travailleurs français. Il a en outre indiqué que le coût horaire de la main-d'œuvre en France, bien qu'il soit nettement moins élevé qu'au Japon, ne pourrait de toute façon jamais rivaliser avec celui d'un pays en développement tant l'écart, variant de 1 à 10, voire de 1 à 60 entre la France et ces pays, est important.

Il a donc estimé que l'exigence permanente du MEDEF de voir baisser les cotisations patronales était un leurre, ajoutant que chacun pouvait constater que cette politique n'avait aucun effet favorable sur l'emploi. Il a donc regretté que, sur un budget de l'emploi s'élevant, dans le projet de loi finances pour 2004, à 32 milliards d'euros, 20 milliards aient été consacrés à la compensation de ces exonérations. Il a jugé que la progression sensible du chômage, atteignant près de 10 % de la population, montrait que cette démarche n'avait pas produit les résultats escomptés.

Puis, il a observé que les délocalisations contribuaient à faire progressivement disparaître les grandes industries nécessaires au développement économique de la France. Il a ainsi noté que la production manufacturière avait reculé chaque trimestre sans exception depuis deux ans et demi dans le secteur de l'habillement, du cuir et des chaussures, la chute de la production s'élevant à près de 20 % en un an dans ce secteur. Il a rappelé qu'entre l'automne 2002 et l'automne 2003, la baisse atteignait 9,8 % pour les produits textiles, 6,1 % pour la sidérurgie et la métallurgie, et 21,3 % pour le matériel ferroviaire.

Il a remarqué que ce processus s'était accéléré depuis deux ans mais était bien sûr plus ancien, les gouvernements successifs n'ayant pas su le maîtriser. Il a souligné que le secteur de l'habillement et des fourrures avait perdu près de 40 % de ses entreprises et le tiers de ses effectifs depuis 1995, tandis que, dans l'industrie textile proprement dite, les effectifs salariés chutaient de plus de 10 %, la baisse atteignant 15 % dans la sidérurgie et la transformation première de l'acier. Il a précisé que les industries de pointe, faisant appel à des compétences de haut niveau, étaient également affectées par les mouvements de délocalisations en France, comme en attestent de nombreux exemples de plans sociaux dans l'aérospatiale, l'informatique ou les télécommunications.

Il a ensuite considéré que les délocalisations favorisaient le chômage de masse en France et l'exploitation des travailleurs dans les pays en développement. Il a rappelé que, pour la première fois depuis dix ans, les effectifs employés dans l'industrie française dans son ensemble avaient diminué en 2003 d'environ 30 000 emplois, ajoutant que cette dégradation récente de la situation globale allait de pair avec des crises sectorielles plus anciennes, comme dans les secteurs de l'habillement et de la chaussure, dont les effectifs avaient été divisés par deux en 15 ans. Il a souligné que la réinsertion professionnelle des salariés licenciés dans ces conditions s'avérait particulièrement délicate, en raison de l'âge souvent assez avancé des ouvriers et de la concentration géographique des plans sur de mêmes bassins d'emplois. Il a remarqué qu'à ces difficultés déjà presque insolubles s'ajoutait, depuis deux ans, la réduction des droits sociaux des travailleurs concernés.

Enfin, il a observé que les délocalisations portaient atteinte à la politique visant à aménager de façon équilibrée le territoire national. Il a en effet rappelé que les régions Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Ile-de-France, Rhône-Alpes, Centre et Pays de la Loire concentraient à elles seules plus de la moitié des 3 millions de salariés employés par des établissements industriels d'au moins 20 salariés. Il a considéré que, dans les zones où l'industrie emploie traditionnellement une part importante de la population, une vague de délocalisations conduisant à d'importants licenciements économiques, pouvant parfois être qualifiés de « licenciements boursiers », pouvait déstabiliser durablement l'économie régionale, aggravant de ce fait la « fracture territoriale » en France. Il a cité le cas de la région Picardie, dans laquelle les entreprises Honeywell, Magnetti Marelli, Flodor et Whirlpool avaient délocalisé leurs sites de production aux Etats-Unis, en Italie et en Slovaquie, parfois dans des conditions scandaleuses, ce qui avait conduit à la disparition de plus de 1 100 emplois.

Il a par ailleurs remarqué que l'implantation des sites de production dans les pays en développement conduisait à l'exploitation d'une main-d'œuvre bon marché. Il a indiqué que les études montraient que les pays industrialisés importaient de plus en plus massivement leurs marchandises des pays à faible coût de main-d'œuvre, la part des importations provenant des pays à bas salaires étant ainsi passée, dans les secteurs du textile et de l'habillement, de 41 % en 1985 à plus de 65 % en 1996.

Il a précisé qu'une approche arithmétique conduisait naturellement les groupes, dont les actionnaires réclamaient toujours plus de bénéfices à l'échelle mondiale, à transférer leurs usines dans des pays émergents presque dépourvus de protection sociale, tels que le Bangladesh, le Sri Lanka, le Cambodge ou l'Indonésie. Il a ajouté que, pour écouler leur production à des prix défiant toute concurrence, ces groupes n'hésitaient pas à faire travailler, dans des conditions souvent inhumaines, de jeunes enfants, dont les besoins sanitaires et éducatifs étaient entièrement négligés.

