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Session extraordinaire de 2001-2002 - 3ème jour de séance, 3ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 9 JUILLET 2002

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

      REQUÊTES EN CONTESTATION
      D'OPÉRATIONS ÉLECTORALES 2

      DÉSIGNATION DE CANDIDATS
      À DES ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES 2

      FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 2

      RAPPEL AU RÈGLEMENT 2

      AMNISTIE 3

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 9

      QUESTION PRÉALABLE 16

      A N N E X E ORDRE DU JOUR 42

La séance est ouverte à quinze heures.

REQUÊTES EN CONTESTATION D'OPÉRATIONS ÉLECTORALES

M. le Président - En application de l'article L.O. 181 du code électoral, j'ai reçu du Conseil constitutionnel communication de cinq requêtes en contestation d'opérations électorales.

Conformément à l'article 3 du Règlement, cette communication est affichée et sera publiée à la suite du compte rendu intégral de la présente séance.

DÉSIGNATION DE CANDIDATS
À DES ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre des demandes de désignation de membres de l'Assemblée nationale au sein de 78 organismes extraparlementaires, pour lesquels il revient aux commissions de présenter des candidats.

Conformément à l'alinéa 2 de l'article 26 du Règlement, j'ai décidé de confier aux commissions retenues sous la précédente législature le soin de présenter les candidats.

La liste des désignations sera affichée, notifiée et publiée à la suite du compte rendu de la présente séance.

Les candidatures devront être remises à la Présidence avant le jeudi 1er août 2002, 18 heures.

FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président - L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au dimanche 4 août 2002 inclus a été fixé ce matin en Conférence des présidents. Il sera annexé au compte rendu de la présente séance.

J'appelle l'attention de l'Assemblée sur le fait qu'il sera tenu séance, ce soir, à 21 heures, afin de poursuivre la discussion du projet de loi portant amnistie.

M. Robert Pandraud - Très bonne décision !

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Jacques Brunhes - Me fondant sur l'article 58 de notre Règlement, j'élève au nom des députés communistes et républicains une vive protestation contre les conditions de travail qui nous sont imposées.

Le Conseil des ministres a approuvé ce texte la semaine dernière. Le lendemain à 9 heures, la commission désignait son rapporteur, et à 9 heures 02, nous avions le rapport ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Une telle précipitation nuit au travail du Parlement dont vous-même, Monsieur le Président, comme le Président de la République, entendez pourtant renforcer le rôle. Notre inquiétude est d'autant plus grande que l'on use de la même méthode pour les textes suivants. Lisez donc les propos que le sénateur Raffarin (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) tenait l'année dernière contre la précipitation dans l'examen des textes. Je regrette qu'il oublie aussi rapidement ses bonnes positions d'hier (Applaudissements sur les bancs du groupe C. et R. et du groupe socialiste).

M. le Président - Je prends acte de votre rappel au Règlement.

M. Jean-Marc Ayrault - Je souhaite à mon tour faire un rappel au règlement fondé sur l'article 58.

Le Gouvernement a inscrit à l'ordre du jour des 1er et 2 août, à la fin de la session, le projet de loi d'orientation et de programmation sur la justice, sur lequel, il a en outre déclaré l'urgence. Nous pourrions l'admettre, si ce projet ne portait que sur les moyens de l'institution judiciaire. Mais ce n'est pas le cas : le texte ne comporte pas moins de soixante articles et réforme en profondeur des pans entiers de la procédure pénale, et non des moindres : l'ordonnance de 1945 sur la protection des mineurs, les procédures de comparution immédiate devant les tribunaux, la détention provisoire, la présomption d'innocence, les droits des victimes (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

L'Assemblée devrait pouvoir travailler dans les meilleures conditions sur ces questions qui touchent aux fondements mêmes des droits et libertés de nos concitoyens. Et l'on entend suggérer que l'on pourrait modifier quelque peu à cette occasion l'incrimination d'abus de biens sociaux... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Comment admettre que le Gouvernement nous demande de débattre sur un aussi vaste sujet en deux jours, quand tout le pays pense aux vacances ? (Mêmes mouvements) Voudrait-on procéder à une adoption en catimini, à la sauvette ? (Mêmes mouvements)

M. le Président - Laissez M. Ayrault s'exprimer.

M. Jean-Marc Ayrault - Ces conditions ne nous permettront pas de participer efficacement à l'examen du texte. Le Gouvernement a-t-il si peu confiance en son projet, chercherait-il à en dissimuler la teneur ? Je ne lui ferai pas de procès d'intention (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP). Mais je dis qu'une telle précipitation n'est pas acceptable. C'est là faire peu de cas du débat et des droits de l'opposition (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) que vous-même, le Président de la République et le Premier ministre entendez garantir. Ne conviendrait-il pas de passer des déclarations d'intention à la pratique ? (Mêmes mouvements) Mes chers collègues de la majorité, allez-vous justifier mes inquiétudes par votre attitude intolérante ?

La majorité à l'Assemblée nationale concordant avec celle du Sénat, nous pourrions en être réduits à une seule lecture. Est-il acceptable de modifier en profondeur notre droit pénal sans que l'Assemblée nationale et le pays puissent en débattre sérieusement ? Je demande donc solennellement au Gouvernement de reporter l'examen de tous les chapitres relatifs à la procédure pénale à la session ordinaire d'octobre. La justice a besoin de sérénité, non de réformes bâclées. Faites la preuve de votre sincérité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.)

M. le Président - Je prends acte de votre rappel au Règlement.

AMNISTIE

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant amnistie.

La parole est à M. le Garde des Sceaux...

M. Jean-Pierre Brard - Ce n'est pas M. Perben, c'est Stakhanov ! (Rires sur les bancs du groupe C. et R. et sur divers bancs)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Je remercie M. Brard de reconnaître mes qualités de travail (Sourires).

Ce projet de loi est le premier que le Gouvernement présente au Parlement dans le cadre de cette session extraordinaire.

L'amnistie est le fruit d'une très longue tradition. Elle est née à Athènes au Ve siècle, lorsque les citoyens réunis en assemblée décidèrent de se réconcilier en adoptant la toute première loi d'amnistie de l'histoire.

Cette clémence collective, qui effaçait la répression et les poursuites, avait moins pour objet l'oubli des faits eux-mêmes que celui de la discorde au profit de la concorde.

La pratique de l'amnistie s'est ensuite étiolée, même si la République romaine la connut. L'une d'elles fut, selon Plutarque, décrétée par le Sénat, sur la proposition de Cicéron, en faveur des meurtriers de César.

Le Moyen Age fut le moment du pardon individuel ou collectif accordé par les seigneurs puis par les rois, conformément à l'adage selon lequel toute justice émanait du roi (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). C'est la Révolution qui fit renaître l'amnistie, seule procédure de clémence jusqu'à ce que Bonaparte réintroduise la grâce dans le droit français.

Après la Révolution, toutes les Républiques firent de l'amnistie une prérogative du pouvoir législatif. La Constitution de 1958 perpétue cette tradition républicaine dans son article 34, car l'amnistie est bien une tradition de cette République qui a dû, à mesure qu'elle s'établissait dans les institutions et dans les esprits, cicatriser les plaies de l'histoire, après la Commune, l'affaire Dreyfus, ou les guerres et événements violents qui déchirèrent la nation.

Dès le début de la IIIe République, l'amnistie illustre aussi la fraternité républicaine inscrite sur les frontons des lieux publics.

C'est en effet une loi républicaine, de générosité et de tolérance, qui affirme régulièrement, en particulier après chaque élection présidentielle, par l'effacement de certaines infractions, la valeur de la réconciliation et de la cohésion nationales.

Au fil des années, le champ de l'amnistie varie donc en fonction des exigences fondamentales de la République. S'il s'agit de « panser ses blessures » selon l'expression du général de Gaulle, il s'agit aussi, dans une France réconciliée avec elle-même, d'affirmer des valeurs de générosité, de tolérance et de solidarité, de civisme, de responsabilité, de sécurité (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

C'est l'ensemble de ces valeurs humanistes qui fondent « la France du respect » que Jacques Chirac a incarnées dans l'élection présidentielle et qui sont aujourd'hui portées par le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.

Ces principes fondamentaux forment le socle de ce projet de loi, le premier projet d'un gouvernement qui, comme l'a affirmé le Premier ministre dans la déclaration de politique générale que vous avez approuvée la semaine dernière, fait du rétablissement de l'autorité de l'Etat et d'une justice plus sereine, plus efficace et plus humaine, une priorité essentielle.

Ce projet amnistie certaines infractions commises avant le 17 mai 2002, date du début du nouveau mandat du Président de la République.

Sur le fond, il reprend dans ses grandes lignes les principes de la loi d'amnistie du 3 août 1995, beaucoup plus restrictive que celles du 4 août 1981 et du 20 juillet 1988.

Toutefois, pour tenir compte de l'évolution de notre société et de la priorité accordée par le Gouvernement à la lutte contre les différentes formes d'insécurité, nous avons voulu mieux concilier le geste de pardon, inspiration même de l'amnistie, avec les nécessités de la répression, en augmentant nettement le nombre des infractions exclues de l'amnistie.

Ce projet se divise en six chapitres. Le premier, qui comprend les articles premier à huit, porte sur l'amnistie de droit et regroupe deux formes traditionnelles d'amnistie : d'une part, l'amnistie réelle, qui amnistie les infractions en raison de leur nature ou des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, d'autre part, l'amnistie dite au quantum, pour les infractions ayant donné lieu à une condamnation inférieure ou égale à un maximum fixé par le législateur.

Figurent dans la première catégorie notamment les contraventions de police, les délits punis uniquement d'une peine d'amende, les délits de presse, les délits militaires, les délits commis au cours de conflits sociaux ou professionnels.

Il reviendra au ministère public de constater cette amnistie de plein droit.

L'article 3 amnistie également les délits commis en relation avec des élections de toute nature, à l'exception, comme je l'ai précisé maintes fois, de tout délit en relation avec le financement direct ou indirect de campagnes électorales ou de partis politiques.

S'agissant de l'amnistie en raison de la nature ou du quantum de la peine prononcée, elle portera sur les délits ayant donné lieu à une simple peine d'amende ou de jour amende, sous réserve du paiement de celle-ci lorsqu'elle est supérieure à 750 €.

Pour les condamnations à une peine d'emprisonnement sans sursis, ou accompagnées d'un sursis avec mise à l'épreuve, le quantum de la loi du 3 août 1995 est repris : cette peine ne doit pas excéder trois mois (« C'est généreux ! » sur les bancs du groupe UMP).

Les condamnations à une peine d'emprisonnement avec sursis, égales ou inférieures à six mois et assorties de l'obligation d'effectuer un travail d'intérêt général, sont aussi amnistiées lorsque le travail a été effectué et que le sursis n'a pas été révoqué.

Ce régime est plus sévère que celui de la loi de 1995, puisque le seuil passe de neuf à six mois.

Lorsque les peines amnistiables sont prononcées en même temps qu'une peine d'amende ou de jour amende, l'amnistie n'est acquise qu'après paiement de l'amende si celle-ci est supérieure à 750 €.

Le deuxième chapitre concerne la mesure hybride, mais également traditionnelle, dite de « la grâce amnistiante ». Comme la grâce elle permet une individualisation de la mesure d'oubli ; comme l'amnistie, elle efface la condamnation pour des faits délictueux.

Cet article permet donc au Président de la République d'accorder l'amnistie d'infractions non couvertes par l'amnistie de droit, d'une part, aux personnes de moins de 21 ans au moment des faits, d'autre part, à des personnes ayant servi, de manière déterminante, l'intérêt général.

Il s'agit, en premier lieu, des anciens combattants. Votre commission s'est étonnée de ce que même ceux de la première guerre mondiale soient mentionnés. Certes, les centenaires ont peu de chances d'être concernés par l'amnistie. Mais les en exclure a priori pourrait être mal interprété (Murmures sur les bancs du groupe socialiste).

Sont concernés, en deuxième lieu, les résistants et les déportés et enfin les personnes qui se sont distinguées de manière exceptionnelle dans les domaines humanitaire, culturel, scientifique, économique, ou, nouveauté par rapport à la loi d'août 1995, dans le domaine sportif.

Cette faculté se limite aux infractions non exclues par l'article 13 du projet et elle n'est accordée que si les personnes concernées n'ont pas été condamnées, avant cette infraction, à l'emprisonnement ou à une peine plus grave, pour crime ou délit de droit commun.

Le bénéfice d'une telle mesure, par nature exceptionnelle, est subordonné à la présentation d'une demande dans le délai d'un an à compter de la publication de la loi ou de la condamnation définitive.

Le troisième chapitre prévoit que les fautes disciplinaires ou professionnelles commises avant le 17 mai 2002, sont amnistiées de plein droit, sous réserve des exclusions prévues à l'article 13.

Les fautes disciplinaires constituant des manquements à l'honneur, à la probité ou aux bonnes m_urs ne peuvent être amnistiées que par une mesure individuelle du Président de la République.

Ce projet tient compte des priorités du Gouvernement en matière de lutte contre l'insécurité et se veut cohérent avec la politique pénale que nous entendons mener.

C'est pourquoi les exclusions, objet du chapitre IV, sont beaucoup plus nombreuses que lors des lois précédentes. Toutes les exclusions prévues en 1995 ont été reprises, et parfois étendues, et de nouvelles exclusions ont été prévues.

L'article 13, article unique de ce chapitre, en dresse la liste : il ne comporte pas moins de 41 alinéas.

Parmi les exclusions traditionnelles figurent, outre les actes de terrorisme, les discriminations, les frais de corruption, la fraude et la corruption électorales, le trafic de stupéfiants, le trafic de main-d'_uvre, les atteintes à l'environnement. Sont également exclus les délits d'outrage, de rébellion, de violence, d'injures ou de diffamation commis sur les personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public, comme les policiers, les gendarmes ou les agents des réseaux de transports publics.

Mais le champ de ces exclusions traditionnelles a été élargi à l'association de malfaiteurs et au proxénétisme, ainsi qu'aux infractions en matière de fausse monnaie et aux infractions relatives à la réglementation sur les armes.

Parmi les nouvelles infractions exclues de l'amnistie figurent le harcèlement sexuel et le harcèlement moral, les infractions sexuelles commises contre des mineurs, ou encore l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse d'une personne.

Le délit de recours à la prostitution de mineur, créé par la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, figure dans la liste des exclusions.

Votre commission a proposé un certain nombre d'amendements de précision rédactionnelle. Je dis d'emblée que j'y suis favorable.

Votre commission a également tenu à étendre ce champ déjà large en ajoutant à la liste des infractions exclues le délit de blanchiment créé par la loi du 13 mai 1996 et celui d'enlèvement international d'enfants. J'y suis tout à fait favorable.

S'agissant des infractions routières, nous partageons tous le sentiment de l'urgence et de la nécessité de lutter avec sévérité contre l'insécurité routière. Le champ des exclusions n'a cessé de s'élargir. La loi de 1981 limitait l'exclusion à la conduite en état d'ivresse et aux délits de fuite liés à des blessures involontaires. La loi de 1995 y avait ajouté tous les délits au code de la route, ainsi que les contraventions entraînant le retrait de plus de trois points du permis de conduire.

L'article 13 exclut tous les délits et la plupart des contraventions du code de la route. Toutefois, conformément aux engagements du président Jacques Chirac, mais aussi dois-je le rappeler ? - aux promesses d'autres candidats, les contraventions de stationnement payant, de stationnement abusif et de stationnement gênant, sont amnistiées, sauf lorsqu'il s'agit de stationnement sur des emplacements réservés aux véhicules de service public ou aux personnes handicapées. Ces comportements traduisent en effet un incivisme caractérisé.

Le défaut de port de la ceinture de sécurité, ou la conduite avec un téléphone portable sont exclus de l'amnistie.

Des exclusions supplémentaires sont proposées par plusieurs membres de la commission. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.

Enfin, je souligne que, pour la première fois, le projet exclut du bénéfice de l'amnistie les délits et les contraventions commis en état de récidive légale, hypothèse qui révèle une particulière dangerosité de l'auteur des faits, puisque celui-ci a commis une infraction après avoir déjà été condamné pour des faits similaires. Cet alinéa 40 de l'article 13, touchera notamment les petites infractions commises à répétition par certaines entreprises.

Le chapitre V rappelle les effets traditionnels des lois d'amnistie en renvoyant au code pénal et au code de procédure pénale.

L'amnistie, je le rappelle, efface la condamnation, et éteint l'action publique, elle entraîne la remise de toutes les peines, le rétablissement du condamné dans le bénéfice d'un sursis entièrement prononcé qui était révoqué par la condamnation amnistiée ainsi que l'absence d'effets préjudiciables aux droits des tiers.

Comme dans la loi d'amnistie du 3 août 1995, il est précisé que l'amnistie n'entraîne pas la restitution ou le rétablissement des autorisations administratives annulées ou retirées.

Certaines mesures ne peuvent pas être effacées par l'amnistie, par exemple la faillite personnelle, l'interdiction du territoire français, l'interdiction de séjour, l'interdiction des droits civiques.

Les articles 16 à 18 posent d'autres limites traditionnelles : absence d'effet sur les décisions de retrait de l'autorité parentale, absence de réintégration de droit dans les grades ou emplois, non-rétablissement des distinctions honorifiques.

Le projet précise que les informations relatives aux faits amnistiés sont maintenues dans les fichiers de police judiciaire. En effet, si l'amnistie efface les condamnations, elle n'interdit pas de rappeler les faits eux-mêmes. Il était indispensable de prévoir ce principe pour garantir l'efficacité des fichiers de police judiciaire, qui serait grandement affaiblie si une partie de leur contenu était régulièrement effacé.

Le titre VI, enfin, est relatif à l'application de la loi dans les territoires, les collectivités territoriales et les départements d'outre-mer.

Le dernier article, l'article 22, a pu susciter, chez certains d'entre vous, un peu de perplexité. Il est indispensable pour assurer la continuité du service public des transports de personnes en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane.

Sans revenir sur tous les épisodes d'une longue histoire, qu'il me suffise de préciser que les conventions passées entre les transporteurs et les collectivités locales de ces départements ignorent, pour la plupart, les règles de la « loi Sapin » du 29 janvier 1993.

La prorogation jusqu'au 1er janvier 2006 de ces concessions permettra d'une part, de combler un vide juridique, d'autre part, de nouer une négociation constructive entre toutes les parties concernées pour concilier le respect de la légalité, les préoccupations des exploitants et les intérêts des usagers. Cette disposition n'a donc rien de fondamentalement contraire à l'esprit d'une loi d'amnistie.

Je le rappelle, l'amnistie est une prérogative du pouvoir législatif. Il vous appartient de réfléchir à l'avenir d'une mesure qui jette périodiquement le voile de l'oubli sur certaines infractions, dans une société où la mémoire tient une place parfois paradoxale.

