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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session extraordinaire de 2002-2003 - 3ème jour de séance, 8ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 3 JUILLET 2003

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE

vice-président

Sommaire

      MAÎTRISE DE L'IMMIGRATION ET SÉJOUR
      DES ÉTRANGERS EN FRANCE 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 11

      QUESTION PRÉALABLE 23

      FIN DE LA MISSION D'UN DÉPUTÉ 43

      DÉPÔT DU RAPPORT D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE 44

      SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL 44

La séance est ouverte à quinze heures.

MAÎTRISE DE L'IMMIGRATION ET SÉJOUR DES ÉTRANGERS EN FRANCE

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Je présente aujourd'hui mon cinquième projet de loi en un an. C'est pour moi, à chaque fois, une nouvelle histoire qui commence, un débat qui s'ouvre, une occasion de confronter nos points de vue et d'enrichir notre réflexion.

Le débat relatif à la loi sur la sécurité intérieure a montré que sur certains sujets sensibles, nous étions tous capables de nous retrouver autour d'objectifs communs. Je ne doute pas que nous aurons sur le texte que je vous présente aujourd'hui des débats d'un intérêt comparable. Les projets de loi du ministère de l'intérieur sont au c_ur de problématiques qui traversent notre société. La question de l'immigration se trouve au carrefour de multiples interrogations de nos compatriotes. Mon ambition, c'est que, au terme de ce débat, nous ayons répondu à une partie de ces interrogations.

Face aux difficultés de l'intégration, nos compatriotes mettent en cause la politique migratoire mise en _uvre dans le passé. Face aux perspectives démographiques, à l'élargissement de l'Union européenne, à l'émergence d'un monde de plus en plus ouvert à la libre circulation des idées et des biens, les Français se demandent ce que sera, demain, l'immigration.

Toutes ces questions feront la toile de fond de nos débats, comme elles sont présentes depuis plus d'un an dans la politique migratoire que j'essaie de mettre en _uvre avec Dominique de Villepin et François Fillon.

Je souhaite que nous abordions ce débat avec un grand sens de la responsabilité. Sur ce sujet, en effet, on débat moins que l'on éructe, on se fait des procès d'intention. Pourtant, l'immigration, ce sont d'abord des hommes et des femmes venant chercher en Europe une vie meilleure, et d'autre part, nos compatriotes, qui s'interrogent sur la capacité de la France à demeurer un pays ouvert, tout en conservant son identité et son modèle républicain. La question n'est pas mince !

Or, à propos de l'immigration, la confiance de nos compatriotes dans l'Etat s'est littéralement effondrée. Depuis plusieurs années, le débat sur l'immigration est prisonnier de l'affrontement de deux outrances. D'un côté, on érige en objectif le mythe de l'immigration zéro, alors que 100 000 personnes environ entrent chaque année en France de manière légale ; du reste notre pays doit demeurer un pays d'immigration, car l'immigration, c'est l'ouverture aux autres, l'enrichissement de la culture, la confiance dans l'avenir.

A l'inverse, un autre intégrisme réclame l'ouverture totale des frontières. Discours totalement irresponsable, et à l'évidence incompatible avec la capacité d'accueil de notre pays. Il est de plus contraire à l'intérêt des pays d'origine, qui ne doivent pas être privés de leurs élites. Enfin, il alimente la peur et la xénophobie.

Invoquée au nom des droits de l'homme pour mieux culpabiliser, l'absence de contrôle des flux migratoires affaiblit l'accueil, l'intégration et les droits des hommes et des femmes qui viennent en France dans le cadre d'une immigration légale. Toutes les associations qui _uvrent auprès des étrangers réclament un renforcement de la maîtrise des flux migratoires au bénéfice même de ceux qu'elles aident.

Mais la confiance de nos concitoyens s'est également effondrée quant à la capacité de l'Etat à maîtriser réellement les flux migratoires.

Depuis de nombreuses années, les Français sont abreuvés d'une parole officielle selon laquelle l'immigration serait sous contrôle. Ils voient bien que ce n'est pas le cas.

Non seulement l'immigration légale augmente - de 12 % en 2000, de 15 % en 2001 -, mais l'immigration clandestine explose. Le chiffre habituellement cité de 30 000 clandestins par an, évalué dans les années 1996-1997, n'a plus aucune signification.

M. Claude Goasguen - Bravo !

M. le Ministre - Nous avons reçu 80 000 demandeurs d'asile en 2002, pour un taux de rejet de 85 %, ce qui fait 68 000 déboutés. Nous avons dans le même temps raccompagné 7 500 clandestins. Le calcul est vite fait !

Nos compatriotes n'ont plus confiance en l'Etat pour résoudre ces problèmes parce que l'Etat ne les résout pas. Tous les pays européens subissent la même pression, mais eux ont modifié leur législation : les Danois en juin 2001, les Autrichiens en juillet 2002, les Italiens en septembre 2002, les Britanniques en novembre 2002. La France ne peut rester à l'écart de ce processus, sauf à devenir le maillon faible de l'immigration clandestine en Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Telle est la question, et elle n'est ni de droite, ni de gauche !

Les Français ne sont pas hostiles aux étrangers. En revanche, ils sont au mieux exaspérés, au pire désespérés par l'incapacité de l'Etat à maîtriser les flux migratoires. La xénophobie et le repli identitaire sont les fruits de l'impuissance et du laxisme de l'Etat (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Or, nous ne croyons pas à la fatalité des flux migratoires. Nous pensons que des mesures législatives et administratives efficaces peuvent être prises pour mieux lutter contre les filières d'immigration, qui doivent être tenues pour ce qu'elles sont : des réseaux criminels.

Ainsi, l'organisation de vols groupés pour désengorger la zone d'attente de Roissy, au début de cette année, a eu des effets immédiats sur la pression migratoire en provenance d'Afrique. Alors qu'au début de mars 2003 arrivaient en moyenne à Roissy soixante Sénégalais et cinquante Ivoiriens par semaine, ce flux est passé, dès avril, respectivement à 4 et à 3 personnes. Entre temps, nous avions organisé quatre vols groupés à destination de ces pays... Plus intéressant encore, la réaction ferme de la France a conduit le Sénégal à chercher l'origine de ces filières et à prendre des mesures contre des officines dakaroises qui délivraient les titres de voyage falsifiés.

Les mesures qui renforcent notre maîtrise des flux migratoires doivent être, aussi souvent que possible, adossées à une politique communautaire de gestion des frontières. Contrairement à ce que j'entends parfois dire, l'Europe est une aide en matière d'immigration, et non un handicap ! (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

D'autre part, les pays d'origine doivent être associés à la définition et à l'application de la politique migratoire. Je l'ai fait avec la Roumanie, la Bulgarie, le Mali, le Sénégal, les trois pays du Maghreb ; je le ferai bientôt avec la Chine. Nous devons tourner la page du colonialisme et poser les problèmes sans offenser quiconque. Dire, par exemple, qu'il n'est pas normal que nous ayons délivré, en 2002, 14 000 visas à des ressortissants maliens et obtenu 237 laissez-passer consulaires de retour. Mais dire, aussi, qu'il est anormal qu'il y ait 7 500 Français en situation irrégulière au Sénégal.

J'ai conclu avec les autorités sénégalaises un accord équitable qui n'humilie personne et qui place chacun devant ses responsabilités. Le Sénégal contribue au retour groupé de ses ressortissants en les faisant escorter par ses propres agents. Nous faisons de même avec les ressortissants français en situation irrégulière et un premier retour de quinze personnes a été organisé le 28 juin. La France doit exiger des pays d'origine ni plus, ni moins que ce qu'elle est elle-même prête à accepter. Posée ainsi, la question est plus facile à régler, car il n'est plus question de racisme ni de colonialisme, mais de deux gouvernements responsables qui veulent lutter ensemble contre des criminels qui s'enrichissent de l'argent extorqué aux plus malheureux.

Je pense également que la France ne fait pas assez la différence entre les étrangers en situation régulière et les clandestins. Nous devons avoir une politique d'accueil plus dynamique et promouvoir l'intégration des Français issus de l'immigration et des nouveaux arrivants !

Encouragé par une certaine vision de la société au cours des années 1980, le communautarisme apparaît, et des communautés issues de l'immigration s'organisent pour résister à l'intégration républicaine par des pratiques endogames. Ainsi des jeunes françaises issues de l'immigration sont mariées de force à l'étranger, mais on connaît aussi des jeunes femmes étrangères, mariées et installées en France, mais privées de l'accès à la langue française, à la formation professionnelle et à la vie sociale. Ces pratiques sont inacceptables, car elles sont contraires à l'idéal républicain (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

J'estime enfin que notre pays doit retrouver une politique migratoire. Depuis de trop nombreuses années, il n'en a plus, si bien que la délivrance des visas n'obéit pas à une orientation délibérée, et le volant d'immigration légale est entièrement alimenté par des flux que nous subissons, comme le regroupement familial et les demandeurs d'asile (M. Christophe Caresche proteste). Je ne propose pas de revenir sur le regroupement familial, mais je dis qu'il ne s'agit pas d'une immigration choisie : moins d'un immigrant sur dix est choisi en fonction des besoins de notre économie et de nos capacités d'intégration.

Submergée par l'immigration clandestine, la France ne peut pas augmenter le nombre de ses immigrés en situation régulière. Elle ne peut donc rien proposer aux pays d'origine pour les inciter à s'engager dans une gestion commune des flux migratoires. Je souhaite que notre pays élargisse ses marges de man_uvre pour demeurer un pays ouvert à l'immigration, mais dans un cadre contrôlé.

Cette politique migratoire doit se faire au Parlement. Celui-ci ne peut se borner à préciser dans le détail les conditions de délivrance de tel ou tel titre de séjour tandis que de simples circulaires peuvent faire varier de un à dix le nombre de visas délivrés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Elle doit également associer les élus locaux, et plus particulièrement les maires (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Trop longtemps, l'immigration est restée une question confisquée par les administrations centrales, comme si aucun maire n'était capable d'aborder ce sujet de société avec la modération et le sang-froid nécessaires. Les communes ont pourtant un rôle décisif à jouer. Sans elles, l'intégration n'a aucune chance. Je vous ai fait, dans ce projet, des propositions tendant à renforcer la responsabilité des maires. Je sais que des amendements importants ont été déposés à ce sujet par votre rapporteur. Notre débat sera fondateur.

Politique migratoire, gestion communautaire des frontières, implication des pays d'origine, restauration de la capacité de l'Etat à lutter contre l'immigration clandestine, intégration, implication des élus locaux : telles sont donc mes idées en matière d'immigration. Elles se traduisent dans le projet, qui comprend 45 articles. Une première série de dispositions concerne l'intégration des étrangers en situation régulière. Elles modifient en profondeur l'esprit de l'ordonnance de 1945. Pour la première fois, la notion d'intégration dans la société française est introduite dans notre droit et devient une condition d'accès à la carte de résident (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Cette carte donne droit au séjour pendant dix ans et elle est automatiquement renouvelable. Elle traduit un désir d'installation durable sur le territoire. Elle doit être réservée à ceux qui ont prouvé une réelle volonté d'intégration, car l'on ne peut demander à la société française de vous accueillir pendant une longue période et ne pas avoir le souci de s'y intégrer. C'est de simple bon sens, et je regrette que ce bon sens se soit perdu. Des représentants des maires participeront désormais aux commissions du titre de séjour placées auprès des préfets. Ces commissions verront leurs compétences élargies, et la politique migratoire au niveau local tiendra davantage compte de la réalité (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Enfin, un dispositif vous sera proposé pour lutter contre la stupéfiante augmentation des mariages mixtes célébrés à l'étranger - plus 70 % en 10 ans, en particulier en Algérie, en Tunisie et au Maroc. Ils sont désormais plus nombreux que les mariages mixtes célébrés en France, pour une raison simple : à l'étranger, il n'y a jamais aucun contrôle ! Cela non plus, nous ne pouvons plus l'accepter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Une deuxième série de disposions comblera certaines failles béantes de notre législation. Ainsi, 90 % des sans-papiers sont entrés en France de manière régulière, mais s'y sont maintenus au-delà de la date de validité de leur visa. Notre pays doit rester un pays ouvert au tourisme et aux visites privées et familiales, mais il doit s'assurer du retour des personnes dans leur pays d'origine. A cette fin, il vous est proposé de créer un fichier des empreintes digitales des demandeurs de visa alimenté, à terme, par au moins cent vingt de nos postes consulaires. Il permettra d'identifier sans contestation possible ceux des étrangers qui profitent d'un séjour de courte durée en France pour s'y maintenir, en prétendant avoir oublié d'où ils viennent (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Cette mesure simple résoudra définitivement la question des sans-papiers.

Je pense que la suppression de tout contrôle sur les attestations d'accueil par la loi Réséda du 11 mai 1998 a entraîné une faramineuse augmentation de la fraude, le nombre des attestions d'accueil passant de 160 000 en 1998 à 735 000 en 2002.

M. Alain Marsaud - Incroyable ! Merci M. Chevènement !

M. le Ministre - Il est urgent de rendre aux maires la possibilité d'en refuser la validation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) en cas de logement incompatible avec des conditions normales d'hébergement ou en cas de détournement de procédures, par exemple lorsqu'un hébergeant délivre 15 attestations pour une même période de 15 jours... Soit il a un très grand appartement, soit il se moque du monde. Mais en tout cas, cela mérite une vérification.

Dans le même esprit, le projet comporte plusieurs mesures destinées à lutter contre les mariages et les parentalités de complaisance. Depuis la loi Réséda, le mariage avec un ressortissant français donne automatiquement droit à un titre de séjour, ce qui a entraîné une forte augmentation des mariages de complaisance.

M. Patrick Braouezec - Ce n'est pas vrai !

M. le Ministre - Les premiers titres de séjour délivrés à des conjoints de Français ont augmenté de 470 %, entre 1998 et 2002, tandis que les cartes de résident fondées sur le même motif augmentaient de 70 % (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Plusieurs députés UMP - Bravo pour le laxisme !

M. le Ministre - On peut en tout cas se demander au nom de quoi M. Chevènement donne des leçons de républicanisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; M. Valls applaudit également).

Plusieurs députés UMP - M. Valls applaudit !

