COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 21

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 8 décembre 2004
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président,
puis de M. Yves Coussain, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean-Paul BAILLY, président de la Poste, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la régulation des activités postales (n° 1384)


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La Commission a entendu M. Jean-Paul Bailly, président de la Poste, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la régulation des activités postales (n° 1384).

Le président Patrick Ollier a accueilli M. Jean-Paul Bailly, président de La Poste, et ses proches collaborateurs, en émettant le souhait que la commission soit informée, à travers cette audition, du projet industriel proposé par La Poste. Compte tenu des évolutions du marché au plan européen comme au plan national, des réorientations stratégiques s'imposent et il convient d'examiner comment le projet de loi relatif à la régulation des activités postales pourrait les faciliter. L'institution d'un régulateur postal et surtout celle de la filiale bancaire postale suscitent quelques inquiétudes.

M. Jean-Paul Bailly a d'abord présenté ses collaborateurs présents, MM. Marc-André Feffer, Patrick Werner, Jacques Savatier et Foucauld Lestienne. Puis, à titre introductif, il a souligné que La Poste était sans doute le service public le plus connu des Français. Ses 100 000 facteurs constituent un atout essentiel, y compris en vue de l'éventuelle ouverture du marché à la concurrence ; ils pourraient jouer un rôle décisif en cas de diversification des services à domicile. Ses 17 000 points de contact seront maintenus, cet engagement valant département par département, même s'il est impératif qu'elle réfléchisse avec les élus locaux à l'adaptation de son réseau, afin qu'il réponde mieux aux attentes des Français. A l'horizon du contrat de plan, La Poste a pour objectif de demeurer le service public de proximité préféré des Français en améliorant sa qualité et son accessibilité.

Cette grande entreprise finalement assez méconnue se situe, avec 19 milliards d'euros de chiffre d'affaires, au vingtième rang français. Elle exerce trois métiers : le courrier, qui représente encore 59 % de son activité ; les colis et l'express ; les services financiers. Son activité est déjà soumise à la concurrence à hauteur de 62 %, avec la totalité des colis et de l'express ainsi qu'une part croissante du courrier. La Poste ne vit pas de l'impôt mais de ses propres services. Enfin, plus de 90 % de ses ressources proviennent des services achetés par les entreprises et les administrations. Elle a pour objectif d'améliorer ses performances d'ici à 2007-2010 pour faire partie des leaders européens, notamment dans le domaine de l'express, même si elle ne pourra rattraper son homologue allemand.

La Poste, en deux ans, a gagné dix points de qualité de service : au niveau national, 80 % des lettres sont distribuées à J + 1, et le taux atteint 90 % au niveau départemental ; 90 % des colis envoyés sous colissimo arrivent à J + 2. Les performances économiques de l'entreprise sont également en progrès, la diminution du chiffre d'affaires étant plus contenue que prévu et la maîtrise des coûts dépassant les résultats attendus. Les résultats financiers de l'exercice 2004 seront donc corrects : après les 300 millions d'euros de solde positif enregistrés l'année dernière, ils devraient excéder l'équilibre initialement espéré. Et l'entreprise est en mouvement, au travers de cinq grands chantiers : organisation ; courrier ; colis et express ; réseau ; services financiers.

La Poste reste cependant fragile, avec une rentabilité faible, comprise entre 1 et 1,5 % du chiffre d'affaires, des fonds propres extrêmement réduits, susceptibles de gêner une stratégie de développement ambitieuse, et des handicaps lourds - que le contrat de plan s'applique néanmoins à lever - concernant les retraites, les charges sociales sur les bas salaires, l'acheminement de la presse et le coût du réseau.

Le premier chantier a consisté à réorganiser totalement La Poste par activités. La ligne hiérarchique est raccourcie sur trois niveaux au lieu de cinq et responsabilisée. La structure fonctionnelle est réorientée sur l'expertise et allégée. Un accord sur le dialogue social et la prévention des conflits a été signé.

Un budget de 3,4 milliards d'euros est consacré au deuxième chantier, relatif au courrier. Il s'agit d'un marché en stagnation, voire en régression. Les principes industriels de la modernisation de cette activité sont définis, tout comme les modalités de pilotage de la concertation externe - en particulier avec les élus locaux - et interne. Un accord social a été signé en vue d'améliorer la qualité de l'emploi, l'implication du personnel et sa participation au progrès, qu'il s'agisse de la qualité de service ou de l'amélioration des résultats financiers. Le déploiement régional du nouveau dispositif a commencé en Ile-de-France, en Lorraine, dans le Val-de-Loire et dans le Nord. Ce projet de modernisation est technique et social, mais aussi commercial : il est prévu de lancer des produits innovants, comme la lettre recommandée électronique ou le courrier hybride, et de développer les services aux entreprises, du fichier à la boîte aux lettres pour les envois, de la boîte aux lettres à l'archivage pour les réceptions.

Même si le projet de loi transpose correctement la directive et parvient à un assez bon équilibre entre la protection de La Poste et la garantie d'un exercice normal de la concurrence, il est essentiel que la future agence de régulation ne confonde pas services postaux et télécommunications : les enjeux et les caractéristiques du marché postal sont spécifiques et il serait inadapté de lui appliquer les schémas des télécommunications. Par ailleurs, la meilleure manière d'aider La Poste à se moderniser serait de l'autoriser à offrir la totalité des services financiers, de lui permettre d'adapter son réseau et, à l'horizon 2007, de faire disparaître l'ensemble des handicaps concurrentiels.

M. Jean-Paul Bailly a formulé trois souhaits :

- s'agissant des modalités d'homologation des tarifs, plutôt que de moduler les contraintes selon que le service relèvera de la partie monopolistique ou de la partie concurrentielle, il conviendrait d'opérer une distinction correspondant à une réalité économique : le courrier égrené - c'est-à-dire celui des particuliers, clients captifs - serait soumis à un price cap contraignant protégeant les particuliers, tandis que la liberté tarifaire serait plus grande pour les envois en nombre, afin de favoriser la réactivité de La Poste face à ses concurrents ;

- ceux-ci tenteront sans doute d'emporter des marchés sur des niches particulières, et, pour éviter ce phénomène d'écrémage, aucun dispositif compatible avec les règles définies par les autorités bruxelloises ne doit être négligé : il est évident par exemple qu'une concentration exclusive des opérateurs concurrents sur les zones urbaines poserait problème ;

- adoptant une attitude citoyenne en faveur du développement durable, La Poste avait soutenu l'écotaxe sur la publicité non adressée, la PNA, mais son extension par le Conseil constitutionnel au marketing direct s'est révélée catastrophique, ce marché de près de 2 milliards d'euros constituant le seul gisement de croissance du courrier ; il semble heureusement que la Commission des affaires économiques envisage de proposer un amendement pour revenir en arrière et exclure le marketing direct de l'écotaxe.

