DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT
ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE

Mardi 19 décembre 2006

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 1

SESSION 2006 - 2007

Présidence de M. Émile Blessig,
Président

 

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- Examen du rapport d'information sur le déploiement de la couverture numérique sur le territoire (télévision numérique de terre, téléphonie mobile, Internet haut débit)
(M. Émile Blessig, rapporteur)

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La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a examiné le rapport d'information de M. Émile Blessig sur le déploiement de la couverture numérique sur le territoire (télévision numérique de terre, téléphonie mobile, Internet haut débit).

Le président Émile Blessig, rapporteur, a exposé que la couverture numérique du territoire aura été le fil conducteur des travaux de la Délégation de l'Assemblée nationale à l'aménagement et au développement durable du territoire pendant la législature, de 2002 à 2006. La problématique des réseaux, qu'il ne faut pas confondre avec celle des contenus, qui relève d'une autre démarche, est en effet essentielle à l'attractivité des territoires : pour avoir les contenus, il faut les réseaux. C'est ainsi que le premier rapport qu'elle a élaboré (n° 443), en novembre 2002, confié à M. Nicolas Forissier, et intitulé Réduire la fracture numérique, concernait la desserte du territoire par la téléphonie mobile et par Internet haut débit. La Délégation a continué à s'intéresser à la desserte en haut débit, évoquée notamment au sein du rapport n° 2439 intitulé Quatre enjeux pour les territoires. Le rapport présenté dresse un bilan de l'évolution de la couverture numérique dans ces deux domaines et s'interroge sur les conditions de la couverture du pays en télévision numérique de terre, et aux conséquences de cette nouvelle évolution numérique.

En 2002, personne n'aurait imaginé une couverture totale du territoire en Internet haut débit et encore moins en très haut débit. La couverture haut débit sera achevée à 98 % fin 2007. Une nouvelle technologie hertzienne, le WiMax en est la cause. Ces réseaux WiMax fournissent aussi, notamment aux entreprises, du très haut débit.

Le réseau de la couverture du territoire en téléphonie mobile sera définitivement achevé en 2007. L'enjeu va être alors de le pérenniser pour y faire passer les téléphonies 3G, puis 4G, qui s'annoncent et qui feront passer l'image, le son, la télévision.

Après l'arrêt en 2011 de la diffusion télévisuelle analogique et son basculement au tout numérique, non seulement trente-six canaux numériques supplémentaires seront libérés, mais le nouveau plan de répartition international des fréquences va entrer en vigueur : plus de 100 canaux, à utiliser le plus intelligemment possible, pourraient être disponibles pour des services de tous ordres, télévision traditionnelle, mais aussi sur mobile, à la demande, ou encore services Internet passant par voie hertzienne ; c'est la problématique du « dividende numérique ».

De plus, on voit déjà aujourd'hui se dessiner la « convergence numérique ». Les contenus vont tous pouvoir passer par des canaux autrefois séparés et spécialisés. Ainsi, non seulement le câble ou l'ADSL mais aussi le WiMax vont permettre de passer la télévision et les nouveaux services numériques.

Dans ces conditions, comment et à qui attribuer les fréquences ? Comment contrôler les contenus diffusés ? Comment définir et préserver des usages de service public ? Et quelles modalités de réglementation pour ce nouveau spectre ?

La couverture numérique d'un territoire est aussi vitale que sa desserte par la route ou le service postal : aujourd'hui, l'outil de la communication, l'outil des transferts de données est numérique. La couverture numérique prend désormais trois formes : la téléphonie mobile, l'internet à haut débit et à très haut débit, la télévision numérique. Avec l'évolution des technologies et la mise en évidence d'un « dividende numérique » dans les fréquences les plus faciles d'utilisation, du fait du passage de la diffusion analogique à la diffusion numérique de la télévision, ces outils convergent pour utiliser les mêmes normes de diffusion et les mêmes supports.

À l'issue du présent rapport, le rapporteur propose des conclusions dans les trois domaines suivants : la pérennisation du réseau de téléphonie mobile sur tout le territoire, l'impératif d'une couverture totale du territoire en Internet haut débit, un déploiement maîtrisé de la TNT. S'y ajoutent deux questions subsidiaires mais très importantes sur le fond, qui sont apparues au fil de l'examen de ces trois domaines, la gestion du dividende numérique et l'adaptation de l'organisation de l'État à la « convergence numérique ».

