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Session extraordinaire de 2001-2002 - 11ème jour de séance, 18ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 1ER AOÛT 2002

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES

vice-président

Sommaire

La séance est ouverte à neuf heures quinze.

JUSTICE

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, d'orientation et de programmation pour la justice.

M. Christian Estrosi - La réforme de la justice est une grande ambition, et le Président de la République et le Premier ministre en ont fait leur priorité.

Ce texte s'inscrit dans le prolongement de la loi sur les orientations et les programmations pour la sécurité intérieure, pour les cinq prochaines années. C'est un sentiment fort, et rare, que de se dire qu'en quelques semaines, deux actes fondateurs ont été posés, qui respectent les engagements pris devant le peuple.

J'ai beaucoup entendu parler, hier, de la défense des magistrats, de la PJJ, des acteurs de la justice, de corporatismes divers, mais j'ai très peu entendu parler des Françaises et des Français.

M. Jacques Myard - Ils ne comptent pas !

M. Christian Estrosi - Nous avons trop longtemps assisté à l'affaiblissement de l'autorité de l'Etat, par une dépénalisation de fait, par une complexification excessive des règles de procédure, par des remises en liberté inadmissibles.

M. Lionnel Luca - C'est vrai !

M. Christian Estrosi - Certains l'ont mis, il est vrai, sur le compte de leur propre naïveté... Mais comment accepter les conséquences d'actes qui étaient des décisions politiques ? Je pense aux circulaires d'un certain Garde des Sceaux, adressées à tous les parquets, pour leur demander de ne plus poursuivre les délits de trafic de drogues dites douces - alors qu'il n'y a pas, à mon sens, des drogues douces et des drogues dures, mais des drogues tout court ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)

On voit les résultats de cette politique pénale désordonnée : comment admettre que certaines juridictions classent sans suite 22 % des affaires, et d'autres 85 % ? Comment accepter que le taux d'élucidation soit devenu plus faible que jamais ? Il est temps de mettre un terme à cette politique de gribouille !

La justice, à cause de textes trop nombreux et sans vision, s'est éloignée des citoyens. La loi sur la présomption d'innocence en a été le révélateur, qui privilégie les droits des délinquants par rapport à ceux des victimes (« Très bien ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP), oubliant qu'elle devait en premier lieu protéger les plus démunis, premières victimes de cette injustice sociale qu'est l'insécurité. Aussi ne puis-je que me réjouir de voir améliorée l'aide juridictionnelle apportée aux victimes.

Les Français ont des droits sur leur justice : le droit à une justice de qualité, le droit à des délais raisonnables, et le droit, surtout, à l'exécution des décisions.

En dégageant des moyens considérables, en raccourcissant les délais de traitement des affaires, en combattant la culture de l'excuse et de l'impunité par une politique pénale ferme, en favorisant la mise à exécution des peines, en modifiant l'ordonnance de 1945, vous répondez aux attentes des Français. À l'idéal de justice, le gouvernement précédent avait répondu par une réalité d'injustice. Votre projet fait de la justice l'instrument de notre liberté retrouvée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Élisabeth Guigou - Hier André Vallini, Julien Dray, Jean-Jacques Queyranne ont défendu des positions que je partage. Je me contenterai donc de quelques remarques.

Il est indispensable d'agir plus efficacement à l'égard de la délinquance juvénile, qui est le fait de jeunes de plus en plus jeunes, pour des actes de plus en plus graves. Il n'y a donc pas de procès d'intention à faire sur l'objectif poursuivi : réduire la délinquance juvénile. Une seule question se pose : comment être efficace, comment mieux assurer l'insertion des jeunes dans la société ? Il ne peut, en effet, être question, en tout cas pour nous la gauche, de laisser penser que la société, vis-à-vis des jeunes, n'a comme objectif que de les retirer de la vie sociale, que de les « parquer » dans des centres (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Les jeunes ne sont pas de petits adultes à la personnalité constituée, mais des êtres en devenir, que la société doit accompagner si les parents sont défaillants.

C'est d'abord un problème de moyens, de moyens humains : il a manqué aux jeunes délinquants une relation avec des adultes qui leur apprennent, dans un équilibre nécessaire entre affliction et fermeté, les règles de la vie en société. Or, les éducateurs de la PJJ, à qui il revient de prendre le relais, sont encore trop peu nombreux, malgré l'augmentation sans précédent du nombre de postes, au cours des cinq dernières années. Vous prévoyez certes une augmentation de 250 par an, mais c'est 100 de moins qu'avant...

Se pose aussi le problème des lieux de prise en charge de ces jeunes, qui doivent être suffisamment diversifiés pour répondre à la multiplicité des situations. Des internats pour les adolescents difficiles qui n'ont pas commis d'actes délictueux, mais que leurs familles ont du mal à encadrer ; or votre projet ne les mentionne pas (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Des classes relais, que le gouvernement Jospin avait considérablement développées ; j'espère que vous ferez de même pour les primo-délinquants sur de petits délits. Des travaux d'intérêt général, des peines de réparation, encore insuffisamment développées. Pour les délits plus graves, les CPI doivent permettre d'évaluer de façon précise, en deux ou trois mois, la situation personnelle et sociale du jeune avant son orientation par le juge des enfants.

Pour les délinquants endurcis, il y a les centres éducatifs renforcés. Il faut continuer à les développer puisque, malgré les efforts du précédent gouvernement, nous n'en avons pas assez, surtout dans les départements urbains très peuplés, comme la Seine-Saint-Denis (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Mais faut-il créer des centres d'un nouveau type ? Oui, s'ils remplissent une fonction spécifique, différente de celle des CER comme des nouveaux établissements pénitentiaires réservés aux jeunes. J'avoue, pour ma part, avoir quelque peine à cerner la différence entre les centres dits « fermés » et les CER.

L'efficacité dans la lutte contre la délinquance des jeunes passe, on le sait, par une sanction rapide, systématique, du premier acte de délinquance, c'est-à-dire par la justice de proximité. Tout le monde est pour la justice de proximité. Encore faut-il qu'elle fonctionne bien. Les maisons de la justice et du droit, les délégués du procureur jouent un rôle très utile puisque 80 % des primo-délinquants qui y ont affaire ne récidivent pas. Pourquoi votre projet les oublie-t-il ? Pourquoi avoir préféré créer une nouvelle catégorie de juges, baptisés juges de proximité, comme si les juges d'instance, les juges des enfants, les délégués du procureur n'exerçaient pas eu aussi, une justice de proximité ? Pourquoi ne pas avoir renforcé, développé, ce qui existe déjà et a fait ses preuves ? Comment assurerez-vous une articulation cohérente entre vos juges de proximité et les juges d'instance ou les juges des enfants, voire le président du tribunal ? Comment garantirez-vous que le même délit soit traité par les mêmes juges, de la Seine-Saint-Denis à la Creuse ? Je crains que la création de ce juge de proximité n'introduise davantage de confusion que de lisibilité pour le citoyen. En tout cas, elle n'est pas un gage de simplification.

En matière de délinquance des mineurs, il est indispensable de développer en amont de la chaîne police-justice, la prévention - notamment en luttant contre la misère sociale - et, en aval, les actions de réinsertion. Or, votre projet ne mentionne que deux fois la prévention et pas du tout la réinsertion.

Quels moyens le Gouvernement donnera-t-il à ceux qui _uvrent à l'insertion sociale en aidant les familles à élever des adolescents perturbés ? Aux personnels d'insertion et de probation ? Il ne suffit pas d'enfermer les délinquants, il faut aussi se préoccuper de leur réinsertion si l'on veut éviter la récidive. Pas un mot là-dessus dans votre projet ! N'allons-nous pas entretenir l'illusion que l'on peut, par la prison, se débarrasser définitivement des délinquants ?

Je crains que votre projet ne privilégie l'effet d'annonce au détriment d'une action concrète et globale sur la réalité des situations. Ce n'est donc pas votre objectif que je critique, mais les moyens que vous choisissez, et qui procède d'une vision étroite laissant de côté la prévention et la réinsertion.

Plus grave, votre projet dénature totalement la loi sur la présomption d'innocence, que je suis fière d'avoir défendue devant le Parlement comme les autres « lois Guigou » sur la lutte contre la délinquance sexuelle, le Pacs ou la parité (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Mme Christine Boutin - Vanité des vanités !

Mme Élisabeth Guigou - La loi du 15 juin 2000 a introduit les droits des victimes dans le code de procédure pénale. Son titre II leur est entièrement consacré : il leur permet d'être mieux entendues, défendues, indemnisées ; il consacre aussi le rôle des associations d'aide aux victimes. Aux 22 articles que la loi du 15 juin 2000 consacrait aux victimes, vous en ajoutez quatre. Vous proposez notamment la suppression de la condition de ressources pour l'aide juridictionnelle dans les cas graves, ainsi que l'obligation pour le policier qui reçoit la plainte de notifier à la victime la possibilité d'avoir recours à un avocat. Fort bien, mais ce droit existe déjà, alors que certains propos tenus hier pouvaient laisser croire qu'il était réservé aux délinquants... De grâce, un peu de modestie !

S'agissant de la détention provisoire, à propos de laquelle M. Devedjian parla naguère de « lettre de cachet », la loi du 15 juin 2000 en limite la durée et la réserve à des cas très précis, ceux notamment où il y a danger pour la société, ou risque de voir disparaître des preuves. Avant cette loi, notre pays avait été condamné pour non-respect de la convention européenne des droits de l'homme, et la justice française avait été contrainte, suite à cette condamnation, de relâcher le meurtrier d'un policier !

M. le Président - Veuillez conclure.

Mme Élisabeth Guigou - C'est bien parce que la présomption d'innocence est un principe cardinal de notre droit qu'on a limité les cas où elle pouvait intervenir ainsi que sa durée. Je veux ici rappeler ce que fut le consensus national sur cet important sujet. M. Chirac lui-même est intervenu de façon répétée en faveur d'une nouvelle loi sur la présomption d'innocence, le 9 janvier 1998, le 14 juillet 1998, le 1er octobre 1999 - lorsqu'il a déclaré attacher « une particulière importance à l'adoption du projet de loi en cours de discussion ».

M. le Président - Veuillez conclure, vous avez déjà dépassé votre temps de parole.

Mme Élisabeth Guigou - M. Estrosi a aussi dépassé le sien (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - C'est inexact. Il s'en est tenu à ses cinq minutes.

Mme Élisabeth Guigou - Le 19 mai 2001, M. Chirac affirmait encore que « la présomption d'innocence, pourtant solennellement affirmée par l'article 9 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, est restée pendant des années la grande oubliée de notre système judiciaire », et souhaitait une loi plus respectueuse des droits du justiciable.

Personne n'a oublié non plus les accents valeureux de M. Devedjian réclamant « une réforme plus radicale », de M. Houillon ou de M. Floch appelant l'opposition d'alors à plus de réalisme.

Or que fait votre projet ? Il opère un renversement complet (Protestations sur les bancs du groupe UMP). D'abord en obligeant le juge des libertés à motiver la décision de mise en liberté, faisant de la liberté l'exception et de la détention la règle,...

M. le Président - Je vous invite fermement à conclure votre propos.

Mme Élisabeth Guigou - ...ensuite en soumettant le juge des libertés, magistrat indépendant, au contrôle du procureur. Une décision d'un magistrat du siège peut donc être paralysée par l'appel d'un procureur, magistrat soumis au pouvoir hiérarchique, et même, depuis que vous êtes Garde des Sceaux, à une instruction du ministre. Cela pose un problème de constitutionnalité.

Un tel renversement méritait bien un vrai débat parlementaire. Pourquoi présenter ce texte en urgence, au creux de l'été, alors que ses principales dispositions ne s'appliqueront pas avant plusieurs mois, voire plusieurs années ? Je ne peux que déplorer une telle désinvolture sur des sujets graves qui mettent en jeu l'intérêt de notre démocratie. Si le Gouvernement se contente, comme c'est hélas le cas, d'effets d'affichage, je crains que la désillusion ne produise une fois de plus encore plus d'abstention et d'extrémisme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.).

