COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 15

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 16 novembre 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de résolution (n° 1871) de M. Henri Emmanuelli et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser le niveau et le mode de formation des marges et des prix dans le secteur de la grande distribution, et les conséquences de l'évolution des prix sur le pouvoir d'achat des ménages

 

(M. Jean GAUBERT, rapporteur)

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- Création d'une mission d'information parlementaire sur les pratiques commerciales de la grande distribution. :

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Jean Gaubert, la proposition de résolution (n° 1871) de M. Henri Emmanuelli et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser le niveau et le mode de formation des marges et des prix dans le secteur de la grande distribution, et les conséquences de l'évolution des prix sur le pouvoir d'achat des ménages.

M. Jean Gaubert, rapporteur, s'est d'abord attaché à vérifier la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, visant à analyser le niveau et le mode de formation des marges et des prix dans le secteur de la grande distribution, et les conséquences de l'évolution des prix sur le pouvoir d'achat des ménages. Il a constaté que cette proposition remplissait les deux conditions fixées par le règlement de l'Assemblée nationale, puisque la commission d'enquête proposée porterait sur des faits déterminés, et que le Garde des sceaux, ministre de la justice avait indiqué dans sa réponse datée du 12 novembre 2004, à la notification par le Président de l'Assemblée nationale de la proposition déposée le 19 octobre, qu'aucune poursuite judiciaire n'était requise concernant les faits ou les agissements ayant motivé le dépôt de cette proposition.

Il a ensuite abordé une préoccupation partagée par tous les parlementaires depuis très longtemps, celle du pouvoir d'achat des consommateurs. Il a rappelé les mesures prises par le gouvernement précédent après 1997 pour relancer la consommation, comme la baisse d'un point de la TVA, et plus fortement la baisse de la TVA sur les travaux dans le bâtiment, sur la collecte et le tri des ordures ménagères, sur le gaz et l'électricité, mesures qui concourraient largement à améliorer le pouvoir d'achat des consommateurs, de même que l'allègement des impôts locaux, et la baisse de l'impôt sur le revenu, en particulier sur les tranches les plus faibles. La prime pour l'emploi, créée par M. Laurent Fabius, ministre de l'économie et des finances, devait être par la suite revalorisée, plus que ne l'a fait le gouvernement actuel. Il s'est référé à une étude de l'Insee de janvier 2004, selon laquelle le pouvoir d'achat moyen des Français avait augmenté de 10 %, hors inflation, entre 1996 et 2001, ce qui était remarquable et particulier à cette période.

Il a ensuite affirmé que les choses s'étaient moins bien passées depuis, soulignant que, à l'exception de l'alignement du SMIC, l'effort n'avait pas été poursuivi.

Puis rappelant que les consommateurs ressentaient un décalage de plus en plus sensible entre l'inflation mesurée par l'Insee et leur propre perception de la hausse des prix, il a présenté quelques explications à cette situation. D'une part, la pondération de l'indice Insee des prix à la consommation (IPC) ne reflète pas toujours la pondération qu'effectuent spontanément les ménages entre les différents postes de consommation. D'autre part, la prise en compte du changement dans la nature des produits, ce que l'on appelle « l'effet qualité », affecte particulièrement les ménages les plus modestes, puisque cet effet concerne avant tout les nouvelles technologies, auxquelles ces consommateurs n'ont que très peu accès.

Il a observé que la contestation de l'indice Insee était croissante depuis quelque temps, notamment depuis la polémique déclenchée par les centres E. Leclerc au début de l'année, et annoncé que la commission d'enquête devrait examiner la représentativité de l'indice Insee, en distinguant la situation des différentes catégories de consommateurs, posant notamment la question de sa pertinence pour les ménages les plus modestes.

Il a d'autant plus insisté sur cette nécessité que l'IPC est utilisé, depuis toujours et de plus en plus, pour l'indexation de nombreuses prestations sociales, et est pris en compte dans de multiples relations contractuelles.

Refusant toute généralisation, il a néanmoins estimé que le passage à l'euro avait été exploité par certains, à travers des arrondis excessifs, ce qui avait joué dans la perception d'une inflation supplémentaire.

