DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 21

Mercredi 21 mai 2003
(Séance de 17 heures 30)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean-François Rocchi, directeur de cabinet de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire

- Audition de M. Hubert Brin, président de l'Union nationale des associations familiales (UNAF)

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La Délégation aux droits des femmes a entendu M. Jean-François Rocchi, directeur de cabinet de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, sur la réforme des retraites.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dans le cadre de nos travaux sur la place des femmes dans les régimes de retraite, nous avons l'honneur d'accueillir M. Jean-François Rocchi, directeur de cabinet de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire.

Lorsque l'on aborde le problème de la retraite des femmes, il faudrait d'abord penser au problème de la carrière des femmes. En effet, si des difficultés et des inégalités se présentent entre les hommes et les femmes au moment de l'obtention des droits à la retraite, c'est parce que les carrières des femmes ont été quelque peu chaotiques et ont connu certains handicaps. Nous sommes tout à fait conscients qu'on ne pourra corriger complètement les différences de retraite entre les hommes et les femmes tant qu'en amont on n'aura pas fait progresser l'égalité entre les hommes et les femmes dans les carrières.

L'avant-projet de loi portant réforme des retraites définit, dans un souci d'équité et de justice sociale, deux objectifs essentiels concernant les femmes :

- améliorer la situation des conjoints survivants ;

- maintenir et moderniser les avantages familiaux.

Je voudrais d'abord vous interroger sur les modifications au régime des avantages familiaux dans la fonction publique apportées par ce texte pour mettre en conformité le code des pensions civiles et militaires avec le droit communautaire en matière d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes.

Je souhaiterais avoir des précisions sur la portée des réformes envisagées.

En ce qui concerne la bonification de durée d'assurance d'une année par enfant, pour les femmes fonctionnaires qui auront des enfants après le 1er janvier 2004, celle-ci ne sera plus systématiquement accordée (sous réserve de deux mois de congé-maternité). Les femmes, comme les hommes, bénéficieront de la bonification au prorata des congés effectivement pris pour élever un enfant, jusqu'à trois années par enfant. A quels objectifs répond cette nouvelle disposition ?

Si elle respecte l'égalité de traitement entre hommes et femmes, ne pénalise-t-elle pas les femmes de plus en plus nombreuses qui auront choisi de ne pas interrompre leur carrière professionnelle et d'assumer à la fois les charges de la vie professionnelle et de la vie familiale ? Ne pourrait-on envisager le maintien de cet avantage comme dans le régime général ?

Aux interruptions de carrière envisagées par l'article 29 de l'avant-projet de loi, ne pourrait-on prendre en compte d'autres situations comme le congé pour suivre un conjoint ou le congé pour accompagnement d'une personne en fin de vie ?

Comme nous l'ont rappelé certaines personnes auditionnées, de plus en plus, les femmes de 50 ans ne sont plus confrontées à l'éducation d'un enfant, mais à l'accompagnement d'une personne en fin de vie. Comment peut-on éventuellement le prendre en compte ?

Quelles seront les possibilités de rachat des années de durée d'assurance ouvertes à compter de 2004, sans limite d'âge, avec étalement des paiements, et dans la limite de trois ans ? Cette limite ne pourrait-elle pas être élargie aux périodes effectives des congés pris pour élever des enfants ?

Quelles seraient les nouvelles catégories de fonctionnaires pouvant entrer dans la définition de la catégorie active (emplois présentant des risques particuliers ou des fatigues exceptionnelles), permettant d'accéder à la retraite à 55 ans ? Certains emplois, occupés majoritairement par des femmes, dans le secteur hospitalier et l'Education nationale, ne pourraient-ils être inclus ?

Il est vrai que la définition de la pénibilité dans l'Education nationale est difficile à trouver, car certains professeurs, même dans des lycées difficiles, arrivent à maîtriser la situation. Dès lors, comment prendre en compte la pénibilité ?

Le droit à la retraite anticipée pour les femmes ayant élevé trois enfants après quinze années de service est maintenu. Cependant, le ministre de la Fonction publique a déclaré qu'une discussion spécifique serait ouverte sur ce point. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur le contenu de ce débat ?

Le bénéfice pour les pères de la fonction publique de la bonification de la durée d'assurance ne creuse-t-il pas des inégalités supplémentaires entre les retraités de la fonction publique pères de famille et les retraités du régime général, au détriment de l'équité recherchée ?

M. Jean-François Rocchi : Je voudrais d'abord vous prier d'excuser le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, M. Jean-Paul Delevoye, qui avait prévu de se rendre à cette audition, mais qui m'a demandé de le représenter, en raison des contraintes son agenda.

Je voudrais vous présenter les personnes qui m'accompagnent, M. Alain Belgy, qui est adjoint du sous-directeur des statuts à la direction générale de l'administration de la fonction publique et Mme Patricia Vigne, qui est l'une des attachées parlementaires de M. Jean-Paul Delevoye.

Vous m'invitez à présenter à la Délégation les dispositions du projet de loi qui se rattachent à des questions tenant à l'égalité entre les hommes et les femmes ainsi que les avantages familiaux. La question des avantages familiaux, même si elle n'est pas strictement superposée avec la première, la recoupe très largement, dans la mesure où ces avantages ont été posés dans notre droit de façon à compenser les handicaps dont souffrent les femmes dans le déroulement de leur carrière, à l'occasion notamment - en tout cas c'était l'esprit des mesures datant des années 1920-1930 - de la naissance et de l'éducation des enfants. Ce sont deux thématiques qui, sans être complètement superposées, sont assez liées.

Vous connaissez tous les dispositions de ce projet de loi, je ne vais pas les paraphraser, mais je voudrais simplement les restituer dans leur contexte et indiquer pourquoi elles sont appelées soit à évoluer, soit à être maintenues.

En ce qui concerne le régime des fonctionnaires, il y a une irruption du droit communautaire dans le droit de la fonction publique en général, et plus particulièrement dans le domaine des avantages familiaux et de l'égalité hommes-femmes. Nous vivons depuis quelque temps sous une très forte contrainte provenant non pas des traités communautaires ou des textes qui en dérivent, mais de la jurisprudence communautaire. Une interprétation nouvelle a été donnée par la Cour de justice des communautés européennes de Luxembourg des textes existants, à la lumière d'autres évolutions concernant notamment le droit du travail.

La France, en Europe - et cela ne va que s'aggraver après l'élargissement de l'Union européenne à vingt-cinq pays -, se trouve dans une position assez particulière, puisque c'est l'un des derniers Etats européens qui promeut la logique de fonction publique de carrière, recrutée par concours et reposant pour l'essentiel sur des fonctionnaires titulaires et bénéficiant d'un statut.

Il découle de ce statut un certain nombre de conséquences, dont un régime de retraite particulier. Le régime des pensions des fonctionnaires, - et cela éclaire mes propos suivants -, se différencie du régime général non pas par principe, mais parce qu'en réalité il est la conséquence d'une carrière et que l'aboutissement de cette carrière, dans la conception française, est un traitement continué. C'est d'ailleurs au nom de cette logique que nous avons subi des évolutions jurisprudentielles, car cette affirmation, qui se voulait rassurante pour les fonctionnaires dans la tradition juridique française, s'est retournée contre eux. On nous a opposé l'argument, lorsque nous avons plaidé devant la Cour de Luxembourg, que, si c'est un traitement continué, cela reste une rémunération. Ce n'est donc pas une retraite déconnectée de la rémunération. Il en résulte que les dispositions générales, qui s'appliquent à l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de rémunérations, dans le traité de Rome ou les actes ultérieurs, sont applicables à la retraite et qu'il faut appliquer le principe d'égalité entre les hommes et les femmes.

Je schématise un peu, mais c'est à peu près l'esprit de cette jurisprudence. Cela veut dire que, d'un bien, on a fait en quelque sorte un mal. Autrement dit, les textes qui protégeaient les fonctionnaires français depuis plusieurs dizaines d'années finissent par se retourner contre nous, d'autant plus que nous sommes aujourd'hui un petit peu isolés en Europe dans notre conception juridique par rapport soit à des Etats qui étaient déjà dans l'Union, soit à des Etats qui y rentrent et qui développent des conceptions plus proches du droit commun.

