DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 17

Mardi 26 septembre 2006
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean Gaeremynck, délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, accompagné de Mmes Laurence Richard et Marine Pardessus, chargées de mission à la DGEFP

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Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a prié les représentants de la DGEFP de présenter leur analyse de la précarité des femmes, et plus précisément de développer les thèmes du retour à l'emploi, du travail à temps partiel et des nouveaux services à la personne, dont la plupart des postes sont occupés par des femmes. L'emploi au féminin est une réalité : mais si les femmes accèdent largement à l'emploi, leur quotidien est plus difficile qu'il n'y paraît ; si l'égalité entre les hommes et les femmes n'est plus utopique, la précarité des femmes est profonde. Les pouvoirs publics, insuffisamment conscients de cette réalité, ne pourront néanmoins faire l'économie d'une réflexion et devront même trouver des solutions. Les femmes ont toujours des difficultés au moment de leur retraite mais, pour celles qui ont travaillé à temps partiel, la situation est dramatique : quoique ayant été actives, elles ne touchent guère que le minimum vieillesse. Quel est le sentiment de la DGEFP sur ces questions ? A-t-elle des recommandations à formuler pour résoudre le problème de précarité des femmes, actuelle et surtout future ?

M. Jean Gaeremynck a d'abord rappelé quelques données sur le travail des femmes.

Le taux d'activité des femmes a beaucoup augmenté pour atteindre 46,5 % fin 2005, soit un taux supérieur à celui de la moyenne de l'Union européenne, alors que dans d'autres domaines la France est plutôt à la traîne. L'écart entre le taux de chômage des hommes et celui des femmes s'est sensiblement réduit : il est inférieur à deux points - 8,8 % pour les femmes, 10,5 % pour les hommes -, son plus bas niveau depuis le début des années 1960. Sur les 2,2 millions d'emplois créés depuis 1990, plus de 1,6 million sont revenus à des femmes, dont 520 000 à temps complet, soit le tiers. Pour le reste, il s'agit d'emplois à temps partiel, temps partiel souvent subi par les femmes.

Mme Marine Pardessus a précisé qu'en 2005, 33,5 % des femmes actives occupaient des emplois à temps partiel et que 92,1 % des salariés travaillant à temps partiel étaient des femmes. Entre 2004 et 2005, la précarité féminine s'est développée.

Mme Hélène Mignon a observé que les services à la personne étaient souvent requis à des heures précises - le matin, pour la toilette et la préparation des repas -, ce qui rendait le temps partiel incontournable dans ce secteur, à moins de développer la polyvalence des salariées.

M. Jean Gaeremynck a préconisé que des carrières soient organisées dans le domaine des services à la personne : les métiers doivent se professionnaliser et il faut trouver des formules juridiques pour qu'un même salarié puisse avoir plusieurs employeurs et ainsi travailler à temps complet. L'action de l'Agence nationale des services à la personne (ANSP), la structuration de l'offre et la solvabilisation de la demande, grâce au chèque emploi service universel (CESU), devraient créer une dynamique. La formule du portage par des groupements d'employeurs peut constituer également une solution. Les groupements d'employeur pour l'insertion et la qualification (GEIQ) sont sollicités mais ils n'en sont qu'aux balbutiements sur le thème des services à la personne et se sont plutôt affirmés jusqu'ici dans le secteur du bâtiment.

Mme Laurence Richard a souligné qu'une convention avait été passée avec le Comité national de coordination et d'évaluation des GEIQ (CNCE GEIQ).

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est interrogée sur les délais dans lesquels des résultats étaient espérés.

Mme Laurence Richard a annoncé que les assises de la professionnalisation des services à la personne, en cours d'organisation, se dérouleraient en deux temps : à l'issue d'une phase de bilan et d'analyse de l'état des besoins, une réflexion sur la feuille de route et le plan d'action débutera début 2007.

M. Jean Gaeremynck a relevé qu'il serait paradoxal que le développement des services à la personne accentue la précarité des femmes, alors que leur objectif essentiel était de favoriser l'emploi. Il a indiqué que les employeurs de ce secteur étaient à 80% constitués de particuliers. Des points d'ingénierie juridique restent à mettre au point. Il a proposé qu'une réponse complémentaire soit apportée sur ce point, conjointement avec l'Agence nationale des services à la personne.

