COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 47

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 4 mars 2004
(Séance de 9 heures 45)

Présidence de M. Patrick Ollier,
Président de la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire,

et de M. Pascal Clément,

Président de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation
et de l'administration générale de la République

SOMMAIRE

 

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- Audition conjointe avec la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République de Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement (n° 992) -

 

(M. Martial SADDIER, rapporteur pour avis)

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La Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire et la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République ont, au cours d'une réunion conjointe, entendu Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement (n° 992).

Le président Pascal Clément, après avoir rappelé que la Commission des lois avait procédé à la fin de l'année 2003 à deux catégories d'auditions - celle de constitutionnalistes, puis celle de membres de la commission Coppens - a indiqué que Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteur au fond au nom de la Commission des lois, avait effectué une cinquantaine d'auditions et que M. Martial Saddier, rapporteur pour avis au nom de la Commission des affaires économiques avait lui aussi procédé à de nombreuses auditions. Il a rappelé que les deux commissions avaient entendu M. Dominique Perben, garde des Sceaux, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement, qui serait examiné le 7 avril par la Commission des lois et débattu à partir du 14 avril en séance publique.

Après s'être félicité de la coopération des deux commissions saisies sur le projet de loi constitutionnelle, le président Patrick Ollier a souligné que ce dernier constituait un texte fondateur, puisqu'il s'agit de consacrer une écologie humaniste en la portant au plus haut niveau de notre hiérarchie des normes, et a fait part de sa détermination pour que ce projet de loi aboutisse.

Jugeant qu'il constituait une avancée indéniable de nos droits fondamentaux et répondait aux attentes de notre société en matière de développement durable, il s'est déclaré également soucieux, en tant que président de la Commission des affaires économiques, de concilier les exigences environnementales avec les deux autres piliers du développement durable, que sont le développement économique et le développement social, qui reposent sur le dynamisme de notre recherche et des entreprises françaises.

Reconnaissant la difficulté qu'il y avait à rédiger un texte de portée constitutionnelle, mais considérant que la consécration de nouveaux objectifs et principes de valeur constitutionnelle donnerait probablement lieu à une jurisprudence abondante, il a estimé nécessaire de réduire, autant que possible, les divergences d'interprétation en élaborant des normes claires. Il a estimé qu'à cet égard, l'audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, était essentielle, car si la Charte de l'environnement suscite de très nombreux espoirs, elle doit également donner lieu à un large débat et à des explications permettant de dissiper les inquiétudes. Sur ce point, il a souligné que les milieux scientifiques et économiques craignaient que la Charte ne consacrât au plus haut niveau de notre droit une politique risquant de dériver vers l'immobilisme et il a donc jugé indispensable d'éviter tout « faux procès » susceptible de compromettre l'objectif poursuivi avec la Charte, qui mérite de rencontrer un consensus au sein de l'Assemblée nationale et de ne pas faire l'objet d'une opposition politicienne.

Il a par ailleurs indiqué que l'audition du garde des Sceaux avait mis en évidence que le champ d'application du principe de précaution était somme toute réduit, en raison des conditions cumulatives qui devront être réunies pour y recourir. Il a néanmoins jugé que l'on ne pouvait passer sous silence les inquiétudes du monde économique et des élus locaux, suscitées par l'application du principe de précaution par les autorités publiques locales. Il a souhaité savoir si celles-ci pourraient bénéficier d'une aide à l'expertise, notamment pour apprécier les risques encourus et faire le point sur l'état des connaissances scientifiques.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, a précisé que son intervention se situerait dans le prolongement de celle du garde des Sceaux, auquel il reviendra de soutenir la discussion du projet de loi devant la représentation nationale, et viserait à exposer les fondements environnementaux de ce texte historique.

Abordant les objectifs poursuivis par le Gouvernement, elle a estimé que notre génération devrait répondre des mesures prises en faveur de la qualité de l'eau et de l'air, sans lesquels il n'y aurait pas de vie, de la couche d'ozone protégeant la planète, des émissions de gaz carbonique dont chacun reconnaît aujourd'hui qu'ils sont à l'origine du réchauffement climatique, ou de la réduction de la diversité des espèces.

Elle a jugé que nous aurions également à répondre devant nos enfants de l'accélération de l'érosion des sols, qui risque d'accroître les débits de pointe lors de crues torrentielles, et de l'urbanisation importante des lits majeurs des rivières et des fleuves au mépris des règles les plus élémentaires de l'hydrométéorologie et de l'hydraulique.

Indiquant qu'elle pourrait continuer à l'envi cet inventaire de nos erreurs collectives durant le siècle passé, au risque de se voir reprocher de céder à la tentation d'une lucidité tardive, elle a jugé que la connaissance que nous avons aujourd'hui de ces phénomènes nous impose de réagir.

Elle a estimé que la Charte de l'environnement constituait la traduction juridique de cette prise de conscience, comme ce fut le cas autrefois pour les droits de l'Homme puis les droits sociaux, et a souligné que le Gouvernement avait adopté une démarche humaniste, initiée par le Président de la République.

Ainsi, l'article 1er de la Charte a-t-il été rédigé en songeant à la composante anthropique du phénomène du réchauffement climatique, les termes choisis tendant à ne pas conduire, par le biais d'une analyse et d'une politique malthusiennes, à l'attrition de notre système de production et de notre civilisation.

De même, l'article 4 de la Charte a pour objet d'apporter une réponse adaptée aux victimes diffuses d'un pollueur identifié, aux habitants des littoraux souillés par le fioul des pétroliers qui procèdent à des déballastages ou font naufrage du fait d'un mauvais entretien, aux riverains des canaux de certains départements du Nord pollués par les métaux lourds ou encore aux riverains de sites pollués dont le propriétaire n'est pas identifié et sa rédaction a été inspirée par le souci de ne pas provoquer un bouleversement du calcul économique déterminant chaque investissement industriel.