C'est un vrai souci, car on retrouvera cette préoccupation dans d'autres domaines, tels que le recrutement, le déroulement des carrières elles-mêmes, etc. On aura l'occasion d'y travailler bientôt, puisque le ministre de la fonction publique dispose depuis quelques jours d'un rapport qu'il a commandé sur ce sujet et qu'il publiera prochainement.

Pour revenir au sujet sur lequel vous m'interrogez, nous avons dû tenir compte de ces évolutions jurisprudentielles et adapter dans le projet de loi un certain nombre de dispositions à cause de cette contrainte. Autrement, il est probable que nous n'y aurions pas touché et que, mis à part des préoccupations d'équité avec les autres régimes de retraite français, ce qui est un autre axe de travail beaucoup plus politique et volontariste, nous n'aurions pas modifié ces dispositions. Tout ce qui suit s'éclaire en quelque sorte à raison de cette évolution jurisprudentielle européenne, qui est plus subie que choisie.

Le premier des avantages familiaux est la majoration de 10 % des pensions de retraite des fonctionnaires, qu'ils soient hommes ou femmes, qui ont eu et élevé au moins trois enfants. Cette disposition est commune au régime général et à celui des fonctionnaires. Elle demeure strictement inchangée. Il n'y a aucune modification sur ce point.

Deuxième aspect, nous avons fait évoluer dans un sens favorable aux intéressés la pension de réversion en faveur des hommes, puisqu'il y avait un écart de situation entre les hommes et les femmes. Les hommes étaient pénalisés, dans la mesure où ils ne touchaient que 37,5 % de la pension de leur épouse, alors que les femmes bénéficiaient de 50 % de cette pension. On a aligné les situations à la hausse, c'est-à-dire que les hommes percevront en cas de veuvage 50 % de la retraite de leur épouse. Il s'agit d'une disposition qui était attendue et qui aligne la situation des hommes sur celles des femmes, sans condition de ressource.

Troisième point : vous m'avez interrogé sur le droit au départ après 15 ans de service des femmes qui ont élevé au moins trois enfants. Il faut comprendre que ce droit au départ a un intérêt considérable, puisqu'il comporte la possibilité de toucher immédiatement la pension de retraite. C'est en ce sens d'ailleurs que c'est intéressant, puisque tout fonctionnaire à droit à une retraite après 15 ans de service ; simplement la jouissance en est différée jusqu'au moment de l'âge d'entrée dans les droits. L'important pour les femmes est qu'elles peuvent bénéficier d'une jouissance immédiate de leur pension après 15 ans de service. Cette disposition est extrêmement importante et très protectrice des situations des femmes.

Elle intéresse d'ailleurs beaucoup de fonctionnaires, notamment les fonctionnaires hospitaliers, puisque beaucoup de femmes travaillant dans la fonction publique hospitalière ont coutume d'utiliser cette disposition. En réalité, cela joue peu ou dans peu de cas après strictement 15 ans. La plupart des carrières sont un peu plus longues, puisque les infirmières ou les personnels soignants ont plutôt coutume de partir après 22, 23, 24 ans de service ; mais elles peuvent le faire après 15 ans.

Le Gouvernement a estimé que cette disposition devait être maintenue sans y toucher. Il a parfaitement conscience de l'importance sociale qu'elle représente, mais il faut savoir que nous sommes là aussi sous la menace d'une jurisprudence qui pourrait remettre en question cet avantage en faveur des femmes et qui nous ferait obligation de l'étendre aux hommes. C'est dans ce sens que les propos de M. Jean-Paul Delevoye s'éclairent. Il n'y a pas aujourd'hui d'exigence immédiate de toucher à cet avantage, mais nous souhaitons y travailler avec les partenaires sociaux pour le futur, de manière à trouver des solutions qui nous permettraient de maintenir cette situation différentielle. L'égalité parfaite de situation sera impossible à organiser dans la mesure où, en dehors du fait qu'il n'y a pas vraiment de justification sociologique à étendre aux hommes cette disposition, il y a également un intérêt de gestion, puisque, si on l'ouvrait à tous les fonctionnaires sans distinction de genre, on aurait peut-être une menace sur l'équilibre des carrières, sur le maintien en activité de fonctionnaires qui sont indispensables au bon fonctionnement du service public. On ne peut pas prévoir par avance quelles seraient les conséquences d'un tel appel d'air sur certaines professions, où l'on aurait des départs relativement précoces. C'est un sujet à regarder avec une grande attention, beaucoup de précaution et sur lequel il n'y a pas de précipitation à devoir légiférer. Donc, pour l'instant, cette disposition est conservée. Je voudrais rassurer le personnel qui attend ce type de précision.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : L'étendre aux hommes serait impensable. Les menaces sont donc les contraintes juridiques européennes ?

M. Jean-François Rocchi : La jurisprudence communautaire, morceau après morceau, grignote le droit national, en raison du fait que, s'agissant d'une rémunération prolongée, il y a dans le droit européen des dispositions qui postulent l'égalité de rémunération, sans distinction de sexe, de race. C'est de bon sens, mais le problème, c'est que ce sont des dispositions qui, alors qu'au départ elles étaient tout à fait protectrices, finissent par fonctionner à rebours et, à la limite, presque à pénaliser les personnes qu'elles protégeaient au départ. Par une sorte de paradoxe, comme pour le travail de nuit, des mesures qui profitaient aux femmes en creusant en leur faveur une différence, suppriment l'écart favorable dont elles bénéficiaient. C'est en ce sens que je dis que cela se retourne contre les intéressées. C'est une sorte d'évolution jurisprudentielle que je ne peux pas qualifier de fâcheuse, - il n'est pas dans mon rôle de commenter défavorablement des décisions de justice qui s'imposent à la France et à tous -, mais qui n'étaient pas prévus au départ et qui nous pose un sérieux problème d'analyse.

La bonification pour enfant est un peu le cœur du sujet, car cette disposition a fait couler beaucoup d'encre depuis un an. Dans le code des pensions, dans sa rédaction actuelle, l'article L. 12 accorde une bonification de service d'un an par enfant, sous certaines conditions, en faveur des femmes fonctionnaires. Il se trouve qu'un recours de M. Griesmar, magistrat de profession, a été déposé, il y a une douzaine d'années, devant le Conseil d'Etat. Le Conseil d'Etat a demandé à la Cour de justice de Luxembourg une interprétation du droit communautaire. La Cour de justice de Luxembourg a émis un avis qui donnait tort aux positions du Gouvernement français et lui demandait d'étendre cette disposition aux hommes, au nom de la théorie selon laquelle il s'agissait d'un traitement continué.

Le Conseil d'Etat recevant cet avis l'a appliqué, a donné raison à M. Griesmar et a intégré dans sa pension les bonifications pour ses trois enfants. Depuis un an, il y a eu toute une série de demandes et de recours déposés par des fonctionnaires hommes pour bénéficier de cette mesure. Nous leur avons refusé le bénéfice de cette mesure. Des contentieux se sont donc ouverts, ce qui est une situation très inconfortable, que l'on ne pourrait pas laisser se prolonger très longtemps et qui joue contre les intérêts des employeurs publics. On avait dit aux organisations syndicales que l'on ne traiterait pas ce sujet dans la précipitation, que l'on attendrait la réforme d'ensemble des retraites pour en parler, ce qui a été fait. Il a bien fallu adapter le droit. La solution mécanique d'application de cette jurisprudence consiste à étendre les bonifications en question aux hommes, c'est-à-dire à donner un an de bonification pour tout fonctionnaire père de famille qui peut prouver qu'il a éduqué ses enfants. M. Griesmar l'a fait sans difficulté avec les témoignages de moralité de ses trois enfants largement adultes.