Mme Marine Pardessus a indiqué qu'il existait une étude dressant le panorama des emplois et des diplômes existants, de façon à trouver des correspondances et à faire en sorte que les personnes travaillant dans le secteur des services à la personne puissent faire reconnaître leur expérience en s'inscrivant dans une démarche de validation des acquis de l'expérience (VAE).

Mme Hélène Mignon a estimé qu'il était indispensable de trouver des complémentarités horaires entre les différents services à la personne - auprès des personnes âgées, des personnes handicapées ou des enfants dont les parents travaillent - pour que les salariés de ce secteur parviennent à un temps complet ou s'en rapprochent le plus possible.

M. Jean Gaeremynck est revenu sur la VAE, qui fait l'objet d'une mission d'animation interministérielle. La VAE est très concentrée sur certains métiers et diplômes. Pour plus de 70 %, ce sont les femmes qui font acte de candidature pour un accès à la certification par la voie de la VAE. Les métiers d'assistant de vie et d'aide-soignant, dans lesquels les femmes sont surreprésentées, prédominent : en 2005, 14 000 candidatures ont été enregistrées dans le premier et 13 000 dans le second.

Acquérir un diplôme, un titre ou une certification reconnue consolide et sécurise un parcours, une personne qui en est dépourvue éprouvant davantage de difficultés à changer de poste. Et il est vraisemblable que les diplômes ou titres en question favoriseront la complémentarité entre plusieurs emplois à temps partiel.

M. Jacques Remiller a témoigné de l'existence d'une telle complémentarité dans sa commune : plus de la moitié de l'emploi du temps des femmes affectées à la restauration scolaire est consacré à la garde des enfants des écoles et au ménage des classes. Il a estimé nécessaire de continuer dans cette voie.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a jugé que le niveau élevé du temps partiel était le signe d'un problème de gestion. Les bilans n'aboutissent jamais et les femmes concernées vivent une précarité croissante. Dans 80 % des cas, ce sont des femmes qui répondent aux propositions d'embauche à temps partiel.

Mme Laurence Richard a expliqué que, le monde associatif mis à part, la plupart des entreprises qui se lançaient dans les services à la personne étaient de petites structures unipersonnelles. Celles-ci recrutaient d'abord une première assistante de vie à temps partiel car elles commençaient à monter en puissance et avaient du mal à évaluer leur volume d'activité potentiel. Les refus d'agrément des structures sont souvent motivés par leurs moyens humains, insuffisants pour remplir les critères de qualité dans le domaine de la prise en charge des personnes dites « fragiles », âgées ou dépendantes. Ces structures sont vouées à développer leur clientèle et à diversifier leurs activités, ce qui devrait les conduire à augmenter le temps de travail de leurs salariées ; c'est en tout cas à espérer.

M. Jacques Remiller a déclaré que, dans sa fonction de maire, il s'efforçait de diversifier les activités des agents municipaux employés dans les services à la personne afin de lutter contre la précarité. Le Parlement doit légiférer, à moins que les entreprises ne s'organisent.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a considéré que le Parlement avait l'obligation de légiférer pour que la situation des futures retraitées ne soit pas dramatique et ingérable.

Mme Hélène Mignon a déploré que les agents municipaux employés à temps partiel dans la collectivité ne puissent plus, une fois titularisés, compléter leur temps de travail à l'extérieur, ce qu'ils faisaient auparavant.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a incité la DGEFP a faire passer un message visant à améliorer la situation des femmes au travail.

M. Jean Gaeremynck a évoqué un rapport du Centre d'analyse économique (CAE) en préparation sur ce sujet, qui devrait offrir une masse d'informations, notamment par comparaison avec des exemples étrangers. Il s'est référé au système britannique qui connaît moins de chômage et plus de temps partiel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé que, dans le modèle britannique, la gestion de l'emploi sans considération pour la précarité permet certes de produire des statistiques favorables, mais qu'elle génère beaucoup de pauvreté.

Mme Hélène Mignon a souligné que la réflexion publique, en se polarisant sur l'égalité professionnelle entre hommes et femmes, avait négligé les inégalités entre femmes et leurs conséquences sur la vie sociale.

