COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 45

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 5 avril 2005
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

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- Présentation du rapport de M. Christian BATAILLE et M. Claude BIRRAUX au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur l'état d'avancement et les perspectives des recherches sur la gestion des déchets radioactifs (n° 2159)



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La Commission a entendu MM. Christian Bataille et Claude Birraux, rapporteurs de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, sur l'état d'avancement et les perspectives des recherches sur la gestion des déchets radioactifs (n° 2159).

Avant d'inviter MM. Christian Bataille et Claude Birraux à présenter les conclusions de leur rapport sur l'état d'avancement et les perspectives des recherches sur la gestion des déchets radioactifs, rédigé au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, le président Patrick Ollier a souligné l'intérêt de la Commission des affaires économiques pour cet important sujet en rappelant qu'une mission récente avait donné à une délégation de la Commission l'occasion de prendre connaissance des solutions de gestion des déchets radioactifs mises en œuvre en Finlande.

M. Claude Birraux a tout d'abord remercié le président Patrick Ollier de l'organisation de cette réunion de la Commission. Puis, il a rappelé que le rapport présenté, le huitième sur la question des déchets radioactifs réalisé par l'Office, résultait d'une saisine du Bureau de l'Assemblée nationale, à la demande des présidents des quatre groupes. Dans le cadre de sa préparation, des missions ont été conduites dans six pays - Allemagne, Belgique, Etats-Unis, Finlande, Suède, Suisse - où plus de 180 personnes ont été rencontrées. En France, des visites ont été effectuées dans les centres de recherche et 70 chercheurs ont été entendus. Des rencontres ont eu lieu avec les élus de la Haute-Marne, de la Meuse et des régions Champagne-Ardenne et Lorraine. Enfin, trois journées d'auditions publiques ont été organisées à Paris, chacune réunissant environ 130 personnes.

Puis, M. Claude Birraux a tout d'abord rappelé les grands types de déchets radioactifs et leurs volumes.

Les déchets à haute activité et à vie longue, sur la gestion desquels porte la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs et qui représentent 96 % de la radioactivité de tous les déchets, atteignent un volume total de 1 639 m3 fin 2002. Les volumes produits chaque année sont d'environ 110 m soit un peu moins d'un cube de cinq mètres de côté.

Les déchets à moyenne activité et à vie longue représentaient, fin 2002, 45 359 m3. Leur production annuelle en volume a diminué d'un facteur 10 depuis 1991.

Les déchets à faible et moyenne activité et à vie courte représentaient, fin 2002, 780 000 m3. Ils sont stockés par l'ANDRA en surface au centre de la Manche et au centre de l'Aube.

M. Christian Bataille a rappelé que la loi du 30 décembre 1991 définissait trois axes de recherche, la séparation-transmutation constituant l'axe 1, le stockage en formation géologique, l'axe 2, et le conditionnement et l'entreposage de longue durée constituant l'axe 3.

Il a précisé que ces recherches concernaient l'aval du retraitement-recyclage qui conduit au recyclage du plutonium en combustible MOX tandis que l'uranium issu du retraitement est entreposé. L'idée générale est de parvenir à la séparation, permettant de récupérer, d'un côté, les produits de fission et, de l'autre, les actinides mineurs, ceux-ci pouvant ensuite être transmutés, de manière à réduire leur période radioactive, en produits de fission, ces produits étant entreposés ou stockés.

Présentant l'axe I relatif à la séparation-transmutation, M. Claude Birraux a précisé que la séparation a pour but de récupérer, d'une part, les actinides mineurs dont la période de radioactivité se mesure en centaines de milliers d'années, et, d'autre part, les produits de fission dont la période de radioactivité est d'environ mille ans.

La séparation des actinides mineurs (neptunium, américium, curium) a été démontrée à l'échelle du laboratoire. Différents produits de fission à vie longue, notamment l'iode et le césium, ont été également séparés. La séparation à l'échelle industrielle est liée au renouvellement des installations de retraitement de La Hague en 2040.