Plus généralement, le rapporteur a soulevé la question des marges dans la grande distribution, dont la formation reste encore trop méconnue, malgré les réponses apportées lors de très nombreuses auditions. Il s'est également alarmé de ce que les intervenants auditionnés demandaient très souvent à ne pas être cités. Ainsi le groupe de travail de la commission n'avait pu, faute des moyens d'enquête nécessaires, approfondir assez cette question.

Le rapporteur a relevé que la situation actuelle ne satisfaisait personne, ni les consommateurs, ni les fournisseurs, ni la grande distribution, qui avait profité de l'émergence de ce débat pour demander une réforme de la loi dite Galland.

Il s'est inquiété des conséquences que pourrait avoir une réforme de cette loi, sans mesures de remplacement, sur ce qui restait du petit commerce. Il a redouté également les effets sur le niveau de l'emploi d'une relance de la guerre des prix, évoquant la situation des Pays-Bas, où une baisse récente des prix de 10 % dans la grande distribution se traduisait par la disparition de 17 000 emplois soit 10 000 équivalents temps plein. Il a donc estimé que la commission d'enquête devrait approfondir ces questions.

Il a estimé, s'appuyant sur plusieurs auditions, que les réponses apportées jusque là par le gouvernement pouvaient être comprises comme un échange de bons procédés, les distributeurs obtenant la possibilité d'étendre leurs surfaces s'ils baissaient leurs prix, et qu'il reviendrait à la commission de s'assurer du bien fondé, ou non, de telles affirmations.

Il a considéré que la baisse des prix de 1.57 % consécutive à l'accord signé à Bercy le 17 juin 2004 n'était pas un mauvais résultat, mais qu'elle n'était pas perçue par les consommateurs, et qu'il fallait donc rechercher des mesures plus performantes. En effet, cet accord n'était pas suivi d'une relance de la consommation, l'incertitude persistait sur l'ampleur des marges arrière, et certains producteurs, de fruits et légumes notamment, se plaignaient même d'une augmentation des marges depuis le mois de juin.

Il a dénoncé l'omerta généralisée à laquelle tous se heurtaient dès que ces questions étaient abordées, en raison du pouvoir de rétorsion des acteurs les plus puissants, regrettant l'absence de véritable négociation commerciale en avant, et déplorant la manière dont étaient réellement passés les contrats, de façon à éviter toute contestation en justice.

Il a insisté sur le fait que la demande de création de la commission d'enquête ne remettait pas en cause la compétence des membres du groupe de travail, ni le sérieux de ses analyses, mais que l'absence de moyens juridiques adaptés à la gravité du problème n'avait pas permis d'arriver au bout de la connaissance de la situation.

Il a de plus attiré l'attention des parlementaires sur deux points. D'une part, la commission d'enquête bénéficierait d'un poids symbolique supérieur, perceptible par nos concitoyens. D'autre part, le huis clos sur les auditions, et la garantie de confidentialité, y compris pour l'avenir, permettraient d'obtenir des informations réalistes. Le rapporteur a rappelé qu'il fallait choisir entre des opérations de communication, et la recherche des véritables causes.

Il a rappelé que ce sujet de préoccupation était partagé par tous, comme en témoignaient les 136 questions sur les marges arrière, et les 584 questions posées sur le thème de la grande distribution par les parlementaires depuis le début de la législature. Toutes soulignent les doutes et les incertitudes qui subsistent sur les caractéristiques réelles des relations commerciales.

Il a choisi de citer l'une d'elles, posée par M. Michel Raison, dénonçant la démagogie de certains distributeurs, le fonctionnement des cinq grandes centrales d'achat qui écrasent honteusement leurs fournisseurs, et la fausse morale d'un certain nombre d'acteurs.

Le rapporteur a conclu en estimant que la multiplication des interrogations et la gravité des accusations portées ne laissaient d'autre choix que la recherche de la vérité par tous les moyens et qu'elle nécessitait donc la création d'une commission d'enquête.