M. Manuel Valls - Je n'ai pas oublié le 21 avril !

M. le Ministre - Quand on se trompe tout le temps, on finit par avoir des ennemis partout...

Une troisième série de dispositions est dirigée contre les filières criminelles d'immigration. La lutte contre l'immigration clandestine ne doit pas se tromper de cible. L'un des phénomènes les plus importants de ces cinq dernières années en matière d'immigration est la criminalisation des filières. Les réseaux ont en effet compris que le trafic des clandestins était pour eux plus rentable et moins dangereux que tout autre trafic. C'est ainsi que les réseaux spécialisés dans la drogue se sont « reconvertis ». Il faut bien voir que les victimes des filières sont les clandestins eux-mêmes mais aussi les immigrés légaux, qui souffrent de l'amalgame. Lutter contre les filières, c'est donc - comme lorsque nous nous attachons à rétablir l'ordre dans les cités - protéger les plus pauvres et les plus démunis (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). La générosité est de notre côté, tandis que l'irresponsabilité est du côté de ceux qui ferment les yeux, comme on le faisait à Sangatte, où j'ai trouvé six réseaux criminels de passeurs installés sous la garde de l'Etat dans le fameux hangar ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

L'aveuglement atteint son sommet lorsqu'une série d'associations vilipende ce projet de loi comme attentatoire au devoir de solidarité, alors qu'il ne comporte aucune sanction contre les personnes physiques ou les associations qui apportent une assistance humanitaire à des personnes en situation irrégulière et ne fait qu'appliquer les engagements internationaux pris en 2000 par la France à Palerme, sous le précédent gouvernement, et signés par 112 Etats, dont le Canada, l'Australie, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie. Il aggrave les sanctions contre les passeurs dans trois circonstances : lorsque la criminalité est organisée, ce qui vise les filières - et je ne pense pas qu'il y ait lieu alors de parler d'atteinte au devoir de solidarité ; lorsqu'il y a mise en danger de la vie d'autrui, comme c'est le cas lorsqu'on trimbale des malheureux à fond de cale ou dans des camions réfrigérés sans aération ; enfin, lorsque les conditions de travail et d'hébergement sont indignes de la personne humaine, ce qui vise naturellement les marchands de sommeil et les clandestins. Qui se lèvera ici pour dire que la France a tort d'aggraver les peines dans ces trois cas ? Je compte donc sur votre vote unanime pour adresser un signal fort à ces filières ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Que des artistes se soient laissés piéger par une pétition me désole, mais je pense qu'ils ont eu peu de temps à consacrer à la lecture de mon projet. Par contre, que des associations bien au fait du droit se soient fourvoyées dans une analyse aussi grossière en dit long sur les postures idéologiques dont leur action est constamment animée.

Une dernière disposition, pas la moindre, réforme la procédure de rétention préalable à l'éloignement des étrangers. Avec douze jours, fractionnés en trois périodes et cinq présentations juridictionnelles, la France a le délai de rétention le plus court de toute l'Union européenne et la procédure la plus compliquée.

M. François Loncle - Et les centres les plus pourris !

M. le Ministre - Ces délais sont respectivement de 40 jours en Espagne, deux mois en Italie, 18 mois en Allemagne, illimités en Grande-Bretagne, en Finlande et aux Pays-Bas... J'aimerais que l'on m'explique pourquoi ce qui est considéré comme parfaitement démocratique ailleurs deviendrait en France attentatoire aux libertés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Bien sûr, la rétention préalable à l'éloignement n'est pas une alternative à la prison, et elle doit être réduite au strict nécessaire. Mais il n'est pas acceptable que les décisions d'éloignement, qui sont la simple application de la loi, ne soient pas exécutées ! Qui a demandé aux Français l'autorisation de ne pas les exécuter ?

Les accords de réadmission en cours de négociation par l'Union européenne ouvrent aux Etats d'origine un délai d'un mois pour répondre à une demande de laissez-passer consulaire. Je propose que nous nous calions sur ce délai et que nous portions donc à un mois notre délai de rétention administrative, ce qui nous laissera désormais le temps d'obtenir un laissez-passer consulaire et ce qui évitera que les clandestins s'évanouissent dans la nature passé le délai de douze jours.

La France a la politique d'éloignement la plus faible de toute l'Europe. Nous avons reconduit 7 500 clandestins à la frontière en 2002 sur 40 000 décisions prises. Nous faisons à peu près autant de reconduites que la Belgique et moins que la Suède tandis que l'Allemagne et l'Espagne procèdent à 30 000 reconduites par an. Ces deux pays sont-ils moins démocratiques que le nôtre ?

Il me reste à évoquer un sujet qui m'est cher, une réforme qui semble s'écarter de toute logique politique, un acte de justice que je ne peux faire qu'avec vous. Il s'agit bien sûr de la réforme de la législation relative aux expulsions et aux peines d'interdiction du territoire, médiatiquement appelée « la double peine ». Je souhaite que nous menions franchement ce débat, dans la transparence et avec un souci de pédagogie. Il faut d'abord que nous nous entendions sur les termes. Je sais que l'expulsion est une mesure de police et que l'interdiction du territoire est une peine complémentaire comme il en existe d'autres dans le code pénal. Je sais aussi que certaines peines complémentaires du code pénal ne concernent que les Français et que la peine d'interdiction du territoire n'est donc pas la seule peine discriminatoire de notre législation.

Je vous demande toutefois de ne pas vous arrêter à des arguties juridiques. Nous devons apprécier le bien-fondé de cette législation à la lumière de ses conséquences humaines et sociales.

Je souhaite que nous nous entendions bien sur la portée de la réforme. Il n'est pas question de réformer la peine d'interdiction du territoire lorsqu'elle concerne des personnes en situation irrégulière. Si le séjour est irrégulier, c'est que l'étranger est en France depuis une durée trop brève pour que l'on puisse considérer qu'il y a établi l'essentiel de ses liens privés et familiaux. Sur ce point, nous ne changeons rien.

Par ailleurs, je ne conteste absolument pas le droit, ni même le devoir, pour un pays comme le nôtre, d'éloigner de son territoire les étrangers qui n'y sont venus que pour y commettre des actes de délinquance. La peine d'interdiction du territoire et le régime de l'expulsion sont des instruments efficaces pour écarter de notre pays des étrangers indésirables ; nous ne les changeons pas davantage. Lorsqu'un tel étranger commet un délit, qu'il soit en situation irrégulière ou régulière, il est normal, qu'après avoir effectué sa peine de prison, il soit expulsé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christophe Caresche - Attendez la suite !

M. le Ministre - Ne faites pas le glorieux, vous avez eu cinq ans pour agir... Et ne politisez pas un sujet qui est avant tout humain et qui renvoie chacun à sa conscience. Quand un homme politique croit que quelque chose est juste, il ne doit pas attendre que l'opinion soit prête, il doit agir et convaincre : c'est ce que j'essaie de faire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

En revanche, pour des étrangers qui ont construit toute leur vie en France, qui sont des étrangers de jure mais des Français de facto, l'interdiction du territoire est sans commune mesure avec les autres peines complémentaires de code pénal. Etre arraché à ses enfants français, à son épouse française, est cruel ; aucune autre sanction pénale n'est aussi grave.

Certains, parmi nous, considèrent que le fait de ne pas posséder la nationalité française justifie l'application d'un régime pénal spécifique. Je respecte cette opinion, qui est le signe d'un attachement à la nation. Mais pour ma part, je considère que ce n'est pas parce qu'une personne n'a pas la nationalité française que ses chances de réinsertion doivent être à jamais compromises et que sa famille doit être punie avec elle. Un même délit doit entraîner une même peine, ni plus, ni moins ; on ne saurait accepter de punir des innocents. C'est injuste, c'est cruel, et de surcroît c'est totalement inefficace.

Quatorze mois d'expérience au ministère de l'intérieur me l'ont bien prouvé. Un homme qui a construit toute sa vie en France, qui laisse sa femme et ses enfants parce qu'il est expulsé n'a de cesse de revenir. La double peine entretient la clandestinité.

M. Bruno Le Roux - Très bien !

M. Patrick Braouezec - C'est pareil pour les sans-papiers !

M. le Ministre - Comment convaincre les Algériens d'accepter chez eux un homme de trente ans qui a vécu toute sa vie en France ? Comment renvoyer au Maroc un homme qui a une femme française et six enfants français, et espérer qu'il ne reviendra pas alors que femme et enfants restent en France ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

MM. Manuel Valls et Bruno Le Roux - Très bien !

M. le Ministre - Il y aura donc trois catégories de personnes. Les étrangers qui commettent une faute en France, y purgent une peine de prison et en sont expulsés ; les Français qui commettent une faute en France, y purgent une peine de prison et y restent...

M. Jean-Claude Lefort - Quand même !

M. le Ministre - Enfin pour ceux qui sont Français de fait et étrangers en droit - parce qu'ils sont arrivés en France avant l'âge de 13 ans, parce qu'ils sont en France depuis plus de vingt ans ou parce qu'ils ont une femme française, des enfants français -, pour ceux-là je propose qu'il n'y ait pas d'expulsion, sauf dans deux cas.

D'abord, le terrorisme, non parce qu'il serait plus grave que le viol ou le trafic de drogue, mais parce qu'on ne saurait rester dans le pays contre lequel on a comploté au nom d'intérêts étrangers (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Ensuite, l'atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, c'est-à-dire l'espionnage, pour la même raison (Mêmes mouvements).

Je conclus. Ma conviction, qui n'a rien à voir avec des considérations tactiques, est qu'on peut agir en France beaucoup plus fort, beaucoup plus vite et beaucoup plus complètement qu'on ne le croit, à une seule condition : que les Français aient le sentiment que cette action est juste et équilibrée. Je vous l'assure, non seulement la double peine ne sert pas la politique que nous voulons mettre en _uvre, mais elle la complique, car elle permet à certains de la caricaturer. Evitons cette caricature et nous aurons le soutien de tous les Français !

Ce débat sur l'immigration n'est pas médiocre. Nous allons être regardés, écoutés. Montrons notre capacité à parler sereinement, fortement, raisonnablement, sans excès. Peut-on, sur des sujets de cette nature, dégager une majorité qui aille au-delà de la nôtre ? Je l'espère de toutes mes forces car la question de l'immigration est décisive pour le pacte républicain et pour la confiance des Français dans l'Etat et dans la classe politique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois - Il était temps de revoir notre politique d'immigration. Comme pour la loi sur la sécurité intérieure, Monsieur le ministre, vous avez choisi d'agir et nous ne pouvons que vous en féliciter car trop de temps a été perdu.

Depuis trop longtemps, la France n'a plus de politique d'immigration. Malgré la pression exercée à nos frontières, le nombre croissant des « sans papiers » et la décomposition de notre tissu social, nous avons continué à subir les phénomènes migratoires sans nous donner les moyens d'intégrer les étrangers installés sur notre sol. Je ne reviendrai pas sur les errements de la loi votée par la gauche plurielle en 1997, aux effets désastreux, mais je voudrais rappeler quelques réalités incontestables. A plus de 90 %, les étrangers « sans papiers » sont entrés sur notre territoire de manière tout à fait légale avec un visa. Simplement, ils n'en sont jamais repartis... Or entre 1996 et 2001, le nombre des visas délivrés est passé pour les Maliens de 7 000 à 28 000, pour les Chinois de 34 000 à 91 000 et pour les Marocains de 59 000 à 146 000. Quant au nombre des attestations d'accueil, il est passé de 120 500 en 1996 à plus de 735 000 en 2002.

Or, à peine 20 % des mesures d'éloignement ont été exécutées et cette faiblesse de notre pays est connue des filières d'immigration clandestine. Une rupture était donc indispensable.

Ce projet sera l'un des textes forts de notre législature. Alliant pragmatisme et équilibre, générosité et fermeté, vous avez choisi de traiter les problèmes concrets et de combler les failles de notre législation plutôt que d'énoncer de grands principes inapplicables comme l'avait fait la gauche.

Ne caricaturons pas ce débat. La France, que nous représentons tous dans cet hémicycle restera un pays d'accueil et d'immigration. Nous sommes ici tous conscients de ce qu'elle doit aux étrangers qui se sont installés sur son territoire. Aujourd'hui, près de 3,3 millions d'étrangers vivent de façon régulière sur notre sol et chaque année, ils sont 100 000 à venir s'y installer durablement.

Mais nous rejetons catégoriquement tous les extrémismes, tant celui des idéalistes qui veulent accueillir toute la misère du monde, que celui des irréalistes qui rêvent d'une immigration zéro.

La France restera un pays ouvert à tous ceux qui acceptent et partagent nos valeurs républicaines. Pourtant, force est de constater que le modèle français d'intégration est cassé, faute d'une réelle volonté politique. Votre projet, Monsieur le ministre, pose la première pierre d'une nouvelle politique d'immigration. Vous êtes en train de nous démontrer que l'on peut maîtriser l'immigration et non plus la subir. Le projet est équilibré, il évite les écueils. Vous êtes plus ferme sur l'immigration clandestine et vous protégez mieux les étrangers régulièrement installés sur notre sol.

Notre commission a adopté la même démarche pragmatique. J'ai veillé à ce qu'un véritable débat puisse avoir lieu, indépendamment des clivages partisans. Tous les commissaires ont été conviés à une quarantaine d'auditions - et l'opposition y était régulièrement présente. Nous nous sommes déplacés sur le terrain, y compris dans plusieurs préfectures, dans la zone d'attente de Roissy, dans des centres de rétention et au tribunal de grande instance de Bobigny. Vous-même, Monsieur le ministre, êtes venu deux fois devant notre commission.

Notre travail a d'abord consisté à rendre l'ordonnance de 1945 plus lisible et donc accessible à tous. Ensuite nous avons cherché à améliorer le projet avec trois objectifs : rendre les procédures plus efficaces, lutter contre les détournements, trouver un juste équilibre dans la réforme de la double peine.

En matière de procédures, le projet applique les principes de la future directive européenne sur le statut des résidents de longue durée : il ne sera donné qu'aux personnes qui, après un séjour de cinq ans, remplissent plusieurs critères d'intégration. D'autre part, le projet modifie la composition de la commission des titres de séjour ; nous avons choisi d'y inclure aussi le directeur départemental du travail et une personne qualifiée en matière de sécurité publique.

Nous avons également décidé de permettre l'audition du maire de la commune où vit l'étranger concerné. C'est d'ailleurs l'un des points forts du projet que ce renforcement du rôle des maires (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) et j'ai du mal à comprendre la suspicion de certains à l'égard des 36 000 maires de France...

Dans la même logique, nous vous proposerons de pouvoir substituer les services communaux à ceux de l'OMI pour la vérification des conditions de logement et de ressources requises pour la délivrance de l'attestation d'accueil et pour le regroupement familial.

Par ailleurs, la commission a introduit deux nouveautés concernant les procédures : elle a adopté un amendement de MM. Estrosi et Vanneste permettant de recourir à des sociétés privées pour le transfèrement des personnes placées en zone d'attente ou en centre de rétention et elle a encadré l'exercice de la profession d'interprète en imposant des règles minimales de compétence et de secret professionnel. Aujourd'hui n'importe qui peut se déclarer interprète dans un commissariat ou un tribunal et des policiers nous ont appris que certains interprètes étaient membres de filières et rapportaient toutes les déclarations des individus au chef du réseau.

