Assemblée nationale - Sénat

Office parlementaire d'évaluation
des choix scientifiques et technologiques (OPECST)

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Compte rendu

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Mercredi 7 janvier 2004

Réunion du Conseil scientifique

Présidence de M. Claude BIRRAUX, député, président de l'Office.

Composition du Conseil scientifique

de l'Office parlementaire d'évaluation

des choix scientifiques et technologiques

M. Daniel CARIOLLE, directeur de la Recherche, Météo France

M. Pierre CASTILLON, ancien président fondateur de l'Académie des technologies

Mme Anny CAZENAVE, Laboratoire d'Etudes en Géophysique et Océanographie spatiales (LEGOS)

M. Hervé CHNEIWEISS, directeur de recherche, directeur du groupe de neuro-oncologie moléculaire et clinique, Collège de France

M. Yves COPPENS, membre de l'Institut, professeur au Collège de France

M. Hubert CURIEN, ancien ministre

M. Jean-Marie EGLY, directeur de la recherche, Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC)

M. Jean-Pierre FINANCE, Laboratoire lorrain de recherches en informatique et ses applications

M. François GOUNAND, directeur des sciences de la matière, Commissariat à l'énergie atomique

M. Laurent GOUZENES, directeur du Plan et des Programmes d'Etudes, ST Microelectronics SA

Mme Sylvie JOUSSAUME, directrice des sciences de l'univers, Centre national de la recherche scientifique

M. Axel KAHN, directeur de l'Institut Cochin

M. Etienne KLEIN, physicien, Commissariat à l'énergie atomique

M. Daniel KOFMAN, Télécom Paris, Ecole nationale supérieure des télécommunications

M. Jean-Claude LEFEUVRE, professeur au Museum national d'histoire naturelle, Président de l'Institut français de la biodiversité

M. Jean-Claude LEHMANN, président de l'Académie des technologies, directeur de la recherche à Saint-Gobain

M. Jean-Marie LEHN, professeur au Collège de France

M. Jean-François MINSTER, président directeur général de l'Institut français de recherche pour l'exploitation des mers (IFREMER)

M. Georges PEDRO, secrétaire perpétuel de l'Académie d'agriculture de France, membre correspondant de l'Académie des Sciences

M. Michel PETIT, Conseil général des technologies de l'information, président de la section scientifique et technique

M. Joël de ROSNAY, conseiller du président, Cité des sciences et de l'industrie

Mme Annie SUGIER, directrice à la protection, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

M. Jean THERME, directeur de la recherche technologique, directeur du CEA Grenoble

M. Dominique WOLTON, directeur de recherche, directeur du laboratoire information, communication et enjeux scientifiques, Centre national de la recherche scientifique.

La séance est ouverte par le Président de l'Assemblée nationale, Monsieur Jean-Louis DEBRÉ.

Monsieur le Président de l'Office, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs les Académiciens, Mesdames et Messieurs les Professeurs, chers amis, je suis particulièrement heureux d'ouvrir votre rencontre annuelle entre les membres de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques et les membres de son Conseil scientifique.

Permettez-moi tout d'abord de vous souhaiter la cordiale bienvenue, ici à l'Assemblée nationale, et de vous présenter, puisqu'il en est encore temps, mes vœux les plus chaleureux pour cette année 2004.

Cette année 2004 commence d'ailleurs très bien pour notre Office, avec ce colloque, si j'en juge par la qualité de notre assemblée ici réunie et par la hauteur des propos qui ne manqueront pas d'y être tenus.

Je suis impressionné, non seulement par les éminentes compétences que regroupe le Conseil scientifique de notre Office. Mais impressionné, je le suis aussi et principalement par la volonté qu'il exprime de traduire toute la diversité du champ scientifique et technologique.

C'est un tour de force, tant l'exhaustivité en la matière n'existe pas car la science ne cesse d'évoluer. C'est le signe d'une ouverture de notre Office sur la société civile. C'est la preuve surtout d'un dialogue de très haut niveau sur des dossiers très complexes, un dialogue où le législateur a souhaité manifester dès la création de l'Office par la loi du 8 juillet 1983, à la suite d'un vote unanime du Parlement, sa volonté de voter la loi en toute connaissance de cause, quelle que soit précisément la complexité des questions abordées dans notre hémicycle.

En premier lieu, je souhaite remercier toutes les personnalités sollicitées qui ont accepté de faire partie du conseil scientifique de notre Office. Elles rendent service au Parlement et, à travers lui, elles rendent service à la France.

De par la diversité de vos compétences, Mesdames et Messieurs, vous contribuez à conforter les missions essentielles de l'Office. Vous permettez à notre Office de répondre à sa raison d'être qui est de constituer un intermédiaire entre le monde politique et le monde de la recherche.

En second lieu, je souhaite rendre hommage ce soir à tous mes collègues députés et sénateurs qui ont accepté de siéger au sein de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Les élus que nous sommes se doivent toujours d'être à l'écoute des milieux scientifiques et de la recherche. Nous devons sans cesse avoir à l'esprit cette sollicitation des avis les plus autorisés et les plus experts.

Je salue tout d'abord l'action du Président Claude Birraux et sa manière exemplaire de conduire efficacement les travaux de l'Office dans le droit chemin de son éthique. J'associe, d'ailleurs, à cet hommage, M. Jean-Yves LE DÉAUT, M. Henri REVOL et tous leurs prédécesseurs.

Quelle est cette éthique ? Il s'agit de la même exigence de vérité, comme dans la démarche scientifique, de la quête d'objectivité . Il s'agit de placer nos rapports sous le signe du respect et de la tolérance. Il s'agit, enfin, de protéger l'Office des querelles et d'en faire le cénacle du débat dans toute sa sérénité et avec toute la hauteur de vue intellectuelle requise.

L'Office représente une structure originale au sein du Parlement. Cette originalité, cette singularité, il nous revient de les préserver, car c'est toute la richesse de vos échanges qui se reflète dans les divers rapports publiés par l'Office. J'en veux pour preuve le caractère consensuel de presque toutes les décisions de l'Office prises le plus souvent à l'unanimité. J'en veux aussi pour preuve un Office devenu un interlocuteur reconnu de la communauté scientifique, même au niveau international.

Le consensus n'est pas toujours possible, nous autres hommes politiques sommes bien placés pour le savoir ! On pourrait même aller jusqu'à extrapoler en définissant la démocratie comme étant une absence de consensus qui s'exprime concrètement, physiquement, sur les bancs de notre hémicycle avec une majorité et une opposition.

L'absence de consensus est, certes, une des évidences mêmes du débat parlementaire. Mais toute la force de notre Office et de son conseil scientifique, toute la singularité dont je parlais tout à l'heure, résident précisément dans cette volonté unanime d'éclairer le Parlement en toute indépendance sur des questions très pointues.

Cette indépendance d'esprit, nous en avons besoin chaque jour davantage et le législateur plus que tout autre citoyen.

Les titres de vos rapports expriment souvent de manière éloquente toute la difficulté et toute l'utilité d'un éclairage objectif du législateur sur toutes ces questions que d'aucuns qualifieraient un peu rapidement de "questions de spécialistes". Mais questions de spécialistes ne veut pas dire questions réservées aux seuls spécialistes !

Et de fait, l'une des vertus les plus exemplaires de notre Office réside dans cette volonté de réaffirmer la prééminence du politique dans toute sa noblesse, quel que soit le caractère parfois ardu du débat parlementaire. Le spécialiste ou l'expert éclaire et conseille, le politique élu par le peuple décide. Surtout quand nos votes engagent les génération futures.

Cher Président Birraux, mes chers amis,

Ouvrir vos travaux, c'est vous dire d'abord toute ma joie d'être en votre compagnie.

Mais c'est aussi et principalement vous exprimer la grande fierté de toute l'Assemblée nationale de posséder un tel outil de travail. Cette fierté, je l'éprouve en m'exprimant devant des spécialistes aussi éminents. Une assemblée regroupant d'éminents spécialistes qui acceptent de mettre leurs compétences au service de la démocratie. Soyez en profondément remerciés.

Pour marquer toute l'importance de la place, à mes yeux, de l'Office dans le fonctionnement de nos institutions, je forme le vœu que nous puissions prochainement célébrer avec toute la solennité qui s'impose près de 20 années d'existence de l'Office.

Enfin et aussi, je forme le vœu, en guise de conclusion, de voir se poursuivre et s'intensifier le dialogue entre le politique et le scientifique. La France et nos sociétés modernes en ont grandement besoin. Nous avons besoin de ces passerelles et nous avons l'outil que constitue l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques.

A nous, politiques, d'en faire bon usage grâce à la diversité des saisines. A vous, experts et scientifiques, d'y contribuer en l'enrichissant de vos connaissances.

Je vous remercie.

M. Claude BIRRAUX, Président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques - Monsieur le Président de l'Assemblée nationale, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil scientifique, mes chers collègues,

Monsieur le président de l'Assemblée nationale, en venant ouvrir cette réunion, vous faites, dans notre jargon parlementaire, « précédent ». C'est en effet la première fois depuis la création de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, voici maintenant vingt ans, que le président d'une assemblée parlementaire se rend à une de ses réunions.

Par votre présence, vous témoignez, Monsieur le Président, du rôle indispensable que le législateur entend confier à l'Office, éclairer les choix à caractère scientifique et technologique du Parlement.

Cette mission qui nous est confiée m'apparaît plus nécessaire que jamais à un moment où les interrogations sur les développements scientifiques se font toujours plus nombreuses. Ces interrogations rendent encore plus indispensable une information démocratique, je veux dire une information qui résulte de travaux approfondis, publics et contradictoires face aux conséquences trompeuses d'une information par trop médiatique.

Et nous sommes à cette interface entre les politiques et les scientifiques. Mais nous devons, nous politiques, assurer une autre interface vis-à-vis des citoyens, de la société, de l'interrogation de ces citoyens, pour nous approprier un petit peu de votre connaissance, pour mieux expliquer les décisions que nous serons amenés à prendre.

Votre présence aujourd'hui, Monsieur le Président, vient nous conforter dans notre mission. Au nom de mes collègues parlementaires, sénateurs et députés confondus au sein de l'Office, je vous remercie profondément et de tout cœur de l'honneur que vous nous faites.

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil scientifique, si votre rencontre avec les membres de l'Office s'inscrit dans la continuité de nos rendez-vous, elle n'en fait pas moins elle aussi précédent. Hier, vous étiez 15 conseillers, vous êtes aujourd'hui 24. Cette augmentation du nombre des conseillers pour laquelle mes collègues Henri REVOL et Jean-Yves LE DÉAUT, ici présents, ont beaucoup œuvré, permet de diversifier les disciplines et par là-même d'accroître son efficacité.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie au nom de mes collègues, d'une part les anciens qui ont accepté de poursuivre la route avec nous, et d'autre part, les nouveaux, venus s'engager à nos côtés.

Au cours des trois années de votre mandat, ouvert le 12 novembre dernier, date de votre nomination par l'Office, vous serez appelés à apporter votre concours à nos rapporteurs pour les conseiller dans les études de faisabilité, études préalables à l'engagement de tout rapport. Vous serez ensuite invités à suggérer des noms d'experts susceptibles d'apporter leur collaboration à l'Office et, le cas échéant, à formuler des avis sur la valeur scientifique de leurs travaux. Vous aurez, enfin, à appeler notre attention sur les sujets et domaines susceptibles de donner lieu à des évaluations par l'Office. Comme vous pouvez le mesurer, votre mission d'assistance au politique, dont la responsabilité sur les rapports est naturellement seule engagée, est lourde. C'est dire la confiance que nous mettons en vous. Je vous rappelle que l'originalité de l'Office parlementaire français est d'être 100 % parlementaire. Ce sont les parlementaires qui engagent les études, les parlementaires qui présentent les rapports, qui engagent leur responsabilité sur les conclusions et sur les recommandations, à la différence de nombre d'organisations de ce type, qualifiées, à mon sens improprement, d'offices parlementaires, et où les parlementaires sont seulement membres du conseil d'administration et où est confié à des consultants le soin de rédiger les rapports et de répondre aux questions à la place des parlementaires.

Je crois que la différence est fondamentale et ce qui marque peut-être le succès de notre Office parlementaire est cet engagement considérable, intellectuel, moral et physique, car c'est une épreuve pour chacun des rapporteurs de prendre sur son temps pour se consacrer pleinement à son immersion dans son rapport avec tous ceux qui l'assistent.

Pour l'heure, notre réunion sera consacrée au dernier aspect de votre mission, votre rôle d'alerte sur les sujets susceptibles de donner lieu à évaluation dans le cadre de rapports ou de débats, à l'occasion de manifestations exceptionnelles, comme cela pourrait être le cas, ainsi que l'a rappelé notre président, pour le vingtième anniversaire de l'Office parlementaire.

Je vais donc donner la parole à chacun d'entre vous, pour que vous nous présentiez les sujets qui vous paraissent les plus importants pour les années à venir. Je vous demande d'être brefs afin que chacun puisse s'exprimer et que les membres de l'Office puissent réagir à vos propos. Je précise, à l'intention de Monsieur le Président, que nous n'avons pas l'intention de bousculer la loi qui fait que nous ne pouvons pas nous autosaisir.

Lorsque nous aurons discerné des sujets d'importance capitale, nous pourrons demander soit l'assistance des présidents de groupe, soit l'assistance des commissions permanentes, soit celle des bureaux de nos assemblées pour nous saisir, pour enclencher un rapport.

Je vous remercie de votre attention et je vais ouvrir la discussion à laquelle nous pouvons consacrer environ deux heures. Cela vous convient-il ? Je vais vous libérer, Monsieur le Président de l'Assemblée nationale, après vous avoir remis deux exemplaires des résumés de rapports récents réalisés par l'Office.

Monsieur le Président de l'Assemblée nationale - Merci et bonne séance.

M. le Président de l'Office - Je vous propose que nous débutions cette séance en suivant l'ordre du tour de table.

M. Daniel CARIOLLE. - Je vous remercie. Ma spécialité est d'être conseiller à la direction de Météo France. Ce qui nous préoccupe est le lien entre les changements climatiques et le développement durable. Nous avons, cet été, connu un épisode extrême, qui a eu des impacts importants sur la santé des populations. Nos simulations numériques tendent à prouver qu'un été comme celui-là pourrait se rencontrer une fois sur trois d'ici les années 2020-2050.