M. Jean Gaeremynck a confirmé que le temps partiel frappait les femmes de façon discriminante selon leur niveau de qualification, mais a refusé de se prononcer sur l'opportunité de légiférer. La pluriactivité est sans doute une piste de solution pour ces salariés, mais il faut l'expertiser techniquement.

Il a observé que les femmes, compte tenu des pesanteurs des orientations professionnelles et de la structure de leurs qualifications, étaient nettement mieux représentées que les hommes dans les contrats aidés du secteur non marchand, conçus spécialement pour aider les personnes en difficulté d'accès à l'emploi.

S'agissant des contrats initiative emploi, contrats aidé du secteur marchand, l'accès des femmes est favorisé par le biais de modulations des aides de l'État, notamment au niveau des taux, dans le cadre d'une enveloppe unique régionale et pilotée par le préfet : dans une douzaine de régions, le préfet a fixé des taux spécifiques en faveur des femmes. Il conviendrait d'approfondir l'analyse en se plongeant dans une analyse par région. Les données disponibles aujourd'hui restent un peu générales mais la DGEFP est engagée dans un dialogue de gestion avec les directeurs régionaux du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de toutes les régions afin d'analyser leurs plans d'action respectifs.

Il a souligné la nécessité d'une analyse différenciée car la situation de nombreuses femmes sur le marché de l'emploi et en matière d'accès aux formations est bonne ; tout dépend des qualifications.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a insisté sur le fait que, pour un très grand nombre de femmes, l'ascenseur social ne fonctionnait plus.

Mme Hélène Mignon a souligné qu'il était également bloqué pour les enfants des femmes percevant un petit salaire et travaillant à temps partiel, car elles n'ont jamais l'esprit libre et ne sont pas disponibles aux horaires où leurs enfants ont besoin d'elles. Elle a pris position en faveur de mesures d'accompagnement social.

Mme Marine Pardessus a vanté les mérites de la loi sur l'égalité salariale, qui comporte plusieurs mesures positives en faveur des femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a objecté que si ce texte contenait d'excellentes mesures, comme celles concernant le congé de maternité dans les petites et moyennes entreprises, il se bornait en fait à transposer des directives européennes. Pour améliorer la condition des femmes, il aurait fallu commencer par appliquer de manière pragmatique la loi de 2001 sur l'égalité professionnelle, en lui apportant les correctifs nécessaires, notamment pour les petites et moyennes entreprises. Elle a confié qu'elle sortait extrêmement inquiète de deux mois et demi d'immersion totale dans sa circonscription : la situation des femmes est mauvaise, surtout dans les familles monoparentales.

M. Jean Gaeremynck a confirmé que les mères de familles monoparentales étaient très dépendantes vis-à-vis du temps partiel.

Il a également observé que l'emploi féminin est très fortement concentré sur une dizaine de secteurs professionnels. L'enjeu consiste à faire accéder les femmes à d'autres secteurs d'activité, notamment à travers des actions ciblées de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). Seules quelques milliers de femmes seront touchées, mais cela permettra de lancer le mouvement en faveur du désenclavement des femmes. Le sujet peut du reste être relié à celui de l'orientation : les femmes, au cours de leurs études, n'ont sans doute pas accès à une gamme suffisante de filières d'études ou de formations professionnelles.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a dénoncé l'autocensure familiale ainsi que les écarts de salaires à diplôme égal lors de l'embauche, notamment pour les jeunes sortant d'une école d'ingénieur.

M. Jean Gaeremynck s'est dit surpris que de tels écarts existent encore de nos jours : vu la combativité des filles et leur comportement scolaire - notamment chez celles qui sont issues de l'immigration -, la situation va nécessairement évoluer.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a douté de la justesse de cette prédiction, dont elle était pourtant convaincue voici deux ou trois ans.

M. Jean Gaeremynck a indiqué que l'orientation était un thème d'action publique : pourquoi les femmes devraient-elles rester relativement sous-représentées dans les métiers scientifiques ou commerciaux par rapport aux métiers traditionnellement féminins ? La fonction publique, de ce point de vue, est pionnière ; le processus y est déjà largement amorcé. Le problème de la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle est prégnant mais de nouvelles pistes s'ouvrent avec la réduction du temps de travail ou les services de garde des tout-petits.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a répondu que la situation n'était pas si simple : lorsqu'une femme se présente à l'embauche sur un poste de cadre, le directeur des ressources humaines (DRH) lui demande si elle vit maritalement et si elle veut des enfants. Cette question ne serait jamais posée à un homme ! Toute la société n'a pas évolué, et Paris n'est pas la province.