Le deuxième objectif de notre commission a été d'éviter les détournements de procédure. Le projet rétablit un contrôle effectif des attestations d'accueil - il était temps ! - et rend aux maires les pouvoirs supprimés par la gauche. Notre commission a décidé de ramener le délai de rejet implicite de l'attestation d'accueil à un mois.

Par ailleurs, il sera désormais possible de demander une contre-expertise à une commission médicale régionale quand un étranger demande un titre de séjour en arguant de l'impossibilité de se faire soigner dans son pays.

Nous avons aussi décidé de lutter contre le développement des demandes de regroupement dits « sur place ». Le nombre des personnes ainsi admises au séjour s'est élevé, en 2001, à 2 808. A Paris, près de 900 décisions ont été rendues, en 2002, sur des dossiers de ce type.

Pour éviter que ce phénomène ne prenne des proportions inquiétantes, la commission des lois a adopté un amendement sanctionnant les demandes de regroupements familiaux illégaux par le retrait du titre de séjour du demandeur.

Pour lutter contre les détournements de la procédure de l'asile à la frontière, nous proposons que la demande d'asile ne soit recevable que si elle est formulée dans les cinq premiers jours. Par ailleurs, lorsqu'un étranger non admis déposera une demande d'asile dans les quatre derniers jours de la durée légale de son maintien en zone d'attente, celle-ci sera prorogée d'office de quatre jours, afin d'éviter de devoir relâcher dans la nature les personnes ayant présenté une demande en dernière minute.

Enfin, il a été décidé d'introduire une procédure de contrôle des documents d'état-civil présentés par les étrangers pour lutter contre un phénomène de fraude qui s'est développé ces dernières années et qui concerne jusqu'à 80 % des ressortissants de certains Etats.

Enfin, le Gouvernement propose de réformer ce qu'il est convenu d'appeler la « double peine ». Ce sera l'honneur de cette majorité d'agir dans un domaine où d'autres ont multiplié colloques et tables rondes sans prendre de mesures concrètes (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Cette réforme vise à mieux prendre en compte la vie privée et familiale des étrangers ayant commis des actes de délinquance avant toute décision d'éloignement.

En effet, il est fréquent que ces étrangers aient perdu toute attache réelle avec leur pays d'origine et aient une famille et des enfants français.

La réforme permettra de concentrer les efforts de la puissance publique sur l'exécution des mesures d'éloignement réellement applicables.

Ce texte ambitieux est le symbole d'une volonté politique claire au service d'une souveraineté retrouvée.

Conscient des difficultés du terrain et évitant les écueils idéologiques, vous avez choisi, Monsieur le ministre, de combler les lacunes de notre législation.

Demain, je souhaite que la France développe une politique volontariste d'immigration. Lors de votre audition devant notre commission, vous avez exposé votre volonté de constituer de véritables « filières positives d'immigration », citant l'exemple du Mali et de la Roumanie où cette nouvelle démarche commence à fonctionner. C'est la seule qui permette, à terme, d'avoir une réelle politique en ce domaine.

C'est ainsi que nous reprendrons le contrôle de notre politique migratoire et créerons une nouvelle voie, celle du codéveloppement avec des pays qui attendent beaucoup de la France.

Notre responsabilité, aujourd'hui, est de ne pas les décevoir, mais aussi de montrer aux Français notre détermination à rétablir la souveraineté de l'Etat. Monsieur le ministre, vous l'avez déjà fait sur la sécurité, vous le faites aujourd'hui pour l'immigration. Ce texte nous satisfait pleinement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - A mon tour, je remercie le ministre d'avoir été totalement disponible et d'avoir répondu à toutes nos questions. Votre projet a permis un travail en commission dans une atmosphère étonnamment pacifiée. Et cela tient au contenu même de votre texte.

D'une part, il permet d'accueillir les étrangers. Si nous n'avons pas réglé le problème de l'immigration en France...

M. Christian Vanneste - ...c'est parce que les socialistes étaient au pouvoir !

M. le Président de la commission - Je ne pense pas qu'on puisse dire cela. C'est collectivement que nous n'avons pas su clarifier le problème, et c'est ce qu'a réussi le ministre de l'intérieur aujourd'hui. J'avais tenté de comprendre la loi Réséda dans son intégralité. Cela a beau être mon métier, je n'y étais pas parvenu ! C'était une loi bâtie par des intellectuels, pour des intellectuels. Mais nous avons tous compris le projet de loi du ministre de l'intérieur. C'est un bon signe ! Et si on la comprend, on n'est pas loin d'y adhérer.

En effet, une de ses principales préoccupations est d'accueillir. Pour cela, il faut être capable de mesurer l'immigration. Dans le cas contraire, on s'expose à gonfler les chiffres des clandestins et donc à aggraver les réactions de rejet. On laisse venir les étrangers sur le pas de notre porte, mais on ne l'ouvre surtout pas ! C'est le contraire de l'accueil. Or, jusqu'à présent, la France n'a pas accueilli ses immigrés : elle les a tout au mieux subis, voire rejetés ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

L'idée originale et courageuse de Nicolas Sarkozy a été d'expulser le concept d'immigration zéro. Il faut dire que l'actuelle majorité est longtemps tombée dans le panneau !

M. Claude Goasguen - Non !

M. le Président de la commission - Parce qu'aujourd'hui la question a été clarifiée, nous savons où nous allons. Nous compterons tous les ans de nouveaux immigrés, mais le flux sera maîtrisé, ce qui nous permettra de bien les accueillir et de leur offrir ce que nous avons de mieux, c'est-à-dire notre style de vie et notre système économique et social.

M. Serge Blisko - Le fromage !

M. le Président de la commission - Accueillir véritablement les étrangers, c'est leur laisser franchir le seuil de nos portes et en faire soit des Français, soit des étrangers qui acceptent les us et coutumes de la France et lui apportent les leurs, pour en faire quelquefois un melting pot culturel. Ce débat avait besoin d'être pacifié. Jusqu'à présent, si on voulait l'ouvrir, on passait pour être d'extrême droite et si on ne voulait pas, on paraissait encourager l'immigration clandestine et donc le rejet des étrangers. Aujourd'hui, on sait que les lois de la République seront finalement respectées. C'est une avancée majeure : on accepte l'autre si l'on sait qu'il accepte les lois de la République.

Je ne reviendrai pas sur toutes les modifications techniques qui sont envisagées, sauf pour espérer que nous ne passerons pas des heures sur la règle des 32 jours ! Nous savons tous que 12 jours étaient un délai ridicule qui ne permettait pas d'obtenir l'accord consulaire du pays étranger, et la France conserve la durée de rétention la plus courte. Autre idée de bon sens qui ne doit pas être détournée de notre préoccupation d'accueil et de pacification : le fichier des empreintes digitales, qui permettra de lutter contre l'amnésie d'un certain nombre d'immigrés.

Enfin, ce projet a pour souci d'intégrer. Le deuxième gouvernement Chirac avait créé une commission sur l'acquisition de la nationalité. J'avais été sincèrement heureux qu'elle affirme que cette acquisition ne se faisait plus automatiquement, mais après accord de l'intéressé.

M. Christian Vanneste - Très bien !

M. le Président de la commission - Aimer la France, cela vaut bien une déclaration d'amour ! Le gouvernement suivant est revenu sur cette disposition. J'en ai personnellement souffert, eu égard à l'idée que je me fais de mon pays. Aujourd'hui, les critères d'intégration me permettent de renouer avec cette déclaration d'amitié. On demande aux étrangers de s'intéresser à notre langue et de prouver leur volonté d'intégration.

Le poète La Tour du Pin a écrit que « tout homme est une histoire sacrée ». Le souci de l'homme doit guider toute notre législation, et c'est le souci constant de ce projet. Ceux qui aiment la France et ceux qui aiment l'homme s'y retrouveront (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Christophe Caresche - L'immigration occupe le débat politique depuis de nombreuses années. La législation sur les étrangers n'a cessé d'être modifiée et l'ordonnance de 1945 est l'un des textes les plus remaniés de notre droit. Pourquoi l'Assemblée nationale et les gouvernements successifs ont-ils périodiquement voulu la modifier ? S'agit-il de définir une véritable politique d'immigration ou de lancer un débat dont on sait qu'il charrie les craintes, les peurs et les fantasmes d'une partie de nos concitoyens ? S'agit-il de répondre sérieusement à la complexe question des flux migratoires ou d'exploiter la peur de l'autre dans un contexte de mondialisation qui menace l'identité nationale ? Monsieur le ministre, vous nous trouverez toujours disponibles pour élaborer avec vous une politique d'immigration ouverte et maîtrisée. Mais nous dénoncerons aussi la vision dangereuse qui fait de l'immigré, étranger et Français, un délinquant en puissance. Nous nous opposerons à l'image de l'immigré fraudeur véhiculée dans l'espoir de rallier le suffrage d'électeurs égarés.

Par certains aspects, votre projet cède à cette tentation. Il est excessif, par exemple dans la remise en cause du séjour des étrangers en condition régulière et qui ont vocation à rester dans notre pays. Vous allongez le délai d'obtention de la carte de résident. Un bon connaisseur du problème, reconnu par tous, Patrick Weil...

M. le Président de la commission - Le père de la loi Réséda !

M. Christophe Caresche - Oui. Il estime que votre loi est la plus répressive depuis la Libération. Pourquoi avoir touché à la carte de résident, celle qui donne un projet d'avenir aux étrangers dans notre pays ? C'est un coup porté à l'intégration des étrangers en situation régulière. Nombre d'entre eux se retrouveraient dans la précarité avec des cartes temporaires, au moment où l'intégration est un défi majeur pour notre pays.

Ce texte est aussi excessif dans la lutte contre l'immigration clandestine. On a le sentiment d'une traque obsessionnelle (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). L'étranger est tenu de se dévoiler presque dans son intimité (M. Goasguen s'exclame).

M. le Rapporteur - C'est vous qui êtes excessif !

M. Christophe Caresche - Il doit quand même rendre compte de ses intentions et de sa vie privée, voire sentimentale ! Je ne nie pas l'existence de la fraude et la nécessité de la combattre, mais les moyens que vous proposez paraissent disproportionnés et parfois peu efficaces. Pourquoi rallonger autant le délai de rétention, au risque d'une censure du Conseil constitutionnel ?

M. le Président de la commission - Il n'y a aucun risque !

M. le Rapporteur - C'est le plus court d'Europe !

M. Christophe Caresche - Vous savez, Monsieur le président de la commission, que le Conseil se prononce au vu de la Constitution, non des expériences de nos voisins ! Dans le projet Réséda, la durée avait été portée à quinze jours et le délai de rétention en zone d'attente est de vingt jours. Nous étions donc tout prêts à discuter de quelques jours supplémentaires, qui auraient suffi à obtenir le résultat que vous visez. Alors pourquoi 32 jours ? Pourquoi créer un délit pour les mariages de complaisance, avec non seulement des peines très lourdes, et donc a priori dissuasives, mais encore une procédure complexe et attentatoire à la liberté du mariage, qui l'interdit de fait pour les étrangers en situation irrégulière ? Pourquoi ce soupçon exagéré sur les paternités de complaisance ? Il faudra nous donner des éléments précis pour nous convaincre que cette situation n'est pas complètement marginale !

M. Eric Raoult - Et l'état civil du XVIII?

M. Christophe Caresche - Monsieur le ministre, vous avez eu la main trop lourde pour tous ceux qui sont attachés à la dignité des personnes, françaises ou étrangères, et au respect des libertés individuelles.

Après le 21 avril, nous aurions pu espérer le rassemblement des républicains sur une vision commune de l'immigration.

M. Claude Goasguen - Nous aussi !

M. Christophe Caresche - Il y a eu des avancées réelles sur la question de la double peine, et je vous donne acte, Monsieur le ministre, de votre engagement personnel. Nous les voterons d'ailleurs, si votre majorité ne les remet pas en cause. Nous ne jouerons pas la politique du pire.

Mais vous privilégiez une conception négative de l'immigration qui fragilisera la situation des étrangers vivant sur notre sol et remettra en cause certaines libertés fondamentales.

L'aménagement de la double peine - qui aurait dû faire l'objet, logiquement, d'un projet de loi séparé - ne sert-il pas d'alibi aux autres mesures de ce texte, pour la plupart restrictives ? Mais je suis certain, Monsieur le ministre, qu'une telle pensée vous est étrangère.

Cette conception négative de l'immigration nous inquiète, qui accrédite l'idée d'une France déclinante, soumise à une irrépressible poussée migratoire. C'est là une représentation doublement fausse. La France vieillit, certes, mais elle est le pays d'Europe où la dénatalité est la moins forte. Il est d'ailleurs regrettable que le Gouvernement, à l'occasion du débat sur les retraites, ait donné l'image d'une France cacochyme dans le seul but de réduire le niveau des pensions (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Manuel Valls - Très bien !

M. Christophe Caresche - Notre pays conserve une vitalité nataliste qui ne justifie pas les scénarios catastrophiques bâtis par certains.

Cette représentation est également fausse car elle véhicule l'image d'une immigration incontrôlée. Or, la France a stabilisé depuis plus de 20 ans la part des immigrés dans sa population.

La thèse du déclin et celle de l'envahissement sont les deux faces d'une même monnaie et il faut les combattre l'une et l'autre.

Malgré l'appréciation critique que nous portons sur votre projet, Monsieur le ministre, nous ne nous opposerons pas à tout et sur tout. La droite, dites-vous, a renoncé à la thèse de l'immigration zéro, et c'est une bonne chose. Les socialistes, quant à eux, reconnaissent la nécessité d'une maîtrise des flux migratoires. Nous ne sommes pas les adeptes d'une ouverture inconsidérée de nos frontières que rien ne justifie et dont les conséquences risqueraient de déstabiliser la cohésion de notre société.

La nécessaire maîtrise des flux migratoires suppose des mesures de contrôle à nos frontières et de lutte contre l'immigration clandestine. Mais ces mesures doivent être proportionnées, motivées par des situations réellement constatées, et elles doivent respecter les libertés fondamentales. Quelle politique d'immigration voulons-nous pour notre pays ? La France est de longue date un pays d'immigration, et tout indique qu'elle le restera.

Durant trop longtemps, nous avons, à droite mais aussi parfois à gauche, propagé l'idée fausse que l'immigration était stoppée. Cela n'a jamais été le cas. Cette idée a conduit à une double impasse.

En premier lieu, la réalité de l'immigration n'a pas été assumée publiquement et officiellement. C'est une faute qui a donné du crédit aux idées les plus absurdes, laissant croire que la France pouvait fermer ses frontières au monde.