Il a observé que les conséquences économiques et sociales dramatiques des délocalisations avaient conduit à une prise de conscience au sein des organisations professionnelles, et a souligné que la proposition de loi soumise à la Commission, fruit d'une longue concertation, visait à répondre à ce phénomène économique d'ampleur et à l'oisiveté du Gouvernement sur le sujet.

Il a estimé que ce texte proposait d'abord de rappeler avec fermeté les entreprises à leurs responsabilités sociales. Il a ainsi indiqué que la proposition de loi prévoyait un moratoire sur les délocalisations et la suspension des licenciements économiques liés à des investissements à l'étranger, le temps nécessaire pour que des commissions locales spécifiques, associant les élus locaux, les partenaires sociaux et les acteurs économiques sous l'égide des pouvoirs publics, puissent mettre au point des solutions pour poursuivre l'activité et préserver l'emploi.

Il a par ailleurs considéré qu'il conviendrait de mettre fin au versement d'aides publiques à des entreprises dont aucun effort n'est exigé en retour, dans la mesure où cela n'avait jamais permis de soutenir l'emploi mais seulement d'accroître les bénéfices distribués par les grands groupes à leurs actionnaires. Il a précisé que le texte examiné proposait, dans cet esprit, de n'accorder ces aides qu'aux groupes n'ayant pas délocalisé l'une de leur filiale implantée en France au cours de l'année qui précède l'obtention de l'aide. Il a estimé que cette mesure permettrait de limiter les comportements les plus choquants, ajoutant qu'il était illusoire d'espérer l'implantation stable et durable de groupes qui avaient montré dans un passé récent leur peu d'attachement à produire sur le sol français.

Il a noté que la proposition de loi prévoyait ensuite, pour limiter le « dumping social » des pays en développement, de taxer les échanges liés aux délocalisations. Il a remarqué que cela consistait d'abord à rendre moins rentables les investissements directs à l'étranger correspondant à des délocalisations. Il a jugé possible de s'appuyer sur les organisations syndicales pour obliger les grands groupes à informer l'administration de tout projet d'investissement à l'étranger s'accompagnant d'un affaiblissement de l'activité du groupe en France, en termes d'effectifs, de production ou de valeur ajoutée. Il a précisé que ces investissements, effectués dans un objectif de pure rentabilité financière, feraient alors l'objet d'une taxe spécifique, ce qui permettrait à la fois de sensibiliser financièrement les entreprises et de compenser le coût des délocalisations pour les finances publiques.

Il a ensuite fait valoir que, pour agir sur l'autre versant des délocalisations, les flux de marchandises entrant en France, la proposition de loi suggérait de créer une taxe ciblée sur les importations de biens produits dans des conditions socialement inacceptables. Rappelant que les implantations à l'étranger étaient souvent guidées par le faible coût de la main-d'œuvre locale, il a estimé que le renchérissement du coût du produit en France au moyen d'une taxe permettrait de compenser ce « différentiel social » en rapprochant les coûts des différents produits. Il a considéré que, grâce à une telle mesure, les débouchés commerciaux offerts à ces produits d'importation pourraient être réduits, de même que l'intérêt des délocalisations. Il a ajouté que l'affectation du produit de la taxe à un fonds de développement au profit des pays concernés pourrait favoriser un compromis commercial.

Il a enfin indiqué que la proposition de loi proposait de mettre la politique d'aménagement du territoire au service de la relance de l'industrie dans les régions sinistrées, afin de limiter les déséquilibres territoriaux engendrés par les délocalisations. Il a souligné que cela supposait une mobilisation des moyens financiers de l'Union européenne et de l'Etat pour favoriser une réimplantation durable en France, dans les zones défavorisées, des industries les plus touchées par les délocalisations, au premier rang desquelles l'industrie textile et celle de l'habillement. Il a remarqué que la proposition de loi visait à soumettre la politique d'aménagement du territoire à cet impératif de relocalisation des productions industrielles, tout en fixant à la France un objectif industriel volontariste : « rapatrier en cinq ans un tiers des travaux effectués à l'étranger ». Il a ajouté que cet effort pourrait être facilité en invitant les consommateurs à consommer de préférence des biens produits en France ou dans l'Union européenne, et en ciblant les avantages fiscaux et sociaux prioritairement sur les activités économiques les plus créatrices d'emploi, en contrepartie d'engagements en termes d'investissement matériel et de créations d'emplois sur le sol français.

Il a conclu en considérant que la proposition de loi soumise à la Commission dégageait plusieurs pistes audacieuses pour contrer la logique dévastatrice des délocalisations et constituait avant tout un appel à l'action. Il a indiqué que, pour sa part, conscient de la gravité des menaces que les délocalisations faisaient peser sur l'industrie française et ses millions de salariés, il ne pouvait qu'inviter la Commission à adopter ce texte ou à proposer de l'enrichir. Il a annoncé qu'il était ouvert à toute initiative constructive allant en ce sens, soulignant que l'inaction serait la pire des attitudes.