La transmutation consiste en un bombardement neutronique des noyaux lourds d'actinides mineurs, qui fissionnent en des noyaux plus légers et à période de radioactivité plus courte.

La faisabilité de la transmutation a été démontrée par les expériences conduites avec le surgénérateur Phénix ou en réacteur à eau pressurisée. Pour réaliser la transmutation à l'échelle industrielle, il sera nécessaire de disposer de réacteurs rapides de génération IV ou de réacteurs sous-critiques pilotés par accélérateurs, encore à l'état de concepts et dont la mise en service industrielle pourrait avoir lieu vers 2035. Compte tenu des tests à effectuer sur leur capacité à transmuter des grandes quantités d'actinides mineurs, la transmutation à l'échelle industrielle devrait intervenir au plus tôt en 2040.

M. Christian Bataille a présenté le deuxième axe prévu par la loi du 30 décembre 1991, le stockage en formation géologique profonde. Celui-ci a pour objectif de faire jouer à une couche souterraine de roches comme l'argile, le granit, le sel ou le tuf, le rôle d'un coffre-fort vis-à-vis des déchets radioactifs issus du retraitement ou des combustibles irradiés non retraités. Le stockage géologique est considéré par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et par de nombreux pays - Allemagne, Belgique, Etats-unis, Finlande, Suède, Suisse - comme la méthode la plus sûre pour gérer les déchets radioactifs.

Dans le cadre des recherches sur cet axe, l'Agence nationale pour les déchets radioactifs (ANDRA) a collecté de nombreux résultats démontrant la capacité de l'argile à confiner les déchets radioactifs grâce aux travaux réalisés, d'une part, dans les laboratoires souterrains de Mol, en Belgique, et du Mont Terri, en Suisse, et, d'autre part, à Bure, dans la Meuse, par des forages depuis la surface et par des études in situ dans la niche du laboratoire souterrain de Meuse-Haute-Marne.

L'argile du callovo-oxfordien de Bure présente des capacités de confinement favorables, même si certaines études devront encore être poursuivies. Il a été démontré que les ions les plus mobiles n'atteindraient pas le sommet de la couche d'argile avant au plus tôt 300 000 ans.

Un stockage géologique pourrait entrer en service en France vers 2020-2025, compte tenu des délais d'expérimentation et d'étude supplémentaires, des délais administratifs et des délais de construction.

Les études d'ingénierie montrent que l'on peut concevoir un centre de stockage réversible, où la reprise des colis de déchets est possible sur une longue période.

Les centrales les plus récentes produiront leurs derniers déchets vers 2040, un réacteur dont la construction est décidée, soit l'EPR, devrait produire les siens à partir de 2015 et pendant une bonne soixantaine d'années - autrement dit, en comptant la durée de refroidissement, jusqu'au milieu du XXIIe siècle. Un stockage géologique doit donc pouvoir fonctionner sur environ un siècle et demi.

M. Claude Birraux a indiqué que le conditionnement et l'entreposage à long terme en surface, qui constituent l'axe 3 de la loi de 1991, avaient fait l'objet de notables progrès : les volumes de déchets de haute ou moyenne activité ont été divisés par 10 depuis 1992, par la vitrification des effluents, le compactage des déchets technologiques et des structures métalliques des combustibles. La durée de vie des colis de déchets vitrifiés dépasse la centaine de milliers d'années, de même que celle de conteneurs de déchets pour coques et embouts.

Conçus pour compléter les entreposages industriels actuels d'une durée de vie de cinquante ans, les entreposages de longue durée en surface ou en sub-surface visent des durées de fonctionnement de 100 à 300 ans.

Un entreposage de longue durée pourrait être mis en service opérationnel en France vers 2016.

M. Christian Bataille a souligné que, contrairement à une idée parfois répandue, les trois axes ne sont pas concurrents mais complémentaires par nature et dans le temps.

Ne pouvant s'appliquer aux déchets déjà produits, la transmutation, qui n'interviendra au mieux qu'à partir de 2040, ne peut permettre de réduire la période de radioactivité des actinides mineurs à moins de mille ans. Un stockage réversible est donc, en tout état de cause, indispensable.