M. Jean-Paul Charié, s'exprimant au nom du groupe UMP, a estimé que les cinq grandes centrales d'achat abusaient de leur position dominante dans leurs relations avec leurs fournisseurs, en contraignant certains d'entre eux, notamment les PME et les agriculteurs, à vendre à perte. Il a évoqué plusieurs de ces pratiques commerciales, comme les sommes excessives exigées, les pénalités de livraison, les services gratuits, et l'indifférence absolue des grandes centrales aux conséquences de ces méthodes.

Il a attiré l'attention sur la gravité de la situation des PME étranglées, des agriculteurs obligés de vendre en deçà de leur seuil de rentabilité, et dénoncé les consignes inhumaines reçues par les acheteurs des centrales. Il s'est également élevé contre les marques premiers prix et les marques de distributeurs, dont les effets sont néfastes à terme pour les producteurs.

Il a rappelé que ces pratiques étaient connues, décrites dans le rapport d'étape du groupe de travail, comme dans un rapport de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), publié en 2002, qui faisait état de fréquentes illégalités dans les pratiques de la grande distribution, telles que les menaces de rupture, la signature de certains contrats après la fourniture de la prestation, les imprécisions voire les lacunes présentées par certaines factures, l'exigence de primes de référencement sans engagement sur un volume d'achat, ou encore le caractère fictif de certaines prestations. De même, il a indiqué que les pénalités de retard de livraison atteignaient parfois 60 % du montant de la facture et que certaines clauses imposaient au fournisseur de payer les amendes auxquelles le distributeur pourrait être condamné pénalement. Il a jugé ces pratiques d'autant plus regrettables que les distributeurs qui en usaient interpellaient fréquemment les pouvoirs publics sur un mode moralisateur.

Il a ensuite montré l'importance des marges des distributeurs, rappelant que les prix payés aux agriculteurs avaient baissé de 56 % depuis 1960 alors que les prix à la consommation avaient connu dans le même temps une hausse de 12 %. Il a donc estimé que les agriculteurs avaient été ruinés au profit des cinq grandes centrales d'achat, et il a vu là une des raisons pour lesquelles ni la droite ni la gauche ne parvenaient pas à réduire le chômage.

Il a ensuite relevé que les majorités successives, au-delà des clivages partisans, avaient affronté ce problème des relations commerciales discriminatoires pour les PME, les agriculteurs et les consommateurs, dès la loi Royer de 1973. Mentionnant notamment l'ordonnance de 1986, la loi Doubin de 1989, la loi Galland de 1996, et la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE), il a noté la cohérence des préoccupations des différentes majorités. Il a toutefois regretté l'impuissance du législateur à faire appliquer ces dispositions, dont plusieurs accords se sont pourtant inspirés, tel celui du 22 novembre 2002 signé par la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), les jeunes agriculteurs (JA), et la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), et condamnant le développement des pratiques commerciales déloyales.

Il a estimé en outre que la loi Galland n'était pas responsable de cette situation, la preuve étant que les marges arrière ne s'étaient pas développées dans les secteurs du jardin, du bricolage ou des fournitures industrielles, alors que la législation qui s'y applique est la même que pour la grande distribution alimentaire. D'accord avec Mme Marylise Lebranchu pour dénoncer le racket des cinq centrales d'achat, dont sont victimes les consommateurs, les PME, et toute notre économie, il a conclu que la priorité des pouvoirs publics devait être l'application des lois existantes.

Doutant que la commission d'enquête constitue la forme d'action parlementaire la plus adéquate, il a affirmé que le législateur devait prouver, sans clivages partisans, sa volonté de voir la loi appliquée. Aussi s'est-il prononcé pour la constitution d'un groupe de travail qui réunirait les députés de l'ensemble des groupes politiques.

S'exprimant au nom du groupe UDF, M. François Sauvadet s'est interrogé sur la configuration de ce groupe de travail, mais s'est déclaré d'accord sur la gravité de la situation, et l'impuissance des majorités successives à réguler les pratiques des grandes surfaces, malgré leurs efforts répétés pour concilier deux impératifs contradictoires : d'une part, offrir aux consommateurs des prix aussi modérés que possible et, d'autre part, conserver un réseau territorial dense de commerces de proximité. Il a ainsi rappelé que cette recherche d'équilibre avait inspiré aussi bien les schémas départementaux d'urbanisme commercial que le travail du président Patrick Ollier pour la réglementation de l'implantation des grandes surfaces.