Le troisième chantier est consacré au colis et à l'express. La Poste a construit le troisième réseau européen, puisqu'elle représente 10 % du marché continental, derrière les réseaux allemand et hollandais, qui en contrôlent respectivement 20 % et 11 %, la part des autres opérateurs n'excédant pas 5 %. Ce réseau renforcé à la suite d'opérations de croissance interne et externe, est désormais bien intégré et doté d'une bonne rentabilité. C'est crucial car de plus en plus d'appels d'offres sont lancés à l'échelle européenne. La Poste vient du reste de remporter un appel d'offres européen de France Télécom pour les transports express. Le marché du colis, contrairement à celui du courrier, est en développement, car il bénéficie de l'explosion des livraisons à domicile liées au e-commerce : en 2004, La Poste a ainsi acheminé 25 % de colis supplémentaires, et les chefs d'entreprise sont très satisfaits du service offert, comme en témoigne un article de La Tribune.

Le réseau de La Poste, objet du quatrième chantier, présente trois caractéristiques : c'est le plus dense d'Europe, mais il est décalé par rapport aux attentes des Français, et coûteux de surcroît. La Poste jouera le jeu de la proximité active en cherchant à mieux rendre service aux Français comme aux collectivités locales. Son réseau, à cet égard, constitue un atout, pour plusieurs raisons : le souci individuel d'ancrage territorial est de plus en plus affirmé ; Internet rapproche les échanges des consommateurs ; certaines zones rurales connaissent un phénomène de regain démographique ; La Poste, grâce à son système informatique connecté à 10 000 points, est en mesure de réaliser des opérations de back office ou de front office au profit des collectivités locales. Mais elle doit s'adapter en permanence aux besoins des Français, dont les habitudes de travail, de loisirs et d'achats changent considérablement. Le réseau de La Poste ayant au contraire peu évolué, il se trouve aujourd'hui décalé tant en ce qui concerne son implantation que les horaires ou les services rendus. Une concertation permanente avec les élus est par conséquent requise : c'est pourquoi La Poste a proposé une charte territoriale pour le dialogue, des dispositifs de bonne pratique et des protocoles locaux. Les discussions ont démarré dans de très nombreux départements, avec le concours, notamment, des commissions départementales de présence postale territoriale.

M. Jean-Paul Bailly a estimé que les bonnes réponses seront trouvées si la volonté d'adaptation s'accompagne d'une concertation authentique, et a identifié trois axes d'adaptation.

Premièrement, l'adoption d'une approche « multicommunale », appuyée sur les structures intercommunales, les cantons ou les pays, est triplement justifiée : deux communes sur trois n'ont jamais accueilli de bureau de poste ; les élus sont habitués à cette approche pour gérer l'ensemble des services de proximité ; elle contribuerait à l'optimisation économique et commerciale de La Poste.

Deuxièmement, le développement du réseau de vente et de distribution de La Poste passe par deux voies : l'augmentation de la clientèle et du chiffre d'affaires de ses produits traditionnels, à commencer par les services financiers, qui, pour répondre à la principale demande de la population, doivent être étendus à la totalité de la gamme de la place, c'est-à-dire au crédit à la consommation et au crédit immobilier ; l'offre de nouveaux services, articulés sur des partenariats, comme celui conclu avec la SNCF, ou correspondant à des créneaux intéressant les collectivités locales - un groupe de travail spécifique pourrait travailler sur ce sujet.

Troisièmement, un réseau de proximité requiert un financement durable ; or, s'il incombe à la Poste, comme à toute entreprise, de maîtriser et de réduire ses coûts ainsi que d'augmenter son chiffre d'affaires, un financement public s'impose, le cas échéant sous la forme d'un fonds de péréquation, à condition que celui-ci soit spécifiquement postal, pérenne, simple, réactif, éventuellement abondé par les collectivités locales, et mobilisable dans le cadre des protocoles territoriaux.

S'agissant du cinquième chantier, relatif aux services financiers, la complétude de la gamme est vraiment essentielle pour lever la frustration de la clientèle, qui, en dépit des efforts commerciaux, s'étiole légèrement. L'impossibilité de proposer des crédits à la consommation et des crédits immobiliers prive La Poste d'outils pour attirer les jeunes et fidéliser la clientèle, en particulier parmi les ménages aisés ; dans ces conditions, il lui est difficile de conserver ses parts de marché et elle ne pourra jamais hisser ses résultats économiques à la hauteur de ceux de ses concurrents. Si La Poste devenait une banque du pauvre, ce serait une catastrophe sociale et économique.

Le président Patrick Ollier a rappelé que la Commission, ce jour même, à seize heures trente, auditionnerait le ministre délégué à l'Industrie, et que les amendements au projet de loi seraient examinés le mardi 14 décembre, voire, si nécessaire, le mercredi 15.

M. Jean Proriol, rapporteur, a constaté que La Poste faisait décidément preuve d'une grande patience car le projet de loi, transmis par le Sénat à l'Assemblée nationale le 29 janvier 2004, sera examiné près d'un an plus tard, alors que la directive européenne qu'il tend à transposer date de 1997. Ce texte contient de bonnes dispositions : la création d'une autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) ; à l'article 8, l'introduction par le Sénat, avec l'aval du Gouvernement, d'un établissement de crédit postal, l'ECP ; la consolidation de la présence territoriale grâce au fonds de péréquation dont débat actuellement la commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques.

S'agissant de la modernisation de la logistique, le temps gagné grâce aux plates-formes de tri très automatisées qui seront créées dans chacune des futures vingt-deux régions ne sera-t-il pas perdu lorsqu'il s'agira de redistribuer le courrier sur l'ensemble du territoire ?

Les élus locaux doivent régulièrement batailler avec La Poste au sujet de la présence postale. Celle-ci est certes assurée dans 14 000 communes sur 36 000 et le président de l'entreprise a renouvelé son engagement quant au maintien des 17 000 points de contact, mais que penser de la rumeur selon laquelle ceux-ci offriraient bientôt des services allant de la vente de pain à celle de billets SNCF en passant par les jeux de hasard ?