Nous n'avons pas expliqué aux Français pourquoi notre pays avait besoin d'immigration et quel niveau d'immigration était souhaitable : compte tenu de sa démographie, de ses besoins économiques, quel est le nombre d'immigrés que nous sommes prêts à accueillir dans les prochaines années ?

A aucun moment, Monsieur le ministre, vous ne fixez d'orientation ou d'objectifs, même généraux.

Considérez-vous que le niveau actuel - environ 130 000 étrangers entrent dans notre pays chaque année - est satisfaisant ? Faut-il réduire ce flux ou aller plus loin ? Si vous avez renoncé à l'idée de l'« immigration zéro », vous n'êtes pas encore prêt à afficher publiquement une politique d'accueil de plusieurs dizaines de milliers d'étrangers.

La deuxième impasse a été la mise en _uvre de politiques restrictives. Ce fut le cas avec la loi dite « Pasqua », dont les conséquences ont été catastrophiques.

M. Claude Goasguen - Moins que la vôtre !

M. Christophe Caresche - Elle a tari le flux migratoire, détournant de notre pays de nombreux étrangers - je pense notamment aux étudiants - qui avaient vocation à y venir.

M. Gérard Léonard - C'est faux !

M. Christophe Caresche - Elle a créé des situations juridiques inextricables en mettant en cause le droit de vivre en famille ; elle a engendré cette nouvelle catégorie d'étrangers « ni expulsables, ni régularisables ».

Et puisque vous invoquez souvent l'héritage, la situation que vous a laissée la gauche en matière d'immigration n'est pas comparable à celle dont celle-ci a hérité en 1997 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). La France connaissait alors une situation explosive, liée aux conséquences de l'application de cette loi Pasqua.

M. Claude Goasguen - Que faites-vous de la loi Chevènement ?

M. Christophe Caresche - C'est dans ces circonstances que la gauche a dû procéder aux régularisations, et que la loi de 1998 a permis de retrouver un flux migratoire plus conforme aux besoins de notre pays et d'instaurer un dispositif de « régularisation au fil de l'eau » dont vous faites d'ailleurs l'éloge dans l'exposé des motifs de votre projet.

Convenez qu'avec la loi dite Réséda de 1998, nous étions sortis des ornières dans lesquelles nous avaient précipités les lois de 1993 puis de 1997, dictées par cette conception absurde de « l'immigration zéro ».

M. Jean-Luc Warsmann - Toujours l'autosatisfaction !

M. Christophe Caresche - Votre majorité avait combattu cette loi avec beaucoup de véhémence et des propos parfois extrêmement choquants.

M. Claude Goasguen - Nous nous étions faits traités d'esclavagistes !

M. Christophe Caresche - Nous verrons au cours de ce débat si elle a changé, mais on peut en douter à voir certains amendements.

La part des étrangers dans la population française est donc stable depuis vingt ans. Le solde migratoire entre le recensement de 1990 et celui de 1999 a été selon l'INSEE de 630 000 personnes, ce qui représente en moyenne 70 000 personnes par an. Ce chiffre est très comparable avec celui du Royaume-Uni, mais nous place très loin derrière l'Allemagne, qui a connu, il est vrai, des circonstances historiques exceptionnelles.

Il est donc faux de prétendre que la France a connu ces dernières années un flux migratoire incontrôlé.

Sur le plan démographique, notre pays enregistre moins que d'autres une baisse de la fécondité. Ce « mouvement de ciseaux » qui associe une forte hausse de l'immigration à une forte baisse de la fécondité ne s'y observe pas comme en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Mais le maintien de sa population active, notamment pour payer les retraites...

M. Claude Goasguen - Nous avons déjà entendu cela.

M. Jean-Luc Warsmann - Nous sommes passés à un autre débat !

M. Christophe Caresche - ...suppose de conserver un apport migratoire au moins égal à celui que nous connaissons aujourd'hui. Selon un récent rapport du Commissariat du Plan, « la France pourra conserver les effectifs de sa population d'âge actif sur le demi siècle qui vient si sa fécondité reste voisine du seuil de remplacement et si elle continue d'accueillir des immigrants au rythme d'environ 120 000 par an en migration nette.

Au-delà de notre tradition, c'est notre intérêt.

Malgré le niveau de chômage élevé, certains secteurs d'activité économique ont besoin de l'immigration. Des pans importants de notre économie ne fonctionneraient pas sans la contribution de l'immigration. Ne pas le reconnaître, c'est encourager le travail clandestin.

M. Claude Goasguen - Nous n'avons jamais dit le contraire.

M. Christophe Caresche - Comment ne pas dénoncer l'hypocrisie qui consiste à sanctionner lourdement des étrangers en situation irrégulière et à fermer les yeux sur ceux qui les exploitent ?

Vous proposez de créer un délit destiné à sanctionner les mariages de complaisance et vous prévoyez des peines très lourdes allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement, 30 000 € d'amende, la confiscation des biens, l'interdiction du territoire français pour cinq ans. Quel est le quantum de peine pour un employeur qui exploite le travail clandestin ? Six mois d'emprisonnement et 50 000 F d'amende.

M. le Rapporteur - Il y a un amendement à ce sujet.

M. Christophe Caresche - Il y a deux poids et deux mesures, et cela dénote une certaine complaisance envers le travail clandestin.

M. le Ministre - Pourquoi n'avez-vous rien fait ?

M. Christophe Caresche - On pourrait même penser à une volonté inavouable de maintenir la précarité des étrangers qui fournissent ainsi une main-d'_uvre taillable et corvéable à merci.

M. Claude Goasguen - Discours passéiste !

M. Christophe Caresche - Reconnaître le rôle de l'immigration dans le domaine économique, c'est se donner les moyens d'une meilleure efficacité et d'une plus grande transparence.

Sait-on, par exemple, que quatre mille informaticiens étrangers ont été recrutés à la demande des entreprises françaises - en toute confidentialité - par une circulaire du directeur de la population et des migrations ? L'Allemagne, elle, a recruté 8 000 informaticiens en créant un titre de séjour spécial et en publiant des formulaires sur internet pour susciter des candidatures ! Il en va de même pour le secteur médico-social avec recrutement de personnel étranger notamment pour compenser la pénurie d'infirmières.

Ces questions mériteraient d'être débattues par la représentation nationale. Or, on a le sentiment que notre pays mène, dans ce domaine, une politique honteuse, j'allais dire clandestine.

M. Claude Goasguen - C'est la vôtre !

M. Christophe Caresche - Oui, le débat devrait être ouvert sur la question de l'immigration économique, même dans un contexte économique et social difficile. La France doit-elle s'inspirer de systèmes de quotas ou de points comme il en existe ailleurs ? Il s'agit bien de cela, quand vous nous dites, Monsieur le ministre, que la France doit choisir l'immigration plutôt que de « subir » le regroupement familial. Mais il est regrettable que votre texte se contente de faire ce constat et ne propose rien.

Définir une véritable politique d'immigration, c'est aussi l'inscrire dans l'Union européenne. L'harmonisation des législations est une nécessité, mais elle ne doit pas être le prétexte à des reculs avant même que les directives ne soient adoptées.

Nous regrettons notamment que vous nous proposiez d'anticiper des dispositions relatives au statut de résident.

M. Claude Goasguen - C'est que nous avons encore une législation nationale !

M. Jean-Luc Warsmann - Si je comprends bien, votre première proposition consiste à attendre !

M. Christophe Caresche - La procédure habituelle consiste bien à transposer les directives en droit interne, et non à les anticiper !

Le Gouvernement tend à introduire des mesures restrictives dans notre législation. A cela, l'harmonisation européenne ne doit pas servir de prétexte.

Mais, depuis quelques années, on assiste à une véritable course entre pays européens, qui adaptent leurs législations respectives avec pour seul objectif que le flux migratoire se reporte ailleurs. Ce malthusianisme inquiétant est dangereux pour l'avenir.

L'Europe doit définir une politique d'immigration en tenant compte de la diversité des pays qui la composent. Un cadre commun est certes nécessaire, mais chaque pays doit pouvoir continuer à définir une politique migratoire qui lui soit propre, en cohérence avec les autres.

M. Jean-Luc Warsmann - Et la convention de Palerme ? Vous reniez votre signature !

M. Christophe Caresche - Nous n'approuvons pas la manière dont vous vous servez de l'harmonisation européenne pour justifier l'alignement par le bas de notre législation.

M. Jean-Luc Warsmann - J'ai du mal à suivre votre démonstration, sinueuse sinon contradictoire...

M. Christophe Caresche - Mais votre texte ne concerne pas seulement l'immigration clandestine. Il traite aussi des conditions de séjour des étrangers en situation régulière. Ce volet, s'il n'est pas celui dont on parle le plus, n'est pas le plus anodin, non seulement parce qu'il concerne des millions de personnes mais aussi parce que ses conséquences seront importantes pour beaucoup d'entre elles.

En vérité, cet aspect de votre projet est sans doute le plus contestable et le plus inquiétant, car il met en péril l'intégration de ces personnes en rendant leur séjour précaire.

Ainsi, un étranger titulaire d'une carte temporaire devra désormais attendre cinq ans au lieu de trois pour pouvoir prétendre à une carte de résident, seul titre permettant un véritable accès au travail. Encore cette possibilité est-elle limitée par de nouvelles conditions, puisqu'elle est « subordonnée à l'intégration satisfaisante de l'étranger dans la société française ». Pour le Gouvernement, l'intégration n'est donc pas le résultat d'un processus mais un préalable à cette installation. Curieuse conception, qui aboutit à compromettre l'intégration de ceux-là même dont on exige des preuves d'intégration ! Autant dire que nous ne partageons pas cette orientation qui, de toute évidence, risque de produire l'effet inverse de celui recherché. De plus, le travail des préfectures s'en trouvera singulièrement alourdi...

M. Jacques-Alain Bénisti - Mais non ! Simplifié au contraire !

M. Christophe Caresche - ...puisque chacun viendra tous les ans reformuler la demande.

Par ailleurs, les critères d'évaluation de l'intégration ne sont pas suffisamment précis. Il s'agit d'un « faisceau d'indices » qui peut être diversement apprécié ; ce flou législatif laisse la porte ouverte à l'arbitraire et donc à des inégalités.

S'agissant du regroupement familial, le projet supprime la délivrance de plein droit d'une carte de résident aux membres de la famille qui rejoignent un étranger. Ainsi, au sein d'une même famille, les uns auront une carte de résident, les autres une carte de séjour temporaire, et donc des droits et des perspectives d'intégration différents.

On imagine aisément combien cette disparité de statuts peut fragiliser, voire ébranler la stabilité des familles étrangères. Dans la solitude et l'angoisse de l'exil, c'est la force de l'union qui permet à une famille de surmonter les difficultés. En individualisant les cas, on introduit un déséquilibre qui peut être néfaste pour la cohésion de la famille et ses chances de réussite.

Vous l'avez compris : nous n'avons pas la même analyse de l'intégration que le Gouvernement. S'il est légitime de demander à l'étranger des efforts d'insertion dans notre société, celle-ci doit favoriser son intégration. Ce n'est pas en précarisant son séjour et ses chances de trouver un travail qu'on peut l'inciter à tisser sereinement des liens d'affection et de respect avec notre société et notre culture.

J'en viens à la lutte contre l'immigration clandestine.

Je l'ai dit, la maîtrise des flux migratoires est une nécessité qui suppose des mesures coercitives pour éviter et sanctionner la fraude. De même, notre pays doit se donner les moyens de faire exécuter les décisions de justice. Cela est valable pour tous les domaines...

M. Jean-Luc Warsmann - Très bien !

M. Christophe Caresche - ...y compris la délinquance financière. Encore faut-il montrer de la rigueur et, pour commencer, évaluer la fraude à ses justes proportions. Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas.

Je prendrai l'exemple de la paternité de complaisance qui est sans doute le plus caricatural. Je n'ai, pour ce qui me concerne connaissance d'aucun indicateur statistique tendant à démontrer ce phénomène. Ni votre projet, ni l'étude d'impact, ni le rapport de M. Mariani, ni les statistiques officielles ne donnent la moindre indication à ce sujet, et la chose semble hautement improbable, tant elle paraît artificielle. En tout cas, aucune preuve n'en confirme l'existence.

De même, s'agissant des mariages de complaisance, le phénomène est loin d'avoir l'ampleur que vous prétendez. Les mariages mixtes, il est vrai, ont progressé, passant de 15 809 en 1960 à 34 585 aujourd'hui. Est-ce un phénomène inquiétant en soi ? Non. Au contraire, l'augmentation des mariages mixtes est considérée, par les sociologues comme un indicateur d'intégration.

M. Jacques-Alain Bénisti - Surtout quand ils sont célébrés à l'étranger !

M. Christophe Caresche - Ce phénomène est-il imputable à la progression des mariages de complaisance ? Deux indicateurs permettent d'en juger : en premier lieu, les acquisitions de la nationalité française par mariage se sont stabilisées depuis quelques années. Il y en a eu 22 113 en 1998 et 23 994 en 2001. Ce nombre n'a donc pas significativement progressé depuis 1998, contrairement à ce que vous avez déclaré dans la presse, en faisant état d'un quadruplement.

Pour ce qui est du nombre de cartes de résident portant la mention « conjoint français » délivrées ces dernières années, on constate effectivement une progression : elles sont passées de 9 270 en 1998 à 12 252 en 2002. C'est une progression significative certes, mais mesurée, puisqu'elle porte sur 3 000 personnes à rapporter aux quelques 130 000 étrangers qui entrent chaque année légalement sur notre territoire. Qui plus est, il semble difficile d'imputer cette augmentation uniquement à la fraude. On peut donc considérer que les mariages de complaisance concernent quelques centaines de personnes, chaque année seulement...

M. Jacques-Alain Bénisti - ...et il faut donc ne rien faire !

M. Christophe Caresche - Le dispositif que vous proposez est manifestement disproportionné à la marginalité du phénomène, si bien qu'on est en droit de se demander si vous ne préférez pas l'affichage à la réalité.

Autre exemple : les attestations d'accueil. Certes, leur nombre a doublé depuis 1999, mais on n'observe pas dans le même temps d'augmentation corrélative des visas de court séjour. Il n'y a pratiquement pas eu d'incidence (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Cela s'explique : les attestations d'accueil ne donnent pas droit automatiquement à la délivrance d'un visa, elles ne sont qu'un élément d'appréciation pour le consulat...

M. le Ministre - ...un élément majeur.

M. Christophe Caresche - Non, puisque l'augmentation du nombre d'attestations d'accueil n'a pas eu d'incidence sur celui des visas de court séjour.