Il a donc souligné que les pouvoirs publics avaient mis en œuvre un certain nombre d'instruments tendant à réguler les pratiques des centrales d'achat, mais que ceux-ci avaient été détournés par la grande distribution au moyen d'importantes marges arrière, qui peuvent atteindre 40 %, voire 60 % des prix.

Il a souligné que ces pratiques commerciales étaient particulièrement difficiles à clarifier et à réguler, du fait du déséquilibre du rapport de forces entre dominants et dominés, aucun d'eux n'ayant intérêt à parler. Il a ainsi jugé que les auditions du groupe de travail de la commission, de même que l'initiative du ministre d'Etat, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, s'étaient heurtées au silence des fournisseurs comme à la résistance des distributeurs. En effet, les fournisseurs ne pouvaient pas protester contre les pratiques des grandes surfaces, ce qui a permis à celles-ci de n'offrir que des concessions limitées au Ministre de l'Économie.

Aussi, s'est-il déclaré a priori favorable à la création d'une commission d'enquête. Il a rappelé qu'une proposition de son groupe en ce sens avait été récemment repoussée au motif que le Gouvernement déposerait un texte sur le sujet : il a jugé que les délais d'examen de ce projet risquaient de n'être pas satisfaisants. Aussi a-t-il déclaré qu'il aurait pu adhérer à la proposition du groupe socialiste, surtout si l'objet de celle-ci était élargi à la répartition des marges. Il a toutefois considéré que l'exposé des motifs de cette proposition était inacceptable, et que les accusations portées contre le Gouvernement niaient la politique de ce dernier en faveur de la baisse des prix et de la relance de la consommation.

Il a ajouté que le vote par le groupe UDF de la création d'une mission d'information sur le sujet était conditionné au caractère pluraliste de cette dernière.

Le président Patrick Ollier a rappelé l'initiative que la Commission avait prise en juin dernier, à travers la création d'un groupe de travail, ainsi que les engagements qui avaient été formulés à cette occasion. Il a considéré que la Commission devait continuer à inscrire son action dans cette perspective.

M. Luc Chatel, président du groupe de travail sur les pratiques commerciales dans la grande distribution, s'est félicité des travaux menés par la Commission, dans une logique d'ouverture et de proposition. Il a constaté que ses membres étaient d'accord sur l'essentiel du constat et des propositions, et il a regretté la dimension politicienne qui marquait les débats aujourd'hui, et qui lui semblait déplacée.

Revenant à l'argumentation du rapporteur, il a affirmé au contraire que tout n'était pas rose sous le gouvernement Jospin, et rappelé la politique du gouvernement actuel en faveur du pouvoir d'achat. Il a ainsi mentionné la baisse de 10 % de l'impôt sur le revenu pour dix-sept millions de foyers, le bénéfice de la prime pour l'emploi pour huit millions de foyers, son augmentation de 4 % en 2004 et en 2005. Il a insisté sur l'importance du rattrapage du SMIC, correspondant à un treizième mois, alors que l'écart entre le SMIC le plus haut et le SMIC le plus bas était de 112 euros par mois en 2002.

Il a souligné les effets de cette politique, ainsi de la croissance du PIB de 0.5 % au niveau national en 2003, dans une conjoncture difficile, grâce à la consommation des ménages, sans laquelle le PIB aurait au contraire diminué de 0.3 %.

Il a rappelé la loi du 9 août 2004 relative au soutien à la consommation et à l'investissement, et ses principales mesures en faveur des dons exceptionnels, des réductions d'impôt au titre du crédit à la consommation, du déblocage anticipé des droits à participation aux résultats de l'entreprise, et de l'épargne salariale.

Quant au manque d'informations sur le niveau des prix, et les différents indices, il a rappelé que l'un des éléments essentiels de l'accord signé le 17 juin 2004 à Bercy par l'ensemble des acteurs était précisément la mise en place d'un indice, reconnu par tous, des prix dans la grande distribution, sous l'autorité du ministère de l'économie et des finances. Il a souligné que le groupe de travail, tout au long de ses travaux, n'avait jamais eu de difficulté à trouver les informations nécessaires.