M. le Président - Mes chers collègues, je vous rappelle que, sauf pour les ministres, le temps de parole est limité et que ceux qui ne sont pas encore ministres ou qui ne le sont plus doivent s'y tenir (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

M. Victorin Lurel - En une matière aussi importante, on pouvait s'attendre à un texte bref et percutant, traçant des perspectives stratégiques et programmant des moyens suffisants. Or il ne compte pas moins de 44 articles qui traitent, pêle-mêle, de la création d'un nouvel ordre judiciaire, de la réforme de la procédure pénale, de la justice des mineurs, de la modernisation des établissements pénitentiaires, de la réforme du contentieux administratif, de l'aide aux victimes. Bref, c'est une « loi mosaïque » dont on a bien du mal à saisir la cohérence. Nous pouvons comprendre la nécessité qui vous contraint mais nous n'approuvons ni la méthode, ni la philosophie qui ont présidé à son élaboration.

La méthode mêle violence symbolique et sèche brutalité. Elle utilise sans ménagement les ressources du Règlement et piétine les droits du Parlement avec, hélas, l'assentiment enthousiaste de la majorité. Nous avons du mal à admettre une telle précipitation sur des sujets aussi importants, qui mériteraient des analyses autrement plus approfondies, qu'en cette période de torpeur estivale. Je n'ignore pas que mes propres amis ont eux-mêmes utilisé en leur temps la procédure de l'urgence. Mais est-ce une raison pour les imiter, alors que vous disposez et de la durée et de tous les pouvoirs ?

Sait-on vraiment ce que sera cet objet pénitentiaire mal identifié qu'est le centre éducatif fermé ? A-t-on vraiment pesé les conséquences de la création du juge dit de proximité, les risques de conflits de compétences et de moyens avec les juges et les tribunaux d'instance ? A-t-on vraiment mesuré la difficulté de recruter 3300 de ces juges de proximité ? Comment peut-on traiter, avec autant de bonne conscience, la délinquance juvénile sous l'angle exclusif de la répression et du soupçon, postuler, sans l'avouer, l'irréversibilité sociale des tares et des déviances, croire que seuls l'enfermement et l'emprisonnement peuvent y remédier ?

La philosophie de ce texte mal préparé nous blesse. Ce ne sont pas là plaintes et jérémiades de belles âmes, mais simplement l'honnête souci de croire en l'homme et en ses possibilités, pour peu qu'on lui en donne les moyens et la chance, de se racheter une conduite.

Au-delà de vos dénégations, votre texte s'inspire d'un fort tropisme pénal et d'une idéologie sécuritaire. Ce n'est pas enfermant des enfants que nous en ferons des hommes au service de leur communauté. Il est bien loin le temps où M. Devedjian reprenait dans son ouvrage Le temps des juges la belle phrase de Victor Hugo : « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons » !

Il manque à ce projet une vraie charpente, combinant prévention, éducation et répression. Il eût été plus équilibré si une concertation réelle ou approfondie avait été engagée avec le monde judiciaire et les associations.

L'article 3 illustre votre précipitation en instituant un régime particulier dans le but de construire et de restaurer plus rapidement les prisons nécessaires à une « démographie carcérale » galopante. Nous n'ignorons pas la situation explosive de nos prisons où existe ce que les éthologues appellent « l'ordre par le bec », où il se livre des batailles féroces entre détenus pour se conquérir un espace vital, avec pour effet de transformer, l'été notamment, nos établissements en coupe-gorges et en poudrières.

Oui, il faut construire et vite, mais comment ?

Faut-il vraiment violer les règles de transparence, de publicité et de mise en concurrence, du code des marchés publics ? Vous proposez en effet de déroger à la loi du 12 juillet 1985, relative à la maîtrise d'ouvrage public, pour confier à une même personne morale, de droit public ou privé, la conception, la construction, l'entretien et la maintenance d'un bâtiment public.

La semaine dernière, M. Sarkozy a déjà fait adopter un dispositif semblable pour les commissariats de police et les casernes de gendarmerie. Interrogé à ce sujet par M. Blazy, le ministre de l'intérieur l'a quelque peu violemment renvoyé au bilan de la précédente législature, comme si nous avions de quoi en rougir. Au contraire, nous en sommes fiers. Et souffrez tout de même que nous attirions votre attention sur les conséquences de cette privatisation de certaines missions régaliennes - privatisation qui n'ose pas dire son nom et que l'on appelle pudiquement « externalisation » de prestations telles que la gestion immobilière, la restauration, la blanchisserie... Seules les fonctions de direction, de greffe et de surveillance ne seraient pas déléguées !

La concurrence sera faible, car peu d'entreprises sont capables de soumissionner à ces marchés complexes. Seuls quatre grands groupes ont pu participer au précédent programme.

M. le Président - Il est temps de conclure.

M. Victorin Lurel - Par ailleurs, il faut savoir qu'à terme, cela coûtera plus cher qu'une gestion sous tutelle de l'administration pénitentiaire. Et je crains que la passation de ces marchés ou conventions ne se fasse en dehors de la loi sur la transparence des procédures publiques, dite loi Sapin...

Mme Maryse Joissains Masini - Ça suffit !

M. Victorin Lurel - Enfin, vous admettrez avec nous que l'utilisation combinée du crédit-bail...

Plusieurs députés UMP - C'est trop long !

M. Victorin Lurel - ...et des baux à construire avec option d'achat permet à l'Etat de transférer à d'autres la qualité de maître d'ouvrage (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Le procédé autorise l'étalement du coût des chantiers sur plusieurs exercices, ce qui s'apparente à des débudgétisations. Je m'interroge donc...

M. le Président - Il ne faut plus vous interroger mais conclure.

M. Victorin Lurel - ...sur le respect du principe de sincérité des lois de finances. Ce type de procédé me rappelle, mutatis mutandis, les fameuses « titrisations » de l'Italie de M. Berlusconi, qui ont été censurées par la Commission européenne (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Permettez-moi aussi de rappeler, sans cruauté, que c'est ce même dispositif...

M. le Président - Vos cinq minutes sont largement écoulées.

M. Victorin Lurel - ...qui a permis les dérapages que l'on sait dans la construction des lycées en Ile-de-France.

Je terminerai en insistant sur l'urgence qu'il y a à construire un commissariat de police à Saint-Martin et à reconstruire ceux des Abymes et de Pointe-à-Pitre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Nous assistons à des dépassements systématiques du temps de parole. Je vous demande de vous en tenir à celui qui vous est imparti. Croyez-moi, on dit autant de choses en cinq minutes qu'en dix : il suffit de s'en tenir à l'essentiel.

M. Axel Poniatowski - Le projet que vous soumettez à la représentation nationale, Monsieur le ministre, est bon, en cela que vous donnez à la justice les moyens humains et matériels nécessaires pour faire face à son engorgement, que vous donnez aux victimes des moyens nouveaux pour se défendre, et que les peines encourues par les justiciables sont clarifiées et surtout exécutables.

Je souscris pleinement au principe de la graduation des peines pour les délinquants mineurs récidivistes, après qu'auront été explorées toutes les solutions éducatives. J'apprécie aussi la création d'une nouvelle juridiction de proximité, avec l'embauche de quelques 3 300 juges parmi les auxiliaires de justice. Enfin, des centres pénitentiaires modernisés et humanisés sont une nécessité, les conditions inhumaines de vie qui règnent dans certaines prisons conduisant n'importe quel juge normalement constitué à ne pas rendre exécutoires toutes les peines d'emprisonnement.

Votre projet est donc bon, mais on pourrait l'enrichir encore d'un volet relatif aux droits et surtout aux devoirs de la population des gens du voyage, population qui, si elle a existé de tout temps, n'en pose pas moins des problèmes de sécurité et de salubrité qu'il est inutile de nier, et qui exaspèrent nos compatriotes. D'ailleurs beaucoup de gens du voyage eux-mêmes, conscients du risque d'amalgame, apprécieraient une telle clarification.

En région parisienne et dans beaucoup de métropoles régionales, la situation est devenue insupportable. À Cergy-Pontoise et dans les communes environnantes, la présence illégale des nomades est maintenant permanente et risque d'aller croissant. La situation est explosive. Des aménagements doivent donc être apportés à la loi du 5 juillet 2000.

Il conviendrait d'abord de préciser que les aires d'accueil sont destinées aux nomades français, aux ressortissants de l'Union européenne ou aux bénéficiaires de la clause d'assimilation - à condition qu'ils soient munis du livret spécial de circulation. D'autre part, la responsabilité de la création d'aires d'accueil doit être transférée aux départements qui, après accord des conseils municipaux et signature d'une charte avec les communes concernées, en prendraient la charge administrative et financière. Enfin, il conviendrait que chaque emplacement créé dans les aires d'accueil entre dans le quota des logements sociaux imposé aux communes, dans une proportion maximum d'un emplacement pour trois logements sociaux.

Ces trois dispositions seraient de nature à améliorer à la fois le légitime contrôle de ces populations et leur accueil.

Seule une politique inspirée de l'humanisme cher à notre Premier ministre et du pragmatisme cher à notre majorité peut nous permettre - dirai-je, en paraphrasant Bernanos - de surmonter cette désespérance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Christiane Taubira - Grâce à quelques excellents rapports émanant de professionnels du droit et de la justice, nous savons beaucoup de choses sur le fonctionnement de l'institution judiciaire. Nous en savons l'inégalité d'accès, qu'elle soit financière ou géographique, l'opacité de langage et de procédures ; nous entendons les reproches sur son efficacité et sur ses délais ; nous savons les interrogations sur la compétence, l'indépendance, la responsabilité des magistrats, interrogations qui témoignent d'ailleurs plus de la défiance des citoyens envers leurs magistrats que de véritables insuffisances de ces derniers.

Vous nous proposez donc une réforme, Monsieur le ministre. Une réforme si urgente qu'elle ne pouvait attendre la rentrée, c'est-à-dire un mois et demi...

La mesure relative à l'assistance aux victimes ne doit pas dissimuler les difficultés financières qu'elles continueront de rencontrer pour les frais d'expertise, les honoraires d'avocats, le dépôt de cautions.

S'agissant des délais, le texte se montre surtout soucieux des tribunaux d'instance alors que l'attente y est moitié moindre que devant les tribunaux de grande instance et les juridictions administratives. Le silence sur la carte judiciaire prouve que le souci d'égalité de l'accès à la justice sur tout le territoire - en France et outre-mer - n'est pas à l'ordre du jour...

Parmi les innovations, la constitution d'un corps de juges de proximité - dont le Conseil d'Etat a rappelé qu'elle nécessitait une loi organique - suscite déjà quelques inquiétudes. L'attention portée aux justiciables sera-t-elle proportionnelle à l'importance financière de leur préjudice ? La proximité est à la mode, tant mieux, mais on risque de perdre en sérénité ce que l'on aura l'illusion de gagner en rapidité.

Le juge de proximité sera un juge de police pour les contraventions et un juge d'instance pour les litiges inférieurs à 1 500 €. Je passe sur le risque de conflit de compétences... Vous dites que le juge de proximité ne mordra pas sur celles du juge des enfants, mais il est permis d'en douter puisqu'il aura autorité pour prononcer des sanctions éducatives et pour traiter de contraventions jusqu'à la quatrième classe. Un mineur pourra donc tout à fait être jugé par un juge de proximité.

Hier, le président de la commission nous expliquait que l'ordonnance de 1945 était non pas modifiée, mais simplement « complétée », et le rapporteur faisait valoir qu'avoir dix-sept ans en 2002 était très différent d'avoir dix-sept  ans en 1945...

Rappelons que l'ordonnance de 1945 a déjà été souvent modifiée : en 1951, par la création d'une cour d'assises pour les mineurs de seize ans et plus ; en 1975, par la création de la protection judiciaire ; en 1993, avec la réparation à l'égard des victimes ou en faveur de la collectivité... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Les lois de 1995 et 1996 ont, en outre, accéléré la comparution du mineur devant le juge des enfants, ce qui nous conduit à penser que le présent texte confond peut-être réponse rapide - qui est déjà possible, et souhaitable - et jugement immédiat - qui est rarement une bonne chose.

Le problème est plutôt, en fait, celui de l'exécution des décisions de justice. Il y a aujourd'hui, en moyenne, huit mois d'attente pour rencontrer un éducateur, qu'il y a actuellement un éducateur pour cent policiers, et que ce rapport va encore se dégrader avec la loi sur la sécurité intérieure (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). J'ajoute qu'il n'y a, à Paris, que dix places d'hébergement pénal pour les mineurs...