La pérennisation du réseau de téléphonie mobile passe d'abord par l'achèvement de l'équipement des « zones blanches ». Pour les rares sites de la phase I de cet achèvement pour lesquels il n'a pas encore été entrepris de travaux, des solutions au cas par cas doivent être trouvées. Si l'étude des dossiers faisait apparaître que des efforts disproportionnés sont demandés à certaines collectivités du fait de leurs caractéristiques, alors, dans ces cas, la solidarité doit trouver à s'appliquer : c'est la question de la péréquation.

La continuité de la desserte en téléphonie mobile sur le réseau routier structurant, c'est-à-dire non seulement les autoroutes mais l'essentiel de l'ancien réseau routier national, désormais confié aux départements, doit être assurée. L'obligation imposée aux opérateurs de publier des cartes de leurs zones blanches est un bon outil pour la résorption des incohérences. Le cas échéant, le calendrier de résolution des incohérences pourrait faire l'objet d'un avenant supplémentaire à la convention du 15 juillet 2003.

Le réseau de couverture du territoire en téléphonie mobile doit pouvoir porter les progrès futurs de celle-ci. Les fréquences utilisées pour les prochaines générations de téléphonie mobile ne doivent pas rendre ce réseau obsolète ou insuffisant. Les populations des territoires les moins denses ou les plus difficiles doivent avoir accès aux services qu'elles vont offrir. Pour cela il faut dans l'avenir que continuent à être attribuées à la téléphonie mobile des fréquences permettant de faire passer les communications dans leur nouvelle définition (3G, 4G) sans qu'il soit besoin de construire des relais supplémentaires : autrement dit, une partie du dividende numérique issu des progrès technologiques et des négociations internationales sur les fréquences hertziennes doit être attribuée à la téléphonie mobile point à point.

La couverture de toutes les habitations en Internet haut débit est une question d'équité. Dans la mesure où seuls 1 % des foyers ne pourront pas être couverts dans des conditions commerciales, la solidarité nationale doit apporter son concours à leur couverture. Le Fonds national de soutien au déploiement du haut débit doit venir appuyer la résorption de la couverture des zones blanches du haut débit lorsque celle-ci n'est pas possible par le seul jeu du marché. De ce point de vue, l'ambition du Gouvernement d'assurer partout l'arrivée du haut débit à la mairie et à un autre point de chaque commune est un objectif minimal : les technologies hertziennes actuelles, notamment le WiMax dont les licences ont été attribuées cet été, permettent de faire mieux. Chaque fois que l'État interviendra, il devra rechercher, en concertation avec les opérateurs et les collectivités territoriales, la couverture de l'ensemble de la population du village-centre, et travailler sur les conditions d'équipement des hameaux et maisons isolées.

Par ailleurs, partout où cela est possible, il faut travailler à ouvrir l'accès à la concurrence, source de diminution des prix et d'émulation en matière de services offerts. Pour cela, la pluralité des solutions techniques est aussi une opportunité.

Enfin, la décentralisation a abouti, dans le domaine des réseaux numériques, à une certaine confusion : si les régions et les départements ont souvent pris la responsabilité des grands réseaux de desserte, la desserte fine, celle qui mène le réseau jusqu'à chaque maison, est souvent laissée aux communes et à leurs groupements, qui n'ont pas les ressources d'ingénierie humaine nécessaires. Il faut donc que dans chaque région il y ait un chef de file pour coordonner les interventions des autres collectivités et être leur relais auprès des opérateurs.

L'obligation de transport gratuit du signal pour l'utilisateur, autrement dit le principe « must carry, must deliver » doit s'appliquer à l'ensemble des modes de diffusion de toutes les chaînes en clair de la TNT. L'action en ce sens du CSA pour les réseaux câblés, ainsi que les modifications introduites par le Sénat pour le satellite et la télévision mobile personnelle au sein du projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur doivent être approuvées.

Des solutions doivent aussi être recherchées pour la diffusion de la télévision numérique par l'ADSL ; aujourd'hui, certaines chaînes hertziennes analogiques refusent à des opérateurs ADSL le droit de les diffuser, même à des conditions économiques fonctionnelles.

Dans les zones de partage de fréquences, où l'accès à des télévisions analogiques étrangères est la contrepartie d'un accès très restreint aux chaînes analogiques nationales, et où vivent 15 % de la population, une concertation avec les pouvoirs publics étrangers devra être organisée pour faire coïncider les date du basculement définitif de la diffusion hertzienne vers le numérique des deux côtés de la frontière.

Les responsabilités des divers organismes d'État (ANFR, CSA) dans l'organisation du basculement sont aujourd'hui difficiles à appréhender ; pour les territoires concernés, cela rend le suivi très compliqué ; ces responsabilités doivent donc être précisées. L'État devra aussi désigner un interlocuteur unique pour les autorités étrangères et l'information des élus sur les modalités du basculement.