Ceci paraît poser un problème presque de morale, de justification sociale et sociologique, puisque si l'on nous démontre que les femmes doivent recevoir ce type d'avantages parce qu'elles ne sont pas tout à fait dans les mêmes situations professionnelles que les hommes - soit parce qu'elles souhaitent s'arrêter, alors que très peu d'hommes s'arrêtent, soit parce qu'elles sont à temps partiel, soit parce qu'elles ne peuvent pas aussi bien se préparer à des concours que les hommes, car il faut s'occuper des enfants le jour, la nuit, quand ils sont malades et que c'est souvent la femme dans notre société qui le fait, plus que les hommes - l'étendre aux hommes sans autre forme de procès soulève un débat.

Si on le fait, cela ne sera pas neutre financièrement puisqu'en 2010, il a été calculé que cela signifierait à peu près 700 millions d'euros de dépenses supplémentaires pour l'Etat pour le régime des pensions. Si l'on l'étend aux fonctions publiques territoriale et hospitalière, on dépasse largement le milliard d'euros.

Je rends la représentation nationale sensible au fait que la réforme des retraites pour les fonctionnaires porte sur 13 millions d'euros. Cela représenterait donc un treizième du chemin accompli par la réforme. Cela a des conséquences financières majeures. Pour toutes ces raisons, il était impossible techniquement et financièrement d'étendre cette bonification aux hommes. Il fallait donc revoir le dispositif.

On était confronté à un double problème, traiter la situation du passé en veillant à ne pas dégrader les droits des femmes constitués et traiter la situation pour l'avenir puisque, le barrage juridique ayant sauté, on ne pouvait pas traiter cette question autrement qu'en accordant aux hommes un avantage strictement identique à celui des femmes. Je viens d'expliquer que l'on ne pouvait cependant pas leur donner exactement le même avantage, pour des raisons à la fois sociologiques, mais également financières. D'où le compromis qui a été trouvé dans le projet de loi.

Pour le passé, il a été prévu de conserver la bonification et de l'étendre aux hommes - car on ne peut pas faire autrement en raison de la jurisprudence - mais de conditionner, pour les hommes comme pour les femmes, le bénéfice de cette bonification à un arrêt dans la carrière lié à l'enfant. Il y a une énumération dans le texte du projet de loi. Sont couverts par ces arrêts : les congés de maternité : on peut supposer, sauf cas rarissimes - on en trouvera sans doute quelques-uns, mais c'est vraiment à la marge - que toutes les femmes qui accouchent ont bien un congé de maternité, ce qui veut dire que la quasi-totalité des femmes qui accouchent recevront cette bonification pour le passé ; le congé pour adoption, ce qui permet d'équilibrer la mesure pour ceux qui n'ont pas d'enfants, mais qui les adoptent ; la disponibilité pour convenance personnelle pour élever un enfant, etc. Il y a toute une énumération de congés qui nous permettent à peu près d'affirmer que près de 100 % des femmes se trouvent couvertes par ce dispositif et n'auront pas à être pénalisées par cette réécriture de la loi. Les hommes qui ont pu bénéficier de ces congés se verront étendre ce dispositif, mais ceux qui n'auront pas pris ces congés ne recevront pas cette bonification pour le passé.

Pour l'avenir, on a intégré les remarques de la Cour de Luxembourg qui, d'une certaine façon, nous disent que l'on devrait traiter ce problème, non pas dans la retraite elle-même, mais à travers la carrière et ses conséquences. En effet, le débat se déplacerait, d'un avantage strictement familial qu'on pourrait éventuellement rétablir sous une autre forme, par exemple sous forme de prestations familiales, vers quelque chose qui serait plus lié à la gestion de la carrière, c'est-à-dire aux conséquence d'un arrêt dans la carrière d'une femme, en termes de retard à l'avancement, d'inégalité pour passer un concours ou tout simplement d'ancienneté pure pour avoir le nombre d'annuités.

On retrouve à ce moment-là une dynamique, qui est de dire modernisons ce dispositif, compensons les écarts de situation en compensant les arrêts en eux-mêmes, c'est-à-dire que l'on passe d'une logique un peu familiale, presque nataliste dans les années 20, lorsque cette disposition a été posée, à une vision qui serait plus moderne, une vision tournée vers la gestion des services, vers la carrière en elle-même. Ce qui se passerait si la loi était votée dans cette rédaction à partir du 1er janvier, c'est que les fonctionnaires, qu'ils soient hommes ou femmes, recevraient non plus une bonification, mais une validation de service, donc allongeant leur durée d'assurance et de prise en compte de service pour la pension, chaque fois qu'ils se seraient arrêtés pour s'occuper de leurs enfants.

Cela comprend le temps partiel de droit pour élever un enfant, ce qui est un progrès social manifeste, car il n'était pas pris en compte avant sous cette forme, le congé parental, le congé de présence parentale - cela vise une forme de congé heureusement rare pour les intéressés, la présence auprès d'un enfant malade -, la disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans. On a une logique qui est tournée vers la stricte compensation de l'arrêt en lui-même.

Je mesure bien que ce point prête à discussion, car ce qui est en jeu, c'est que l'on passe d'une sorte de forfait, où la fonctionnaire femme bénéficiait d'une année de bonification, à une logique qui est proratisée. Si l'on s'arrête moins d'un an, on reçoit une validation de service en proportion de son temps d'arrêt qui peut être inférieure à l'année. Inversement, la loi compense cela pour celles et ceux qui s'arrêteront plus longtemps, car l'avantage qui était auparavant limité à une année, peut être désormais porté jusqu'à trois ans. Par exemple, des femmes qui s'arrêteraient pour prendre un congé parental pendant les trois premières années de leur enfant recevraient une validation jusqu'à trois ans. Donc, il y a une sorte d'équilibre dans le texte, car on est plus sur une logique de carrière que sur une logique strictement familiale. Il faut le comprendre, car sinon on a du mal à analyser cette évolution qui nourrit un débat assez fort.

Mme Catherine Génisson : Cette proposition est valable pour la durée de prise en compte du temps de travail pour le droit à retraite. En revanche, pour le niveau de droit à pension, ce n'est pas comptabilisé. Ce droit sera donc inférieur à celui qu'avait la femme dans le système actuel : la femme, qui devait travailler 37,5 ans et qui avait eu trois ans de bonification parce qu'elle avait eu trois enfants, avait droit à son taux plein de pension quand elle arrivait à 34,5 ans. Elle aura droit à une pension moins élevée dans le nouveau système.

Mme Marie-Françoise Clergeau : Cela concerne les femmes qui ne s'arrêteraient pas pour s'occuper de leurs enfants et qui, auparavant, avaient droit à un an de bonification.

Mme Catherine Génisson : Les femmes avaient droit à un an de bonification par enfant. Quand elles arrivaient à 37,5 ans d'annuités diminué du nombre d'annuités (x fois un an par enfant), elles avaient leur pension de retraite à taux plein. Dans la nouvelle législation, on comptabilisera leur temps d'arrêt pendant l'activité professionnelle, mais leur droit à pension sera proportionnel.

Mme Marie-Françoise Clergeau : Au début de vos propos, vous parliez d'équité entre les régimes de retraite. Pourquoi n'avez-vous pas adopté la mesure applicable dans le régime général, à savoir deux ans de bonification par enfant, ce qui aurait été beaucoup plus simple et permettait d'avoir une réelle équité ?

M. Patrick Delnatte : La bonification n'est pas calculée de la même manière dans le régime général et, au total, les deux régimes sont pratiquement équivalents.

M. Jean-François Rocchi : L'article 29 du projet de loi précise que : "Le temps passé dans une position statutaire ne comportant pas l'accomplissement de services effectifs, au sens de l'article 5, ne peut entrer en compte dans la constitution du droit à pension sauf", et sont énumérées les interruptions de carrière du nouveau dispositif. Donc, il s'agit bien du droit à pension. Il y a, par ailleurs, un renvoi à un article du code où se fonde la pension elle-même, la liquidation. En réalité, les femmes en question auront bien un droit à retraite qui rentrera dans le calcul de la retraite.