Indiquant que plusieurs articles de la Charte avaient été inspirés par la situation des victimes de l'explosion d'usines à risques ou d'inondations torrentielles, elle a signalé que c'est toutefois en pensant à la nécessité de développer, par la transparence et l'information préventive, une véritable conscience du risque, pour limiter les phénomènes de peur irrationnelle, que l'article 7 de la Charte avait été rédigé, afin de développer la participation et l'information du public et d'éviter ainsi, par exemple, que des salariés ne soient mis au chômage parce que les autorités publiques n'ont pas pu ou pas su convaincre les riverains qu'une usine classée « Seveso » ne constitue pas un risque inacceptable dès lors que l'on respecte les termes des autorisations administratives.

Estimant que la Charte était un texte de synthèse entre les forces contradictoires d'une époque régie par le progrès, la création, l'innovation, mais inquiète des dangers qu'ils recèlent pour la planète et pour l'humanité, elle a ajouté que le temps de l'écologie doctrinaire et idéologique était dépassé, et que la Charte, loin d'être un manifeste inspiré par une idéologie sacrificielle ou une profession de foi politique sans portée, était un texte grave, humaniste et équilibré, comme il sied à une norme de portée constitutionnelle.

Evoquant l'article 2 de la Charte, dont elle a estimé qu'il résumait l'approche équilibrée du Gouvernement, elle a souligné qu'il énonçait un devoir fondamental pesant sur l'ensemble des sujets de droit, trouvant son origine dans le discours du président de la République prononcé le 3 mai 2001 à Orléans, selon lequel « il s'agit de faire prévaloir une certaine conception de l'homme par rapport à la nature. Il s'agit de rappeler ses droits mais aussi ses responsabilités ».

Elle a estimé que l'affirmation de ce devoir était un élément essentiel de la reconnaissance de la responsabilité des êtres humains à l'égard de l'environnement, soulignant le lien entre la qualité de l'environnement et le comportement individuel, chacun devant assumer ses responsabilités dans ce domaine sans attendre une évolution du comportement des autres acteurs.

Elle a indiqué que le Gouvernement avait voulu faire « œuvre d'équilibre », la Charte ne comportant aucun renoncement, ni aucune disposition irréaliste ou doctrinaire, en faisant en sorte que les principes cardinaux qui inspirent le droit positif de l'environnement changent de niveau pour mieux l'éclairer et le déterminer.

Se déclarant consciente du fait que ce projet de loi faisait l'objet de critiques multiples, émanant pour partie de personnes jugeant le texte sans portée réelle, pour partie de personnes estimant qu'il en aurait trop, elle a précisé que ce paradoxe démontrait précisément le caractère équilibré du projet de loi.

Abordant la rédaction de l'article 4 de la Charte, elle s'est associée aux propos du garde des Sceaux soulignant l'innovation que constituait le principe de réparation et sa supériorité sur celui de « polleur-payeur », lequel suscite la crainte, exprimée par nombre des personnes consultées, qu'il ne soit qu'un droit à polluer, alors qu'il est préférable de prévenir les dommages à l'environnement ou, à défaut, de les réparer. Elle a précisé que le terme de réparation renvoie à la responsabilité du pollueur, notion plus large que le principe mercantile du pollueur-payeur et a jugé que la rédaction retenue, selon laquelle le pollueur doit « contribuer » à la réparation des dommages à l'environnement, soulignait le réalisme de la démarche du Gouvernement.

Elle a ensuite précisé que le principe de réparation des dommages prévu à l'article 4 de la Charte trouverait à s'appliquer lorsque le dispositif de prévention de ces dommages, prévu par l'article 3, se révèlerait trop limité, et qu'il permettait d'aller plus loin que ne le fait le droit positif issu des régimes de responsabilité civile et administrative, précisés par la jurisprudence, en ouvrant un droit à réparation d'un dommage à l'environnement même en l'absence de victime directe pouvant demander réparation à l'auteur du dommage.

Abordant ensuite l'article 5 du projet de loi, elle a estimé que certaines critiques portaient moins sur la Charte proposée par le Gouvernement que sur les versions issues de la commission de préparation de la Charte présidée par le professeur Yves Coppens, que le Gouvernement a écartées. Elle a ajouté que la définition, par cet article, du principe de précaution représentait un progrès, puisque ce principe, déjà énoncé par l'article 174 du traité de l'Union européenne selon lequel les politiques de l'environnement sont fondées notamment sur le principe de précaution, n'est pas pour autant défini, ce qui laisse place à toutes sortes d'interprétations et de dérives.

Précisant que le code de l'environnement n'évitait pas cet écueil et que la jurisprudence de ces dernières années avait montré les incertitudes pesant sur la portée et le sens de ce principe, elle a estimé que la vivacité des débats sur ce sujet tenait à cette incertitude qui occulte la véritable utilité de ce principe.

Elle a donc jugé qu'en élevant le principe de précaution au niveau constitutionnel et en lui donnant une définition précise, celui-ci acquerrait une portée plus large et s'imposerait à l'ensemble des normes.

Elle a ajouté que, contrairement aux mesures de prévention, destinées à prévenir un risque de dommage connu, les mesures de précaution ne devaient intervenir qu'en cas d'incertitude pesant sur la réalisation d'un dommage en raison de l'insuffisance de nos connaissances scientifiques. Soulignant que son champ d'application serait donc réduit aux dommages incertains, qui sont moins nombreux que ne peuvent le laisser penser certains commentaires hâtifs, elle a fait observer que ces dommages incertains devraient en outre affecter l'environnement de manière grave et irréversible, ces conditions étant cumulatives et non alternatives. Elle a ajouté qu'il appartiendrait alors aux autorités publiques de veiller à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées prises dans le but d'éviter la réalisation du dommage et de mettre en œuvre des procédures d'évaluation des risques encourus.

Elle a précisé que toutes les personnes concernées, publiques ou privées, pourraient contribuer à ces procédures destinées à lever les incertitudes, ajoutant que le principe de précaution ne devait paralyser ni les activités économiques, ni la recherche scientifique, dans la mesure où cette dernière contribue, dans des conditions de parfaite transparence, à lever les incertitudes et à permettre, le cas échéant, de passer de mesures de précaution à des mesures de prévention.