Nous vivons en effet un temps de commémoration, voire de repentance. Les Français ont marqué l'importance qu'ils attachent au rétablissement de l'autorité de l'Etat et aux valeurs de la République. Une amnistie équilibrée, mesurée, conforme aux valeurs de tolérance et d'humanisme qui sont les nôtres, mais relativement restreinte dans ses effets, me paraît tout à fait adaptée à l'évolution de notre société (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Michel Hunault, rapporteur de la commission des lois - Chaque élection présidentielle de la Ve République a donné lieu à l'adoption d'une loi d'amnistie. Les lois d'amnistie, rappelons-le, sont des lois d'exception, d'interprétation stricte, qui ne portent pas préjudice aux droits des tiers et qui se distinguent de l'exercice du droit de grâce présidentielle.

On peut s'interroger sur l'opportunité de cette pratique, ce que n'ont pas manqué de faire plusieurs membres de la commission des lois, lorsqu'on sait qu'en 2001, plus de 4 millions de crimes et délits ont été commis et n'ont donné lieu qu'à 550 000 jugements et que sur 100 00 condamnations à des peines de prison, 37 000 ne sont jamais exécutées. Le Président de la République et le Gouvernement, soutenus par la majorité parlementaire, entendent faire de la lutte contre l'insécurité et la délinquance la priorité de leur action : c'est pourquoi l'examen du projet sur l'amnistie sera suivi de la discussion des projets de loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure et sur la justice ; c'est aussi pourquoi ce projet d'amnistie, s'il s'inscrit dans la tradition républicaine, est très restrictif.

Il comporte six chapitres, dont les quatre premiers définissent le champ d'application de l'amnistie, et les deux suivants ses effets. Il reprend dans ses grandes lignes le texte adopté en 1995, mais réduit sensiblement le champ d'application de l'amnistie par rapport à ceux de 1981 et 1988. Au vu de l'enjeu majeur que constitue l'éthique pour notre démocratie, et pour dissiper tout soupçon, il exclut les délits économiques et financiers ou en relation avec le financement des campagnes électorales et des partis politiques (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). La France se distingue sur ce point de certains de ses voisins européens, notamment de l'Italie qui a récemment amnistié l'ensemble des délits politico-financiers.

M. Arnaud Montebourg - Quelle référence !

M. le Rapporteur - Cette rigueur se retrouve dans la fixation du quantum de la peine ouvrant droit à l'amnistie : si le plafond de trois mois retenu en 1995 pour les peines d'emprisonnement fermes ou assorties d'un sursis avec mise à l'épreuve est maintenu, le seuil est ramené de neuf à six mois, pour les peines d'emprisonnement assorties du sursis simple.

En outre, le projet comporte quarante-deux catégories d'infractions exclues de l'amnistie, contre vingt-huit en 1995, dix-sept en 1988 et quatorze en 1981.

Jeudi dernier, la commission a adopté un amendement que j'avais déposé, visant à exclure expressément de l'amnistie le blanchiment de l'argent sale, incrimination qui, faut-il le rappeler, avait été créée sous le gouvernement Juppé. Ce matin, elle a adopté à l'unanimité un amendement de l'opposition, précisant qu'est exclu de l'amnistie le délit d'abus de biens sociaux.

M. Christian Bataille - On respire !

M. Arnaud Montebourg - Temporairement !

M. le Rapporteur - Pour la première fois, l'amnistie ne pourra pas bénéficier aux délits ou aux contraventions de cinquième classe commis par des récidivistes, cela afin de lutter contre la délinquance endémique qui sévit dans certains quartiers.

Aux exclusions traditionnelles concernant la grande délinquance ou l'atteinte à la sûreté de l'Etat, ont été ajoutés les délits d'association de malfaiteurs et de proxénétisme et les infractions en matière de fausse monnaie. Les infractions à la législation et à la réglementation sur les armes ont également été exclues pour la première fois ; il faut dire que le drame de Nanterre reste dans nos mémoires.

La liste des infractions portant atteinte à l'autorité de l'Etat ou à ses agents a été complétée, afin de viser expressément les violences sur personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, les outrages ou violences visant les agents de chemin de fer ou de réseaux de transports publics, le défaut habituel de titre de transport, la diffamation ou les injures envers les autorités publiques et les destructions ou dégradations commises sur les emprises de la SNCF.

La protection des personnes en situation de vulnérabilité, notamment des mineurs a été renforcée par l'exclusion de l'ensemble des infractions de nature sexuelle, qui jusqu'à présent ne figuraient pas dans le champ des exclusions, ainsi que l'exclusion d'infractions récemment reconnues comme le recours à la prostitution de mineurs, le harcèlement sexuel ou moral ou l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse, qui vise les agissements des sectes.

Afin de lutter contre l'insécurité routière, et conformément aux engagements du Président de la République, les délits et contraventions au code de la route ont été exclus à l'exception de certaines contraventions de stationnement. Le texte est donc beaucoup plus restrictif qu'en 1995, où toutes les contraventions au code de la route entraînant au plus le retrait de trois points du permis de conduire avaient été amnistiées.

La volonté de redonner à l'éthique toute sa place a conduit à exclure, outre les infractions économiques et financières, les infractions en matière douanière et fiscale, les trafics de main d'_uvre et les principaux délits en matière de concurrence et de bourse. A ces exclusions traditionnelles a été ajoutée l'exclusion des faits ayant donné lieu à des sanctions disciplinaires ou professionnelles prononcées par les autorités administratives financières.

Cette rigueur nouvelle se retrouve également dans les effets de l'amnistie, qui pour la première fois n'empêchera pas le maintien, dans les fichiers de police judiciaire, des mentions relatives à des faits amnistiés.

Pour la commission des lois, l'allongement considérable de la liste des exclusions devrait nous amener à nous interroger sur la structure des lois d'amnistie. Celles-ci gagneraient sans doute en lisibilité si les infractions admises au bénéfice de l'amnistie étaient limitativement énumérées, plutôt que déduites des exclusions. On pourrait également être conduit, à terme, à remettre en cause le principe même des lois d'amnistie, fortement critiquées pour leurs conséquences négatives sur la crédibilité de la sanction pénale.

Il convient de préciser que les exclusions prévues par le texte et ajoutées par voie d'amendement réduisent à un tiers le nombre de personnes condamnées qui peuvent bénéficier de cette loi d'amnistie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. René Dosière - L'amnistie est, d'abord, un acte politique. Elle est même au c_ur de la République, au point qu'un historien, Stéphane Gacou, qui vient de publier sa thèse de doctorat, a pu écrire que « la République a été fondée par l'amnistie », en référence aux amnisties de 1879 et 1880 concernant la Commune de Paris.

Ayant raté la dissolution de 1877, le Président de la République d'alors se « démet » - O tempora ! O mores ! - (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et va être remplacé par un républicain.

M. Jean-Pierre Brard - N'est pas Mac-Mahon qui veut !

M. René Dosière - Les conseils municipaux en 1877, et le Sénat en janvier 1879 deviennent à majorité républicaine. C'est alors que l'Assemblée quitte Versailles pour revenir siéger au Palais Bourbon, que la fête nationale est fixée au 14 juillet et que « la Marseillaise » est adoptée comme hymne national.

Cette conjoncture politique nouvelle appelle l'amnistie concernant la Commune ; pour Gambetta, l'amnistie est la première pierre de l'unité nationale. Elle réintègre au sein de la République une et indivisible ceux qui, à un moment ou un autre, se sont trouvés exclus.

L'amnistie est un acte rationnel, un retour à la source des valeurs républicaines. Il en ira ainsi, ultérieurement, avec les grandes amnisties qui concerneront les conflits du travail et permettront l'intégration dans la vie politique des socialistes et des communistes ; avec l'amnistie liée à l'affaire Dreyfus ; avec l'amnistie de la collaboration, celle de la guerre d'Algérie, et, plus près de nous, celle qui a suivi les accords de Matignon concernant la Nouvelle-Calédonie. Parce qu'elle permet de tourner la page, l'amnistie est refondatrice.

Certes, il y a toujours eu des contestataires de ces amnisties, jugeant que l'effacement était trop précoce, ou d'ampleur discutable, voire injuste. C'est à propos de l'amnistie Dreyfus que Charles Péguy exprima sa colère en constatant que « Tout commence en mystique et finit en politique ».

D'une certaine manière c'est à une telle dégénérescence que l'on assiste avec les textes d'amnistie portant uniquement sur des délits de droit commun, tel celui dont nous débattons aujourd'hui.

Sans doute ce type d'amnistie n'est-il pas nouveau : la IIIe République en connut quelques-unes entre les deux conflits mondiaux, la IVe République aussi, ce qui est nouveau avec la Ve République, c'est le caractère systématique et programmé de l'amnistie à chaque élection présidentielle. Selon une étude très documentée de Mathieu Conan, il en allait tout autrement auparavant. Sous la IIIe République, seules cinq élections présidentielles furent suivies d'une amnistie « avènementielle » pourrait-on dire, trois d'une amnistie liée à d'autres événements et sept ne donnèrent lieu à aucune amnistie.

Sous la IVe République, celle qui suit l'élection de Vincent Auriol a des motifs plus vastes comme le souligne Edgar Faure, rapporteur du texte : « Elle dépasse largement la portée que lui assignerait le simple renouveau d'une tradition généreuse, la clémence rituelle des avènements ». Mais après l'élection de René Coty, il n'y aura point d'amnistie.

La pratique de la Ve République de faire référence à l'élection du Président souligne bien le caractère très personnalisé du pouvoir. Plus qu'à une « tradition républicaine » il s'agit d'une coutume monarchique selon laquelle le souverain marque toujours son règne par un acte de miséricorde.

M. Claude Goasguen - Délayage !

M. René Dosière - Le souverain tirant sa légitimité du droit divin, il a tous les pouvoirs, y compris celui de pardonner. Comment dès lors distinguer entre grâce et amnistie ? Il faudra attendre la République pour que la distinction soit faite : l'article 3 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 énonçant que « le Président de la République a le droit de faire grâce », formulation reprise par l'article 17 de la Constitution de la Ve République, celui-ci précisant toutefois que « les amnisties ne peuvent être accordées que par une loi », disposition reprise à l'article 34 selon lequel la loi, votée par le Parlement, fixe les règles concernant l'amnistie.

Au demeurant, la première amnistie de la Ve République ne consacre pas encore la présidentialisation de l'amnistie puisque le Garde des Sceaux de l'époque, M. Edmond Michelet, fait référence à cette tribune le 7 juillet 1959 à l'installation du nouveau régime et propose que l'amnistie parte du 28 avril 1959, date d'ouverture officielle de la session du nouveau Parlement, afin de rendre hommage aux Assemblées. Tout changera après l'élection du Président de la République au suffrage universel. La « tradition » si souvent invoquée a donc moins de quarante ans !

Au demeurant, cette « tradition » peut-elle être source de droit ? Saisi en 1988 par l'opposition de l'époque, au motif que la loi votée « déroge à la tradition », le Conseil constitutionnel répond que cette tradition ne saurait en tout état de cause être regardée comme ayant engendré un principe fondamental reconnu par les lois de la République. C'est dire combien les propos ministériels faisant référence à cette tradition sont conjoncturels. Cette référence a d'ailleurs suscité l'ironie piquante de Bruno Masure...

M. Claude Goasguen - Vous n'avez donc rien à dire !

M. René Dosière - ...qui écrit : « Tradition : manière d'agir qui est un héritage du passé. Depuis toujours et sur tous les continents, civilisation rime avec tradition. L'excision des jeunes filles ? Une aimable tradition africaine ! L'esclavage ? Une tradition antique ! La lapidation des femmes adultères et des homosexuels ? Une riante tradition d'intégristes musulmans ! En France, nous jouissons de la tradition « républicaine » de l'amnistie qui permet à tout un chacun de transgresser le code de la route les mois précédant une élection présidentielle. D'où le dicton : avant mai, fais ce qu'il te plaît ! ».

En réalité, la tradition se trouve plutôt dans le travail de copie de la Chancellerie qui, d'un projet d'amnistie à l'autre, reprend les mêmes termes. Ainsi l'article 9 du présent texte fait bénéficier de l'amnistie par mesure individuelle « les engagés volontaires de 1914-1918 », formulation immuable des projets précédents... à la différence près, qui a échappé aux auteurs du texte mais non à la sagacité du rapporteur, que, les années passant, les intéressés auraient aujourd'hui entre 100 et 110 ans... âge auquel, on en conviendra, il est rare de commettre une infraction de droit commun !

Au-delà de l'anecdote, il s'agit de savoir si l'on peut ainsi, de septennat en quinquennat, reproduire de telles dispositions, en ignorant l'évolution de la société française, et surtout de son rapport à la politique.

Peut-on faire fi des records d'abstention enregistrés aux dernières élections ?

M. Claude Goasguen - Quel est le rapport ?

M. René Dosière - 28 % au premier tour de la présidentielle et 40 % au second tour des législatives (« Qu'est-ce que cela a à voir ? » sur plusieurs bancs du groupe UMP). L'abstention avait déjà atteint un record aux municipales de 2001. L'importance du vote contestataire, populiste et révolutionnaire - près de 35 % des voix au premier tour de la présidentielle - a propulsé au second tour le candidat de l'extrême droite (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Autant de signes qui démontrent que les partis de gouvernement, les seuls à être représentés dans cet hémicycle, ne parviennent plus à emporter l'adhésion de la majorité de nos concitoyens. Il est rare dans l'histoire de la République que le discrédit des responsables politiques ait été aussi profond.

Devant la montée des thèmes sécuritaires ou, plus positivement, la demande de restauration de l'autorité dans toutes les institutions de la société, de l'Etat à la famille, on peut s'interroger sur l'opportunité de présenter, comme premier texte de cette législature, un texte d'amnistie des délits de droit commun.

Parce que nous sommes à l'écoute des Français... (Rires sur les bancs du groupe UMP), parce que nous entendons tirer toutes les leçons des récentes élections et répondre aux évolutions de la société, les socialistes et leur groupe parlementaire, à l'unanimité, ont décidé non seulement de s'opposer à cette loi d'amnistie, mais d'en contester le principe et l'utilité.

Oui, nous avons changé de position non seulement par rapport à 1995 (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) mais aussi par rapport à ce que nous disions au début de la campagne présidentielle.

Beaucoup, à droite, souhaitent rester fidèles, envers et contre tout, à une tradition devenue archaïque, incomprise et rejetée par un nombre croissant de Français. Cette attitude, qui s'apparente à de l'autisme, (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP) me surprend. N'est-il pas contradictoire de lancer le slogan « Impunité zéro » et de faire voter comme première loi de la législature l'amnistie des délits de droit commun ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.)

Au demeurant, la réduction de la durée du mandat présidentiel conduit à banaliser encore davantage une disposition que les Français ont longtemps acceptée, malgré des réticences qui se sont toujours exprimées. Aujourd'hui, l'amnistie éloigne les citoyens de la République et de ses valeurs fondatrices. Au lieu de favoriser la réconciliation nationale, elle accentue la fracture sociale. Déjà, en 1995, le Garde des Sceaux, déclarait ici que « l'amnistie rompt dans une certaine mesure l'égalité entre les honnêtes gens qui n'en bénéficient guère et ceux qui ont encouru par leur comportement les foudres de la justice. » « Il peut apparaître choquant d'accorder en quelque sorte une prime aux citoyens défaillants », poursuivait-il. « Il est certain également que l'amnistie, surtout lorsqu'elle intervient régulièrement, anéantit une part du travail accompli par la police et la justice, et qu'elle peut inciter certains à l'incivisme dans les mois qui précèdent l'élection et entraîner un manque à gagner budgétaire non négligeable ». Bien que reconnaissant à ces arguments une valeur incontestable, M. Toubon les repoussait au nom de la « tradition républicaine » et de « l'opportunité » puisque, disait-il, « nos concitoyens attendent une telle mesure d'indulgence ».

Plusieurs voix, dans la majorité d'hier redevenue la majorité d'aujourd'hui, s'étaient élevées contre cette prime à l'incivilité. M. Albertini, alors porte parole du groupe UDF faisait part de ses multiples réserves face à la banalisation et au caractère récurrent de l'amnistie, évoquant la « chronique d'une amnistie annoncée ».

La réduction du délai qui, désormais, séparera les amnisties présidentielles - du moins si la droite se maintient au pouvoir - ne peut qu'aggraver la situation. Notre ancien collègue M. Jean-Paul Fuchs, comme en 1988, exprimait lui aussi ses réserves, et même sa colère, devant l'encouragement aux infractions routières que constitue l'amnistie programmée. Notre collègue Zuccarelli évoquait, pour sa part, une « sorte de fête barbare où l'élection du Président de la République est saluée par un éloge de l'incivisme » Ladislas Poniatowski, alors député, exprimait le v_u que l'amnistie de 1995 soit la dernière du genre ce qui constituerait, disait-il, un hommage adressé à tous ceux qui font preuve d'un civisme scrupuleux !

Cette année encore, malgré l'extrême brièveté du temps consacré à l'examen de ce texte en commission, de nombreux collègues de la majorité ont exprimé leurs réserves et, pour certains, leur opposition. C'est que de telles dispositions suscitent un malaise croissant. J'en veux pour preuve l'insistance mise, tant par le Garde des Sceaux que par le rapporteur à souligner l'ampleur des exclusions retenues dans ce texte. Ce texte est certes plus restrictif qu'en 1995. Mais à cette époque déjà, vos prédécesseurs adoptaient la même argumentation, par rapport à 1988.

Si les partisans de ce texte d'amnistie ne peuvent, pour le défendre, qu'énumérer toutes les infractions qui ne sont pas amnistiées, et insister sur le fait qu'elles sont de plus en plus nombreuses, alors il faut exclure encore davantage et tout simplement supprimer une loi d'amnistie dont l'utilité n'est plus démontrée.

Voilà bien la différence, entre la « grande amnistie politique » proposée avec courage, accueillie avec soulagement et votée en vue d'une réconciliation nationale, et la « petite amnistie pénale » exposée si timidement et votée sans conviction.

Il est temps de mettre fin à cette coutume monarchique pour qu'elle ne déconsidère pas la véritable amnistie, occasion de réconciliation républicaine. Prenons-y garde : la « mauvaise » amnistie ne doit pas remplacer la « bonne amnistie ». Il est d'ailleurs surprenant de lire, dans le rapport, que l'intérêt - sinon la justification de ce texte - est qu'il va limiter la surpopulation carcérale !

Il est vrai que l'on dénombre 65 000 prisonniers pour 47 000 places (« C'est la situation que vous nous avez laissée ! » sur les bancs du groupe UMP). Vous concevez donc l'amnistie comme un outil de gestion des prisons, ce qui n'est pas la marque d'une grande politique pénale, et quelque peu incohérent avec les projets tendant à multiplier les mises en détention. Sur ce point, Monsieur le Ministre, quelques précisions seraient utiles. En 1995, votre prédécesseur se refusait à avancer un tel argument en faveur de l'amnistie, dont la pertinence n'est d'ailleurs pas avérée puisque l'amnistie concerne des délinquants condamnés à moins de trois mois de prison, qui n'effectuent généralement pas leur peine.