M. Lionnel Luca - C'est votre bilan !

Mme Christiane Taubira - L'esprit de l'ordonnance de 1945 était de faire confiance à la jeunesse : les résistants s'étaient en effet bien rendu compte de l'effet criminogène des maisons de correction et des prisons. C'est pourquoi son article 2 parle de protection, d'assistance et d'éducation.

M. le Président - Il faut conclure.

Mme Christiane Taubira - Quant aux centres fermés - qui seront, paraît-il, ouverts, ce qui ne change rien, ni à la symbolique de l'enfermement, ni aux limites infligées aux programmes éducatifs -, ils coûtent cher et il faudra le dire aux contribuables : 1 000 euros par mineur et par jour. Voyez la Belgique et l'Espagne ! Tous ceux qui s'intéressent à la législation française seront étonnés de voir la France revenir à l'époque de Jean Valjean (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) où les actes comptaient seuls, indépendamment de la personne. On abandonne l'humanisme français pour se rapprocher des conceptions de M. Giuliani, ex-maire de New York...

Songez à ces surveillants de prison qui vous disaient : les prisons françaises peuvent exploser ; évitez le drame en rendant l'espoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.)

M. Gérard Léonard - Ce projet est à la fois ambitieux et courageux.

Ambitieux par les moyens financiers qu'il engage, qui sont d'une ampleur sans précédent, à la hauteur du défi auquel notre pays est confronté. Avec ce gouvernement, sous l'impulsion du Président de la République, la justice est enfin devenue une grande priorité nationale, en réponse à une forte aspiration du peuple français.

Ambitieux aussi par les réformes qu'il apporte, et dont l'objectif commun est de rendre la justice plus proche des Français, plus efficace et plus rapide dans sa mise en _uvre, ce qui ne veut pas dire expéditive, comme tentent de le faire croire un certain nombre d'opposants. Toutes ces réformes respectent rigoureusement les grands principes qui régissent notre droit républicain et sont inspirées par l'humanisme.

Un volet de ce projet mérite d'être tout particulièrement salué, tant il répond à l'attente de nos concitoyens, qu'il importe d'autant plus de satisfaire que c'est la confiance même dans la capacité de nos institutions républicaines à remplir leur mission qui est en cause : la création d'une véritable justice de proximité. J'avoue ne pas comprendre, en dehors des réactions corporatistes et des postures partisanes, comment on peut y être hostile. En effet il s'agit, ni plus ni moins, de rendre la justice dans des affaires qui aujourd'hui ne sont pas traitées, laissant à nos concitoyens un sentiment d'abandon. Il s'agit aussi de sanctionner les multiples petits délits - qu'on appelle trop souvent incivilités - qui pourrissent la vie de nos compatriotes.

Qu'on ne nous prétende pas qu'il s'agira d'une justice au rabais : ce n'est pas sérieux, si l'on considère les garanties de compétence et d'exigence qui seront requises. Il faudra d'ailleurs certainement les assouplir si l'on veut atteindre l'objectif fixé en matière de recrutement.

Un autre grand mérite de ce texte est l'attention nouvelle portée aux victimes : il était grand temps de réparer cette scandaleuse anomalie de notre système judiciaire ; après évaluation, il faudra sans doute aller plus loin.

Ce projet est aussi courageux car il traite avec lucidité le problème de la délinquance des mineurs. Il faut voir la réalité en face, sans être troublé par des considérations idéologiques ou des réflexes partisans : les mineurs délinquants sont de plus en plus nombreux, de plus en plus violents, de plus en plus jeunes, de plus en plus réitérants ; et notre appareil judiciaire, pénitentiaire et éducatif n'a pas les moyens de faire face à cette dérive. Ce n'est pas à coups de pétitions de principe et de formules sentencieuses qu'on fera évoluer la situation, mais en agissant avec détermination.

M. le Président - Il faut songer à conclure.

M. Gérard Léonard - Bien injustes sont les reproches adressés au Gouvernement, en particulier celui de violer l'esprit de l'ordonnance de 1945, tant il est évident que la préoccupation éducative inspire l'ensemble du dispositif. Et qu'on cesse d'opposer la prévention à la répression : elles sont indissociables ! J'ajoute qu'il est impératif d'assurer un véritable suivi éducatif, social et médical des jeunes délinquants.

Monsieur le ministre, nous soutenons sans réserve votre politique, parce qu'elle répond aux aspirations des Français et contribue à la sauvegarde des valeurs de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jérôme Lambert - Quoi de plus essentiel que de se rassembler autour de l'idée de justice, qui doit être un des ciments de notre société démocratique ? Quelle tragédie, Monsieur le ministre, de vous voir bricoler les fondements de la justice, et donc de notre société, à l'occasion de ce débat expéditif !

Certes, notre justice a besoin de moyens, en sus de ceux engagés pendant la dernière législature. Mais pour quel usage ?

S'agissant de la jeunesse, beaucoup ici feignent de croire que nous sommes confrontés à des questions fondamentalement nouvelles : pourtant, un enfant, un adolescent, reste un adulte en devenir, dont la société doit préparer l'avenir ; il en était déjà ainsi en 1945... Les solutions d'enfermement, qui nous sont proposées satisfont tous ceux qui, dans l'hémicycle, ne cessent de nous expliquer que c'est pour cela qu'ils ont été élus ; mais gardons à l'esprit que nos prisons sont remplies à 80 % de personnes qui ont déjà été incarcérées. L'enfermement est-il vraiment profitable ? N'est-il pas trop souvent une période de quasi-formation pour des délits futurs ?

Les futures victimes préféreraient peut-être qu'on détourne les jeunes de la délinquance : mieux vaut prévenir que punir... Il ne faut pas être naïf, dites-vous, Monsieur le ministre. Mais n'est-ce pas justement être naïf que de croire que l'avenir d'une partie de la jeunesse se construirait nécessairement mieux derrière les barreaux ? Vous nous avez indiqué qu'actuellement 110 mineurs de 13 à 16 ans sont incarcérés. Combien en faudra-t-il de plus pour satisfaire, un temps, votre électorat ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Aux Etats-Unis, la politique du tout-répressif ne règle en rien les problèmes de violence et de délinquance.

Soyons plus lucides, continuons de consacrer les moyens nécessaires à l'éducation, à l'insertion, à la résorption des quartiers en difficulté, à la formation et à l'emploi, à la politique familiale. Arrêtons, surtout, de donner le sentiment à toute une jeunesse qu'elle nous apparaît dangereuse et suspecte, alors que le véritable danger pour la cohésion de notre société réside dans la politique libérale, qui conduit les jeunes à douter de l'avenir.

Encore un mot, Monsieur le ministre, sur vos interventions dans les affaires individuelles qui perturbent le cours normal de la justice. Pourquoi imposeriez-vous la poursuite de telle ou telle personne et resteriez-vous inactif vis-à-vis d'autres ? Est-ce cela que les Français attendent ?

La justice, je le disais, devrait nous rassembler. Quel dommage qu'elle devienne, entre vos mains, un instrument au service d'une politique partisane ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R. ; protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Pierre Cardo - Voilà plus de douze ans, je dénonçais l'incapacité de notre société à répondre au problème d'une délinquance de plus en plus massive, de plus en plus violente, touchant des personnes de plus en plus jeunes. Les rapports, colloques et analyses n'auront pas fait beaucoup avancer la question. Les agressions sur les plus faibles, puis sur la police, les enseignants, les travailleurs sociaux, les médecins, les pompiers, ont bien interpellé la France d'en haut ; mais trop longtemps, on n'a pas voulu remettre en cause un système pourtant en plein dysfonctionnement.

Il est vrai qu'une délinquance de plus en plus précoce peut difficilement être jugulée à l'aide de textes vieillis, par des acteurs de moins en moins présents, par des décideurs de plus en plus lointains. Je ne puis donc que me réjouir de voir le Gouvernement entendre enfin l'appel de la France d'en bas et d'un de ses élus !

Que de sarcasmes ai-je entendus en 1993, lorsque je proposais d'autoriser le juge à suspendre le versement des allocations familiales aux parents abandonnant leurs enfants de moins de 13 ans aux dangers de la rue ! Et que d'arguties en 1998 contre ma proposition de réforme de l'ordonnance de 1945, visant à ramener de 13 à 10 ans l'âge de la responsabilité pénale ! Tout cela figure aujourd'hui dans votre projet, qui adapte en outre les procédures de garde à vue, de détention provisoire et même d'incarcération, en tenant mieux compte des réalités.

Suivant sa pente, l'opposition mettra en avant les risques encourus à appliquer de telles solutions, mais elle oublie qu'il y a déjà danger à n'avoir rien fait qui vaille vraiment, ni pour les victimes, ni pour les auteurs de crimes ou délits. Au contraire, votre projet prévoit des moyens à la hauteur de vos ambitions, afin de mieux sanctionner, de mieux protéger les victimes et de mieux épauler éducateurs et magistrats.

Reste cependant, pour moi, une question : on ne peut prévenir efficacement la délinquance que si l'on se dote des moyens de sanctionner rapidement et de façon adaptée, mais si l'on veut éviter de recourir par trop à la répression, il faut remédier aux carences de la présence sociale et améliorer les procédures de détection précoce et de signalement non judiciaire. Or, ni la loi du ministre de l'intérieur, qui prévoit pourtant que le maire préside aux nouveaux contrats locaux de sécurité, ni votre projet ne permettent de responsabiliser clairement ce maire, s'agissant d'un rôle qu'il est seul à pouvoir tenir : organiser, coordonner et évaluer le travail des partenaires institutionnels et associatifs sur le territoire de sa commune. Mais je suis persuadé que vous comprendrez la nécessité de faire en sorte que cette action éducative soit la plus précoce possible, et qu'elle soit organisée de manière contractuelle. Je souhaite en tout cas que vous interpelliez le Premier ministre pour lui demander une réorganisation, indispensable, de la prévention. L'ordonnance de 1945 était à réformer : ce sera bientôt fait. Le système préventif, fortement marqué par le travail de M. Bonnemaison, doit maintenant être repensé dans le cadre d'une loi de décentralisation. C'est un immense chantier, à ouvrir d'urgence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-Pierre Dufau - Ce projet s'apparente à un rendez-vous manqué.

Le battage sécuritaire auquel ont donné lieu les récentes élections explique votre précipitation à l'imposer en même temps que le texte sur la sécurité intérieure, son « jumeau » selon l'expression du rapporteur pour avis. Vous voulez frapper vite et fort ! Or Pascal nous a appris la difficulté de conjuguer force et justice...

La simplification démagogique qui laisse à penser que la répression et le tout carcéral seraient des panacées suscite de légitime inquiétudes. Elle est d'ailleurs d'autant plus dommageable que votre projet contient aussi de bonnes choses, dans la ligne des actions précédemment engagées. La diversité et l'ambition de ce texte auraient mérité une réflexion approfondie, un large débat d'orientation en amont. Et que ne vous ont-elles conduits à traiter des tribunaux de commerce ? L'oubli me semble significatif...

Je déplore donc cette méthode à la hussarde, employée en pleine période estivale. Je sais bien qu'il fallait honorer l'engagement du Président de la République, mais ce dernier, au cours d'un septennat antérieur, ne nous a-t-il pas habitué à relativiser l'urgence de ses engagements, s'agissant par exemple de la réforme de la magistrature ? Ne s'était-il pas résolu, là, à donner du temps au temps dans l'intérêt supérieur de la République et de la justice, évidemment ?

Vos propositions relatives à la justice de proximité confirment l'existence d'un rendez-vous manqué, en même temps que d'un déficit de concertation.

En amont des litiges, conciliation et médiation ont aujourd'hui fait leurs preuves. Il faut donc les amplifier en suivant résolument cette voie moderne. La cohésion sociale ne peut que gagner à une meilleure écoute des citoyens, au plus près de leur quotidien. Mais la création de juges de proximité vacataires, non professionnels, ne va pas dans ce sens. Elle est contraire aux orientations dégagées lors des entretiens de Vendôme, la position prise par la conférence des premiers présidents l'a encore confirmé. La responsabilité de juger doit revenir au juge d'instance et au juge des mineurs, magistrats professionnels. D'autre part, ces juges de proximité seront dramatiquement seuls, sans greffier. Vous serez donc obligés de vous retourner vers les tribunaux d'instance : pourquoi dès lors ne pas préférer l'original à la copie ? Enfin, faire juger des mineurs par des juges non professionnels est contraire aux conventions internationales, et vous le savez !