Mme Catherine Génisson : D'accord, mais le niveau de retraite sera inférieur à ce qu'il est actuellement dans la loi actuelle.

M. Jean-François Rocchi : Non, cela rentre dans le calcul.

Mme Catherine Génisson : Quand vous avez des enfants, que vous arrivez à la retraite, on vous comptabilise un an par enfant, et vous avez votre retraite complète si vous avez vos annuités. Avec votre proposition, vous aurez droit à prendre la retraite, mais avec un niveau de retraite qui sera au prorata des années travaillées.

M. Jean-François Rocchi : Plusieurs choses se télescopent.

Mme Catherine Génisson : Je ne m'exprime peut-être pas clairement. Une femme, dans votre nouveau système, pourra arrêter de travailler plus longtemps pour la prise en charge de ses enfants ; en revanche, au bout de x années de travail, quand elle aura ses droits à la retraite, son niveau de pension sera inférieur à ce qu'il est actuellement.

M. Jean-François Rocchi : Ce n'est pas tout à fait ainsi que les choses se présentent. Il faut parler du temps partiel, car cela éclaire la réponse qui suit. Le projet introduit une notion nouvelle, qui est une notion d'assurance tout régime qui n'existait pas dans le code des pensions. Auparavant, on raisonnait avec des régimes distincts et séparés, qui ne communiquaient pas. Ce qui a un inconvénient puisque l'on a la situation, dans la fonction publique, notamment territoriale ou hospitalière, mais également dans la fonction publique d'Etat avec les non-titulaires qui sont titularisés, de personnes qui font des carrières successives dans le régime général, puis dans celui des fonctionnaires, voire parfois l'inverse, mais c'est un peu plus rare, sauf pour les infirmières qui deviennent libérales. Ces pluri-pensionnées sont des personnes qui étaient auparavant pénalisées par les distorsions existantes entre les régimes. On essaie de les corriger en établissant une durée d'assurance universelle, en particulier pour l'application des règles liées à l'assurance décote ou sur-cote. Désormais, c'est l'ensemble des périodes qui sont validées dans tous les régimes qui vont compter.

Cela permet de valider ces périodes de façon très claire et dans un sens qui est plus favorable aux intérêts des agents s'ils s'arrêtent plus longtemps. Il faut bien comprendre que ces personnes étaient auparavant pénalisées. Toutes celles qui s'arrêtaient un peu plus d'un an de travailler perdaient ce droit. Cette situation est réparée.

Le deuxième aspect que vous soulevez, c'est le niveau de la pension et la constitution de l'annuité, le calcul du taux de cette annuité par le nombre d'annuités.

Auparavant, s'agissant des bonifications, c'était très facile, puisque la bonification était une annuité additionnelle qui se rajoutait à une pension qui avait déjà été calculée. Cela permettait de dépasser le maximum de la pension ou de s'en rapprocher si l'on était en dessous.

Dans le projet actuel, pour le passé, c'est-à-dire pour les enfants qui sont nés jusqu'au 1er janvier 2004, dans la mesure où il s'agit d'une bonification, c'est la même chose. Elle est un peu conditionnée à des règles nouvelles, mais c'est toujours une bonification, donc les conséquences en sont identiques.

Pour le futur, c'est-à-dire pour les enfants naissant après le 1er janvier 2004 ou adoptés, on passe à une logique de validation de service, qui augmente également la pension. C'est un avantage de pension, puisque l'on valide des périodes. Cela ne baisse donc pas le niveau de la pension. Cela se fait un peu différemment, car la bonification vient après le calcul de la pension technique. Cela se fait pour additionner les annuités à pension, mais l'effet sur le niveau de la pension est le même.

Je reviens à votre question sur la comparabilité du régime de la fonction publique avec le régime général. C'est quelque chose qui n'est pas facile à cerner, car la présentation nominale des deux régimes, c'est deux ans, d'un côté, et un an ou même éventuellement des durées différentes d'un an en plus ou en moins, de l'autre. Ce n'est pas très facile à apprécier.

Premièrement, le régime général n'est pas dans la situation du régime des fonctionnaires. Le droit communautaire n'a pas produit les mêmes effets. A mon avis, il finira par s'imposer également au régime général, tôt ou tard. Il y a déjà des tentatives de certains tribunaux en ce sens, mais on n'est pas allé au bout du processus jurisprudentiel. Donc, aujourd'hui, il n'y a pas les mêmes effets juridiques sur le régime général. Autrement dit, ils n'ont pas l'obligation de faire évoluer leur système tout de suite comme le nôtre.

Deuxièmement, dans le régime général, les bonifications concernent les régimes de base. Il y a d'un côté le régime de base de la sécurité sociale, qui n'est qu'une partie de la retraite du salarié du privé, des régimes complémentaires, qui sont obligatoires, cadres et non-cadres, et éventuellement des régimes sur-complémentaires d'entreprise.

La bonification d'ancienneté pour enfant ne vaut que pour le régime de base, donc elle ne porte que sur une portion de la retraite. Qu'elle soit portée à deux ans conduit à un équilibre avec le régime des fonctionnaires, car ce ne sont pas strictement les mêmes plateaux. Le régime de base d'un salarié doit être à l'heure actuelle de 45 ou 46 % de la retraite totale d'un salarié. Si vous calculez deux annuités par rapport à cela, cela donne deux annuités sur la moitié de la retraite. Pour un fonctionnaire au taux plein, qui a 75 % de son traitement, s'il a une bonification d'une année, une année sur 75 %, - à peu de chose près, à quelque % près -, cela équivaut à peu près à deux années sur moins de 50 % de la retraite d'un salarié du privé. Au total, c'est comparable. En plus, le régime général est plafonné.

Même si ce n'est pas facile à présenter au grand public, on peut dire que la somme que reçoit chacun par rapport à sa carrière est à peu près équilibrée.

Mme Marie-Françoise Clergeau : Mathématiquement, car spécifiquement c'est autre chose.

M. Jean-François Rocchi : C'est vrai, mais l'objectif de convergence ne peut pas être satisfait en totalité. On est bien conscient qu'il y a des rugosités et des impossibilités techniques. On ne peut faire converger que des règles strictement identiques du point de vue juridique. Or, on voit bien que le droit communautaire n'est pas apprécié de la même façon par les deux régimes, ce qui ne crée pas cette égalité. Le jour où, dans le régime général, on devra prendre en compte le droit communautaire, on pourra faire converger les deux régimes.

On a fait converger toute une série de dispositions quand on le pouvait et le devait. Sur ce point, il y a une sorte d'impossibilité pratique.

S'agissant du temps partiel, à côté de ces avantages que l'on présente d'habitude comme des avantages familiaux au sens strict, le projet de loi aménage le temps partiel, ce qui constitue une disposition favorable à la famille, et en particulier aux mères de famille. Trois choses me paraissent importantes.

La première, c'est que le temps partiel comptera comme un temps plein pour la durée d'assurance. Par exemple, si l'on demande 40 ans d'assurance pour ne pas avoir de décote, le temps partiel ne sera pas pénalisé. Une année de temps partiel comptera comme un temps plein. Une femme qui aura été dix ans à temps partiel ne se verra pas appliquer une demi-année de durée d'assurance ; son temps partiel comptera dix ans sur les 40 ans.

Mme Marie-Françoise Clergeau : Dans tous les régimes ?

M. Jean-François Rocchi : Oui, dans tous les régimes.

Mme Marie-Françoise Clergeau : A partir de 2004 ?