Il n'est nul besoin de l'amnistie pour prévenir un été chaud dans les prisons. La réponse se trouve dans la grâce présidentielle du 14 juillet. Pour réduire la détention il est en effet tout à fait possible de s'en tenir à des allégements de la peine, ce que permet la grâce.

J'en viens à la constitutionnalité. L'amnistie est constitutionnelle, nul ne l'ignore, elle est même fondatrice de notre République. La Constitution confie au Parlement le soin de la voter.

Mais autre chose est de vérifier la constitutionnalité des dispositions contenues dans ce texte. Certaines sont pour le moins troublantes.

Dans les conditions actuelles, l'amnistie va à l'encontre du but recherché : « mieux assurer dans l'avenir le respect de la loi républicaine », selon l'exposé des motifs. Elle va même à l'encontre de la finalité de toute amnistie : la réconciliation et la cohésion nationales.

Ce texte ne peut que choquer les Français, très nombreux, qui sont attachés au principe d'égalité.

Faut-il rappeler que, selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme, « la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Selon que l'infraction aura été commise avant ou après le 17 mai 2002, le traitement en sera différent. Il n'est pas besoin de montrer l'injustice d'un tel critère. On ne prendra en compte ni la personnalité du contrevenant, ni la nature ou le nombre de ses antécédents judiciaires.

En causant une application à éclipses de la loi pénale, ce type d'amnistie remet en cause la nécessité de l'infraction.

La création des infractions par la loi est régulièrement vérifiée par le Conseil constitutionnel. Si la loi institue une infraction qui n'est pas nécessaire, sa conformité à la Constitution peut être mise en question. Or, dispenser tous les cinq ans les contrevenants des poursuites auxquelles ils s'exposent, n'est-ce pas mettre en doute la nécessité de la peine et de l'infraction instituée ?

Par ailleurs, le principe de sécurité juridique conduit le législateur non seulement à sanctionner le contrevenant, mais encore à protéger la victime, c'est-à-dire la société. La suspension périodique de la sanction revient à décrier la justice due à la société et aux victimes.

L'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme proclame que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». La notion de sûreté comprend évidemment la sécurité, reconnue comme « un droit fondamental » dans la loi sur la sécurité quotidienne puisqu'elle est « une des conditions de l'exercice des libertés et de la réduction des inégalités ».

Le même texte précise qu'elle est « un devoir pour l'Etat qui veille, sur l'ensemble du territoire de la République, à la protection des personnes, de leurs biens, au respect des lois, au maintien de la paix et de l'ordre publics ».

Le Conseil constitutionnel a lui-même reconnu valeur constitutionnelle au principe de sécurité des biens et des personnes. Or, dès lors que la mission constitutionnelle de sécurité est suspendue régulièrement du fait de l'amnistie, on peut se demander si l'Etat ne faillit pas à son devoir.

Si cette argumentation s'applique aux infractions qui mettent en danger les biens et les personnes, elle vaut aussi pour les contraventions de stationnement. En effet, la mission fondamentale de l'Etat est de garantir l'ordre public. La certitude qu'a le citoyen d'être amnistié ne peut que l'inciter à troubler l'ordre public.

La loi d'amnistie provoque en outre une immixtion du pouvoir législatif au sein de l'autorité judiciaire, portant ainsi atteinte à la séparation des pouvoirs définie à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme.

L'amnistie interrompt les procédures en cours. Le dessaisissement du juge est choquant puisqu'il l'empêche de mener à bien l'action publique et encourage la récidive.

Quant à l'amnistie au quantum, elle semble plus respectueuse de l'autorité judiciaire puisqu'elle dépend de la décision du juge, mais l'expérience montre que les tribunaux sont parfois tentés de rendre leur décision en fonction de la loi d'amnistie annoncée. Certains vont au-delà de la peine limite pour en exclure les délinquants, d'autres en-deçà pour qu'ils en bénéficient.

Les divergences d'appréciation qui existent déjà entre les tribunaux ne peuvent qu'être accentuées par ce texte.

Puisque j'évoquais la séparation des pouvoirs, il est un autre aspect de ce texte qui me choque : c'est ce qu'il est convenu d'appeler « la grâce amnistiante ». Je pense à l'article 9 du projet.

En 1988, un de nos collègues, qui ne siège plus ici, la dénonçait avec sa vigueur légendaire. Je reprends les propos de Pierre Mazeaud : « Permettre au Président de la République d'accorder l'amnistie par décret me paraît pour le moins condamnable. L'amnistie résulte de la loi, et de la seule loi. C'est au législateur, et à lui seul, de légiférer. Désormais, au-delà du droit de grâce qui est une survivance du droit régalien, le Président de la République va pouvoir, en prenant des décrets, remplacer en quelque sorte le Parlement ».

Voilà un nouveau signe de l'abaissement du Parlement !

En retirant aux collectivités locales, aux communes en particulier, plusieurs millions de recettes liées au paiement des amendes - et j'observe que le rapporteur est resté très discret sur le montant de ce manque à gagner, évalué à 200 millions d'euros par La lettre des grandes villes de France -, ce texte porte aussi atteinte au principe de libre administration des collectivités locales, puisqu'aucune compensation n'est prévue (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). De plus, ces sommes étant obligatoirement consacrées à des investissements visant à améliorer la sécurité routière, ce sont de nombreux aménagements de sécurité qui seront ainsi retardés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Enfin - mon collègue Victorin Lurel développera ce point tout à l'heure -, l'article 22 n'a rien à voir avec l'amnistie puisqu'il est relatif aux services réguliers de transport public routier dans les départements français d'Amérique.

Je terminerai en évoquant l'insécurité routière. Aujourd'hui, 80 % des ménages possèdent une voiture, 30 % deux et plus ; avec une voiture pour deux habitants, la France se situe au troisième rang européen après l'Italie et l'Allemagne. L'émotion suscitée par ce texte résulte de l'action courageuse des associations de victimes. Quand on entend des personnes, souvent jeunes, raconter comment leur vie a été brisée par le non-respect du code de la route, on conçoit leur incompréhension devant cette tradition tendant à exonérer les contrevenants, au mépris des victimes. Qui ne connaît, parmi ses proches, une ou plusieurs de ces victimes ? Car la route tue. Elle tue beaucoup : environ 8 000 morts par an, soit un mort toutes les heures !

Avant 45 ans, c'est la première cause de décès et parmi les 15-24 ans elle est responsable d'un décès sur deux. Il n'y a pas de fatalité à cette hécatombe. Au Royaume-Uni, la mortalité routière est trois fois inférieure.

Depuis trente ans que le gouvernement de Pierre Messmer a pris les premières mesures de limitation de vitesse, le nombre des décès est passé de 16 600 à 8 000 par an. Les politiques de sécurité routière ont beaucoup progressé, même si le lobby routier était écouté des pouvoirs publics.

C'est dans ce contexte qu'il faut examiner l'amnistie.

Les motifs de l'hécatombe routière sont connus. Chaque lobby a certes son explication - alcoolisme, vitesse, infrastructures -, mais force est de constater qu'en définitive, c'est toujours le comportement humain qui est en cause.

Le 9 octobre 2001 - je dis bien : octobre 2001 -, un de ces journaux qui ne cessent de flatter les automobilistes publiait, sous la signature de son avocate-conseil, un article intitulé : « Amnistie, mode d'emploi ». On y parle de « cadeau providentiel » et on y trouve des conseils pour « jouer l'amnistie ».

Compte tenu de l'air du temps, précise l'avocate, l'amnistie sera des plus réduites, « mais on ne sait jamais »...

Peut-on croire que de tels propos sont sans effet sur les comportements des automobilistes ? Encouragés par la perspective de l'effacement, ils multiplient entorses aux règles. Il suffisait ces derniers mois, pour s'en rendre compte, d'entendre les conversations et de contempler les P.V. gisant dans les caniveaux...

Les experts s'interrogent sur le nombre de décès supplémentaires causés par la perspective de l'amnistie. Exercice périlleux, car les accidents ont souvent plusieurs causes. Le comité d'expert du Conseil national de la sécurité routière n'a pas conclu sur ce point. Mais ce comité, que je préside, s'est prononcé contre toute amnistie pour les infractions au code de la route. Il a lancé un appel insistant aux pouvoirs publics et aux candidats.

Je constate avec satisfaction que le présent projet est très restrictif, c'est même le plus restrictif du genre. Il n'empêche. Pour reprendre un éditorial de Mme Geneviève Guicheney, il donne « la permission d'être sans gêne, négligent, incivil et, pour finir, de prendre le risque non calculable de provoquer indirectement un dommage plus ou moins sérieux ».

C'est pourquoi, même dans sa forme minimale, il n'est pas acceptable. Par respect des victimes. Parce que l'insécurité routière doit devenir une préoccupation majeure des responsables de notre pays.

L'insécurité a été un des thèmes majeurs de l'élection présidentielle. Mais on a évoqué davantage les 700 meurtres commis chaque année que les 8 000 personnes tuées sur la route, dont beaucoup sont assassinées par des chauffards. Renoncer à l'amnistie, c'est combattre l'insécurité routière (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Vos enfants - ou petits-enfants - font désormais l'apprentissage des règles du code de la route au sein du système scolaire. Si vous êtes capables de leur expliquer pourquoi, après l'élection du Président de la République, il est nécessaire de déchirer les contraventions des automobilistes, alors votez l'amnistie. Dans le cas contraire, votre devoir est de refuser ce texte. Tout le reste, comme aurait dit Péguy, c'est de la politique - et l'on rajouterait aujourd'hui, « politicienne » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.).

M. Xavier de Roux - Motion d'irrecevabilité ou leçon de démagogie ? Quel en est l'objet ? Ne conviendrait-il pas d'abord de distinguer le principe de l'amnistie et le contenu de la loi ?

Sur le principe, il serait extravagant que notre Assemblée renonce à une prérogative constitutionnelle du législateur. Il existe plusieurs modes possibles de pardon : le droit de grâce, la réhabilitation judiciaire, l'amnistie. Il n'est donc pas question de discuter de la constitutionnalité du droit d'amnistie du Parlement. L'irrecevabilité, en elle-même, n'est pas recevable.

En ce qui concerne le contenu du texte, ce sera l'objet même de la discussion. La sécurité routière, en particulier, constituant un problème. Mais peut-on exclure brusquement les contraventions ayant fait l'objet de timbres-amendes, comme il a été proposé ce matin à la commission des lois ? Faudrait-il demander aux employés des greffes ou aux policiers de procéder à un tri ? Je pense que l'on peut les employer à des tâches plus utiles.

En matière d'infractions automobiles, ne restent dans la loi d'amnistie que les simples contraventions relevant du timbre-amende. Que veut-on de plus ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jacques Brunhes - Le groupe des députés communistes et républicains défend une conception de l'amnistie transposée aux exigences de notre temps. Notre point de vue est républicain : l'amnistie doit favoriser la réconciliation nationale et la cohésion sociale, réaffirmer le pacte républicain. Or s'est produite une extension démesurée, de plus en plus contestée par l'opinion publique.

Il importe de redéfinir restrictivement le champ. Les infractions au code de la route devraient être exclues, tout comme l'amnistie des délits de droit commun qui sert à gérer la surpopulation des prisons et relève donc de la politique pénitentiaire.

Le groupe communiste s'est toujours opposé à l'amnistie des affaires politico-financières (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), politiquement inadmissible et éthiquement insupportable. L'impunité totale du monde politique consacrerait le schisme de notre société et renforcerait un courant extrémiste antirépublicain.

L'amnistie des infractions liées aux conflits sociaux, concerne toutes les catégories professionnelles qui ont lutté pour la défense du travail, des conditions de vie, de service public, la démocratisation et la transparence des choix gestionnaires, la maîtrise et l'humanisation du processus de la mondialisation, la logique anti-productiviste dans le domaine agricole, le développement durable. Elle me semble indispensable pour apaiser les tensions politiques et sociales, surtout lorsque les inégalités se creusent ; elle relève de la nature même d'une loi républicaine d'amnistie. Or, de ce point de vue, ce texte est en recul sur les lois précédentes.

Le groupe communiste votera contre, et il ne participera pas au vote sur la motion de procédure qui vient d'être présentée (Applaudissements sur les bancs du groupe C. et R.).

M. François Sauvadet - Monsieur Dosière, votre exception d'irrecevabilité n'est en rien convaincante. Vous avez reconnu vous-même qu'il est constitutionnellement recevable de débattre de l'amnistie.

Vous vous êtes livré à une curieuse repentance, puisque, dans le passé, vous avez pratiqué l'amnistie bien plus largement ! Présentement, vous cherchez à jeter la suspicion en évoquant des sujets qui n'ont rien à voir avec le texte.

Qui, ici, serait insensible aux drames de la route ? Mais enfin, vous avez exercé les responsabilités pendant cinq ans, et par exemple en matière de sécurité ou d'insécurité routières. Vous ne devez pas vous en exonérer (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Faire croire qu'une amnistie politico-financière serait en préparation n'est pas digne du débat.

Le groupe UDF en restera au texte présenté par le Gouvernement. Et nous engagerons le débat sur l'opportunité de l'amnistie. Mais cette exception d'irrecevabilité est sans fondement (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Jacques Floch - Si, par hasard, j'avais eu envie de voter contre cette motion d'irrecevabilité, les explications de nos collègues de la majorité m'auraient contraint à changer d'avis ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Vous confondez l'amnistie écrite et décrite par les constituants de 1958 avec je ne sais quel « oubli-clientèle » : vous voulez faire passer en pertes et profits, pour l'Etat, les collectivités territoriales, les petites, moyennes ou grandes incivilités. Vous nous dites que cela n'a rien à voir avec la Constitution. Si ! Vous utilisez à contresens le mot « amnistie » tel qu'il est écrit.

Il faut voter cette motion d'irrecevabilité. Oui, le texte est inconstitutionnel, parce qu'il conduit à l'inégalité des citoyens devant la loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - Je suis saisi par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste d'une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Arnaud Montebourg - L'amnistie - le mot même faisait sursauter ici-même, naguère, certains membres de l'opposition devenue majorité - mérite mieux qu'un vote expéditif dans l'aveuglement de la discipline majoritaire. L'amnistie mérite toujours un retour sur son histoire, et une prospection méticuleuse de ses effets. Tel est l'objet de cette question préalable, qui vise à nous poser, à vous poser, préalablement, quelques questions qui permettraient d'éviter les regrets d'une décision mal prise, aux conséquences peut-être funestes. Des questions que toute majorité, engagée par les excès naturels de son nombre, néglige parfois de poser.

Je m'adresse à l'esprit encore libre de chacun des membres de la majorité, j'en appelle à leur conscience que je veux croire capable d'évoluer sans chaînes ni contraintes. Je vous dis : il n'est pas exclu que vous puissiez nous convaincre ; n'excluez pas que nous puissions vous convaincre. Pourquoi nous invitons vous à refuser ce projet de loi ? Je rappellerai d'abord les dégâts accumulés dans le passé !

En 1995, votre illustre prédécesseur, M. Jacques Toubon, indiquait que la loi d'amnistie et les grâces individuelles accordées par le Président de la République à l'occasion du 14 juillet aboutiraient à libérer 4 500 à 5 000 détenus. En revanche, l'étude d'impact du présent projet que le ministère de la justice nous a adressée ne prend même pas la peine de dénombrer les détenus libérables. Tout juste indique-t-elle que l'amnistie a pour effet de réduire le nombre de personnes incarcérées, donc le taux d'occupation des maisons d'arrêt.

Un député socialiste - Bravo !

M. Arnaud Montebourg - C'est une étude d'impact pour M. de la Palice, non pour des parlementaires soucieux de comprendre comment ce projet de loi s'emploie à trahir méticuleusement vos engagements électoraux, au mépris du discours que vous teniez il y a moins d'un mois. Combien de ces fripons qui arrachent les sacs des vieilles dames, de ces chapardeurs, de ces auteurs de larcins et d'incivilités que vous dénonciez seront-ils libres dans deux semaines ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Claude Goasguen - Ils n'ont pas été poursuivis !

M. Arnaud Montebourg - Ceux-là mêmes étaient pourtant à vous entendre presque nos créatures, notre péché (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), l'incarnation odieuse de notre laxisme, de notre culture de l'impunité et - je cite Mme Alliot-Marie - de notre permissivité soixante-huitarde. Et voilà qu'un mois plus tard, vous nous proposez de les libérer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe C. et R. ; protestations sur les bancs du groupe UMP) Permettez-moi d'exprimer - modestement - la stupéfaction de l'opposition. M. Georges Fenech, aujourd'hui député de la majorité et auteur d'un livre aussi prometteur que démagogue, Tolérance zéro, annonce ainsi en commission des lois qu'il votera la loi d'amnistie sans même se demander combien, parmi les 217 900 personnes condamnées à qui l'amnistie profitera, vont bénéficier de sa propre désinvolture : tolérance zéro dans les livres, tolérance 217 900 dans les faits !

Voici un exemple plus éminent : le 14 juillet 2001, le Président de la République déclarait la France en état de peur pour cause d'insécurité galopante, le matin même du jour où il signait des décrets de grâce collective !

Un an plus tard, après avoir martelé qu' « aucune infraction, si légère soit-elle, ne doit plus être laissée sans réponse, c'est l'impunité zéro ». Combien de ces jeunes ricanant à la face des policiers en sortant des maisons d'arrêt allez-vous libérer, Monsieur le Garde des Sceaux ? Combien de victimes dont vous avez exploité l'inquiétude ou le désespoir, allez-vous flouer par ce projet d'amnistie ? L'étude d'impact ne le dit même pas. Donnez-nous les chiffres !

Quant aux dégâts concrets et pratiques que produit toute loi d'amnistie, certains membres de la majorité en ont une conscience aiguë. Le Rapporteur lui-même évoquait le champ considérable de l'amnistie, puisque 38 % des personnes condamnées en 2000 en bénéficieront.

Notre ancien collègue, M. Poniatowski, sénateur de la majorité, déclarait en 1995 : « On parle insuffisamment de l'incitation à l'incivisme que l'amnistie provoque dans les mois qui la précèdent et des efforts redoublés qu'il faut entreprendre pour faire oublier les mauvaises habitudes trop vite acquises. Permettez-moi de penser d'abord à tous ceux qui ont pris sur eux pour ne pas être en état d'attendre l'amnistie. J'aimerais que nous nous engagions à mieux respecter à l'avenir leur civisme scrupuleux et qu'en forme d'hommage nous puissions les rassurer en leur affirmant qu'il s'agit bien de la dernière loi d'amnistie liée à l'élection d'un Président de la République ».

Ce devait donc être la dernière en 1995, et nombre de députés de l'actuelle majorité en déploraient déjà le surcoût de 1,5 milliard de francs pour les finances publiques. L'étude d'impact du présent projet évalue les pertes à 300 millions d'euros ! Ce sera la loi d'amnistie présidentielle la plus coûteuse de l'histoire !

A ces réticences, ajoutons celles de M. de Robien, ministre des transports, qui indiquait être personnellement opposé à l'amnistie car favorable à une « impunité zéro ».