Le rapport de la Cour des comptes relatif à La Poste pour la période 1991-2002 montre que d'autres pays européens ont su faire évoluer leur système postal bien plus rapidement que la France : des sociétés anonymes ont en effet été créées en 1989 aux Pays-Bas et en 1994 en Allemagne.

La Poste, dans l'état actuel du droit, n'est pas responsable d'un courrier déposé dans une boîte aux lettres et non signalé par une procédure de recommandé. Cette règle est-elle intangible ? Sa remise en cause ne poserait-elle pas trop de problèmes ?

L'unité de La Poste sera-t-elle maintenue après la création de deux directions distinctes pour couvrir respectivement le réseau postal et les services financiers ?

S'agissant du médiateur du service universel postal, on peut s'interroger sur le maintien de cette institution mise en place pour essayer d'apaiser les critiques de l'Union européenne en attendant la création de l'ARCEP, une fois que celle-ci sera opérationnelle.

Enfin, comment traiter le problème des « reclassés non classifiés » afin que soit réparée l'injustice qui les frappe par rapport aux fonctionnaires ayant choisi d'être intégrés dans les nouvelles structures de gestion de l'entreprise ?

M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur pour avis sur les Postes et télécommunications, s'est inquiété de l'augmentation du taux de cotisation patronale liée à la charge des pensions de retraite, qui, compte tenu de la diminution de la population de fonctionnaires à La Poste, s'élève déjà à 50 % en 2004, et de l'application, à partir du 1er janvier 2007, des normes comptables internationales, qui obligera La Poste à inscrire à son bilan 57 milliards d'euros de provisions pour pensions futures. Comment fera-t-elle ?

La cour d'appel de Rouen vient de condamner Chronopost à verser 50 000 euros de dommages et intérêts à une entreprise qui a été exclue d'un appel d'offres, le délai prévu pour l'acheminement du courrier n'ayant pas été respecté. Le Sénat, à l'article 11 du projet de loi, a modifié le dispositif de responsabilité des opérateurs postaux en introduisant la notion, assez imparfaite, de « preuve suffisante », alors que les dispositions applicables spécifiquement à La Poste, figurant aux articles L. 8 à L. 13 du code des postes et des communications électroniques, demeurent inchangées : ne risque-t-il pas d'y avoir des inconvénients à créer ainsi un régime de responsabilité à deux vitesses ?

Quoique La Poste soit, pour les élus ruraux, le service de proximité par excellence, sa diversification est impérative et non optionnelle, contrairement à ce qu'a laissé entendre M. Jean-Paul Bailly.

Lors d'une précédente audition, en 2003, ce dernier avait admis que les directeurs départementaux de La Poste faisaient un usage excessif de la langue de bois. Leurs progrès, à cet égard, restent malheureusement insuffisants, même s'il est vrai qu'ils sont amenés à s'exprimer courageusement devant des assemblées générales de maires hostiles : le mode de communication que la hiérarchie de La Poste leur recommande d'adopter est difficilement acceptable pour les élus. Dans les réunions des commissions départementales de présence postale, seuls comptent les points concrets : l'évolution du réseau des points de contact, et surtout, lorsque le service postal est confié à un buraliste, les avantages et les inconvénients qui en résultent. Il faut prendre en compte, d'une part, le problème de la confidentialité des opérations effectuées dans les « points Poste », mais aussi, d'autre part, l'extension de l'amplitude horaire de l'accueil, que ces nouvelles modalités de présence postale permettent. M. Alfred Trassy-Paillogues a déploré que le directeur départemental dont relève sa circonscription ait imposé le black-out sur les enquêtes de satisfaction et que M. Jean-Paul Bailly se réserve la possibilité d'informer directement l'AMF ; cette opacité engendre une frustration qui apporte de l'eau au moulin des détracteurs de l'évolution de La Poste.

La structure financière de l'entreprise et les différences avec ce qu'ont su accomplir ses concurrentes allemande et hollandaise méritent aussi plus de transparence, d'autant que l'on entend dire tout et n'importe quoi sur le sujet.

Les élus qui souhaitent distribuer leurs bulletins d'information en circonscription font affaire, faute d'obtenir une offre de la part des instances locales de La Poste, avec la société concurrente Adrexo, qui se montre beaucoup plus réactive.

M. Alfred Trassy-Paillogues a conclu en indiquant avoir émis ces remarques critiques en toute amitié, étant un défenseur ardent de La Poste, de la présence postale et de l'aménagement du territoire.

M. François Brottes, intervenant au nom du groupe socialiste, a signalé qu'il rencontrait lui aussi les difficultés décrites par M. Alfred Trassy-Paillogues pour ses envois en nombre mais a regretté que ce dernier n'ait pas fait preuve de la même véhémence au sujet de la charge que représente pour La Poste la diffusion de la presse - et dont sa concurrente allemande est, quant à elle, exemptée.

Il a confirmé que le projet de loi portait essentiellement sur l'organisation de la concurrence et le statut de l'établissement bancaire et s'est ému que la transposition de la directive intervienne si tardivement, à mi-mandat législatif. Le retard dans la transposition présente des inconvénients de plus en plus graves à mesure que la part des activités sous monopole de La Poste se réduit, et la situation est devenue particulièrement critique depuis que cette part est passée sous la barre des 50 % car La Poste est en fait un colosse aux pieds d'argile.

Les débats ne devraient pas se focaliser sur la question de la présence postale, qui n'est que l'arbre cachant la forêt. La Poste se porterait probablement mieux si elle était allégée de charges telles que la diffusion de la presse, si elle n'avait pas à supporter des contraintes spécifiques sur les retraites, si elle bénéficiait des mêmes exonérations sociales que les autres opérateurs, si la majorité politique actuelle lui ôtait le boulet que constitue la taxe qu'elle a instaurée sur la publicité non adressée, ou encore si l'encadrement des horaires de décollage et d'atterrissage des avions n'empêchait pas le transport du courrier la nuit, ce qui complique le respect de l'objectif J + 1.

Pour que La Poste puisse se battre, il faudrait surtout organiser une autre régulation que celle prévue dans le projet de loi. Si La Poste assume des missions de service public clairement définies en matière de courrier, celles qu'elle endosse en matière de services financiers ne sont ni définies, ni reconnues, ni compensées : elle ne doit pas se contenter d'être la banque des pauvres, mais elle doit aussi l'être pour que personne ne se trouve exclu du système bancaire.

A supposer que le projet de loi soit adopté en l'état, quel serait le périmètre précis des compétences de La Poste en matière de services financiers ? Quel statut aurait le nouvel établissement ? A quels partenaires pourrait-il s'adosser ? Où serait affecté le personnel actuel ?