M. Jean-François Rocchi : Oui.

Deuxième élément, nous introduisons dans le régime des fonctionnaires, et c'est une des avancées des négociations sociales d'il y a huit jours, à la demande d'une organisation syndicale, la possibilité pour les fonctionnaires de cotiser sur la base d'un temps plein quand ils sont à temps partiel. Volontairement, un fonctionnaire, homme ou femme, mais ce sont essentiellement des femmes, qui se trouvent en temps partiel aujourd'hui, ne peut cotiser que sur le prorata du temps travaillé, 50, 60, 70 % suivant sa situation ; demain, il pourra, s'il le veut, mais ce n'est pas obligatoire, cotiser sur la base d'un temps plein et acheter une annuité à temps plein quand bien même il serait à temps partiel, donc, améliorer ainsi volontairement le niveau de sa pension.

Troisième élément, il existe un temps partiel de droit qui ne peut pas être refusé pour élever un enfant de moins de trois ans. Le dispositif de ce temps partiel de droit est amélioré puisque, jusqu'à présent, il n'y avait qu'une seule quotité de temps utilisable qui était le mi-temps. Cela posait des problèmes, car certaines personnes ne voulaient pas nécessairement se mettre à mi-temps, en raison de ses conséquences financières importantes. On aménage ce dispositif en autorisant désormais des durées de 50 %, 60 %, 70 % et 80 %, qui couvrent plus de situations et qui permettent à des parents d'avoir un peu plus de flexibilité dans leur temps partiel.

Voilà les dispositions de ce projet de loi en ce qui concerne la famille.

Mme Catherine Génisson : Je voudrais revenir sur la possibilité pour les femmes fonctionnaires de pouvoir partir à la retraite après 15 ans d'exercice quand elles ont trois enfants. Pensez-vous vraiment qu'aucun recours en droit communautaire européen ne pourrait aboutir actuellement ?

M. Jean-François Rocchi : Je pense même le contraire. C'est une situation extrêmement fragile.

Mme Catherine Génisson : Pourquoi ne pas essayer de conforter cette disposition dans le texte de loi ? Je suis extrêmement interpellée quand on dit que cela représente une inégalité flagrante entre les hommes et les femmes et qu'il nous est demandé de nous mettre en conformité avec la législation européenne. N'y aurait-il pas nécessité de conforter ce dispositif ?

Nous avons eu des propositions de la présidente du CNIDFF hier, selon lesquelles ces droits pourraient n'être ouverts que si l'on justifiait d'un certain nombre d'éléments. Je crains vraiment que l'on soit très fragilisé sur ce dispositif.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il faudrait y songer.

M. Jean-François Rocchi : Effectivement, il y a des menaces très fortes sur ce dispositif. On sait que la jurisprudence va évoluer, que le fait de maintenir cette disposition en faveur des seules femmes est pratiquement remis en question. Cela dit, le Gouvernement n'a pas souhaité faire évoluer cette disposition, car il estime qu'il est de l'intérêt général de la maintenir en faveur des femmes, et des femmes seulement. C'est extrêmement sensible dans certains milieux professionnels comme, par exemple, le milieu hospitalier.

S'il fallait l'étendre aux hommes, cela soulèverait deux questions, en dehors de l'aspect financier qui se poserait inévitablement. Il y aurait d'abord la question de la justification de cette extension. On en revient à la justification de base. Autrement dit, à part les hommes qui se trouvent dans des situations de pères célibataires, de veufs élevant leurs enfants, ceux qui vivent en couple et élèvent des enfants ne sont pas nécessairement dans la même situation sociologique que la femme. Cela porte à débat.

Deuxièmement, il y aurait un problème de gestion. Si les hommes recevaient cet avantage sans qu'il ne soit réaménagé et que par hypothèse ils consommaient très largement cet avantage, nous ne sommes pas aujourd'hui en mesure de prédire les effets que cela aurait sur la situation de certains services. C'est une situation qu'il faut regarder encore une fois avec d'infinies précautions.

Aujourd'hui, le choix fait par le Gouvernement est de laisser cette disposition telle quelle et de ne pas y toucher dans le texte qui vous est présenté. Nous la reverrons le cas échéant s'il le faut, le jour où les évolutions juridiques y conduiront.

Mme Claude Greff : Je voudrais vous poser des questions sur le plafond des ressources pour la réversion concernant les femmes, la situation des femmes divorcées en ce qui concerne le partage des retraites, et celui des jeunes veuves.

M. Jean-François Rocchi : En ce qui concerne le plafond des ressources, il n'existe pas dans le régime des fonctionnaires.

Mme Claude Greff : Oui, justement, c'est une grande différence entre le privé et le public.

M. Jean-François Rocchi : C'est une des spécificités du régime des fonctionnaires qui est conservée. C'est un choix politique, je ne peux pas vous le justifier plus en détail.

Pour les femmes divorcées, il n'y a pas de particularité en droit français. Cela vaut pour l'ensemble des régimes, me semble-t-il. Il n'y a pas aujourd'hui de disposition spécifique.

Mme Claude Greff : Avez-vous pensé au calcul de la retraite au prorata des années communes ?

M. Alain Belgy : Le texte actuel autorise le prorata à hauteur de la durée du mariage. Il y a partage de la pension de réversion entre la femme divorcée, pour la durée pendant laquelle le mariage est intervenu, et la veuve, à hauteur de la même durée. Cela existe, ce n'est pas du tout nouveau.

Mme Marie-Françoise Clergeau : Dans le régime général, ce qui va changer, c'est en cas de remariage. Auparavant, il n'y avait pas, dans le secteur privé, de reversement d'une partie de la pension à la femme divorcée, si elle était remariée. Désormais, la pension de réversion peut être également touchée en cas de remariage.

M. Jean-François Rocchi : Pour les jeunes veuves, il me semble que la jouissance de la réversion est immédiate. Quel que soit l'âge de la veuve, il n'y a pas de limite.

Mme Claude Greff : Je réfléchissais au fait des jeunes veuves, qui bénéficient en effet de la pension de réversion de leur époux. Ceux-ci n'étant pas allés au maximum de leurs droits, puisqu'ils sont décédés jeunes, elles ne pourront pas bénéficier d'une retraite importante.

M. Jean-François Rocchi : La réversion est une modalité de la pension sur laquelle elle se fonde. Si le défunt a accompli la durée de service exigé pour bénéficier d'une pension, qui est de 15 ans minimum, la réversion est la moitié de la pension ainsi constituée, qui peut être, à ce moment-là, le minimum de pension des fonctionnaires. Si l'on se trouve dans le cas où le défunt aurait reçu à l'âge où il est décédé le minimum de pension, la femme reçoit la moitié du minimum de pension.

Si jamais la personne en question est décédée avant d'avoir satisfait cette condition, ce sont les règles du régime général qui s'appliquent, puisqu'il y a une condition de 15 ans pour bénéficier d'une pension publique. Il y a toujours de toute façon une retraite, qu'elle soit du régime général ou de la fonction publique. Mais la retraite est fonction du régime dans lequel on se fonde. Il y a un minimum de pension pour les fonctionnaires, il y a un minimum de vieillesse pour le régime général. Ce sont des sommes assez voisines. Je vous concède que ce ne sont pas nécessairement des sommes très importantes, mais il y a à peu près égalité entre les deux régimes sur ce point.

M. Alain Belgy : La réversion n'est pas une assurance vie. Il existe dans le régime des fonctionnaires une disposition qui a été introduite par un amendement parlementaire en 1980, qui a prévu de faire en sorte que la pension de réversion soit systématiquement équivalente au minimum vieillesse.

Dans les circonstances actuelles, je crois savoir que les personnes qui bénéficient de cet "avantage", - qui tient compte des ressources extérieures - sont très peu nombreuses. Cela veut dire que quasiment tout le monde se trouve nettement au-dessus. Actuellement, on est déjà dans une situation où, par personne, on doit être à environ 3 600 F. Ce n'est pas négligeable, y compris pour un nombre d'années qui a minima peut être de 15 ans. Cela veut dire 50 % d'une pension qui, dans les circonstances actuelles, serait de 30 %. Cela pourrait théoriquement couvrir des quantités de situations. Ce n'est pas le cas. Ce qui veut dire que les pensions de réversion sont systématiquement plus élevées. Elles le sont d'autant plus que joue le fameux minimum de pension garantie.