Loin d'y voir le coup politique dénoncé par le rapporteur, M. Chatel s'est réjoui, comme le ministre de l'Economie et des Finances, que l'on puisse parler de baisse des prix à chaque rentrée scolaire, au lieu de déplorer des hausses de prix comme auparavant.

Il a ensuite estimé que la baisse des prix de 1.57 %, si elle était inférieure à l'objectif attendu de 2 %, n'en consacrait pas moins la pertinence de la méthode retenue.

Il a tenu ensuite à rappeler que le groupe de travail s'était insurgé, dans son rapport d'étape, contre la perspective d'une augmentation des surfaces de la grande distribution, et qu'il avait été entendu sur ce point, puisque l'accord du 17 juin 2004 ne prévoyait aucune disposition en ce sens.

Constatant que le groupe de travail avait obtenu, au long des quarante auditions effectuées, toutes les informations disponibles ; que grâce aussi à de nombreux autres rapports parlementaires, l'état des lieux était bien connu ; et que sur le fond tous étaient d'accord, il a déclaré ne pas voir l'intérêt d'une commission d'enquête. D'autant plus qu'une mission d'information pourrait le cas échéant demander à bénéficier des prérogatives d'une commission d'enquête, conformément au règlement de l'Assemblée nationale.

Il a observé que la création de la mission d'information s'inscrivait dans la continuité de l'action de la Commission, rappelée par le président, et qu'elle permettrait d'affiner les propositions du groupe de travail et d'en mesurer l'impact, dans la perspective du travail législatif proprement dit.

Il s'est donc prononcé, au nom du groupe de travail, contre la création d'une commission d'enquête.

M. Michel Raison a estimé que l'utilisation de ses propos par le rapporteur ne servait qu'à démontrer l'inutilité de la création d'une commission d'enquête, dans la mesure où les éléments du problème étaient déjà largement connus.

Il s'est par ailleurs élevé contre la formulation de l'exposé des motifs de la présente proposition de résolution, qui réservait au groupe socialiste le monopole de la politique en faveur de la croissance et de la défense des consommateurs.

Il a ensuite indiqué que la création d'une mission d'information était l'outil approprié pour continuer et préciser les analyses du groupe de travail constitué au sein de la Commission, en dégageant notamment des pistes de réforme législative permettant de rendre plus efficace le dispositif existant, et en contrant les effets pervers du système actuel de formation des prix.

M. Jean-Marc Lefranc a estimé qu'un consensus politique existait sur la nécessité de trouver des solutions concrètes à la situation de plus en plus difficile des producteurs, tout en assurant aux distributeurs des marges raisonnables et aux consommateurs des prix équilibrés, et en mettant fin à des pratiques commerciales abusives.

Il a également jugé scandaleux l'exposé des motifs de la proposition de résolution, notamment lorsqu'il affirme que le Gouvernement actuel n'a rien fait en faveur du pouvoir d'achat des Français, alors qu'il a augmenté de 1300 euros le pouvoir d'achat des bas salaires. Il a en outre indiqué que le niveau actuel des prix français, supérieur de 5 à 13 % aux prix européens suivant les produits, était largement imputable aux effets des 35 heures, et que la volonté actuelle du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, de trouver un accord dans ce domaine mettait en évidence l'absence de toute décision politique depuis 1997.

En conséquence, il a indiqué qu'il serait favorable à la création d'une mission d'information, d'abord parce qu'elle suffirait à poursuivre les travaux constructifs du groupe de travail, mais aussi pour ne pas avaliser l'exposé des motifs de la présente proposition de résolution, dont le caractère politicien était en décalage avec le consensus actuel sur cette question.

M. Léonce Deprez a rappelé qu'une mission d'information, dont le rapporteur était M. Jean-Yves Le Déaut et le président Jean-Paul Charrier, avait déjà effectué un travail remarquable sous la précédente législature, dans un esprit d'objectivité qui avait recueilli l'approbation d'une large majorité des membres de la Commission.

Il a estimé que les éléments du problème étaient déjà connus, et a donc appelé ses collègues à aborder un débat nécessaire avec sérénité.