Evoquant enfin la méthode d'élaboration de ce projet de loi, elle a indiqué qu'elle avait été guidée par une démarche réfléchie et profondément participative, rappelant que la commission pluridisciplinaire présidée par le professeur Yves Coppens avait travaillé pendant près d'une année, au cours de laquelle 14 000 questionnaires adressés à de nombreux citoyens avaient été retournés au Gouvernement, et 14 assises territoriales avec près de 8 000 participants avaient été réalisées.

Elle a estimé que les débats avaient été sereins et constructifs, montrant l'enthousiasme de tous à travailler ensemble pour construire un avenir commun hors des clivages partisans, en s'élevant au-dessus des problèmes quotidiens et des conflits d'intérêts et qu'ils avaient profondément marqué les travaux de la Commission chargée d'élaborer la Charte.

Elle a enfin rappelé que les débats de cette commission, qui a travaillé de juin 2002 à avril 2003, avaient d'abord permis de déterminer quelle forme pourrait prendre une Charte « adossée à la Constitution », puis de recueillir l'avis de spécialistes de l'environnement, de scientifiques et de la société civile sur le contenu même de la Charte, pour aborder enfin les questions éthiques justifiant une modification de la Constitution.

Le président Pascal Clément a tout d'abord observé que jusqu'à présent, les objectifs constitutionnels figurant dans le bloc de constitutionnalité étaient constitués de droits mais non de devoirs, tels que ceux prévus par la Charte de l'environnement. Il a en outre remarqué que ces droits renvoyaient à une législation d'application, comme le droit de grève, alors que tel n'est pas le cas pour les droits et devoirs consacrés par la Charte, qui sont pour certains d'application immédiate. Il a demandé à la ministre si elle tenait à cette application immédiate et a indiqué qu'à ses yeux, le seul amendement qui vaille viserait à revenir sur cette immédiateté, les autres questions étant en regard relativement marginales.

Evoquant l'article 8, il a ensuite souhaité savoir si une réflexion avait été menée afin de promouvoir l'éducation à l'environnement dans les programmes scolaires. Il a enfin demandé si une évaluation de l'impact budgétaire de la Charte de l'environnement avait été réalisée, concernant notamment la mise en œuvre du principe de précaution et celle d'actions de prévention ou de réparation.

Mme Nathalie Koscisuko-Morizet, rapporteure de la Commission des lois, rappelant qu'elle avait procédé à de nombreuses auditions de constitutionnalistes, de membres de la commission Coppens et de « parties prenantes » de la société civile, a observé que trois sujets étaient fréquemment évoqués : en premier lieu, la multiplicité des points de vue au sein de la commission Coppens ; en deuxième lieu, les attentes auxquelles répond la Charte de l'environnement ; enfin, les craintes que celle-ci peut soulever.

Evoquant le processus d'élaboration de la Charte de l'environnement, elle a fait part de la contestation de celui-ci par certains juristes et a souhaité savoir d'une part, quels enseignements la ministre tirait de cette démarche de démocratie participative et d'autre part, en quoi cette expérience avait pu influencer la rédaction de la Charte déposée sur le Bureau de l'Assemblée nationale.

Puis, abordant la question de la nécessité de la Charte de l'environnement, elle a noté que paradoxalement, l'utilité d'une Charte de l'environnement paraissait mieux admise par nos concitoyens que par une partie des élus. Elle a donc demandé à la ministre en quoi la Charte de l'environnement correspondait à un besoin, à la lumière de son expérience de près de deux ans au ministère de l'écologie et du développement durable.

Enfin, évoquant la place de la santé dans la Charte, elle a indiqué avoir constaté, au fil des auditions, que le milieu médical se montrait relativement réticent, notamment concernant le principe de précaution. Jugeant que cette réaction tenait certainement à ce que l'application d'un tel principe poserait des problèmes extrêmement ardus en matière médicale, elle a jugé important d'assigner clairement à la santé et à l'environnement leurs domaines respectifs. En effet, a-t-elle souligné, même si l'article 1er consacre le droit à un environnement équilibré et favorable à la santé, la Charte n'est pas une charte de la santé publique, le principe de précaution s'appliquant en cas de dommage à l'environnement et non pas à la santé publique. Elle a donc souhaité que la ministre puisse contribuer à clarifier la part de la santé dans la Charte, s'agissant notamment du principe de précaution.

M. Martial Saddier, rapporteur pour avis de la Commission des affaires économiques, a tout d'abord tenu à confirmer, au vu des auditions menées, l'unanimité du constat fait par les acteurs économiques quant à la nécessité de l'existence d'un texte consacrant le développement durable. En effet, a-t-il souligné, ces acteurs économiques ont pris conscience que l'homme demeurait dépendant de son environnement, alors que l'impact des activités humaines sur ce dernier n'avait jamais été aussi important. Il a donc estimé que nos choix économiques et sociaux à venir devaient être guidés par ce constat clairvoyant. Il a en outre observé que les avis recueillis cautionnaient également le choix d'un adossement à la Constitution des principes tendant à la protection de l'environnement.

Il a néanmoins souligné que cette démarche, introduisant une réelle nouveauté dans le fonctionnement de notre société, suscitait des inquiétudes compréhensibles de la part des acteurs auditionnés, mais aussi des parlementaires, les interrogations portant sur la portée concrète de la Charte et son impact sur les activités économiques. Il a indiqué que les craintes se focalisaient sur l'apparition d'une nouvelle forme d'insécurité juridique, susceptible de mettre en cause toute avancée et d'handicaper la France dans la compétition internationale.

Après avoir souligné que la Charte de l'environnement, en consacrant un droit à l'environnement, constituait une innovation majeure, il a rappelé que les grands principes du droit de l'environnement figuraient déjà dans le code de l'environnement (principes d'action préventive, pollueur-payeur, de précaution, ou encore de participation) et a demandé quelles raisons avaient conduit à les constitutionnaliser et quelles seraient les conséquences de cette constitutionnalisation, non seulement pour les citoyens mais aussi pour les acteurs économiques.