M. le Ministre - Quels sont les autres éléments d'appréciation ?

M. Christophe Caresche - A l'évidence, les consulats refusent de nombreux visas à des étrangers qui détiennent pourtant une attestation d'accueil. Faut-il, dans ces conditions, revenir au dispositif lourd et coûteux des certificats d'hébergement ?

Dans de nombreux cas, la fraude n'est pas avérée. Et quand elle l'est, les mesures existantes suffiraient à la combattre...

M. Jacques-Alain Bénisti - Venez donc en banlieue !

M. Christophe Caresche - Au lieu de vous en tenir à elles, vous proposez des mesures complexes, coûteuses et qui risquent d'accroître les contentieux. En vérité, votre texte n'est pas réaliste, car il supposerait des moyens que vous n'avez pas.

M. le Ministre - Vous disiez la même chose pour le texte sur la sécurité.

M. Christophe Caresche - Pour établir par exemple le fichier d'empreintes digitales...

M. Jean-Luc Warsmann - Vous êtes contre ?

M. Christophe Caresche - Nous sommes d'accord sur le principe, mais nous nous posons des questions sur sa mise en _uvre, car il faudra recueillir des millions de données. Avec quels moyens ?

M. le Ministre - Cela coûtera moins cher que d'avoir des clandestins.

M. Christophe Caresche - A bien des égards, votre projet n'est qu'un texte d'affichage. Il ne sera cependant pas sans conséquence sur les libertés fondamentales. Pourtant, la lutte contre la fraude ne doit pas priver ceux qui ne fraudent pas de leurs droits et libertés. Il y a un équilibre à trouver. Le projet ne le trouve pas et nous semble contraire à la Constitution sur plusieurs points.

M. Jean-Luc Warsmann - Vous y venez seulement maintenant ?

M. Eric Raoult - Au bout de plus d'une heure !

M. le Président - M. Caresche arrive sans doute au terme de son intervention.

M. Christophe Caresche - Le Conseil constitutionnel a précisé dans sa décision du 13 août 1993 le cadre juridique dans lequel peuvent s'exercer des mesures coercitives à l'égard des étrangers et a rappelé dans un considérant de principe très important les droits et libertés qu'il faut reconnaître aux étrangers résidents sur le territoire de la République : « Si le législateur peut prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République... S'ils doivent être conciliés avec la sauvegarde de l'ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, figurent parmi ces droits et libertés, la liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d'aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale ».

La liberté d'aller et venir n'est à l'évidence pas garantie par l'allongement important du délai de rétention que vous prévoyez.

MM. Goasguen et Warsmann - Vous étiez pour !

M. Christophe Caresche - Pour un allongement de quelques jours, mais ce délai est porté à 32 jours.

M. le Rapporteur - Il reste le plus court d'Europe.

M. Christophe Caresche - La détention administrative des étrangers est un régime d'exception. Dans l'ordre juridique français, le pouvoir de porter atteinte à la liberté individuelle est normalement réservée à l'autorité judiciaire, dont l'article 66 de la Constitution dit : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».

On peut évidemment faire valoir que le délai de rétention est plus long dans d'autres pays européens.

M. le Rapporteur - Partout !

M. Christophe Caresche - On peut même rêver d'un délai illimité comme au Royaume-Uni. Mais ces comparaisons ont leurs limites, du fait des différences entre les systèmes juridiques de tous ces pays. Au demeurant, il ne me semble pas que des étrangers soient maintenus en rétention en Angleterre durant des mois et des mois.

La rétention administrative des étrangers ne peut se faire que sous le contrôle du juge, que s'il y a nécessité et seulement pendant le temps strictement nécessaire au départ de l'intéressé. Tels sont les principes que le Conseil constitutionnel a rappelés de manière constante dans les cinq décisions qu'il a rendues depuis 1980 sur cette question.

Il est vrai qu'il n'a pas indiqué explicitement le délai au-delà duquel le maintien en rétention serait contraire à l'article 66 de la Constitution, vrai également qu'il ne s'est pas opposé à la réitération d'un maintien en rétention - portant ainsi celle-ci à 24 jours - lorsque l'étranger s'est refusé à déférer à la mesure d'éloignement dans les sept jours suivant le premier maintien en rétention, vrai enfin qu'il a validé l'extension du champ des justifications de la rétention à différentes hypothèses. Mais dans tous les cas, il n'admet l'allongement du délai de rétention qu'au regard de circonstances particulières et que si la durée de celui-ci reste limitée.

Mais l'article 35 du projet allonge à la fois le délai de droit commun de la rétention et celui de la prorogation. Il porte en effet le premier délai de rétention de 7 à 17 jours, soit 10 jours pendant lesquels l'étranger sera privé de sa liberté d'aller et venir. Jamais, depuis 1981, le délai de droit commun de la rétention administrative n'avait été modifié.

Non seulement ce pas est franchi, mais il l'est très sensiblement, puisqu'au total ce sont dix jours supplémentaires qui sont accordés à l'administration.

Un allongement limité aurait pu se concevoir. Dans son projet, Jean-Pierre Chevènement proposait 15 jours au total - rétention et prorogation de la rétention. Nous avions finalement adopté un délai de douze jours, ce qui était raisonnable.

M. Jean-Luc Warsmann - Vous avez dit que vous étiez pour que l'on allonge ce délai !

M. Christophe Caresche - Le Conseil constitutionnel n'a admis d'allongement de la durée de rétention que limité.

M. Claude Goasguen - Il l'est !

M. Christophe Caresche - Non ! L'adjonction de vingt jours - si on ajoute les deux régimes de rétention -, qui fait passer de douze à trente-deux jours est disproportionnée.

S'il s'agit de donner un peu plus de temps à l'administration pour certaines formalités, quelques jours supplémentaires suffisent. Si l'idée est d'obtenir de certains consulats qu'ils modifient leurs pratiques dans la délivrance de laissez-passer consulaires, la mesure est illusoire.

Le deuxième motif d'irrecevabilité est lié à la liberté du mariage. Bien sûr, je ne mets pas en cause la nécessité de combattre les mariages de complaisance.

M. Jean-Luc Warsmann - Quand même !

M. Christophe Caresche - Ils existent, même si leur nombre est plus limité que certains semblent le croire. Le problème se pose dans la plupart des pays européens, ce qui a conduit le Conseil européen à adopter une résolution à ce sujet le 4 décembre 1997. Mais il faut lutter contre les mariages de complaisance sans mettre en cause la liberté de mariage, qui est un droit constitutionnel.

M. Jean-Luc Warsmann - Quelles sont vos propositions ?

M. Christophe Caresche - La lutte contre les mariages blancs est déjà une réalité législative (M. le ministre rit). L'article 175-2 du code civil dispose que lorsqu'il suspecte un mariage de complaisance, l'officier d'état civil peut saisir le procureur de la République qui peut surseoir à la célébration du mariage. En outre, le ministère public peut « former opposition au mariage pour les cas où il pourrait demander la nullité du mariage ».

Plusieurs députés UMP - Cela ne marche pas !

M. Christophe Caresche - Le ministre de la justice n'a qu'à donner des instructions aux procureurs pour faire appliquer la loi ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

L'article 184 dispose que « tout mariage contracté en contravention à la liberté de consentement peut être attaqué par le ministère public ». Enfin, l'article 190-1 dispose que « le mariage qui a été contracté en fraude à la loi peut être annulé à la demande de l'époux de bonne foi ou du ministère public, formée dans l'année qui suit le mariage ».

Malgré cette législation, votre projet ne consacre pas moins de quatre articles à la lutte contre les mariages blancs. L'article 36 exige pour les mariages contractés à l'étranger que chacun des futurs époux se présente personnellement au consulat - disposition qui va plutôt dans le bon sens puisqu'elle vise essentiellement les mariages forcés. L'article 37 alourdit sans discernement la procédure de l'article 175-2 du code civil au détriment des futurs époux qui souhaitent fonder un couple mixte. L'article 19 crée à l'encontre des mariages blancs une nouvelle incrimination qui fait encourir des peines d'une particulière sévérité. Enfin, l'article 11 double la durée de mariage exigée pour l'obtention de la carte de résident.

Cela fait beaucoup pour lutter contre un phénomène dont l'ampleur est somme toute limitée !

M. Claude Goasguen - Regardez les chiffres !

M. Yves Jego - Quelle honte !

M. Christophe Caresche - L'accumulation de mesures de contrôle peut être interprétée comme la volonté de stigmatiser les mariages mixtes et de restreindre l'accès au mariage d'étrangers qui n'ont aucune intention de frauder. La nouvelle incrimination de l'article 19 permet un contrôle a posteriori des motivations du mariage et une sanction en cas de détournement ; il convient donc de supprimer au moins la procédure de contrôle a priori prévue à l'article 175-2 du code civil, que vous entendez au contraire renforcer.

Il n'y a pas lieu de superposer deux dispositifs !

M. Jean-Luc Warsmann - Mais si ! Il faut détecter avant d'incriminer !

M. Christophe Caresche - En 1993, le Conseil constitutionnel a été saisi de dispositions prévoyant la saisine du parquet par l'officier de l'état civil, lorsqu'il existait des indices sérieux laissant présumer que le mariage était envisagé dans un autre but que l'union matrimoniale. Il a considéré que la subordination de la célébration du mariage à de telles conditions préalables méconnaissait le principe de la liberté du mariage, composante de la liberté individuelle. Le législateur a réagi à cette censure en adoptant une nouvelle rédaction : la loi du 30 décembre 1993 a permis la saisine du parquet par l'officier d'état civil lorsque le mariage envisagé était susceptible d'être annulé au titre de l'article 146 du code civil, lequel subordonne le mariage au consentement.

La Cour européenne des droits de l'homme considère pour sa part que le droit de se marier obéit pour son exercice aux lois nationales mais que celles-ci ne doivent pas le restreindre.

Or, l'article 37 du projet fait de la régularité du séjour une condition du droit au mariage, puisque constitue un indice sérieux de fraude le fait de ne pas justifier devant l'officier d'état civil de la régularité du séjour. Comment ce nouveau dispositif va-t-il se concilier avec l'article 347 de l'instruction générale relative à l'état civil, qui précise : « L'officier d'état civil appelé à célébrer un mariage doit s'assurer que les conditions de fond et de forme posées par la loi sont remplies. L'officier d'état civil n'a pas à effectuer d'investigations pour s'assurer de la réalité du consentement » ?

Avec ce projet, la liberté du mariage s'incline devant la régularité du séjour. L'équilibre consacré par la jurisprudence constitutionnelle de 1993, fondé sur la seule exigence du consentement, est rompu.

En outre, l'article 37 du projet est en contradiction manifeste avec l'exposé des motifs du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier et modifier le droit par ordonnances, selon lequel « la présentation des pièces justificatives pourra être remplacée par les déclarations sur l'honneur, en application d'un principe de confiance envers la bonne foi de l'usager, ce qui n'exclut pas la mise en place de procédures de contrôle et de sanctions proportionnées. »

Enfin, plusieurs dispositions du projet sont susceptibles de remettre en cause le droit de mener une vie familiale normale.

L'article 2 sur les certificats d'hébergement, complété par l'amendement du rapporteur, peut conduire à priver un enfant né en France de parents français d'origine étrangère de tout lien avec ses grands-parents pour cause d'insuffisance de surface habitable, alors que la loi de 2002 réformant l'autorité parentale a affirmé le droit de l'enfant à entretenir des relations personnelles avec ses ascendants.

L'article 12 exige du parent étranger d'un enfant français, titulaire même partiellement de l'autorité parentale, qu'il subvienne au besoin effectif de son enfant, depuis la naissance ou depuis au moins deux ans, pour obtenir de plein droit une carte de résident. Or, l'autorité parentale entraîne l'obligation d'entretien de l'enfant. Dès lors, pourquoi affirmer cette exigence, sans d'ailleurs préciser, comme l'exige le Conseil constitutionnel, que cet entretien doit être proportionnel aux capacités des parents ?

On peut se demander si votre intention inavouée n'est pas de précariser les étrangers parents d'enfants nés en France (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP). Ce faisant, vous compromettez leurs capacités à s'insérer professionnellement et donc à subvenir aux besoins de leur enfant. Il s'agit bien d'une atteinte au droit de vivre en famille.

J'en viens à l'article 13. Il vise à supprimer la délivrance de plein droit de la carte de résident aux conjoints et enfants d'un étranger arrivant dans le cadre d'un regroupement familial. En 1993, le Conseil constitutionnel a énoncé que les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale et de faire venir leurs conjoints et leurs enfants mineurs.

Or, l'article 13 méconnaît ce droit. La délivrance d'une carte de séjour temporaire, avec exigence de renouvellement annuel durant au moins cinq ans, fragilise leurs perspectives d'intégration.

Le quatrième point d'inconstitutionnalité que je veux mettre en évidence, c'est le déni du droit de recours...

M. Jacques-Alain Bénisti - Ce sera dur !

M. Christophe Caresche - Ce sera encore plus dur pour vous devant le Conseil constitutionnel ! Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme, « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution ».

Le Conseil constitutionnel souligne, dans sa décision du 23 juillet 1999, que cela implique le droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction.

Or, l'article premier du projet retire le bénéfice d'un jour franc avant l'exécution d'une mesure de rapatriement aux étrangers refusant de signer le procès-verbal notifiant le refus d'entrée. C'est une atteinte substantielle au droit à un recours effectif devant une juridiction. La décision de refus d'entrée peut empêcher un étranger de déposer une demande d'asile, voire être tout simplement abusive. Je propose donc, pour éviter tout risque de censure, de supprimer cet article premier.

Au-delà de ces motifs de censure constitutionnelle, je tiens à souligner le caractère à la fois excessif et irréaliste de votre texte.

On l'imagine conçu par un esprit soupçonneux (Protestations sur les bancs du groupe UMP) et l'on regrette qu'il ne propose aucune solution positive aux problèmes soulevés.

L'empilement de mesures répressives ne peut tenir lieu de politique d'immigration. Malgré votre volonté d'action, que je ne mets pas en cause, vous semblez prisonnier, Monsieur le Ministre, d'une conception restrictive et, au fond, traditionnelle dans votre camp politique.

Il manque à notre pays un regard neuf sur l'immigration, ...

M. Jacques-Alain Bénisti - Ce n'est pas le vôtre !

M. Christophe Caresche - ...une approche qui permette de dépasser les clivages habituels entre conservateurs et progressistes (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) afin d'évoluer ensemble dans ce domaine.

Au-delà de ces remarques, je réitère notre volonté de mener un débat responsable et constructif avec vous (« Ça commence mal ! » sur les bancs du groupe UMP).