Quel est l'avis de La Poste à propos de la régulation ? La rédaction du Sénat ouvre la voie à l'écrémage : un opérateur pourrait avoir pour seule obligation de desservir un arrondissement de Paris. Par ailleurs, le rapprochement du régulateur postal de celui du secteur des télécommunications n'est pas judicieux.

S'agissant du secteur réservé, au niveau des négociations européennes qui vont s'engager à ce sujet en 2007, rien n'obligera à descendre sous la barre des 50 grammes. Tout dépendra de la façon dont la France défendra ses intérêts dans ces négociations : les pouvoirs publics français doivent se battre pour préserver un secteur réservé. Toutefois, si celui-ci venait à disparaître, La Poste aurait-elle la capacité de maintenir sa desserte de proximité et sa fréquence de distribution six jours sur sept ?

La Poste optera-t-elle pour l'externalisation ou bien s'emploiera-t-elle à conforter sa présence territoriale en diversifiant les services de proximité, en proposant des services financiers et en bénéficiant d'un fonds de compensation ? A cet égard, comment seront répartis les fameux 150 millions d'euros affectés au fonds postal de péréquation territoriale, sachant qu'ils laisseront en tout état de cause un solde de charge à couvrir par la Poste ?

Enfin, quelles sont les perspectives de croissance du chiffre d'affaires lié au développement du trafic B to B ou B to C sur Internet ?

M. Frédéric Soulier, intervenant au nom du groupe UMP, a remercié le président de La Poste pour ses éclaircissements, qui sont autant d'encouragements à le soutenir dans ce chantier historique. La Poste est une entreprise en progrès et en mouvement, et surtout une entreprise qui fait face à une perspective d'ouverture du marché européen à la pleine concurrence. Quoique le contexte soit d'ores et déjà concurrentiel, ce contexte évolutif risque de mettre l'entreprise en difficulté si la préparation fait défaut, car la part du service réservé, qui atteignait déjà 49 % en 2002, sera ramenée à 37 % d'ici à 2006, ce qui représente tout de même plusieurs milliards d'euros.

La Poste, malgré les efforts de ses dirigeants, souffre encore de nombreux handicaps et a pris du retard sur ses concurrentes hollandaise et allemande, comme la Cour des Comptes l'a souligné. Le poids des missions d'intérêt général exerce des contraintes fortes et l'application des 35 heures sans compensation pèse lourdement sur les plages horaires d'ouverture des bureaux, notamment en milieu rural.

Si la préservation des activités d'intérêt général n'est aucunement remise en cause, la difficulté tient à leur déficit structurel. Le réseau urbain finance le réseau rural et ce dernier sera encore plus fragilisé par l'ouverture du marché. Quoi qu'il en soit, les 17 000 points de contact seront maintenus - même si la presse ne s'en fait guère l'écho - et il faudra revoir leur maillage, en concertation avec les élus, afin de constituer un réseau de proximité active, avec le souci du multiservice et de l'élargissement de l'offre postale.

La Poste doit conduire ce chantier le dos au mur. C'est une fois de plus un gouvernement de droite qui saisit l'occasion de sauver l'avenir du service au public, contrairement au gouvernement précédent, qui ne s'en était pas donné les moyens.

M. Frédéric Soulier a conclu en apportant le soutien du groupe UMP au projet de loi.

M. Daniel Paul, intervenant au nom du groupe des député-e-s Communistes et Républicains, a déclaré qu'il n'insisterait pas sur les raisons ayant conduit la construction européenne à faire de la mise en cause des services publics et des entreprises publiques un de ses fondements, La Poste suivant en cela le chemin tracé par d'autres. Observant que La Poste est certainement, avec l'école - également objet de turbulences -, l'un des services les plus proches et les plus aimés de la population, il a indiqué que son groupe serait très attentif à la présence postale territoriale et à ses perspectives d'évolution. Quel sera le statut des 17 000 points de contact ? Avec qui collaboreront-ils ? Qui paiera ? Comment les collectivités locales auront-elles les moyens de s'opposer à telle ou telle évolution ?

En milieu urbain, en particulier dans les zones franches, les habitants sont surtout préoccupés par les problèmes de confidentialité : quand le point de contact sera un bureau de tabac ou une épicerie, un usager de La Poste qui doit de l'argent à ce commerçant se verra dans l'impossibilité de retirer une petite somme sur son compte postal pour payer autre chose.

S'agissant de l'établissement de crédit postal, quels partenaires seront associés à une éventuelle ouverture du capital ? Dans les autres pays européens, des banques postales de même nature ont-elles été créées, ou bien a-t-on adossé l'offre postale de services financiers à des banques déjà existantes ? La nouvelle banque postale ne risque-t-elle pas d'aligner ses méthodes de gestion sur celles que l'on reproche par ailleurs aux établissements bancaires ? Comment éviter que les pauvres soient exclus ? Quel statut auront les salariés qui passeront sous l'autorité de l'établissement de crédit postal ? S'agissant des retraites, comment fera la Poste pour faire face aux 57 milliards d'euros qui devraient être mis à sa charge en 2007 ?

En réponse aux divers intervenants, M. Jean-Paul Bailly a apporté les éléments de précision suivants :

- la modernisation logistique prévue a été bien conçue et n'aura que des avantages : elle réduira les ruptures de charges, accélérera le transfert des flux, améliorera la qualité du service et permettra de faire rouler des camions plus gros mais en moins grand nombre, ce qui se traduira par 5 % d'économies d'énergie d'ici à 2007 ;

- à propos des nouveaux services, la mise à disposition de pain existe déjà, de nombreux points de contact procédant à des arrangements locaux, mais cela relève de l'anecdote, tandis que la réforme de la présence postale est de nature structurelle. Des développements possibles sont envisagés avec des entreprises comme la SNCF, ou encore avec les collectivités locales. Dans certains pays, la diversification des activités atteint 15 % du chiffre d'affaires, ce qui ne serait pas négligeable pour un réseau coûtant 2,5 milliards d'euros : il s'agit d'assurer le financement du réseau en rendant un service plutôt qu'en faisant appel au subventionnement ;

- en milieu rural, la distinction entre la présence fixe et la présence mobile du facteur s'estompe : un certain nombre de services peuvent donc être rendus par les facteurs, à commencer par le « service senior », déjà expérimenté, qui consiste, sur certaines tournées, à assurer un passage plusieurs fois par semaine pour s'assurer de la bonne santé des personnes âgées, en vue d'alerter les services d'urgence compétents si nécessaire ;