Incitation à l'incivisme, atteinte morale aux efforts faits pour respecter la loi, opacité des effets pénitentiaires, hausse sans précédent du coût de l'amnistie : quelle est donc l'utilité secrète de cette loi ?

J'entends déjà invoquer la tradition républicaine. Mais comme René Dosière, je la cherche encore ! Les meilleurs docteurs et professeurs de droit voient tous dans la loi d'amnistie une tradition monarchique.

Permettez-moi de citer un certain Donnedieu de Vabres, pas celui qui fut ministre éphémère pour cause d'implication judiciaire, mais son grand-père, Henri Donnedieu de Vabres, grand professeur de droit des années 30, nommé pour finir juge français à Nuremberg.

Il rappelle dans son Traité de justice pénale de 1929, que « l'amnistie apparaît comme un vestige de l'ancien arbitraire du monarque » et figure « parmi les modalités du pardon, celle qui conserve le mieux le caractère que revêtait sous l'Ancien Régime la clémence royale ».

Le Roi inaugure toujours son règne par un acte de miséricorde. A l'occasion du sacre du roi, de la naissance du dauphin, des mariages, de la première entrée dans une ville, il reprend par son auguste ordonnance la formule consacrée depuis l'édit d'Amboise de 1563 : « Que la mémoire de toutes choses passées dès et depuis les troubles advenus en nostredit royaume et à l'occasion d'iceux, demeure estainte et assopie comme de chose non advenue ». Cette tradition ne reprit vigueur que sous l'Empire qui mimait la monarchie : le mariage de Napoléon avec Marie-Louise l'Autrichienne accorde amnistie aux déserteurs des armées de l'Empereur.

Les monarchies décadentes du XIXe siècle fêtèrent les événements nuptiaux : ordonnance d'amnistie de 1816, à l'occasion du mariage du duc de Berry, ordonnance royale de 1820 accordant à l'occasion de la naissance du duc de Bordeaux, l'amnistie pour les délits forestiers.

Un député UMP - C'est notre histoire !

M. Jean Glavany - Pas celle de la République !

M. Arnaud Montebourg - Au contraire, les IIe, IIIe et IVe Républiques ont refusé l'amnistie festive, royale et de générosité octroyée. Même l'élection à la présidence de Louis Napoléon Bonaparte, le 10 décembre 1848, ne donna pas lieu à une loi d'amnistie. Les élections des présidents Thiers en 1871, Mac Mahon en 1873, Carnot en 1887, Casimir Périer en 1894, Emile Loubet en 1899, Doumergue en 1924, Lebrun en 1932, pas davantage. Sous la IVe République, rien pour l'élection du président René Coty. Les gouvernements considéraient ce genre d'amnistie comme un dévoiement.

Il est donc vain d'invoquer, Monsieur le Garde des Sceaux, la moindre tradition républicaine. Il s'agit plutôt de satisfaire une pulsion monarchique peut-être inconsciente dont la France ne parvient décidément pas à se défaire.

En réinventant le monarque, la Ve République ne pouvait se passer de l'amnistie royale, celle octroyée par la miséricorde du Dieu fait président.

Plusieurs députés UMP - Mitterrand !

M. Arnaud Montebourg - A l'inverse, les républicains fervents du passé, avaient à défendre la République contre le péril antirépublicain. René Dosière a exposé le sens de cette amnistie, totalement étrangère aux amnisties royales, telle celle aujourd'hui défendue à cette tribune.

Après la Commune, pendant la campagne électorale de 1875 , Victor Hugo adressa une proclamation aux 36 000 communes de France, implorant leur pardon pour Paris, l'ancienne commune insurgée : « Electeurs des communes, Paris, la commune suprême vous demande de décréter par la signification de vos choix, la fin des abus par l'avènement des vérités, la fin de la monarchie par la fédération des peuples, la fin de la guerre étrangère par l'arbitrage, la fin de la guerre civile par l'amnistie, la fin de la misère par l'ignorance. Paris vous demande la fermeture de ses plaies ». A chaque période de troubles collectifs et de souffrance nationale, l'amnistie réconcilie quand les événements opposent et divisent. Ces amnisties-là sont de celles dont on forge une nation, qui donnent le goût de continuer à vivre ensemble, dans le respect mutuel qu'organise la loi républicaine.

En revanche, votre loi d'amnistie n'a rien de fortifiant. Elle démoralise plus qu'elle ne renforce l'esprit républicain ; elle insulte le civisme plus qu'elle ne le sert. Elle ressemble à un festival de la violation de la loi où chacun serait convié à prendre une part aux joyeuses transgressions.

Préparons-nous de surcroît, à recommencer tous les cinq ans : le quinquennat permettra aux procéduriers avisés de tenir jusqu'à la prochaine amnistie. Nous voici dans un concours de saut d'obstacles dont la prime reviendra à celui qui sera capable de tenir sur ses jambes pendant cinq ans.

Vous devriez plutôt faire directement abroger ces lois encombrantes ! Vos statistiques pénitentiaires y gagneraient peut-être !

C'est la nature même de votre projet d'amnistie qui est contestable : amnistie de confort, qui veut fêter une élection dont nul n'a pourtant de raison de se réjouir tant elle a été mal acquise (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), et qui abandonne le civisme au bord des routes.

Voilà pourquoi nous voulons vous convaincre de ne pas la voter.

Si certains parmi vous nous répondaient que ce que nous condamnons aujourd'hui, les majorités socialistes de 1981 et de 1988 l'ont fait, je leur dirais qu'il est à l'honneur des parlementaires de tirer les leçons du passé, et que cela pourrait même faire utilement évoluer le pays.

Une loi d'amnistie est une atteinte à la séparation des pouvoirs puisqu'elle paralyse le fonctionnement de l'institution judiciaire. Vous savez d'ailleurs l'irritation des tribunaux, qui décident d'aggraver les peines pour lutter préventivement contre l'amnistie, aux dépens des citoyens que vous prétendez protéger...

Mais ce projet contient dans son article 9 une deuxième atteinte à la séparation des pouvoirs. On vous demande de déléguer au Président de la République le pouvoir amnistiant pour toute infraction commise avant le 17 mai 2002 par une personne qui se serait « distinguée d'une manière exceptionnelle » dans les domaines culturel, économique etc.... C'est le retour à la tradition monarchique : le prince choisit discrétionnairement celui qui se sera surtout distingué par son casier judiciaire particulièrement garni pour obtenir la faveur royale. En étendant cette amnistie aux personnes qui se sont distinguées dans le domaine « économique », pensez-vous à Jean-Marie Messier (« C'est votre ami ! » sur les bancs du groupe UMP) ou à ces dirigeants d'entreprises mis en examen pour abus de biens sociaux (« Urba ! » sur les bancs du groupe UMP) qui craignent les convocations des magistrats du pôle financier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.). Cette nouvelle forme de distinction par le casier judiciaire est aussi scandaleuse qu'anticonstitutionnelle. Je rends un hommage appuyé au groupe UDF qui s'apprête à voter contre cette loi qui détruit l'idée d'égalité des citoyens devant la sanction. Ce projet d'essence monarchique n'a pas sa place dans une démocratie moderne.

Si aucune solide justification n'appuie cette loi d'amnistie, qui provoque un malaise croissant dans votre propre majorité, c'est qu'elle poursuit en réalité d'autres buts que ceux affichés (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP). Une amnistie est utilisée pour en cacher une autre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), secrètement désirée par votre gouvernement et qui prend le nom pudique de « réforme de l'abus de biens sociaux ». C'est le moyen par lequel, avec la constance des fourmis, les députés et sénateurs RPR se relaient, depuis des années, dans une noria interminable, pour tenter de mettre fin aux « affaires ». Le feuilleton a commencé il y a sept années (« Avec Urba ! » sur les bancs du groupe UMP). Les épisodes se sont succédé et se terminent tous par le même échec.

La première proposition de loi relative à la prescription du délit d'abus de biens sociaux date du 6 novembre 1995, et a été présentée par l'ancien président de la commission des lois, Pierre Mazeaud. Echec. Le Garde des Sceaux, M. Toubon, ne veut pas assumer la responsabilité de faire tomber des milliers de procédures politico-financières, décourageant ainsi l'institution judiciaire.

En 1996, le sénateur RPR, Philippe Marini, se lance dans la même tentative. Même tempête, même échec. A cette époque, un certain Maître Francis Szpiner (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) fait l'éloge public de cette réforme avortée. On apprendra plus tard qu'il est l'avocat d'Alain Juppé, poursuivi pour cette infraction, et du Président de la République, passible de poursuites du même chef.

En 1999, le député RPR, Michel Hunault, aujourd'hui rapporteur de cette loi d'amnistie, dépose un amendement au texte relatif à la lutte contre la corruption visant à réduire « la prescription des délits financiers ». La Garde des Sceaux, Elisabeth Guigou, rappelle que les abus de biens sociaux ne sont pas imprescriptibles. Plusieurs députés s'élèvent contre l'amendement, dont Charles de Courson, député UDF, et moi-même, en dénonçant son caractère amnistiant. Nouvel échec !

Quelques mois plus tard, à la fin de l'année 2000, à l'époque des révélations posthumes de Jean-Claude Méry sur le financement du RPR, le porte-parole de ce parti, M. Patrick Devedjian, aujourd'hui ministre, évoque publiquement la nécessité d'un projet de loi d'amnistie des délits politico-financiers. M. Alain Juppé déclare au sujet de l'amnistie : « Un mot qui fait peur, ce n'est pas très populaire ».

Au même moment, aux journées parlementaires de Démocratie libérale se tenant dans mon département, la Saône-et-Loire, M. Nicolas Forissier, député de l'Indre, proche de Jean-Pierre Raffarin, exposait que la question de l'amnistie « méritait d'être étudiée ». En 2001, M. Nicolas Sarkozy publie un livre où il suggère d'alléger les sanctions pour les abus de biens sociaux, en faisant appel « au courage » des siens. M. Pascal Clément, le président de notre commission des lois, a alors parfaitement résumé la situation : « C'est souhaitable mais suicidaire. Celui qui le fait sera battu. Qui osera se lancer ? » (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.). Bravo, celui qui a osé se lancer, c'est vous, Monsieur le Garde des Sceaux, avec comme maigre escorte votre grenadier voltigeur de première ligne, Michel Hunault, rapporteur choisi sur mesure pour faire aboutir ce projet suicidaire mais tellement nécessaire à la défense de vos intérêts politiques (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste).

Nous avons compris que vous n'avez pas le choix pour tirer d'affaires vos chefs, à commencer par le Président de la République, afin qu'il ne finisse pas, selon la célèbre prédiction de Valéry Giscard d'Estaing, « comme Helmut Kohl » (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.).

J'en veux d'ailleurs pour preuve le fait que l'article 13 du présent projet « oublie » comme par hasard, dans la liste des 41 exclusions, non seulement l'abus de biens sociaux, mais également le détournement de fonds publics, les deux incriminations retenues à l'encontre de MM. Juppé et Chirac par le juge d'instruction Patrick Desmure.

Lorsque, Monsieur le Garde des Sceaux, vous souhaitez « un vrai débat » sur la modification des règles régissant les abus de biens sociaux, mais « dans un climat apaisé et serein », vous dites exactement la même chose que MM. Devedjian, Hunault, Sarkozy, Forissier, Clément, Marini, Mazeaud. Vous ne faites que répéter ce à quoi chacun d'entre vous rêve ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Eva Joly, auteur d'un livre très sérieux, qui fait désormais autorité, sur l'abus de biens sociaux, y souligne que « les affaires politico-financières mettent à jour progressivement les nombreuses astuces mises en _uvre par les dirigeants pour dissimuler des agissements destinés à les enrichir ». Selon elle, « un raccourcissement du délai de prescription aboutirait à mettre fin à de nombreux dossiers financiers en cours d'instruction et à assurer définitivement que l'argent détourné devienne partie intégrante du patrimoine des délinquants ».

Voici la réponse des juges à votre politique, Monsieur le Garde des Sceaux. Attention à ne pas devenir « le garde des siens » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) .

Alors, de sérénité, il n'y aura point.

Nous lancerons, à partir des déclarations de M. Perben, un grand mouvement populaire des citoyens contre vos projets d'amnistie déguisée. Nous irons pétitionner, s'il le faut, sur les plages, à la porte des stades, sur le parquet des guinguettes (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Et nous expliquerons en quoi consiste votre réforme.

M. Arnaud Lepercq - C'est Guignol !

M. Arnaud Montebourg - Nous expliquerons aux millions de salariés de ce pays que vous autoriserez dorénavant leurs dirigeants d'entreprises à abuser des biens sociaux, pour leur compte personnel ou pour celui de leurs amis politiques. Nous expliquerons que vous garantirez une impunité de fait à ceux qui manipulent les comptes pour leur enrichissement personnel au détriment de l'emploi, des créanciers et des salariés.

Nous expliquerons aux petits épargnants de France qui voient leurs économies partir en fumée dans les scandales financiers à répétition que vous voulez priver les juges des moyens de rechercher s'il y a eu ou non des délits cachés et des dissimulations comptables (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

L'affaire Vivendi Universal n'a-t-elle pas prouvé au contraire la faiblesse de la répression des abus de biens sociaux ? Pour que M. Messier ait le front de demander et d'obtenir en secret 18 millions d'euros d'indemnité, alors qu'il a ruiné son entreprise et les salariés, c'est que la législation contre les abus de biens sociaux mérite d'être renforcée plutôt qu'assouplie.

Votre amnistie, vous la ferez, nous l'avons compris, cet été, dans le huis clos d'une CMP entre sénateurs et députés qui ont déjà cuisiné leur affaire.

Mais alors ce n'est pas seulement le gouvernement Raffarin qui en périrait, c'est la République elle-même que vous aurez pris la responsabilité de faire chavirer, précipitant dans les bras de son pire ennemi des centaines de milliers de nos concitoyens, éc_urés et révoltés (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Lionnel Luca - Vous délirez !

M. Arnaud Montebourg - Nous faisons partie de ceux qui préfèrent voir assis à l'extrême droite de cet hémicycle les députés du RPR plutôt que des députés d'une autre nature !

Voilà pourquoi, j'invite avec gravité nos collègues de la majorité à refuser cette amnistie rampante, en bloc et à jamais. Votre responsabilité est lourde.

La République que nous aimons a besoin d'être fortifiée. Elle ne mérite pas d'être jetée dans les bras de ceux qui la haïssent.

En votant la question préalable, marquez votre désaccord et votre esprit de résistance. Comme le nôtre, il sera soutenu et encouragé par nos concitoyens (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.).

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - La motion de procédure qu'a défendue M. Montebourg se résume en une question simple, la seule qui nous importe : y a-t-il lieu de délibérer ?

A la différence des autres projets de loi qui vous seront présentés, nous sommes liés, pour celui-ci, par l'engagement d'un candidat. Cela aurait pu être M. Jospin (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), qui a souhaité, lors de sa campagne, le vote rapide d'une loi d'amnistie. En l'espèce, c'est pour tenir l'engagement de M. Jacques Chirac, grâce à qui nous sommes réunis ici.

On a entendu pendant toute la campagne électorale : « Ne votez pas Chirac, il ne tient pas ses engagements ». Voici le premier engagement, il est tenu ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R. ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Nous étant engagés derrière Jacques Chirac, nous avons le devoir moral de voter ce projet de loi.

Tout le discours de M. Montebourg repose sur l'imagination du parti socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), qui a lancé sur les ondes l'idée qu'on allait à coup sûr avoir un amendement sur l'abus de biens sociaux. Chacun peut le vérifier pourtant, il n'y a rien de tel ! Le parti socialiste, par la voix de M. Montebourg, fait un numéro pour essayer de cacher la réalité aux Français. Oubliés, tous les scandales qui ont marqué les deux septennats de François Mitterrand ! Qui donc a voté ici une amnistie en 1988 ? C'est vous, vous qui nous donnez aujourd'hui des leçons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Quelle amnésie ! Quel culot ! Vous nous accusez sur des virtualités, nous, nous vous rappelons la réalité ! (Mêmes mouvements)

Un peu de décence, je vous prie ! Nous n'avons jamais voulu, nous, faire oublier les turpitudes de nos amis (Mêmes mouvements). Assez de cours de morale, ô sépulcres blanchis ! Que celui qui n'a jamais péché... Monsieur Montebourg, songez combien vous auriez l'air ridicule à la moindre contravention !

La vérité, c'est que les socialistes ne se remettent pas de la raclée électorale qu'ils viennent de recevoir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Quand ils gagnaient en triangulaire, c'était une belle victoire, mais quand ils sont éliminés par le Front national, ils ne veulent pas reconnaître notre propre victoire ! C'est indigne. La démocratie doit être respectée en toutes circonstances ! (Mêmes mouvements)

Tout cela n'est qu'un rideau de fumée. Bien sûr, l'Assemblée ne doit pas voter cette question préalable (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. René Dosière - Discours inadmissible !

M. Claude Goasguen - Dans le Règlement de l'Assemblée, il doit manquer un point, concernant la question préalable à une question préalable ou à une exception d'irrecevabilité... En effet, dans les discours de M. Dosière et de M. Montebourg, je n'ai entendu parler ni d'exception d'irrecevabilité, ni de question préalable.

Dans une vision historique et politique pour le moins louche - au sens du verbe loucher, mais aussi au sens trivial -, M. Dosière nous a démontré que l'amnistie était une tradition républicaine, puis M. Montebourg, avec le même talent, qu'elle était une tradition monarchique. Les divisions du parti socialiste concernent aussi le passé !

Votre présentation repose sur un sophisme, qui tend à distinguer la grande, la belle amnistie de la petite amnistie, celle des contraventions de voirie, qui ne mérite pas de votre part la moindre attention. Pourtant, l'article 34 de la Constitution dit clairement que la loi fixe les règles concernant, notamment : la procédure pénale ; l'amnistie. Celle-ci n'a rien de la vision mythologique que vous en avez donnée.

Au demeurant, je m'étonne que vous ayez critiqué l'amnistie qui, j'en donne acte à M. Dosière, est républicaine, et que vous n'avez pas contesté le droit de grâce, d'essence monarchique.

Vous avez fini, M. Montebourg, par jeter votre cri de vertu carnassière, mélangeant la morale et le droit. Les deux d'ailleurs, sont de toute évidence approximatifs chez vous... (Rires sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). En effet, vous nous avez parlé de l'abus de biens sociaux. Que viendrait-il faire dans ce texte ? La jurisprudence de la Cour de cassation l'a rendu prescriptible ; et peut-être la Cour européenne nous condamnera-t-elle un jour au sujet des délais (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.). Mais quel rapport avec l'amnistie ?

Nous aurions discuté du prix de la confiture ou d'une convention avec la Lituanie que M. Montebourg nous aurait servi l'abus de bien social : il devait faire son numéro ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Ce numéro de Fouquier-Tinville à la petite semaine, du Ravachol du porte-plume (Mêmes mouvements) me permet de faire appel à votre mémoire. Qui a voté l'amnistie des délits politico-financiers ? M. Sapin, lui, a eu l'honnêteté de reconnaître ce matin l'erreur manifeste alors commise. Vous êtes les auteurs premiers de l'auto-amnistie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Et puis, quelle audace de votre part de parler d'amnistie politique après nous avoir parlé il y a quelques mois d'une autre amnistie, concernant la Corse ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Bernard Roman - C'est faux !