Mme Marylise Lebranchu, s'exprimant au nom du groupe socialiste, a indiqué que la suppression des deux premiers paragraphes de l'exposé des motifs de la présente proposition de résolution pouvait être envisagée si elle était de nature à apaiser le débat.

Elle a ensuite plaidé pour la constitution d'une commission d'enquête, rappelant que la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) avait eu peu d'effets dans ce domaine, à l'exception de quelques jugements mettant en cause des distributeurs. Elle a ensuite jugé qu'une commission d'enquête, menant des auditions à huis clos et sous serment, était le seul moyen d'établir et de prouver les pratiques commerciales actuelles. Elle a en outre ajouté que le travail préliminaire à la rédaction de la loi NRE avait mis en évidence l'abondance des informations disponibles mais aussi la difficulté de les interpréter pour en tirer des preuves concrètes contre la grande distribution.

Elle s'est ensuite défendue d'avoir critiqué le rôle historique de la grande distribution dans l'amélioration du pouvoir d'achat du plus grand nombre, mais a dénoncé les dérives actuelles d'une concurrence annihilée par les relations entre quelques distributeurs oligopolistiques, l'Institut de liaisons et d'études des industries de consommation (ILEC) et les petites et moyennes entreprises. S'appuyant sur un exemple concret dans la région de Bordeaux, elle a estimé que l'impossibilité pour un entrepreneur de commercialiser son produit sans passer par le référencement de la grande distribution, voire par un rachat de son entreprise, constituait un frein à la création d'entreprise, à l'innovation et la recherche, et à l'accessibilité des marchés.

Elle a ensuite indiqué que le récent accord trouvé par le ministre des finances n'avait pas reçu son plein assentiment, dans la mesure où elle connaissait les pressions exercées sur les pouvoirs publics et les contreparties d'un tel accord, notamment s'agissant de l'assouplissement de la loi Galland et de l'ouverture des grandes surfaces le dimanche.

Elle a en outre estimé qu'un tel accord ne permettait pas de maîtriser l'évolution du prix d'un type de produit, dans la mesure où la modification des caractéristiques de ce produit suffisait à rendre invérifiable le respect de l'accord initial.

Elle a enfin indiqué que les marques de distributeurs étaient le moyen, en passant d'un producteur à un autre au terme d'une nouvelle négociation, de fixer les prix sans que l'intervention de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes soit d'une quelconque efficacité.

M. Jean-Marc Nudant a estimé que l'incapacité de la gauche, au cours de ses cinq années d'exercice du pouvoir, puis de l'actuelle majorité, depuis deux ans, à régler le problème des relations entre les fournisseurs et les distributeurs appelait à la modestie l'ensemble des responsables politiques.

Soulignant l'ampleur des difficultés rencontrées par certains producteurs agricoles en citant l'exemple des producteurs d'oignons de la Haute-Saône incapables d'écouler leur production, il a douté de la capacité d'une commission d'enquête à apporter des solutions concrètes, rappelant qu'il avait participé, sous la précédente législature, à la commission d'enquête sur la situation des prisons françaises et qu'il n'avait pas constaté de mise en œuvre substantielle de ses conclusions avant le changement de majorité.

Puis, il a estimé que la tonalité de l'exposé des motifs de la proposition de résolution conduisait à s'interroger sur les motivations de ses auteurs, et qu'il conviendrait de le corriger très substantiellement pour aboutir à un texte moins partisan.

Il a enfin appelé à la définition d'une solution permettant de garantir la transparence sur la réalité des pratiques commerciales.

M. Édouard Jacque a jugé que la représentation nationale s'honorerait en adoptant une position consensuelle sur une question aussi cruciale que celle des pratiques commerciales.

Puis, il a souligné la nécessité de briser la loi du silence qui protège des pratiques qui ne peuvent plus durer, et a appelé les commissaires à prendre leurs responsabilités pour imposer leur volonté aux grands groupes de la distribution.