D'où votre embarras, patent : vous précisez que, s'agissant de dossiers complexes, ces juges « peuvent renvoyer l'affaire au tribunal d'instance ». Oubliez-vous que, comme l'a rappelé M. Badinter, l'article 5 du code de procédure civile oblige le juge à se prononcer « sur tout ce qui lui est demandé » ? Votre juge de proximité est-il donc un juge « Canada Dry » ?

Laissons donc au juge d'instance toutes ses prérogatives et renforçons ses moyens sans créer un cinquième niveau de juridiction, qui compliquera les choses pour le justiciable et sera entouré d'un flou juridique et statutaire susceptible de vous valoir de sérieux déboires.

Céder au climat sécuritaire et à la médiatisation n'est pas un progrès. Ce dossier n'est pas clos et, parce qu'il a été traité à la hussarde, sans véritable concertation, il faudra bien un jour le traiter sur d'autres bases (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.).

M. Léonce Deprez - Il apparaît que nous nous accordons au moins sur un point : les Français nous demandent une justice plus proche, plus rapide et plus efficace. Mais peut-être sommes-nous nombreux aussi à considérer que ce projet n'est que la première étape d'un remaniement profond, tendant à une modernisation indispensable de l'institution judiciaire. Celle-ci est en effet régie par des lois vieillies et sans grande cohérence, ce qui l'empêche d'être le grand service public qu'elle devrait être. Ces carences, qui s'expliquent notamment par le manque de moyens, s'observent d'abord dans la justice civile, celle de la quotidienneté. Nous devons donc nous lancer dans des réformes de moyen terme, pendant cette législature.

La justice de proximité est ainsi devenue une nécessité. Cependant, dans un souci de cohérence administrative, ses juges devraient être organiquement rattachés aux tribunaux d'instance. Des modifications du code de l'organisation judiciaire s'imposent donc. Elles devraient notamment assurer la pérennité de ces juges.

S'agissant de la réforme de la procédure pénale, le projet tend à alléger la charge des juridictions sans porter atteinte aux droits fondamentaux. Nous ne pouvons qu'approuver.

Pour rendre la justice plus rapide, nous proposons de retoucher l'article 21 du projet sur la composition pénale, trop peu employée en raison d'un formalisme excessif. Dans la mesure où cette procédure est suspendue à l'accord de l'intéressé, il ne s'impose pas de laisser à celui-ci la faculté de demander une audition par le juge du siège.

Il me semble également nécessaire de développer l'application de la procédure simplifiée en matière de droit du travail, pour éviter un déficit de répression dans ce domaine. Dans bien des cas, une sanction prononcée sans publicité tapageuse mais fermement exécutée aurait un effet dissuasif.

Une autre retouche me paraît nécessaire en ce qui concerne l'instruction à la détention provisoire. Le juge des libertés assure une forme de collégialité depuis la loi de juin 2000 et, en raison de l'importance de cette mission, le législateur a voulu qu'il ait au moins rang de vice-président. En commission, vous m'avez répondu que son champ d'intervention avait été étendu à d'autres domaines de l'activité judiciaire qui touchent aux libertés mais sans avoir le même degré de gravité. La nécessité de mobiliser un vice-président pour ces tâches annexes pose des problèmes d'effectifs, notamment en période de congé ou d'absence. Je suggère de réserver l'intervention du vice-président au contentieux de la détention et du contrôle judiciaire et de laisser les autres missions au juge ordinaire. Lorsqu'il statue à l'issue d'un débat contradictoire, le vice-président devrait être assisté d'un greffier.

Pour mener à bien la réforme de la justice, il faudra vaincre bien des résistances. L'institution judiciaire fonctionne en effet selon un mode archaïque, fondé sur le conformisme et les corporatismes. Monsieur le ministre, vous avez la détermination nécessaire et nous vous soutiendrons dans votre action, à commencer par ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jérôme Rivière - C'est avec le sentiment heureux d'accomplir mon devoir en transcrivant dans les textes nos engagements de campagne que je monte à cette tribune. Nous allons vite parce que nous savons ce que nous voulons et que nous connaissons l'urgence de la situation.

Mais si ce texte permet de répondre aux demandes les plus pressantes de notre société, il ne s'agit que d'une première étape et il faudra aller plus loin.

Un sujet devra notamment être évoqué : celui de la répartition géographique des tribunaux.

Près de 200 tribunaux de grande instance, une carte judiciaire datant de Napoléon : tout cela correspond-il bien à la réalité d'aujourd'hui ? Le nombre des dossiers à l'instruction varie énormément d'un TGI à l'autre. Alors pourquoi conserver de si nombreuses juridictions ? On évoque souvent la proximité mais ce n'est pas toujours une raison valable. L'automobiliste qui se fait surprendre par un radar entre Paris et Nice sera amené à comparaître devant le tribunal d'instance du lieu de l'infraction, souvent bien distant de son domicile.

Des collectivités locales se regroupent. Pourquoi pas des tribunaux ? Le tribunal d'instance de Nice ne serait-il pas plus efficace s'il était renforcé des moyens de celui de Cagnes ?

L'instauration du juge de proximité est l'occasion rêvée de procéder à cette rationalisation. Je suggérerai, pour commencer, le regroupement des tribunaux de police, qui ne traitent que d'affaires pénales. Si nous devons porter la justice au plus près de nos concitoyens pour les affaires civiles, ne pouvons-nous pas exiger de ceux qui commettent une infraction pénale de faire quelques kilomètres supplémentaires ? Un tel regroupement est déjà opéré à Paris, qui compte vingt tribunaux d'instance mais un seul tribunal de police.

Lors de la discussion de la loi sur la sécurité intérieure, de nombreux intervenants ont insisté sur la nécessité de faire des économies et de gérer au mieux les moyens. Un seul tribunal de police par ressort à sécuriser, voilà qui contribuerait à rationaliser les effectifs de policiers et de gendarmes. Dans la rue, la peur du gendarme contribue à la prévention. Elle permet de réduire les chiffres de la délinquance, triste héritage de la faillite de la gauche en matière de justice et de sécurité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gérard Léonard - Très bien !

M. Jérôme Rivière - Je ne veux pas, comme il fut fait en 1926 sous l'autorité de Poincaré, instaurer une nouvelle « commission de la hache », mais je sais qu'avec ce gouvernement il n'y a pas de sujet tabou.

J'ai été particulièrement sensible à deux priorités du projet.

La première est l'attention portée aux victimes. Le prévenu est aujourd'hui entouré de conseils juridiques et protégé, physiquement et psychologiquement. Le violeur voit un psychiatre, passe une visite médicale, a le droit de consulter un avocat immédiatement. Rien de plus normal dans un Etat de droit. Mais la victime, elle, doit se rendre seule chez un médecin pour obtenir le prélèvement qui identifiera son bourreau ! Elle doit faire face, seule, au système judiciaire. Il lui arrive de se sentir oubliée, et ce texte comprend des mesures très positives à cet égard.

Vous vous attachez également aux conditions de travail dans l'administration pénitentiaire. Les prisons sont parfois sordides, et il est vrai que les détenus ont le droit à la dignité, n'oublions pas qu'ils sont en prison parce qu'ils ont été condamnés, ce qui n'est pas le cas des gardiens ! Or, j'en connais qui, à la maison d'arrêt de Nice par exemple, n'ont pour tout bureau qu'une cellule identique en tous points à celles des détenus. Ce ne sont pas des conditions de travail acceptables. Des moyens sont heureusement dégagés pour les améliorer, il faudra encore les renforcer.

Je voterai donc ce texte avec enthousiasme, en attendant avec impatience l'acte II qui nous fera retrouver une justice concentrée sur son rôle premier, qui n'est pas d'expliquer ou d'excuser, mais de dire le droit et de sanctionner les contrevenants, sans excès bien sûr, mais sans complaisance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gérard Hamel - Le texte dont nous débattons apparaît fondamental, étant donné la très grande aspiration de nos concitoyens à la justice et à la sécurité. Cette aspiration, nous l'avons entendue chaque jour de la campagne électorale. Les Français veulent vivre en paix, dans une tranquillité retrouvée. Chacun ne peut donc qu'approuver les moyens consentis en faveur de la justice.

En ce qui concerne, en revanche, l'instauration des juges de proximité, si l'idée est intéressante, je crains qu'elle ne puisse être rapidement traduite dans la réalité, en raison notamment de l'intervention du Conseil supérieur de la magistrature dans leur nomination. Je propose donc que le Gouvernement élargisse le recrutement à des citoyens dont l'engagement professionnel, associatif ou social serait reconnu de tous. Ils seraient habilités par le procureur de la République, ainsi que cela a été fait pour le « conseil des sages » de Dreux - expérience unique en France, et couronnée de succès.

Les mesures concernant les mineurs délinquants suscitent une forte contestation. Pourtant, votre démarche respecte la primauté de l'éducatif sur le répressif et reste dans l'esprit de l'ordonnance de 1945. Les nouvelles dispositions ne visent qu'à mieux encadrer des mineurs qui ont besoin de repères. Il est impérieux de compléter la gamme des placements pour encadrer les plus violents et de créer de nouvelles sanctions éducatives pour les plus jeunes. La mesure la plus critiquée est la création des centres fermés, au motif que l'éducation ne pourrait se faire en milieu fermé. Mais n'inversons pas les choses. Ces centres n'ont pas pour vocation d'assurer un agréable séjour au mineur, mais de le dissuader d'avoir un jour à y retourner ! On sait que la très grande violence est de plus en plus précoce, et il n'est plus tolérable qu'un mineur passe 34 fois devant le juge au cours de la même année ! C'est pourquoi nous demandons depuis longtemps une procédure de jugement rapprochée et une amélioration de l'accès à la justice pour les victimes.

Toutes ces mesures sont dans votre projet. Je vous en félicite, ainsi que de la cohérence qui se manifeste entre la politique que vous menez et celle du ministre de l'intérieur. Ce n'est plus Guigou contre Chevènement, mais Perben avec Sarkozy. Quel changement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Les décisions qui sont prises ont pour vocation de redonner à chaque Français la liberté qu'il n'aurait jamais dû perdre. Monsieur le ministre, vous avez donc tout notre soutien, pour ce projet comme pour ceux qui suivront. Nous répondons ainsi à l'attente que nos concitoyens ont manifestée tout récemment (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Maryse Joissains Masini - Permettez-moi d'abord de dire qu'il fait froid dans cette salle. A qui faut-il s'adresser pour y remédier ? Nous serons ainsi plus nombreux à faire entendre la voix du peuple.

M. Jean-Pierre Brard - Vous n'êtes pas obligée de rester !

Mme Maryse Joissains Masini - Je le ferai, ne serait-ce que pour vous enquiquiner !

Monsieur le ministre, merci pour le texte que vous nous présentez, en complémentarité avec la loi de M. Sarkozy. La lettre en est excellente, et la volonté des ministres est sans ambiguïté. En praticienne du droit, je peux vous dire que l'état de la justice était devenu insupportable : justice à plusieurs vitesses, où les victimes ne sont pas entendues et où les délinquants sont infiniment plus protégés qu'elles... (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

Ce texte met sur le même plan éducation et répression ; c'est un grand pas en avant. Oui, nous sommes pour l'insertion, mais également pour la sanction. Se limiter à l'une, c'est succomber à l'angélisme qui a conduit le pays au bord du gouffre ; à la seconde, c'est prendre un virage dangereux.

M. Gérard Léonard - Très bien !

Mme Maryse Joissains Masini - Merci donc d'avoir pris cette loi...

M. Jean-Pierre Brard - On ne « prend » pas une loi ! Exprimez-vous en français ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Maryse Joissains Masini - Vous avez fait tant d'erreurs dans ce pays que vous n'avez que le droit de vous taire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe C. et R.)

Je voudrais appeler l'attention du Gouvernement sur un problème important : le recrutement des hommes.

M. Jean-Pierre Brard - Et des femmes !

Mme Maryse Joissains Masini - Les mêmes causes produisant les mêmes effets, si vous ne vérifiez pas mieux les recrutements, nous retrouverons les mêmes problèmes.