Rappelant que l'article 5 de la Charte disposait que les autorités publiques devraient veiller à l'adoption de mesures « provisoires et proportionnées », il s'est demandé comment la notion de « proportionnalité » devrait être appréciée et si elle englobait des considérations économiques et financières.

Insistant sur la portée de l'article 10 de la Charte qui permettra à la France de conforter ses positions lors des négociations internationales ou communautaires dans le domaine de l'environnement, il s'est toutefois interrogé sur ce qui adviendrait si une norme ou une décision communautaire (comme la levée du moratoire européen sur les organismes génétiquement modifiés) s'avérait contradictoire avec la Charte de l'environnement.

En réponse à ces questions, Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, a apporté les éléments d'information suivants :

- s'agissant de l'applicabilité directe de la Charte de l'environnement, les inquiétudes évoquées par le président Pascal Clément doivent être nuancées, car seul l'article 5 est d'application directe. La Charte, d'une manière générale, conforte le rôle du législateur en le plaçant au centre du droit de l'environnement, qui relève aujourd'hui en grande partie du pouvoir réglementaire. L'applicabilité directe du principe de précaution se justifie par la définition même de ce principe : sa mise en œuvre suppose une démarche éthique, dans un contexte d'incertitude scientifique. Il invite donc les autorités publiques à inclure cette démarche éthique dans leur processus décisionnel. Renvoyer à la loi les conditions de son application reviendrait au contraire à s'inscrire dans une démarche de prévention, qui ne peut intervenir que lorsqu'un risque est précisément identifié ;

- une formation des élèves à l'environnement sera rendue obligatoire dans l'enseignement scolaire, dès la rentrée 2004, à travers des modules spécifiques. Des expériences pilotes ont d'ailleurs été lancées dans certaines académies sur le contenu de la formation à l'environnement, avec Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat au développement durable ;

- l'impact budgétaire de la Charte doit être évalué en le rapportant au coût d'une absence de mesures environnementales, la réparation des dommages environnementaux pouvant représenter une charge nettement plus lourde que celle de leur prévention. En témoignent le coût budgétaire de l'effort de dépollution des sols autour de l'usine Métaleurop, le coût des travaux de consolidation des sous-sols miniers pour limiter les risques d'effondrements causés par une exploitation mal maîtrisée, ou encore l'indemnisation des dégâts causés par les marées noires ;

- le processus très démocratique retenu pour l'élaboration de la Charte s'est avéré particulièrement enrichissant, même si la consultation directe des citoyens a pu être interprétée par la représentation nationale comme une forme de dessaisissement. Les opinions exprimées très librement par les Français se sont caractérisées le plus souvent par un grand sens des responsabilités et de la mesure ; les approches purement idéologiques sont restées très marginales. Ces avis, issus de milieux socio-professionnels aux intérêts souvent divergents, ont permis de dégager un consensus inattendu et de surmonter de grandes différences idéologiques et sociologiques ;

- la Charte est assurément un texte nécessaire dans la mesure où la Constitution est le socle du pacte républicain et où, à l'aube du XXIème siècle, le droit à l'environnement et le droit de l'environnement doivent en faire partie. Il convient de rappeler que ce pacte républicain s'est d'abord construit, en 1789, sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui traitait des droits individuels et politiques, puis, en 1946, sur le Préambule de la Constitution de la IVème République, qui traitait des relations économiques et sociales entre les individus. La Charte constitue une troisième étape, par laquelle sont prises en compte, dans le socle constitutionnel, les interactions entre les activités humaines et les milieux naturels, qui peuvent influer sur la recherche du bonheur commune à tous les individus ;

- les inquiétudes exprimées par le corps médical s'agissant du principe de précaution sont étonnantes, dans la mesure où ce principe est déjà utilisé au quotidien dans l'ensemble des activités médicales, qui reposent constamment sur cette exigence éthique. Si l'article 1er de la Charte constate bien un lien entre la santé et l'environnement, lien que le Plan national santé-environnement vise à prendre en compte, les activités liées à la santé ne sont pas, en revanche, directement concernées par son article 5. La santé n'est concernée par ce texte que dans la mesure où l'environnement est le vecteur d'une atteinte à la santé humaine ; ainsi, la protection de la santé des riverains d'une installation polluante entrera dans l'objet de la Charte, mais certainement pas un acte chirurgical ;

- les mesures de précaution n'interviennent qu'en raison de l'incertitude qui pèse sur la réalisation du dommage. Elles n'ont donc pas vocation à perdurer mais doivent conduire, dans la mesure du possible, à régir la période nécessaire à l'accomplissement des travaux de recherche destinés à lever l'incertitude scientifique. A contrario, la précaution ne peut être entendue comme une interdiction définitive : elle ne concerne qu'une période transitoire, le caractère incertain étant intimement lié à l'état des connaissances scientifiques. Cette part d'incertitude sera sans doute la plus délicate à apprécier ; elle suppose une approche dynamique et non statique, la nécessité de lever le doute scientifique conduisant naturellement au mouvement.

M. François-Michel Gonnot a estimé que si l'écoute des rapporteurs et de la ministre permettait de relativiser certaines craintes, la Charte de l'environnement « perturbait » néanmoins profondément un certain nombre de commissaires, faute sans doute d'un débat suffisant à ce stade.

Il a en outre jugé contradictoire que la ministre qualifie la Charte de texte « grave », alors qu'il est affirmé par ailleurs qu'un certain nombre de principes énoncés dans la loi constitutionnelle seraient purement déclaratifs ou sans conséquences. Il s'est demandé si les commentaires destinés à rassurer ne conduiraient pas à vider la Charte de son sens, notamment au niveau international, alors que la France était l'un des premiers pays au monde à se doter d'un texte d'une telle portée.

Il a donc jugé légitime de mesurer l'utilité et les conséquences de la Charte et notamment de son article 5. Dans ce cadre, il a demandé à la ministre si le Gouvernement avait effectué une évaluation interministérielle précise des conséquences de ce texte, notamment dans les domaines de l'industrie et de l'énergie, précisant qu'un certain nombre de filières étaient inquiètes, comme le nucléaire, la chimie, les mines ou les filières d'élimination des déchets.