M. Claude Goasguen - Evidemment, c'était une grande amnistie, ce n'était pas l'amnistie des contredanses : c'était l'amnistie de M. Colonna ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

De nombreux députés socialistes - Menteur !

M. Claude Goasguen - Je ne m'étonne pas que vous soyez contre l'amnistie, M. Montebourg : il y a quelques années, en commission des lois, vous étiez pour la dénonciation fiscale, et votre parti était le parti des écoutes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Moi, je préfère être du parti de l'amnistie que de celui des écoutes et de la dénonciation ! C'est pourquoi nous voterons contre votre question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Floch - La véhémence de notre collègue Goasguen...

M. Claude Goasguen - De M. Montebourg !

M. Jacques Floch - ...égale celle du président de la commission des lois, qui ne s'est pas comporté comme tel, mais comme un partisan. J'espère, M. le Président Clément, qu'il n'en sera pas de même lors de nos travaux en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Goasguen, vous avez proféré des contrevérités.

M. Claude Goasguen - Lesquelles ?

M. Jacques Floch - Vous avez dit que nous aurions pensé à je ne sais quelle amnistie pour la Corse (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe UMP) : c'est un scandale, une honte ! Vous cachez derrière ces pseudo-arguments votre crainte qu'une vérité sorte de ce débat.

Vous savez pertinemment que la loi d'amnistie aujourd'hui proposée n'a rien à voir avec la possibilité ouverte par la Constitution de voter une amnistie visant à la réconciliation nationale. Petite loi donc que celle-ci, proposée pour honorer une petite promesse ! Petite politique !

Chers collègues, il faut voter cette question préalable pour mettre un terme au faux débat qui s'est ouvert ici (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.).

M. François Sauvadet - J'ai été choqué par les propos de M. Montebourg et puisqu'il a interpellé chacun d'entre nous, qu'il me permette à mon tour de l'interpeller personnellement. Lorsqu'on a la prétention, convaincu d'être seul sincère et de posséder seul la vérité, de dresser l'inventaire, encore faut-il faire tout l'inventaire ! L'honnêteté intellectuelle aurait dû l'amener à évoquer après l'amnistie de 1995, celle aussi de 1988, ce dont il s'est pourtant bien gardé. De même, alors qu'il nous reprochait il y a peu encore pendant la campagne de jouer sur les peurs de nos concitoyens s'agissant de la délinquance, il n'a pas hésité, lui, à agiter à l'instant le spectre de la libération de certaines personnes. Exercice honteux, indigne de ce débat ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) La première des choses, Monsieur Montebourg, avant de prétendre faire un inventaire est d'assumer son passé. Me faut-il rappeler les cris que poussait hier la majorité quand M. Chevènement s'essayait à désigner ces « sauvageons » qui empoisonnent la vie quotidienne de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Mais j'ai surtout été choqué que vous puissiez dire l'élection du Président de la République mal acquise. Devant un choix aussi clair face à l'extrême-droite et un enjeu aussi lourd pour l'avenir même de la démocratie, il faut se réjouir que la démocratie ait gagné (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Il faut se réjouir de l'élection d'un Président de la République qui a incarné les valeurs de la République (Mouvements divers sur les bancs du groupe socialiste).

Enfin, puisque vous avez évoqué, Monsieur Montebourg, la position du groupe UDF, permettez-moi de vous rappeler que François Bayrou n'a, pour sa part, jamais changé de position : il n'est pas favorable à l'amnistie. On aurait aimé la même cohérence dans vos rangs car le candidat Jospin souhaitait, lui, une amnistie. Alors, que n'avez-vous tenu plus tôt les propos que vous tenez aujourd'hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

Trêve de politique politicienne ! Pis encore, Monsieur Montebourg, vous aimez à vous référer à la République. Mais en ne cessant de mettre en doute la sincérité des engagements de chacun, en instillant de toutes parts la suspicion, vous ne servez pas la République, du moins telle que nous la concevons (Mêmes mouvements).

Pour le reste, y a-t-il lieu de débattre de l'amnistie ? Assurément. Je m'étonne d'ailleurs qu'un fin juriste comme vous, Monsieur Montebourg, ait accepté de défendre cette question préalable car elle n'a aucun fondement juridique. Vous avez d'ailleurs préféré vous livrer à un large panorama historique. Je vous conseille à ce sujet de vous rapprocher de votre collègue Dosière pour préciser l'interprétation socialiste de l'histoire.

Il faut repousser cette question préalable. Monsieur Montebourg, l'éloquence doit servir le fond et force est malheureusement de constater que le fond de votre intervention n'a pas été à la hauteur de votre éloquence (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Jacques Brunhes - Nous n'avons pas changé de position depuis tout à l'heure et comme pour l'exception d'irrecevabilité, nous refuserons de prendre part au vote.

J'ai été, pour ma part, choqué par l'intervention du président de la commission des lois . Qu'il ait été obligé d'intervenir, alors même que les orateurs des groupes de l'UMP, lesquels sont au nombre de plus de 350, et de l'UDF, auront tout loisir d'intervenir dans la suite du débat, c'est vraisemblablement que la cause est très difficile à défendre ! Il est là clairement sorti de son rôle. C'est dangereux à l'ouverture même de la législature et grave pour la commission des lois (Applaudissements sur les bancs du groupe C. et R. et du groupe socialiste).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean-Antoine Leonetti - Espérons que l'amnistie, théoriquement destinée à réconcilier les Français, ne divisera pas par trop les députés !

Restons-en au texte lui-même qui, comme cela est la coutume après chaque élection présidentielle, propose une amnistie. L'amnistie, mot dont la racine grecque évoque l'oubli, est aussi ancienne que la démocratie puisqu'elle est née à Athènes même, et se confond avec l'histoire de la République. Ainsi l'édit de Nantes disait-il que « la mémoire de toutes choses passées demeurera éteinte et assoupie comme de chose non advenue » - il est fort dommage que M. Montebourg ait quitté l'hémicycle et ne puisse entendre ces rappels historiques. Il ne s'agit pas de pardonner l'individu, mais bien d'oublier la faute. Plus près de nous, une amnistie a suivi la Commune de Paris - les monarchistes la refusaient et c'étaient les radicaux qui la souhaitaient -, une autre la guerre d'Algérie. Même dans ces actes forts de réconciliation nationale, l'amnistie a pu être accusée de vouloir effacer le passé, solder certaines erreurs.

Plus près de nous, encore, les lois de 1990 sur le financement des partis politiques ont certainement achevé de discréditer les lois d'amnistie, renforçant l'idée de l'injustice d'une auto-amnistie, votée par les députés à leur profit. François Mitterrand considérait déjà avec regret en 1991 que cette loi fut « l'un des faits qui ont le plus compté dans la démoralisation publique ». M. Montebourg a, à l'instant, renié les engagements du candidat Jospin. Je connaissais les nombreux rôles qu'il est capable d'endosser, mais non celui, ainsi, de comique ! Je ne savais pas qu'il pouvait si facilement se transformer de Don Quichotte en Sancho Pança...

Rappelons-nous qu'en 1989, le gouvernement Rocard avait glissé en catimini, dans un projet de loi concernant les indépendantistes guadeloupéens, un amendement destiné à effacer certains délits politico-financiers. Le texte, promulgué en janvier 1990, bénéficia quelques mois plus tard aux personnes impliquées dans l'affaire du « Carrefour du développement ». C'est sans doute pourquoi, dans la mémoire collective de la gauche, l'amnistie est liée aux affaires politico-financières. C'est sans doute pourquoi, ayant utilisé la man_uvre de l'amendement discret, certains craignent que nous fassions de même. Est-il besoin, Monsieur le Garde des Sceaux, de rassurer une fois de plus l'opposition sur ce sujet ?

Non, la loi d'amnistie ne couvre pas les affaires politico-financières. Hélas, démentir la rumeur, c'est aussi l'alimenter. Le texte et les amendements prouveront la vérité de nos déclarations.

C'est depuis l'époque socialiste que l'amnistie n'est plus populaire. Nombreux sont ceux qui pensent désormais, à tort, que certaines lois sont faites par des élus pour des élus. Le rapprochement de l'affaire du sang contaminé avec la loi sur les délits non intentionnels en est un exemple récent.

Alors même que l'insécurité ne cesse de progresser, nos concitoyens constatent l'impunité des auteurs d'actes délictueux. Le taux considérable des affaires classées sans suite et la non-exécution des peines prononcées créent une amnistie de fait. Mieux vaut voter aujourd'hui une amnistie que la laisser s'instaurer par la lenteur ou la lourdeur des procédures.

Le Gouvernement a pris en compte la préoccupation des Français et nous avons proposé d'apporter à chaque infraction une sanction proportionnée et systématique. Dès lors, proposer d'effacer des sanctions, n'est-ce pas en contradiction apparente avec nos propositions ? Devant l'incapacité du gouvernement précédent à juguler l'insécurité routière, est-il légitime de proposer l'amnistie de certaines infractions au code de la route ?

Sagement limitée, l'amnistie ne concerne que les infractions n'ayant pas mis en danger la vie d'autrui : je rappelle à la représentation nationale qu'un groupe de travail s'était réuni avant l'élection présidentielle. M. Georges Sarre, qui ne siège plus parmi nous, s'était inquiété de l'effet permissif de l'amnistie annoncée. Membre alors du groupe UDF, j'avais proposé une limitation très sévère des infractions amnistiées. Il m'avait semblé qu'un consensus s'était dégagé. Je constate que les socialistes ont oublié ces débats.

A force de restreindre le champ d'application de l'amnistie, cependant, que restera-t-il la prochaine fois ? Faut-il penser que nous votons l'amnistie pour la dernière fois ? Peut-être, si la France n'a pas besoin d'un apaisement, si les Français ne s'opposent pas violemment les uns aux autres.

Les infractions au code de la route doivent-elles être amnistiées de préférence aux peines de prison légères ? Qui est le plus coupable ? Le chauffard qui tue ou le jeune délinquant qui vole ? Nous nous trouvons devant une contradiction entre le droit et la morale.

Pour nous, pourtant, refuser l'amnistie, ce serait un peu refuser la République. Ni pardon ni grâce, l'amnistie s'inscrit dans notre tradition humaniste de fraternité, d'ouverture et de tolérance.

La France, me direz-vous, ne vient pas de subir l'apartheid de l'Afrique du sud ni une guerre de religion ou une guerre civile.

Elle vient cependant de se sentir ébranlée dans ses institutions par une élection atypique. Le peuple n'a plus confiance en ses représentants. La France a peut-être besoin d'un acte de réconciliation.

L'amnistie peut servir aussi à refonder l'unité perdue. On ne commence pas un mandat en refusant le pardon aux fautes les plus légères, mais en construisant ensemble un avenir commun. L'amnistie ne juge pas, ne pardonne pas, elle oublie le mal passé pour un bien à venir.

Parce que cette amnistie est symbolique, aux deux sens du terme, nous voterons ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Floch - Je veux d'abord rappeler à M. Leonetti que les parlementaires étaient exclus du champ de la loi de 1990. Je souhaite qu'on le sache et qu'on le répète, même si le vote de cette loi fut une erreur et même une faute.

M. le Rapporteur - J'aime mieux ce ton-là.

M. Jacques Floch - Avant mai, fais ce qu'il te plaît ; après mai, la tradition républicaine effacera tes incivilités.

En mai, certains ont fait campagne sur la tolérance zéro. Après mai, il y a l'oubli.

Engagements, avez-vous dit ?

Cette prétendue tradition républicaine coûte très cher à l'Etat : 230 à 300 millions d'euros, selon les estimations.

Elle détruit le travail accompli par les services de police et de gendarmerie. Elle réduit à néant une partie de l'activité judiciaire. Elle conduit à sanctionner les citoyens respectueux de la loi, puisque ceux qui ont payé leurs amendes ne seront pas remboursés.

L'inégalité se trouve ainsi confortée par la loi.

Tous, nous avons parlé des victimes, des incivilités, du sentiment d'insécurité et d'injustice qui conduit nos concitoyens aux votes extrêmes. En mai, les Français ont demandé que la politique se fasse autrement. Vous-mêmes, M. le Garde des Sceaux, M. le rapporteur, vous vous êtes engagés à leur donner satisfaction.

Vous en avez l'occasion aujourd'hui en mettant fin à cette pseudo-tradition de l'amnistie.

Mon grand regret est de ne pas l'avoir fait en 1981 ou en 1988. De temps en temps, vous le voyez, les socialistes sont responsables de mauvaises décisions (Sourires). De temps en temps ils évaluent le poids historique de leurs actes : ce qui a été bien fait et ce qui a été mal fait. C'est ce qu'on appelle le droit d'inventaire.

Je regrette de n'avoir pu expliquer, en 1995, pourquoi nous avions voté contre l'amnistie. Nous l'avions fait par souci des droits des femmes, le projet de l'époque visant à satisfaire certaines demandes particulières. Nous aurions dû dire qu'il fallait en finir avec les lois d'amnistie. Cela aurait suffisamment marqué l'opinion et nous ne serions pas dans la situation où nous nous trouvons aujourd'hui.

Car ce n'est pas une amnistie de réconciliation nationale que nous examinons. Nous ne sortons pas d'une guerre civile. La situation ne justifie en rien une pareille loi.

En 1995, Jacques Toubon se posait les mêmes questions. Mais il réaffirma l'idée d'une tradition républicaine et confondit la gestion des sanctions et des peines avec l'oubli.

Les grands oublis que la République sut provoquer pour marquer la fin de grands troubles, c'est cela l'amnistie, et cela seulement.

Dans cette période de paix civile, avons-nous besoin d'un tel geste ? Non. Nous avons besoin de réconcilier les citoyens avec la politique, de restaurer la confiance en la loi. Comme l'écrivait un éditorialiste du Point en 1995, « l'amnistie déroge trop aux règles ordinaires d'un Etat de droit pour que celui-ci gagne à ce qu'elle se banalise ».

Monsieur le Garde des Sceaux, vous disposez d'autres outils pour réguler l'application des peines. Le projet que vous a laissé Marylise Lebranchu sur le sens de la peine vous permettrait de mieux utiliser l'enfermement : inscrivez-le à notre ordre du jour, au lieu de céder à ceux pour qui la prison doit être la seule réponse de l'Etat en cas de crimes et délits.

D'ailleurs, la loi d'amnistie de la cuvée 2002 ne concerne que les peines mineures. Ceux qui rêvent, dans l'administration pénitentiaire, d'un désengorgement estival, seront déçus. Il leur faudra attendre la grâce présidentielle du 14 juillet.

La présente loi, qui s'est réduite comme peau de chagrin, vous permet tout de même de faire un geste. Mais vers qui et pourquoi ? Vous pourriez retirer ce projet, expliquer que cet engagement de campagne ne devait pas être tenu. Vous auriez été approuvés par le peuple français.

Ce projet, en effet, encourage l'incivisme et détériore notre art de vivre ensemble. Rien ne le justifiant, il ne sera pas approuvé par le groupe socialiste. Trop de non dits, de supputations, font craindre une grande démission devant d'autres délits. Jacques Barrot a déclaré qu'il ne souhaitait pas qu'on profite de l'occasion pour qu'on se débarrasse de certaines affaires « à la sauvette ». Est-ce à dire qu'on le fera autrement ? Vous-même, Monsieur le Garde des Sceaux, avez fait des déclarations ambiguës. Des éclaircissements sont nécessaires.

Cette loi est inutile et inconséquente. Elle nous fait perdre notre temps. Dites haut et fort que vous ne la voterez pas.

« Quand on aime son pays, il y a des événements qui ne peuvent pas vous laisser indifférent. La France traverse une triple crise. D'abord la crise de l'Etat, de cet Etat tracassin et par ailleurs impuissant. Ensuite, une crise de la démocratie, parce que les politiques sont vus comme des gens très haut, très loin, très distants de la vie quotidienne. Enfin, la France traverse une crise encore plus profonde, une crise de société, du sens collectif. On a beaucoup de mal à dépasser les problèmes personnels et les intérêts catégoriels pour reconstituer le sens de l'aventure collective. Pour remédier à cette crise, il faut beaucoup de cohérence ». Le Président Barrot a eu raison de rappeler cela fin juin.

Ce besoin de cohérence nous impose de repousser ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Christophe Lagarde - Nous voici réunis pour débattre du premier projet de loi de ce Gouvernement, qui tend à respecter un engagement du Président de la République. Selon notre Président de la commission des lois, l'UDF était tenue par cet engagement. Or, François Bayrou, candidat à l'élection présidentielle, n'a pas souhaité s'engager sur cette voie, au contraire ! Il l'a dit aux Associations de victimes ! Gilles de Robien, qui fut son directeur de campagne, s'est d'ailleurs exprimé, à titre personnel, contre une loi d'amnistie : cela correspond à la vision qu'à l'UDF de la société.

J'ai été surpris par l'intervention de M. Montebourg. Je suis un nouveau député : j'ai suivi ses interventions, pleines de droiture, de rectitude. En l'écoutant, j'ai été certes frappé par son brio, sa verve, mais j'ai été étonné par ses excès et ses oublis. Si son but était de faire rejeter le texte, encore ne fallait-il pas provoquer l'Assemblée ! M. Montebourg a voulu nous faire un rappel historique, par trop long d'ailleurs. Je suis historien ; le peuple français lui, n'a pas tout oublié. La première loi d'amnistie qui ait été votée, c'est celle de 1981. Elle était si large qu'elle a conduit à relâcher des criminels ou des gens qui le sont ensuite devenus.

Toute cette diatribe qui vise à soupçonner le Gouvernement - sur une supposée tentative de réforme de l'abus de biens sociaux - n'est pas digne. Vous faites fi de la loi d'amnistie de 1990 au profit des hommes politiques, dans le cadre des affaires qui frappaient alors le Parti socialiste. Personne, ici, ne veut sans doute la voir revenir (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Une loi d'amnistie, assurément, est un droit constitutionnel, mais elle comporte à mon sens quatre définitions possibles. La première relève de la réconciliation nationale, à l'issue de grands drames historiques, où il est nécessaire que le Parlement puisse « effacer » les fautes. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, heureusement.

La deuxième relève de l'élan national que l'on a voulu impulser au moment de l'élection du Président de la République au suffrage universel. C'était une manière de sacraliser la fonction, de rapprocher l'élection du Président de chacun des Français, qui se voyait éventuellement pardonner un certain nombre de manquements. Je m'étonne à ce propos des contradictions de M. Montebourg qui conteste l'amnistie mais n'a jamais pris l'initiative d'un projet de loi qui supprimerait, par exemple, le droit de grâce. Cette sacralisation de l'élection présidentielle n'est plus de mise. Le Président Chirac l'a montré dès 1995 en souhaitant une présidence modeste, pour rompre avec le faste des années Mitterrand.