L'entreposage de longue durée est également indispensable afin, d'une part, de prendre en charge les combustibles usés non retraités, dits « en retraitement différé », et les combustibles MOX usés dont la durée de refroidissement avant retraitement est de l'ordre de 60 à 80 ans, et, d'autre part, de donner une flexibilité de gestion et d'arbitrage entre transmutation et stockage réversible.

Abordant les conclusions politiques du rapport, M. Claude Birraux a rappelé que l'information du public avait fait l'objet de dispositions précises dans la loi du 30 décembre 1991.

Le comité local d'information et de suivi créé auprès du laboratoire de Meuse-Haute-Marne par la loi de 1991 devrait dans l'avenir améliorer son efficacité dans sa mission de diffusion des résultats des recherches. La commission nationale d'évaluation instituée par la loi de 1991 devrait être prolongée au-delà de 2006, afin de poursuivre son rôle d'aiguillon, de conseil et d'analyse. De leur côté, le CEA et l'ANDRA pourraient se voir assigner des objectifs ambitieux d'information au moyen de visites de leurs installations. La saisine de la Commission nationale du débat public sur la politique générale des déchets ne correspond pas à sa mission originelle, davantage centrée sur des projets concrets d'aménagement et de développement. Le dialogue avec les élus pourra être amélioré dans les prochaines années en particulier si le projet de loi sur la transparence nucléaire était enfin inscrit à l'ordre du jour du Parlement.

La prolongation des recherches impulsées en application de la loi de 1991 doit être prévue par le projet de loi qui doit être examiné en 2006 de manière à aller plus loin vers les solutions dont la faisabilité a été confirmée pour chacun des trois axes.

Les recherches sur la séparation doivent être poursuivies pour parvenir à la séparation groupée de tous les actinides mineurs et des produits de fission à vie longue. De lourds investissements seront nécessaires, notamment pour financer une installation pilote ainsi qu'une étude sur l'industrialisation du procédé.

Les recherches sur les réacteurs de génération IV et sur les réacteurs pilotés par accélérateur, qui n'existent pour l'heure qu'à l'état de concept, sont également indispensables et exigeront elles aussi des investissements significatifs, mais également des coopérations internationales - qui existent déjà - afin de mutualiser les coûts.

Au total, la séparation-transmutation imposera de lourds investissements qu'il est nécessaire de prévoir et de financer. Le CEA en particulier est confronté à de très gros besoins de financement avec le réacteur d'irradiation Jules-Horowitz, le programme ITER et l'assainissement ou le démantèlement de sites.

En ce qui concerne le stockage géologique, les recherches doivent être parachevées pour finir de démontrer les propriétés de confinement de l'argile de Bure et détailler les concepts d'ingénierie de stockage.

Quant à l'entreposage de longue durée, il nécessite la finalisation des études en vue de la construction d'un centre opérationnel en surface ou en sub-surface.

M. Christian Bataille a évoqué les retombées des recherches menées dans ce domaine.

Correspondant à un effort d'environ 2,2 milliards euros sur la période 1992-2003, les recherches sur la gestion des déchets radioactifs doivent être valorisées au plan scientifique, technique et industriel.

Les recherches sur la séparation ont entraîné, à Marcoule, un développement de méthodes de haut niveau, en ingénierie moléculaire et en techniques d'extraction, qui devrait aboutir à la création d'un institut de chimie séparative.

De même, les méthodes de haut niveau mises au point au laboratoire de Meuse-Haute-Marne en géophysique, en géochimie ou en ingénierie doivent permettre la création des pôles scientifiques et technologiques proposée par les deux départements - comme il en avait du reste été question dès l'origine.

Les mesures d'accompagnement financier introduites par la loi de 1991 doivent être appliquées sur la période prévue de quinze années. La dépense annuelle représente 10 millions d'euros pour chacun des deux départements.

En Suède ou en Finlande, les activités nucléaires sont regroupées dans des sites intégrant plusieurs maillons de la filière industrielle. En France, un développement économique volontariste doit être impulsé dans les départements concernés par la gestion des déchets radioactifs. La mécanique du développement économique doit être impérativement relancée.