M. André Vallini - Qu'est-ce à dire ?

Mme Maryse Joissains Masini - Comment un jeune magistrat, sans grande expérience de la vie, peut-il être un bon juge d'instruction ou un bon juge des affaires familiales ?

Autre problème : l'absence de diversité du recrutement. Comment admettre qu'une école, aussi prestigieuse soit-elle, soit seule habilitée à produire des magistrats ? La justice est l'affaire de tous, et il serait opportun de recruter aussi, par exemple, parmi les hauts fonctionnaires ou, pourquoi pas, parmi les chefs d'entreprise.

M. Jean-Pierre Brard - Ou au MEDEF !

Mme Maryse Joissains Masini - La possibilité existe, c'est vrai, mais elle n'est pas suffisamment utilisée. Puis les socialistes aiment tant les quotas, pourquoi ne pas décider qu'une moitié des magistrats seraient issus de l'ENM, tandis que l'autre moitié proviendrait d'origines diversifiées ? Ne pas s'engager sur cette voie, c'est prendre le risque de voir les lois que nous faisons peu ou mal appliquées.

Les socialistes nous ont donné beaucoup de leçons, mais nous laissent une France affaiblie, (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) avec des problèmes difficiles à résoudre, sans être pour autant insurmontables pour nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Concernant la température dans l'hémicycle, des instructions ont été données pour améliorer la situation. Je rappellerai cependant que nous avons connu une période où il n'y avait pas de climatisation, ce qui était beaucoup plus difficile à supporter en été... (Approbation sur de nombreux bancs)

M. Christian Vanneste - Avec enthousiasme, nous avons voté, il y a deux semaines, la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. L'insécurité doit reculer, la marée montante des quatre millions de crimes et délits commis en 2001 doit refluer. Mais pour atteindre cet objectif, il ne suffit pas d'augmenter les moyens de la police ! La justice doit suivre, car les Français veulent l'impunité zéro.

Votre texte va dans cette direction. Vous avez su faire vite et bien, et il est curieux de constater que les mêmes qui reconnaissent l'urgence à agir déplorent cette rapidité !

Je remercie notre rapporteur pour l'excellence du travail accompli en commission, et notamment des auditions, qui ont permis aux commissaires de la majorité, seuls à y avoir assité, de bénéficier d'éclairages très divers.

La justice manque certes de moyens, mais elle manque surtout de cohérence : un officier de police judiciaire nous a ainsi déclaré que son métier n'avait de sens que si la justice accomplissait sa mission, tandis que, de son côté, un représentant de la protection judiciaire de la jeunesse a témoigné de son hostilité de principe à toute sanction et à toute privation de liberté !

M. Albertini a bien caractérisé, hier, la déliquescence de notre institution judiciaire. Elle a une cause : l'idéologie. Alors que des jeunes de plus en plus jeunes commettent des actes de plus en plus graves, certains persistent à s'enfermer dans des querelles de mots, au lieu de chercher des solutions. Dans certains discours, comme celui de M. Vallini, les délinquants deviennent des « révoltés ». Non ! Les mineurs qu'utilisent les réseaux parce que leur âge les protège de l'incarcération ne sont pas des révoltés : ce sont, à la rigueur, des « sauvageons » ; en tout cas, ce sont des délinquants !

M. André Vallini - Ce sont aussi des victimes !

M. Christian Vanneste - Je me demande ce qui a poussé M. Vallini à venir siéger parmi nous, puisque selon lui, coincés comme nous le sommes entre les textes sacrés du passé, l'intouchable ordonnance de 1945, la déclaration de droits de l'homme et celle des droits de l'enfant, les corporatismes professionnels, nous serions réduits à voter des crédits supplémentaires pour appliquer des politiques qui ont fait la preuve de leur échec, sans pouvoir réformer les lois elles-mêmes. Etrange conception du rôle du législateur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Certes, certains textes sont fondamentaux. C'est le cas, bien sûr, de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui fait de la sûreté, de la propriété, de la liberté et de la résistance à l'oppression les premiers de nos droits. Aussi ne proposons-nous rien d'autre que de défendre sans complexe l'ordre républicain, fondé sur le respect de la loi.

La liberté, c'est d'abord celle des vicimes. Il faut naturellement se soucier de l'avenir des délinquants, avec tout l'humanisme nécessaire, mais celui-ci doit être fait d'actes, non de paroles, et le premier de ces actes est la sanction éducative. On entend dire, un peu partout, que les jeunes sont sans repères, justement, la sanction montre la barrière à ne pas franchir, la frontière entre le bien et le mal. C'est toute la philosophie des centres éducatifs fermés.

Ces centres viennent compléter le dispositif existant, et apporter une réponse au problème posé par les 2 % de multirécidivistes qui commettent plus de la moitié des délits de voie publique dans nos quartiers. Leur éloignement sera bénéfique aux victimes comme aux jeunes délinquants eux-mêmes, et il est impératif que les décisions de placement prononcées par le juge soient bien exécutées. Il en est de même pour la comparution à date rapprochée. J'avais défendu, en 1996, avec Raoul Béteille, la comparution immédiate. Cette fois, je n'ai pas déposé d'amendement en ce sens, car le ministre a su me convaincre.

Une dernière question demeure. Celle des locaux. Il y a aujourd'hui 59 000 détenus pour 49 000 places.

M. André Vallini - 55 000 !

M. Christian Vanneste - Sans doute, compte tenu de l'amnistie, mais cela ne durera pas ! Or, les crédits prévus nous permettront d'arriver à 56 000 places, ce qui est encore insuffisant, et la question se pose dans les mêmes termes pour les centres éducatifs fermés. C'est très préoccupant.

Le bilan de la gauche, en ce domaine, est si catastrophique qu'il nous faudra faire preuve de patience et de ténacité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.)

M. Georges Fenech - On a beaucoup critiqué notre rapidité à engager la réforme, mais en 1981, il avait suffi d'un trait de plume, d'une circulaire de M. Badinter, pour abroger - en toute illégalité et sans concertation aucune, par le fait du prince - la loi « sécurité et liberté ».

Je salue, par contraste, le travail intensif, objectif, important accompli par notre commission des lois. Pour ma part, je ne crois pas qu'il y ait des lois immuables ni, donc, que l'ordonnance de 1945 soit intangible. Les outils juridiques doivent suivre, l'évolution de la société, le pragmatisme doit prévaloir.

Quant à la générosité, elle n'est pas toujours dans le camp que l'on croit.

M. Jacques Myard - La gauche n'a pas le monopole du c_ur !

M. Georges Fenech - Qui a supprimé les derniers centres fermés ? Nous, en 1978 ! Qui a supprimé l'effet suspensif de l'appel du parquet ? Nous, en 1980 ! Qui a supprimé la détention provisoire des mineurs de 16 ans ? Nous, en 1987 !

M. Jean-Jack Queyranne - Vous la rétablissez aujourd'hui !

M. Georges Fenech - C'est parce que la situation n'est pas la même ! La délinquance juvénile explose, il faut faire évoluer notre droit en conséquence.

Selon M. Vallini, notre projet serait mauvais pour la bonne raison que les syndicats l'affirment. C'est oublier que ces mêmes syndicats avaient déjà protesté lorsque le précédent gouvernement avait renforcé le dispositif antiterroriste après le 11 septembre, et que l'un d'eux avait même appelé à ne pas l'appliquer !

M. Jacques Myard - Scandaleux !

M. Georges Fenech - Il faut faire confiance à ceux qui sont chargés d'appliquer la loi : les magistrats comme les éducateurs. Il n'y aura en aucun cas placement automatique en centre fermé. Il appartiendra au magistrat d'apprécier l'opportunité d'une telle décision.

Mme Guigou ne voit aucune différence entre un centre éducatif renforcé et un centre fermé. Moi, je la vois : le premier est ouvert, et le second fermé ! Les CER proposent d'ailleurs surtout des stages de voile ou d'équitation.

Un député UMP - C'est le Club Med !

M. Georges Fenech - Dans les centres fermés, nous réapprendrons aux mineurs des règles de vie aussi élémentaires que se lever le matin ou dire bonjour et merci. M. Hamel a raison : il faut rétablir la notion de sanction. Celle-ci a un but rétributif et curatif, mais aussi dissuasif. La certitude de la sanction n'est-elle pas la meilleure des préventions ?

Votre projet rétablit des équilibres qui avaient été rompus, d'abord entre l'accusation et la défense, constituant le référé-détention, le pendant du référé-liberté ; ensuite entre la victime et l'auteur de l'infraction. Bref, vous sonnez la fin de la trop fameuse culture de l'excuse au profit d'une culture de responsabilité. Ce projet, que nous allons voter, n'est qu'une première étape. Nous attendons la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui n'a pu aboutir (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. André Vallini - A qui la faute ?

M. Georges Fenech - ... et celle de la carte judiciaire. Ne faudra-t-il pas aussi évoluer vers un système accusatoire, respectant mieux les droits de la défense que notre système inquisitoire.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Georges Fenech - Faut-il maintenir la dualité de juridiction ?

M. Xavier de Roux - Supprimons les tribunaux administratifs !

M. Georges Fenech - Pourquoi ne pas soulever à nouveau la question de la responsabilité des juges, que Mme Guigou a courageusement abandonnée...

M. André Vallini - À cause du Président de la République !

M. Georges Fenech - Il faudra aussi réfléchir à une dépénalisation de la vie quotidienne et à un centrage de la mission du juge sur l'essentiel. Est-il indispensable qu'il siège dans 143 commissions administratives ? Je suis convaincu de votre succès, Monsieur le ministre, ce sera celui de notre pays et de notre justice (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Buillard - En tant que députés de la Polynésie française, Béatrice Vernaudon et moi-même soutenons ce projet de loi comme nous avons soutenu celui relatif à la sécurité : ils sont indissociables.

Votre projet est très attendu en Polynésie française, où les besoins de la justice sont particulièrement criants. Notre territoire se compose en effet d'une centaine d'îles, dispersées sur une surface aussi vaste que l'Europe, et qui ne sont parfois accessibles que par bateau. On y parle le réo maohi, et le lien à la terre est un lien direct avec les ancêtres.

Ces particularismes ont d'importantes conséquences pour le fonctionnement de la justice. Il faut développer les juges forains pour rompre l'isolement des îles ; le nombre des contentieux d'affaires de terre exige des juridictions ad hoc ; la pratique des langues polynésiennes nécessite des traducteurs et rallonge les procédures. En outre, la justice polynésienne assure encore des missions administratives, telles que la tenue de l'état civil et des casiers judiciaires. Or, elle n'a pas été épargnée par les lois sur les 35 heures et sur la présomption d'innocence, qui ont provoqué un engorgement des juridictions et allongé les délais de jugement devant la cour d'appel de Papeete. Il est donc urgent de renforcer les moyens humains de la magistrature judiciaire ainsi que ceux du greffe de la cour d'appel de Papeete.

S'agissant du personnel du greffe, la disparition du corps des agents, et l'intégration de ces derniers dans la fonction publique d'Etat apparaît d'autant plus légitime que ce personnel est déjà rémunéré par l'Etat.

Par ailleurs un reconditionnement du centre pénitentiaire s'impose, de même que l'intégration de ses personnels dans la fonction publique de l'Etat. Je me félicite que votre projet de loi la prévoit de manière définitive.

Je souscris enfin pleinement à votre projet de centres éducatifs fermés et souhaite vivement la création d'un centre en Polynésie.

Notre territoire a aussi besoin de solutions adaptées à ses particularités. La justice de proximité y est indispensable, les audiences foraines ne suffisant pas. Encore faut-il ne pas limiter le recrutement de ces juges par des exigences rédhibitoires. En Polynésie, il faudra que la proximité soit aussi temporelle et culturelle, afin de tisser le lien entre tradition et modernité. Le juge devra comprendre le reo maohi. Bien des femmes et des hommes de notre territoire répondent à ces critères.

La même démarche pourrait être adoptée pour la composition et le fonctionnement de certaines juridictions.

Indépendamment du juge de proximité, des solutions nouvelles sont à rechercher dans le développement de l'échevinage, qui permet de renforcer la dimension pédagogique de la sentence.