Il est clair que les impacts sont difficiles à cerner. Ils sont dans le domaine de la santé mais aussi dans de nombreux autres domaines. Il me semble, sans vouloir préciser un axe particulier, que toutes les études qui permettent d'anticiper ces impacts sur l'ensemble des secteurs économiques et de santé sont importantes pour l'avenir.

M. le Président de l'Office - Le sénateur DENEUX qui a établi un rapport sur les conséquences éventuelles d'un changement climatique doit se réjouir que son travail soit d'une actualité toujours "brûlante".

M. Pierre CASTILLON. - Merci Monsieur le Président. J'ai été le président fondateur de l'Académie des Technologies. Beaucoup de sujets sont à évoquer en commun avec l'Office parlementaire. J'étais plus récemment l'un des membres du comité des sages dans le débat sur l'énergie qui s'est déroulé en 2003.

C'est plutôt sur ce thème-là que je pourrais vous apporter ma contribution, notamment sur les sujets de recherche de nouvelles technologies sur les énergies. Mais, ce qui paraît peut-être désuet par rapport aux nouvelles technologies, je porterai un intérêt particulier aux technologies considérées comme déjà anciennes, qui ont pourtant une grande importance, les énergies fossiles. Mon métier a été le génie chimique appliqué à l'industrie. J'ai également côtoyé les personnes de la géologie et de la géophysique.

Je ne voudrais pas qu'on abandonne, alors que les énergies fossiles resteront encore présentes pendant plusieurs décennies, l'idée que l'on peut améliorer considérablement les taux de découverte, les taux d'exploration, les taux de production, les taux de récupération. En effet, lorsqu'on regarde les sujets de recherche qui sont étudiés un peu partout en Europe, on constate que ces énergies sont plutôt classées dans les énergies du passé, alors que ce sont des énergies présentes pour les cinquante années à venir. Mon propos n'est pas classique et on a plutôt tendance à l'oublier.

Par ailleurs je m'occupe au conseil scientifique de défense d'un thème sur les énergies qui sont plus prospectives, c'est-à-dire les énergies embarquées sur des engins de faibles dimensions. C'est un sujet sur lequel beaucoup de nouvelles technologies interviennent.

Mme Anny CAZENAVE. - Je suis chercheur, plus spécialement intéressé dans l'utilisation des observations spatiales, pour l'étude de la planète en général. Dans le passé, je me suis beaucoup intéressée à la Terre « solide ». Depuis quelques années, je m'intéresse à l'océan et à l'hydrologie continentale.

J'ai trois sujets d'étude. Ils pourraient faire l'objet d'études par l'Office parlementaire mais ils ne sont pas obligatoirement liés à ma spécialité.

Le premier est l'impact du changement climatique sur l'hydrologie, le problème des épisodes des précipitations intenses, les inondations, l'étude des risques et la prévention.

J'ai regardé la liste des sujets de recherche depuis une dizaine d'années et je n'ai pas vu d'étude sur le problème des risques d'inondation en France et plus spécifiquement sur les épisodes récurrents qui affectent le bassin du Rhône. C'est un sujet qui me paraît intéressant et qui pourrait être étudié par l'Office parlementaire.

Les deuxième et troisième sujets sont des sujets plus généraux qui m'intéressent personnellement.

Le deuxième sujet porte sur une réflexion qui devrait avoir lieu à l'échelle nationale. C'est le problème de la désaffection des jeunes pour les études scientifiques et techniques en France et à l'étranger. C'est un phénomène mondial. Les causes ne sont pas claires. J'ai entendu diverses raisons. Elles ne sont pas les mêmes en France et à l'étranger. Les causes et les remèdes sont un problème d'actualité que l'Office parlementaire devrait examiner.

Enfin, le troisième sujet possible est plus polémique. Nous dirigeons-nous vers des universités de recherche en France ? Nous constatons des analyses des mécanismes de blocage. Pourquoi ne peut-on pas réformer les structures de recherche dans notre pays ?

M. le Président de l'Office - C'est un très bon sujet qu'il faudrait aborder.

M. Hubert CURIEN. - J'approuve tout à fait les propos de ma voisine, Anny CAZENAVE. Pour les priorités, je crois que nous devons nous réjouir, nous les chercheurs, des déclarations du Président de la République qui place la recherche dans les priorités. Mais s'il vous plaît, Messieurs les parlementaires, faites en sorte que ces priorités orales deviennent des priorités de fait. C'est tout à fait essentiel.

La première démarche est de déclarer les priorités, la seconde démarche est d'assumer la situation de telle sorte que cette priorité devienne une réalité. Ce n'est pas un reproche, ni une critique, mais une prière.

J'essaie de citer les sujets de recherche qui sont d'une actualité évidente pour la société et dans lesquels nous, chercheurs français et européens, avons de très bons atouts.

Le premier point est le traitement de l'information. Nous avons une réputation en mathématique qui n'est pas du tout surfaite. Tout le monde reconnaît que la France est un creuset des mathématiques à nul autre pareil. L'une des plus évidentes applications des mathématiques est le traitement de l'information. Faisons un effort sur ce point. Nous avons des personnes confirmées et des personnes jeunes. Ce sont de très belles technologies et une très belle science à développer.

M'exprimant après Mme CAZENAVE, je voudrais souligner que nous ne pouvons, Français et Européens, être absents des grandes études essentielles, fondamentales sur la structure de l'univers et la structure ultime de la matière. Je les mets ensemble. Il faut savoir de quoi est faite la matière et comment, à partir de cette matière, s'est construit l'univers. Nous avons là aussi de bons atouts. Il n'est pas toujours absolument évident qu'il faille des programmes onéreux - même s'il en faut - mais il faut aussi que de véritables vocations se distinguent et l'accent doit être mis là-dessus.

Le troisième point qui est plus proche de nos concitoyens est celui des matériaux. Nous en parlons depuis cinquante ans mais ce sujet n'est pas du tout épuisé. A chaque occasion on découvre la nécessité d'avoir des matériaux avec des propriétés spécifiques et plus encore avec des combinaisons un peu nouvelles de propriétés diverses. Un matériau qui est mauvais conducteur de la chaleur peut être bon conducteur d'électricité. Pour l'instant, nous ne connaissons que le diamant qui ait cette propriété.

Un autre point évoqué est les ressources énergétiques. Un véritable effort de recherche fondamentale et technique doit être fourni. Parce que toutes sortes de contrevérités traînent ici et là, comme quoi ceci pollue, telle énergie est bientôt épuisée... Il ne suffit pas de parler de moulin à vent pour signaler que nous aurons résolu l'énergie de base : il faut regarder de très près. Nous avons parlé de matériaux fossiles. Il faut parler de toutes les formes d'énergie dans un esprit ouvert et scientifique et non pas dans des déclarations grandiloquentes. Ce sujet fait intervenir des connaissances fondamentales sur la matière.

D'autre part, un superbe sujet de développement est le génie des procédés. Autrefois on parlait de génie chimique. Aujourd'hui on élargit le sujet en parlant de génie des procédés. Nous avons de très bons laboratoires qui s'occupent de génie des procédés. Nous devrions pouvoir les aider davantage avec les applications que nous pouvons facilement imaginer. Je ne dis rien sur la biologie car des experts sont parmi nous et nous en parleront.

M. Jean-Marc EGLY. - Je suis chercheur à l'Inserm. Je ne suis pas directeur d'une unité, ni président du conseil scientifique. Mais je suis uniquement membre de certains conseils scientifiques en France et à l'étranger, tels l'institut Curie, la Fondation de l'ARC.

Comme beaucoup j'entends parler de grands projets, de programmes, c'est tout à fait merveilleux. Mais il faudrait parler des chercheurs. Ce n'est pas la peine d'établir des programmes si on ne pense pas aux hommes. Si la priorité n'est pas de former avant tout des scientifiques, ce n'est pas la peine de discuter autour de cette table. Je rappelle les chiffres. Un chercheur employé à l'Inserm à 30 ans reçoit un salaire de 1 500 euros par mois. Trouvez-vous ce salaire motivant ? Peut-être en travaillant 35 heures par semaine, mais, à ce rythme, le travail avancerait peu, on ne peut pas faire de découvertes.

Messieurs les députés, Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les scientifiques, nous devons décider d'une étude pour attirer les jeunes vers la recherche. En biologie, des personnes sont excellentes, des enseignants aussi. Mais depuis dix ans, le niveau diminue de plus en plus. A Strasbourg, nous recrutions dans tout l'Est, dans tout le Nord-Est et même dans la région parisienne, on recrutait les majors des maîtrises ou des écoles. A présent, on ne recrute plus personne ou bien les étudiants recrutés sont à Limoges, à Poitiers, voire même en Pologne. Cela devient plus que sérieux. J'étais président du conseil scientifique du Génoscope, mais ce n'est pas la peine d'en discuter si vraiment rien n'est construit pour essayer de motiver les jeunes et de les intéresser à la recherche.

M. le Président de l'Office - C'est un sujet important.

M. Axel KAHN. - Je commencerai par proposer un sujet de cet ordre-là et j'irai dans la même ligne que celle abordée par Mme CAZENAVE, par M. CURIEN et par M. EGLY. La situation est très préoccupante. Je n'ai pas abordé cette question auparavant. Je dirige un des gros instituts de ce pays. A l'heure actuelle, les équipes, même lorsqu'elles restent compétitives, vieillissent. Un nombre croissant de jeunes part. Ils sont en nombre décroissant à s'engager dans la recherche. Parmi ce nombre décroissant, les meilleurs se voient proposer des carrières plus intéressantes mais surtout des moyens de recherche qui leur permettent de beaucoup mieux suivre leur passion à l'étranger, si bien que la perte de ces talents s'accroît dans des proportions très importantes. Et rien ne sera efficace demain s'il n'existe pas de talent, de passion, de volonté.

Tout me semble relativement subalterne par rapport à cette angoisse qui est tout à fait réelle. Je comprends les difficultés d'un pays qui peuvent à un moment donné amener à des tensions sur les budgets. Mais je pense que nous sortirons des difficultés actuelles. Mais si nous en sortons dans deux ou trois ans, et si aucune passion ou talent n'existe pour utiliser ces crédits, ce ne sera pas efficace et ce sera un gaspillage.

En résumé, comme l'a dit Mme CAZENAVE, le nombre des engagements dans les carrières scientifiques décroît de manière importante, 30 % dans les filières en chimie, en physique et même maintenant en biologie. Parmi eux, depuis peu, le nombre de ceux qui s'engagent dans la recherche scientifique diminue. Parmi ceux qui s'engagent, le nombre de ceux qui restent à l'étranger augmente. Et ceci pour des raisons de remise en question de la valeur sociale, morale de la science et de contestation du progrès.

De même, si le but est de gagner de l'argent, on en gagne mieux par la communication que par la création. Créer de la science est la manière la plus difficile et la moins rentable de gagner sa vie.

De plus, les personnes qui, par passion, travaillent dans la recherche aujourd'hui, ont l'impression qu'elles auraient plus de chances de l'emporter dans la compétition ailleurs qu'ici. C'est un véritable cri d'alarme. La situation est dramatique, tragique. Elle peut devenir, si elle perdure, difficilement réversible.

Par ailleurs, je voudrais aborder d'autres points qui me semblent secondaires vis-à-vis de cette angoisse que je ressens et compte tenu de mes fonctions également.

Je pense qu'il serait bien que les parlementaires se saisissent de grands problèmes qui sont à la fois de santé publique, qui font partie de l'attente, de la passion, des incertitudes, des incohérences des médias et de la communication. La grande question sur la santé est l'alimentation qui me semble une question intéressante à aborder. Des régimes provoquent des maladies cardiaques, de l'artériosclérose, de l'obésité. L'alimentation est probablement l'un des déterminants les plus importants de l'altération de la santé et je ne parle pas du risque alimentaire.

Mais peu d'études sont réalisées. L'épidémiologie est insuffisante. Peu d'études avec les méthodes objectives qui caractérisent la démarche et la volonté de proposer un dessein scientifique sont mises en œuvre aujourd'hui. Ce serait bien de se pencher sur cette question. Et j'ajouterai la nécessité de se pencher sur l'insuffisance de la recherche en épidémiologie. C'est l'un des domaines dont la santé, le cancer et les maladies nutritionnelles pourraient bénéficier. Je reviens sur le caractère dramatique de ma première interpellation.

M. le Président de l'Office - Merci professeur. Je me permets un petit souvenir que j'ai eu en tant que rapporteur de l'Office. J'avais eu quelques conversations musclées avec un ancien directeur général de la santé, le professeur GIRARD, qui m'avait soutenu que l'année d'après, il se consacrerait à l'épidémiologie. C'est une science extrêmement difficile.

Dans une conférence, j'ai beaucoup déçu une Japonaise. Depuis vingt ans, elle suivait des échantillons de personnes, suivant leur vie sur certaines disciplines ou activités industrielles, entre des femmes qui avaient visité un hôpital, une usine, une centrale nucléaire et celles qui n'en avaient jamais visité. Dans un cas, 480 personnes étaient considérées et dans l'autre cas 54. Je lui ai répliqué que l'épidémiologie est une science difficile et qu'au moins le nombre de personnes dans chacun des groupes devait être équivalent pour en tirer un enseignement. Mais toujours une personne vous répondra qu'on ne verra rien. La question est de savoir s'il faut investir pour ne rien voir. C'est difficile à faire accepter, y compris à quelques scientifiques, que la conclusion peut se résumer ainsi : il ne s'est rien passé.

M. Etienne KLEIN - C'est difficile de prendre la parole après Axel KAHN. Je reprendrai volontiers les propos émis sur l'état de la situation. Je suis chercheur au CEA, à la direction des sciences de la matière. Je suis également enseignant à l'Ecole Centrale. Je constate depuis quelques années la difficulté grandissante que nous avons à attirer des étudiants vers la recherche, même s'ils sont passionnés par différentes disciplines.

Pour ce qui est des sujets à placer sur le devant de la scène, j'en perçois deux. A la direction des sciences de la matière du CEA, nous nous intéressons à la structure de la matière à toutes les échelles. Ce travail requiert de très grands instruments, des accélérateurs, des réacteurs à finalités diverses, ou différents instruments astronomiques qui coûtent cher. On ne peut pas toujours se targuer d'avoir des retombées pratiques concrètes rapidement, de surcroît on n'a pas des retombées en terme de culture scientifique générale qui soient consistantes, ce qui fragilise ce travail, d'autant que de moins en moins d'étudiants sont attirés dans ce domaine.