La gestion des déchets radioactifs est, puisqu'elle est liée aux consommations d'énergie en tout point du territoire, une question nationale qui doit pourtant nécessairement trouver des réponses locales. La solidarité nationale doit donc s'appliquer et la gestion des déchets reposer sur le principe pollueur-payeur : aux producteurs de déchets d'assumer toutes leurs responsabilités, financières, économiques et sociales.

S'agissant des méthodes de gestion, plusieurs décisions de principe devraient être prises par le Parlement à l'occasion de la révision prévue en 2006 de la loi de 1991.

En premier lieu, les recherches doivent se poursuivre dans les trois axes, toutes ces méthodes de gestion conservant leur pertinence.

En second lieu, il devrait revenir au Parlement de fixer la transmutation comme objectif ultime de la gestion des déchets, de prendre une décision de principe quant au stockage géologique réversible et de décider la création d'un entreposage de longue durée en surface ou en sub-surface. Il appartiendrait naturellement au Gouvernement de mettre en œuvre ces décisions.

En termes de calendrier, l'objectif pour l'entrée en service opérationnel de l'entreposage de longue durée pourrait être fixé à 2016, d'autant qu'il pourrait parfaitement être réalisé sur un site déjà utilisé par l'industrie nucléaire ; 2020-2025 verrait l'entrée en service du stockage géologique et 2040-2045 le passage à l'échelle industrielle des recherches sur la transmutation.

M. Claude Birraux a souligné qu'il paraissait nécessaire de garantir une cohérence d'ensemble du dispositif en mettant en place un plan national de gestion des déchets radioactifs, d'ailleurs demandé par l'Office parlementaire dès le début 2000 dans un rapport de Mme Michèle Rivasi.

L'autorité de sûreté nucléaire en finalise actuellement la préparation en définissant, à partir de l'inventaire national, des filières de gestion pour tous les déchets radioactifs, de manière à garantir l'exhaustivité et la cohérence de la gestion des déchets en France.

Il convient également d'apporter une solution au problème des combustibles usés non retraités dans l'immédiat et aux combustibles MOX usés qui doivent refroidir pendant une longue période avant de pouvoir être retraités. Il importe enfin de trouver, dans la plus grande transparence, une solution pour la gestion des déchets à moyenne activité et à vie longue, non expressément visés par la loi de 1991.

Abordant l'aspect financier, M. Christian Bataille a proposé la création d'un fonds dédié de gestion des déchets radioactifs pour assurer le financement des recherches et de la gestion des déchets dans la longue durée.

Placé sous la responsabilité de l'Etat et alimenté par des contributions versées par les producteurs de déchets, ce fonds aurait pour tâche de financer non seulement l'ANDRA mais également les recherches conduites sur la séparation et la transmutation par d'autres organismes.

L'ANDRA, outil essentiel, devrait voir ses missions élargies. II reviendrait enfin à la loi de 2006, à la lumière de l'expérience de moderniser et de simplifier les structures de cet établissement public et d'étendre ses responsabilités. Pour garantir la cohérence des décisions et pour minimiser les coûts pour la collectivité, il conviendrait ainsi de lui confier, au-delà de la gestion du stockage des déchets, la responsabilité de leur entreposage de longue durée.

En conclusion, M. Christian Bataille a tenu à souligner que la question posée était celle de la responsabilité des décideurs actuels vis-à-vis des générations futures. Soulignant la tentation de repousser des décisions difficiles au prétexte que les échéances courent sur des délais considérables - dix, vingt, cinquante ans - sans rapport avec le calendrier politique, qui ne dépasse guère cinq ans, il a dénoncé la fausse solution consistant à repousser les choix en se réfugiant derrière la nécessité de poursuivre les recherches. Estimant évidemment nécessaires de poursuivre ces recherches, il a jugé que cela n'empêchait pas la prise de décisions concrètes et a estimé qu'il serait lâche de confier aux générations suivantes la responsabilité de déchets qui existent déjà.