Deux autres sens d'une loi d'amnistie sont un peu moins avoués : le premier vise à vider les fichiers informatiques de centaines de milliers de procès-verbaux qui ne sont jamais payés, en raison d'une carence administrative. Peu de nos concitoyens, en effet, paient les procès-verbaux qui leur sont infligés. En les amnistiant, nous ne serions pas équitables. Il faudra veiller à ce que ces procès-verbaux ne puissent plus « sauter » sur intervention ou, pire, par un « oubli » du fichier informatique.

Le second tend à vider les prisons afin d'alléger la surpopulation pénitentiaire. M. le Garde des Sceaux, vous héritez d'une situation difficile ; nous savons que le Premier ministre, vous-même, M. Pierre Bédier en avez pris la mesure, pour mener une politique de constructions de places.

Néanmoins, vider les prisons pour pallier les conséquences de l'héritage reçu ne me paraît pas de bonne politique. Le trop-plein dans les prisons ne doit pas justifier un trop-plein d'insécurité dans certains quartiers (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

J'en viens à la portée de l'amnistie. Elle est certes beaucoup plus restrictive que les précédentes ; de nombreuses voix contestent le principe même d'une amnistie, emboîtant ainsi le pas à certaines associations. Mais la portée de ce projet n'est pas sans conséquence : plus de 200 000 délits peuvent être amnistiés !

Trois points nous paraissent contestables. Tout d'abord, l'amnistie des procès-verbaux dits non dangereux pose problème : des centaines de milliers d'automobilistes ont changé de comportement à l'approche de l'élection présidentielle. Bien des élus locaux ont constaté que plus d'un an avant, les stationnements payants ne sont plus respectés. Or, les stationnements sur les passages piétons, dans les virages, sur les trottoirs provoquent des accidents. Ce week-end, dans ma commune, une jeune fille est décédée, certes à cause d'un chauffard, mais aussi parce qu'elle était au milieu de la route, à cause d'un automobiliste qui stationnait sur le trottoir... Bref, distinguer entre les procès-verbaux dangereux ou non, me semble difficile.

Ensuite, nous savons que les collectivités locales touchent une partie du montant des procès-verbaux, qui leur sert à faire des travaux pour mieux assurer la sécurité routière. Cette amnistie privera les départements, par exemple, d'une recette importante.

Enfin, que faire des honnêtes citoyens qui ont acquitté leurs procès-verbaux consciencieusement pendant les dix-huit derniers mois ? Ils peuvent avoir l'impression d'être les cocus de cette loi !

Amnistier les procès-verbaux favorise les mauvaises habitudes, et l'on sait combien elles sont rapides à prendre, et combien les bonnes sont difficiles à inculquer aux automobilistes. Ces contraventions ne doivent pas être amnistiées.

En ce qui concerne maintenant l'amnistie des peines de prison de moins de trois mois : cette décision est détestable, à l'opposé des aspirations des Français. On pourrait penser qu'il s'agit là d'un pardon s'appliquant à des délinquants occasionnels. Non ! L'élu de la Seine-Saint-Denis que je suis tient, M. le Garde des Sceaux, à vous le dire.

Dans mon département, pour qu'un majeur écope d'une peine de trois mois au moins de prison ferme, il faut qu'il soit passé, la plupart du temps, deux à trois fois devant un juge, qu'il ait déjà été condamné ; s'il s'agit d'un mineur, c'est pire ! Il faut qu'il ait fait l'objet de six ou sept comparutions, entre seize et dix-huit ans, sans compter tous les délits qui sont classés sans suite.

Les délinquants qui seront relâchés seront des multirécidivistes ! Ceux-là même qui pourrissent la vie de certains quartiers ! Comment expliquer à ceux qui les subissent qu'à peine sanctionnés, ces délinquants vont être relâchés ?

Dans ma ville, trois délinquants, dans une cité, viennent d'être arrêtés ; un million deux cent mille francs de dégâts, l'an dernier ; les associations perdent pied, refusent de maintenir leurs activités de socialisation ; comment leur expliquer, quand elles ont porté plainte et pris le risque de témoigner, qu'elles vont se trouver face aux mêmes délinquants, dès cet été ? Je ne sais pas le faire, ni comme maire, ni comme député (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

En ce qui concerne l'amnistie à raison du quantum, c'est-à-dire à raison de la hauteur de la peine, son principe même semble contestable. Les peines prononcées ne sont pas tout à fait égales selon le tribunal ou la région ; la nature de la faute n'étant pas vraiment prise en compte, elle ne l'est que par défaut.

Si nous amnistions, au-delà des procès-verbaux, des peines de prison, nous donnerons l'impression que ceux qui trichent s'en sortent mieux que ceux qui respectent les lois. Le groupe UDF défend une société de responsabilité, et l'amnistie va à l'encontre de ce principe. Il votera donc dans sa grande majorité contre cette loi, certes plus restrictive que les précédentes, mais qui appartient à une époque révolue et heurte un nombre grandissant de nos concitoyens.

Mais nous ne vous intenterons pas le même procès d'intention que les socialistes et M. Montebourg : nous prenons acte avec satisfaction de votre refus d'amnistier les délits politico-financiers (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Ce refus est aussi le nôtre et vous pourrez compter durant toute la législature sur notre vigilance absolue en la matière (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Jacques Brunhes - Le principe d'un projet de loi portant amnistie soulève de vives critiques émanant de divers courants politiques. Nous venons de les entendre ; elles ne sont pas nouvelles. Déjà de nombreuses voix s'étaient élevées en 1995 pour protester contre certains effets pervers de l'amnistie et dénoncer les dérives d'une institution dont la fonction était d'apaiser un climat passionnel créé par des événements historiques majeurs.

Il est vrai que depuis le XIXe siècle, les amnisties ont dépassé le cadre politique pour s'étendre aux infractions les plus diverses et se sont multipliées. Vingt-cinq ont ainsi été votées depuis 1947. Depuis 1959, chaque élection présidentielle est suivie d'une loi générale d'amnistie, dont la fréquence risque de s'accélérer avec le quinquennat.

Ce développement ne va pas sans poser problème. Ainsi, la certitude de voir amnistier des atteintes au code de la route pousse certains automobilistes à des comportements irresponsables et selon certains constats, l'anarchie règne un peu plus dans la circulation automobile pendant les mois qui précèdent l'élection présidentielle. Aussi le conseil national de la sécurité routière, qui estime à plus de cent le nombre de victimes d'accidents de la circulation imputables à l'annonce d'une amnistie, a-t-il exprimé son opposition à celle-ci.

Il est vrai que votre projet en restreint le champ, mais les élus peuvent moins que quiconque tolérer que l'imminence d'une amnistie favorise le manque d'esprit civique. On peut aussi s'interroger sur la légitimité et l'équité de la prime ainsi offerte aux contrevenants.

Un autre champ traditionnel de l'amnistie, celui de la délinquance de droit commun, soulève des interrogations. L'amnistie en raison du quantum ou de la nature de la peine sert à pallier les insuffisances de la politique pénitentiaire et à alléger le surpeuplement critique des prisons, comme en 1981 et en 1988. En 1995, alors qu'il y avait 57 700 détenus pour 46 000 places, elle a permis, appliquée aux peines de trois mois ferme et de neuf mois avec sursis, de libérer 1 500 détenus.

L'amnistie ne devrait plus constituer un moyen de gestion de la population pénale. C'est à l'exécutif, par la politique pénale, de prendre ses responsabilités en la matière, d'autant plus que votre Gouvernement a fait du « tout sécuritaire » et de l'impunité zéro son cheval de bataille.

L'utilité des lois d'amnistie pourrait d'ailleurs s'amenuiser si les choix politiques, économiques et sociaux s'attaquaient à la crise profonde de notre société pour répondre au chômage, à la marginalisation et à l'exclusion d'une part grandissante de la population, à la fracture sociale, à l'angoisse devant ce monde globalisé qui brouille repères et identité.

En 1995, M. Jacques Toubon opposait à un amendement du groupe communiste demandant l'amnistie des délits commis en relation avec les procédures d'expulsion ou de saisie, que les problèmes de fond sous-jacents à l'amendement seraient mieux résolus par un programme de logement d'urgence. Chacun en conviendra. Encore faudrait-il que ce programme existe, corresponde aux vrais besoins et que le droit à un toit soit effectivement garanti aux plus démunis, ce qui est loin d'être le cas, si bien que nous devrons à nouveau défendre un amendement à ce sujet. Le même argument vaut pour le droit au travail : nombre de délits et d'infractions concernés par l'amnistie sont liés à l'exclusion et aux difficiles conditions de vie de millions de Français.

Or, s'il est aujourd'hui une certitude, c'est bien que les inégalités sociales s'aggravent dans notre pays. Les premières mesures que vous avez annoncées, comme le cadeau fait aux nantis avec la réduction de 5 % des impôts directs ou le refus d'augmenter le SMIC ou l'APL, les orientations en matière de services publics, de 35 heures, de retraites, ne sont pas de nature à améliorer la situation ni à réduire le fossé entre nos concitoyens.

Dans ces conditions, l'amnistie des infractions liées aux conflits et luttes pour la défense de l'outil de travail, l'amélioration des conditions de vie, la sauvegarde du service public, la démocratisation et la transparence des choix gestionnaires, la maîtrise de la mondialisation, la logique anti-productiviste dans le domaine agricole et le développement durable, est indispensable à l'apaisement des tensions sociales et en conséquence parfaitement légitime.

Or c'est justement sur ce chapitre que pèche votre texte, qui marque un recul par rapport aux lois d'amnistie de 1981 et 1988. Mais doit-on s'en étonner de la part d'un Gouvernement qui fait siennes les exigences du MEDEF ?

Certes, l'article 3 propose d'amnistier les infractions passibles de dix ans au plus d'emprisonnement commises à l'occasion de conflits du travail ou d'activités syndicales de salariés et d'agents publics ainsi que les délits commis en relation avec des conflits de caractère industriel, agricole, rural, artisanal, commercial. Mais sa portée est restreinte par les effets limités de l'amnistie et par l'article 13. L'amnistie des infractions commises à l'occasion d'activités syndicales ou revendicatives n'a en fait pas de portée réelle.

Ainsi, depuis la loi de 1995, et contrairement à ce que permettaient les lois de 1981 et 1988, l'amnistie des infractions couvertes par l'article 3.1 et des sanctions disciplinaires ou professionnelles ne donne plus droit à réintégration. Quel intérêt pour un élu du personnel, un représentant syndical ou un salarié de voir effacer les faits retenus comme motifs de sanctions par un employeur et retirer la mention de ces faits de son dossier si l'on ne revient pas sur le licenciement ou la rétrogradation ?

Pour le groupe communiste, ce projet de loi doit être jugé à l'aune de son apport au monde du travail. Nous avons déposé des amendements pour permettre des avancées sociales, mais n'avons hélas guère d'espoirs de les voir retenus.

Je voudrais enfin dénoncer le scandale que constitue la chronique d'une amnistie annoncée, celle des délits politico-financiers. Ces infractions sont certes exclues de votre projet, et vous n'avez cessé d'affirmer votre intention de vous opposer à tout amendement qui les y inclurait. Mais depuis des jours, la presse dévoile les modifications que les juristes proches de l'Elysée, de Matignon, ou peut-être de votre ministère, envisagent d'apporter à notre législation.

Il s'agirait de fixer un délai de prescription de l'abus de biens sociaux en s'appuyant sur un arrêt de la Cour de cassation rendu en 2001 ou de s'inspirer de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif au « droit à un procès équitable », qui comporte la notion « d'un délai raisonnable », ou de limiter le délit de prise illégale d'intérêts. L'arrêt de juin 2001 a révisé les contours de l'ABS, en estimant que si des faits incriminés apparaissent dans la comptabilité d'une société et ne sont pas réellement dissimulés, il ne s'agit pas d'ABS. Le délai de prescription applicable est alors de trois ans, soit celui qui vaut pour le délit de corruption. Suivant cette jurisprudence, il pourrait être question d'imposer un délai de prescription de trois ou cinq ans pour les ABS, qu'ils figurent ou non dans la comptabilité de l'entreprise.

Pour faire passer cette réforme, vous allongeriez les délais de prescription pour le délit de corruption. Or l'existence de ce dernier est difficile à prouver, sauf le cas rarissime de flagrant délit. La pilule serait donc dorée pour les bénéficiaires de la réforme de l'ABS.

Si vous préfériez vous inspirer de la notion du « délai raisonnable », pour aboutir au même résultat, la piste serait plus difficile à suivre car la disposition s'appliquerait aussi aux grandes affaires de trafics de stupéfiants...

Enfin, vous envisageriez de limiter le délit de prise illégale d'intérêts à « un bénéfice réel et personnel ».

Le rapporteur vient de conforter ces scénarios en déclarant sur France Inter que cette question pourrait être traitée dans le cadre du projet de loi sur la justice examiné au Sénat à partir du 23 juillet, et à l'Assemblée le 1er août, c'est-à-dire au moment où les vacances permettront de faire passer tout ce que nous imaginons en CMP. Nous n'inventons rien : toutes ces pistes sont à l'étude.

Comment faire passer autrement qu'en catimini une mesure aussi scandaleuse du point de vue éthique et politique ? Elle concernerait la majorité des dossiers pénaux incriminant les plus hautes personnalités de l'UMP, à commencer par le Président de la République lui-même, les emplois fictifs du RPR, les HLM de Paris, l'affaire Elf et d'autres.

Le groupe communiste s'est toujours opposé avec détermination aux tentatives de blanchiment des affaires politico-financières et d'auto-amnistie. C'est ainsi que nous avons voté contre l'amendement amnistiant les délits commis avant le 15 juin 1989 en relation avec le financement des partis ou des campagnes électorales en 1990, et que nous récusons l'idée de passer l'éponge sur les financements occultes des partis avant 1995 comme la droite le propose.

Ce serait un acte inadmissible, éthiquement inacceptable. Au moment où le Gouvernement veut renforcer l'autorité de l'Etat et le civisme, il ne saurait y avoir d'impunité totale pour le monde politique, sous peine de consacrer le courant extrémiste anti-républicain qui a ébranlé la France le 21 avril dernier.

Or toutes les périodes récentes où la droite a dirigé le pays ont été marquées par le reniement des engagements et des promesses.

M. Jean Ueberschlag - Et Jean-Baptiste Doumeng ?

M. Jacques Brunhes - C'est dire combien vos dénégations véhémentes ne nous rassurent pas. Je vous confirme la détermination de notre groupe à empêcher toute man_uvre contre la démocratie et la République (Applaudissements sur les bancs du groupe C. et R. et du groupe socialiste).

M. François Baroin remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

M. Xavier de Roux - Ce débat me semble complètement surréaliste. Est-ce l'air du temps ou l'angle d'attaque choisi par le groupe socialiste qui crée cette sorte d'hourvari contre la loi d'amnistie qui suit traditionnellement l'élection du Président de la République ? Tout cet après-midi on a entendu des propos exagérés ou sans rapport avec le texte, des sous-entendus totalement infondés ou des propos jusqu'auboutistes tendant à exclure de l'amnistie des contraventions mineures.

M. Jacques Floch a parlé du droit d'inventaire. Peut-être pensait-il à la « grande amnistie de réconciliation nationale » de 1981 qui a élargi à la fois les terroristes du FLNC, ceux d'Action directe et les assassins de Georges Besse ?

Ce gouvernement a considérablement réduit le champ de l'amnistie par rapport aux lois précédentes. Il est tout-à-fait normal que le législateur conserve le pouvoir de pardonner. Mais il n'est jamais tenu par les termes des précédentes lois. Aucun délinquant, aucun contrevenant n'a un droit acquis au pardon.

Je ne referai pas l'historique de l'amnistie depuis les Grecs - amnistie vient d'amnesia, qui est le droit d'oublier. Tous les droits ont inclus un droit d'amnistie, longtemps confondu avec le droit de grâce. En 1839, la Cour de cassation disait que le droit d'amnistie était contenu dans le droit de grâce.

Aujourd'hui la grâce s'attache à la personne et l'amnistie éteint les délits : la loi du 2 avril 1878 a clairement établi la séparation des pouvoirs exécutif et législatif en matière de pardon. Le Président de la République a le droit de grâce, le législateur celui d'amnistie et l'autorité judiciaire a le pouvoir de réhabilitation, qui a juridiquement les mêmes effets.

Alors pourquoi aujourd'hui, subitement, la représentation nationale abandonnerait-elle ce droit, alors qu'il n'en est pas question pour les autres pouvoirs ? L'article 34 de la Constitution nous confère la faculté de légiférer à ce sujet, les effets des lois d'amnistie sont reconnus par les articles 133-9 à 133-11 du code pénal. Il s'agit d'un temps d'apaisement dans une société hyperréglementée.

Alors, bien sûr, la loi d'amnistie ne crée pas de droit acquis. Si le comportement de certains citoyens anticipant les effets de l'amnistie est inadmissible, on ne va quand même pas juger le droit d'amnistie à l'aune des seuls automobilistes. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 11 janvier 1990, a déclaré solennellement que l'anticipation des mesures d'amnistie allait à l'encontre de l'apaisement. Il était donc normal et nécessaire de retirer de la loi d'amnistie les délits routiers : cela a été fait. Mais en retirer les contraventions toucherait à l'imbécillité : vous imaginez nos greffiers et policiers compter les timbres-amendes !

Pour le reste, la loi ne contient que des mesures classiques, mais nous n'avons cessé d'entendre ici les spécialistes des procès d'intention, des procès en sorcellerie, les saints inquisiteurs qui ont tenu à parler, on ne sait pas pourquoi, de l'abus de biens sociaux.

L'abus de biens sociaux est une fantasmagorie du droit français. Ce délit, glissé dans le code de commerce et non dans le code pénal, la Cour de cassation en a donné, à un moment, une interprétation exagérée et l'a rendu imprescriptible - tout cela parce que, pour les juges, cette incrimination est plus facile à prouver que la corruption. Depuis, il est devenu impossible, pour le législateur, d'y toucher.

Mais la Cour de cassation est en train de revenir là-dessus : il n'y a aucun délit, dans notre droit, qui soit imprescriptible. La seule question est de savoir quand commence la prescription. La Cour de cassation, dans l'arrêt cité par M. Brunhes, a estimé que dès lors que l'acte abusif se retrouve dans les comptes approuvés par l'assemblée annuelle, la prescription part de ce moment. C'est très simple et il n'y a pas lieu d'en faire une révolution et d'accuser le Gouvernement de n'importe quoi (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Arrêtez ces procès d'intention, messieurs du groupe socialiste, d'autant que vous avez été impliqués aussi dans des affaires !

Il n'y a rien sur l'abus de biens sociaux dans le projet et aucun amendement n'est prévu sur ce point. M. le Garde des Sceaux, vous nous proposez une petite amnistie, adaptée à une époque où l'opinion publique exige sévérité et sanctions, où elle ne pardonne pas.