On peut parler d'un échec relatif de la vulgarisation, qui a pourtant été intensivement menée depuis une vingtaine d'années. Nous avons l'impression que la percolation ne fonctionne pas. Ce qui fragilise ce type de projet dans une société très médiatique qui a toujours le souci que les entreprises qu'elle lance aient des retombées perceptibles par les citoyens.

Nous pouvons penser, et c'est d'ailleurs ce qu'avancent certains directeurs d'école, que la physique est une science du passé. Je voudrais faire remarquer que la matière, qui est étudiée au XXe siècle, ne représente que 4 % du contenu de l'univers et nous ignorons la nature des 96 % qui restent, qu'il s'agisse d'énergie noire ou bien de matière noire. Sans doute, ce qui va advenir dans les disciplines telles la physique des particules et la cosmologie sera gigantesque. Ce ne sont pas des sciences usées ou vieillissantes. Elles ont un grand avenir devant elle, à condition qu'on leur en donne les moyens.

Le deuxième sujet concerne la physique quantique, développée au XXe siècle, qui a permis de comprendre cette matière à toutes les échelles. Aujourd'hui de nouvelles applications apparaissent, qui, au lieu d'utiliser la mécanique quantique pour comprendre la matière, proposent d'inventer de nouveaux objets. Ceux-ci utiliseraient certaines propriétés quantiques qui jusqu'à maintenant n'étaient qu'observées. Je pense à des applications en cryptographie, en communication, en calcul quantique, en téléportation même, pour les états quantiques de certaines particules. Les spécialistes annoncent une révolution. Mais reste à savoir si nous savons l'anticiper et si nous sommes capables de nous y préparer.

M. Georges PEDRO. - J'ai noté trois points mais je vais les présenter dans l'ordre inverse. Je suis agronome de formation et j'étais un spécialiste des sols et de la géochimie de surface.

Mon troisième point est la désaffection des jeunes pour la science. C'est un problème de vocation mais aussi d'émoluments. Il faut que le Parlement se rende compte et fournisse un effort vis-à-vis de la recherche et des jeunes chercheurs. Cela a été dit.

Le deuxième point concerne le manque de considération pour ce que disent les scientifiques, sur des problèmes généraux : je pense à la charte de l'environnement ou au comité de l'environnement de l'Académie des Sciences. Nous avons été un peu choqués de l'influence qu'ont eue les juristes dans la rédaction de cette charte de l'environnement afin qu'elle devienne une loi constitutionnelle. Cela nous a paru dangereux.

Le premier point est un problème d'actualité. C'est le problème de la relation agronomie-environnement et de ses conséquences sur les propriétés des eaux continentales. Il est incontestable qu'un problème de normes se pose sur lequel nous devons réfléchir. Il y a la chimie et la biologie. Sur le plan de la chimie et à partir du moment où nous avons des expériences instrumentales de plus en plus importantes, nous avons une tendance à baisser les normes. Or ces normes acceptées du point de vue chimique, ne sont pas évidemment significatives sur le plan biologique. Nous devons faire attention à cette définition des normes. Cela rejoint peut-être les problèmes de l'épidémiologie dont vous avez parlé.

M. Michel PETIT. - D'une part je voudrais brièvement m'associer à tous les plaidoyers pour la recherche fondamentale. Le fait que je n'en parle pas ne doit pas être compris comme le moindre désaccord avec les propos qui ont été tenus par mes prédécesseurs et je joindrai ma prière à celle de M. CURIEN sur la nécessité que les priorités ne restent pas que des envolées lyriques mais qu'elles se traduisent par des mesures sonnantes et trébuchantes.

Par ma formation, je suis un ingénieur des télécommunications et j'ai passé ma vie à étudier l'environnement et plus précisément l'atmosphère de la Terre.

Pour reprendre un peu ce que disait mon voisin, l'homme a dû se battre pour survivre contre son environnement et il a fini au bout du compte par agresser de façon globale et à l'échelle mondiale l'ensemble de l'environnement. En particulier un sujet qui me tient à cœur est le réchauffement global climatique, qui est un problème lié à celui de la fourniture de l'énergie.

A l'heure actuelle, 80 % de l'énergie du monde vient des combustibles fossiles. Or, ces combustibles fossiles seront peut-être encore disponibles pour quelques siècles, si l'on considère la possibilité d'utiliser du charbon, mais le pétrole et le gaz seront pour le moins épuisés bien avant.

De surcroît, nous avons déclenché un processus de changement climatique de notre planète qui sera d'autant plus irréversible que nous serons longs à nous convertir à un rapport avec l'énergie complètement différent de celui que nous avons connu dans le passé. En effet, l'énergie n'est pas un objet qu'il suffit de ramasser. Elle est précieuse, chère et à l'heure actuelle l'ensemble du système économique et démocratique dans lequel nous vivons ne donne pas à ces considérations de long terme le poids qui conviendrait. En particulier avoir une politique à long terme sur la production de l'énergie est tout à fait fondamental.

Pour en revenir à la charte de l'environnement, nous avons été effectivement un petit peu émus du fait que des articles de la charte, en dépit de protestations, puissent être dangereux, bien que tout le monde s'en défende. En effet, ces articles sont rédigés de telle sorte que nous pouvons y déceler un principe d'immobilisme qui sous-entend de ne prendre aucun risque d'aucune sorte.

Le principe de précaution peut être un principe anti-progrès, même s'il convient de respecter l'environnement et de veiller à ne pas l'agresser outre mesure. Nous ne devons pas non plus déifier l'environnement et dire que la nature est belle et généreuse et s'arrêter à l'état de ces réflexions. La durée de vie de l'humanité est chez nous de l'ordre de 80 ans, à Madagascar 40 ans car ses habitants ne connaissent pas les bienfaits de la civilisation. Ils en sont restés à la situation que nous avions à peu près en 1900.

Ne confondons pas défense de l'environnement et anti-progrès scientifique et technique. Mon souhait serait que l'Office sous une forme ou sous une autre veille à ce que la charte de l'environnement ne devienne pas un instrument de guerre contre la science et la technologie, pour m'exprimer de façon un peu brutale et abrupte. L'Académie des Sciences, Monsieur le Président, vous a saisi de quelques textes sur ce sujet, y compris des projets de rédaction d'articles.

Ma deuxième casquette concerne les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Je voudrais faire part de mon inquiétude : manifestement le niveau de l'investissement que nous consacrons en France et en Europe, toutes sources de financement confondues, qu'elles soient d'origine publique ou d'origine privée, est ridicule par rapport à l'effort fourni aux Etats-Unis.

Il est entendu que nous entrons dans un domaine de la société de l'information. J'ai peur qu'effectivement, sans apporter une modification très importante des bases de l'économie, nous nous mettions dans une situation de dépendance stratégique. Du point de vue d'une stratégie civile et d'une stratégie militaire, nous ne dominerons pas des technologies et nous serons perdus. En particulier, j'évoque au passage un sujet : le support qu'a apporté, dans les années récentes, le budget de la défense à la recherche fondamentale a été totalement évanescent.

Je sais qu'un petit mouvement s'amorce en sens inverse, mais, lorsque nous comparons ce qui se passe chez nous et aux Etats-Unis, l'essentiel de la recherche fondamentale en particulier dans ces domaines de la technologie de l'information et des télécommunications est financé par les actions du budget militaire américain ou du budget de sécurité de lutte contre le terrorisme.

Pour moi, ce sont vraiment là deux sujets très importants où un apport direct à la société doit être pris en considération, l'environnement d'une part et les technologies de l'information et de la communication d'autre part.

S'agissant du fonctionnement général de l'Office, j'ai retenu, de mon expérience d'ancien membre, une certaine frustration.

J'ai contribué avec le sénateur DENEUX à son rapport. J'ai eu le sentiment d'être utile. Mais je n'ai pas eu une seule occasion d'exprimer le plaidoyer sur les technologies de l'information et de la télécommunication. Les grands enjeux de société sont un sujet de débat général où chacun d'entre nous est acteur. J'ai eu le sentiment de jouer un rôle en tant qu'individu et non pas en tant que membre d'un conseil scientifique où les idées se confrontent. Nous devrions mener une réflexion dans cette ligne.

M. le Président de l'Office - Merci pour cette suggestion. Nous sommes Office d'évaluation mais nous devons aussi faire l'évaluation de nos méthodes. Chaque fois que nous pouvons les faire progresser, c'est l'ensemble de la connaissance portée au Parlement qui progresse.

M. Joël de ROSNAY. - La priorité principale est de caractère général et recoupe les quatre propositions que je ferai par la suite. Elle est de caractère général parce qu'elle touche au mode de travail de l'Office puisqu'il s'agit des convergences technologiques.

Nous avons l'habitude de raisonner dans notre pays en termes de filières technologiques - la filière des transports, la filière de l'énergie, la filière des télécommunications - et notre formation est disciplinaire, c'est-à-dire axée sur des disciplines spécifiques, isolées les unes des autres.

Cela peut expliquer les désenchantements de certains jeunes pour la science et la technologie. Si nous voulons réfléchir aux sciences qui montent et à leur impact sur la société, nous devons réfléchir en termes de prospectives stratégiques étudiant les convergences scientifiques et technologiques.

J'en veux pour preuve le fait que quatre grands domaines vont définir notre avenir. Ce sont les infosciences et les infotechnologies, les biosciences et biotechnologies, les écosciences et les écotechnologies, et les nanotechnologies. Ces quatre préfixes - info, bio, éco et nano - non seulement déterminent en partie l'avenir de beaucoup de nos industries et l'impact sur notre société mais en plus ils se marient entre eux.

J'ai été un de ceux, dès les années 80, qui avaient prédit l'avènement de la biotique, c'est-à-dire le mariage entre la biologie et l'informatique. Cela paraissait incongru. Aujourd'hui, la bioinformatique, les biopuces sont rentrées dans la recherche courante.

Par nos réflexions ici, avec les créations de commissions spécifiques dans le cadre de l'Académie des technologies - je sais également qu'une réflexion est menée par le ministère de la Recherche -, il est essentiel de réfléchir en termes de prospectives stratégiques qui s'appuieraient sur les convergences scientifiques et technologiques. C'est une priorité, me semble-t-il, pour nos réflexions.

Les quatre priorités que je vous propose et qui me tiennent à cœur sont les suivantes.

La première, ce sont les nouveaux environnements économiques et technologiques qui résultent de l'essor de l'Internet à l'échelle mondiale, du haut débit et de la mobilité.

Nous connaissons le problème posé par la propriété intellectuelle, les droits d'auteur liés au téléchargement de musique. Cela n'est qu'un début par rapport à ce que se passera dans le domaine de la vidéo, du cinéma, puis du livre et des expertises.

Nous devons réfléchir en termes de modèles économiques nouveaux car ces processus nous semblent irréversibles : le piratage sera de plus en plus étendu et ainsi nous devons nous adapter et créer, pour nos grandes et nos petites entreprises, des valeurs ajoutées fondées sur des nouveaux modèles économiques.

L'environnement technologique change. De nouvelles toiles apparaissent. Tout d'abord l'informatique en réseau, la mutualisation des ordinateurs qui peuvent traiter des problèmes d'une grande complexité et peuvent apporter à des PME des solutions de traitement de l'information que l'achat d'un gros ordinateur ne leur permettrait pas d'apporter. C'est un enjeu considérable d'une nouvelle toile d'ordinateurs qui se parlent entre eux à l'échelle du monde pour résoudre des problèmes spécifiques.

Un autre environnement est lié aux étiquettes intelligentes, des tags, qui apparaîtront dans de plus en plus d'objets, dans des magasins, des bureaux, des maisons, de telle sorte que les objets se parlent entre eux et créent des environnements intelligents, intégrant ainsi dans le web du futur plus d'objets que de personnes. Plus d'objets seront reliés entre eux sur le web de demain que de personnes. L'Internet a été créé pour la parole mais ce sont en réalité les objets qui se parleront entre eux.

Voilà des exemples de modification de modèles économiques et de modification de modèles d'environnement auxquels nous pouvons ajouter l'accès pour tous à l'Internet.

En plus de l'ADSL ou du Wifi, n'oublions pas les courants porteurs. Nous devons mener une réflexion sur l'Internet par le réseau électrique. France Télécom sera-t-elle mise en concurrence par EDF, qui se transformerait en opérateur de services informatiques ?

Voilà des questions qui touchent à un environnement informatique.

La seconde priorité que je voudrais apporter à la réflexion de l'Office, ce sont les rapports nouveaux qui touchent à l'essor des puces ADN, ce qui pose deux problèmes fondamentaux, celui de la prévention, la prévention des maladies, la prévention par la détection des micro-organismes présents dans l'alimentation, dans notre environnement, mais aussi du traitement personnalisé de certaines maladies. Nous pourrons doser les enzymes qui pourraient réagir à un nouveau médicament et donc adapter le dosage de ce médicament aux différentes personnes qui le reçoivent.

Cela aura un impact sur l'industrie pharmaceutique. Elle devra s'orienter vers du package « produits services », de la prévention, du suivi du patient tout au long de sa vie, beaucoup plus que la vente de produits de grande diffusion par l'intermédiaire des pharmacies. C'est une réflexion importante liée à la technologie qui pose des enjeux économiques pour nos grandes entreprises et nos PME.

Le troisième sujet est lié aux écotechnologies. Pour les écotechnologies, je choisis un domaine qui se développe dans le monde, qui va de la miniaturisation au système macroscopique et touche la production d'énergie par les piles à combustible. Les piles à combustible sont connues pour l'astronautique. Elles posent encore beaucoup de problèmes mais déjà des piles à combustible miniaturisées se développent pour les appareils portables du futur dans plusieurs pays, pour les maisons au niveau domestique. En effet, certains pays vendent déjà des piles à combustible pour les particuliers, pour les automobiles également. Ainsi, en complément des ressources énergétiques notamment nucléaires, fossiles, gaz charbon, filières renouvelables, la pile à combustible doit faire l'objet d'une réflexion.

La dernière priorité est liée aux nanotechnologies. Les nanotechnologies émergentes posent des problèmes techniques considérables, du fait de leur pluridisciplinarité. Elles posent aussi des problèmes éthiques considérables et commencent à inquiéter le public.