Mme Béatrice Vernaudon : Ma question va peut-être vous paraître incongrue, mais je commence seulement à me plonger dans le dossier. Nous n'avons pas le même système chez nous, néanmoins nous avons des fonctionnaires. Ils font grève et souhaitent avoir des informations.

Le projet actuel ne concerne-t-il que les retraites de la fonction publique ou concerne-t-il aussi le régime général ?

M. Jean-François Rocchi : Il porte sur la totalité des régimes, puisqu'il y a des dispositions communes à tous les régimes de retraite, des dispositions sur le régime général, des dispositions sur le régime des fonctionnaires, quelques dispositions pour les professions libérales et même pour les agriculteurs, puisqu'il y a une mesure particulière pour mensualiser les retraites des agriculteurs.

Mme Béatrice Vernaudon : En ce qui concerne la bonification pour enfant, j'ai bien compris que vous proposiez à partir du 1er janvier 2004 une validation du temps de l'interruption de carrière. Une personne qui se sera arrêtée seulement pendant le temps du congé de maternité n'aura donc que la validation du temps de congé de maternité.

M. Jean-François Rocchi : Le congé-maternité est aujourd'hui déjà compté comme service effectif.

Mme Béatrice Vernaudon : Aujourd'hui, cette personne a droit à une bonification d'un an par enfant. Dans le nouveau système, si elle ne s'arrête que le temps du congé, elle n'aura pas droit à une année complète.

M. Jean-François Rocchi : Tout à fait. Si l'on avait procédé différemment et étendu aux hommes la bonification pour le futur, cela représenterait un coût, dans quelques années, d'un bon milliard d'euros, tous régimes de fonctionnaires confondus. Ce milliard d'euros ne pourrait pas être consacré à d'autres dispositions favorables aux agents. Le dispositif retenu permet aux personnes qui s'arrêteraient plus d'un an, et elles sont nombreuses, de recevoir jusqu'à trois ans de bonification, au lieu d'un an actuellement.

Mme Béatrice Vernaudon : Je trouve que c'est une bonne mesure, car elle va encourager les femmes à s'arrêter et à profiter de leurs enfants.

En ce qui concerne la période précédant le 1er janvier 2004, compte tenu de la jurisprudence européenne, allez-vous valider les périodes antérieures pour les hommes ?

M. Jean-François Rocchi : Elles seront validées sous réserve qu'il y ait eu un arrêt de travail effectif. Cela sera donc applicable à toutes les femmes qui ont eu un congé de maternité, mais pas à celles qui adoptent.

Mme Marie-Françoise Clergeau : Avez-vous fait une estimation du coût du maintien de la seule bonification d'un an par enfant ?

M. Jean-François Rocchi : Pour le passé ou le futur ?

Mme Marie-Françoise Clergeau  : Pour le futur.

M. Jean-François Rocchi : On arrive au milliard d'euros. C'est une charge extrêmement forte pour le régime des fonctionnaires sur le long terme.

La Délégation aux droits des femmes a ensuite entendu M. Hubert Brin, président de l'Union nationale des associations familiales (UNAF).

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je suis très reconnaissante à M. Hubert Brin, président de l'Union nationale des associations familiales, que nous accueillons aujourd'hui, d'avoir dégagé son emploi du temps pour venir devant la Délégation et nous donner son point de vue sur le projet de loi sur les retraites, au regard des avantages familiaux et conjugaux des femmes dans les régimes de retraite.

Dans le régime général, le régime de la réversion est profondément modifié : suppression de la condition d'âge et de son corollaire l'assurance-veuvage, suppression du cumul et de la condition de ressources, remplacée par un plafond de ressources défini par décret, ainsi que de la condition de non-remariage et de durée du mariage. Quelle appréciation portez-vous sur ces différents points et quelles sont vos suggestions ?

Les avantages familiaux, dans la fonction publique, sont aménagés pour tenir compte de la jurisprudence communautaire relative à l'égalité de traitement entre hommes et femmes. Les dispositions retenues pour la bonification de durée d'assurance d'un an par enfant, différentes selon que les enfants seront nés avant 2004 ou après 2004, vous paraissent-elles satisfaisantes ?

Que pensez-vous, dans un souci d'égalité entre hommes et femmes, de la possibilité au moment du divorce, d'établir un partage des droits acquis à la retraite, selon des modalités à étudier ?

M. Hubert Brin : La question du partage des droits acquis en cas de divorce est un sujet que nous n'avons pas réellement abordé encore à l'intérieur de l'UNAF.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Pouvez-vous en faire un sujet de réflexion ?

M. Hubert Brin : Oui. Cela fait partie des sujets que nous avons programmés dans le cadre des débats portant sur la réforme du divorce. C'est tout le problème des prestations compensatoires.

Sur le sujet femme et retraite, il convient de procéder d'abord à une clarification de ses multiples aspects, afin de ne pas se perdre dans une confusion conceptuelle et opérationnelle. Au moins trois aspects viennent se percuter. D'abord, l'inégalité de traitement entre hommes et femmes a un impact sur la retraite des femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est le problème posé par la carrière des femmes.

M. Hubert Brin : Oui, par certains côtés, mais c'est plutôt la question de l'égalité de traitement entre hommes et femmes, à niveau de compétence et à poste de travail égal. Cela relève de changements de culture, de la négociation collective, du droit du travail.

On a ensuite l'absence du marché du travail pour élever un ou plusieurs enfants. On a enfin la question de la majoration des pensions pour enfants élevés.

Sur l'absence du marché du travail pour élever un ou plusieurs enfants, on ne peut pas évacuer l'éternelle question de la répartition des tâches entre hommes et femmes dans notre société française.

Mais il faut faire la distinction entre femme et mère de famille. Un certain nombre d'éléments du dossier retraite concernent toutes les femmes, qu'elles soient mères de famille ou non : c'est entre autres la question de l'égalité de traitement. Un certain nombre de questions concernent les femmes en tant que mères de famille : ce ne sont pas complètement les mêmes sujets. D'autant que certains dispositifs concernant les mères de famille concernent en fait les parents, donc, le cas échéant, peuvent aussi concerner des hommes, même si dans notre société, à 99 %, les femmes sont plutôt concernées.

La bonification des deux ans a été mise en place pour compenser les trous dans la carrière, mais surtout les absences de cotisation, pour les mères de famille qui restaient à la maison pour élever leurs enfants. Aujourd'hui, nous voyons bien qu'il y a un nombre extrêmement important de mères de famille qui ont besoin de ce dispositif - ces deux ans dans le régime général ou cette année dans le régime de la fonction publique - au moment de la liquidation de leurs droits à la retraite.

Nous avons été inquiets, au moment de l'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes, sur le fait qu'au nom de l'égalité entre hommes et femmes ce dispositif allait se retourner contre les femmes. Ces deux années de bonification ont un coût financier significatif. Donc, l'accorder indistinctement aux hommes et aux femmes revenait quasiment à en doubler le coût. Nous avions de grandes inquiétudes sur la disparition de ce dispositif, car nous considérons que de très nombreuses mères de famille en ont besoin.

La disposition, prévue par le projet de loi, de modifier cette disposition pour les enfants nés à partir du 1erjanvier 2004 nous paraît être une solution de sortie tout à fait correcte pour maintenir ce dispositif.

Ce que nous avons eu l'occasion de dire au Gouvernement, que ce soit à M. François Fillon, à M. Jean-Paul Delevoye ou même au Premier ministre, lors de la conférence de la famille, c'est qu'il nous semble que nous avons besoin assez rapidement d'une étude d'impact de l'assurance vieillesse parents au foyer (AVPF) à échéance de 20 ans. Le dispositif de bonification des deux années de cotisation était essentiel et reste encore essentiel. Mais, nous ne sommes pas sûrs que la charge de ce dispositif soit aussi élevée à échéance de 20 ans, compte tenu de l'assurance vieillesse parents au foyer.