Il a ensuite rappelé le contournement constant des dispositions législatives encadrant la création de surfaces commerciales, notamment à travers le développement de la distribution spécialisée par des entreprises souvent filiales des groupes de la grande distribution, et par la création de magasins de hard-discount d'une surface de 299 mètres carrés. Il a également rappelé la responsabilité de certains élus locaux dans une partie des dysfonctionnements constatés dans le fonctionnement des commissions départementales d'équipement commercial (CDEC) et de la commission nationale d'équipement commercial (CNEC).

Puis, il a souligné que la situation actuelle se caractérisait par l'existence de monopoles résultant notamment de l'impossibilité, pour des commerçants indépendants, d'exploiter des magasins dans les centres commerciaux créés autour des grandes surfaces, et du gel du foncier proche des hypermarchés.

Il a enfin appelé à la prise en compte des spécificités des régions frontalières dans lesquelles la grande distribution pouvait créer des magasins voisins de la frontière sans qu'ils ne soient pris en compte par les commissions départementales d'équipement commercial.

Le président Patrick Ollier a rappelé que le groupe de travail que la Commission avait décidé de constituer avait travaillé parallèlement au Gouvernement et qu'il avait été convenu de le transformer, dans un deuxième temps, en mission d'information s'il apparaissait nécessaire de poursuivre la réflexion. Il a également rappelé que le ministre d'Etat avait annoncé son intention de déposer très prochainement un projet de loi.

Après avoir souligné que la priorité ne lui paraissait pas être l'établissement de faits déjà largement connus mais la recherche sereine de solutions, ce qui ne nécessitait pas de disposer de preuves judiciaires, il a estimé que la commission d'enquête ne constituait pas une formule adaptée.

Puis, il a rappelé que les prérogatives d'une commission d'enquête et celles d'une mission d'information étaient voisines, rien n'empêchant notamment une mission d'information de travailler à huis clos. Il a également souligné que les rares pouvoirs spécifiques à une commission d'enquête, comme celui de faire appel à la force publique pour requérir la venue d'une personne, étaient en pratique fort peu utilisés, lui-même ayant été, à sa connaissance, le seul président de commission d'enquête à en faire fait usage.

En conclusion, il a appelé au rejet de la proposition de résolution.

M. Jean Gaubert s'est ensuite félicité de la qualité des débats menés par la Commission, mais a constaté qu'aucun consensus n'en avait émergé. Il a estimé que l'examen d'une loi serait en l'espèce prématuré compte tenu de l'absence d'éléments irréfutables, alors que la commission d'enquête, notamment du fait de l'obligation pour les personnes auditionnées de déposer sous serment, assortie du secret entourant les auditions pour le présent et pour l'avenir, permettrait précisément de les établir. Il a ensuite accepté de retirer, en accord avec Mme Marylise Lebranchu, les deux premiers paragraphes de l'exposé des motifs de la proposition de résolution, afin de lever les oppositions exprimées jusqu'alors.

La Commission a ensuite rejeté la proposition de résolution n° 1871 tendant à la création d'une commission d'enquête sur le niveau et le mode de formation des marges et des prix dans le secteur de la grande distribution et sur les conséquences de l'évolution des prix sur le pouvoir d'achat des ménages ; le groupe UDF s'est abstenu du fait de son désaccord avec l'exposé des motifs de cette proposition de résolution.

Le président Patrick Ollier a ensuite tiré les conséquences de la décision prise par la Commission dès le mois de juin 2004, par laquelle elle avait convenu de transformer si nécessaire le groupe de travail sur les marges arrière en mission d'information. Constatant cette nécessité, il a déclaré la mission créée, a indiqué qu'il préciserait le nombre de membres auquel chaque groupe pouvait prétendre en son sein, et qu'il demanderait aux groupes d'indiquer les noms des parlementaires qui composeraient la mission.

M. François Sauvadet s'est ému de la procédure suivie en estimant que l'ordre du jour, prévoyant la création d'une mission d'information, ne permettait pas la transformation d'un groupe de travail en mission d'information. Il a indiqué qu'il saisirait à ce sujet, si nécessaire, la conférence des Présidents.

Le président Patrick Ollier a rappelé que la Commission avait évoqué, à l'occasion de sa réunion du 19 octobre 2004, la création d'une mission d'information, si les circonstances précédant l'examen du texte qui doit être déposé par le Gouvernement l'exigeaient. Estimant que la décision était déjà intervenue, il a toutefois accepté que la Commission se prononçât à nouveau.