Enfin, il a souhaité que le Gouvernement présente un projet de loi au Parlement suffisamment tôt pour que la discussion en soit possible comme prévu en 2006 dans des conditions satisfaisantes.

M. Claude Birraux a rappelé que la Commission nationale du débat public, saisie par le Gouvernement, avait désigné une commission particulière organisant un débat qui devrait se tenir entre octobre et décembre et aboutir à un rapport dans la première quinzaine de janvier 2006. Autrement dit, il serait possible au Gouvernement de présenter un projet de loi à la fin du premier trimestre 2006 et au Parlement d'en discuter durant le deuxième trimestre.

Soulignant le rôle majeur déjà joué par le Parlement sur la question des déchets radioactifs et plus généralement en matière de transparence dans le domaine nucléaire, M. Claude Birraux a estimé que si les débats publics étaient nécessaires, ils ne pouvaient aboutir à une décision que nul n'était plus légitime à prendre que le Parlement.

Le président Patrick Ollier a vivement rendu hommage aux deux rapporteurs pour la qualité de leur travail et a souligné que leur collaboration démontrait que le sujet, si passionnel soit-il, pouvait être traité, sans a priori partisan, comme un sujet éminemment politique, au sens le plus noble du terme, compte tenu de l'importance des enjeux.

Soulignant que l'attachement de la majorité au développement durable lui commandait de définir rapidement des solutions à la question des déchets nucléaires, il a, en outre, estimé qu'il était particulièrement nécessaire de répondre sur ce point aux interrogations légitimes de l'opinion à l'heure où la décision de lancement de la construction d'un réacteur EPR a été prise. Il a donc jugé qu'une discussion législative rapide était souhaitable, au deuxième trimestre 2006, voire plus tôt.

M. Jean-Marc Lefranc a demandé ce que signifient précisément les termes « transmutation » et « réversibilité ».

M. Claude Birraux a répondu que la transmutation consiste à bombarder un noyau lourd avec des neutrons afin de le scinder en deux noyaux plus légers et à durée de vie plus courte et que la réversibilité définit les sites de stockage au sein desquels la reprise des colis de déchets est possible.

M. Jean-Marc Lefranc a souhaité savoir à quoi pouvait servir cette reprise.

M. Christian Bataille lui a précisé qu'elle préservait la capacité de recourir à des solutions techniques encore inconnues.

Le président Patrick Ollier a rappelé que la Finlande avait fait le choix de la réversibilité pour le stockage des déchets à haute activité.

Après avoir indiqué que le laboratoire de Bure est situé dans sa circonscription, M. François Dosé a rappelé qu'il avait voté, en qualité de conseiller général, pour sa réalisation. Il a, en outre, souligné que, devenu responsable politique par foi en la puissance publique, sa conviction était systématiquement de préférer la décision publique, et notamment la loi, à l'absence de décision claire. Précisant que cette conviction, qui l'avait conduit à saluer le principe d'une loi d'orientation sur l'énergie ou à voter la charte de l'environnement, le rendait partisan d'une loi sur la gestion des déchets radioactifs, il a estimé que cette gestion constituait un problème indépendant de la poursuite ou non de l'exploitation de la filière électronucléaire puisque des déchets existent.

Evoquant les remarques de M. Christian Bataille sur le décalage entre le calendrier technique et scientifique, d'une part, et le calendrier politique, d'autre part, il a noté qu'il fallait également prendre en compte les évolutions lourdes de la société qui change au fil des années.

Puis, il a rappelé qu'en l'état, le stockage apparaît bien comme le maillon faible du cycle nucléaire et que c'est pour cette raison que les adversaires du nucléaire s'acharnent à essayer de démontrer que c'est une solution déraisonnable. Soulignant qu'il n'était pas, pour sa part, partisan de la sortie du nucléaire, il a jugé impossible de continuer d'exploiter cette filière sans traiter la question des déchets.

M. François Dosé a ensuite estimé que les recommandations du rapport lui semblaient globalement bonnes, particulièrement celle relative au renforcement de l'information du public et celle proposant la création d'un fonds dédié au financement de la gestion des déchets.