- La Poste ne fuit pas ses responsabilités en cas de problème sur ses prestations, mais elle souhaite les assumer dans des conditions claires : il doit exister une preuve peut-être « suffisante », en tout cas bien « réelle » du dépôt, puis de la remise du courrier ou du colis, et à partir de là, l'entreprise se couvre par des garanties et des assurances, comme c'est déjà largement le cas. Par contre, il ne faudrait en aucun cas que l'adaptation du régime juridique de la responsabilité postale, en favorisant une multiplication des plaintes, crée un handicap concurrentiel de La Poste vis-à-vis de ses concurrentes européennes ou des nouveaux opérateurs du marché français ;

- la séparation entre réseau grand public et services financiers répond à plusieurs soucis. Premièrement, le réseau des bureaux de poste doit lui-même évoluer comme un centre d'activités, se diversifier, devenir « multimétiers » tout en préservant une forte réalité territoriale. Ensuite, cette séparation rend les comptes parfaitement étanches, transparents et identifiables et permet ainsi de couper court à toute critique ou tout soupçon quant à des déséquilibres éventuels dans la répartition du réseau entre les différents métiers de La Poste, par exemple au profit des services financiers. Enfin, la dynamique propre à chacun des deux pôles se trouve du même coup préservée, de même que l'enjeu de la présence territoriale.

- la médiation pose un problème complexe, d'autant qu'il convient de ne pas oublier, en plus des instances de médiation pour les envois postaux, les médiateurs MURCEF pour tout ce qui touche aux services financiers ou aux aspects bancaires. De ce point de vue, l'organisation la plus simple possible est hautement souhaitable, de même qu'une répartition parfaitement claire des rôles et prérogatives de chacun ;

- les charges de retraites représentent évidemment un enjeu majeur. L'objectif étant de passer aux normes IAS d'ici à la fin de l'année prochaine, ce problème doit trouver sa solution dans le courant de l'année 2005. Les discussions sont en cours avec les ministères concernés. Le souhait de La Poste est bien connu, et conforme à l'esprit du contrat de plan : parvenir à un taux de cotisation libératoire qui place l'entreprise dans des conditions analogues à celles qui prévalent pour les autres acteurs. La solution pourrait passer par des formes d'adossement aux régimes généraux. Ce genre de dispositif serait d'autant plus légitime qu'une bonne partie des salariés de La Poste sont des contractuels plus en âge de cotiser que de générer des flux de départ en retraite. L'adossement procède à cet égard d'une certaine logique économique ;

- la qualité du dialogue à l'échelon local entre les élus et La Poste a été jugée par plusieurs intervenants insuffisante, mais en progrès. Les responsables de terrain seront invités à poursuivre sur la voie déjà tracée et à mener la concertation conformément à l'esprit défini par les textes, telle que la charte de dialogue territorial, qui désormais s'imposent à eux. Au demeurant, si certaines informations font effectivement état de problèmes à ce niveau, bon nombre d'autres échos saluent la manière exemplaire dont la concertation est désormais menée par certains responsables locaux de La Poste ;

- les enquêtes effectuées auprès des populations, commerçants et clients, ayant accès à des « points Poste » font état d'un taux de satisfaction de plus de 90 % ;

- l'absence de confidentialité est un argument assez souvent invoqué à l'encontre des « points Poste », mais très rarement avancé par les clients eux-mêmes. À supposer que la question se pose, elle vaut surtout pour les retraits d'argent et les lettres recommandées. Des dispositions ont été prises pour éviter tout problème à ce niveau : non seulement les commerçants sont invités à signer un code de déontologie, mais leur comportement fait l'objet d'un suivi attentif. Au moindre dérapage, le fautif se voit retirer la responsabilité qui lui a été confiée. La plus grande rigueur sera de mise, bien qu'il ne faille pas exagérer la réalité : s'agissant par exemple des retraits d'argent, personne n'a jamais rien trouvé à redire aux Points Verts du Crédit agricole. Au demeurant, un simple effort d'aménagement des lieux, par exemple, réduirait notablement les risques à cet égard ;

- le métier de la publicité adressée et des envois en nombre non adressés rencontre des problèmes difficiles. L'année 2004 a été marquée par la réorganisation complète de tous les services, circuits et systèmes informatiques à la suite de l'intégration par Mediapost de Delta Diffusion. La qualité du service s'en est évidemment ressentie durant les premiers mois. Depuis, les choses sont progressivement rentrées dans l'ordre, quand bien même certaines critiques demeurent, notamment pour ce qui touche aux coûts. Un nouveau produit, Municipost, à destination des communes de moins de 2 500 habitants, est actuellement en cours de test et de développement. La difficulté relative à la diffusion des bulletins municipaux tient à la nature même de la demande : les maires souhaitent en fait qu'ils ne soient pas noyés au milieu de la publicité, alors que toute l'économie de cette activité repose précisément sur le principe de la distribution simultanée de plusieurs objets. Si le point d'équilibre économique d'une distribution est de sept objets, on perdra de l'argent en ne distribuant que cinq objets, et on en gagnera si l'on en distribue neuf. N'en distribuer qu'un seul est évidemment source de sérieuses complications. La demande des communes, pour difficile qu'elle soit à satisfaire, sera néanmoins attentivement examinée ;

- les obligations de service public ne pourront être correctement respectées que si elles ont été parfaitement formalisées, à l'instar de ce qui prévaut actuellement pour le courrier. Rien ne s'oppose à ce qu'elles soient mieux formalisées dans d'autres domaines, pour peu que cette formalisation s'accompagne d'une évaluation et d'une méthode de financement. Or c'est justement là que réside toute la difficulté de l'exercice ;

- tout mécanisme de régulation propre à empêcher les effets « d'écrémage » au détriment du service public vaut la peine d'être examiné, à condition qu'il ne puisse être considéré comme anticoncurrentiel ;

- la question de la pertinence du maintien à terme du secteur réservé en est encore au stade de la réflexion et n'a pas fait l'objet de conclusions définitives. Pour les envois en nombre, où la Poste se retrouve d'ores et déjà à la fois face à de gros clients et face à des concurrents eux-mêmes intéressés par ce marché, elle doit, pour être à armes égales avec les autres forces du marché et préserver sa réactivité, pouvoir user d'une forme de liberté dans la construction de ses services, dans l'adaptation des réponses offertes aux clients et dans l'élaboration de sa grille tarifaire ;