Je ne voudrais pas qu'elles connaissent le même sort que les OGM, faute d'avoir préparé des réponses rationnelles et cohérentes à l'angoisse du public. En ce moment, monte une inquiétude sur les nanotechnologies. En effet, l'idée peut circuler que les fibres de carbone, les nanotubes de carbone sont considérés aussi dangereux que l'amiante dès qu'ils sont respirés, que les micro-implants chez les individus risquent de modifier les comportements biologiques. Autour des nanotechnologies, l'Office devrait réfléchir à des arguments rationnels pour montrer que ces développements ont des avantages mais aussi des risques qu'il faut expliciter.

Mme Annie SUGIER. - Je suis directrice scientifique à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, qui est à la fois un organisme vieux et nouveau puisqu'il résulte de la fusion de l'ancienne IPSN et de l'ancien OPRI et de la séparation avec le CEA. Nous sommes 1 500 experts et chercheurs. Ma spécialité est la protection contre l'effet des rayonnements ionisants.

Avant d'aborder les quatre sujets dont je veux parler, j'étais intéressée par deux des sujets qui ont été présentés, le désintérêt des jeunes pour les études scientifiques, et, un sujet tout à fait différent, la question de l'obésité. Je voyage souvent aux Etats-Unis et je suis assez épouvantée par les problèmes de santé que peut poser l'obésité. L'un de mes sujets est l'épidémiologie. Pour ce cas, nous n'avons pas besoin d'étude épidémiologique pour constater qu'un type de société conduit à un type de problème et cela touche à toute une série de problématiques, notamment la publicité à la télévision. C'est un sujet très riche.

Un autre de mes sujets concerne l'épidémiologie sur lequel le système français est beaucoup trop faible. Je pense que la question de l'épidémiologie des travailleurs est tout à fait essentielle à l'intérieur de ce grand sujet. Nous constatons qu'une corrélation existe entre l'état de santé et le travail des personnes. Mais nous ne sommes pas capables de collationner les informations pour tisser ce lien et savoir quelle est la part des expositions professionnelles dans l'apparition de certaines maladies. Ceci me semble une priorité de santé publique. C'est vrai qu'aux premières loges sont exposés les travailleurs et c'est peut-être à ce niveau que nous pouvons examiner quelques points intéressants.

Un deuxième sujet que j'ai présenté sous des formes différentes rejoint des rapports de M. BIRRAUX et de M. LE DEAUT autour de l'expertise publique ou institutionnelle. A présent existe une série d'agences sanitaires et environnementales et autres agences. Comment se situent ces expertises et ces recherches par rapport aux autorités - elles ont une mission -, par rapport à l'Office parlementaire mais aussi par rapport aux experts locaux ? En effet, de plus en plus apparaissent des structures de concertation locale, comme les commissions locales d'information auprès des installations nucléaires de base. A présent existent des instances semblables dans le cadre de la loi que vous avez votée sur les risques industriels.

L'expert public n'a-t-il pas un rôle particulier à jouer ? On parle du désintérêt pour la science. Le problème ne va pas se régler seulement par les écoles ou par les universités mais aussi auprès du public par une plus grande proximité de l'expert public auprès de ceux qui sont intéressés aux risques parce qu'ils vivent près d'une installation à risques. Nous sommes d'autant plus intéressés par un problème que nous nous sentons concernés. Ainsi mon deuxième sujet est de réfléchir à différentes articulations entre différentes agences et leurs structures de concertation.

Le troisième sujet est la question du risque naturel avec une vision européenne. Cela pourrait être un sujet d'actualité de l'Office. Un des plus grands tremblements de terre depuis une dizaine d'années s'est produit en Iran. Ne devons-nous pas adopter une politique européenne parasismique et n'avons-nous donc rien à dire sur ce sujet ?

Le dernier sujet a été traité par l'Office voici huit ou neuf ans, et avait fait beaucoup de bruit. M. BIRRAUX a eu beaucoup de difficultés à imposer ce sujet : c'est l'effet des faibles doses dans le domaine des rayonnements ionisants où un développement scientifique nouveau est apparu. Des nouvelles recommandations de la commission internationale de protection radiologique se profilent à l'horizon. Peut-être devons nous anticiper en écoutant les différents acteurs pour connaître ce qui est nouveau dans ce domaine. Un rapport circule au Parlement européen sur une sous-estimation des effets des rayonnements par la linéarité sans seuil alors que d'autres parlent de surestimation. Ainsi le débat reste entier sur le sujet.

M. le Président de l'Office - Nous espérons que le débat continue d'une manière scientifique.

Mme Annie SUGIER. - Il était à l'époque passionnel. Il reste passionnel.

M. Hervé CHNEIWEISS. - Je suis neurologue et neurobiologiste. J'anime une équipe au Collège de France. Au risque d'être redondant avec moins de talent que mes prédécesseurs, je voudrais revenir sur la situation effectivement dramatique de la recherche actuellement en France et plus particulièrement dans le domaine de la biologie. De budget médiocre en budget catastrophique, on tire sur la corde jusqu'à un moment où elle est sur le point de rompre. Et aujourd'hui la question qui se pose avant la désaffection des jeunes pour la science est : quelles sont les possibilités pour des jeunes dans nos laboratoires ?

J'anime une équipe normale de biologie qui comprend huit personnes dont trois étudiants, avec des recrutements de trente personnes par an pour toute la France, toutes disciplines confondues, à l'Inserm aujourd'hui. Je ne sais pas quel avenir en France auront les étudiants formés dans nos équipes qui pourtant publient dans les meilleurs journaux, mais pour des raisons de postes et de financement choisiront de s'installer soit aux Etats-Unis, soit en Suisse, soit en Angleterre, soit en Allemagne et ne reviendront pas parmi nous.

C'est un investissement de formation, un investissement de matière grise que nous allons perdre et nous le paierons de la même manière que les Anglais qui ont perdu toute une génération au cours des années 80, de façon irréversible.

L'Office est un office d'évaluation. La science est l'ancrage dans le réel. Il va de soi qu'il ne s'agit pas seulement de voter des budgets mais aussi d'examiner si ces budgets sont exécutés. De gels en annulations, nos budgets dans les laboratoires sont devenus misérables quand ils arrivent, par exemple pour le CNRS, avec deux ans de retard sur certains financements, ce qui est indigne de l'Etat et de la puissance publique.

Il faut bien sûr évaluer la réalité des investissements, qu'ils soient publics ou privés. Dans les budgets étrangers la part de défiscalisation, c'est-à-dire de l'argent qui va à la recherche, qui n'est pas officiellement un financement de l'Etat mais des dégrèvements d'impôt, est très importante. Cette évaluation des sommes investies dans la recherche, évaluation de l'exécution du budget, évaluation de l'ensemble de l'argent qui va à la recherche, devrait faire partie aussi des missions de l'Office.

Pour revenir sur la question de la désaffection des jeunes pour la science, je propose qu'il soit dans les missions de l'Office de réfléchir sur la formation à la recherche. Au fond nous pouvons constater aussi que la recherche ne fait partie d'aucun cursus de formation dans les élites françaises. Elle arrive comme la cinquième roue du carrosse.

Il ne vient pas à l'esprit des principaux dirigeants de cette nation, qu'ils soient dans le secteur public ou privé, de penser à l'investissement-recherche car les dirigeants de notre pays n'ont eu aucune formation par ou dans la recherche. Cette carence absolue de formation de nos élites fait de cette question un sujet abscons, étranger et, finalement, se traduit par des budgets catastrophiques.

Le rapport des budgets de notre institut national de la recherche et l'institut national de la recherche américain est aujourd'hui dans un facteur 70, tout confondu, crédits de fonctionnement et personnel. Ce facteur 70 ne représente ni la situation de la population, ni le produit intérieur brut.

Je pourrais évidemment continuer longtemps sur cette grande misère de la recherche française. En neurobiologiste, je pense qu'après le génome, le cerveau est notre prochaine frontière, pas seulement parce que c'est ma paroisse, mais aussi parce qu'il représente 30 % des dépenses de santé, si on considère à la fois les maladies neurologiques et les maladies psychiatriques.

C'est un ensemble de connaissances immense qui apparaît et qui aura des implications tant dans le domaine technologique de l'assistance de la personne, mais également dans des domaines qui vont jusqu'à l'éthique. Nous devons commencer à réfléchir à un volet neurosciences-neuroéthique des lois bioéthiques car il va de soi qu'il est très important de comprendre notre cerveau pour soigner des maladies en particulier neurodégénératives ou psychiatriques. Mais nous devons nous poser des questions quand ces connaissances sont utilisées pour améliorer des propriétés, telles qu'empêcher les personnes de dormir, améliorer des propriétés mnésiques, voire traiter des enfants pour des syndromes qui sur le plan médical ne sont pas reconnus, je pense aux enfants agités.

Ces différents sujets que soulèvent les neurosciences, depuis des questions de technologie et d'assistance à la personne, des questions de soin et des questions d'éthique, sont un des enjeux auquel l'Office devra réfléchir.

Comme l'a dit Axel KAHN, dans son intervention, l'urgence de la situation de la recherche dans ce pays doit être de nouveau soulignée. Nous n'avons plus les moyens de travailler de façon compétitive avec nos collègues étrangers. Et lorsque les chercheurs français font des découvertes importantes - il suffit de regarder les éditoriaux ou les sommaires de Nature ou Science - en quelques semaines ou quelques mois leurs découvertes sont reprises et dépassées par des groupes beaucoup mieux dotés et qui peuvent en quelques semaines ou mois reprendre ces travaux et aller beaucoup plus loin parce qu'ils en ont les moyens en personnes, en nombre et en argent.

M. Yves COPPENS. - Je suis expert des sciences du passé. Les fossiles dont je m'occupe n'ont rien à voir avec les fossiles énergétiques. Ces fossiles intéressent tout le monde mais pas beaucoup la politique. Ce n'est pas de ce côté que je pourrais vous être utile. Mais je veux bien vous en parler. Nous avons de jeunes chercheurs. C'est peut-être un des secteurs - mais il ne recrute pas beaucoup - qui n'a pas de problème de recrutement.

En revanche j'ai été projeté à la présidence de la préparation de la charte de l'environnement. Je ne voudrais pas que cette histoire d'environnement devienne passionnelle comme certains autres sujets.

Brièvement, il a été constitué au ministère de l'écologie et du développement durable une commission que je présidais, de dix-huit membres dont d'ailleurs fait partie notre ami Jean-Claude LEFEUVRE. Cette commission a évidemment créé des comités, puisque cette commission ne se réunissait qu'une fois pas mois, mais, chaque fois récupérait toutes les informations de tous les travaux préparés pendant le mois en question. Nous avons travaillé dix mois et la commission a créé des comités dont les deux principaux, un comité scientifique et un comité juridique.

Je voudrais m'élever contre la critique du comité juridique, qui a travaillé beaucoup et nous a rendu de grands services car nous étions incapables d'exprimer en termes juridiques les résultats auxquels nous parvenions par ailleurs.

Cette commission et ces comités ont fait vraiment, avec beaucoup de responsabilité, tout ce qu'ils ont pu pour, d'une part, rencontrer, écouter les experts, dont les académies, et, d'autre part, écouter les humeurs des personnes et de nombre d'associations qui s'occupent d'environnement. Et cela s'est traduit par des rencontres de chacun des membres du comité avec beaucoup de scientifiques ou de juristes, par un colloque qui s'est tenu au mois de mars, par un forum Internet, par un questionnaire envoyé à 45 000 interlocuteurs, par quatorze assises territoriales à travers la France et les départements d'outre-mer.

En résumé, nous avons essayé de travailler de manière sérieuse, honnête, consciencieuse et responsable. Un texte en est sorti qui a d'ailleurs créé un petit débat au sein de la commission. Deux courants se sont dessinés. Ce texte a été remis au mois d'avril 2003 au président de la République. Il est passé devant le conseil d'Etat en mai 2003. Il est passé devant le Conseil des ministres en juin 2003 et est actuellement à l'Assemblée nationale. Réjouissons nous. Nous sommes dans le lieu même où nous pouvons encore nous exprimer. Jean-Claude LEFEUVRE et moi-même sommes toujours prêts à écouter d'autres idées et à vivre d'autres débats.

Sachez que le travail a été établi dans la mesure du possible, surtout en dix mois avec toute l'honnêteté qui a caractérisé cette commission. Toutes les réunions de la commission ont été enregistrées d'un bout à l'autre. Ces enregistrements peuvent être remis aux personnes qui seraient intéressées.

Ceci crée des problèmes. Je dis à M. PETIT que ce travail n'aurait pas pu être contre la science. Nous, scientifiques, ne travaillons pas contre la science. Apaisons les passions et parlons de cet environnement. Il est vrai que je connais surtout le paléo-environnement. J'ai été projeté dans les changements climatiques qui me font toujours un peu réfléchir quand j'entends notre ami météorologiste annoncer un été sur trois dans un avenir immédiat de forte canicule. Cette projection m'impressionne beaucoup.

M. le Président de l'Office- L'Office parlementaire avait organisé avec votre participation et celle du responsable du comité scientifique une audition sur la Charte de l'environnement, ouverte à la presse, dans cette salle même, le 10 avril dernier.

Mme Sylvie JOUSSAUME. - En tant que chercheur au CNRS, je suis spécialiste de la modélisation du climat. Je me retrouve sur cette thématique, dans les propos de Michel PETIT sur le besoin d'une politique énergétique à long terme pour répondre à cette question et dans les propos de Daniel CARIOLLE sur les aspects « impacts ».

Sur cette question du climat, il semble de mieux en mieux établi que le changement du climat devient de plus en plus probable, mais nous avons tendance à oublier que le système est suffisamment complexe et que les recherches dans ce domaine nécessitent encore de nombreux développements, parce que nous sommes loin d'avoir compris tous les processus et nous avons besoin d'effectuer des observations à long terme, de développer les aspects prévision et nous sommes loin de donner des conclusions. En fait, nous avons encore besoin de comprendre les phénomènes en amont.

En tant que modélisatrice, je suis sensible aux aspects de moyens de calcul. Quand nous avions discuté à l'Office parlementaire des TGE (très grands équipements), nous avions bien mis en évidence que, dans les aspects moyens de calcul, la France est en sous-potentiel, elle a du mal à suivre la compétition internationale, même par rapport à l'Allemagne et la Grande-Bretagne, et la situation est encore plus fortement décalée par rapport à des pays comme le Japon. Si nous voulons les suivre en cette matière, nous devons réfléchir plus au niveau de l'Europe.