Notant que dès lors que des droits seront créés, le peuple s'en emparerait tout naturellement, il a déploré que soient parfois évoqués des « droits sans conséquences » et a estimé au contraire que les Français les feraient valoir et invoqueraient le principe de précaution et leur droit à un environnement favorable à leur santé, pour contester, par exemple, la construction d'un nouveau réacteur nucléaire, d'un incinérateur ou d'un aéroport dans leur voisinage immédiat. Il a rappelé que, alors même que ce principe n'avait pas encore valeur constitutionnelle et n'était défini nulle part, il était souvent invoqué, ce qui freinait l'action des autorités publiques notamment pour la construction d'infrastructures.

Il a donc jugé souhaitable que les ministres de l'industrie et de la recherche soient auditionnés par la Commission des affaires économiques afin que les commissaires soient éclairés sur les conséquences de la Charte dans les domaines relevant de leurs compétences.

Puis, il a demandé à la ministre comment elle entendait répondre aux inquiétudes suscitées par la mise en œuvre de la Charte - notamment chez les élus locaux, les industriels, les assureurs ou les chercheurs. A force d'éviter les débats sur ce texte en amont, a-t-il conclu, la discussion de la Charte de l'environnement en séance publique risque d'être houleuse.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard a tout d'abord déclaré avoir apprécié la réponse de la ministre à la question du président Pascal Clément et a jugé également indispensable de mieux prendre en compte les coûts environnementaux des décisions.

Ayant pris acte de la volonté du Gouvernement de mener à bien le travail entrepris sur la Charte de l'environnement, elle a souligné, en sa qualité de membre de la commission Coppens, que sa préférence allait à la version n° 2 du texte proposé par cette instance plutôt qu'au projet de loi tel que déposé par le Gouvernement. Elle a rappelé que le texte de la commission Coppens était le fruit d'un consensus, élaboré après une large discussion, et a indiqué que le groupe socialiste déposerait un certain nombre d'amendements à la Charte.

Elle a également regretté que seul le principe de précaution soit inscrit dans la Charte, estimant préférable que les autres grands principes du droit de l'environnement y apparaissent clairement, d'autant plus que ce principe est moins lisible pour la plupart de nos concitoyens que celui de « pollueur-payeur », aujourd'hui bien compris, ou le principe de prévention. Elle a craint que la mention du seul principe de précaution dans la Charte ne focalise l'attention sur cette disposition, par ailleurs utile, et qu'ainsi le Gouvernement ne soit confronté à des difficultés avec sa majorité.

En réponse aux propos de M. François-Michel Gonnot, elle a indiqué qu'elle jugeait bon, pour sa part, que les citoyens s'emparent des droits qu'on leur donnait.

Elle s'est ensuite interrogée sur la référence faite au droit à la santé dans l'article 1er alors que ce droit figure déjà dans le bloc constitutionnel et a jugé souhaitable d'améliorer la rédaction de cet article, en prenant en compte la dimension « philosophique » que la qualité de vie peut revêtir pour nos concitoyens.

Puis, notant que le garde des Sceaux avait indiqué que l'article 5 de la Charte ne concernait pas la santé, mais uniquement l'environnement, elle a souhaité connaître le point de vue de la ministre sur cette question. Elle a rappelé que l'Académie des sciences et l'Académie de médecine étaient en effet, en l'état actuel des explications, fermement opposées à cet article et a jugé nécessaire de lever toute ambiguïté. Mme Geneviève Perrin-Gaillard a indiqué que pour sa part, elle ne partageait pas du tout l'analyse selon laquelle le principe de précaution obérerait la recherche.

Enfin, elle a regretté que le principe d'évaluation ne figure pas dans la Charte, alors que la France ne dispose aujourd'hui d'aucun outil efficace d'évaluation de l'impact environnemental des politiques publiques.

M. Christian Decocq a d'abord souligné qu'une fois de plus, la France était exemplaire, puisque l'adoption de la Charte de l'environnement constituait une grande première juridique. Il a malgré tout estimé que ce texte se situait dans la continuité des grandes lois relatives à l'environnement déjà mises en œuvre par la droite, rappelant que le principe « pollueur-payeur » institué en 1964 datait du général de Gaulle, la Charte constituant l'aboutissement de ce long travail législatif.

Il a indiqué qu'il entendait bien les risques de judiciarisation, évoqués par certains, en raison de la « vaporisation des droits subjectifs » évoquée par le professeur Guy Carcassonne. Mais, s'est-il interrogé, le risque n'est-il pas encore plus grand si l'on ne fait rien ? Il a souligné l'intérêt de bénéficier d'un socle juridique permettant d'encadrer les principes environnementaux et d'éviter des dérives telles que celles auxquelles on a assisté au cours des dernières années, M. José Bové invoquant le principe de précaution tantôt pour justifier les arrachages de plants d'OGM, tantôt pour critiquer les abattages préventifs.

Il s'est ensuite interrogé sur la possibilité d'intégrer, dans l'évaluation du coût des mesures de protection de l'environnement, le « coût évité » grâce à ces mesures.

M. Michel Piron a posé les quatre questions suivantes sur l'article 5 relatif au principe de précaution :

- que sont « la réalisation incertaine » d'un dommage, ainsi que la gravité et l'irréversibilité potentielles d'un dommage incertain ?

- que sont alors des mesures « proportionnées » à une valeur dont le premier caractère est d'être inconnue ?

- qui jugera du bon degré de précaution dans un domaine dont la connaissance est apophatique, c'est-à-dire repose sur le fait de savoir qu'on ne sait pas ? En conséquence, la source du savoir ne deviendrait-elle pas exclusivement juridique ?

- s'il est tout à fait justifié de prendre des mesures en fonction de l'état des connaissances et non des interrogations scientifiques, n'est-il pas risqué voire dangereux, en revanche, de proportionner ces mesures à un étalon inconnu ? Est-ce bien précautionneux ?