Après avoir remercié le rapporteur pour sa participation, probablement furtive, aux travaux de la Commission, M. Jean-Claude Lenoir, s'exprimant au nom du groupe UMP, lui a demandé s'il avait associé des juristes et des économistes à la large concertation qu'il prétendait avoir mené sur le problème des délocalisations, compte tenu du caractère irréaliste de certaines dispositions de sa proposition de loi.

Il a néanmoins exprimé son accord avec le constat dressé par le rapporteur, selon lequel les délocalisations d'entreprises, ayant débuté au moment la crise pétrolière des années 1970 avec la délocalisation de la production des machines-outils, restaient un sujet d'actualité très préoccupant pour nos concitoyens. Il a en outre précisé que de très nombreux pays étaient concernés par ce phénomène, rappelant que les anciens pays d'implantation des entreprises délocalisées, comme le Portugal, l'Irlande ou même Taïwan, qui produit pourtant 70 % des ordinateurs et 90 % des téléphones portables, souffraient désormais à leur tour de la préférence de certaines entreprises pour des pays à très bas salaires comme la Chine.

Il a ensuite estimé qu'il était toujours délicat d'avancer des chiffres sur les délocalisations, mais qu'il fallait modérer les déclarations parfois alarmistes sur leur impact en termes d'emploi. Il a ainsi rappelé qu'entre 1997 et 2001, les 10 secteurs de l'industrie manufacturière française dont les investissements directs à l'étranger ont été les plus importants avaient investi 37 milliards d'euros en France, créant de ce fait 100 000 emplois. Il a donc conclu qu'il n'existait pas de corrélation simple entre les investissements d'une entreprise à l'étranger et la suppression d'emplois en France.

Il a ensuite voulu rappeler à l'opposition d'aujourd'hui que la France était passée, selon les chiffres de l'ONU, entre 1995 et 2000, du 3ème rang mondial, derrière les Etats-Unis et la Chine, au 8ème rang mondial en termes d'investissements directs étrangers en France, et du 22ème rang au 29ème rang mondial pour sa balance des investissements entre 1995 et 2000, sans que le Gouvernement précédent, ni le groupe des député-e-s communistes et républicains, n'aient estimé nécessaire d'intervenir.

Il a ensuite indiqué qu'il était très difficile de souscrire aux dispositions de la proposition de loi, dès lors qu'elles s'appuyaient sur une logique dirigiste et prévoyaient l'instauration de contingents d'importation totalement à contre-courant des règles de fonctionnement de l'économie mondiale contemporaine.

Il a en outre estimé que l'article 1er de ce texte, tendant à suspendre les délocalisations des entreprises hors de France, était contraire au principe de l'autonomie de gestion des entreprises. Il a ensuite souligné que la disposition prévoyant la taxation des investissements profitables conduirait paradoxalement à privilégier ceux qui ne le sont pas, voire à condamner le profit lui-même.

Il s'est par ailleurs alarmé des dispositions, prévues par l'article 4 de la proposition de loi, visant à taxer les importations provenant des pays en développement, estimant que cela revenait à condamner le développement économique de ces pays et à substituer une logique d'assistance à une logique reposant sur leur développement.

Quant à la disposition selon laquelle il faudrait rapatrier en cinq ans un tiers des « travaux effectués à l'étranger » dans le domaine du textile et de l'habillement, il a estimé qu'elle relevait d'une planification de type soviétique, que le rapporteur était seul à défendre aujourd'hui, puisqu'elle avait été abandonnée depuis plus de dix ans par les pays qui l'avaient pratiquée.

Il a conclu en dénonçant la logique dirigiste, anticapitaliste et protectionniste de cette proposition de loi conduisant à appauvrir la France en l'isolant et à diaboliser le profit pour instaurer un hypothétique nouvel ordre mondial. Il a donc indiqué que les députés du groupe UMP ne pouvaient souscrire à ce « grand rêve » et, en conséquence, ne seraient pas favorables à son adoption.

M. Christian Bataille, s'exprimant au nom du groupe socialiste, a tenu à saluer la qualité du rapport de M. Maxime Gremetz, ainsi que la solidité de son argumentation, tout en annonçant que le groupe socialiste proposerait d'amender le texte de la proposition de loi pour améliorer les solutions envisagées au problème indéniable des délocalisations d'entreprises et de l'avenir de l'industrie française et de ses emplois.

Il a tenu à dénoncer l'analyse, souvent avancée par le patronat, selon laquelle la France devrait se spécialiser dans les activités tertiaires, en laissant son industrie, aujourd'hui textile ou sidérurgique mais demain automobile, être progressivement délocalisée dans les pays à bas salaires.

Rappelant que l'industrie était trop souvent considérée comme un secteur polluant, il a estimé nécessaire d'élargir la réflexion sur les délocalisations aux questions environnementales, dans la mesure où la pollution générée par les entreprises industrielles offre un argument facile en faveur de leur délocalisation dans les pays où la réglementation est moins contraignante.