En Polynésie française, enfin, l'échevinage s'applique déjà aux tribunaux du travail et du commerce. Mais il pourrait être étendu à des contentieux culturels tels que ceux relatifs aux affaires de terre, ou ceux relevant de la juridiction pénale correctionnelle statuant en collégialité, comme en Nouvelle-Calédonie. Voilà quelques propositions fondées sur les spécificités de notre territoire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Christine Boutin - S'il est un point sur lequel nous sommes tous d'accord, c'est que nous ne sommes plus en 1945. Bien des choses ont changé depuis, et le phénomène délinquant n'échappe pas à la règle. L'ordonnance de 1945 est aujourd'hui dépassée et il nous faut réfléchir à un nouveau cadre législatif. Les Français nous l'ont eux-mêmes demandé. Je voterai donc ce projet de loi.

Je m'interroge cependant sur la pertinence de certaines dispositions, qui semblent prendre le contre-pied des conclusions des commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat sur les prisons. Même si nous sommes tentés de croire que le « tout-préventif » a échoué, il serait dangereux de lui substituer le « tout-répressif ». En effet, la sanction pénale n'a de sens que si elle s'accompagne d'un pardon réel de la société au délinquant. Sans réinsertion, l'emprisonnement est peine perdue.

La réforme nécessaire impose une réflexion approfondie et nous devons saisir avec courage cette occasion historique pour réaffirmer des valeurs fondamentales, constitutives de notre organisation sociale, et emblématiques de notre degré d'humanité. Je suggère le choix d'un numerus clausus en matière carcérale pour répondre à l'engorgement des prisons et nous contraindre à inventer des solutions alternatives. Nous aurions tort, en particulier pour les mineurs, de séparer la répression de la réinsertion. La dimension éducative de la justice des mineurs reste néanmoins essentielle, même si le recours à la contrainte ne peut être exclu. Nous sommes confrontés à un dilemme : le développement de la délinquance juvénile autorise-t-il la justice à traiter aussi sévèrement un mineur qu'un adulte ?

La réponse est évidemment négative. Soutenir le contraire reviendrait à nier l'idée même d'enfance. C'est parce qu'au-delà de son acte, le délinquant mineur demeure un enfant que la sanction doit être d'abord éducative - liberté surveillée, placement, réparation pénale. Cela ne signifie pas qu'elle soit laxiste ou qu'une réponse pénale ne s'impose pas dans certains cas.

Mais, Monsieur le ministre, je n'ai pas bien compris ce qu'étaient les futures centres fermés.

M. André Vallini - Nous non plus !

Mme Christine Boutin - D'abord sont-ils fermés ou ouverts ?

M. André Vallini - Le ministre n'en sait rien.

Mme Christine Boutin - Y aura-t-il des programmes d'éducation spécifiques pour chaque cas ? Quels seront les moyens d'évaluation ? Le temps de l'incarcération doit apparaître comme une étape permettant au jeune, grâce à un accompagnement adapté, d'élaborer un projet pour l'avenir et non comme la poursuite d'une carrière délinquante.

Nous ferions bien de nous inspirer de l'expérience du Canada, où le taux de récidive est le plus faible du monde (Approbations sur les bancs du groupe socialiste). Cela exige d'allier autorité et transparence des règles du jeu et des procédures, en n'oubliant personne, ni les victimes, ni les délinquants, ni la collectivité. Tout délit doit certes être sanctionné mais l'enfermement n'est pas un moyen suffisant pour répondre aux déviances de la société.

Nous devons nous interroger sur le sens de la peine. L'homme est-il toujours au-dessus de sa faute ? Certaine que vous mènerez votre réflexion dans cette direction, Monsieur le ministre, je soutiendrai ce premier texte, qui est un premier pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. André Vallini - Ça manque d'enthousiasme !

M. Jacques Myard - La justice est un service public essentiel à l'autorité de l'Etat, nous en convenons tous. En réalité, elle est consubstantielle à l'Etat : sans justice, pas d'Etat ; sans Etat, pas de justice. Les Français ont scellé avec le concept de justice une alliance séculaire, illustrée par des affaires restées célèbres telles que l'affaire Calas ou l'affaire Dreyfus qui ont marqué à jamais notre subconscient collectif.

La justice exige que le coupable soit puni et l'innocent innocenté. Malheureusement, la crise de l'Etat, née de la confusion des esprits, et savamment entretenue par l'idéologie des soixante-huitards attardés, a aujourd'hui atteint le concept même de justice et la situation est alarmante. Le système judiciaire est devenu trop complexe, les décisions sont rendues avec lenteur, du fait de la surcharge des juridictions, alors que l'insécurité s'accroît.

Tout aboutit aujourd'hui chez le juge et certains utilisent même le système judiciaire comme un instrument de combat politique et une poignée de magistrats se laissent aller sur une pente partisane et dangereuse. Les magistrats dans leur ensemble ont le sentiment d'être mal aimés. Ils manquent cruellement de moyens. Cette situation n'est plus acceptable et vous avez raison, Monsieur le ministre, de vouloir soigner la justice pour soigner la République.

La première mission de la justice est bien, que cela plaise ou non, de réprimer la délinquance au nom du peuple souverain. Une société civilisée se caractérise par le fait que l'Etat y détient le monopole de la violence légitime. Si des individus utilisent la violence, ils doivent rencontrer celle de l'Etat, et être punis. Votre projet adapte la répression aux mineurs délinquants, c'est une bonne chose. Aux pleurnichards et aux professionnels du laxisme, je rappelle que la promptitude et la certitude de la sanction constituent des mesures irremplaçables de prévention.

M. Lionnel Luca - Bien sûr !

M. Jacques Myard - Les solutions pour les mineurs sont connues, elles ont été expérimentées depuis longtemps mais laissées de côté. Il s'agit notamment de ces « jeunes équipes de travail » qui associent la sanction, l'éducation et la contrainte.

La mission répressive de la justice ne peut être légitime que si elle s'exerce au nom de la société représentée par les autorités élues et responsables devant le peuple. C'est pourquoi nous attendons que le Garde des Sceaux use pleinement des pouvoirs que le peuple lui a confiés et donne des instructions claires aux procureurs en ce qui concerne la défense de la société face aux délinquants. J'espère donc que le funeste projet de l'indépendance du parquet est bel et bien enterré. J'espère aussi que vous utiliserez pleinement vos prérogatives en matière de nomination des procureurs. Le Conseil supérieur de la magistrature peut certes faire des propositions, mais c'est au pouvoir démocratiquement élu qu'il appartient de prendre la décision, en toute indépendance.

La deuxième mission de la justice est d'arbitrer les litiges civils entre les citoyens. Là encore, votre projet va dans le bon sens avec la création des juges de proximité, capables de régler rapidement les petits litiges.

Réprimer et arbitrer, telles sont donc les missions de la justice. Encore faut-il qu'elle ne se mêle pas de tout. Or, actuellement, trop de conflits se terminent chez le juge pénal. Nous vivons dans une République pénalisée. Le tableau national des infractions recense plusieurs dizaines de milliers d'infractions, que nous sommes tous susceptibles de commettre sans le savoir. Il est urgent de recentrer le juge pénal sur les délits intentionnels. Beaucoup d'infractions doivent disparaître du domaine de la loi pénale pour relever d'autres moyens de résolution des litiges.

D'autre part, il est impératif de rappeler à certains magistrats les règles qui président à leurs fonctions, notamment la neutralité.

Il n'est pas acceptable que certains magistrats battent les estrades médiatiques et professent, ès qualités, des jugements de nature politique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Très bien !

M. Jacques Myard - Il importe aussi que les fonctions de magistrat ne soient pas dévalorisées, ce qui suppose de renforcer leur environnement administratif et de les décharger des tâches purement matérielles. Enfin, il convient de traiter les deux ordres de juridictionsur un pied d'égalité car tous deux participent au bon fonctionnement de la justice, une justice que nous voulons souveraine et égale pour tous (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Guy Geoffroy - Ce débat n'est pas prématuré, il était au contraire grand temps de l'avoir, et la saison n'y change rien. Été ou pas, le Parlement travaille et il lui incombe de répondre à la principale préoccupation des Français, la sécurité et la justice. Je rends hommage à la qualité de votre projet, Monsieur le ministre, et je salue la qualité du travail accompli en commission des lois, sous l'aimable direction de M. Pascal Clément. Je salue enfin l'esprit de synthèse de notre rapporteur, aux côtés duquel j'ai eu la satisfaction de partager une trentaine d'heures d'audition et de réflexion.

Je suis atterré par la réplique laborieuse de nos opposants, hier encore aux affaires...

M. Jacques Myard - Ils n'ont pas d'idées !

M. Guy Geoffroy - Cette réplique constitue en réalité un formidable désaveu à leur ancien poulain, ex-futur Président de la République. Il suffit, pour s'en convaincre, de se reporter au fameux document intitulé « Je m'engage », signé par Lionel Jospin. Page 11, il proposait la création de postes de juges de proximité « qui pourraient être confiés à de jeunes retraités de l'éducation, de la police, de la justice, de l'armée ou des entreprises » (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Pages 12 et 13 le candidat Jospin propose, s'agissant de la délinquance des mineurs, de procéder aux modifications législatives nécessaires, y compris celles de l'ordonnance de 1945 qui pose des principes sages, mais ne doit plus être considérée comme un texte tabou.

M. André Vallini - Nous ne disons pas autre chose !

M. Guy Geoffroy - Il faudra développer l'accueil des mineurs dans des structures fermées, lit-on encore, et étendre les procédures de comparution immédiate !

Je ne crois pas nécessaire de donner d'autres exemples de la duplicité de nos opposants. Quand elle atteint de tels sommets, ce n'est plus de culot qu'il faut parler mais d'indécence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Vous nous proposez, Monsieur le Garde des Sceaux, un texte courageux et lucide.

Pour que les centres éducatifs fermés soient une réussite, ils devront combiner harmonieusement la prévention et la répression. Il faudra donc, comme s'y est engagé le Gouvernement, assurer la présence, dans ces petits centres de huit à dix jeunes, d'un représentant permanent de l'éducation nationale. Il faudra également que les éducateurs soient plus nombreux ; mais quels éducateurs, pour quoi faire, avec quelle formation et dans quel état d'esprit ? C'est un professionnel de l'éducation qui vous le dit, éduquer, ce n'est pas se contenter d'écouter les jeunes, c'est leur dire la vérité.

L'éducation devra être au c_ur de l'« application de ce texte, pour que notre pays n'ait plus peur de l'avenir de sa jeunesse, et tout simplement de son avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. René-Paul Victoria - Que serait la loi d'orientation sur la sécurité intérieure sans une loi d'orientation sur la justice ? Monsieur le ministre, je suis ravi de voir enfin se constituer un attelage susceptible d'abolir chez nos concitoyens le sentiment de l'impunité : une police et une gendarmerie agissant de concert, et une justice dotée de moyens nouveaux, permettant aux policiers et aux gendarmes d'accomplir dans la confiance et la sérénité leurs missions sur le terrain.

Nous devons tout faire pour protéger nos concitoyens. « La seule querelle qui vaille est celle de l'homme, qu'il s'agit de sauver, de faire vivre et de développer », affirmait le général de Gaulle (Approbations sur les bancs du groupe UMP).

Dans cet esprit, le projet vise à améliorer l'efficacité de la justice en augmentant les effectifs et en créant une véritable justice de proximité. Ensuite, il répond au problème des mineurs multirécidivistes par la création de centres éducatifs.

Les juges de proximité jugeront les litiges civils et les petits délits qui empoisonnent la vie quotidienne de nos concitoyens. Ce système original me fait penser aux maisons de justice et de droit créées à la Réunion. Ces maisons doivent être complétées par des maisons de la sécurité, chargées d'informer, d'évaluer les politiques, voire d'assurer le suivi des jeunes.

Pour que l'institution judiciaire dispose des équipements nécessaires, vous prévoyez, Monsieur le ministre, de lancer un programme de construction d'établissements pénitentiaires. Je suis heureux qu'en liaison avec votre collègue Pierre Bédier, vous ayez entrepris une large concertation, en particulier avec les élus locaux, pour déterminer les besoins département par département. Depuis plusieurs années, La Réunion attend un nouvel établissement pour remplacer la maison d'arrêt de Saint-Denis, où les conditions d'incarcération sont indignes de notre République. Il y a urgence !