- le choix entre l'externalisation - via le recours à une agence postale communale ou un « point Poste - et le renforcement de la gamme de services pour conforter la présence postale se fait pratiquement de lui-même. Les nouveaux services - prestations pour le compte de la SNCF ou d'EDF, par exemple - ne peuvent se concevoir qu'aux endroits connaissant un certain volume d'activité et une réelle fréquentation, et où il reste un volant de temps de travail ; la SNCF ou l'EDF n'auront intérêt à investir pour répondre à la demande qu'à ces conditions. Dans les établissements où l'activité est devenue très faible, la solution d'un partenariat avec la collectivité ou les commerçants apparaît à l'évidence la plus intéressante ;

- La Poste ne se trouve pas vraiment pénalisée par Internet, d'autant que le courrier traditionnel a considérablement diminué. Elle subit fortement en revanche le contrecoup de toutes les formes de dématérialisation : télédéclarations, carte Vitale, dossiers médicaux, etc., autant de domaines dans lesquels les transactions écrites laissent la place aux transactions électroniques. Les courriels de personne à personne ou d'entreprise à entreprise, le commerce électronique touchent beaucoup moins les flux de La Poste, d'autant que ce dernier a une contrepartie positive : le développement du colis à domicile. La Poste sera en revanche touchée par les efforts de rationalisation des grandes entreprises et des administrations, qui se traduiront par une réduction ou un regroupement des relevés et formulaires ;

- enfin, la gestion interne de La Poste est du ressort de La Poste et de ses syndicats, non du débat public. S'il est légitime de soumettre à la concertation avec les élus et les collectivités territoriales tout ce qui a trait à la réalité du service rendu aux Français, les modalités d'organisation interne relèvent des instances de concertation de l'entreprise.

M. Robert Lecou a observé que le souci de relever le défi des cinq chantiers était partagé et devrait transcender les passions et les polémiques : chacun doit y mettre du sien pour que le service universel de la poste devienne une réalité, d'autant que la nécessité de l'équilibre financier est désormais communément admise.

La présence postale qui est un réel souci, dont certains n'hésitent pas à se servir comme d'un instrument, voire d'une arme, comme le prouve l'invitation, envoyée aux 343 maires de l'Hérault par le président de l'association des maires et par le sénateur, président du conseil général, à manifester avec leur écharpe face aux menaces qui pèsent sur certains bureaux de poste, perceptions ou subdivisions de la DDE. Il importe que la Poste apporte une réponse claire à ces inquiétudes puisque le président de La Poste vient de garantir que les 17 000 points de contact seraient maintenus, et même au niveau de chaque département, faute de quoi l'émotion des élus locaux, amplifiée par les médias, aboutira à donner de La Poste une image contraire à celle qu'elle recherche.

M. Jean Auclair a rappelé que son département, la Creuse, s'est tristement fait remarquer par une fronde d'élus savamment orchestrée par de prétendues « forces de progrès » - en fait des conservateurs ringards. Les vrais élus de progrès de ces départements ruraux ont compris que la poste de nos enfants ne sera pas celle de nos parents. C'est sur ces maires décidés à faire bouger les choses qu'il faut s'appuyer, sur ceux qui, plutôt que de défendre un service public totalement dépassé, s'emploient à rendre un véritable service au public, à leurs administrés.

La création de « points Poste » ne portera aucune atteinte à la confidentialité. Les postiers y sont certes tenus, mais il peut aussi arriver de parler trop en buvant un verre au café... et l'épicière ou la boulangère n'auront pas accès au compte du client.

Le rôle du facteur en milieu rural est irremplaçable. Certains politiciens brandissent la menace de la disparition du facteur pour semer le trouble dans les esprits. Reste que, dans la Creuse, la distribution à J + 1 et même J + 2 est devenue rarissime. Depuis la fermeture du centre de distribution de Guéret au profit de celui de Limoges, le délai pour le courrier interne au département est de l'ordre de J + 5. Il faut impérativement remédier à cette situation.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard a signalé que La Poste était membre du « European Services Forum » (ESF), lobby spécialement créé pour pousser à la privatisation des services publics. La Commission, en liaison avec cette structure, prépare une annexe de référence qui laisse entrevoir une modification de certaines réglementations dans un sens défavorable aux services publics ; de son côté, l'Union postale universelle a récemment accepté de se mettre en conformité avec l'Accord général sur le commerce des services (AGCS), et l'ancien directeur de l'OMC lui a signifié que les services postaux n'entraient pas dans le champ du paragraphe 3 de l'article 1er de l'AGCS et ne pouvaient de ce fait prétendre à une aide des États ni des collectivités. L'oratrice, appuyée par M. Jean Launay, a demandé quel rôle jouait La Poste au sein de l'ESF et si l'on pouvait espérer, à terme, concilier le maintien des services postaux de proximité et les règles de l'AGCS.

En théorie, la réorganisation de La Poste s'effectue dans la concertation. Pourtant, dans les Deux-Sèvres, elle a été menée unilatéralement, au mépris des engagements pris et des conventions passées avec les collectivités. Quelles consignes seront données sur le terrain pour que les promesses en la matière soient réellement tenues ? Quelle forme prendra cette concertation ?

M. Jean Charroppin a insisté sur la nécessité de corriger le décalage entre les intentions et les faits, qui prend sur le terrain d'inquiétantes proportions. Ainsi, la suppression des bureaux de poste en milieu rural, la réduction des horaires d'ouverture des bureaux en milieu urbain ont été le fruit de décisions unilatérales, tout comme les derniers changements des heures de levée, avancées à 16 heures, voire à 14 heures au lieu de 18 heures, avec des conséquences qui peuvent être catastrophiques pour bon nombre d'entreprises. La Chambre de commerce du Jura s'en est elle-même émue.

Sur un plan plus anecdotique, les sociétés philatéliques ont toujours été un partenaire privilégié de La Poste. Or l'année 2004 a vu 214 émissions de timbres, représentant une valeur unitaire totale de 290 euros. Bien souvent, les sociétés philatéliques n'accueillent plus que des retraités, bon nombre de jeunes étant incapables de débourser une telle somme.

M. Léonce Deprez s'est déclaré très attaché, comme tous les élus, au lien social tissé par La Poste et au rôle de trait d'union que jouent les facteurs dans toutes les communes de France, au-delà des considérations économiques et financières. La Poste se doit de continuer à exercer cette fonction politique et intelligente au sens propre du terme.