Il a enfin regretté les propos de M. Jean-Claude Lenoir selon lesquels la planification n'aurait plus aucun rôle à jouer en France, rappelant que certains pays considérés comme libéraux, tels la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, étaient aujourd'hui obligés de reconnaître que l'Etat doit définir un minimum de critères de production. Fort de cet exemple, il a estimé que la France ne devait pas faire l'économie d'une politique de planification et rappelé qu'une partie du groupe UMP devait, de ce point de vue, s'inscrire dans la filiation de l'ère gaullienne durant laquelle la planification était considérée comme une « ardente obligation ».

A titre d'exemple, il a estimé que, dans des domaines aussi divers que la santé, l'aménagement du territoire ou l'éducation, l'Etat ne pouvait omettre de prévoir aujourd'hui le nombre de médecins, d'hôpitaux et d'enseignants propres à éviter les déséquilibres sociaux de demain.

Il a conclu en indiquant que le groupe socialiste serait favorable à l'adoption de cette proposition de loi, sous réserve de l'adoption de ses amendements.

M. François Brottes a estimé que les arguments développés par M. Jean-Claude Lenoir conduisaient à remettre en cause l'action en faveur d'Alstom, décidée par le Gouvernement, avec une sagesse qui, bien qu'inhabituelle, devait être soulignée.

Il a rappelé que personne n'avait intérêt à favoriser le « dumping social », dans la mesure où celui-ci conduit non seulement à précariser les salariés des pays développés, mais aussi les entreprises délocalisées qui ne trouvent pas les possibilités de développement nécessaires auprès d'une population dont le pouvoir d'achat est réduit.

Il a toutefois estimé que personne ne devait empêcher une entreprise de s'installer à l'étranger pour y produire ou y commercialiser ses produits, puisque cette diversification est bénéfique pour son développement économique, à moins que cette croissance externe de l'activité de l'entreprise s'accompagne d'une baisse de son activité industrielle en France.

A cet effet, il a donc annoncé qu'il présenterait un amendement complétant l'article 1er de la proposition de loi, pour définir la délocalisation comme l'arrêt ou la réduction de l'activité économique d'un site industriel ou de services à l'industrie, dans le but de transférer totalement ou partiellement cette activité à l'extérieur du territoire national.

Il a en effet estimé que cette définition permettrait d'éviter les équivoques à partir desquelles étaient souvent développés des arguments spécieux sur le problème des délocalisations.

M. Jean-Claude Lemoine a indiqué qu'il avait été très intéressé par le sujet de cette proposition de loi et intrigué par son auteur, mais que les mesures proposées étaient inacceptables. A titre d'exemple, il a indiqué qu'il était dangereux d'empêcher les entreprises françaises d'investir à l'étranger, comme le propose l'article 3 de la proposition de loi, et qu'il était inacceptable de prévoir, comme le fait l'article 4 de ce texte, la taxation des importations provenant des pays en développement, car cela entraverait leur développement.

A l'inverse, il a considéré qu'il convenait de prévenir les délocalisations en favorisant l'attractivité du territoire national, afin que les entreprises aient, en France, des coûts de production inférieurs ou égaux à ceux de leurs concurrents étrangers.

Il a donc estimé qu'il serait plus pertinent de prévoir une réduction des charges et des frais fixes pesant sur les entreprises françaises, de façon à assurer leur compétitivité par rapport à celle des autres pays européens, ainsi que d'envisager la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune et de l'impôt sur les sociétés.

M. Pierre Ducout a jugé indispensable, malgré l'intérêt de tous les pays à développer les échanges internationaux, de constater que les délocalisations pouvaient avoir des conséquences catastrophiques pour les travailleurs concernés.

Il a considéré que la proposition de loi discutée comportait de nombreux articles intéressants, dont certains, tels que les articles 2 et 4, pourraient être utilement complétés ou mieux rédigés, comme le proposeraient plusieurs amendements déposés par les membres du groupe socialiste.

Se référant au projet de loi relatif aux responsabilités locales, il a souligné l'importance du rôle joué par les collectivités territoriales pour faire face à de tels processus économiques. Il a cité le cas d'une entreprise du secteur informatique, implantée en Gironde, pour laquelle seule une intervention extérieure, visant à garantir l'équilibre financier, permettait d'éviter une délocalisation. Il a estimé que de telles situations montraient qu'il était pertinent, face à un projet de délocalisation, de subordonner la possibilité de supprimer des emplois à la création préalable d'une cellule de crise et a proposé un amendement en ce sens.

S'agissant de l'article 4 de la proposition de loi, il a jugé nécessaire de prendre en compte le déséquilibre commercial créé, aux dépens de la France, par les importations de marchandises produites à moindre coût. Il a indiqué qu'il proposerait donc d'ajouter à l'article 4 une référence à cette notion de déséquilibre des échanges commerciaux entre pays et a proposé un amendement en ce sens. Il a enfin suggéré, au cas où la Commission européenne n'interviendrait pas elle-même pour endiguer les mouvements de délocalisation, d'invoquer le principe de subsidiarité pour permettre à la France de le faire directement.

M. Yves Simon a rappelé que l'ensemble des commissaires était confronté à des délocalisations d'entreprises ; il a évoqué les conséquences de la sortie du dispositif d'aide à la mise en place des 35 heures, et rappelé que cette mesure avait, à elle seule, mécaniquement accru de 11 % le coût des heures travaillées pour les entreprises.