Il s'est demandé, en d'autres termes, s'il ne préférait pas la formule « je pense, donc je suis » à « je doute, donc j'agis ».

Répondant aux différents intervenants, Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, a apporté les précisions suivantes :

- en réponse à l'évocation des inquiétudes suscitées par la Charte dans les milieux industriels, il convient d'indiquer que, si cette Charte marque effectivement, comme cela a été souligné dans la presse, un changement de civilisation, c'est bien parce qu'elle adapte le droit à un changement de civilisation, et non pas parce qu'elle produit ce changement ;

- si l'adjectif « grave » a été utilisé pour caractériser l'enjeu lié à l'élaboration de la Charte, c'est, d'une part, parce qu'il s'agit d'un texte important méritant un examen solennel, et d'autre part, parce qu'il traite de questions mettant en jeu la survie de l'humanité ;

- les questions environnementales mettent fondamentalement en évidence la nécessité de restaurer le pacte social qui fonde notre société démocratique. Divers exemples montrent que la mise en place de la Charte intervient dans un contexte de crise de confiance envers les autorités : ainsi, la reprise de l'exploitation de l'usine de la Société nationale des poudres et explosifs à proximité du site d'AZF à Toulouse se heurte non pas à des incertitudes sur les conditions de sécurité nécessaires, car sur ce plan, toutes les garanties ont été prises, et au surplus l'usine a montré sa capacité à résister au choc d'une explosion, mais à la réaction émotionnelle des associations de riverains qui ne peuvent accepter cette réouverture après le traumatisme vécu ; de même, le principe d'émotion l'emporte sur le principe de précaution sur un autre site où toutes les garanties ont été prises pour permettre le stockage de produits toxiques. La préservation de la dimension industrielle et agricole de notre économie passe donc d'abord par la restauration de cette confiance envers les autorités qui est constitutive du pacte social ; l'élaboration de la Charte n'aggravera pas la situation de ce point de vue, mais permettra au contraire de réconcilier l'impératif environnemental et l'impératif économique, en évitant, grâce à un encadrement juridique, que la place ne soit laissée au fantasme ou à l'appréciation subjective ;

- une évaluation de l'impact de la Charte a été bien entendu effectuée dans une approche interministérielle associant notamment le ministère des finances et celui de la santé, et rien ne s'oppose à ce que les ministres de l'industrie et de la recherche apportent des précisions pour les domaines les concernant devant les commissions permanentes chargées de préparer l'examen du texte ;

- le principe « pollueur-payeur » est d'une portée plus restreinte que le principe de réparation qui a été retenu dans le cadre de la Charte ; on peut citer à cet égard l'exemple des oiseaux victimes du mazout lors d'une marée noire, dont la mort constitue un préjudice pour l'environnement qui ne peut donner lieu à indemnisation sur la base du principe « pollueur-payeur », alors que ce même préjudice peut être pris en compte au titre du principe de réparation ;

- les oppositions à l'installation d'incinérateurs ou d'autres équipements indispensables sont alimentées par une perte de confiance dans les autorités, confiance que le Gouvernement s'efforce justement de rétablir depuis deux ans, en prenant diverses initiatives comme la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages ;

- la prise en compte des « coûts évités » constitue en effet une manière très pertinente d'aborder les questions de protection de l'environnement.

M. Yves Cochet s'est déclaré irrité par l'emploi, dans l'exposé des motifs du projet de loi, de la notion d' « écologie humaniste », qui semble implicitement dénoncer une écologie qui ne le serait pas, la ministre de l'écologie et du développement durable ayant elle-même précisé publiquement qu'elle s'opposait à une écologie « dogmatique et idéologique ». Il a donc souhaité savoir qui étaient, pour la ministre, les tenants d'une telle conception de l'écologie.

Se référant à la rédaction de l'article 5, il a ensuite fait part de ses interrogations quant à la proportionnalité des mesures prises dans le cadre du principe de précaution afin d'éviter la réalisation d'un dommage qui est, par définition, très difficile à évaluer. Citant l'exemple des organismes génétiquement modifiés, il a souhaité savoir ce que pourraient être des mesures proportionnées à un risque indescriptible. Il a également souligné combien il serait difficile d'appliquer cette proportionnalité à des risques susceptibles d'entraîner des dommages non linéaires avec effets de seuil, citant en exemple le risque de disparition du Gulf Stream en raison du réchauffement climatique.

Après avoir souligné les difficultés entourant la mise en œuvre, en matière de lutte contre la pollution, de la théorie des coûts évités évoquée par M. Christian Decocq, faute de base de référence fiable pour établir la valeur d'un milieu non pollué, M. Yves Cochet a ensuite souhaité que des précisions concrètes lui soient apportées sur le partage entre ce qui doit relever du principe de précaution et ce qui doit relever de la prévention. Il a demandé que des illustrations de ce partage lui soient apportées en ce qui concerne le nucléaire, les insecticides comme le Regent TS et le Gaucho et les organismes génétiquement modifiés au sujet desquels il a, en outre, souhaité savoir si le Gouvernement entendait faire usage de la faculté offerte par le protocole de Carthagène de refuser leur entrée sur le territoire national.

M. Francis Delattre a précisé qu'il consacrerait son intervention au principe de précaution défini par l'article 5 dans la mesure où ce principe serait, dans la rédaction actuelle, d'application directe à la différence des autres dispositions de la Charte, qui peuvent présenter certains dangers mais dont la mise en œuvre sera encadrée par l'intervention de la loi.

Il a rappelé que cette applicabilité directe signifiait que ce principe, dont la portée est entourée de très nombreuses incertitudes, entrerait directement dans le droit positif et que toute personne pourrait en réclamer l'application par les tribunaux. Il a jugé que le vrai problème lui paraissait être le fait d'écarter complètement le législateur de la mise en œuvre de ce principe, alors même que des questions fondamentales comme la détermination précise de ce qui relève de la santé publique et de ce qui relève de l'environnement ne sont pas clairement tranchées.