Vous le savez comme moi, ce sujet sensible tient au c_ur de tous les républicains (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gérard Léonard - Le seul mérite du discours de M. Caresche est de nous avoir rajeunis d'un an. Il a en effet resservi la même recette que pour la LOPSI : on brosse d'abord les grandes lignes de la politique qu'on souhaite mais qu'on n'a pas été capable de mettre en _uvre ; ensuite on accuse le dispositif proposé d'être excessif - c'est révélateur d'une conception de la vie politique où face à une situation délabrée, on laisse courir, c'est la politique du chien crevé au fil de l'eau ; enfin, on affirme que les règles du droit sont violées. Ces arguties juridiques recevront la même sanction que lors des lois précédentes.

Le groupe UMP votera contre cette motion.

Mais soyez indulgents avec M. Caresche : il faut reconnaître que l'exercice était difficile ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Serge Blisko - L'exercice a été difficile parce que vous n'avez pas cessé d'interrompre M. Caresche ! Si nous posions les problèmes de façon objective, nous pourrions cheminer de manière moins heurtée.

Au-delà des arguments juridiques, l'intervention de M. Caresche a bien montré que votre texte pose mal la question de l'immigration. Des études ont établi que nous sommes dans un mouvement long, dû à la mondialisation des échanges et à des données économiques et démographiques que vous ne prenez pas du tout en compte.

Vous traitez l'immigration comme un phénomène social brûlant, à prendre avec des pincettes parce que les démagogues, en particulier à l'extrême-droite, cherchent toujours à nous entraîner sur ce terrain. Nos réponses seront toujours inadaptées si nous cherchons seulement à désamorcer une polémique où nous ne sommes pas très à l'aise les uns et les autres - pour ma part, j'ai au moins l'honnêteté de le dire !

L'immigration en Europe aujourd'hui, n'est pas seulement un problème social ou un problème de police, c'est un phénomène beaucoup plus important, que nous devons mieux connaître pour le maîtriser.

M. Caresche a démontré que, loin de répondre aux problèmes, votre texte risquait de déstabiliser la vie de dizaines de milliers d'immigrés en situation régulière. Vous exigez des preuves d'intégration, alors qu'ils sont encore dans le processus d'intégration. Vous allez leur reprocher de faire des fautes de grammaire (Protestations sur les bancs du groupe UMP) alors même que les crédits de cours de langue sont réduits. Si vous aviez proposé d'abord votre dispositif d'intégration, la discussion serait plus claire.

Je suis surpris que pour les attestations d'accueil vous vous défaussiez sur les maires : vous savez très bien que cela ne peut pas marcher, il y aura de grandes différences selon la couleur politique des maires et les pressions qu'ils subiront et cela créera une rupture d'égalité, source de contentieux.

Texte dangereux pour les libertés fondamentales, votre projet mérite d'être sanctionné par le Conseil constitutionnel. Nous voterons l'exception d'irrecevabilité.

M. Jean-Christophe Lagarde - Les arguments juridiques de M. Caresche sont bien faibles, mais surtout ils procèdent d'une lecture systématiquement soupçonneuse du projet : chaque fois qu'une mesure s'attaque à une difficulté réelle, on nous répond que celle-ci n'existe pas ou qu'il y a d'autres solutions.

Quant à contester l'augmentation du nombre de mariages blancs, c'est tout simplement nier ce que voient les maires sur le terrain ! Et depuis l'annonce de la loi, il y a une explosion de ces mariages blancs : je l'ai constaté dans ma commune, d'autres maires aussi. Le mariage blanc est aujourd'hui, en France, le moyen le plus facile pour se faire régulariser et cela aboutit à des situations humaines catastrophiques, des jeunes filles étant par exemple abandonnées avec leur enfant.

Aujourd'hui, les maires sont contraints de faire au nom de l'Etat des choses absurdes, en sachant parfaitement qu'on est en train de rouler la République dans la farine. On ne peut donc pas se dispenser de discuter de ce projet de loi, et nous voterons contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Manuel Valls - Le gouvernement Raffarin a voulu son texte sur l'immigration. Il est bien sûr fondateur, essentiel et incontournable, en tout cas d'après ce que répètent le rapporteur et le ministre. Pourtant, et nous le regrettons sincèrement, il n'apporte pas l'apaisement nécessaire au débat. En n'osant pas faire une grande loi qui clarifie la position de la France, en se contentant de définir des dispositions dures mais uniquement techniques, ce texte ne règle pas la question qui pourrit le débat politique depuis trop longtemps. Bien sûr, vous dites que c'est le socle qui permettra de résoudre les problèmes, qu'il allie fermeté et générosité et qu'il clôt le débat. Nous ne le pensons pas.

La loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile du 11 mai 1998, portée par Jean-Pierre Chevènement, avait le mérite de rechercher le consensus et de tenter de mettre un terme aux déchirements passionnels en introduisant des mesures techniques simples et efficaces, inspirées par le rapport de Patrick Weil. Elle s'inscrivait en rupture avec la législation de la précédente majorité. Elle avait la volonté de maîtriser les flux migratoires, car nous ne pouvons accueillir tous ceux qui veulent venir en France, et définissait, dans le respect scrupuleux des droits fondamentaux, un statut pour les résidents étrangers. Elle a eu le mérite de sortir l'immigration d'un débat public biaisé par les arrière-pensées politiciennes. Ses dispositions principales visaient à faciliter la circulation, à mettre en place plusieurs statuts avec des cartes de séjour différenciées - scientifique, vie privée, artistique - à améliorer la lutte contre l'immigration illégale et à créer l'asile territorial.

Mais les années ont montré que si les mesures techniques étaient nécessaires, elles n'étaient pas suffisantes. Nous avons besoin d'une politique éloignée des querelles de bas étage et qui affirme ses objectifs en toute sérénité. Votre arsenal de mesures ne peut pas suffire. D'une part, elles ne permettront pas d'améliorer de façon significative notre politique de l'immigration ; certaines sont même dangereuses. D'autre part, rien n'est fait pour renouveler l'intégration, c'est-à-dire pour remettre en marche l'ascenseur social par l'école, pour instaurer un nouveau rapport à la nation, pour lutter contre les discriminations et pour ouvrir de nouveaux droits. A ce sujet, la proposition de loi de Bernard Roman et Bruno Le Roux sur le droit de vote des résidents étrangers non communautaires de novembre 2002 avait donné lieu à des interventions inquiétantes de la part de certains membres de la majorité.

Nous saluons la fin de la double peine. Le débat lancé par le groupe socialiste en novembre 2002 avait permis à chacun de réaliser ce que sont ces mesures d'éloignement, frappant des femmes et des hommes que tout rattache à la France. La double peine, qui s'est introduite progressivement dans notre droit depuis 1970, est une injustice. La loi Réséda a corrigé l'esprit de la loi Pasqua, mais introduit une protection insuffisante. La circulaire du 19 novembre 1999 a pour sa part réduit le champ d'application de la double peine, puisque les parquets ont reçu pour consigne de considérer les attaches des étrangers. Mais nous aurions dû aller plus loin plus tôt. La réussite de l'intégration passe par là.

La double peine crée des situations terribles. Elle déchire des familles. Vouloir sa fin n'est pas faire preuve de laxisme : c'est au contraire garantir la fermeté dans l'application de la sanction, qui est la même pour tous. La double peine crée un sous-droit pour des sous-résidents. Par ailleurs, elle est souvent inefficace. Un père ou une mère tentera toujours de revenir en France pour vivre avec ses enfants ! Et un jeune avec sa famille ! Des interdictions du territoire ont été prononcées envers des jeunes qui vivaient en France depuis leur plus jeune âge. Ils ont été expulsés dans des pays qu'ils ne connaissent pas et n'ont eu de cesse de revenir, contraints à une vie illégale propice au retour à la délinquance. Cette pratique fabrique des bannis. Trop souvent, la double peine frappe des gens qui se sentent Français, même s'ils ne le sont pas d'un point de vue administratif. Le débat de 2002 nous avait inquiétés, bien qu'on nous eût épargné une intervention de M. de Villiers. En entendant la plupart des orateurs du groupe UMP, nous avions pu croire que les intention du ministre de l'intérieur ne survivraient pas au printemps. M. Leonetti, par exemple, disait : « La législation actuelle est bonne dans son principe. Il nous paraît normal de renvoyer chez eux les étrangers délinquants. Qu'y a-t-il de pénalisant à rentrer chez soi ? » Ce qu'il refusait d'entendre, c'est que le chez soi de certains ne correspond pas à ce qui est marqué sur leurs papiers. Nous soutiendrons donc le ministre dans cette avancée.

Mais c'est l'acte de générosité qui cache tout le reste ! Le ministre fait montre de son courage, de sa hauteur d'esprit sur un sujet important, mais qui reste marginal par rapport à la masse des immigrés présents en France. Car nous sommes sceptiques sur la méthode et opposés au fond de votre projet. Les explications du rapporteur sur l'extension de la période de séjour pour obtenir la carte de résident ne sont pas convaincantes. Elles veulent faire croire à un durcissement des règles, mais le seul effet réel, outre contenter la majorité, sera de faire naître un malaise chez les femmes et les hommes récemment installés dans notre pays, et surtout chez ceux qui manifestent le plus d'attachement à être intégrés dans notre communauté. La lutte contre l'immigration clandestine est certes indispensable, mais celle que vous proposez ne s'accompagne pas d'une politique étrangère à la hauteur des enjeux. Ce qui pousse des millions de personnes chaque année à migrer, c'est la désespérance, la croyance en une fatalité du sous-développement. Pour elles, l'espoir est forcément ailleurs.

L'article 2 du projet concerne les attestations d'accueil. Il donne un pouvoir démesuré aux maires. Je suis maire d'une ville dans laquelle résident de nombreux étrangers. Le mode actuel de délivrance des attestations d'accueil ne me convient pas, mais celui que vous proposez non plus. Rien n'est fait pour s'assurer que la demande de venue temporaire ne préfigure pas une installation dans la clandestinité. Vos dispositions subordonnent l'attestation à la capacité de ceux qui hébergent d'accueillir normalement leur famille. C'est non seulement parfaitement subjectif, mais propice au retour de l'arbitraire. Dans les communes où les étrangers sont nombreux, c'est la fin de l'accueil ! Les personnes désireuses de garder le contact avec leur famille ne pourront qu'aller les voir à l'étranger. Ce sera sans doute le cas à Orange ! Dans nombre de communes, le maire fera du refus des attestations un étendard, surtout en période électorale. Avec cette disposition, le Gouvernement prend le risque de faire de l'accueil des étrangers un enjeu municipal, avec toutes les manipulations qui peuvent en naître. J'exhorte le ministre à y réfléchir. Il serait préférable de laisser l'instruction des dossiers aux maires et leur traitement aux préfets.

En ce qui concerne le mariage et la paternité, l'arbitraire est également de mise. Je ne nie pas l'existence de mariages blancs, mais votre présentation, outre qu'elle n'est pas fondée sur des chiffres, fait passer un phénomène réduit pour un mouvement de masse ! Le développement des mariages mixtes montre bien plus la capacité de brassage de notre pays que la constitution de tentaculaires filières de mariages dolosifs !

Les Français voyagent plus à travers le monde. Il est donc logique que le nombre de mariages mixtes augmente - de façon d'ailleurs modérée. Nulle explosion ne permet de penser qu'il y ait un détournement massif de l'esprit du mariage, institution protégée par la Convention européenne des droits de l'homme.

Les dispositions concernant la paternité sont purement et simplement arbitraires. Un sans-papiers aura ainsi des difficultés à prouver son implication dans l'entretien et l'éducation de ses enfants nés en France. Oserions-nous poser les mêmes exigences concernant la maternité ? Un père, qu'il soit ou non en mesure de subvenir aux besoins des siens, demeure un père et ne peut envisager de vivre loin de ses enfants. Or, sans titre de séjour, il restera dans la clandestinité.

Ces dispositions institutionnalisent en fait l'immigration temporaire, et c'est là la vraie contradiction de votre projet. Votre politique freine l'intégration et creuse un peu plus encore le fossé qui existe entre la République et les immigrés.

M. Bruno Le Roux - Très bien !

M. Manuel Valls - En rendant encore plus long le processus de naturalisation, vous prenez la responsabilité de susciter ranc_ur et ressentiment chez ceux qui se sentent pourtant déjà Français.

L'acquisition de la nationalité, aisée avant 1993, demeure un processus long et pénible, malgré un réel assouplissement depuis 1997. De nombreux résidents pensent ainsi que la France ne veut pas d'eux.

M. Jean-Christophe Lagarde - C'est vrai !

M. Manuel Valls - Les intentions réelles du Gouvernement sont floues, mais au-delà, votre approche de ces questions demeure partielle - ainsi de la dissociation entre l'entrée, le séjour, l'intégration des immigrés et la politique internationale de la France. L'immigration est en effet un sujet transversal, et non une simple variable du peuplement ni un simple système de procédures.

Le travail du Gouvernement en vue de la création d'un contrat d'intégration devrait être joint à ce projet de loi. La prise en compte du degré d'intégration dans l'attribution de la carte de résident montre d'ailleurs que la majorité elle-même sait bien que ces deux aspects sont indissociables.

Si l'on en croit M. le rapporteur, le comité interministériel du 10 avril 2003 a dessiné les contours de ce contrat d'intégration. Il serait ainsi proposé aux primo-arrivants des formations d'un an, renouvelables deux fois. L'intention est louable, mais si le contrat d'intégration devait se limiter à cela, avouez que ce serait un peu court !

Nous aurions aimé que politique d'immigration et politique d'intégration ne fassent qu'une, qui détermine les axes de la politique française d'accueil. C'est du passage de l'une à l'autre que dépend en effet la réponse à la question : « Comment devient-on citoyen ? », ainsi que la réduction de la fracture civique dont souffre la France, l'arrêt du processus de délitement de notre lien social, et la restitution de son sens à notre communauté nationale.

C'est pourquoi nous souhaitons que l'ensemble de la représentation nationale soit associée à la conception d'une nouvelle politique d'intégration, soit sous la forme du contrat d'intégration, soit sous celle d'un pacte national d'intégration, tel que nous l'envisageons.

L'intégration n'est pas qu'une question de langue ou de métier : elle est aussi adhésion à un corps de valeurs et de principes que la crise de l'idée de nation, en France, ne rend plus perceptibles. Plus personne ne comprend la signification du « vivre-ensemble », et c'est notre pacte républicain lui-même qui en est miné. Nous avons tous, collectivement, contribué à affaiblir l'idée de nation, ce qui a fait le jeu du Front national. La capacité d'une société à intégrer mesure sa propre confiance dans les valeurs qui sont les siennes.