Rappelant la part des importations dans la production industrielle et agricole française, il est enfin revenu sur les propos tenus il y a quelques années par M. Lionel Jospin, alors Premier ministre, qui avait dénoncé la décision du groupe Michelin de ne pas renouveler 7 500 contrats le liant à des salariés. Il a regretté que l'on n'ait pas davantage insisté à l'époque sur le fait que ce groupe employait en France environ 130 000 personnes, alors qu'il avait fait savoir à maintes reprises qu'une délocalisation complète de sa production lui permettrait de faire des économies.

En réponse aux divers intervenants, M. Maxime Gremetz, rapporteur, a apporté les précisions suivantes :

- la proposition de loi discutée a été élaborée à l'Assemblée nationale avec la participation de nombreux représentants de salariés menacés par des projets de délocalisations, ainsi que d'entreprises. Ces représentants ont exposé leur situation et fait part de leur désarroi, en demandant aux élus d'intervenir par tous moyens pour écarter le danger. Le texte issu de cette concertation n'est bien sûr pas parfait mais sa présentation devant l'Assemblée nationale correspond à un engagement, et permettra de faire connaître à tous les citoyens la position des différents groupes politiques sur cette question ;

- les nombreux chiffres figurant dans le rapport proviennent de diverses études conduites par des spécialistes et des institutions officielles ; ces données répondent très largement aux interrogations soulevées.

Le rapport indiquera ainsi que, selon une étude du Service des études et des statistiques industrielles (SESSI) du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, la déréglementation de l'économie mondiale a conduit les « groupes industriels internationaux (à) spécialis(er) leurs sites de production pour réaliser des économies d'échelle ». Le SESSI ajoute que, dans ce contexte, de grands groupes mondiaux sont apparus depuis une dizaine d'années et « multiplient les échanges internationaux entre filiales » : les 500 plus grands d'entre eux contrôleraient à eux seuls 70 % du commerce mondial et 90 % des investissements directs à l'étranger.

Le rapport rappellera par ailleurs que les chiffres d'affaires mondiaux cumulés des 32 grands groupes français non financiers du CAC 40 ont augmenté de 70 % entre 1997 et 2002, tandis que la part de leurs effectifs sur le territoire national passait de 50 % à 35 % de leurs effectifs totaux.

En tout état de cause, il convient d'éviter d'incriminer tous les investissements directs à l'étranger, seuls ceux correspondant à des délocalisations devant être découragés ;

- l'attitude du groupe Whirlpool à Amiens est révélatrice : les actionnaires de ce groupe, qui fabriquait à Amiens des lave-linges et des sèche-linges, ayant exigé une rentabilité non plus de 12 % mais de 16 % par an, le site de production a été aussitôt délocalisé en Slovaquie, privant d'emplois, sans raison industrielle valable, environ 450 salariés dans une région déjà sinistrée. De tels comportements ne doivent évidemment pas être confondus avec la recherche légitime de nouveaux marchés à l'étranger, qui peut conduire une entreprise à compléter son implantation française par d'autres implantations dans le monde ;

- en pratique, la notion de délocalisation correspond généralement à un double processus économique : la fermeture d'un site de production en France pour le transférer à l'étranger est suivie, dans un second temps, de l'importation des marchandises produites hors de France à coût réduit ;

- la proposition de loi ne suppose nullement un retour à la planification. Les règles élaborées dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) peuvent être utiles lorsqu'elles contribuent à réguler davantage les échanges internationaux. L'objectif primordial de la proposition de loi est de préserver l'emploi des salariés victimes des délocalisations ;

- la mise en place d'un moratoire sur les délocalisations et la suspension des plans de licenciements n'est pas impossible, comme en témoignent les propos très récents de Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie, qui a jugé trop faible, s'agissant d'une délocalisation particulièrement violente, l'expression de « patrons-voyous » et a annoncé que toute opportunité permettant la poursuite de l'activité devait être étudiée et immédiatement saisie dès lors qu'elle avait la « moindre chance » de réussir ;

- la référence à un nouvel ordre mondial correspond aux vœux formulés par le Président de la République lors d'un récent discours ;

- la proposition de loi, élaborée avec l'aide des salariés aujourd'hui concernés par les délocalisations, peut évidemment être amendée, notamment pour préciser la notion de délocalisation. Il s'agit d'un texte politiquement essentiel, sur lequel chaque député devra se prononcer en plein accord avec sa conscience.

Il a conclu en se déclarant ouvert à un examen constructif des différentes propositions d'amendement qui avaient été évoquées, et en souhaitant que la discussion en séance publique permette une large concertation, au cours de laquelle chacun pourrait se déterminer en conscience.