Enfin, votre projet comporte un volet sur l'aide aux victimes. Je vous en remercie, et j'ai confiance en votre sagesse pour accepter d'inclure des dispositions destinées à protéger les victimes contre l'acharnement médiatique.

Tout en saluant l'ambition que traduit cette loi, j'appelle toutes les forces vives de la nation - familles, éducation nationale, associations, entreprises - à lui faire porter ses fruits en jouant tout leur rôle dans la réinsertion sociale de la jeunesse, afin de mieux faire vivre notre devise « Liberté, Égalité, Fraternité » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Lionnel Luca - En cette période de vacances, nous débattons d'un texte que les Français nous ont réclamé : il faut se réjouir que le Gouvernement n'ait pas tardé à concrétiser les engagements du Président de la République.

Ce texte important et dense a été précédé par de nombreuses missions d'information et commissions d'enquête, suivies de rapports parlementaires dont le détail a été présenté par notre collègue Jean-Pierre Schosteck. Son contenu diffère sensiblement de ce que nos collègues de gauche y ont trouvé : « La primauté de l'éducation sur la répression, peut-on y lire, qui inspire le droit applicable aux mineurs délinquants, est un principe nécessaire, qui devient nocif quand cette primauté signifie dissociation. La sanction est partie intégrante de l'éducation ».

M. Jacques Myard - Très bien !

M. Lionnel Luca - La commission fait le constat suivant : « La situation actuelle est réellement préoccupante parce que cette délinquance s'est massifiée, qu'elle est plus violente et concerne des mineurs plus jeunes. La famille et l'école n'endiguent plus la délinquance ». Or, observe-t-elle, « la justice des mineurs n'est pas particulièrement laxiste, elle est erratique, et la protection judiciaire de la jeunesse connaît une crise d'identité profonde ».

Enfin, le rapport propose d'« éduquer en sanctionnant, sanctionner en éduquant ». C'est bien ce que vous nous proposez, pour répondre à la situation dramatique que vivent nos concitoyens, particulièrement les plus modestes, sans oublier ces nouvelles victimes de la délinquance que sont les chauffeurs de car, les médecins, les pompiers, les policiers. Personne n'a parlé de cette jeune femme, gardien de la paix stagiaire, qui a été lynchée dans l'indifférence générale et qui est aujourd'hui sur un lit d'hôpital. Pour elle, on n'entend pas beaucoup de défenseurs des droits de l'homme...

Dans les Alpes-Maritimes, faute de centres adaptés, les petits délinquants sont placés dans les foyers départementaux de l'enfance, mêlés à des enfants maltraités qu'ils risquent de traumatiser encore davantage.

M. Jacques Myard - C'est incroyable !

M. Lionnel Luca - Ne vous étonnez donc pas que nous répondions avec célérité à la demande des Français : il y a bien urgence, mais nous n'agissons pas dans l'urgence.

Ne soyez pas surpris non plus que nous respections nos engagements, même si vous, vous oubliez les vôtres. Dans son programme « Je m'engage », Lionel Jospin a bien affirmé qu'il fallait améliorer l'efficacité de la justice au quotidien, développer la médiation, recruter des juges de proximité parmi les jeunes retraités - et vous parlez de notables !

Il a clairement affirmé vouloir traiter le problème des délinquants mineurs, et voici que vous nous reprochez de le faire ! Il a déclaré que l'ordonnance de 1945 n'était pas taboue, et vous en faites la Table de la loi ! Il a estimé - cela figurait même en caractères gras - que les structures fermées étaient nécessaires pour accueillir les mineurs récidivistes, et vous jugez l'idée insupportable ! Ne frise-t-on pas le procès en sorcellerie ?

Ce qui nous oppose, c'est que nous tenons vos engagements, en même temps que ceux du Président de la République, qui a tenu à améliorer en outre l'aide aux victimes, l'aide juridictionnelle et la condition pénitentiaire.

À ce dernier propos, Monsieur le Garde des Sceaux, je souhaiterais que votre réforme n'oublie pas le personnel des prisons. Il ne faut pas que ces gardiens soient sacrifiés pour prix des moyens accrus donnés aux autres forces de l'ordre et aux magistrats.

Mme Christine Boutin - Très bien !

M. Lionnel Luca - Grâce à un projet équilibré, vous donnez à la justice les moyens de travailler, vous tenez les engagements pris par le Président de la République et vous fournissez aux Français des raisons de croire de nouveau en la justice et en la politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

La discussion générale est close.

M. Dominique Perben, Garde des sceaux, ministre de la justice - Merci à tous d'avoir contribué à un débat riche d'idées. Beaucoup sont revenus sur l'urgence qu'il y avait à proposer ce texte et, de fait, depuis des années, de multiples rapports soulignaient l'état alarmant de notre justice et la nécessité de renforcer la relation entre sanction et éducation ; le débat ouvert à l'occasion de la campagne présidentielle, puis des législatives nous a permis d'écouter les Français, d'entendre leurs attentes. Il n'est donc pas surprenant que le Président de la République et le Gouvernement aient jugé possible de répondre à ces attentes dans un délai de trois mois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

D'autre part, Messieurs Queyranne et Vallini, vous n'ignorez certainement pas que le budget se prépare pendant l'été. Or il m'a été bien utile de disposer de ce projet, en particulier de ses trois premiers articles, pour discuter avec le ministre du budget. Autrement dit, si nous n'avions conçu cette loi dès le début de la législature (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), nous aurions perdu une année ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Le président de la commission des lois - Exact !

M. le Garde des Sceaux - Je ne puis donc que me féliciter de pouvoir, dès le début de la législature, m'appuyer sur une programmation pluriannuelle, qui donne force et cohérence à mon action.

Je remercie M. Warsmann pour l'intensité du travail qu'il a fourni, sous l'autorité du président de la commission des lois, ainsi que pour la qualité de ses analyses et pour les améliorations qu'il a proposées. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Il a ainsi apporté une précieuse plus-value.

Je sais gré à M. Pélissard d'avoir insisté sur la nécessité de moderniser la gestion de la justice. Il ne faudrait surtout pas que les crédits accordés par la collectivité nationale soient bus comme l'eau par le sable, et le ministre et ses services doivent donc tout faire pour que cet effort exceptionnel donne les résultats attendus par nos concitoyens. Cela passe notamment par une évaluation de l'action des juridictions et des centres éducatifs.

Le président Clément a abordé beaucoup de sujets avec un égal brio. Je le rassure : notre objectif est de proposer aux juges toute une gamme de moyens et de réponses adaptés, ce qui suppose une diversité des structures, et nous ne voulons donc pas supprimer les centres éducatifs renforcés ni les CPI. Simplement, les CPI, par exemple, accueillent aujourd'hui, ensemble, des primo-délinquants et des multirécidivistes ; ce mélange perturbe leur fonctionnement et hypothèque lourdement les efforts des éducateurs. Les centres fermés ouvriront de nouvelles possibilités, diminuant d'autant le risque d'incarcération.

Monsieur Vallini, vous savez parfaitement, s'agissant du référé-détention, que ce n'est pas le procureur qui prolonge la détention : c'est son appel qui prolonge les effets d'une décision préalable du juge du siège, jusqu'à une autre décision d'un autre juge du siège. D'autre part, le procureur aussi est un magistrat...

Contrairement à ce qu'on a dit, nous ne modifions pas l'âge de la responsabilité pénale, qui reste fonction du discernement du mineur. Nous ne faisons qu'introduire des sanctions éducatives entre 10 et 13 ans.

Ce n'est pas vous, Messieurs, qui avez créé les centres éducatifs renforcés : c'est Jacques Toubon ! Mme Guigou a ensuite arrêté l'expérience, à la demande de certaines organisations syndicales, puis, au bout de deux ans, a constaté qu'il s'imposait de recréer ces centres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Ce qu'elle a fait, et il faut lui en rendre hommage car elle a dû surmonter bien des criailleries - les criailleries des mêmes, d'ailleurs, qui refusent aujourd'hui les centres fermés : l'histoire tend décidément à se répéter !

Les centres éducatifs renforcés demandent cependant à faire l'objet d'une évaluation objective et le débat n'est donc pas clos. Certaines choses fonctionnent, d'autres non, et nous devons avant tout sortir du débat politicien pour avoir le courage de dire la vérité, en passant par-dessus corporatismes et conservatismes. Faute de quoi nous ne saurions donner aux jeunes délinquants des chances de s'éduquer et de s'insérer (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Je m'engage donc à organiser un débat avec vous afin d'évaluer l'ensemble des rapports sur la politique éducative. En effet, j'estime ne pouvoir proposer un accroissement de 25 % de l'effectif d'éducateurs si, dans le même temps, je ne prévois pas d'examiner l'efficacité du dispositif. Faire l'un sans l'autre serait faillir à ma mission de ministre de la République (Mêmes mouvements).

M. Pierre Cardo - On ne va pas être déçu !

M. le Garde des Sceaux - M. Vallini me reproche une concertation insuffisante. Un coup d'_il à mon agenda des trois derniers mois suffirait à faire justice de cette accusation. J'ai personnellement reçu 60 délégations, dont 30 d'organisations syndicales (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) - et beaucoup m'ont assuré que cela n'avait pas été le cas de votre temps, Madame Lebranchu !

Pour ce qui est des juges de proximité, je trouve dommage que les porte-parole officiels du parti socialiste soient hostiles à leur création. M. Jospin ne s'était-il pas prononcé pour la mesure ? Mais c'est peut-être ce qui vous a conduits à ne pas voter pour lui... (Rires sur bancs du groupe UMP). Nous devrions pourtant nous entendre sur cette idée.

Refuser d'intégrer à la justice des personnalités du monde extérieur est une erreur. Déjà 15 % des magistrats professionnels sont recrutés en cours de carrière. C'est encore insuffisant, surtout compte tenu de l'augmentation des effectifs que nous voulons réaliser, mais cette aération est déjà très positive. Elle ne remet en rien en question l'importance du rôle des magistrats professionnels. Mais faut-il réellement avoir fait sept ou huit ans d'études pour juger des cas que nous avons dévolus à la justice de proximité ?

M. le Président de la commission - Il faut du bon sens !

M. le Garde des Sceaux - Je vous proposerai en octobre, dans le projet de loi organique, des garanties sur l'indépendance et la déontologie de ces futurs magistrats. Mais je regrette que vous fassiez preuve d'un tel blocage conservateur sur ce point.

Je n'ai rien contre la conciliation ni contre les maisons de la justice et du droit, j'en ai d'ailleurs créé une dans ma ville, mais elles ne permettent pas de juger ! Si elles confortent la politique de sécurité locale, le juge de proximité reste indispensable pour aller plus loin.

S'agissant des 10-13 ans, Monsieur Vallini, vous êtes bien trop averti pour ne pas savoir qu'on ne peut parler de garde à vue ! Il s'agit d'une retenue judiciaire décidée par un magistrat, et non par un officier de police judiciaire. Ne mélangez pas les mots pour faire peur, ce n'est pas très honnête (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

En ce qui concerne les prisons, la réalité s'impose et elle exige que nous construisions et que nous rénovions au plus vite. Je vous ferai part, plus tard, du détail du programme.

M. Dray est intervenu longuement, ce qui est toujours une chance pour nous. J'ai ainsi pu noter certains changements par rapport au discours qu'il tenait cet hiver lorsque nous avions tous les deux soutenu l'idée de centres éducatifs fermés.

M. Julien Dray - Non !

M. le Garde des Sceaux - J'ai dû alors mal comprendre, mais beaucoup de nos concitoyens ont certainement fait comme moi.

Un député UMP - Amnésie !

M. le Garde des Sceaux - Certains ont une amnésie hémiplégique !

M. Dray a également essayé d'exploiter des chiffres sur la délinquance des mineurs, mais je crois qu'on ne peut nier qu'elle a augmenté. S'agissant de la proximité, il a dit que c'est la première fois que l'on pourra juger sans être juge. Mais qu'est-ce qu'être juge ? Cela ne signifie pas avoir passé un concours, mais avoir été nommé par le Président de la République sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

En ce qui concerne la réparation, il faut des mesures concrètes. Monsieur Dray, et il faut des moyens pour cette politique. La loi programme fera en sorte que ce type de réponse soit plus facile à appliquer qu'aujourd'hui. Les décideurs doivent être incités à y recourir, et cela implique que certains freins psychologiques et culturels soient levés.