M. François Sauvadet, regrettant que le groupe majoritaire porte une appréciation défavorable sur l'opportunité de la création d'une commission d'enquête, a réitéré son objection à la procédure suivie afin de créer une mission d'information. Il a indiqué que si la Commission devait néanmoins en décider, l'UDF ferait une déclaration relative à la procédure mise en oeuvre ; il a répété qu'en toute hypothèse, la participation de l'UDF à une telle mission serait subordonnée à une juste représentation de l'ensemble des groupes, en particulier au sein du bureau de la mission.

Le président Patrick Ollier a indiqué qu'il appartenait à la Commission de créer la mission d'information, et aux groupes de décider de leur participation.

M. Jean-Paul Charié a ensuite estimé que l'objet de la mission d'information ne saurait se réduire à un simple travail de rédaction de propositions de modifications législatives, même s'il n'était pas exclu qu'elle en formulât, et a rappelé l'attachement de l'ensemble des parlementaires à faire appliquer la loi. Evoquant la mission d'information qu'il avait présidée en 2000, et dont M. Jean-Yves Le Déaut avait été le rapporteur, il a souhaité que, compte tenu de la gravité du sujet, le même esprit de consensus anime la Commission au moment de prendre sa décision.

M. Gilles Cocquempot, résumant les points de vue exprimés, a ensuite estimé que devait être distinguée la création d'une mission d'information, indépendante dans sa composition et dans le déroulement de ses travaux, du groupe de travail, de la transformation de ce groupe en mission d'information, laquelle présenterait la même composition, en particulier s'agissant des membres du bureau.

Le président Patrick Ollier a estimé qu'il n'y avait pas lieu de faire de distinction, et répété que dès lors que la Commission décidait de créer la mission d'information, il appartenait à chaque groupe de décider de sa participation, et à la mission elle-même de désigner son bureau.

M. Jean Gaubert a regretté que la proposition de supprimer les deux premiers paragraphes de l'exposé des motifs de la présente proposition de résolution n'ait pas permis d'obtenir un accord sur la création de la commission d'enquête. Il a estimé que l'examen de cette proposition n'était pas terminé, le débat devant se poursuivre le 25 novembre en séance publique. Il s'est dès lors interrogé sur l'opportunité pour la Commission des affaires économiques de se prononcer, à ce stade, sur la création d'une mission d'information. Indiquant que son groupe n'était pas hostile au principe d'une telle mission, il a précisé que le groupe socialiste s'abstiendrait néanmoins de prendre part au vote.

Le président Patrick Ollier a alors dit qu'il prendrait toutes ses responsabilités si la création de la commission d'enquête était votée en séance publique, même s'il a estimé qu'une telle hypothèse était peu probable compte tenu de l'avis défavorable que la Commission venait d'émettre.

M. Jean Dionis du Séjour a ensuite demandé au président de permettre à M. Luc-Marie Chatel de s'exprimer sur la question soulevée par M. François Sauvadet au sujet du pluralisme de la mission d'information.

Le président Patrick Ollier a alors indiqué une nouvelle fois que les groupes politiques pouvaient se concerter afin de parvenir à un accord sur leur représentation respective au sein de la mission d'information ainsi que sur la composition du bureau, et qu'en tout état de cause il ne lui appartenait pas de se substituer à eux.

Mme Marylise Lebranchu a estimé souhaitable que la mission d'information comprenne plus de dix membres. Citant l'exemple de la mission d'information sur l'évolution de la distribution présidée par M. Jean-Paul Charié sous la précédente législature, elle a ensuite souligné l'intérêt d'une répartition des responsabilités garantissant le respect du pluralisme. Elle a conclu sur la nécessité d'examiner les difficultés rencontrées pour mettre en œuvre certaines des dispositions de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques.

Le président Patrick Ollier a proposé d'augmenter le nombre des membres de la mission d'information.

La Commission a accepté cette proposition puis a décidé la création d'une mission d'information sur les pratiques commerciales de la grande distribution, les groupes socialiste et UDF ne prenant pas part au vote.


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