Le président Patrick Ollier s'est félicité de la richesse du débat auquel cet examen en Commission avait donné lieu, et a tenu à souligner que la question évoquée ne pouvait laisser personne insensible. Il a noté que les députés membres du groupe socialiste étaient favorables à la proposition de loi et s'est, par conséquent, interrogé sur les raisons pour lesquelles elle n'avait pas été présentée durant la législature précédente, alors que les groupes politiques la soutenant aujourd'hui disposaient à l'époque de la majorité à l'Assemblée nationale. Il a rappelé qu'au contraire la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale n'avait abordé la question qu'en s'en tenant à de prudentes mesures d'information des salariés, telles que l'examen, par des commissions locales de concertation associant les partenaires sociaux sous l'égide du préfet, de solutions préservant l'emploi. Il a insisté sur la complexité du phénomène, faisant état d'informations récentes selon lesquelles il faudrait quinze ans à la Hongrie pour rattraper le niveau de vie moyen de la Communauté européenne actuelle, ce délai atteignant même trente ans dans le cas de la Pologne.

Il a surtout insisté sur la complexité liée à l'ambiguïté des concepts utilisés pour appréhender le phénomène des délocalisations. Il a noté le souci louable de M. François Brottes de proposer une définition de la délocalisation, mais s'est interrogé sur tous les autres concepts juridiquement très incertains figurant dans la proposition de loi, tels que les « suppressions d'emplois », « l'affaiblissement de l'emploi », le « taux de profit maximum », les « produits à faible coût » ou le « différentiel social ». Il a indiqué que toutes ces notions renvoyaient certes intuitivement à des réalités que l'on pouvait se représenter, mais n'étaient pas suffisamment précises en elles-mêmes pour servir de fondement à des dispositions législatives, qui devaient impérativement être sans ambiguïté pour devenir réellement opérationnelles.

Il a constaté que cette grande imprécision des termes utilisés montrait que la proposition de loi n'était pas encore suffisamment aboutie et devrait conduire les commissaires à refuser, en l'état, d'examiner ses articles.

La Commission a alors décidé de ne pas procéder à l'examen des articles et en conséquence de ne pas formuler de conclusions.

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La Commission a ensuite examiné, sur le rapport de M. Joël Beaugendre, le rapport d'information sur la desserte aérienne des départements d'outre-mer.

M. Joël Beaugendre, rapporteur, a indiqué que le premier constat de la mission menée depuis octobre 2003 est la situation insatisfaisante pour les ultra-marins de la desserte aérienne outre-mer. En effet, malgré les aménagements apportés au transport aérien d'outre-mer, les coûts de transport restent trop lourds à supporter pour les populations originaires d'outre-mer et la qualité du service insuffisante. La libéralisation du transport aérien a été tempérée par les obligations du service public concernant la desserte ultra-marine. En effet, depuis avril 1997, des obligations de service public sont imposées sur ces liaisons aériennes : exploitation des lignes tout au long de l'année, fixation d'une capacité minimale en basse saison par rapport à la haute saison, tarifs enfants, nombre minimum de sièges devant être offerts chaque saison annuellement, réservation de créneaux horaires à Orly. Un autre aménagement consiste dans les aides au développement du secteur aérien de l'outre-mer. Ainsi, le régime de défiscalisation en outre-mer en faveur des investissements productifs institué par la loi dite « Pons » et modifié par la loi de programme pour l'outre-mer du 21 juillet 2003 concerne le secteur aérien. Les flottes des compagnies implantées outre-mer ont bénéficié de ce régime d'aide fiscale. En outre, il existe les subventions du FIATA (fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien) pour les dessertes aériennes réalisées dans un souci d'aménagement du territoire.

Le rapporteur a enfin rappelé la place des aides à caractère social. Il s'agit bien évidemment du régime de congés bonifiés pour les fonctionnaires dont le lieu de résidence habituel est situé dans un DOM : Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion. Le régime des congés bonifiés se caractérise entre autres par la prise en charge des frais de voyage de l'agent et, le cas échéant, du conjoint et des enfants à charge. Ces congés peuvent être pris tous les trois ans. Il existe également depuis septembre 2002 un passeport mobilité. 11 000 étudiants et 5 000 jeunes en formation professionnelle ou à la recherche d'un premier emploi se voient offrir un billet aller-retour une fois par an. Enfin, l'article 60 de la loi de programme pour l'outre-mer a institué une dotation de continuité territoriale destinée à faciliter les déplacements des résidents ultra-marins. La collectivité territoriale concernée doit fixer les catégories de passagers visés et les montants qu'elle entend leur attribuer. La loi de finances pour 2004 a doté le FIATA à hauteur de 30 millions d'euros pour financer cette dotation, l'objectif fixé est de parvenir à une réduction de 30 % du billet pour 200 000 passagers pour un voyage annuel. Le rapporteur a rappelé que les DOM ont une population de 1,7 million d'habitants et que l'Ile-de-France accueille 1 million de personnes originaires de l'ensemble de l'outre-mer. L'affirmation du principe de continuité territoriale par la création d'une dotation est donc importante sur le plan symbolique mais ne résout pas le problème du coût de transport.

Or, ces coûts de transport restent trop lourds à supporter pour les ultra-marins. Si, dans un premier temps, de 1990 à 1998, sous l'effet d'une intense et nouvelle concurrence, les tarifs des transporteurs aériens ont baissé de 25 à 35 % dans un deuxième temps, l'augmentation des prix depuis trois ans a été brutale et très mal vécue. Toutes les compagnies aériennes entendues avancent les mêmes raisons à cette augmentation : la dérégulation du marché après la disparition d'Air Lib, l'augmentation des coûts fixes (assurance, carburant, taxe de sûreté), la crise du trafic aérien et du tourisme après les événements du 11 septembre 2001 et en particulier aux Antilles où le trafic touristique a diminué de 30 % en trois ans. Quoi qu'il en soit, le prix du billet pour les Antilles a augmenté en euros courants de 28 % entre 1998 et 2003 et de 25 % pour la Réunion.