Le projet de loi sur la modernisation de la diffusion audiovisuelle et la télévision du futur institue un fonds d'aide à l'équipement en télévision numérique. C'est une question d'équité et de solidarité. En l'état actuel du projet de loi, les catégories y ayant accès sont les foyers dispensés du paiement de la redevance audiovisuelle. Des barèmes réalistes devront être fixés et le coût d'ensemble évalué et provisionné. Ce fonds interviendra d'abord pour aider à l'acquisition d'adaptateurs. Il devra pouvoir aider également le petit nombre de foyers qui ne pourront recevoir les chaînes numériques gratuites que par le satellite. Enfin, il devra aussi pouvoir intervenir pour aider le passage au numérique des foyers dont le câble constitue le seul mode d'accès à la télévision gratuite.

En 2001, l'extinction de la télévision analogique et le basculement au tout-numérique va créer un important dividende numérique, c'est-à-dire une forte augmentation des fréquences utilisables. Ce dividende numérique doit être équitablement partagé entre services et opérateurs. Il n'a vocation à être réservé ni à de seuls services de télévision, ni aux éditeurs actuels de programmes. Il va être à la source de services nouveaux qui vont se construire grâce à son existence, et dont on ne connaît pas l'étendue aujourd'hui. Par ailleurs, parmi les services utilisateurs de fréquences, il y a des services publics, comme la sécurité civile, l'aviation civile, les armées ; Le dividende numérique doit aussi pouvoir leur permettre d'avoir des outils plus efficaces. Le spectre des fréquences est un bien public, et son abondance nouvelle est le fruit de l'action de l'État et des progrès de la technologie. Autant il est légitime que des usages différents soient soumis à des régimes différents, autant sa répartition entre les usagers doit pouvoir souplement évoluer, en fonction de l'intérêt public et sous le contrôle du Parlement.

Enfin, la « convergence numérique », qui permet de faire passer les mêmes contenus, et notamment la télévision, par des réseaux autrefois spécialisés (radio, télévision, téléphone mobile, câble, ADSL) pose la question de l'instance de la régulation des ressources, et tout particulièrement des ressources hertziennes : l'organisation actuelle de régulation de la ressource hertzienne, partagée entre les trois organismes que sont l'Agence nationale des fréquences, qui représente l'autorité régalienne, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, qui loue des fréquences aux opérateurs de télécommunications, et le CSA, qui les alloue moyennant un contrôle du contenu, devra sans doute être modifiée. Des dispositions juridiques nouvelles devront être élaborées pour, au-delà du jeu des forces du marché, garantir l'accès équitable des territoires aux services numériques, la continuité de la production de contenus audiovisuels de qualité et l'efficacité des outils de service public.

Le président Émile Blessig a conclu son propos en remarquant qu'aucun des membres de la Délégation n'aurait pu imaginer en 2002 une transformation où l'on est passé, dans le temps d'une législature, d'une situation où des services spécifiques étaient rendus par des opérateurs spécifiques et diffusés par des canaux séparés à une convergence où l'ensemble des opérateurs se trouvent devant les mêmes possibilités de proposer l'intégralité des mêmes produits et services à la population.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Jean Launay a jugé le rapport présenté intéressant et utile, même s'il arrive en fin de législature ; on peut espérer qu'il pèsera, par la qualité de ses diagnostics, sur les discussions futures dans les domaines qu'il aborde.

Il a ensuite exposé que la problématique de l'extension de la couverture numérique sur le territoire, téléphonie mobile, Internet haut débit et TNT, rejoignait une problématique ancienne : il y a 15 ans encore, il y avait des aides publiques, accordées le plus souvent par les départements, au profit de collectivités locales dont les habitants ne recevaient pas la deuxième ou la troisième chaîne et qui finançaient pour eux l'installation de réémetteurs. En revanche, la différence aujourd'hui est que la population de ces collectivités n'accepte plus les délais qui ont existé par le passé entre l'équipement des zones facilement couvertes par les opérateurs et celui des territoires peu denses ou montagneux, les plus coûteux à couvrir.

Il a ensuite demandé au rapporteur comment il envisageait que s'exerce la péréquation des coûts d'équipement de ces territoires, qui a souvent manqué jusqu'ici : en matière de WiMax, il semble que ce sont déjà les régions qui s'engagent.

Il a aussi souhaité savoir quelle serait l'autorité qui pourra attribuer à la téléphonie mobile le droit d'accéder aux fréquences du dividende numérique, dans quelles conditions on pourrait conserver le spectre des fréquences dans le domaine public et comment on pourrait faire vivre un contrôle parlementaire de leur affectation.