Notant que ce principe était déjà utilisé par certaines juridictions, il s'est interrogé sur la capacité d'un petit tribunal à mettre en œuvre un principe aussi complexe. Citant l'exemple du fipronil, il s'est demandé comment des magistrats pourraient en apprécier le danger alors même que des chercheurs spécialisés, interrogés par le ministère de l'écologie et du développement durable, ne s'estiment pas capables de déterminer si cette molécule est responsable de la disparition des abeilles.

M. Francis Delattre a estimé en conséquence qu'écarter le législateur de la mise en œuvre du principe de précaution, compte tenu de l'étendue des domaines concernés, conduirait à dessaisir le Parlement au profit des tribunaux. Il a jugé particulièrement choquante cette contestation implicite de la légitimité du législateur à intervenir dans ces domaines dont l'importance est pourtant croissante.

M. Robert Pandraud a, tout d'abord, jugé nécessaire, avant le vote du texte par le Parlement, d'en étudier précisément la portée et, pour ce faire, d'entendre les autres ministres concernés, notamment les ministres de l'industrie et de la recherche.

Estimant que le projet de loi n'apportait pas grand-chose au droit existant dans la mesure où il avait essentiellement pour objet de reprendre des principes déjà établis par des normes internationales ou par la jurisprudence, il a jugé utile de faire le bilan des textes et des jurisprudences existants.

Regrettant ensuite que le législateur soit écarté de la mise en œuvre des articles 1er et 5, il a jugé que le projet de loi contribuerait à multiplier de manière extraordinaire les contentieux, non pas principalement auprès du Conseil constitutionnel, dans la mesure où il sera bien difficile à celui-ci d'appliquer ce principe sur des sujets très compliqués dans les délais qui lui sont impartis pour se prononcer, mais auprès des juridictions ordinaires. Il a estimé que la mise en œuvre du principe de précaution par celles-ci aboutirait mécaniquement à un recours accru aux expertises et aux contre-expertises et accélérerait la judiciarisation de la vie administrative, politique et économique du pays.

Prenant l'exemple de la santé, il a noté que, si le champ de l'article 5 n'incluait effectivement pas les actes médicaux, il pouvait, en revanche, comprendre les infrastructures médicales. Il s'est, en conséquence, demandé si les installations de radiologie auraient pu être développées dans un cadre juridique incluant le principe de précaution comme elles l'ont été en son absence. Il a d'ailleurs noté que la même question pouvait être posée pour le chemin de fer dont le développement avait également suscité de nombreuses inquiétudes.

M. Robert Pandraud a ensuite estimé que le dispositif aboutirait à faire trancher des questions fondamentales par des experts plus ou moins conscients et plus ou moins soumis à des conflits d'intérêt, tout en faisant néanmoins peser la responsabilité des décisions, y compris la responsabilité pénale, sur les élus locaux et les autorités politiques nationales.

Il a donc jugé nécessaire de modifier au moins les articles 1er et 5 afin de préserver le rôle du législateur en précisant qu'une nouvelle rédaction envisageable de l'article 1er pourrait être la suivante : « la loi favorise l'accès de chacun à un environnement équilibré et sain ».

Enfin, il a fait part de sa crainte de voir demain, en application de ce texte, le droit de l'environnement déterminé par les tribunaux et non plus par le législateur, suivant en cela une dérive engagée en matière de droit du travail avec l'influence croissante de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation.

Rappelant que le projet de loi soulevait des interrogations, voire des craintes dues aux incertitudes pesant sur la portée de certaines notions, M. Christophe Caresche a appelé à ce que la Charte ne soit pas réduite, à l'issue de sa discussion devant le Parlement, à une déclaration d'intention sans réelle portée normative, comme semblent le vouloir certains tenants de la majorité. Il a, au contraire, souhaité que les notions incertaines soient précisées afin de trouver une application juridique réelle.

Il a en outre invité la ministre à ne pas mépriser « l'écologie dogmatique », estimant que celle-ci pourrait rapidement venir au secours de la nouvelle « écologie  humaniste » proposée par le Gouvernement.

Rappelant que le groupe socialiste considérait que la Charte de l'environnement représentait une avancée, il a jugé que son adossement à la Constitution en faisait un « objet constitutionnel non identifié » et que le Conseil constitutionnel aurait à se prononcer sur sa valeur constitutionnelle ; il s'est donc demandé s'il ne faudrait pas veiller à éviter que le caractère constitutionnel de la Charte ne soit affaibli.

Abordant l'article 5 de la Charte, il a ensuite appelé la ministre à préciser ses conséquences pénales, estimant que si cet article édictait un certain nombre de devoirs, il était par conséquent nécessaire d'instituer certaines sanctions permettant de les rendre effectifs.

Enfin, dans la mesure où la Charte suppose un certain nombre de lois pour en préciser l'application, il a appelé le Gouvernement à informer la représentation nationale sur les mesures législatives que celui-ci entend lui proposer et éventuellement sur leur calendrier, estimant qu'une simple déclaration de principe sans texte d'application traduirait davantage la recherche d'un affichage politique que la volonté de mettre en œuvre cette Charte.

M. Xavier de Roux a désiré savoir si un nouveau régime de responsabilité des autorités publiques pourrait résulter de l'applicabilité directe de l'article 5 de la Charte, qui édicte un certain nombre d'obligations incombant aux autorités publiques en vertu du principe de précaution.

Il a ajouté que le Conseil d'État, prenant de vitesse le législateur, venait de trancher cette question à propos du problème de l'amiante, dans un arrêt du 3 mars 2004, en jugeant qu'il appartenait aux pouvoirs publics « d'arrêter, en l'état des connaissances scientifiques, au besoin à l'aide d'études ou d'enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible éliminer les dangers ».

Il a noté que cet arrêt du Conseil d'Etat, reprenant partiellement la rédaction de l'article 5 de la Charte, prouvait à l'évidence que le contentieux entourant l'application du principe de précaution serait inévitable, et qu'il se traduirait par la mise en cause de la responsabilité de l'autorité publique. Eu égard à cette décision de la haute juridiction administrative, il a donc interrogé la ministre sur l'opportunité d'une applicabilité directe de l'article 5 de la Charte, estimant préférable d'en préciser l'application par l'intervention du législateur, faute de quoi le juge serait amené à mettre en cause de plus en plus souvent, notamment pénalement, la responsabilité des autorités publiques.