Le rapporteur s'est interrogé sur de telles augmentations alors même que la crise du tourisme a conduit les tour-opérateurs à proposer des packages hôtel + vol à des prix très bas comparativement aux prix des vols secs. Aujourd'hui, les conditions semblent réunies pour une nouvelle guerre des prix comme l'ont indiqué toutes les compagnies aériennes entendues car il existe une situation de surcapacité. Air France a ainsi modifié depuis novembre 2003 sa stratégie commerciale en augmentant les stocks offerts à des tarifs bas. Une telle pratique commerciale ne peut s'expliquer que dans la mesure où la compagnie nationale a rentabilisé sans aucun doute possible ses lignes ultra-marines.

A cette augmentation des prix, très mal acceptée, qui vient incontestablement remettre en cause le principe de continuité territoriale, s'est ajouté le désordre tarifaire. Le désordre tarifaire se manifeste d'abord par des prix de billet très fluctuants suivant la période de l'année : cela peut aller du simple au triple. La crise conjoncturelle du transport aérien a augmenté la saisonnalité des tarifs. La baisse du trafic touristique en période de basse saison a incité les compagnies à renchérir le prix du billet en période de haute saison. A cette période, les transporteurs aériens profitent de la clientèle captive des domiens se rendant en outre-mer pour les vacances scolaires. Le désordre tarifaire se traduit également par la variété des classes de réservation : ce système est peu lisible et sans aucune prévisibilité pour le client aérien. Le rapporteur a enfin observé que les normes de confort dans les avions desservant les DOM sont très en deçà des standards internationaux en raison de la plus faible rentabilité de ces lignes invoquée par ces compagnies. Cette faible rentabilité s'explique par le fait que la place de la haute contribution dans la recette moyenne est bien moins importante : la clientèle haute contribution est moins nombreuse et le prix des billets de la haute contribution est peu élevé.

Le rapporteur a ensuite indiqué qu'il lui avait été très difficile d'évaluer la rentabilité ou la non-rentabilité des lignes aériennes dans la mesure où l'accès à la comptabilité analytique par ligne exploitée lui avait été refusé au nom du secret commercial. De surcroît, une enquête menée par la DGCCRF en décembre 2002, à la suite d'une demande formulée par le Procureur de la Martinique en raison de soupçons relatifs à des ententes entre compagnies aériennes, a donné lieu à un rapport que l'administration a refusé de transmettre au rapporteur en arguant que ce dossier faisait l'objet d'une instruction par le Conseil de la concurrence.

Tout en indiquant qu'une commission d'enquête permettrait sans nul doute d'accéder à d'avantage d'informations, le rapporteur a souhaité, avant tout, faire des propositions pour améliorer le sort des ultra-marins.

En la matière, les solutions maximalistes sont irréalisables. Créer une ou des compagnies aériennes comme cela existe dans les territoires d'outre-mer n'est pas possible. En effet, la réglementation européenne relative aux transports aériens ne s'applique pas aux TOM mais elle s'applique aux départements d'outre-mer qui font partie eux de l'Union européenne. De la même façon, le modèle corse, très avantageux pour les Corses, n'est pas applicable aux DOM car il serait coûteux et demanderait de nouvelles recettes importantes au titre de la solidarité nationale. En effet, l'Assemblée de Corse verse pas moins de 29 millions d'euros aux transporteurs aériens délégataires de service public. Or la population de la Corse est de 270 000 habitants qu'il faut comparer au 1,7 million d'habitants des DOM. En Corse, les obligations de service public sont étendues en termes de capacité et de liaison mais également en termes tarifaires puisqu'il existe des tarifs préférentiels pour les résidents corses, les personnes de moins de 25 ans ou de plus de 60 ans, les étudiants, les familles.

Si ces solutions maximalistes sont inapplicables, de nouvelles obligations de service public en matière tarifaire peuvent être mises en place avec :

- l'institution de tarifs réduits notamment pour les jeunes entre 12 et 18 ans ; cette réduction pourrait être comprise entre 20 et 30 % ;

- la création d'un billet social pour événement familial : les personnes frappées par un deuil doivent être prioritaires et bénéficier d'une tarification particulière, y compris si elles doivent être surclassées. Un tel dispositif pourrait être étendu aux événements familiaux majeurs (naissance, mariage, ...) ;

- l'instauration d'un prix maximum en haute saison. Les écarts, comme on l'a vu précédemment, entre haute et basse saison sont très mal ressentis ; la fixation d'un tel tarif plafond devra se faire en étroite collaboration avec les compagnies aériennes de façon à limiter les éventuels effets pervers d'un tel dispositif. Cette mesure a naturellement un coût qui pourra être en partie compensé par les exonérations de charges mises en place par la loi de programme pour l'outre-mer.