J'avais participé au conseil de l'Office parlementaire sur les TGE. La suite est de savoir comment nous doter de moyens auprès des ministères, auprès des organismes pour avancer dans cette mise en place des très grands moyens pour la recherche.

Sur l'aspect climat, je suis de même sensible aux moyens de calcul.

Je suis actuellement en poste à la direction nationale des sciences de l'univers du CRNS et de l'institut des sciences de l'univers. Nous sommes de plus en plus concernés par les aspects environnementaux et le besoin de développer les recherches pluridisciplinaires sur les aspects d'environnement.

Plus nous examinons ces aspects, plus nous constatons à quel point l'homme joue un rôle dans les différents milieux, l'eau, les sols, les mers, la biodiversité, et nous aurons besoin de développer la pluridisciplinarité pour répondre aux questions.

Ce n'est pas si simple. Des problèmes de mise en place des moyens d'observation se posent. Par exemple, lorsque nous étudions le temps de vie des nitrates, il est de l'ordre de la trentaine d'années. Les résultats qui ont permis ces conclusions ont été rendus par les Américains qui avaient mis en place des prélèvements d'échantillons systématiques depuis un siècle et nous avons peu d'outils à notre disposition. Nous devons réfléchir à des moyens d'observation récurrents. En effet, les moyens dont nous disposons sont plus incitatifs à court terme.

Le deuxième point sur ces aspects d'environnement est la question du développement durable. Ce qui me soucie est de savoir comment mettre en place la boucle nécessaire pour examiner le développement d'une pratique ou d'une technologie. On regarde l'impact et la rétroaction, éventuellement on change la pratique. Comment mettre en place, gérer cette boucle pour traiter réellement du développement durable ? Ce n'est pas un sujet évident. Nous devons réfléchir à organiser ce système.

Le troisième point porte sur l'organisation de la recherche, et je rejoins des points d'inquiétude qui ont déjà été soulevés. Je gère un institut et un département et nous sommes en première ligne sur les problèmes de fond, de financement et de niveau de crédits de paiement qui ont fortement diminué par rapport aux autorisations. Cette diminution est gérable si elle est temporaire, sinon la recherche connaîtra de grosses difficultés. Il est également entendu que l'aspect recherche privée sera développé par rapport à la recherche publique. On parle de fondations. Comment fonctionnerons-nous ? J'avoue que nous sommes assez désarmés pour savoir vers quelle organisation de la recherche nous devons nous tourner et quel serait le meilleur système adapté à la France. En effet, le système américain n'est pas évidemment le schéma le plus adapté au système français.

Je rejoins un sujet qui revient régulièrement, la désaffection des étudiants, en physique, en particulier. Ce problème est également sensible en biologie.

L'autre point porte sur les équilibres. La recherche nécessite un équilibre entre chercheurs, soutien technique et ingénieurs administratifs. C'est important que nous puissions maintenir un rapport d'équilibre pour mettre en place des projets et gérer le long terme.

Les trois grands sujets entre climat, environnement et organisation de la recherche sont les points sur lesquels nous sommes le plus sensibilisés.

M. Laurent GOUZENES. - Je suis le seul industriel. J'ai une formation d'informaticien. Après une dizaine d'années, j'ai changé de secteur puisque j'ai travaillé pour les technologies de l'information. Je travaille aujourd'hui dans une société qui s'appelle STMicroelectronics. Cette société fabrique des composants pour les technologies de l'information, les fameux circuits intégrés qui permettent beaucoup de choses, comme les téléphones portables, mais également votre décodeur Canal +, votre carte à puces, votre voiture, (le bip, l'ABS, l'Airbag), la gestion de batteries, la gestion des lampes, l'imprimante à jet d'encre. Voici quelques exemples de microtechnologies que nous savons fabriquer.

C'est tout de même un secteur qui représente trois fois le chiffre d'affaires des TGV. Le « business » de cette année et des prochaines années est de ce type. Par exemple, les caméras installées dans le téléphone seront un prochain business. C'est intéressant de savoir que cette année, nous en avons fabriqué 15 millions en France. On n'est tout de même pas complètement absent de ce domaine technologique en France.

Mais nous sommes très préoccupés par des applications. Nos produits rentrent dans toutes les applications que ce soit à la maison, la monétique, l'information, la circulation, le loisir, la culture, la science, nous fabriquons aussi des puces ADL, c'est une autre application. Egalement nous fabriquons des équipements qui iront dans le LHC à Genève et ainsi de suite. C'est très vaste.

Nous devons réfléchir aux applications de la technologie. Je trouve que c'est un secteur passionnant parce que finalement nous utilisons des mathématiques. Dans un certain circuit intégré, entre 50 et 100 millions d'objets s'y trouvent. Pour vous donner un ordre de grandeur, un avion contient 30 millions de pièces. Dans les prochaines générations, ils passeront à un milliard de pièces d'ici quelques années. C'est vraiment d'une complexité colossale. La seule manière de maîtriser ce processus, c'est l'informatique, des techniques de mathématique, des démonstrateurs de théorème. Beaucoup de physique aussi sera sollicité puisque nos circuits intégrés deviennent très petits. En fait, nous voyons apparaître tous les phénomènes quantiques à l'échelle atomique. A ce niveau-là, nous utilisons de la mesure, de la métrologie, mais aussi beaucoup d'informatique.

Cette discipline est très intégratrice. J'ai en charge, pour rester en France, entre autres, de réfléchir à ces applications et de développer des collaborations avec des laboratoires.

Cela a permis de confirmer cette petite désaffection des jeunes. Effectivement la baisse des budgets est très sensible malgré la dynamique du secteur. Je ne vous propose pas des problèmes de mathématique comme grand sujet mais j'ai l'impression que la science a perdu pied avec la société. Les gens ont du mal à voir à quoi elle est utile. Les jeunes ne voient plus à quoi elle sert et n'ont pas de raison de s'y diriger ; de surcroît, politiquement, on ne leur donne pas de grande vision sur le marché, sur leur futur.

Il importe de discuter des projets un peu à long terme et qui permettent de développer de la science et de la technique mais également des aspects sociétaux.

C'est le résultat de mon expérience. Je considère que la science ne peut être développée que si, à côté des scientifiques, se trouvent des industriels pour transformer l'essai en emploi et en richesse pour la population. Je ne vois pas sur le long terme comment la science, les laboratoires peuvent posséder une structure durable s'ils n'ont pas, à coté d'eux, des industriels qui leur permettent de faire vivre la science, l'alimenter et la dynamiser par la compétition internationale et mondiale d'aujourd'hui.

Les projets qui me semblent intéressants sont les suivants.

Le premier est un couplage entre deux axes, l'Internet à haut débit et un déploiement d'une infrastructure pour l'accès à Internet à très haut débit. Quand je dis très haut débit, c'est 50 Mégabits, c'est cent fois plus rapide que ce que vous pouvez faire aujourd'hui. Nous avons des prototypes, des standards qui fonctionnent mais le déploiement n'est pas effectué.

L'inquiétude est que nous déployions un Internet à moyen débit. Nous déployons en fait un système qui coûte cher mais finalement n'est qu'une solution intermédiaire que nous serons obligés de réviser dans peu de temps. En effet, la technologie progresse à très grande vitesse.

Les chips de 50 mégabits, c'est aujourd'hui courant et ne coûte pas plus cher que les chips à 500 K octets ou 1 mégabit. Un grand programme de développement d'infrastructures d'Internet devrait être proposé à cette vitesse-là. L'intérêt du 50 mégabits est qu'il permet - je vous donne un ordre de grandeur, c'est cent fois plus rapide que ce que nous possédons aujourd'hui - une très grande bande passante et ainsi de faire passer de la vidéo car à partir du moment où tout le monde possédera une caméra, tout le monde voudra faire passer de la vidéo qui serait utile pour la communication des entreprises, pour présenter leur catalogue, pour expliquer leurs produits, pour bâtir un mode d'emploi. De même, l'ensemble du monde professionnel l'utiliserait pour expliquer l'administration, pour des interfaces avec les usagers, et puis les particuliers pour communiquer entre membres de la famille. Ainsi, tout le monde est producteur d'images vidéo.

Une deuxième révolution arrive, c'est la télévision de haute définition. Il s'agit d'une définition qui contient environ quatre fois plus de points que ce que nous avons aujourd'hui : 300 000 points aujourd'hui peuvent passer à 1,2 ou 1,3 millions de points. Cela exige un débit beaucoup plus rapide. Dans une maison standard, deux ou trois personnes voudront regarder la télévision en même temps. Or les standards de la télévision n'ont pas bougé depuis 50 ans. Sur la TVHD, deux études ont été réalisées en 1989 et 1992. En 1992, c'était une télévision analogique, très chère.

Aujourd'hui l'électronique a des coûts beaucoup moins élevés. La télévision est numérique et c'est devenu un standard mondial. Les Etats-Unis ont leur standard. En 2006, le numérique sera le seul sur le marché, tout comme pour le Japon, la Corée, la Chine et Taiwan. L'Europe reste à la traîne. Je trouve que c'est un scandale car c'est un élément de qualité pour les citoyens et à terme un élément de compétitivité pour les entreprises.

M. le Président de l'Office - Je me permets un mot d'humour. Le professeur COPPENS a encore de beaux jours devant lui avec la paléontologie, dans un domaine nouveau pour lui, sûrement, qui est celui de la télévision française.

M. Yves COPPENS. - Merci !

M. Laurent GOUZENES. - Il faudrait développer cette télévision de haute définition pour que vous puissiez développer un système de captage de l'image. Il faut la stocker, la protéger, la transférer. Ainsi il faut des serveurs et de l'informatique. Toute une chaîne de l'image fonctionne si nous introduisons, d'une part, cette notion de TVHD et, d'autre part, si nous avons des réseaux de haut débit de l'information. Les pays concurrents de la France et de l'Europe ont déjà lancé leurs initiatives, nous serons inondés de ces produits. La richesse générée correspond à des centaines de millions d'emplois à côté desquels nous sommes en train de passer.

L'avantage de faire des projets de ce type est que nous motivons les industriels et les laboratoires. Je prends, comme exemple, le fonds cinématographique. Avec de la TVHD et de l'Internet à 50 mégabits, vous pouvez produire des films à la demande mais il faut renumériser tous nos vieux films. Des Majors américaines seront capables de renumériser ces vieux films en Amérique, avec leur définition et ainsi imposer leur produit et leur façon de le voir, et tous les bénéfices partiront en Amérique.

La seule remarque est que je ne vois pas comment la France pourra vivre sur le procédé Secam jusqu'en 2050. Cela me semble inéluctable.

Le deuxième sujet concerne énergie et nouvelles technologies. En France, nous dépensons un milliard d'euros pour le nucléaire en R&D et un peu moins de 30 millions d'euros pour les autres énergies. Je pense que, si l'objectif est d'avoir 20 % d'énergie renouvelable en 2020, comme il a été souligné dans les divers rapports sortis cette année, nous devons faire un effort considérable. C'est un sujet qui touche la génération d'énergie mais aussi tous les systèmes de gestion d'énergie et tous les produits. Tous les systèmes en veille consomment de l'électricité pour rien. Des systèmes sont aussi à développer pour commuter, c'est-à-dire passer d'une énergie à une autre, entre l'éolien, votre batterie, le réseau. Comment devons-nous les faire fonctionner sans interrompre le courant entre tous les produits électroniques ? De plus, le pétrole deviendra de plus en plus cher. Les dépenses de recherche en France sont absolument insuffisantes pour résoudre ce problème.

Le troisième point concerne la sécurité électronique et automobile. C'est un grand projet sur 15 ou 20 ans. Je vous donne une idée caricaturale, la voiture sans volant. L'objectif est que la voiture obtienne un niveau de sécurité identique à celui de l'avion ou du train. Cette idée réduirait le nombre de morts sur la route à 500 par an au lieu de 5 000. Pour cela, il faut développer tout un ensemble de systèmes autour de la voiture, tels que des caméras, le système de positionnement, la navigation automatique. Nous pouvons les intégrer progressivement. Mais un objectif sociétal est clair, c'est la réduction de tués et surtout des économies très importantes pour la Sécurité sociale et les assurances.

M. François GOUNAND. - Je rappelle que je suis en charge des sciences de la matière au CEA, c'est-à-dire la partie de la recherche fondamentale en sciences dites « dures » au Commissariat. Cela représente 1 700 personnes et un spectre très large qui va des sciences du climat à la structure ultime de la matière en passant par les nanotechnologies.

Le premier point qui a été souligné par de nombreux collègues, c'est un point essentiel, c'est la situation de la recherche en France. Je peux assurer l'Office que les chercheurs ont conscience de travailler dans un domaine qui n'est pas une priorité nationale. Cette situation qui doit être claire a été évoquée à différents niveaux. C'est le premier problème que je voulais souligner.

Là-dessus se greffe la désaffection des jeunes pour la recherche qui recouvre des malaises qu'il conviendrait d'aborder. Le rapport entre la science et la société se fait très mal. Les médias véhiculent une image inquiétante de la science. C'est un vrai problème. Tout ce qui comporte à la fois vulgarisation, science, médias et société nécessite une analyse. C'est un sujet compliqué.

Le deuxième point est qu'à l'heure actuelle, la situation des sciences « dures » au CEA n'est pas très facile. Je voudrais souligner le point de la structure ultime de la matière et de l'univers. La France doit se poser des questions pour garder sa place dans ce domaine. Je rappellerai que ces domaines qui sont essentiellement cognitifs tirent beaucoup la technologie dans beaucoup de domaines. Toutes les retombées de ces expériences couvrent de nombreux domaines. Les sciences de l'information tel que le traitement du signal doivent être examinées de très près. Bientôt nous traiterons au LHC un volume d'informations équivalent à toutes les communications téléphoniques en Europe par seconde. Nous acquérons une expertise qui peut être valorisée dans d'autres domaines. De même pour les aimants, nous avons acquis une grande expertise qui servira les sciences de la vie.

C'est une recherche qui est certes purement cognitive mais elle a des retombées. Elle me paraît donc importante à soutenir.