Dans un environnement général de régression, les sujets d'inquiétude sont nombreux. Les gels des crédits de la politique de la ville frappent les habitants des quartiers en difficulté. Les associations, déjà handicapées par la fin des emplois-jeunes, se trouvent elles aussi dans une situation difficile. Lors de la dernière séance de questions au Gouvernement, M. Borloo a ainsi été contraint de distinguer « vrai argent » et « faux argent », crédits de paiement et autorisations de programme.

MM. Fillon et Mattei, dit-on, ne manquent pas une occasion de faire connaître au Premier ministre les problèmes qu'ils rencontrent pour assurer le fonctionnement de leur ministère. Mais comment mener une forte politique d'intégration quand on diminue les crédits du fonds d'action sociale ?

L'inquiétant silence du Gouvernement sur la politique du logement social ne contribue pas à apaiser nos craintes : gel de 18 000 constructions, oubli du principe de mixité sociale, disparition de l'ambition nourrie par la loi SRU... L'obtention d'un logement social est un véritable parcours du combattant, et le désaccord entre Gilles de Robien et Jean-Louis Borloo sur les chiffres ne fait qu'accroître notre scepticisme. Y aura-t-il autant de reconstructions que de démolitions ? Combien y aura-t-il de constructions nettes ? Nul ne le sait.

M. Pierre Cardo - Vous n'avez pas eu plus de résultats !

M. Manuel Valls - L'abandon de toute politique active de l'emploi, la poussée dramatique du chômage bloquent un peu plus encore notre modèle d'intégration. La fin des emplois-jeunes, l'abandon de la loi de modernisation sociale, les baisses de charges sans contrepartie, la baisse des crédits de l'éducation et de la formation professionnelle affaiblissent notre pays. C'est ce que vous a dit François Hollande hier, c'est ce que nous vous répétons depuis des mois.

Une politique de l'immigration ne peut s'élaborer sans prendre en compte la politique étrangère, car les poussées migratoires que l'on observe dans le monde ont une cause très simple : le désespoir dans lequel sont plongés trop d'hommes et de femmes. Oui, avec la chute du Mur de Berlin, nous espérions l'avènement d'un monde nouveau, nous pensions que s'ouvrirait une ère de développement partagé, mais il n'en est rien.

La voix de la France, tantôt audacieuse avant le conflit irakien, tantôt incantatoire comme à Johannesburg, doit faire entendre sa volonté d'une autre mondialisation, respectueuse des hommes et de l'environnement. Or, notre pays n'avance pas de propositions permettant d'entrevoir l'avènement d'une nouvelle donne. Absente du débat sur l'Europe sociale, sans position audible sur l'accord général sur le commerce des services, elle ne se donne pas les moyens de rééquilibrer les rapports de force internationaux.

La gauche, elle, a une volonté, une ambition forte, des propositions pour un nouveau modèle d'intégration dans notre pays (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Pierre Cardo - Alors, pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

M. Manuel Valls - Nous vous avions proposé un outil d'intégration puissant, avec le droit de vote et d'éligibilité des résidents étrangers extra-communautaires aux élections locales (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Christophe Lagarde - Même ceux qui ne veulent pas devenir Français ?

M. Manuel Valls - Ceci faisait d'ailleurs suite à l'adoption, le 3 mai 2000, d'une proposition de Noël Mamère, votée par la gauche et que le Gouvernement n'avait pas pu poursuivre, l'avis du Sénat étant nécessaire pour permettre une réforme constitutionnelle.

M. Claude Goasguen - Vous ne l'avez même pas consulté !

M. Manuel Valls - Voter parce que c'est une accession à l'expression et une marque suprême de considération, oui, voter c'est aller vers l'intégration, intégration que favorise, certes, l'attribution de la nationalité française.

M. Claude Goasguen - Il fallait la voter !

M. Manuel Valls - Mais donner le droit de vote, c'est faire passer un message aux générations suivantes, et c'est aussi un gage de reconnaissance à l'égard de ceux qui, si nombreux, sont tombés pour la France (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Claude Goasguen - Que n'avez-vous donc décristallisé les pensions ! Ce ne sont que des incantations !

M. Manuel Valls - Il faut accorder ce droit de vote... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Claude Goasguen - Mais enfin ! Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

M. Manuel Valls - Cela a été voté ici, mais le Sénat... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Claude Goasguen - Et qui détermine l'ordre du jour du Sénat ?

M. Manuel Valls - Il n'est pas normal que tous ceux qui participent à la vie de la cité...

M. Christian Vanneste - Et qui n'ont pas fait l'effort de choisir !

M. Manuel Valls - ...ne puissent pas mieux s'exprimer...

M. Claude Goasguen - C'est le chiffon rouge habituel !

M. Christian Vanneste - Qu'est-ce qu'un citoyen ?

M. Manuel Valls - Oui, cette question nous oppose, et c'est ce qui fait la noblesse du débat. Pour nous, l'intégration ne peut être de nature coercitive...

M. Claude Goasguen - Vos propos ne sont que supercherie ! Vous n'avez rien fait à ce sujet, en cinq ans !

M. Manuel Valls - Je n'étais alors ni ministre, ni député ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

J'en viens à la religion. Sur l'acquis de la séparation de l'Église et de l'Etat, personne ne songe à revenir. Mais un phénomène nouveau est apparu : l'émergence de l'islam en France. Vous avez, à ce sujet, concrétisé le travail de vos prédécesseurs, Monsieur le ministre (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Vanneste - Ou plutôt, il a fait ce que ses prédécesseurs n'avaient pas osé faire !

M. Manuel Valls - Il incombe maintenant au Gouvernement de donner à la République les moyens de conforter le modèle laïque français. Il lui faut aussi débloquer notre système éducatif, qui ne joue plus son rôle d'ascenseur social. Or, lorsque celui-ci est en panne, les premières victimes sont les jeunes issus de l'immigration.

M. Claude Goasguen - C'est vrai.

M. Manuel Valls - La France doit donc redéfinir sa politique éducative et relancer l'école...

M. Claude Goasguen - Que de portes ouvertes enfoncées !

M. Manuel Valls - ...en décidant de mesures de discriminations positives similaires à celles qui ont été mises au point à l'Institut d'études politiques, avec des résultats intéressants...

M. Claude Goasguen - Il fallait faire ce que vous proposez maintenant !

M. Manuel Valls - Si les grandes écoles font peu de place aux étudiants issus des classes sociales défavorisées, certains établissements comme Paris IX-Dauphine, se permettent même de sélectionner leurs étudiants, se plaçant ainsi au-dessus des lois ; dans celles-là, on compte à peine 5 % de boursiers et, à de rares exceptions près, les enfants des classes populaires et de l'immigration en sont absents.

M. Claude Goasguen - Il fallait réformer !

M. Manuel Valls - Il faut favoriser l'intégration des jeunes immigrés dans les IUFM et, dans le même temps, lutter sans relâche contre les discriminations dans l'accès à l'emploi et au logement, contre cette expression du rejet de l'autre qui frappe les plus faibles. La création d'un « guichet unique » régional à ce sujet constituerait déjà un progrès éclatant, car sa seule existence suffirait à freiner la commission de ces délits. En ces matières, pédagogie et sanctions doivent être associées et cela vaut, aussi, pour ces bailleurs qui, au prétexte de rénovation, font tout pour se débarrasser de locataires anciens...

M. Claude Goasguen - La ville de Paris, par exemple ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Manuel Valls - Et les Maliens de Vincennes que nous avons dû reloger dans l'urgence ? Qui les avait mis à la rue ? Chacun sait que les familles d'immigrés qui faisaient certainement l'affaire dans les centres anciens délabrés sont priées de déguerpir une fois ceux-ci rénovés, sans doute parce qu'on leur en préfère d'autres, plus « présentables ».

M. Claude Goasguen - Et si l'on reparlait des bulldozers de Vitry ?

M. Manuel Valls - Ce n'est pas ma culture !

M. Claude Goasguen - Mais c'est celle de vos alliés !

M. Manuel Valls - Il faut aussi de nouvelles méthodes d'éducation à la citoyenneté pour promouvoir l'égalité des chances. La politique suivie à cet égard par les pays nordiques, la Finlande par exemple, a fait la preuve de son efficacité, et elle est à l'opposé de celle de M. Luc Ferry.

Des mesures doivent être prises pour casser les ghettos, en restaurant la mixité sociale. Autant dire que l'article 2 de la loi SRU, qui fixe modestement à 20 % la proportion obligatoire de logements sociaux devrait être considérée comme une priorité nationale.

Il reste aussi à réaffirmer la vocation internationale de la France, en augmentant le nombre des bourses allouées aux étudiants étrangers, ce qui permettra de constituer des élites hautement qualifiées...

M. Pierre Cardo - ...qui viendront travailler ici !

M. Manuel Valls - La France doit retrouver l'esprit de Bandoeng : ce n'est que s'il souffle à nouveau que les pays du Sud pourront sortir de leur arriération économique et de leur désespérance sociale généralisée. Pour cela, elle doit prendre des risques, même si cela heurte les bonnes consciences, en augmentant les crédits de la coopération, tout en procédant à l'évaluation lucide de leur efficacité. Le Président de la République doit faire pour l'économie internationale ce qu'il a su faire à propos de l'Irak.

La France a besoin de l'immigration, tout le monde le sait, et M. Juppé lui-même regrettait, en 1999, la politique qu'il avait menée à ce sujet. Pourquoi, alors, fuir le débat ? Pourquoi toujours présenter l'immigration comme un poids, alors que c'est une chance ? Pourquoi ne pas expliquer que fixer des quotas permettrait une réelle maîtrise des flux migratoires ? Pourquoi ne pas en finir avec l'hypocrisie qui consiste à taire que dans le bâtiment, dans la restauration et dans l'agriculture, ce sont des étrangers mal payés qui font les travaux que les Français ne veulent plus faire ?

Et au moment où l'on parle tant de retraites, pourquoi ne pas exposer clairement la réalité de la démographie de l'immigration ?

Alors que notre pays compte 2,4 actifs pour un retraité, il y a 4,3 actifs étrangers pour un retraité étranger. Oui, comme l'écrivait Bernard Stasi et comme vous-même le laissiez entendre, Monsieur le ministre, face à Jean-Marie Le Pen lors d'une émission télévisée, l'immigration est une chance pour la France, mais à condition que l'on s'en donne les moyens en assumant une politique d'accueil claire, en permettant l'établissement d'une citoyenneté de résidence, seul véritable levier de l'intégration, en créant les conditions d'une laïcité partagée et en donnant un nouveau souffle à notre pacte républicain.

Il nous faut assumer sans complexe une réelle politique de l'immigration, faite de lutte contre l'immigration clandestine, mais sans faire croire qu'elle ferme toutes ses portes. L'opinion publique comprend le besoin qu'a notre pays d'une immigration structurelle. Elle est prête à l'entendre, pour peu que l'on assume cette réalité. Une politique de l'immigration cohérente et intégrée constituerait une réponse forte à ce qui s'est passé le 21 avril. Cela suppose de légiférer sans avoir peur du Front national.

Immigration, accueil, séjour, intégration : voilà de quoi faire une belle loi. Une loi pour clarifier les objectifs de notre politique de l'immigration, pas une loi pour faire de l'immigré la cause de tous les maux. Une loi pour affirmer la volonté de dépasser les clivages, pas une loi pour complaire à l'UMP (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Une loi pour affirmer que l'immigration est un moyen d'endiguer l'essoufflement démographique de notre pays, une loi pour dire que l'immigration est une chance pour la France et pour faire à nouveau avancer l'intégration en France.

Mais peut-être certains trouvent-ils déjà que M. Sarkozy en fait trop (Mouvement divers). Justement ! Un tel projet ne doit pas être porté par un seul ministre. Le problème de tous les gouvernements depuis vingt ans est peut-être d'avoir considéré que la question de l'immigration était principalement du ressort du ministre de l'intérieur, alors qu'elle est au c_ur du malaise français révélé le 21 avril.

Soyons clairs : la politique de l'immigration est la seule en France pour laquelle le Gouvernement n'ose pas avouer ou fixer son objectif. C'est ce qui fait que le Front national réussit à casser le débat sur cette question et à en faire un sujet de discorde.

Politique sans objectif, elle se contente d'être un catalogue de procédures. De fait, on sait comment les immigrés entrent, mais rarement pourquoi ; et on ne dit jamais que c'est utile et bénéfique.

Les gouvernements ont peur de dire que notre pays a besoin de ses immigrés, et que ceux-ci et leurs enfants ont toujours apporté à notre pays, outre la victoire en Coupe du monde, des progrès scientifiques, économiques et culturels (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

La République doit changer sa façon d'envisager l'immigration et cesser d'être frileuse. Non, la France ne perd pas sa substance avec l'immigration, elle s'enrichit !

Clarifier la vision française de l'immigration, c'est aussi permettre au peuple français de s'interroger sur le sens de la nation et de la nationalité. « Le jour où je suis devenu Français - écrit Bernard Stasi -, j'ai été très heureux et très ému. C'est une chance de pouvoir manifester le désir de l'être. La plupart des Français le sont par hasard ».

Je regrette vraiment que nous ne soyons pas plus nombreux à débattre de ce sujet, examiné au terme d'une session parlementaire épuisante, car il nous confronte à un thème qui a agrégé toutes les frustrations, toutes les crispations, toutes les contradictions de la société française.

C'est parce que le Gouvernement n'ose pas aller suffisamment loin que le groupe socialiste vous invite à adopter cette question préalable. Parce qu'il n'est plus possible en France de débattre de l'immigration sans savoir quel modèle d'intégration nous proposons, parce que la maîtrise des flux est indissociable de la mise en _uvre d'une autre politique étrangère, parce que la réalité de l'immigration en France n'est pas reconnue.

Voyons la politique de l'immigration comme une chance, osons casser la terrible ségrégation sociale, territoriale, ethnique qui s'est installée dans notre pays, recréons l'espoir d'une France rassemblée, sereine. Une France qui assume son histoire, une France qui assume sa réalité, une France qui aille de l'avant (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Christian Estrosi - Je me demandais, Monsieur Valls, comment vous alliez jouer ce nouveau rôle, qui me semblait assez difficile pour vous. Eh bien, vous l'avez rempli à merveille, en parfait adepte du double langage et avec une certaine immodestie.

M. Manuel Valls - J'ai pris des leçons avec le ministre ! (Rires)

M. Christian Estrosi - Vous avez en effet à la fois essayé de revendiquer l'héritage et de vous en débarrasser ! Vous avez à la fois fait l'apologie de la loi Réséda et tenté de nous faire croire que vous n'aviez joué aucun rôle sous la précédente majorité - alors que vous avez été l'un des grands artisans de l'échec de M. Jospin à la dernière élection présidentielle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Plusieurs députés UMP - Merci, Monsieur Valls !