La sagesse impose de vous suivre, mais ce n'est pas parce qu'on amnistie peu qu'on doit perdre le droit de pardonner plus tard (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Bernard Roman - Monsieur le Garde des Sceaux, c'est à vous que je vais consacrer mon intervention car nous allons passer beaucoup de temps avec vous d'ici la fin de cette session extraordinaire.

Votre pouvoir est aujourd'hui immense, sans limite presque. Le peuple l'a voulu. La démocratie est ainsi. La droite règne en maître, à l'Elysée, au Gouvernement, au Parlement. Il lui revient de nommer tous les membres renouvelables du Conseil constitutionnel et face à ce pouvoir, il ne nous reste que la parole.

Vous me permettrez, dans ces quelques minutes, d'en user pour vous dire combien est grande votre responsabilité.

Monsieur le ministre, vous avez en charge l'un des trésors de notre République. Par vos propositions, vous allez pouvoir façonner à votre guise les contours de l'institution judiciaire, de cette justice qui reste, comme le disait le Premier ministre à cette tribune, il y a quelques jours, l'une des fonctions essentielles de l'Etat.

Vous me permettrez, Monsieur le ministre, après vous avoir entendu ici, vous avoir écouté et lu dans les médias, et sans vous avoir encore entendu devant la commission des lois, de vous dire mon immense inquiétude.

D'abord, Monsieur le ministre, la justice est affaire de principes, et une bonne justice est celle qui trouve l'équilibre entre ces principes quelquefois contradictoires. Or, le bouleversement que vous envisagez des règles de notre institution judiciaire risque de mettre à mal cet équilibre et de tourner le dos à des principes républicains essentiels. Est-ce l'air du temps, ou bien est-ce la nouvelle configuration politique qui vous donne tant de pouvoirs, tant de possibilités de passer en force, qui vous conduit aujourd'hui à revenir sur des principes auxquels, il y a peu, vous vous disiez si attaché ?

Finie, la commission Truche mise en place par le Président Chirac en 1996. Enterrées, les propositions pourtant validées en 1997 par le Président lui-même sur l'indépendance du Parquet, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, la fin des instructions individuelles du Garde des Sceaux aux procureurs. Finis, les discours lénifiants sur les libertés qui ont conduit le groupe politique auquel vous apparteniez, Monsieur le ministre, à proposer des surenchères sur la défense de la présomption d'innocence. Vous redécouvrez aujourd'hui les vertus d'une justice sous contrôle, des parquets sous tutelle.

Mon deuxième sujet d'inquiétude concerne votre choix idéologique.

Je n'oublie pas ce qui s'est passé sous la précédente législature à propos de textes qui visaient à garantir une meilleure égalité des droits. Les députés du groupe Démocratie libérale, les plus proches amis du Premier ministre actuel, ont refusé de voter la loi relative à la lutte contre la corruption, qui durcissait la législation en matière de commerce international. Les groupes d'opposition de l'époque ont empêché l'adoption de la réforme constitutionnelle qui organisait la clarification du statut pénal du chef de l'Etat, lequel promet aujourd'hui de réunir une commission des sages dont nous espérons qu'elle vise plus à proposer qu'à temporiser. Les mêmes ont refusé de voter la loi visant à réprimer les infractions sexuelles et renforçant la protection des mineurs.

Avouez que ce bilan justifie quelque inquiétude quant au sens même des propositions que vous formulez aujourd'hui.

Vous remettez en cause la loi sur la présomption d'innocence que vous aviez dans un premier temps soutenue. La logique de cette loi, vous en conveniez à l'époque, était de réduire le nombre de détentions provisoires. Votre logique aujourd'hui est de remplir les prisons et d'en construire de nouvelles... Par ailleurs, vos orientations en matière de garde à vue et de détention provisoire risquent de se heurter très vite à la Convention européenne des droits de l'homme. Avec ce que vous nous préparez, le droit ne servira plus la justice.

Mon troisième sujet d'inquiétude est directement lié à ce texte d'amnistie. Il y a ce que vous dites, il y a aussi ce que vous taisez. Il y a ce que vous affichez, il y a aussi ce que vous préparez ou, subtilité du travail parlementaire, ce que vous pouvez laisser à d'autres le soin de préparer. La déclaration de politique très générale du Premier ministre justifie notre scepticisme : son flou permet au Gouvernement de n'être engagé sur rien.

Certes, vous nous proposez un texte « light », qui souligne qu'en matière d'amnistie, nous arrivons sans doute à la fin d'un système. Mais je crains que ce soit l'arbre qui cache la forêt d'un grand pardon.

Les Français seraient alors fondés à se sentir trahis. Je souscris à l'avertissement que vous a lancé la semaine dernière à cette tribune, François Bayrou, largement cité aujourd'hui : « le risque pour le pouvoir absolu, quand il se trompe, c'est qu'il se trompe absolument ».

Vos déclarations prudentes mais empruntées sur l'abus de bien social, celles de notre rapporteur, moins prudentes, sur les conditions de prescription de ce délit nous laissent penser que se profile une véritable amnistie présidentielle, qui pourrait être qualifiée comme telle au regard de ceux à qui elle serait destinée en priorité, le Président de la République et le Président de l'UMP.

Vous avez, Monsieur le ministre, tous les moyens d'agir au détour d'une procédure parlementaire discrète, échappant même au Gouvernement, dans une commission mixte paritaire qui se tiendrait une nuit de la première semaine d'août.

M. le Garde des Sceaux - Le 4 !

M. Bernard Roman - Mais quelle perception les Français auraient-ils d'une réforme qui introduirait des sanctions pénales pour des enfants de dix ans, qui autoriserait la détention provisoire à partir de treize ans, qui enfermerait les jeunes délinquants, bref qui consacrerait votre formule de l'« impunité zéro » pour les mineurs et qui, parallèlement, consacrerait la tolérance maximale pour les dirigeants qui ont puisé dans les caisses des entreprises et les politiques qui en ont profité ?

Sachez, Monsieur le ministre, que si la majorité choisissait cette voie sous prétexte qu'elle peut tout et que l'attention de l'opinion publique est engourdie en période estivale, notre vigilance resterait totale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Philippe Vuilque - L'amnistie est en effet une tradition républicaine, mais il y a en fait deux sortes d'amnistie : l'amnistie de réconciliation nationale, utilisée pour apaiser les passions, qui doit être conservée ; l'amnistie post-électorale, choquante et de plus en plus inadmissible dans un état de droit, qui doit être supprimée.

Cette amnistie est aujourd'hui considérée par la grande majorité de nos concitoyens comme une pratique exécrable. Il est dommage que tous les candidats à l'élection présidentielle n'aient pas pris d'engagement fort contre cette amnistie-là.

Monsieur le ministre vous avez aujourd'hui avec votre majorité l'occasion de mettre un terme à cette pratique, qui est un très mauvais signal donné à nos concitoyens quand on prétend vouloir rétablir l'esprit civique.

L'amnistie, même réduite, favorise l'incivisme et les comportements désinvoltes, notamment chez les automobilistes. Quand l'on prône la « tolérance zéro », commencer par exonérer de réparations ceux qui ont commis des infractions n'est pas le meilleur message qu'on puisse délivrer ! Les victimes de ces infractions vont sûrement apprécier...

En outre, l'amnistie bafoue le principe d'égalité de traitement entre les citoyens. Ceux qui ont payé leurs amendes et se sont comportés en citoyens responsables se sentent aujourd'hui floués. Pourquoi, d'ailleurs amnistier la FNSEA et pas la Confédération paysanne ? Quel exemple donnons-nous aux jeunes générations en agissant de la sorte ?

Si nous votons cette loi, nous cautionnons des pratiques contraires à la vie en société : est-ce acceptable de la part du législateur ?

Même une amnistie a minima est ravageuse par l'impression qu'elle risque de laisser dans l'opinion publique.

Le bon choix, Monsieur le ministre, serait de retirer ce projet de loi d'amnistie. S'il n'est pas retiré, il serait salutaire, chers collègues de la majorité, de préférer votre conscience à la consigne... Certains d'entre vous, à l'UDF, viennent de le faire.

Je suis persuadé que beaucoup d'entre vous, bien que partageant ce point de vue, n'oseront malheureusement pas émettre ce vote salutaire. Mais prenez à tout le moins l'engagement que cette loi d'amnistie, si elle est votée, sera bien la dernière (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Thierry Mariani - Parmi nos concitoyens comme dans la classe politique, les interrogations sur la pertinence de l'amnistie sont nombreuses. Il y a loin en effet de la tradition dont elle s'inspire à la réalité de notre société aujourd'hui et la portée des lois d'amnistie n'est plus du tout ressentie de la même manière.

Historiquement, l'amnistie, mesure exceptionnelle, trouvait sa justification dans un souci de réconciliation nationale. Il s'agissait de ressouder les Français déchirés par l'histoire, de pardonner dans une volonté d'apaisement social et politique. L'amnistie de la fin du XIXe siècle, qui intervenait dans une société progressiste où les soubresauts sociaux et politiques étaient encore nombreux, visait à faire table rase des blessures du passé. Si une telle volonté d'apaisement et de réconciliation pouvait se comprendre dans un tel contexte, il n'en va plus de même aujourd'hui. D'une part, nous vivons dans une société où les conflits civils sont moins nombreux ; d'autre part, notre époque tolère difficilement le sentiment d'impunité.

L'amnistie doit s'adapter à ces évolutions et ce projet de loi, dont le champ d'application a été sensiblement resserré, répond aux attentes de nos concitoyens. Si l'idée de réconciliation qui prévalait originellement dans l'amnistie a cédé la place à une tradition républicaine renouvelée après la plupart des élections présidentielles, il convient d'éviter que celle-ci n'entretienne un sentiment d'injustice et d'impunité. Conjugué au développement de la délinquance, trop souvent impunie ces dernières années, et aux secousses qu'a connues la classe politique dans les années 1990, le débat sur l'amnistie peut en effet entretenir l'idée que la justice ne serait pas la même pour tous et qu'il existerait des intouchables.

Or, c'est précisément ce sentiment d'impunité que ce Gouvernement et sa majorité ont le devoir de combattre en renouant au plus tôt des liens de confiance entre les Français et la classe politique, en luttant contre l'insécurité, en restaurant l'autorité de l'Etat et en rétablissant les conditions d'une justice rapide, efficace et équilibrée.

C'est pourquoi je me réjouis que vous ayez très clairement exprimé, Monsieur le Garde des Sceaux, votre volonté de mettre un terme au laxisme dans lequel les socialistes se sont complus et d'accorder la priorité à la lutte contre l'insécurité ainsi qu'à une application rigoureuse de notre droit pénal. Ainsi l'extension de la liste d'infractions exclues de l'amnistie est-elle particulièrement judicieuse. Il en va de la crédibilité de notre politique, du respect de nos engagements et de la cohérence de notre action. On redonne ainsi son caractère exceptionnel à l'amnistie.

L'exclusion des délits d'association de malfaiteurs, de proxénétisme, de violences sur personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, de dégradation, de harcèlement, des atteintes portées aux personnes vulnérables, des infractions de nature sexuelle, ou bien encore de concussion, de corruption et la plus grande sévérité à l'encontre des délits et contraventions du code de la route, illustrent la volonté du Gouvernement de mettre ses actes en conformité avec ses engagements.

J'ai, pour ma part, Monsieur le ministre, déposé deux amendements visant à exclure du champ d'application de l'amnistie d'une part, les sévices graves et les actes de tortures commis sur les animaux, d'autre part, les contraventions les plus graves touchant les installations classées visées au livre V du code de l'environnement. Ces amendements emporteront, je l'espère, l'assentiment du Gouvernement. L'un d'entre eux a déjà été adopté par la commission.

Ce texte marque une nette rupture avec la pratique antérieure, notamment celle des socialistes dont le laisser-aller en la matière est à l'image de leur inconséquence. La gauche qui, ces derniers jours, se plaît à nous donner des leçons de moralité publique oublie qu'elle porte une lourde responsabilité dans l'assimilation qui a pu être faite entre immoralité et amnistie. J'invite d'ailleurs nos collègues à méditer les propos de François Mitterrand qui reconnaissait lui-même que la loi d'amnistie de janvier 1990 avait constitué une erreur.

A titre personnel, mais je ne crois pas être le seul à penser cela, je souhaite que cette loi d'amnistie soit la dernière. L'amnistie, dans sa conception originelle, n'a plus de raison d'être. Inadaptée à notre société, elle m'apparaît difficilement compatible avec les impératifs de justice et de sécurité que nous nous sommes fixés.

Monsieur le ministre, je suis maire d'une ville de dix mille habitants, Valréas, où chaque jour nous apporte son lot d'actes délictueux qui sont le plus souvent le fait de jeunes récidivistes - dégradations de biens publics, agressions, outrages à agents de police, dégradation de l'environnement,...

Au cours des cinq dernières années, la violence et la délinquance ont explosé, dopées par l'impunité que les socialistes ont laissé se développer. Nous avons la lourde tâche de mettre fin à ce climat, sans faillir ni transiger. La justice doit être rendue et l'état de droit restauré pour tous partout sur le territoire.

Ce projet de loi d'amnistie doit être l'occasion d'un dernier coup d'éponge pour les délits les plus mineurs n'ayant pas mis en danger la vie d'autrui ni constitué une atteinte aux biens et aux personnes. Alors que ces dernières années les délinquants ont pu sévir en toute quiétude, avouez qu'il serait quand même un peu fort que les automobilistes s'étant laissés aller, avant l'élection présidentielle, à des stationnements gênants non dangereux, soient les seuls sanctionnés !

Etant donné les restrictions apportées à l'amnistie et confiant dans la détermination du Gouvernement à _uvrer pour plus de sécurité et plus de justice, je voterai ce projet de loi en renouvelant le v_u qu'il soit le dernier. Le civisme et la justice n'en sortiront que renforcés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Martine Billard - Une fois de plus, une fois de trop peut-être, la représentation nationale est invitée à voter une loi d'amnistie. Déjà en 1995, on nous avait promis que ce serait la dernière fois. Espérons qu'aujourd'hui, ce sera bien la dernière ! Sous prétexte de réconciliation nationale, cette tradition démagogique détourne en réalité le suffrage universel de son but. Il n'est pas admissible de chercher à s'attirer ainsi les faveurs des électeurs et de pousser ainsi à l'incivisme par ailleurs dénoncé au point d'en faire un thème principal de campagne électorale. Je suis, pour ma part, tout à fait à l'aise pour en parler puisque le candidat Vert, Noël Mamère, avait clairement pris parti contre toute amnistie.

La première des incivilités n'est-elle pas de voter une amnistie des incivilités ? Je vous invite donc à repousser cette loi en contradiction avec les déclarations de fermeté du Président de la République et du Gouvernement. On nous annonce d'un côté une loi sur la justice mettant exclusivement l'accent sur la répression, dangereuse pour les libertés, et on nous demande de l'autre de voter une amnistie. Où est la logique ?

Amnistier, c'est donner un sentiment d'impunité tous les cinq ans. Je ne condamne certes pas toute forme d'amnistie. Mais celle-ci ne doit répondre qu'à des situations exceptionnelles ou à une nécessité de réconciliation nationale : elle ne peut être un appel au non-respect de la loi ! Or, avant chaque amnistie programmée, les actes d'incivilité se multiplient.

En outre, l'amnistie est source de profonde inégalité, tout d'abord entre ceux qui respectent la loi et ceux qui la transgressent , mais aussi parce que les faits amnistiés le sont de manière déséquilibrée, dans un but essentiellement électoraliste. Pourquoi, par exemple, amnistier le défaut habituel de paiement des parcmètres et non celui des titres de transport ? Dans les deux cas, les contrevenants adoptent le même comportement et s'ensuit une baisse de recettes pour l'autorité gestionnaire. De même, pourquoi écarter de l'amnistie les étrangers en situation irrégulière alors que les conjoints de Français ou les parents d'enfants français pourraient ainsi régulariser leur situation ? Pourquoi exclure à l'article 3, alinéa 1, les agriculteurs du bénéfice de l'amnistie... pour en traiter dans un article spécifique ? Enfin, en quoi amnistier les contraventions au code de la route réconcilierait-il les Français entre eux ? En résultent seulement une multiplication des infractions, transformant les trottoirs de nos villes en immenses parkings pendant des mois, et une augmentation considérable, directe ou indirecte, du nombre des accidents.

J'ai déposé, avec mes collègues Verts, une série d'amendements tendant à mettre un terme à ces inégalités et à redonner à la loi d'amnistie le sens de la réconciliation qu'elle prétend avoir.

Enfin, il ne faudrait pas que les délits politico-financiers, notamment l'abus de biens sociaux mais aussi la fraude électorale, se trouvent amnistiés dans la prochaine loi sur la justice. Ce serait extrêmement grave et préjudiciable pour la démocratie. Quelles que soient les personnes mises en cause, qu'il s'agisse d'un chef d'entreprise, d'un député, ou même du Président de la République, aucune ne doit pouvoir échapper à la justice.

C'est pourquoi je demande au Gouvernement - il en est encore temps - de renoncer à cette amnistie, qui serait mal comprise par nos concitoyens, et de s'engager publiquement à ne pas procéder à une amnistie rampante des délits politico-financiers (Applaudissements sur plusieurs bancs des non-inscrits, ainsi que sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.).

M. Guy Geoffroy - Depuis le début de l'examen de ce projet de loi, l'hémicycle s'est à plusieurs reprises enflammé sous le coup de déclarations... pour le moins excessives. Mais tout nouveau parlementaire, je découvre que cela semble être la règle du jeu. Revenons à plus de modestie et de bon sens, celui-là même dont faisait preuve Jacques Toubon déclarant avec beaucoup de sagesse le 27 juin 1995 qu'il ne saurait y avoir d'équilibre parfait en matière d'amnistie et que nul ne détenait sur le sujet d'unique vérité.

De quoi s'agit-il en réalité ? Qu'on le veuille ou non, tout simplement de suivre une tradition ancrée dans notre République. L'amnistie a parfois pu par le passé prendre des proportions inquiétantes.

J'ai sous les yeux ce que déclarait le rapporteur de la loi d'amnistie de 1981. Je suis surpris qu'aucun député socialiste n'y ait fait allusion.

La vraie question est celle de la portée de la loi : la loi d'amnistie de 1981 se justifiait, selon son rapporteur, par une préoccupation de générosité qui est dans la tradition de la gauche française et qui permettait d'anticiper certaines réformes. On a vu de quelles réformes il s'agissait.

En 1988 d'ailleurs, le même rapporteur convenait que l'amnistie risquait aussi d'encourager la délinquance et la récidive. S'agissant de l'amnistie accordée en fonction de la nature de l'infraction, il trouvait choquant que la procédure en cours soit interrompue.

L'agitation sur certains bancs n'est qu'une tempête dans un tout petit verre d'eau.

Nouveau parlementaire de la nouvelle majorité, c'est sans complexe que je voterai ce projet. Je le ferai avec la certitude d'appuyer une _uvre sage et raisonnable qui échappe à l'air du temps.