Je regrette que vous ne compreniez pas que les mesures graduées sont l'esprit même de ce texte. C'est pour cela que nous proposons une palette de réponses, des plus éducatives aux plus répressives, qui doivent s'appliquer en fonction de l'âge et de la gravité des faits. Le juge reste en tout état de cause celui qui décide.

M. Dray a également parlé du « silence assourdissant » du ministre de l'éducation nationale.

M. Julien Dray - Il doit être en vacances !

M. le Garde des Sceaux - Je regrette que vous ne l'ayez pas entendu il y a quelques jours. Sachez donc que M. Ferry et M. Darcos ont convenu que chaque centre éducatif fermé disposerait d'un enseignant principal chargé de l'éducation et de la formation, et qui pourrait recourir lui-même à d'autres intervenants. Quant aux centres de détention, les anciennes prisons pour mineurs, nous porterons une grande attention à leur volet éducatif et notamment à la formation professionnelle, qui est indispensable pour favoriser la réinsertion (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

L'idée du numerus clausus me semble inacceptable, Madame Boutin, en particulier parce qu'elle contraindrait le juge. Le rôle de l'administration pénitentiaire est en effet d'appliquer les décisions des magistrats. Mais nous mènerons une politique d'ensemble diversifiée en mettant l'accent sur l'éducation, la formation et le travail des détenus, et pas seulement des mineurs. Enfin, s'agissant des classes relais, M. Ferry a rappelé sa volonté de les développer. Ce dispositif a apporté des débuts de réponses satisfaisantes.

Mme Guigou a parlé de la justice de proximité, que je viens longuement d'évoquer. Elle a également contesté l'urgence, et j'ai déjà répondu. Elle m'a interrogé sur la carte judiciaire. Notre seule préoccupation n'est pas de réduire les moyens et les coûts. Ce serait en effet paradoxal, au moment où nous voulons développer la justice de proximité ! En revanche, il est indispensable de veiller à ce que les tribunaux, quels qu'ils soient, soient adaptés et maintiennent un niveau de qualité satisfaisant. Il semblerait que certains tribunaux de commerce par exemple soient descendus en dessous de ce minimum. Il faudra donc réfléchir à la modernisation, dans certains cas, de la carte judiciaire. Mais Mme Guigou ne peut pas à la fois me reprocher qu'il y ait trop de choses dans ce texte et qu'il n'y ait pas tout ! Nous traiterons le problème des tribunaux de commerce en temps et en heure. Au cours de huit mois de campagnes électorales, j'ai rencontré des milliers de Français, mais jamais aucun ne m'a parlé de la réforme des tribunaux de commerce. Il y a donc plus urgent !

M. Jacques Myard - C'est le fonds de commerce de M. Montebourg !

M. le Garde des Sceaux - Mme Guigou a également affirmé, et je regrette qu'elle ne soit pas là pour entendre ma réponse, que mon texte faisait le contraire de ce que préconisait le rapport sénatorial sur la délinquance des mineurs. Je crains qu'elle n'ait pas lu soit mon projet, soit le rapport.

Plusieurs députés UMP - Les deux !

M. le Garde des Sceaux - Après ma nomination, ayant appris que MM. Carle et Schosteck avaient rédigé un rapport qui n'était pas encore public, je leur ai demandé de venir me voir. Nous avons travaillé ensemble pendant des heures, ce qui explique que le projet reprenne très exactement les propositions du rapport sénatorial. Je pars en effet du principe que lorsqu'un groupe de parlementaires ont travaillé de façon approfondie sur un sujet, le rôle du Gouvernement est d'en tenir compte dans un texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Un député UMP - Quel changement !

M. le Garde des Sceaux - M. Albertini a souhaité que la justice de proximité aille plus loin. Mais si ce texte est naturellement appelé à évoluer, nous devons faire preuve de prudence et poser de bonnes bases : une ambition excessive serait néfaste. Il a également beaucoup insisté sur l'importance du contenu éducatif en ce qui concerne les mineurs. Je voudrais souligner que toute la philosophie du texte repose sur la confiance que nous avons dans la jeunesse. Pourquoi nous donnons-nous tant de mal ? Parce que le gâchis humain devant lequel nous nous trouvons aujourd'hui est inacceptable dans une société développée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Nous croyons à la liberté et à la responsabilité de la personne humaine, y compris celle des mineurs. Infantiliser ces derniers serait une erreur fondamentale, en plus d'un manque de respect.

C'est notre conception de la nature humaine qui motive notre vision de l'éducation-sanction. C'est parce que nous croyons en la responsabilité individuelle que nous voulons modifier le cours des choses. Il n'y a pas de déterminisme social à la délinquance. Nous avons confiance en la jeunesse (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Braouezec a semblé reprocher au Gouvernement de vouloir frapper vite et fort. Mais je le prends pour un compliment. Il faut agir rapidement et efficacement car la situation d'aujourd'hui n'est plus acceptable.

Plutôt que de « tolérance zéro », nous parlons d'« impunité zéro », ce qui n'est pas la même chose. Nous devons mettre en _uvre les moyens nécessaires pour que toutes les peines soient exécutées, quelle que soit leur nature. M. Braouezec me reproche de ne pas m'attaquer aux causes de la délinquance. Soyons sérieux : je ne suis ni ministre de l'éducation, ni ministre de l'économie, ni ministre des affaires sociales ; je m'occupe de mon domaine : la justice.

Concernant la qualité des juges de proximité, dont s'inquiète aussi M. Braouezec, le mode de recrutement prévu donnera pleine satisfaction.

M. Goasguen a rappelé que le temps des rapports et des tables rondes est révolu. Il faut agir, et c'est ce que nous faisons.

En matière de budget et de loi-programme, il est important d'avoir une visibilité à moyen terme, et c'est bien l'esprit de cette loi.

Monsieur Queyranne, je vous confirme mon attachement aux maisons de justice et du droit. Il faut continuer ce travail de conciliateur, ce qui ne dispense pas ces maisons d'une évaluation : toutes ne fonctionnent pas très bien.

Vous avez évoqué la question très préoccupante du quartier des mineurs de Lyon ; son transfert vers Saint-Joseph est prévu pour la fin de l'année, et nous construirons un quartier de mineurs à la maison d'arrêt de Villefranche, de manière à mettre fin à cette situation de surpopulation.

Je suis d'accord avec M. Estrosi sur la nécessité de rétablir une justice qui protège les individus et les libertés. Il n'y a pas de contradiction entre la liberté et la justice qui sanctionne ! Au contraire ! C'est l'absence de justice, l'absence du glaive, qui menace la liberté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

En termes de justice, les Français attendent beaucoup et il faudra que tout le monde « mouille sa chemise ». Je voudrais remercier Mme Guigou. En énumérant tout ce qu'il fallait faire, elle a rappelé tout ce qu'elle n'avait pas fait ! (Rires)

Puis elle s'est dite satisfaite des centres éducatifs renforcés, avant d'affirmer ne pas voir la différence avec les centres fermés et enfin de se déclarer hostile aux centres fermés. Où est la logique ?

La partie de ce projet relative à la procédure pénale ne dénature pas l'ensemble de la loi sur la présomption d'innocence. Je n'ai voulu y apporter que des corrections.

M. Lurel s'est inquiété de l'insuffisance de l'aspect éducatif : or, je vais ouvrir des écoles dans les prisons et les centres éducatifs fermés, ce qui n'avait jamais été envisagé jusqu'ici.

M. Poniatowski a souligné avec raison l'intérêt de la gradation des mesures et des peines applicables aux mineurs, et a également invoqué le problème du stationnement illégal des gens du voyage. Nous envisageons une modification de la législation en ce domaine (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Il reste que les groupements d'intervention régionaux, qui permettent une bonne coordination entre la police, la gendarmerie, les douanes et les services fiscaux, peuvent apporter des réponses valables à certains problèmes soulevés par les gens du voyage. Les GIR, ça marche !

Mme Taubira s'inquiète de la répartition des compétences entre les juges de proximité et les juges pour enfants. Mais les contraventions de quatrième classe étant jugées par le tribunal de police, nous n'enlevons rien au tribunal pour enfants - l'avant-projet a été corrigé à cet égard.

Je remercie M. Gérard Léonard d'avoir apporté, sans a priori idéologique, son expérience de terrain au débat, et d'avoir souligné l'intérêt des juges de proximité.

M. Lambert a répété que l'enfermement était l'école de la récidive. Nous nous donnons justement les moyens de l'éviter. Vos propos reprennent en fait un certain nombre de poncifs qui révèlent votre refus de tirer les leçons de votre échec.

M. Rivière a apporté une réflexion intéressante, notamment en matière de régulation du contentieux routier.

Mme Joissains Masini a souhaité équilibrer prévention et sanction, et diversifier le mode de recrutement des magistrats. Nous y réfléchirons.

La direction de l'Ecole nationale de la magistrature va changer dans quelques semaines...

Un député UMP - C'est une bonne nouvelle !

M. le Garde des Sceaux - ...et nous aurons l'occasion de nous pencher sur le rôle de cette école, notamment en matière de formation continue, sur l'évolution de son enseignement, avec l'intervention de personnalités diverses de la société civile, de manière à doter nos magistrats d'un savoir qui leur permettra d'assumer pleinement leurs tâches.

Gérard Hamel a évoqué les critiques portant sur le statut du juge de proximité. Dans un souci de sécurité juridique, j'ai choisi de tenir compte de l'avis du Conseil d'Etat. Les premiers recrutements nous permettent d'évaluer la pertinence du dispositif. M. Fenech s'est félicité de la qualité du travail accompli en commission. Notre projet a le mérite d'être adapté au temps présent. Vous avez aussi relevé le passage d'une culture de l'excuse à une culture de la responsabilité. La conception de l'homme qui est la mienne me conduit, dans un souci éducatif, à rechercher cet équilibre. Vous avez justement insisté sur la dimension éducative des centres éducatifs fermés et sur les failles du système actuel.

J'assure à M. Buillard que l'outre-mer ne sera pas oublié dans la répartition des moyens, laquelle tiendra notamment compte des spécificités de la Polynésie française, que je connais bien.

M. Dufau m'a reproché à la fois l'ambition et la pauvreté du texte : voilà un raisonnement que je peine à suivre... M. Deprez souhaite un profond effort de modernisation : je me suis exprimé là-dessus en répondant au rapporteur de la commission des finances.

Madame Boutin, je vous remercie pour votre témoignage humaniste. Les centres éducatifs fermés ont une triple fonction de rééducation, de formation et d'insertion. S'ils allient à leur vocation éducative la menace judiciaire de l'enfermement, c'est précisément pour donner toutes ses chances au volet éducatif. J'assume ce choix, car si nous ne réussissons pas, nous serons contraints d'en faire de plus durs encore.

Mme Maryse Joissains Masini - Tout à fait !

M. le Garde des Sceaux - Quand j'entends certains critiquer les centres éducatifs fermés, je me demande s'ils ne pratiquent pas la politique du pire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

S'agissant du secteur pénitentiaire, je souhaite que nous nous attelions dès la rentrée à la définition d'une politique d'ensemble cohérente qui privilégie la réinsertion.

Vous avez évoqué le cas du Canada, fort intéressant en effet. M. Bédier se rendra bientôt sur place pour l'étudier un peu mieux.

M. Myard a évoqué le délicat sujet de la pénalisation de la société. Nous devrons avoir tous ensemble le courage d'inverser la tendance, ce qui suppose une large concertation. M. Vanneste a insisté avec raison sur la nécessité d'une réponse pénale plus efficace.

Je remercie M. Geoffroy d'avoir rappelé les engagements de certains candidats. Il est vrai que nous assistons à une multitude de petits et de grands reniements... Quant à la collaboration avec le corps enseignant, j'en attends beaucoup, moi aussi.

Je remercie enfin M. Victoria de ses propos sur le juge de proximité, et M. Luca d'avoir rappelé l'urgence d'une réforme et la difficulté de la tâche des personnels pénitentiaires. Je pense souvent à eux.

Notre action se veut déterminée, humaniste et imaginative, dans l'intérêt des plus faibles et des jeunes. J'ai parfois le sentiment que certains ne veulent jamais rien changer, mais je compte sur votre vote (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 40.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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