La question de la politique foncière et patrimoniale de La Poste reste posée. Comment cette présence se traduira-t-elle concrètement dans chaque commune, par exemple lorsqu'un bureau de poste était jusqu'alors installé dans un bâtiment historique de centre ville ? La séparation des missions de distribution et d'accueil du public conduira-t-elle à vendre l'immeuble au meilleur prix pour restaurer les capacités financières de l'entreprise, ou, à l'inverse, à le louer dans des conditions à même de préserver la notion de service au public, indépendamment des considérations marchandes, en contrepartie de l'aide apportée par les municipalités pour construire des centres de distribution en périphérie ? Des directives claires devront être envoyées aux directeurs départementaux, d'autant que la gestion du patrimoine devrait être désormais confiée à une société filiale. Quel en sera le statut ? La Poste aura-t-elle autorité sur elle ?

M. Alain Marty a considéré que l'amélioration du fonctionnement de La Poste est largement liée à la remontée des informations sur le terrain. S'agissant de Colissimo, la réalisation de l'objectif de distribution à J + 2 ne saurait faire oublier le fait que, bien souvent, les destinataires sont absents du logis au moment où passe le facteur et ne peuvent alors venir retirer un colis au bureau de poste, avant vingt-quatre heures, sinon davantage... Ce délai supplémentaire mériterait d'être pris en compte.

Les envois adressés étaient jusqu'à présent traités au niveau des agences locales. Depuis que le service a été centralisé, les contrats doivent être établis et les plis à distribuer apportés au chef-lieu du département, autrement dit à une distance qui peut atteindre 80 kilomètres ! Dans de telles conditions, il n'est pas surprenant que les clients s'adressent à un autre opérateur.

La réorganisation des services se traduit également, dans les communes rurales, par une distribution du courrier de plus en plus tardive, cependant que la levée devient de plus en plus précoce. Pour un artisan en milieu rural, cela peut se traduire par un retard d'une journée, particulièrement handicapant lorsqu'il s'agit, par exemple, de répondre à un appel d'offres.

Le manque de dialogue peut avoir des effets désastreux : ainsi les syndicats ont alerté les élus en affirmant que 251 bureaux de plein exercice étaient appelés à n'être plus que des « points Poste », dont 80 en Moselle et 18 dans la circonscription de l'orateur. La direction départementale, interrogée, assure qu'il n'en est rien, alors que chacun sait pertinemment que bon nombre de bureaux de plein exercice sont appelés à évoluer.

On peut également s'interroger sur les moyens dont disposera la Poste pour offrir un service au niveau mondial, ce que les logisticiens considèrent aujourd'hui comme indispensable, compte tenu de la faiblesse de ses fonds propres.

M. Francis Saint-Léger après avoir souligné que l'évolution de La Poste - fermetures, changements de statut, aménagement des horaires d'ouverture, etc. - n'était pas nouvelle, a observé cependant que chaque nouvelle vague d'adaptation était source d'inquiétude pour les élus locaux et les citoyens, d'autant plus méfiants qu'ils manquent souvent d'informations. Toute nouvelle mesure de réorganisation est immédiatement soupçonnée d'entraîner fermetures de bureaux, dégradation du service ou coûts supplémentaires pour les collectivités. Encore récemment, une commission du service postal n'a pu se tenir en Lozère, tant les élus locaux étaient hostiles à la moindre évolution. Il a donc estimé qu'un langage de vérité serait préférable pour éviter de laisser le doute se répandre dans les esprits, au risque d'affoler les élus comme les populations à la moindre innovation.

En réponse aux divers intervenants, M. Jean-Paul Bailly a apporté les éléments de précision suivants :

- la politique de La Poste n'est pas une politique de repli, mais bien d'adaptation et de développement des services. Assurance est donnée que chaque département conservera au moins autant de points de présence qu'aujourd'hui. Toute évolution se fera dans la concertation, sans chercher à passer en force, dans le cadre d'une approche intercommunale, et sera, dans chaque territoire, concrétisée par un protocole que les élus locaux seront libres de signer ou non - étant entendu que le statu quo signifie régression, absence d'investissements, décalage grandissant avec la réalité et les attentes, etc. Les élus seront invités à signer des protocoles sur l'évolution et le développement des services, en contrepartie d'un abondement des investissements sur le territoire considéré - la modernisation du bureau centre, par exemple - et d'une éligibilité prioritaire au fonds de péréquation. Quoi qu'il en soit, il ne peut être question pour La Poste de tenir un double langage ;

- s'agissant des aspects internationaux, tous les systèmes d'aides seront licites, à condition de correspondre à des obligations de service public et de ne pas créer de distorsions de concurrence ;

- le problème des heures limites de dépôt sera attentivement examiné mais est difficile à régler. Le contexte national n'est, en effet, pas de nature à faciliter les choses : 30 % des créneaux ayant été supprimés pour limiter les vols de nuit, force a été d'abandonner les avions pour les camions, moins rapides et eux-mêmes soumis à de plus en plus de contraintes sur les autoroutes - limitations de vitesse, interdiction de rouler le week-end, etc. Ce sont autant de facteurs qui obligent à avancer l'heure limite de dépôt afin de rester en mesure de respecter les délais de distribution.

Un partenariat plus étroit avec la SNCF est hautement souhaitable, afin notamment de reproduire sur toutes les lignes TGV le dispositif mis en place sur le sillon rhodanien, avec la création de deux gares de fret, en Bourgogne et à Cavaillon. Le train apparaît à bien des égards la meilleure réponse, bien que les contraintes existent également : les TGV postaux du sillon rhodanien ont dû ainsi adapter leurs créneaux horaires, afin de permettre l'entretien des voies. Or le courrier est une chaîne où tout se joue à cinq minutes près ;

- même s'ils restent principalement fréquentés par les personnes âgées, les clubs philatéliques suscitent un regain d'intérêt chez les jeunes ;

- La Poste a créé une société, qu'elle contrôle à 100 %, chargée d'optimiser la gestion de son patrimoine, y compris en interne : un système de loyers a été mis en place afin que chacun sache désormais combien lui coûte l'occupation de l'espace. Aucune politique d'externalisation n'a été envisagée. Sur le terrain, les politiques sont arrêtées au coup par coup, en fonction des intérêts de l'entreprise, mais également des objectifs d'aménagement des élus ;

- l'express est désormais le seul marché postal connaissant un développement au niveau mondial. La création par La Poste d'un réseau express européen de premier plan est en cours de finalisation. Il s'agit maintenant de se mettre en position de répondre à des appels d'offres à l'échelle mondiale. Pour rester à la hauteur de ce besoin d'évolution, La Poste devra conforter ses relations avec plusieurs partenaires d'envergure internationale. Ces relations ne seront pas forcément de nature capitalistique ; elles pourront aussi être d'ordre commercial, ou encore relever d'une combinaison des deux formes de resserrement des liens, à l'instar des grandes alliances qui se sont nouées dans le monde du transport aérien. Plusieurs grands opérateurs pourront constituer des alliances commerciales et/ou capitalistiques afin de se donner une capacité de couverture de la totalité du globe.