Je soulignerais un deuxième point. Pour être bref, c'est un problème auquel je suis assez sensible, le problème des grands équipements et des grandes infrastructures.

L'Office avait établi un rapport, auquel j'ai participé en assistant à certaines auditions. Mais nous n'avons pas tiré beaucoup de conclusions ; cela me semble un peu regrettable. A ce stade, il me semble que nous avons un problème de financement évoqué par d'autres également, en particulier pour ces grandes infrastructures. Je prends deux exemples précis, Soleil et ITER, et la place jouée par les collectivités locales et territoriales. Un abandon de la puissance publique vis-à-vis d'une politique nationale est perçu.

Je ne refuse pas les financements des collectivités territoriales mais il me semble que nous avons affaire à une dérive et le pays ne s'est toujours pas doté des moyens d'avoir une politique de grands équipements ; c'est gênant, même du point de vue européen car les équipements deviendront européens. Nous devons nous poser la question de savoir comment la France souhaite traiter ce problème.

Je voudrais m'associer à tout ce qui a été dit sur le changement climatique et le développement durable. Cela me paraît fondamental. Il ne suffit pas non plus de disposer de l'informatique et des modèles climatiques. Nous devons nous doter de moyens en observatoires car cela reste une science expérimentale. En effet, tous les modèles climatiques ont besoin de modèles expérimentaux, d'être calés sur les paléoclimats, sur des données précises quant aux émissions de gaz à effet de serre. Un problème du maintien et du statut des observatoires en science de l'environnement se pose en France.

Je suis très intéressé par tout ce qui touche aux ressources énergétiques, en particulier sur le long terme. Je me réjouis et j'espère que la France pourra accueillir le projet ITER.

M. Jean-Claude LEHMANN. - Je vais essayer d'être bref. J'essaie de me mettre à votre place, vous les parlementaires, et je pense que vous vous sentez en première ligne pour beaucoup de problèmes. Nous avons beaucoup parlé du développement durable.

Un autre aspect auquel vous ne pouvez pas ne pas être sensibles, c'est l'aspect économique, car derrière se situent les aspects sociaux.

Nous sommes dans une situation où l'avenir économique de la France et de l'Europe est, si ce n'est inquiétant, du moins incertain.

Je voudrais rappeler une étude récente. Une crise économique faisait perdre des emplois mais 85 % des emplois étaient perdus pour des raisons conjoncturelles et 15 % pour des raisons structurelles. Aujourd'hui plus de 50 % des emplois perdus dans la crise ont été perdus pour des raisons structurelles liées aux modifications de la situation économique mondiale. Le problème se pose de savoir comment nous allons faire vivre l'économie et créer des richesses en France et en Europe.

Nous avons parlé pour cela d'économie de la connaissance. Effectivement un potentiel de recherche fondamentale doit être efficace et je voudrais m'associer à ce qui a été dit, car l'économie de la connaissance ne peut exister sans création de connaissance, sans une recherche fondamentale qui ait les moyens de fonctionner. Derrière ces problèmes se posent des problèmes quantitatifs mais aussi qualitatifs. L'Europe veut se confronter aux Etats-Unis d'un côté et à la Chine de l'autre. Ainsi, il faut faire en sorte que ces paroles deviennent des actes.

Le développement des activités économiques est un point important. Je pense qu'il serait très utile de se pencher sur ce que peuvent être les technologies qui permettront aux entreprises françaises et européennes de garder un temps d'avance sur nos grands concurrents asiatiques car ils sont aussi bons que nous, avec des coûts très inférieurs. Ils sont devenus des concurrents redoutables.

La dynamique est devenue le seul élément qui puisse nous faire garder ce potentiel de création de richesse. Nous nous étions bien préparés à certaines technologies mais nos entreprises n'ont pas su trouver les relais. Je pense aux biotechnologies. Nous devrions aujourd'hui identifier les technologies, d'une part et les infrastructures, d'autre part, qui permettraient à nos entreprises d'acquérir la dynamique pour avoir le temps d'avance qui les conduit à créer des emplois en Europe. C'est un point qui me paraît essentiel.

Deux ou trois points qui ont été évoqués relèvent d'une grande analyse que je qualifierais de technologie et médecine. La médecine est un enjeu social mais aussi économique. Le poids de la sécurité sociale, qui est un élément essentiel de notre vie sociale, est un problème difficile.

Aujourd'hui, de très grands progrès ont été accomplis dans le domaine de la médecine, des nouvelles approches du médicament, des équipements de diagnostic, qu'ils soient légers comme les biopuces ou lourds comme les IRM, qui me paraissent devoir faire l'objet d'une analyse pour optimiser les moyens dont nous disposons.

Je voudrais ajouter un commentaire sur l'énergie. Je voudrais souligner deux points qui me paraissent importants.

Le premier porte sur le « négawatt », c'est-à-dire les économies d'énergie, les ressources les plus importantes pour les années à venir et qui ont l'avantage sur le plan éducatif de montrer à quel point les énergies sont rares et doivent être économisées. Nous n'avons pas pris la mesure de ce que devraient être les économies à réaliser dans les dix ou cinquante années à venir.

L'autre élément évoqué par les uns et les autres à l'occasion est la conséquence du moment où l'extraction du pétrole sera tellement chère que nous ne pourrons plus le consommer pour des utilisations ambulatoires. Le pétrole est la source d'énergie qui permet d'alimenter tout ce qui n'est pas connecté à un réseau, ainsi l'automobile ou l'avion ou autres. Dans un délai qui n'est pas si éloigné, le coût du pétrole sera tel qu'il faudra trouver d'autres approches d'énergie non connectées au réseau. C'est là qu'apparaît la pile à combustible.

Je voudrais revenir sur les matériaux. Derrière l'immatériel, beaucoup de matériaux sont absolument indispensables. Or nous vivrons probablement dans ce début du XXIe siècle une révolution des matériaux. Le XIXe siècle a été le siècle des matériaux naturels, le bois, le fer, des matériaux minéraux. Le XXe siècle a été le siècle des matériaux organiques issus du pétrole puis des matériaux composites. Le XXIe siècle sera le siècle des matériaux nanostructurés. C'est une approche complètement nouvelle et révolutionnaire qui sera indispensable pour le développement de toutes les technologies.

M. Jean-Claude LEFEUVRE. - Je crois beaucoup à la vertu des exemples et j'en prendrai quelques-uns. Je voudrais tout d'abord vous parler des changements climatiques. Je pense que c'est un des problèmes prioritaires pour l'avenir qu'il va nous falloir résoudre, que la science continue à apporter des connaissances nouvelles sur le fonctionnement climatique de notre planète soumise aux problèmes des gaz à effet de serre. Si j'insiste sur ce point, c'est parce que M. PETIT a insisté sur cet aspect, Mme JOUSSAUME également, M. CARIOLLE aussi.

Mais sur quoi est basé ce programme de changement climatique ? A l'échelon international, c'est peut-être celui qui a mobilisé le plus de chercheurs dans les vingt dernières années et mobilisé le plus de crédits dans un domaine qu'il fallait absolument développer. Mais ce programme est basé sur le principe de précaution. Il faut faire très attention à ne pas se laisser pousser vers des rivages où la polémique l'emporterait sur la raison.

La commission présidée par Yves COPPENS a été une commission dont j'ai apprécié le fonctionnement. C'est rare qu'une commission de ce type puisse avoir une participation aussi importante que celle qu'elle a eue. Presque aucune absence n'a été signalée à chacune de nos réunions. Toutes les personnes présentes étaient intéressées par ce qui se passait. Or, dans ces réunions se trouvaient des scientifiques mais aussi des économistes, des juristes, des industriels, en particulier le directeur général de LAFARGE, et celui de PROCTER & GAMBLE. C'était vraiment une commission qui pouvait aborder sereinement un problème difficile qu'est celui de la prise en compte de l'environnement à un niveau le plus élevé, pour que nous puissions aborder des décisions qu'il faudra prendre en toute sérénité.

Je tenais à souligner que j'étais impressionné par la qualité des débats et j'ai appris beaucoup. Chacun d'entre nous a appris beaucoup. En 1978, j'ai fait partie du petit groupe qui a réfléchi à la mise sur pied du programme interdisciplinaire de recherche en environnement. Quelques années plus tard, après avoir lancé en 1979 les observatoires écologiques, économiques et sociaux, qui n'ont duré que trois ans, dans un pays où la discipline l'emporte sur l'interdisciplinaire, j'avais trop anticipé des réactions, et il était normal que nous nous dirigions vers un échec parce que les esprits n'étaient pas encore préparés à l'analyse des systèmes complexes. Et il est évident qu'anticiper conduit à des échecs et je les assume pleinement.

Quelques années plus tard avec un groupe de personnes, nous avons sorti un ouvrage qui a été vite épuisé, Les passeurs de frontière. J'ai retrouvé cet esprit dans le cadre de la commission COPPENS. Apprendre à écouter les autres, essayer d'apprendre le vocabulaire des autres, c'est un grand pas vers une manière de vivre ensemble et une manière de trouver des solutions ensemble. C'est ce qui nous a intéressés dans la commission en question.

Mme JOUSSAUME a en charge le programme environnement du CNRS. Il faut beaucoup de temps pour rétablir un équilibre, lorsque nous nous sommes investis sur les disciplines qui sont devenues de plus en plus sectorisées et il faut apprendre à passer les frontières si l'on veut aborder des problèmes aussi importants que les changements climatiques, avec toutes leurs conséquences sociales et économiques.

Cela m'amène à reprendre ma casquette de président de l'Institut français de la biodiversité. Derrière la biodiversité, nous avons appris un peu trop fréquemment aux Français qu'il y avait les petites bêtes et les petites plantes mais nous avons oublié de leur apprendre qu'elles sont associées aux écosystèmes. Les services rendus sont indéniables dans ce domaine. Ils ont d'ailleurs donné lieu à des évaluations économiques. Nous nous apercevons que les zones humides qui représentent le dixième des zones agricoles à l'échelle mondiale rendent quatre fois plus de services que la production agricole.

Ainsi, nous nous apercevons, avec toutes les précautions prises, que les petites bêtes, les petites plantes peuvent rendre des services fantastiques. Maintenant presque tout le monde a aujourd'hui à l'esprit le rôle que jouent les zones humides dans la réduction des teneurs en nitrates en provenance des bassins versants. Les zones humides fournissent de la matière organique qui permet le fonctionnement de la plupart des eaux littorales.

M. le Président de l'Office - Suggérez-vous à l'Office de reprendre ou d'actualiser le rapport sur la biodiversité rédigé par Daniel CHEVALIER ? Des personnes avaient pillé le rapport pour écrire des articles scientifiques dans des revues ou spécialisées ou généralistes et établissaient des copiés-collés. Si des fautes de frappe avaient été intégrées, ils les auraient laissées ! En fait, ils oubliaient à chaque fois de signaler que leur papier était inspiré d'un rapport de l'Office parlementaire. Je parle sous le contrôle du président de l'époque, Jean-Yves LE DEAUT.

M. Jean-Claude LEFEUVRE. - Je suggère de mettre l'accent sur le fonctionnement des écosystèmes et sur les services rendus à la société en particulier, qui font partie des grandes priorités pour demain et qui n'avaient pas été effectivement évoquées dans le rapport en question.

Je pense également qu'un thème sera développé dans les années qui viennent dans le cadre de l'IFB. Il mérite d'être regardé. C'est le problème biodiversité, environnement et santé. Ce problème est visible avec les maladies émergentes, qui sont aussi à relier au problème climatique. Vous constatez la complexité des problèmes et les obligations de liaison entre différentes approches pour que nous essayions de résoudre les problèmes, par exemple le virus du Nil avec les oiseaux migrateurs. Je pourrais vous en citer d'autres. Le fait d'avoir actuellement dans toutes les retenues d'eau des bactéries qui sont liées à des augmentations de nutriments dans les plans d'eau, émettrices de toxines, pose un problème pour le futur. Au moins deux grands sujets mériteraient d'être examinés et nous amènent, sur le plan fondamental, à nous poser de vraies questions. C'est pourquoi certaines espèces qui n'avaient pas posé de problème jusqu'à maintenant se mettent à en poser. Un vrai problème de fond est à étudier. Je souhaiterais que nous puissions l'examiner.

Nous avons beaucoup parlé de la recherche et je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été dit. Mais derrière la recherche doit se jouer la nécessité d'une formation de qualité en direct. Voici trente ans, dans l'enseignement supérieur, 50 % de temps était consacré à l'enseignement et 50 % consacré à la recherche. Aujourd'hui, 70 % du temps est consacré à l'enseignement et 30 % consacré à la recherche. La plupart des jeunes maîtres de conférence n'ont pas le temps de se consacrer à une recherche de pointe. Ils ne peuvent pas être en relation avec de la bonne recherche et donc dispenser un bon enseignement. Nous avons une perte en ligne très importante qui mériterait d'être étudiée de très près. Parallèlement, s'ils veulent progresser sur le plan hiérarchique, ils sont obligés d'être évalués sur la recherche. Ils sont confrontés à leurs collègues des organismes de recherche qui, eux, ont 100 % de leur temps consacré à la recherche. Ainsi nous fabriquons des aigris qui dispensent un enseignement à des jeunes que nous souhaiterions voir intégrés dans la recherche.

M. Daniel KOFMAN. - Je suis chercheur à l'Ecole nationale supérieure des télécommunications et je suis responsable du réseau d'excellence européen qui a pour objectif d'intégrer la recherche européenne autour de l'Internet de nouvelle génération.

Je suis parfaitement en phase avec tout ce qui a été dit sur le domaine des technologies de l'information. Je voudrais revenir sur l'intervention de M. PETIT au sujet de l'écart énorme entre l'investissement américain et le nôtre. Examinons l'Internet dont nous connaissons les impacts sociaux et économiques. Malgré une avance significative des connaissances dans le domaine des télécommunications, la France a été en retard pour l'Internet. L'Internet a été financé à son démarrage par la Défense américaine.

L'Internet est entrée dans une nouvelle génération qui est caractérisée d'une part par la convergence. Nous nous dirigeons vers la convergence télécommunications, Internet, médias. D'autre part, Internet tend à remplacer les autres réseaux, d'où l'importance de l'Internet nouvelle génération qui ouvre des opportunités énormes pour des services, notamment à la vidéo, la télévision.