Il a ensuite évoqué la question de l'accompagnement financier au bénéfice du site d'implantation du laboratoire de stockage en attirant l'attention sur le fait que si le développement économique est essentiel, la distribution directe d'argent peut être contreproductive en risquant de faire apparaître suspectes les motivations de ceux qui y procèdent.

Puis, M. François Dosé a rappelé que la loi de 1991 prévoyait la création de laboratoires de stockage et que nul ne peut sérieusement contester que ce pluriel manifestait clairement l'intention du législateur de disposer d'au moins deux laboratoires. Il a également rappelé que néanmoins, et contrairement aux engagements pris, les gouvernements conduits par M. Lionel Jospin n'avaient pas essayé de créer un second laboratoire, ce que n'ont pas non plus fait les gouvernements qui leur ont succédé. Il a en outre souligné que les décisions politiques locales avaient été prises par des élus qui pensaient que plusieurs laboratoires existeraient.

M. François Dosé a donc appelé au respect de la loi en suggérant de définir un délai, de l'ordre de trois ans, pour essayer résolument de créer un second laboratoire quitte à constater solennellement à son terme que cela n'est possible si tel est le cas. Il a estimé que, le cas échéant, il conviendrait de réaffecter les moyens prévus pour le second laboratoire aux recherches sur la séparation-transmutation.

Enfin, M. François Dosé a estimé essentiel de préserver les prérogatives du Parlement dans toutes les décisions successives relatives aux déchets radioactifs. Il a, en conséquence, estimé qu'il serait très inopportun que le Parlement autorise dès 2006 un futur gouvernement à décider, en 2020, de la création d'un centre de stockage.

Le président Patrick Ollier a rendu hommage à la hauteur de vue de M. François Dosé et au caractère non partisan de son intervention.

Rapporteur pour l'Assemblée nationale de la loi du 30 décembre 1991, M. Christian Bataille a confirmé que celle-ci prévoyait bien la création de plusieurs laboratoires. Il a d'ailleurs précisé que plus tard, parlementaire en mission pour le compte des gouvernements conduits par MM. Pierre Bérégovoy puis Edouard Balladur, il avait sélectionné quatre sites, ramenés à trois à la suite du regroupement de ceux de la Meuse et de Haute-Marne mais qu'ensuite, sous le gouvernement conduit par M. Lionel Jospin, une commission interministérielle composée de Dominique Voynet, Claude Allègre et Christian Pierret avait finalement choisi un seul laboratoire dans l'argile et décidé, malgré toutes les mises en garde, l'envoi d'une mission de trois hauts fonctionnaires chargés de rechercher un site dans le granit et dont le seul résultat a été une émeute mémorable dans l'Ouest de la France et la fronde des élus de toutes tendances. M. Christian Bataille a précisé qu'en conséquence, le présent rapport se bornait à constater une situation de fait caractérisée par un seul laboratoire.

Puis, il a rappelé qu'un accompagnement financier était prévu pendant quinze ans et qu'il était exclu que la future loi remette en cause cet engagement. Il a estimé également nécessaire un effort renouvelé s'agissant du développement économique local de la part tant du Gouvernement, que des entreprises associées à l'industrie nucléaire.

M. Serge Poignant a salué l'excellence du travail des deux rapporteurs, en soulignant qu'elle mettait une fois de plus en lumière l'utilité de l'Office parlementaire d'évaluation des choix technologiques et scientifiques. Il a ensuite insisté sur la nécessité de la discussion rapide d'un projet de loi sur les déchets radioactifs ainsi que sur l'importance de la recherche dans ce domaine et dans celui des nouveaux types de réacteurs.

Puis, il a voulu savoir si, d'une part, d'autres pays s'étaient déjà dotés d'une législation particulière en la matière et, d'autre part, quelles étaient les recommandations de l'AIEA en matière de gestion des déchets radioactifs.

M. Pierre Micaux a demandé ce qu'était exactement le MOX et pour quelles raisons le site de Bure avait été choisi. Il a également souhaité avoir des précisions, d'une part, sur les coopérations internationales et, d'autre part, sur les autres énergies nouvelles envisageables pour le futur.