Je vous ferai toutefois quelques suggestions pour que ce débat ait des suites en terme d'information, de communication et - c'est l'ancien chef d'établissement qui parle - de pédagogie.

Il est inacceptable que l'opposition colporte ici ses inventions, nous prêtant des intentions sans rapport avec ce projet.

Au nom des députés qui représentent la majorité du pays, Monsieur le Garde des Sceaux, je vous demande de ne pas céder aux injonctions de la gauche qui voudrait nous faire répondre de projets qui ne sont pas les vôtres.

Je vous demande aussi de solliciter vos collègues en charge de l'éducation pour que ce texte serve de support à une réflexion sur la justice, sur l'équilibre à trouver entre sanction et prévention et sur la capacité du pays à pardonner.

Ainsi, une fois ce texte voté malgré les envolées lyriques de ceux qui ne craignent pas de dire n'importe quoi, nous pourrons passer aux choses sérieuses (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Claude Viollet - Dans son message au Parlement, le 2 juillet dernier, le Président de la République en appelait au renforcement de l'autorité de l'Etat. Le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale du 3 juillet, évoquait la restauration de l'autorité républicaine.

Chacun reconnaît la nécessité de reconstruire un certain esprit public, en faisant vivre le pacte républicain autour de la triple exigence de responsabilité, de respect et d'exemplarité.

Responsabilité individuelle, fondement de la citoyenneté, et qui veut que toute infraction soit poursuivie, sanctionnée, et la récidive plus durement punie.

Respect de l'autre, de la règle commune, mais aussi de ceux qui ont pour difficile mission de la faire appliquer.

Exemplarité des comportements, du plus modeste au premier personnage de Etat, mais aussi exemplarité des sanctions.

Et c'est précisément parce que l'amnistie que vous nous proposez contribue à la dégradation de l'esprit public qu'elle doit être combattue. Parce qu'elle affranchit de la responsabilité individuelle, en effaçant arbitrairement un certain nombre d'infractions. Parce qu'elle exonère de la règle commune et qu'elle met à mal l'autorité de ceux qui sont chargés de la faire respecter. Parce qu'elle affaiblit la valeur même de l'exemplarité et la force réparatrice de la sanction.

Si l'amnistie a tout son sens, dans notre tradition républicaine, quand il s'agit de réconciliation nationale, comme ce fut le cas après les épisodes dramatiques de notre histoire que furent la Commune, ou encore la guerre d'Algérie et, plus récemment, les événements de Nouvelle-Calédonie, elle me semble totalement injustifiée lorsqu'il s'agit d'une amnistie de simple confort, d'une mauvaise habitude de plus dans nos m_urs républicaines. Au reste, le raccourcissement du mandat présidentiel, en la rendant plus fréquente, en aggravera les effets.

S'agissant des infractions aux règles de stationnement, chacun aura bien noté que l'amnistie se limite aux contraventions de première classe pour stationnement gratuit ou payant, et de deuxième classe pour la plupart des cas de stationnement gênant, mais non dangereux. Il n'en demeure pas moins que ce stationnement « non dangereux » peut avoir des incidences indirectes sur la sécurité.

Il en va ainsi d'un automobiliste stationnant sur un trottoir étroit, qui oblige les piétons à descendre sur la chaussée, au risque de provoquer un accident. De même, un automobiliste stationnant abusivement sur une place payante incite inévitablement d'autres automobilistes à stationner sur des emplacements interdits.

Le comportement d'un conducteur forme un tout, et la pédagogie en la matière doit aussi former un tout. On ne peut pas à la fois exiger d'un conducteur le strict respect du code de la route et tolérer le stationnement anarchique.

Le stationnement interdit perturbe gravement la vie urbaine et l'amnistie ne fera que compliquer la tâche des élus locaux qui pratiquent une politique courageuse de partage équitable de la voirie et de tarification rationnelle du stationnement. Elle démobilisera les policiers et gendarmes à qui on demande par ailleurs une plus grande sévérité. Elle découragera les citoyens qui respectent les lois et sera perçue comme une insulte par les victimes et leurs familles.

C'est pourquoi plusieurs associations de sécurité routière ou de victimes de la route, mais aussi l'Association des Maires de France, se sont opposés à cette amnistie, avec le soutien, selon les enquêtes d'opinion, d'une majorité de nos concitoyens, ce qui est rassurant.

Ne parlons pas du coût de cette amnistie pour l'Etat, au moment où le Gouvernement veut réduire la dépense publique, mais aussi pour les collectivités auxquelles il dit vouloir donner davantage d'autonomie. Un coût que nous vous demanderons de communiquer à notre Assemblée, pour chacune des mesures d'amnistie.

Nous savons tous que l'amnistie est une promesse de campagne, une de plus, faite par celui qui est aujourd'hui le président de notre République. Mais je suis de ceux qui pensent que lorsqu'il faut choisir entre les promesses et la cohérence, alors il convient de choisir la cohérence.

C'est pourquoi je voterai contre ce texte. Il appartient au Parlement de reconstruire l'esprit public. Tout renoncement serait coupable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jérôme Rivière - Je me réjouis que ce texte soit le plus restrictif de tous ceux qui ont été présentés au Parlement. Monsieur le Garde des Sceaux a fait un bref rappel historique. Je me permettrai d'ajouter qu'au plan étymologique, les mots « amnistie » et « amnésie » ont la même origine.

Le raccourcissement de sept à cinq ans du mandat présidentiel va retirer à la loi d'amnistie son caractère exceptionnel. Sans que le Parlement renonce à la possibilité de voter de telles lois, ne devrait-il pas leur refuser tout caractère systématique ?

Je me réjouis qu'aucune disposition ne concerne le financement des partis politiques, c'est-à-dire les élus. Mais d'autres catégories devraient être exclues du champ de l'amnistie : je pense aux sportifs de haut niveau, aux acteurs, aux grands noms de notre pays.

Si on comprend le pardon accordé aux anciens combattants, on ne peut pardonner systématiquement leurs excès aux personnalités qui inspirent la jeunesse et façonnent l'image de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Joël Beaugendre - Dans ce projet de loi d'amnistie figurent, à l'article 22, des dispositions tendant à proroger les autorisations et conventions relatives aux services réguliers de transport public routier de personnes dans les départements français d'Amérique, du fait de l'article 16 de la loi d'orientation du 13 décembre 2000 et de la caducité, le 30 juin dernier, de l'ordonnance du 7 mars 2002.

Cette ordonnance imposait un modèle d'organisation unique, fondé sur la création d'agences administratives financées par les fonds des collectivités locales. Le dispositif avait été vivement critiqué par les professionnels et par les collectivités locales. Il avait, dès le 6 mars, suscité la réaction du Président de la République, qui avait désapprouvé la méthode employée.

Dès sa prise de fonctions, Mme Girardin a pu constater qu'aucun des professionnels n'était satisfait du dispositif. Sur les six collectivités locales concernées, quatre se sont opposées fermement à l'ordonnance en contestant le principe même de cette organisation centralisée qui porte atteinte à leur libre administration.

Le conseil général de la Guadeloupe s'est prononcé le 6 juin 2002 en faveur d'une prolongation de ces conventions de trois ans, à compter du 13 juin 2002.

Mais la collectivité départementale n'a pas vocation à légiférer. Il était donc indispensable de remettre à plat ce dossier, et de revoir, dans la concertation et la transparence, l'ensemble du dispositif. Je ne comprends pas que certains élus locaux portent l'offensive contre cet article - par pure démagogie et dans un esprit attentatoire à la sécurité nécessaire au dialogue social. Pour éviter tout vide juridique, l'article 22 du projet de loi portant amnistie nous est soumis afin de prolonger de quatre ans la validité des conventions existantes entre les autorités organisatrices et les professionnels de transport public de personnes.

Ce délai permettra aux parties concernées d'organiser le type de transport routier de personnes qu'elles entendent mettre en place pour répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens.

Voilà les informations qu'il m'a semblé important de porter à la connaissance de cette Assemblée, justifiant le bien-fondé de cet article, de pure sécurité juridique - étant entendu que les collectivités organisatrices de ces départements devront engager, dans le respect des desiderata des professionnels, un dialogue réel, porteur d'avenir pour l'organisation de ce service public et des usagers (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

M. le Garde des Sceaux - Je tiens à répondre à chacun des intervenants, fût-ce brièvement.

Monsieur Leonetti, vous avez raison de dire que la lutte contre l'insécurité est une priorité du Gouvernement. Nous aurons l'occasion d'en débattre, et sur le texte que présentera Nicolas Sarkozy, et sur celui que je vous proposerai, relativement aux moyens de la justice - du point de vue des emplois, de la simplification des procédures, de l'amélioration des textes en matière pénale.

Votre combat contre l'insécurité routière est connu. Comme vous, je pense que l'amnistie est un moment de réconciliation, ne l'oublions pas, même si nous n'avons pas connu de déchirements exceptionnels.

Oui, nous tenons nos engagements : l'UMP et le Gouvernement tiendront tous ceux qu'ils ont pris. Cette loi est très restrictive par rapport aux lois de 1981 et 1988 ; elle se situe dans la suite logique de celle de 1995 - avec des restrictions supplémentaires, sur l'article 13, conformément à ce que souhaitait Jacques Chirac.

Monsieur Floch, pourquoi reniez-vous les engagements de celui que vous souteniez ? J'ai ici même les déclarations de Lionel Jospin, à quelques jours des élections présidentielles. Il aurait été plus convenable de dire à l'avance à vos électeurs ce que vous feriez après les élections. Ils retiendront que vous n'avez pas tenu les engagements de votre champion. Vous auriez dû regarder le texte tel qu'il est, et non l'interpréter comme vous l'avez fait.

M. Lagarde a prétendu que nous allions vider les prisons. L'argument est inexact et un peu démagogique. Si le texte est adopté - avec des amendements je suppose, moins d'un millier de personnes sont susceptibles d'être concernées par rapport aux 56 000 détenus.

A propos du code de la route, je crois que nous avons tenu compte de l'impératif de sécurité. On peut toujours aller plus loin, mais il serait paradoxal d'amnistier un certain nombre de délits et d'exclure de toute amnistie les personnes qui, exceptionnellement, se sont vu infliger un procès-verbal. J'étais maire, jusqu'à il y a peu, et je n'ai pas vu ma ville à feu et à sang pendant les mois qui ont précédé l'élection présidentielle. Nous avons à peu près normalement géré les problèmes de stationnement et de circulation.

Enfin, Monsieur Lagarde, les récidivistes sont exclus de l'amnistie. Vous avez évoqué la cité Gagarine : il m'a semblé qu'il s'agissait là de destructions aggravées : il n'y aura donc pas d'amnistie. Prenez garde aux choix de vos exemples...

Monsieur Brunhes a évoqué la population carcérale : je voudrais, à l'entendre, l'augmenter...

La situation est l'aboutissement de décisions de magistrats du siège, indépendants ; cette population augmente de 1 000 personnes par mois depuis le mois de janvier 2002 : je n'y suis pour rien. Aujourd'hui on compte entre 53 et 54 000 personnes dans les prisons alors que théoriquement, 47 000 places y sont disponibles. L'excédent de population carcérale n'est pas dû à une politique dont, par avance, vous faites le procès.

Avec Pierre Bédier, nous souhaitons augmenter le nombre de places pour corriger une situation inacceptable - celle que le gouvernement que vous souteniez nous a laissée ... C'est là sans doute un aspect du bilan dont nous a parlé M. Roman.

Il est nécessaire, à l'occasion de pareille loi, de revenir sur des infractions commises lors de conflits sociaux. L'amnistie peut en être le moyen.

Nous ne sommes pas responsables du blocage de l'APL, mais le gouvernement que vous souteniez, en décembre 2001. Il n'est pas inutile de le rappeler.

Mes intentions, M. Brunhes, laissez-moi les maîtriser ! Elles sont claires, et ne vous inquiétez pas trop de ce que vous croyez caché derrière des propos que je n'ai pas tenus.

M. Xavier de Roux, vous avez eu raison de rappeler les excès de la loi de 1981 ; comme vous, je ne crois pas que le législateur ait intérêt à renoncer à la possibilité d'amnistier. Toute institution, fut-ce l'institution judiciaire, a besoin de correctifs. L'article 34 de la Constitution confère au Parlement cette compétence, ne le faisons pas renoncer à l'exercer.

Je remercie M. Roman de son intervention, mais je constate qu'il n'a pas parlé du texte une seule fois. Certes, la parole est libre...

Nous aurons l'occasion d'évoquer le bilan du Gouvernement en matière de sécurité et de justice ; il me semble que ce n'est pas tout à fait le sujet aujourd'hui. Je l'ai dit à M. Brunhes : j'ai trouvé les prisons pleines ; c'est ainsi que Mme Lebranchu me les a laissées. Ne voyez là la conséquence d'aucun fantasme sécuritaire !

Ce que je vous demande, c'est de me juger sur mes actes, non sur les intentions que vous me prêtez (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Vuilque, pourquoi empêcher une action annoncée avant les élections ? M. Jospin avait lui aussi annoncé une loi d'amnistie. Je ne peux vous laisser insinuer que ce projet de loi accorde ou refuse l'amnistie selon qu'il s'agit de telles ou telles organisations professionnelles. Rien de tel ne se trouve dans le texte. C'est la définition juridique des actes commis qui détermine s'il y a amnistie ou non. Evitons de susciter, par des affirmations inexactes, agressivité et ressentiment entre les organisations sociales et professionnelles.

J'examinerai les amendements de M. Mariani avec beaucoup d'attention. Je partage pleinement son souci d'éviter que l'amnistie ne nuise à la lutte contre l'insécurité. La rédaction de l'article 13 devrait à cet égard le satisfaire.

Madame Billard, je ne sais que répondre à vos propos, tant ils sont excessifs. Vous nous accusez de poursuivre un but essentiellement électoral. Mais les élections sont passées ! Et nous tenons à présent nos engagements. Par ailleurs, tout en vous élevant contre l'amnistie, vous réclamez son extension à d'autres bénéficiaires : allez comprendre ! Les agriculteurs sont concernés par l'amnistie comme les autres catégories socioprofessionnelles.

M. Geoffroy a insisté sur la nécessité de travailler avec l'éducation nationale. Je suis intimement convaincu qu'il faut renforcer les liens entre la justice et l'éducation nationale, et m'en suis déjà entretenu avec Luc Ferry.

S'agissant de promesses, Monsieur Viollet, c'est vous qui n'avez pas tenu celles de M. Jospin.

Je remercie M. Rivière pour sa contribution et répondrai à ses interrogations lors de la discussion des articles.

Le texte vise effectivement, Monsieur Beaugendre, à résoudre une difficulté de fonctionnement de certains services publics aux Antilles et en Guyane.

Je voudrais pour conclure remercier les orateurs qui ont salué notre souci d'équilibre. Nous avons voulu répondre à une attente. Il appartiendra à l'avenir aux responsables politiques de s'exprimer à l'avance sur ce sujet.

M. René Dosière - On l'a déjà fait !

M. le Garde des Sceaux - Nous verrons bien ce que dira l'éventuel candidat socialiste en temps utile. Il fallait vous prononcer il y a quelques mois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

En conclusion, notre texte me paraît équilibré : il tient compte de la double nécessité de renforcer la lutte contre l'insécurité et de ne pas décevoir nos concitoyens. Cette mesure de clémence reste raisonnable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) .

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 35.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

A N N E X E
ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au dimanche 4 août inclus a été ainsi fixé en Conférence des présidents :

CET APRÈS-MIDI, à 15 heures et à 21 heures :

_ Projet portant amnistie.

MERCREDI 10 JUILLET, à 16 heures 30 et, éventuellement, à 21 heures :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

MARDI 16 JUILLET, à 15 heures et à 21 heures :

_ Sous réserve de son adoption en Conseil des ministres, projet de loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure.

MERCREDI 17 JUILLET, à 15 heures et, éventuellement, à 21 heures :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

JEUDI 18 JUILLET, à 9 heures 30, à 15 heures et à 21 heures :

_ Sous réserve de son adoption en Conseil des ministres, projet de loi de finances rectificative pour 2002.

Éventuellement, VENDREDI 19 JUILLET, à 9 heures et à 15 heures :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

MERCREDI 24 JUILLET, à 15 heures :

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ;

_ Sous réserve de son adoption par le Sénat, projet autorisant la ratification de l'accord aux fins de l'application des dispositions de la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs (ensemble deux annexes) ;

_ Sous réserve de son adoption par le Sénat, projet autorisant l'approbation de l'avenant à l'accord entre l'Agence de coopération culturelle et technique et le Gouvernement de la République française relatif au siège de l'Agence et à ses privilèges et immunités sur le territoire français ;

_ Sous réserve de son adoption par le Sénat, projet autorisant l'approbation de l'accord de siège entre le Gouvernement de la République française et la Commission internationale de l'état civil ;

_ Sous réserve de son adoption par le Sénat, projet autorisant l'approbation de l'accord du 20 août 1971 relatif à l'Organisation internationale de télécommunications par satellites « INTELSAT » tel qu'il résulte des amendements adoptés à Washington le 17 novembre 2000 ;

_ Sous réserve de son adoption par le Sénat, projet autorisant l'approbation de l'accord de siège entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation européenne de télécommunications par satellite EUTELSAT ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Paraguay ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Paraguay ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Paraguay ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède à la convention relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention du 19 décembre 1980 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Norvège en vue d'éviter les doubles impositions, de prévenir l'évasion fiscale et d'établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole et un protocole additionnel), modifiée par les avenants du 14 novembre 1984 et du 7 avril 1995 ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire en vue d'éviter les doubles impositions, de prévenir l'évasion et la fraude fiscales et d'établir des règles d'assistance réciproque en matière d'impôts sur le revenu, sur la fortune et sur les successions (ensemble un protocole) ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'avenant à la Convention fiscale du 21 octobre 1976 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Cameroun ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Guinée en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance réciproque en matière d'impôts sur le revenu, la fortune, les successions et les donations ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation du protocole modifiant la convention du 23 juillet 1990 relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées ;

MARDI 30 JUILLET, à 15 heures :

_ Sous réserve de son adoption en Conseil des ministres et de sa transmission par le Sénat, projet portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise.

MERCREDI 31 JUILLET, à 15 heures :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

JEUDI 1er AOÛT, à 9 heures :

_ Sous réserve de son adoption en Conseil des ministres et de sa transmission par le Sénat, projet de loi d'orientation et de programmation sur la justice ;

à 15 heures :

_ Éventuellement, texte de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances rectificative pour 2002 ;

_ Suite du projet de loi d'orientation et de programmation sur la justice ;

à 21 heures :

_ Éventuellement, texte de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise ;

_ Suite du projet de loi d'orientation et de programmation sur la justice.

VENDREDI 2 AOÛT, à 9 heures, à 15 heures et, éventuellement, à 21 heures :

_ Suite du projet de loi d'orientation et de programmation sur la justice.

Éventuellement, SAMEDI 3 AOÛT

et DIMANCHE 4 AOÛT

_ Navettes diverses.


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