Après avoir enfin jugé que le rapport présenté était un rapport utile qui permettrait de fonder de bonnes décisions dans l'avenir, il a exposé que les députés de la Délégation membres du groupe socialiste voteraient en faveur des conclusions proposées par le rapporteur.

M. André Chassaigne s'est réjoui de la continuité du suivi de l'évolution de la couverture numérique du territoire que manifestait la présentation de ce rapport final, après que la Délégation ait commencé ses travaux sous la présente législature par un rapport sur la couverture en téléphonie mobile et Internet haut débit ; un tel suivi de premières propositions n'est pas toujours organisé. Saluant ensuite l'objectivité du constat formulé, il a jugé que le rapport était un document qui permettait d'y voir plus clair et qui serait utile pour l'action. Il a exposé que, au nom de son groupe, il voterait en faveur des conclusions proposées.

Il a ensuite souligné l'insuffisante maîtrise publique en matière de réseaux numériques : ce domaine est marqué par un grand nombre d'intervenants, publics et privés, qui mènent parfois des politiques différentes et se renvoient souvent les responsabilités. Ainsi, pour la réalisation du plan de résorption des zones blanches de la téléphonie mobile, les départements n'ont pas tous été très allants ; quand ils ont accepté de financer les pylônes nécessaires, ce sont les communes qui n'ont pas toujours été capables de fournir le terrain de l'implantation ou les opérateurs qui ont été bien lents à y installer leurs équipements ; des solutions rationnelles d'utilisation des pylônes existants ont buté sur des questions de prix, obligeant à reprendre toute la procédure sur d'autres sites ; les compétences n'ont pas toujours été là non plus : les problèmes d'ingénierie locale sont récurrents. Au bout du compte, du fait de cet émiettement, on aboutit à rendre les usagers mécontents et à des retards de 18 mois à 2 ans sur des annonces fermement proclamées.

M. Patrice Martin-Lalande s'est réjoui que la Délégation ait pris le parti de faire le point sur une question que son évolution permanente rend redoutable : lors de réunions avec les futurs usagers sur l'arrivée du haut débit par exemple, on est parfois obligé d'avouer une absence totale de maîtrise des données. Dans ces conditions d'évolution, il est difficile de prendre des options. Il est donc intéressant qu'on essaie, au niveau national, de poser des points de repère.

En matière de téléphonie mobile, il faut cesser de considérer que le taux de couverture du territoire de chaque opérateur fait partie de ses arguments face à la concurrence. Les opérateurs vont avoir d'autres priorités que la couverture des zones les moins peuplées. Il faut donc qu'une couverture intégrale du territoire se base sur l'actuel maillage du réseau 2G et l'accroissement des zones de mutualisation et d'itinérance.

En revanche, le rythme actuel de réalisation du plan de résorption paraît bon ; cependant, les polémiques sur l'influence des émissions hertziennes sur la santé, qui gênent parfois la bonne implantation des pylônes, doivent être traitées par un vrai discours scientifique : moins de pylônes, ce sont des émissions plus fortes et des conséquences aujourd'hui mal connues sur la personne qui a le téléphone à l'oreille.

M. Patrice Martin-Lalande a conclu que le travail présenté allait permettre d'ouvrir un débat dont on a aujourd'hui besoin.

Le président Émile Blessig, rapporteur, a répondu que la répartition des fréquences entre les utilisateurs et la détermination des modalités de cette répartition étaient du ressort de l'État. Au nom de l'État, la répartition est effectuée par l'Agence nationale des fréquences (ANFR). Cette répartition est aujourd'hui l'objet d'intenses pressions entre opérateurs de télévision et de téléphonie. Il est impératif que la téléphonie mobile puisse avoir sa part du dividende numérique si c'est la condition pour qu'on n'ait pas à construire de nouveaux pylônes sur les territoires.

Le suivi effectué par la Délégation tout au long de la législature, avec l'audition régulière des acteurs de référence du secteur, ARCEP, CSA, ANFR, montre bien à quel point, sur ces nouvelles technologies, il faut réfléchir à l'équipement des zones sur lesquelles le marché ne peut suffire, et notamment les zones rurales ; en 2003, on s'est rendu compte qu'on ne pourrait couvrir le territoire en téléphonie mobile qu'en recourant à la mutualisation des équipements entre opérateurs, à l'itinérance, le signal des uns passant alors sur les équipements des autres, et aux financements européens. Aujourd'hui, le débat change de nature : à partir du moment où le territoire est maillé, on peut réfléchir aux contenus et aux services qui peuvent être distribués.

La Délégation a alors adopté, à l'unanimité, les conclusions présentées par le rapporteur.


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