D'autres opportunités existent pour la productivité de l'entreprise, telle la conception assistée par ordinateur distribuée, basée sur la réalité virtuelle ou le « travail collaboratif fondé sur la réalité augmentée ». Nous avons une avance de connaissances pour les technologies de cet Internet du futur. En revanche, il faudrait éviter, comme cela a été le cas par le passé, de prendre du retard dans l'industrie et pour l'usage de cet Internet. Nous devrions effectuer une étude pour être sûrs que nous nous soyons dotés des moyens pour avancer.

Si nous avons une certaine avance des connaissances, c'est en particulier grâce au RNRT, au réseau national de recherche en télécommunications. Les investissements ont été significatifs dans ce domaine, mais malheureusement, dans le contexte actuel, diminuent. En effet, des retards ont été notés dans le paiement des contrats qui ont déjà été avalisés. Cela pose des problèmes. C'est un exemple.

Cet Internet du futur se développe. Nous parlons encore de bas ou moyen débit. Nous fournissons un effort important pour éviter la fracture numérique. Mais nous devons nous diriger vers des débits plus élevés. La troisième génération doit se baser sur les fibres optiques. Certains pays européens ont favorisé ce déploiement en masse de ce type d'accès. C'est un peu plus prospectif. Il faut se poser ces questions vis-à-vis des opportunités que l'Internet du futur va ouvrir.

On parle d'accès ADSL, PLC, fibres optiques. Ainsi on parle d'accès fixes. Nous devons nous poser la question de ce que sera demain l'accès mobile. Nous avions une avance pour la mobilité, le GSM, la deuxième génération. Cela s'est très mal passé avec la troisième génération. Des pertes faramineuses ont été constatées. Les objectifs de la troisième génération n'ont pas été atteints et ne le seront jamais avec les technologies que nous avons conçues. Nous nous orientons à présent vers la quatrième génération. Mais nous devons ne pas commettre les mêmes erreurs qui ont été effectuées par le passé. Cela pourrait être l'objet d'une étude.

M. Jean-François MINSTER. - Je travaille à l'IFREMER, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer. Je vous rappelle que la mer est importante puisqu'elle est liée aux cycles des éléments et des climats sur terre. Elle est essentielle à la vie sur terre et essentielle à l'homme. La moitié de l'humanité consomme environ 30 % de ses ressources d'alimentation à partir des produits de la mer.

Je suis très à l'aise avec la plupart des commentaires qui ont été apportés. Je vais ajouter deux éléments.

Le premier porte sur le financement de la recherche. N'oublions pas que la recherche est un investissement mais elle se gère aussi comme un investissement. Le différentiel de financement de la recherche entre l'Europe et les Etats-Unis est devenu très grand. Nos laboratoires qui ont pendant longtemps vécu sur des investissements du passé, aujourd'hui ont des retards d'investissement, d'infrastructures, d'hommes, d'outils qui deviennent très pénalisants. Et le différentiel ne fait que s'accroître.

La relation science/société est trop souvent abordée sous l'angle de l'information scientifique et technique. Ici, elle a été abordée sous l'angle de la gestion des risques, sous l'angle de la valorisation économique et de l'innovation. Je voudrais ajouter un autre aspect qui est l'expertise scientifique en gestion de crise. La science sert aussi à gérer les crises.

La relation science/société, qui a été trop souvent résumée à l'information scientifique et technique, est plus variée, et la science est plus utile que le simple fait de transmettre des connaissances.

Mon deuxième sujet porte sur le changement climatique sous l'angle du développement durable. Un excellent rapport a été produit. Le discours est à reprendre et à approfondir. Car la problématique développement durable est plus que simplement le changement climatique. Elle se décline en plusieurs aspects, comme par exemple la gestion des territoires, la gestion des ressources pour l'alimentation - quel type d'agriculture et quel environnement ? -, la gestion de risques qui se déclinent dans beaucoup de problèmes naturels et industriels. Par conséquent la problématique développement durable qui dépasse la problématique environnement mérite d'être repensée. Nous n'avons pas encore su en France construire des programmes de recherche de développement durable. C'est pourtant un des grands enjeux dans les prochaines années.

M. Jean THERME. - Je m'associe à beaucoup de commentaires précédents. Je suis directeur de la recherche technologique au CEA. Je me méfie d'une part de Paris et d'autre part des états-majors, aussi ai-je gardé une responsabilité opérationnelle en province. En effet, je suis directeur du CEA de Grenoble, ce qui me permet de rester en contact avec les réalités du quotidien, ce qui est très important dans nos métiers.

J'ai fait la moitié de ma carrière dans l'industrie et ensuite dans la recherche. Je ne suis pas un scientifique. J'essaie de faire travailler des personnes qu'elles soient de la recherche scientifique, de la recherche appliquée ou de l'industrie de différents domaines. Ma spécialité est celle des technologies de miniaturisation mais j'ai eu la chance de travailler avec des biologistes, avec des personnes du logiciel mais également des personnes des sciences sociales. J'ai toujours essayé de faire travailler ces gens-là ensemble. J'étais sensible aux convergences d'esprit ou à d'autres aspects cités auparavant.

Je voudrais insister sur deux points. Le premier concerne mon domaine, la microéletronique. Je voudrais revenir sur la crainte des nanotechnologies, qui est un problème important. Nous dérivons vers un mélange des OAM, c'est l'équivalent des OGM sauf que le A est atomique. Cela fait encore plus peur. Nous migrons vers une crainte irrationnelle d'un travail fondamental dans ce domaine et je crains que les études ne s'arrêtent rapidement ou se fassent bloquer par cette volonté de bloquer ce type de science. Nous sommes déjà rentrés dans cette problématique. Nous l'avons mal préparée.

Le deuxième point est plutôt une opportunité, l'intelligence ambiante, les écosystèmes d'information, c'est-à-dire tous ces objets qui pourront communiquer avec l'homme ou entre eux et ainsi donneront des possibilités énormes de capacité de communication, de capacité d'intelligence, de capacité d'intervention et sur lesquels je crois personnellement que nous changerons profondément des domaines de l'industrie et des comportements de la société. Je vous donne comme exemple les jeunes qui ont inventé les SMS, qui piratent les disques sur MP3. Notre vie au quotidien en sera changée. Ces évolutions de société sont à anticiper de manière importante.

Je retiens deux thèmes : les nanotechnologies et les problèmes qui leur sont liés ; l'intelligence ambiante et comment en bénéficier sans avoir trop d'effets négatifs sur la société. Ce n'est pas le contenu technique qui m'intéresse mais la méthode.

Tout le monde a dit : nous n'avons plus d'argent. C'est vrai. La France est au mieux une puissance moyenne. Je ne pense pas que ce schéma s'améliorera, compte tenu de la dynamique, que ce soit aux Etats-Unis avec un mouvement d'impérialisme et de regroupement des technologies sur son sol national ou la montée en puissance de l'inventeur Asie. Je pense que nous sommes au mieux maintenant et j'ai peur que cela ne se dégrade dans les années qui viennent.

Face à ce problème, on peut toujours gémir et se plaindre. Ce n'est pas ma technique. J'ai essayé de trouver des idées pour rester dans la compétition et rester dans la course. J'étais directeur au CEA. J'étais le père d'un concept qui s'appelle le pôle Minatec dont l'idée est de créer un centre d'excellence et, autour de celui-ci, de créer des réseaux de compétences pour agréger les savoir-faire qui viennent alimenter un centre d'excellence. Ce centre est un mélange de formation de recherche appliquée et d'innovation industrielle. Nous retrouvons ainsi la convergence des technologies, car la miniaturisation est en fait un outil qui dessert toutes les applications. Nous y trouvons des biologistes, des professionnels en sciences humaines, beaucoup de personnes qui viennent chercher de la technologie pour produire des applications nouvelles.

Mais je me suis aperçu que ce centre d'excellence posait des problèmes généraux. Des étudiants sont chez nous et il serait intéressant que nous puissions leur proposer quels sont les modèles de recherche dans le monde qui se développent en ce moment. Ces fameux centres où nous arriverons à mélanger les nanotechnologies existent aux Etats-Unis et sont des réalisations marquantes. Nous retrouvons des concepts de centre d'excellence, de réseau de compétences et des mélanges de ces deux-là. Mais de nouveaux modèles de R&D s'installent, réussissent, des modèles différents de l'Asie et des Etats-Unis. L'Office parlementaire doit se pencher sur ce problème. Quels sont les modèles gagnants du futur, et quels sont ceux qui sont adaptables au modèle français ?

Nous avons tous des problèmes d'argent. On se retrouve avec un nouvel équilibre entre trois niveaux, les initiatives locales, les collectivités territoriales qui souhaitent définir leur développement économique, à côté d'un Etat qui est devenu planificateur mais qui malheureusement n'a plus d'argent et déplace des masses d'argent qui n'existent pas sur des thèmes nouveaux. Mais surtout se construit, à côté de l'Etat français, le futur espace européen de la recherche qui sera composé des centres d'excellence européens et des régions qui auront des potentialités équivalentes et qui travailleront ensemble. Entre ce niveau local, national et européen, comment va se gérer le nouvel équilibre en termes de R&D, développement économique associé à la R&D ? Quel est l'équilibre entre financement public et financement privé ? Quelle est la limite de l'exercice ? Comment peut-on hybrider ou mixer des financements publics et privés en privilégiant le court terme, sans s'occuper du long terme ? C'est un point très important.

Deux autres questions me paraissent fondamentales. L'Europe est tirée entre l'Asie et les Etats-Unis. Elle subit un contrôle des technologies de l'information par les Etats-Unis, avec un pillage des technologies produites dans nos pays. En France actuellement le capital risque n'est pas capable de faire les deuxième et troisième tours des start-up. Nous perdons toutes les belles start-up françaises à cause des financeurs américains qui viennent les contrôler. 75 % des start-up françaises intéressantes passent sous le contrôle américain.

Je vous parlais du haut du domaine. Mon dernier point concerne le bas du domaine. Tout le monde croit que la Chine va se contenter de la production. Je pense qu'elle va absorber la production et quand la production est absorbée, la R&D disparaît. Car la R&D, sans retour de la production, perd vite ses repères et la remontée dans la R&D est très importante. A quelle vitesse va se délocaliser la R&D ? Je crois qu'elle n'est pas à dix ans, mais de deux, trois ou quatre ans. Les derniers progrès réalisés par la Chine sont très surprenants. Aujourd'hui, d'une part, le risque américain de contrôle du système d'information de la communication et, d'autre part, la remontée dans la chaîne de la valeur de la R&D sont les deux grandes menaces d'un pays comme la France et de l'Europe. J'en suis persuadé.

M. le Président de l'Office - Merci. Jean-Yves LE DEAUT et moi-même devons nous excuser, nous rejoignons La Chaîne parlementaire. Le premier vice-président, Henri REVOL, continue le débat. Nous nous retrouverons tout à l'heure pour continuer la discussion.

Présidence de M. Henri REVOL, sénateur, premier vice-président de l'Office.

M. Jean-Pierre FINANCE. - Je me sens dans la position d'un dernier membre passant un jury de thèse et nous n'avons plus beaucoup de commentaires et de questions à poser à la fin du tour de table. Jean THERME a abordé avec beaucoup de brio l'un des points qui me semblait très important, lié à l'organisation de notre dispositif national, l'articulation entre les trois dimensions qui sont la dimension régionale, la dimension nationale et la dimension européenne. Si nous n'arrivons pas à obtenir un meilleur positionnement en tant que structure nationale, nous aurons un peu de souci. Les régions sont capables d'apporter cette puissance de feu. De même, cet espace européen d'enseignement supérieur et de la recherche est nécessaire et doit être construit dans un délai très bref.

Il est de notoriété publique que nous avons un des systèmes les plus complexes d'organisation de la recherche publique, avec un nombre de structures qui s'enchevêtrent et qui sont concurrentes les unes des autres, avec le paradoxe qu'elles partagent des laboratoires. Elles sont partenaires pour développer l'activité de recherche. Nous avons de véritables problèmes quant à l'organisation de notre dispositif national de recherche publique. Cela vaut pour la notion d'organisme public d'établissement universitaire, et en particulier pour la notion d'évaluation ; l'évaluation est très complexe et morcelée.

Et je crois que nous avons, comme devoir, certainement, de mieux réfléchir sur l'évolution à imprimer à ce système de telle manière qu'il soit à la fois plus souple et plus perméable. Vous parliez tout à l'heure d'économie d'énergie. Je suis presque certain que pour l'organisation, nous avons une dissipation d'énergie considérable. Certes, il faut des financements supplémentaires mais aussi nous devons atteindre un optimum d'organisation.

Un point me préoccupe, avec ma casquette d'ancien président d'université, celui de la stratégie de site. Aujourd'hui, le comité national d'évaluation de la recherche a, par exemple, évalué ce qui se passait sur le site de Grenoble et sur celui de Montpellier. Nous constatons qu'un certain nombre d'organismes de recherche, des universités, ont relativement peu de raisons de se synchroniser fortement et de définir des stratégies partagées. Le système a tout de même beaucoup de difficultés à évoluer, à atteindre l'efficacité que l'on pourrait attendre de lui.

La dimension européenne est tout à fait fondamentale. Beaucoup de réflexions se développent. Le conseil européen de la recherche et la mise en place d'agences de financement sont des questions auxquelles nous devrions réfléchir.

L'articulation entre enseignement supérieur et recherche à l'échelle européenne, avec harmonisation des diplômes, est une question qui doit nous interpeller, de même la question quant à la façon dont nous évoluons au sein de notre pays.

Toujours en termes organisationnels, nous avons un peu de souci pour la mobilisation que nous sommes capables de conduire dans les prochaines années pour renouveler le stock de chercheurs en place. Presque 50 % des personnes prendront leur retraite d'ici une dizaine d'années. Je ne pense pas que nous soyons en situation d'attirer les meilleurs candidats pour renouveler ce stock dont nous avons besoin. Des questions d'ordre structurel se posent. Avons-nous le courage dans notre pays de donner la chance à de jeunes chercheurs, de leur donner les moyens d'expérimenter leurs idées sur des sujets qui sont innovants et créatifs ? Cet état d'esprit existe à certains endroits. C'est loin d'être la règle générale.

En termes de dynamisation du dispositif de recherche, d'attractivité, nous avons certainement beaucoup à faire et l'Office parlementaire pourrait se préoccuper de ces questions de structuration et d'organisation de la recherche et d'attractivité.