L'assurance vieillesse parents au foyer, c'est un dispositif qui a été mis en place en 1972, au moment de l'allocation du salaire unique, qui s'est continué en 1978 lors de l'instauration du complément familial, et qui s'est poursuivi depuis, même si le complément familial a été séparé en deux, avec l'allocation pour jeune enfant, d'un côté, et le complément familial pour les familles de trois enfants et plus, de l'autre. Pour les familles de trois enfants et plus, qui bénéficient du complément familial, lorsqu'il n'y a qu'un seul revenu dans la famille, l'AVPF est ouverte jusqu'aux 21 ans de l'aîné, ce qui est une longue période de couverture. Depuis la création de l'allocation parentale d'éducation (APE), elle est également ouverte dans le cadre de l'APE.

Nous n'avons pas d'étude sur le sujet, mais nous pensons que 80 % des mères de famille ont besoin des deux années de bonification par enfant élevé, au moment de la liquidation de leurs droits à la retraite. Compte tenu de l'évolution de l'activité professionnelle des femmes et donc des mères, nous sommes plutôt enclins à penser qu'à échéance de 20 ans, le rapport va être totalement inversé, c'est-à-dire que l'on devrait avoir 20 % des mères de famille qui auraient encore besoin d'une bonification des deux années, en plus de l'AVPF, pour 80 % de mères qui n'auraient besoin que de l'assurance vieillesse parents au foyer. La différence majeure entre les deux - et c'est pour cette raison que nous tenons énormément au dispositif AVPF -, est que le dispositif de bonification de deux ans est un dispositif de validation gratuite, alors que le dispositif AVPF est un dispositif de cotisation. C'est une différence extrêmement forte entre les deux systèmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : L'avez-vous abordé au moment de la conférence sur la famille ou avec MM. François Fillon et Jean-Paul Delevoye ?

M. Hubert Brin : Au moment de la conférence de la famille, j'ai eu l'occasion de dire au nom de l'UNAF que nous étions satisfaits de la décision du Premier ministre de maintenir, même avec modifications, le dispositif d'avantage familial.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Que vous ont répondu les ministres ?

M. Hubert Brin : Ils partagent notre avis. Nous aurons assez rapidement - il y a un engagement du Gouvernement - cette étude d'impact dont nous avons besoin pour mesurer à échéance de 20 ans le coût réel.

Le dispositif prévu sauvegarde l'essentiel. Mais, on a besoin d'avoir cette étude car, dans le cadre de l'AVPF, on ne touche pas toutes les mères. L'AVPF est ouverte par l'allocation pour jeune enfant (APJE) et le complément familial, deux prestations familiales qui sont sous condition de ressources.

L'AVPF elle-même n'est pas ouverte sous condition de ressources, mais à partir du versement de prestations. Elle est ouverte à partir du versement de l'APJE ou du complément familial, lorsqu'il n'y a qu'un seul revenu dans la famille. Dans ce cadre-là, il y a effectivement condition de ressources. Jusqu'au 1er janvier 2004, environ 75 à 78 % de femmes sont concernées. 20 à 25 % sont exclues du dispositif.

En revanche, dans le cadre de l'allocation parentale d'éducation (APE), il n'y a pas de condition de ressources. Elle est ouverte sous condition d'activité.

L'AVPF est donc ouverte dans le cadre du versement de trois prestations, lorsqu'il n'y a qu'un seul revenu dans la famille : le complément familial, l'APJE, l'APE.

M. Patrick Delnatte : Et pour l'allocation de retrait d'activité, ce sera la même chose ?

M. Hubert Brin : C'est le même régime. Ce sont des compléments à la prestation à l'accueil des jeunes enfants.

Voilà sur cette question de la bonification.

Sur la question de la majoration de pension, nous savons bien qu'il y a eu plusieurs fois l'idée de supprimer ce dispositif en raison du fait que maintenant les mères ont une activité professionnelle, s'ouvrent des droits propres et que ce n'est donc pas forcément justifié. On entend aussi assez régulièrement l'argument selon lequel il vaudrait mieux donner des prestations revalorisées aux familles au moment où elles en ont besoin, plutôt que de majorer les pensions de retraite.

Nous ne souhaitons pas que l'enfant soit totalement pris en charge par la société. Dans l'ensemble d'une vie, les hommes et les femmes qui auront toujours eu, quel que soit le niveau de revenu, le moins de capacité d'épargne seront ceux qui ont fait des enfants et ont choisi la maternité. Nous considérons que la majoration de pension reste toujours justifiée, même avec l'évolution actuelle de l'activité professionnelle des hommes et des femmes.

Elle n'a pas été tellement en danger dans le débat sur les retraites, car depuis l'année 2000 elle fait l'objet d'un transfert entre le Fonds de solidarité vieillesse et la CNAF, un transfert que nous avons contesté à l'époque, car il n'avait pas fait l'objet de négociation. Sur le fond, l'UNAF aurait souhaité une négociation sur l'utilisation des excédents et aurait très probablement, si cette négociation avait eu lieu, accepté le transfert. En effet, la plupart des responsables familiaux et des administrateurs de l'UNAF étaient bien conscients que le seul moyen de sauver les majorations de pension dans le cadre du débat sur les retraites était de les transférer du Fonds de solidarité vieillesse à la CNAF. Cela aurait été d'autant mieux accepté par nous qu'il y a un point sur lequel nous ne transigerons pas - je l'avais dit au précédent Gouvernement et je l'ai dit à ce Gouvernement - c'est une modification des ressources de la branche. Nous préférons négocier l'utilisation des excédents de la branche plutôt que modifier les ressources de la branche, car ajuster le niveau de ressources de la branche à son niveau de dépenses, dans un contexte de non-augmentation de prélèvement obligatoire, conduit à faire perdre toute capacité de faire évoluer la politique familiale pendant 25 ou 30 ans.

M. Patrick Delnatte  : Je crains que le débat ne soit pas clos.

M. Hubert Brin : Je l'ai dit au Premier ministre ; pour nous, c'est un casus belli.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il vaut mieux prendre les excédents.

M. Patrick Delnatte : Le raisonnement est juste. Il faut négocier les excédents de la branche famille pour l'utilisation de l'allocation familiale, même si cela concerne la retraite. Il faut bien faire attention qu'il n'y ait pas de prise de ressources dans le cadre d'un redéploiement.

Mme Catherine Génisson : Dans une période de restriction, on va se dire que plutôt que d'augmenter les avantages dans une branche, on va essayer d'équilibrer avec les excédents de cette branche.

M. Hubert Brin : Nous préférons la négociation sur l'utilisation des excédents.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est normal.

Mme Béatrice Vernaudon : Qui finance ?

M. Hubert Brin : C'est le Fonds national des prestations familiales.

Mme Béatrice Vernaudon : Quel est son taux et son montant ?

M. Hubert Brin : C'est une cotisation égale pour tous les parents qui bénéficient de l'APJE, du complément familial et de l'AVPF.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Elle se monte à 3,5 milliards d'euros.

Mme Marie-Françoise Clergeau : En ce qui concerne les bonifications, le projet de loi maintient les deux ans de bonification du régime général et modifie la bonification d'un an par enfant dans la fonction publique, à partir de 2004. Celle-ci ne sera plus accordée aux mères de famille qui n'interrompent pas leur activité professionnelle, mais elle pourra aller jusqu'à trois ans par enfant pour les autres. J'aimerais avoir le point de vue de l'UNAF sur ce point.

M. Hubert Brin : Dans la mesure où l'assurance vieillesse parents au foyer n'est pas remise en cause pour l'instant, il s'agit d'une évolution positive par rapport à la situation d'un certain nombre de mères de famille. L'UNAF est extrêmement prudente sur ce sujet. Nous pensons que le choix qui a été fait par le Gouvernement sauvegarde l'essentiel, voire même l'améliore, mais il nous faut de manière indispensable cette étude à échéance de 20 ans de l'impact de l'AVPF, car nous n'avons pas de visibilité sur le long terme.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Lors de l'audition de Mme Anne-Marie Brocas, secrétaire générale du Conseil d'orientation des retraites, nous l'avions demandé.