Enfin, il a indiqué que l'expérience du site de Soulaine, situé dans sa circonscription, lui avait permis de constater le sérieux du travail de l'ANDRA.

M. Philippe Tourtelier, après avoir rappelé que les rapports de l'Office, toujours intéressants et fort bien documentés, n'étaient qu'une aide à la décision et que, même en partant des mêmes prémisses, il était permis de ne pas en suivre les conclusions, a estimé qu'il y avait quelque inconséquence à décider de lancer l'EPR sans avoir réglé le problème des déchets, comme l'a laissé entendre le président.

Il a contesté qu'il soit légitime d'évoquer le développement durable à propos de techniques dont le seul effet serait de ramener la durée de radioactivité de 100 000 ans à 1 000 ans. Il a jugé que le renouvellement du parc nucléaire constituait, dans ces conditions, une fuite en avant totalement contraire à la Charte de l'environnement. M. Philippe Tourtelier a, en revanche, salué l'idée d'un fonds dédié à la gestion des déchets.

Le président Patrick Ollier a précisé ses propos en indiquant qu'il estimait qu'au moment où la majorité prenait courageusement la décision de construire l'EPR, il était important de répondre aux questions que se posaient les Français sur les déchets nucléaires mais que les deux questions étaient indépendantes puisque, que l'EPR soit décidé ou pas, les déchets existent déjà. Il a, en outre, souligné qu'il était impossible de préjuger des progrès futurs de la science.

M. Léonce Deprez, après avoir salué la qualité du travail réalisé, s'est souvenu que le MOX avait suscité de grands espoirs de coopération technologique, notamment avec les Etats-Unis, et a souhaité savoir où en était ce dossier.

M. Jean-Marie Binetruy a tout d'abord déclaré avoir beaucoup apprécié l'intervention de M. François Dosé. Puis, il a rappelé que le choix du nucléaire répondait à de multiples raisons, y compris d'ordre environnemental compte tenu de son intérêt pour lutter contre l'effet de serre et des limites des énergies renouvelables. Il a toutefois souhaité savoir si le coût de la gestion des déchets radioactifs était pris en compte dans le coût de revient de la filière nucléaire.

M. Pierre Ducout, après avoir lui aussi félicité ses deux collègues, a tenu à insister sur plusieurs points.

Il a estimé, en premier lieu, important de prendre en compte, dans un domaine où la réflexion doit porter sur cent ans au moins, la complémentarité dans le temps à la fois des différents modes de traitement des déchets mais également des différentes générations de réacteurs.

Puis, jugeant utile de disposer d'éléments de référence simples, il a souhaité savoir, s'agissant du coût de l'aval du cycle, s'il était possible de retenir comme ordre de grandeur une charge d'environ un euro par mégawattheure.

Enfin, il a souligné la nécessité de rappeler à l'opinion publique quelques éléments simples s'agissant de la radioactivité, notamment en présentant la radioactivité naturelle, afin de bien distinguer les très rares sites présentant une forte dangerosité.

M. Jacques Bobe s'est souvenu que l'avis du conseil général de la Charente avait été sollicité sur la possible implantation d'un laboratoire dans le sud de la Vienne. Il a regretté qu'à cette occasion, les conseillers généraux n'aient pas disposé des éléments de réflexion suffisants pour émettre un avis pertinent sur la question. Puis, il a souhaité savoir si les rapporteurs estimaient qu'un seul laboratoire suffisait.