On parle beaucoup de science et de technologie, de disciplines dures. Les sciences humaines suscitent une interrogation forte dans notre dispositif de recherche nationale. C'est 35 % des personnels enseignants chercheurs des universités avec un dispositif très émietté, formé de quelques individus et peu de structuration par comparaison avec ce qu'on peut trouver dans d'autres secteurs scientifiques ou technologiques.

Evidemment la relation entre science et société a beaucoup été discutée. On a parlé de l'environnement intelligent. Il est vrai que cela nous permettra d'avancer dans la dimension économique et dans la dimension technologique. On peut aussi se poser la question de la réaction des individus qui vont se retrouver dans ce nouvel environnement. Les aspects comportementaux, sociétaux et psychologiques me semblent revêtir une grande importance. Je ne parle pas de toute la dimension juridique qui est certainement à développer.

Je ne suis pas sûr que nous soyons au nombre des pays les plus actifs vis-à-vis de la propriété intellectuelle à l'échelle européenne ou à l'échelle internationale.

La dimension science humaine en recherche est prise complètement en compte par un dispositif responsabilisé et ne doit pas être considérée comme un mal nécessaire car nous avons des enseignants en droit, en économie, en littérature anglaise, etc... Je crois que cela doit faire partie de nos préoccupations d'optimisation de notre système.

M. Henri REVOL, Premier Vice-Président de l'Office.- Merci à tous les intervenants du conseil scientifique. Je vais donner la parole aux membres de l'Office pour des réactions diverses.

M. Pierre LAFFITTE, membre de l'Office. - Enormément de sujets, très variés, positifs, ont été exprimés. Une préoccupation majeure en est ressortie. J'ai cru comprendre que beaucoup d'entre vous et d'entre nous considéraient qu'il y avait le feu, que le financement était totalement insuffisant, dérisoirement insuffisant comparé à ce que provoque la mondialisation de l'économie et par conséquent la fuite des meilleurs cerveaux.

A côté de ce feu, les problèmes d'attractivité étaient solubles uniquement si entrait en compte un effet de mobilisation massive de moyens financiers. Par ailleurs, nous constatons que dans la plupart des grand pays européens, car le problème qui se pose pour la France se pose aussi pour l'Allemagne, il y a véritablement le feu. Avons-nous une solution ?

L'Europe en tant que telle existe et possède un outil dont c'est le métier. Cet outil s'appelle la Banque européenne d'investissement. J'ai tenu au Sénat un colloque sur ce point qui a montré, premièrement, que les industriels qui étaient présents, les scientifiques qui étaient présents, les économistes et les financiers qui étaient présents ont tous répondu que c'était un moyen et une possibilité. Le vice-président de la Banque européenne d'investissement m'a dit que c'était leur métier, qu'ils en étaient capables, il suffisait que nous le demandions.

Nous, ce sont les responsables des différents Etats européens. Ce n'est pas la Commission, c'est le Conseil des ministres européen. J'ai eu pendant cette réunion un accord de principe du Premier Ministre, M. Jean-Pierre RAFFARIN. J'avais eu auparavant un accord de principe du ministre des Finances, M. Francis MER. Je me demande si véritablement nous ne devrions pas partir en croisade pour que l'ensemble des pays européens puissent aller dans ce sens et que les opinions publiques éclairées, c'est-à-dire les industriels, les chercheurs, les universitaires, soient du même avis. Je sais que d'ores et déjà du côté allemand, l'opinion est à peu près acquise. Du côté italien et même du côté anglais, les contacts que j'ai pu prendre estiment que ce n'est pas déraisonnable de faire un emprunt massif de l'Europe basé sur le remboursement à partir de l'induction que provoquerait ce plan de relance européen, basé sur l'innovation et la technologie, et, rembourser sur une partie de la croissance correspondante.

1 % du produit intérieur brut européen peut parfaitement suffire : c'est ce qui avait été défini lors de cette réunion, ce qui représente 150 milliards d'euros consacrés à la recherche au développement et à l'innovation. Avec 150 milliards d'euros, il est possible de travailler à la hauteur des besoins. C'est à ce niveau-là que nous aurons probablement un effet d'attractivité et un effet de maintien.

Comment le dépenser ? Il faut trouver des structures ad hoc. Les structures de la Commission européenne sont inadaptées. Nous devons trouver des structures du type Eureka et je ne pense pas que ce soit STMicroelectronics qui puisse me rétorquer que ce n'est pas une bonne formule. En effet, c'est à partir d'une opération Eureka que STMicroelectronics existe. Nous avons des colloques qui précisent les priorités, nous avons la possibilité dès la fin 2004 de pouvoir commencer des programmes. Je tiens une réunion pour l'ensemble des filières électroniques européennes au mois de juin. Nous pouvons tenir dans le domaine de l'énergétique, celui des matériaux, de façon à avoir toute une série de priorités.

Je vous demande si vous êtes d'accord de faire un lobbying dans ce domaine. Cela me paraît une bonne opération. L'Office parlementaire peut-il de son côté faire un lobbying ? Je crois que nous avons là un type de réponse pour une partie des questions. Les priorités exprimées me paraissent très intéressantes.

M. Christian BATAILLE, membre de l'Office.- Je ne veux intervenir que très brièvement. Nous pourrons dans les conversations qui suivront, continuer d'échanger.

L'intérêt de cette journée était d'entendre des scientifiques, éminents dans les divers domaines, nous donner leur sentiment sur la situation actuelle.

Je retiens évidemment un très grande inquiétude quant aux financements de la recherche et à l'avenir de notre recherche française. Nous sommes à l'Office suffisamment habitués à dépasser la polémique politicienne. Nous n'avons plus aujourd'hui, dans la volonté nationale, la même force vitale que celle que nous avons eue dans les décennies passées et qui nous avait amenés à privilégier notre recherche. Notre rapport avec les Etats-Unis est évidemment très désavantageux et l'Europe de la recherche tarde à exister.

Si nous avions une véritable Europe, puissance au niveau de la recherche, nous serions sans doute moins pessimistes et moins inquiets.

Paradoxalement, j'ai travaillé avec Claude BIRRAUX dans un domaine sur lequel nous supportons, nous « petits » Français, la comparaison avec les Américains, qui est celui de l'industrie nucléaire et notamment des réacteurs. J'avais fait l'observation que nous disposions du temps politique un peu mieux que les Américains.

Les Américains travaillent avec un circuit politique de quatre ans : c'est un circuit très court. Ils sont sortis, sous la houlette du président CARTER, du développement de l'industrie nucléaire et ils ne réussissent plus à réembrayer. Ils ont à peine le temps de sortir d'une élection présidentielle pour prendre des décisions qu'ils ne peuvent pas exécuter. C'est ce qui vient d'arriver au gouvernement BUSH récemment élu. Ils n'ont pas le temps de mettre en œuvre une politique avancée qu'ils préparent déjà l'échéance suivante.

Nous disposons d'un peu plus de temps et nous n'avons pas les mêmes rythmes d'élections. En fait, les Américains ont un rythme électoral infernal et j'espère que nous pourrons maîtriser l'atout que représente l'industrie nucléaire.

Nous avons avec Claude BIRRAUX commencé une étude qui aurait dû mettre l'accent sur les réacteurs de génération IV et nous avons été amenés à conclure que l'important était certes ce qui se passera en 2040 et 2050, mais, il est beaucoup plus important de réfléchir à ce qui va se passer dans la décennie qui vient.

Nous avons conclu d'entreprendre immédiatement la construction de l'EPR, ce qui fait aujourd'hui l'objet d'un débat politique. Le temps politique n'est pas celui qu'on croit. Le travail de l'Office qui veut porter son regard loin est peut-être parfois happé par des circonstances plus présentes. Bien entendu, nous avons besoin de vous qui représentez des domaines scientifiques les plus divers. J'ai parfois le sentiment - il est patent sur le nucléaire - que nous rejetons dans un avenir lointain des décisions pour mieux éviter d'investir des crédits aujourd'hui et de nous engager à prendre une décision politique. Nous sommes en fait maintenant habitués non pas à des attitudes peu courageuses, mais en tout cas à diluer la décision dans une vision d'avenir qui nous permet d'éviter les problèmes et des débats. Je l'illustre par le nucléaire car c'est un problème que j'observe bien, scientifiquement et politiquement, depuis plusieurs années, mais nous pourrions appliquer cette réflexion à bien d'autres domaines.

M. le Premier Vice-Président de l'Office - Merci à Christian BATAILLE. Je crois que nous pourrons continuer cet échange au cours du buffet qui nous attend maintenant, mais, si quelques-uns souhaitaient une dernière réaction suite à une intervention, vous en avez bien entendu encore la possibilité.

M. Hubert CURIEN. - Pour revenir sur la déclaration de M. Pierre LAFFITTE, comment pouvons-nous à l'échelon européen espérer des moyens nouveaux ? Quand je dis moyens nouveaux, j'insiste sur le terme nouveau. Si le cadre européen que nous construirons consiste en une pompe à finances sur nos propres établissements, alors non. Il faut vraiment que ce système apporte de l'argent en plus. Des systèmes de recours à des banques me paraît intéressant. Autant je suis favorable à la mise en place d'un système de soutien fort à la recherche à l'échelon européen, autant j'estime que ce serait désastreux si ce système consistait dans la mise en commun, par effet de pompe, de ce que ce qui existe dans chacun de nos pays.

M. le Premier Vice-Président de l'Office - C'est un conseil prudent car nous verrions mal ce transfert de vases communicants nous apporter des bénéfices.

M. Laurent GOUZENES. - Je voudrais apporter une précision sur l'importance des législations qui permettent d'orienter la recherche ainsi que l'industrie.

Nous portons la recherche sur des secteurs qui peuvent être imposés par la législation. Le standard de la télévision de haute définition orientera tout un courant de recherche vers la haute définition. Si on nous impose des standards de consommation d'énergies renouvelables par habitant, nous générerons des flux de recherche vers des nouvelles énergies. Nous pouvons prendre comme exemple aussi les droits de tirage CO2. Les entreprises se mettent en place et sont très actives sur cet aspect-là. La législation peut donc être un aspect moteur pour les entreprises et pour développer les relations entre entreprises et laboratoires de la recherche.

M. Michel PETIT. - Ce que j'ai exprimé sur la charte de l'environnement n'est en rien une critique du travail de la commission COPPENS et ses membres qui ont très bien travaillé. Il ne faut pas que le texte qui sera la Charte de l'environnement puisse être rédigé de telle sorte qu'il soit utilisé ultérieurement dans un sens qui n'était pas le sien au préalable. Je souhaiterais donc que la rédaction qui sera approuvée soit très soignée, pour être sûr que cette rédaction ne contient pas des pièges. Le texte proposé par le gouvernement me semble faire apparaître des dangers potentiels qui seront plus perceptibles à des scientifiques et à des techniciens qu'ils ne le seront à des juristes.

M. le Premier Vice-Président de l'Office - L'Assemblée nationale et le Sénat entendent votre conseil. Nous traiterons de ce projet de texte.

M. Axel KAHN. - Je voulais simplement appeler de mes vœux une réflexion si jamais l'Office se saisit de cette question. Une clarification entre les différents étages de la recherche devrait avoir lieu, la recherche finalisée et la recherche non finalisée. Beaucoup d'incohérences résident dans certaines propositions faites. Notamment la réalité du monde dans lequel nous vivons, qui est la financiarisation du management de certaines entreprises, fait qu'un certain type de recherche, dont la finalité - c'est complètement vrai en biologie, c'est vrai dans la plupart d'autres domaines - ne peut être prévue dans des délais raisonnables. Aujourd'hui elles ne peuvent plus du tout être financées par le système du capital-risque.

Je suis depuis très longtemps responsable du conseil scientifique d'un des principaux capital-risqueurs qu'est la Société générale en France. J'ai vu la désaffectation très massive des capitaux privés d'un type de recherche qui ne peut plus être financé en réalité qu'au niveau européen, et par d'autres systèmes. Si on ne comprend pas cela, on ne comprend pas la raison du succès américain.

La raison du succès américain est non seulement liée à la prégnance de la volonté de finalisation, à l'importance de la recherche et développement, mais aussi au fait qu'ils ne négligent aucune des trois étapes, que tout ce qui ne peut plus être financé par un management financier de l'entreprise, ou par les fonds privés l'est alors par les taxes du contribuable. Le succès américain est le succès d'un système qui, avec beaucoup de lucidité, a compris la logique de ce qui fait la puissance américaine et intervient en tant que de besoin à tous les niveaux. J'ai l'impression que des personnes éminentes qui sont autour de nous ne l'entendent pas ou bien ne le répercutent pas.

M. Jean-Claude LEFEUVRE - L'un des problèmes qu'a connus la commission COPPENS est d'envisager une loi organique qui soit accrochée au texte qu'elle a créé. Cette loi organique avait le grand mérite de pouvoir redéfinir des principes, dont le principe de précaution. Effectivement, personne d'entre nous n'a envie que l'on utilise des principes pour bloquer la recherche. C'est clair.

Derrière l'arsenal juridique, des moyens sont mis en œuvre. Le problème du principe de précaution est qu'il a été imposé par une directive européenne et l'est dans la législation française à travers la loi Barnier de 1995.

L'intérêt de le mentionner à nouveau et de l'installer dans une loi organique est que vous lui donnez une nouvelle définition et évitez ainsi les dérives. L'un des intérêts du principe de précaution est, justement, lorsque nous ne sommes pas au fait d'une expérience, de lancer la recherche. Nous avons parlé des OGM. Un moratoire de cinq ans a été réalisé. Ce moratoire aurait dû être l'occasion de lancer une recherche de fond sur les OGM pour répondre aux questions et atténuer les inquiétudes. Or cela n'a pas été le cas.

M. le Premier Vice-Président de l'Office - Il me reste à vous remercier. Le président BIRRAUX vous transmettra ses remerciements tout à l'heure. Un débat d'une extrême richesse a eu lieu et il est tout à fait dans le cadre de la réflexion que nous engageons au niveau parlementaire. Heureusement, si j'ai bien lu ce matin la presse, le Président de la République a annoncé la nécessité d'une loi d'orientation dans le domaine de la recherche et chargé la Ministre d'en préparer le projet.

Vous nous aidez beaucoup en apportant toute la richesse des propositions faites ce soir au Parlement par notre intermédiaire.


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