M. Hubert Brin : C'était le seul moyen de préserver le dispositif pour les mères de famille. Nous avions eu l'occasion de dire à M. François Fillon que nous tenions à ce que le dispositif de bonification perdure tant que l'étude n'est pas disponible. Une des solutions pour échapper à la condamnation de la France pour discrimination hommes-femmes était de rattacher le dispositif à des situations ayant ouvert droit ou potentiellement ouvert droit à l'AVPF. Il n'y avait pas d'autres solutions pour maintenir le dispositif. La proposition est satisfaisante et sauvegarde l'essentiel, mais elle n'exonère pas de l'étude.

Il me paraîtrait essentiel de faire la distinction entre ce qui relève de situation générale de femmes ou d'hommes et ce qui relève de la situation de mères ou de pères de famille, puisque maintenant certains pères vont bénéficier de ces dispositions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Pour toutes les mesures qui tendent à l'égalité hommes-femmes, il y a obligation d'avoir des preuves. Cette question d'une volonté systématique d'égalité commence à me préoccuper. Si quelqu'un est resté veuf, et qu'il a vraiment élevé les enfants, c'est tout à fait normal qu'il bénéficie de la bonification. Mais il faut qu'il y ait une preuve qu'il ait éduqué ses enfants.

Mme Catherine Génisson : Ce devrait être des mesures alternatives. A partir du moment où l'homme en bénéficie, cela suppose que la femme travaille et vice et versa.

M. Hubert Brin : Il faut une justification.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce qui m'ennuie, c'est qu'on ne le dise pas assez. Il faut vraiment insister sur cette justification.

Mme Catherine Génisson : La meilleure justification, c'est que ce soit une mesure prise alternativement par l'homme ou par la femme. Quand l'homme la prend, cela veut dire que la femme travaille et inversement.

M. Patrick Delnatte : C'est la même chose pour le retrait d'activité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Le retrait d'activité, c'est net, alors que d'autres situations ne le sont pas forcément. Il faut des preuves.

Mme Claude Greff : La question se posera, en cas de divorce, s'il y a garde alternée des enfants.

Mme Catherine Génisson : C'est très compliqué. La garde alternée n'est pas reconnue pour les allocations familiales.

Mme Claude Greff : Elle n'est pas reconnue et l'homme ne perçoit rien.

M. Hubert Brin : Non, car l'assurance vieillesse parents au foyer est ouverte dans le cadre de l'allocation parentale d'éducation. Cela veut dire réduction ou cessation temporaire d'activité de l'un des deux parents. Donc, qu'il y ait divorce ou non, si l'un des deux parents bénéficie de l'APJE, je ne suis pas sûr que ce soit suffisant pour vivre. A mon avis, il y a nécessité de reprendre une activité professionnelle. Imaginons que l'allocation parentale d'éducation soit au niveau du SMIC. Si, dans une famille, il y a divorce du couple, celui qui bénéficie de l'allocation parentale d'éducation continuera à en bénéficier demain, donc il bénéficiera de l'assurance vieillesse parents au foyer.

En cas d'APJE ou de complément familial, la situation est à peu près identique, puisque l'assurance vieillesse parents au foyer n'est versée dans le cadre de l'APJE ou du complément familial que lorsqu'il n'y a qu'un seul revenu dans le ménage.

Je ne vois pas quel en sera l'impact sur la question de la retraite.

Mme Claude Greff : Cela mérite d'être réfléchi.

M. Hubert Brin : Pour l'instant, je ne vois pas comment il peut y avoir un impact.

Un couple a trois enfants de 10 à 18 ans. L'épouse est restée à la maison pour élever ses enfants. Elle bénéficie du complément familial. Par rapport à la retraite, si le ménage bénéficie du complément familial, la femme a droit à l'AVPF pendant tout le temps où elle est à la maison. Le mari n'a rien. Le couple divorce. La mère de famille est obligée de reprendre une activité professionnelle. Donc, elle continuera à avoir le complément familial, mais elle n'aura plus l'AVPF.

Mme Marie-Françoise Clergeau : Il est important que les femmes puissent avoir un métier et ne pas perdre le contact avec le travail car, quand on divorce ou quand on se retrouve veuf ou veuve, cela pose des difficultés.

Mme Claude Greff : Dans le cas où elle ne peut pas retrouver de travail, elle ne touche que l'AVPF et le complément familial.

M. Hubert Brin : Elle aura le complément familial, les allocations plus l'allocation de parent isolé pendant un an et ensuite le RMI si elle n'a toujours pas d'activité professionnelle. Se pose également la question de la pension alimentaire.

Mme Catherine Génisson : Je reviens aux allocations familiales pour garde partagée d'enfants ou garde alternée ; il n'y a pas de partage des allocations dans ce cas.

M. Hubert Brin : Non. C'est impossible. Je vais vous faire une autre démonstration, car je peux comprendre cette démarche, mais je ne sais pas comment on pourrait la gérer.

A l'UNAF, nous avons, dans nos discours fondateurs, l'idée que, pour se construire, un enfant a besoin d'un père et d'une mère. Quels que soient les aléas du couple, un couple peut divorcer, mais on ne divorce pas de son enfant. Dès lors que le statut de parents existe, il demeure. Dans le cadre d'une séparation, on va être amené à dire au père, car la plupart du temps c'est lui qui n'a pas la charge permanente de l'enfant, qu'il a été père, qu'il est père, qu'il reste père, donc qu'il doit prendre les moyens de garder des liens parentaux avec ses enfants. Il va nous dire que pour cela il a besoin d'un logement qui soit fonction du nombre de ses enfants. On lui trouve un logement. Il y a le coût du logement. Il va nous poser la question de l'allocation de logement. Sauf à ce qu'on lui calcule une allocation de logement qui soit au prorata du temps que ses enfants passent dans ce logement, auquel cas, on complexifie un peu la gestion, on va être amené à lui dire qu'il y a une allocation de logement qui est effectivement pour un père qui a deux, trois enfants. On calcule l'allocation de logement en fonction de cela. Dans la mesure où il a besoin d'un logement qui soit suffisant pour recevoir ses enfants, on ne peut pas lui laisser la totalité de la charge du logement.

Petit à petit, en détricotant tout ce droit, on va être dans la situation suivante. Je ne porte pas de jugement moral. A ceux qui ont subi ou choisi une séparation, la collectivité devra consacrer presque le double d'argent par rapport à ceux qui ont fait le choix de rester ensemble. Sur cette question, il ne peut pas y avoir d'évolution cohérente s'il n'y a pas un nouveau contrat social.

Mme Catherine Génisson : La situation que vous avez décrite est celle d'un couple qui divorce, avec les enfants d'un côté et le père qui, compte tenu des liens de parentalité qu'il veut garder avec ses enfants, accueille ses enfants selon des conditions qui sont souvent très restrictives. Je vous parle d'une autre solution qui se développe de plus en plus actuellement. C'est soit la garde alternée, où le père et la mère ont les enfants une semaine sur deux, ou la garde partagée, où la fratrie elle-même est séparée. Là, il y a un réel problème. Ce serait à budget constant. On ne demande pas qu'il y ait un budget complémentaire.

M. Hubert Brin : Si vous avez une famille de trois personnes et que, par exemple, deux sont chez la mère et un chez le père, comment gérez-vous le complément familial, l'allocation de logement qui est calculée sur trois enfants et sur les revenus ? On est dans une situation complexe. Mais, je ne nie pas le problème.

Mme Catherine Génisson : Il faudrait l'étudier, car il y a une très grosse évolution du mode de vie des couples qui se séparent.

M. Hubert Brin : Je suis bien d'accord, il y a une vraie difficulté, mais elle est aujourd'hui impossible à gérer, sauf à considérer que ce type de situation peut - et c'est ce qui se passe quand même de temps en temps -, se gérer dans le cadre de la médiation familiale.

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