M. François Dosé a interrogé la ministre sur la ligne de partage entre prévention et principe de précaution dans le domaine du nucléaire. Si le fonctionnement des centrales semble aujourd'hui relever du domaine de la prévention, a-t-il noté, la gestion des déchets nucléaires semble à l'inverse relever de la précaution à 100 ou 200 000 ans. Il s'est interrogé sur l'opportunité, dans un même secteur économique, d'appliquer des principes de gestion du risque différents.

En réponse aux divers intervenants, Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, a apporté les précisions suivantes :

- s'agissant de la distinction entre écologie dogmatique et écologie humaniste, force est de constater que, si l'écologie a été souvent ressentie comme l'apanage d'un clan politique, les préoccupations environnementales ont été largement prises en compte, au cours des dernières années, comme l'a justement souligné M. Christian Decocq, par la famille de pensée dont la ministre se sent héritière, comme en atteste notamment la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite « loi Barnier », qui a donné une traduction juridique aux principes de prévention, de participation, de réparation, ainsi qu'au principe « pollueur-payeur ». L'écologie a parfois été perçue, à tort, par l'opinion publique comme un objet politicien ou une démarche « contre l'homme », celui-ci étant perçu simplement comme le perturbateur de l'environnement. Au contraire, l'écologie doit conduire à considérer la personne humaine comme un acteur indispensable de la « chaîne du vivant ». Les attitudes et propos extrémistes exprimés sur le dossier de la chasse sont l'illustration d'une conception conflictuelle et presque théologique de l'écologie, dont se démarque la notion d'écologie humaniste ;

- la politique écologique et la préservation de la nature ne s'attachent pas seulement à la sanctuarisation de quelques lieux emblématiques, mais concernent aussi la protection de lieux plus ordinaires. La reconnaissance de la valeur économique des sites naturels constitue un second axe majeur de la stratégie du Gouvernement pour préserver la diversité biologique. On peut penser par exemple aux zones humides, qui, même lorsqu'elles ne sont pas classées, remplissent des fonctions économiques évidentes. C'est pourquoi, en région Aquitaine, les autorités publiques, et notamment l'Etat, ont été invitées à dresser un état des lieux écologiques des sites touristiques et à établir leur valeur économique avant qu'ils ne soient souillés par les « marées noires » provoquées par le naufrage du Prestige ;

- les contours respectifs des principes de précaution et de prévention sont difficiles à déterminer dans les cas de la filière nucléaire, des organismes génétiquement modifiés (OGM), ou encore du fipronil, les deux concepts pouvant a priori être utilisés dans ces domaines. On ne peut ainsi évaluer la nécessité d'appliquer le principe de précaution dans le domaine du nucléaire, sans étudier la problématique du changement climatique provoqué par l'émission de gaz à effet de serre liés aux énergies fossiles. S'agissant des OGM, la démarche est encadrée au niveau international par le protocole de Carthagène, ainsi qu'au niveau national. S'agissant enfin du fipronil, l'existence de fortes incertitudes scientifiques et d'études contradictoires n'a pas empêché le ministère de l'écologie et du développement durable de privilégier depuis l'origine une démarche de précaution, car les concentrations de substances utilisées par les agriculteurs sont très élevées et sans commune mesure, par exemple, avec celles auxquelles l'industrie pharmaceutique a recours ;

- de nombreux parlementaires craignent que l'invocation du principe de précaution ne permette une multiplication des recours devant les tribunaux. Cette inquiétude n'est pas fondée car il est juridiquement très difficile de prouver qu'une autorité publique n'a pas pris des précautions proportionnées pour éviter un dommage dans une situation d'incertitude scientifique. En pratique, le principe de précaution est donc davantage un « argument de tribune » qu'un « argument de tribunal » ;

- la Charte de l'environnement a révélé, et non créé, des inquiétudes qu'il convient de reconnaître et d'atténuer. La difficile conciliation des objectifs environnementaux, économiques et sociaux provoque au sein de la société de vifs débats. La ministre a ainsi évoqué le profond désarroi que lui avaient exprimé les salariés de l'usine Noroxo après que sa fermeture eut été ordonnée, causant la perte de nombreux emplois dans des zones industrielles déjà fortement sinistrées. La décision administrative était pourtant pleinement justifiée et les difficultés qu'elle suscite illustrent la nécessité de la Charte de l'environnement qui vise à replacer les enjeux environnementaux au cœur du débat public pour en appeler à la responsabilité collective, et non à permettre de nouveaux contentieux.

M. Francis Delattre, s'étonnant que la ministre n'ait pas répondu à son interrogation concernant le recours à une loi pour l'application du principe de précaution, a regretté qu'elle ait évoqué, s'agissant du principe de précaution, des « arguments de tribune », et a déclaré que ce serait donc à la tribune que le débat aurait lieu.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, a répété que le principe de précaution relevait avant tout d'une démarche éthique et ne saurait donc renvoyer à la loi. Dès lors qu'il existe des incertitudes scientifiques, a-t-elle jugé, aucun cadre législatif précis ne peut être élaboré ; remettre en cause l'applicabilité directe de l'article 5 de la Charte conduirait donc à exclure le principe de précaution de la prise de décision par les autorités publiques dans de tels cas, ce qui serait absurde.

M. Francis Delattre a pour sa part estimé que les juges ne seraient pas mieux armés que le législateur pour déterminer les conditions d'application du principe de précaution.

La ministre a répondu que les tribunaux ne seraient pas, selon elle, confrontés à une inflation des litiges sur ce fondement, en raison de la difficulté qu'il y aurait à prouver a posteriori qu'aucune mesure de précaution proportionnée n'a été prise par les autorités publiques, en l'état des connaissances scientifiques, et a souligné le faible nombre de recours intentés au nom du principe de précaution.

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