Enfin, le rapporteur a considéré que le rôle de l'Etat ne devait pas être négligé. Il pourrait être créé un observatoire des tarifs au niveau de la Direction générale de l'aviation civile chargée d'une mission de veille sur les tarifs. L'Etat a également une marge de manœuvre importante dans la mesure où il est employeur d'un nombre élevé d'agents bénéficiaires des congés bonifiés. L'Etat employeur pourrait ainsi mener une concertation avec les syndicats afin d'étaler les départs et les arrivées liés aux congés bonifiés. Les administrations telles que la Poste pourraient également passer des contrats avec le ministère de la Défense afin d'utiliser des avions militaires transporteurs lors des quelques jours de pointe du trafic qui posent problème.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Le président Patrick Ollier a tenu à remercier M. Joël Beaugendre pour la qualité de son rapport, rappelant qu'il se situait dans la continuité de la mission d'information sur le tourisme en Outre-mer. Il a exprimé son étonnement et sa déception face aux déclarations du rapporteur selon lesquelles celui-ci n'aurait pas pu avoir communication de tous les documents nécessaires à la compréhension des problèmes liés à la desserte aérienne des départements d'outre-mer. Il a demandé la diffusion, au nom de la Commission, d'une lettre de protestation auprès du président-directeur général d'Air France et du ministre des Transports, afin de faire respecter les prérogatives du Parlement. Il a indiqué que, à défaut de communication des documents en cause, il souscrirait à la demande du rapporteur de créer une commission d'enquête qui pourrait alors se procurer d'autorité ces documents.

Mme Arlette Franco a rappelé que la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer avait pour objet de prévoir le développement durable de l'outre-mer à l'horizon de quinze ans.

Elle a indiqué que la mission d'information à laquelle a fait référence le président Patrick Ollier avait en effet montré que le transport est un problème très important pour le développement économique de l'outre-mer, notamment pour les personnes désireuses de suivre une formation professionnelle en France métropolitaine ou d'y travailler. A cet effet, elle a indiqué que la loi de programme a institué une dotation de continuité territoriale, des exonérations de charges sociales pour les compagnies aériennes desservant l'outre-mer, ainsi qu'une baisse du prix du billet vers l'outre-mer de 30 % pour environ 200 000 personnes par an. Elle s'est félicitée de constater que le rapport de M. Joël Beaugendre s'inscrivait dans cette démarche. Elle a donc exprimé son soutien aux propositions du rapporteur, en s'associant par ailleurs aux protestations formulées par le président Patrick Ollier.

M. Jean Gaubert a, à son tour, au nom du groupe socialiste, salué la qualité du travail effectué par le rapporteur, qui met en évidence l'acuité d'un phénomène déjà identifié auparavant, mais sans qu'on en connût la gravité. Ayant fait observer que le secret de l'instruction avait pu être légitimement opposé à une demande d'information sur une procédure en cours devant le Conseil de la concurrence, il s'est en revanche indigné du recours abusif au secret commercial quant à la fourniture d'informations comptables sur les trafics aériens concernés, d'autant qu'il allait de soi que le rapporteur ne souhaitait que les utiliser à l'appui d'une meilleure compréhension de la situation, et non pas pour en faire état publiquement. S'agissant de l'évolution des tarifs, il a noté qu'elle était conforme à l'évolution observée dans les secteurs bénéficiant d'une ouverture à la concurrence, celle-ci étant suivie d'un processus de concentration, que cette dernière s'effectue au profit d'une entreprise publique ou privée. Il a indiqué enfin qu'au-delà du détail des mesures techniques à prendre, son groupe s'associait aux conclusions du rapport.

M. Jacques Bobe a félicité le rapporteur pour la précision de ses analyses, dont il a pu mesurer la pertinence en tant qu'usager occasionnel des lignes aériennes vers les DOM. Il s'est dit choqué du refus de transmission d'informations auquel s'est heurté le rapporteur, en s'interrogeant sur l'utilité de publier en l'état le rapport, dès lors que la démarche annoncée par le président de la Commission pourrait permettre d'obtenir les éléments complémentaires indispensables à l'achèvement de la mission.

Le président Patrick Ollier a signalé la possibilité de faire état, en conclusion du rapport, de l'unanimité de la Commission dans sa réprobation du refus de transmission d'informations auquel s'est heurté le rapporteur. Un tel refus remet en cause la mission fondamentale de contrôle exercée par le Parlement.

Le rapporteur a apporté quelques précisions complémentaires s'agissant des conditions de la formation des prix, en observant que les surcapacités actuelles devaient théoriquement favoriser une guerre des prix, mais que la compagnie nationale jouait vis-à-vis de cette situation un jeu complexe l'amenant à raréfier son offre pour soutenir ses tarifs. Il a signalé que ceux-ci avaient baissé depuis novembre 2003, mais s'est interrogé sur la durée de cette baisse. Il a noté aussi que le quota des tarifs bas « Tempo » se réduisait considérablement à l'approche de l'été.

La Commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, d'autoriser la publication du rapport d'information.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné Mme Catherine Vautrin, rapporteure pour le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la régulation des activités postales (n° 1384).

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