M. Robert Lecou a fait observer, qu'en matière de présence postale, il existait deux niveaux de débat : si celui conduit au sein de cette commission était parfaitement serein, il ne pourrait faire oublier l'appel à manifester le 10 décembre, signé par deux parlementaires... Un effort de communication s'imposait en direction des associations de maires et les présidents de conseils généraux.

M. Jean-Paul Bailly a reconnu que les efforts en la matière n'ont pas toujours été couronnés de succès.

M. Patrick Werner, Directeur général délégué chargé des services financiers, a précisé que le périmètre d'activité de l'établissement de crédit postal se définissait ainsi : si le projet de loi y inclut la totalité des activités de banque de détail, le contrat de plan ne mentionne explicitement que le crédit immobilier aux particuliers et reste muet sur le crédit à la consommation et sur l'assurance de dommages. Il reviendra éventuellement plus tard au Gouvernement d'autoriser ou non La Poste à faire du crédit à la consommation ou de l'assurance IARD.

Le nouvel établissement aura le statut de droit commun d'une banque, mais aucun partenaire au capital. Le texte pose le principe d'un contrôle majoritaire de l'ECP par La Poste. Au départ, La Poste détiendra 100 % du capital, mais il n'est pas inutile de prévoir, à terme, une structure en capital qui mette l'ECP à égalité d'armes avec ses concurrents, d'autant qu'il ne pourra prétendre au niveau de rentabilité des autres banques commerciales. Sa véritable force réside dans sa clientèle.

La totalité du personnel de commercialisation et de production de l'ECP restera dans La Poste, sous statut postal et dirigé par des postiers. Les seuls transferts vers l'ECP concerneront les personnels du siège ou ceux chargés du contrôle et de l'expertise, soit entre 500 et 1 000 personnes, à rapporter aux 19 000 agents qui resteront dans les centres régionaux et aux quelque 7 000 ou 8 000 conseillers financiers spécialisés. Le transfert des agents s'effectuera dans le cadre d'une convention d'entreprise tout à la fois compatible avec leur statut antérieur, et attractif afin de ménager la possibilité de recruter des personnels hautement spécialisés issus du milieu bancaire.

M. Marc-André Feffer, Directeur général délégué chargé de la stratégie, a assuré que La Poste n'était pas opposée à une évolution du principe de responsabilité, pour peu que celle-ci s'effectue dans un cadre contractuel et aboutisse à un régime économiquement supportable pour l'opérateur - qu'il s'agisse de La Poste ou d'un concurrent. Une bonne partie de l'activité est constituée par des flux de masse à prix relativement modique, qui excluent tout régime de responsabilité sophistiqué ; quant aux produits suivis et garantis, ils sont d'ores et déjà couverts par un système de responsabilité. L'idée envisagée au Sénat consiste à mettre en place un système intermédiaire permettant un régime de responsabilité assorti de plafonds sitôt qu'existent une preuve de dépôt et une preuve de distribution, sans aller pour autant jusqu'à offrir une formule de responsabilité très sophistiquée, qui serait aussi très onéreuse. Ce serait, en tout cas dans un premier temps, une bonne façon d'expérimenter un système de responsabilité adulte, à mi-chemin entre, d'une part, l'irresponsabilité sur les produits de masse non suivis, et d'autre part des produits bénéficiant d'un régime de responsabilité spécifique, à mesure que se développent les courriers et colis suivis qui constituent pour La Poste un élément très important en termes de gamme et de dynamisme commercial.

M. Foucauld Lestienne, Directeur des ressources humaines, a précisé que l'on appelle « reclassés » les agents qui ont gardé leur statut et leur grade de fonctionnaires de l'État relevant du ministère des PTT, contrairement aux « classifiés », beaucoup plus nombreux, qui ont accepté d'intégrer un corps de fonctionnaires de l'État propre à La Poste. Les reclassés souhaitent en fait une évolution de carrière au-delà des possibilités offertes par leur actuel statut.

Deux statuts coexistent déjà à La Poste, celui de fonctionnaire de l'État et celui de salarié, ce qui n'est déjà pas sans poser des problèmes de cohérence de gestion. La création d'un nouveau corps de fonctionnaires aboutirait à ajouter un troisième statut et serait source de complexités supplémentaires. De surcroît, les reclassés ont depuis 1999 la possibilité d'être promus dans les corps de reclassification, par concours ou sur liste d'aptitude. Favoriser leur promotion au sein de leur corps de reclassement et selon des modalités prévues par leur ancienne situation statutaire aboutirait à les promouvoir à des grades qui n'ont plus d'équivalent à La Poste, celle-ci ayant mis en place des grades fonctionnels consacrant la réalité des métiers. Ainsi le préposé serait promu agent d'exploitation, alors que ce métier a disparu ; de même pour le contrôleur qui deviendrait contrôleur divisionnaire. Satisfaire une revendication de ce genre revient à offrir une lampe à pétrole pour remplacer la bougie, à l'époque ou tout le monde s'éclaire à l'électricité. Au surplus, cela supposerait la création, non d'un corps de reclassés, mais d'autant de corps que l'on en compte dans la population considérée. L'imputation de la rémunération des agents concernés sur le budget du ministère de l'Industrie supposerait par ailleurs que ce dernier crée les emplois correspondants. Enfin, présenter l'intégration des reclassés dans un nouveau corps comme un retour dans le cadre des fonctionnaires de l'État pourrait susciter les plus vives interrogations au sein des fonctionnaires classifiés, et accréditer l'idée erronée que les fonctionnaires de La Poste ne relèvent plus de la fonction publique de l'État - avec les risques sociaux qui en découleraient.

M. Jean-Paul Bailly a précisé qu'une telle démarche serait d'autant plus inopportune qu'il s'agit d'un corps en extinction.

M. Foucauld Lestienne a expliqué que bon nombre de reclassés le sont restés pour des raisons d'opportunité, afin de se prévaloir de quinze années de service actif avant de basculer dans la reclassification.

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