En réponse aux intervenants, M. Claude Birraux a apporté les éléments suivants :

- un site de stockage sera de toute façon nécessaire au moins pour stocker les produits de fission dans l'hypothèse d'une industrialisation de la transmutation ainsi que pour stocker les déchets non retraités ;

- plusieurs pays ont d'ores et déjà pris une décision de principe en faveur du stockage géologique des déchets : ainsi la Finlande en 2001 et les Etats-Unis dès 1982 ;

- l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques n'a pas vocation à prendre des décisions ni, a fortiori, à se substituer au Gouvernement. Il lui appartient d'intervenir, en amont des décisions, pour éclairer les choix du Parlement et c'est précisément l'objet du présent rapport. Il appartient désormais à chacun de se déterminer par rapport aux conclusions de l'Office ;

- l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a, par ailleurs, déjà recommandé d'engager rapidement la construction d'un réacteur de type EPR ;

- la gestion des déchets radioactifs proposée par le présent rapport n'a rien d'une fuite en avant. C'est, au contraire, l'inaction prônée par les antinucléaires dans l'attente du résultat de recherches dont ils souhaitent qu'elles n'aboutissent pas qui constituerait une fuite en avant. Les solutions proposées par le présent rapport relèvent, au contraire, d'une gestion durable des déchets qui nécessite un grand sens des responsabilités et même un certain courage politique ;

- une coopération a bel et bien existé avec les Etats-Unis, qui portait sur du plutonium militaire américain et russe déclassé à la suite des accords de désarmement. Alors que les Américains étaient partisans d'une « immobilisation », les Russes n'entendaient pas gaspiller cette source d'énergie d'où la décision de le transformer en MOX. L'appel d'offres correspondant a été remporté par AREVA et le combustible ainsi produit sera brûlé dans les centrales de l'électricien Duke ;

- le MOX est un oxyde mixte d'uranium et de 3 % de plutonium.

En complément de réponse aux intervenants, M. Christian Bataille a apporté les éléments suivants :

- l'AIEA n'a pas un pouvoir de contrôle sur les politiques nationales mais joue un rôle de coordination des actions et de l'information au niveau international. Les Etats membres sont libres de suivre ses recommandations. Ainsi, l'AIEA recommande des stockages régionaux, c'est-à-dire internationaux, dont l'acceptabilité sociale et politique apparaît aujourd'hui très faible ;

- les énergies du futur n'ont évidemment pas été étudiées dans le présent rapport mais font partie de son contexte. Le nucléaire restera sûrement pendant longtemps une énergie incontournable. Les réacteurs de quatrième génération ne seront pas opérationnels avant les années 2040-2050. C'est probablement en raison de cette échéance bien lointaine que les adversaires de l'EPR défendaient parfois, à sa place, les générateurs de quatrième génération ;

- la politique énergétique actuelle des Etats-Unis est prisonnière d'une véritable obsession pétrolière qui trouve son origine dans les conséquences des atermoiements en matière de nucléaire du président Jimmy Carter dont la présidence a été, en matière énergétique, désastreuse ;

- le coût de la gestion des déchets est évidemment intégré dans le coût du kilowattheure puisque, parmi les charges d'EDF, figure la constitution de provisions pour l'aval du cycle. Si ces provisions ont été constituées, l'utilisation des fonds pourrait être discutée. Il importe progressivement de sortir ces fonds de la trésorerie d'EDF ;

M. Pierre Ducout a souligné les confusions entourant la notion de radioactivité, rappelant qu'il fallait distinguer la radioactivité résiduelle ou naturelle de la radioactivité vraiment dangereuse créée par l'homme ;

- le Gouvernement avait d'abord retenu trois laboratoires possibles : celui de Meuse-Haute-Marne, celui de Marcoule et enfin celui de la Vienne. Le site de Marcoule techniquement excellent et soutenu par l'ensemble des élus du Gard a néanmoins été abandonné. Le site de la Vienne, alors vigoureusement soutenu par MM. René Monory et Jean-Pierre Raffarin, a de fait été condamné par les propos d'un géologue démontrant que le granit de l'endroit était inapte parce que faillé. On trouve pourtant des laboratoires creusés dans un sous-sol granitique, particulièrement en Scandinavie où il n'y a que du granit, naturellement faillé comme tout granit, et avec une circulation d'eau de surcroît. Les Scandinaves ont démontré depuis que le confinement était également possible dans cette configuration a priori peu favorable. Reste qu'il avait été jugé inopportun de faire fi d'un avis scientifique - dont l'auteur s'est presque excusé par la suite d'avoir été si bien suivi -, ce qui a définitivement condamné le site de la Vienne.

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