M. Jean Gaeremynck ayant demandé si une femme DRH se comporterait de la sorte, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a estimé que oui, car elle se sera battue pour obtenir son poste.

M. Jean Gaeremynck a ajouté que la création d'entreprise était un domaine intéressant. Sur les 200 000 entreprises créées récemment, 30 % l'ont été par des femmes. Elles ont bénéficié des aides de l'État, d'un fonds de garantie spécifique ainsi que des réseaux d'aide et d'accompagnement des créateurs. La situation très contrainte conduit ainsi des femmes à se placer en dehors de l'entreprise. À cet égard, la création de sa propre activité constitue une piste intéressante. La France a intérêt à affermir encore ce point fort.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est dite très préoccupée par la place des femmes dans la société et a jugé indispensable d'émettre quelques recommandations pour consolider les acquis des femmes dans le domaine de l'emploi, de la formation ou de la création d'entreprise. C'est un perpétuel recommencement.

M. Jean Gaeremynck s'est également engagé à fournir des informations sur la formation professionnelle. D'une façon générale, les femmes accèdent autant que les hommes à ces dispositifs. Au bas de l'échelle, les formations de base - lutte contre l'illettrisme, ateliers de pédagogie personnalisée, rattrapage des fondamentaux - font spontanément une très large place aux femmes. Mais les femmes qui accèdent mal aux formations sont celles qui présentent les qualifications les plus modestes.

Mme Marine Pardessus a abondé dans ce sens : la différence entre les femmes cadres et les autres est flagrante.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a exprimé son souci de rétablir l'égalité entre les femmes. Pour se rapprocher au plus près de la problématique des femmes, le ministère chargé de l'emploi devrait orienter sa réflexion dans cette direction.

M. Jean Gaeremynck a expliqué qu'il était dans l'impossibilité de porter une appréciation générale sur la spécificité des femmes dans le service public de l'emploi, qui répartit les chômeurs en trois parcours : parcours 1, les personnes ayant une bonne perspective de retour à l'emploi ; parcours 2, celles présentant un profil plus standard ; parcours 3, celles qui sont les plus éloignées du marché du travail. Il n'est pas certain que les femmes soient plus représentées dans les parcours 3. La DGEFP a fixé des indicateurs spécifiques différenciant hommes et femmes, qui portent notamment sur la sortie du chômage des chômeurs de très longue durée. Les résultats obtenus montrent que le service public arrive à relever le défi de la prise en compte de la question des femmes. L'embellie actuelle sur le marché de l'emploi profite aux catégories les plus en difficulté : les jeunes, les seniors et les femmes, notamment les chômeuses de longue durée.

Mme Laurence Richard a précisé qu'un observatoire serait mis sur pied pour mesurer les retombées du dispositif.

M. Jean Gaeremynck a signalé que 130 000 personnes avaient fait valoir leur droit individuel à la formation (DIF) en 2005, mais qu'il ne connaissait pas les pourcentages respectifs d'hommes et de femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé que la France n'avait pas encore pris l'habitude de sexuer les données, alors que la fourniture de données sexuées permettrait de mettre en lumière les discriminations.

M. Jean Gaeremynck a noté que 260 000 jeunes étaient entrés en apprentissage en 2005. Les contrats d'apprentissage, excellentes formations de base, concernaient des garçons à 70 %. L'apprentissage étant en plein essor, la proportion féminine augmente légèrement, mais sera-t-il possible d'accentuer le mouvement ?

Le contrat de professionnalisation est également un succès. 116 000 ont été conclus en 2005. La DGEFP ne dispose pas encore des chiffres pour les femmes et de leur évolution mais elle se les procurera.

Enfin, sur les 90 000 personnes entrées dans une démarche de validation des acquis de l'expérience en 2005, 65 % étaient des femmes et nombre d'entre elles devraient sortir de la précarité. Les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) rencontrent toutefois des problèmes de force de travail pour traiter les dossiers.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié la DGEFP pour son travail.

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