M. Christian Estrosi - Vous ne tirez décidément aucune leçon des erreurs du passé ! Pendant des années, vous avez joué avec le feu en agitant sans cesse le chiffon rouge de l'immigration, et vous avez maintenant le front de venir proposer je ne sais quelles grandes réformes « transversales ». Vous avez parlé des ghettos, mais pendant cinq ans, le gouvernement dont vous assuriez la communication a oublié les gens modestes qui habitent nos cités !

Depuis vingt ans, vous ressortez régulièrement la question du vote des étrangers juste avant une échéance électorale. Vous l'avez encore fait trois mois avant l'élection présidentielle, en faisant voter le texte à l'Assemblée mais sans l'inscrire à l'ordre du jour du Sénat ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

La vérité, c'est que vous avez voulu faire du Front national votre allié objectif afin de conquérir le pouvoir et d'y rester (Mêmes mouvements). Mais ce temps est révolu ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) Les Français voient bien que nous apportons des réponses concrètes à leurs préoccupations. Le ministre de l'intérieur les regarde droit dans les yeux avec ce texte permettant de contrôler les flux migratoires. Cela vous gêne ! En tout cas, le groupe UMP appelle à voter contre votre question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Bruno Le Roux - M. Valls a présenté la question préalable avec conviction et avec la modestie qui sied à la thématique du jour. Par contre, j'avais l'impression en vous écoutant, Monsieur le ministre, que votre discours ne correspondait pas au texte que vous nous soumettez.

Destiné à plaire à votre majorité, ce texte sera au mieux inefficace, au pire dangereux, y compris pour les étrangers installés régulièrement chez nous, qui n'entendent guère parler d'intégration.

Il aurait fallu débattre autrement, en partant de l'intégration, de l'accueil, du séjour, et en s'appuyant sur la définition d'une politique de l'immigration.

J'ajoute à l'intention de M. Estrosi que c'est en 2000 que nous avons débattu, à partir d'une initiative des Verts, du droit de vote des étrangers. Mais l'opposition avait annoncé qu'elle voterait contre au Sénat. Or il fallait une loi adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Mais si vous avez changé d'avis, Messieurs, nous sommes prêts à inscrire un projet semblable dans notre prochaine « fenêtre » parlementaire, afin que vous puissiez le voter ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste)

M. Nicolas Perruchot - Monsieur Valls, vous avez dit qu'il manquait à ce projet plusieurs volets. Or il y a eu déjà un texte sur le droit d'asile, et il y aura ensuite un texte de M. Fillon sur l'intégration. Même si l'on peut déplorer que les trois sujets n'aient pas été regroupés, le Gouvernement a donc bien pris la mesure du problème et y apporte une réponse globale.

Vous avez fait un long développement sur l'intégration par le vote, mais c'est prendre le problème à l'envers (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP), comme vous l'aviez fait pour la politique de la ville : il faut commencer par l'intégration économique. J'ajoute que nous, les nouveaux maires de mars 2001, ne vous avons pas attendu pour intégrer des personnes issues de l'immigration dans nos équipes municipales ; à Blois, j'en ai fait élire trois, et j'en suis très fier.

La situation dans les banlieues est le résultat d'une politique de la ville désastreuse, qui n'a pas pris en considération les problèmes des ghettos. M. Borloo nous proposera dans quelques jours d'y apporter des réponses.

Parce que la politique du Gouvernement permettra que l'immigration soit bien une chance et non un risque pour notre pays, le groupe UDF votera contre la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

La question préalable mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Claude Goasguen - Voilà un débat qui semble tenir en haleine les Français depuis vingt ans et qui en réalité n'a jamais commencé : la France parle beaucoup de l'immigration mais elle n'a pas de politique de l'immigration. Elle n'en a jamais eu, au sens où l'Australie, les Etats-Unis ou la Canada, pays qui sont nés de l'immigration, en ont une.

En France, le débat sur l'immigration a été détourné, d'abord pour des raisons politiques. Notre passé colonial, les circonstances de la guerre d'Algérie ont chargé d'affects ce qui fait partie des éléments objectifs de la vie d'une nation. Notre pays a été ainsi pris entre d'un côté les phobiques, qui ont parfois versé dans le racisme en oubliant tous ceux qui ont donné leur sang pour notre patrie, et de l'autre tout aussi bruyants, les angéliques, qui faisaient croire que la France était ouverte à tous, jusqu'à ce qu'un Premier ministre socialiste vienne dire que la France n'avait pas vocation à accueillir toute la misère du monde, qu'elle était la terre des droits de l'homme mais aussi celle de la légalité.

Aux bonnes consciences angéliques je voudrais dire qu'un jeune Sénégalais à qui l'on apprend l'alphabet français dans la détresse de la brousse ne sait pas que ce qui l'attend dans la banlieue parisienne, ce sont les miasmes du racisme. Ces angéliques ont joué de manière honteuse avec la poussée du racisme, en agitant depuis vingt ans pour faire monter le Front national, le chiffon rouge du vote des étrangers ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

La politique de l'immigration a par ailleurs été noyée dans l'administratif. Si en effet, il y a en France trop de lois, il est des domaines dans lesquels il n'y en a pas assez : l'Education nationale, mangée par les règlements, mais aussi l'immigration. On a accumulé des dispositions administratives permettant de colmater les voies d'une immigration non pas voulue, mais subie, alors que nous devrions avoir la maturité des grandes démocraties, qui disent quelle est l'immigration souhaitable pour la richesse de la nation.

Ce projet établit les soubassements qui permettront, dans les mois qui viennent, de définir une vraie politique de l'immigration.

Je souhaite qu'on agisse dans la transparence, et d'abord dans la transparence de l'information. L'amendement que j'avais proposé à M. Chevènement il y a cinq ans, et qui a été repris par la commission des lois, permettra, par la diffusion de chiffres vrais et compréhensibles, de faire taire les rumeurs qui nourrissent le racisme.

Information, mais aussi délibération ; je ne vois pas pourquoi l'Assemblée ne débattrait pas régulièrement, comme cela se fait dans de grandes démocraties, de la politique d'immigration à mener. Comment, combien, dans quelles conditions ? Ce sont les questions que nous devons nous poser.

La loi Réséda a permis à des passeurs et des avocats marrons de donner à beaucoup l'espoir de passer à travers les mailles du filet. J'avais pour ma part proposé à M. Chevènement qu'on recherche un consensus sur le sujet de l'immigration, car on nous parle sans arrêt du 21 avril, mais c'est bien la politique menée par les socialistes qui a amené Le Pen au deuxième tour ! En Allemagne, chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates ont réussi à se mettre d'accord sur des grandes lois relatives à l'immigration.

J'espérais que les socialistes français seraient capables de la même maturité...

Plusieurs députés UMP - Ils ne sont plus dans l'hémicycle !

M. Claude Goasguen - Monsieur le ministre, vos propositions sont modérées, même si M. Caresche, dans un discours bien poussif, a essayé de trouver des raisons de s'y opposer. Cette modération, qui vous honore, ne laisse pas sans amertume certains députés de nos rangs. Mais vous avez eu raison de tenir compte de l'état de l'opinion : il n'est de bonne loi qu'acceptée par les Français, qui dans leur immense majorité veulent une loi simple, claire, appliquée, une loi de bon sens.

Vous répondez à l'ensemble des abus de la loi Réséda. Au sujet des mariages blancs, comment peut-on être assez aveugle ou de mauvaise foi pour nier la réalité des problèmes ? Concernant l'attestation d'accueil, vous prenez une mesure de bon sens. Vous avez aussi parfaitement abordé la question du regroupement familial. J'espère que vous accepterez un certain nombre d'amendements ; sur la question des ressources, la loi Réséda a donné lieu à beaucoup d'abus.

En ce qui concerne le débat sur la double peine, je regrette qu'on ait conservé la prescription décennale que M. Chevènement avait inventée pour remédier au problème des sans-papiers, et qui ne faisait que l'aggraver : avec la loi Chevènement, toute personne suffisamment habile pour vivre en situation d'illégalité voyait en effet celle-ci devenir quasi légale...

Enfin, nous attendons beaucoup de l'Europe : nous souhaitons une politique qui s'inscrive dans le traité d'Amsterdam. Le problème de la rétention administrative ne pourra se régler par une loi ; il ne trouvera de solution que dans le cadre d'une convention européenne, laquelle aura l'avantage d'être supraconstitutionnelle et qui nous permettra d'établir un mode de rétention commun à l'ensemble des pays ; actuellement les immigrés jouent sur les différences entre les législations et la nôtre est particulièrement attractive pour eux.

J'espère qu'avec la présidence italienne, qui a mis ce problème au premier rang de ses préoccupations, un accord sera trouvé sur les concepts, actuellement différents de l'immigration.

Enfin je souhaite qu'on ne parle plus de l'immigration sans évoquer la coopération. Je pense à nos frères africains qui sont dans la difficulté, à qui nous ne devons pas faire de promesses vaines mais apporter une aide réelle. Il n'y a pas de solution au problème de l'immigration en provenance d'Afrique qui ne passe par une grande politique de coopération. Je vous félicite, Monsieur le ministre, d'avoir engagé des discussions bilatérales et je souhaiterais qu'elles portent aussi sur la réinsertion des immigrés. Je suis en effet pour une immigration temporaire, qui permette à l'Afrique de garder ses éléments les plus forts. Il faudrait que ceux qui souhaitent retourner chez eux puissent le faire dans l'honneur et après avoir bénéficié d'une formation permettant leur réinsertion. Nous avons des devoirs vis à vis de l'Afrique - les Africains méritent la coopération de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Bruno Le Roux - C'est un débat important. Il n'y a pas une journée où nous ne soyons confrontés, dans nos permanences et nos déplacements, à des demandes d'intervention pour l'obtention de papiers - et vous le savez bien, Monsieur le ministre, les demandes d'intervention qui vous sont adressées n'émanent pas seulement d'élus de l'opposition !

M. le Ministre - C'est vrai !

M. Bruno Le Roux - Il est donc nécessaire de clarifier les choses, plutôt que de solliciter des dérogations à des textes difficilement applicables.

Mais je trouve, Monsieur le ministre, qu'il y a un grand décalage entre les objectifs que vous vous fixez et le contenu de votre projet. Souhaitez-vous réellement sortir d'un débat trop souvent caricatural ? J'en doute à l'examen de ce texte, qui est dans la lignée des lois Pasqua
- elles ont pourtant démontré leur inefficacité - et qui menace, sur bien des points, les droits des étrangers en situation régulière.

La philosophie qui le sous-tend, on la trouve formulée dans les écrits de la majorité : « Nous devons nous protéger de l'invasion afin de préserver notre identité nationale, nos valeurs et nos avancées sociales ».

M. Eric Raoult - Nous n'avons jamais dit cela !

M. Bruno Le Roux - Je vous donnerai mes sources ce soir !

Ce projet contribue à entretenir la confusion entre immigration clandestine et immigration régulière. Il est aussi un coup porté à l'intégration : nous ne pouvons plus nous contenter de belles déclarations sur ce point. L'intégration n'est pas faite à ce jour... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre - Et pourquoi ne l'avez-vous pas faite ?

M. Bruno Le Roux - La loi Réséda (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) reposait sur une analyse globale, qui se fondait notamment sur le rapport demandé par Jean-Pierre Chevènement à Patrick Weil. Certes elle aurait dû être complétée, notamment sur le vote des étrangers, mais aujourd'hui vous refusez tous ces outils. Alors montrez-nous ce qu'est votre politique d'intégration ! Elle est en effet absente de ce texte.

La politique de maîtrise de l'immigration ne doit pas fragiliser les étrangers en situation régulière, ni porter atteinte à des libertés fondamentales. Elle doit en outre, être harmonisée au niveau européen. C'est donc un débat très sérieux et nous vous ferons des contre-propositions, article après article. Vos mesures sont au mieux inefficaces, au pire dangereuses. Nous aurions souhaité une réponse forte au vote extrémiste de 2002, un rassemblement républicain autour d'une vision commune de l'immigration et de l'intégration. Or, vous n'ouvrez pas ce débat de fond (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Votre projet n'est pas efficace pour de multiples raisons. En compliquant le regroupement familial, vous pénalisez les étrangers installés en France et allez transformer des situations régulières en situations irrégulières.

M. Guy Geoffroy - Affirmation gratuite !

M. Bruno Le Roux - Vous allez voir ! Patrick Weil disait, très récemment, dans une interview, que les étrangers en situation irrégulière trouveraient les moyens de passer au travers des mailles du filet, et que les autres seraient fragilisés.

Votre texte est ambigu. Vous acceptez des avancées réelles sur la double peine, qui ne concerne que quelques dizaines de personnes par an, mais au prix d'atteintes aux droits et libertés de millions d'étrangers installés sur notre territoire (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Vous allez compliquer encore une législation où les citoyens ont déjà du mal à se retrouver, et accroître la tâche des administrations, ce qui sera source de retards et d'inefficacité.

Mais je veux aussi insister sur le caractère dangereux de votre projet. Nombre de ses dispositions, qu'elles concernent le mariage, le regroupement familial, l'attestation d'accueil, etc. renforcent la suspicion sur l'honnêteté des étrangers, et font entrave à une vie familiale normale.

Cette qualification négative de l'immigration va alimenter les idées fausses qui font le lit de l'extrême droite. La France est depuis longtemps un pays d'immigration, et tout indique qu'elle le restera. Il faut le reconnaître et organiser une maîtrise de ces flux migratoires.

Il ne s'agit pas de prôner une ouverture incontrôlée de nos frontières : nous ne défendons pas une telle position. Mais il faut poser les bonnes questions. Certains secteurs et métiers recourent à l'immigration, alors même que nous connaissons un taux élevé de chômage : ce néo-colonialisme aboutit à un pillage des pays en développement.

La nécessaire maîtrise des flux migratoires suppose un contrôle aux frontières et la lutte contre l'immigration clandestine : mais ces mesures doivent être proportionnées et respecter les libertés fondamentales.

L'enjeu, c'est la lutte contre la criminalité organisée qui installe les filières et met souvent en danger la vie même des candidats à l'immigration.

C'est aussi le combat contre la pauvreté dans les pays d'origine. Or, votre texte n'aborde pas la question fondamentale de la coopération, de l'aide que nous pouvons fournir pour éviter que des gens ne soient obligés de quitter leurs pays, par tous les moyens, afin de pouvoir mener une vie décente. A cet égard, on aurait pu s'interroger sur le système des quotas. Pour ma part, je pense que c'est un débat qui mérite d'être ouvert, mais que vous n'ouvrez pas. A la place, votre texte fait un amalgame, en considérant de la même façon les personnes physiques et morales qui agissent dans un but humanitaire et les organisations mafieuses (M. le rapporteur proteste). La commission nationale consultative des droits de l'homme a d'ailleurs fait remarquer, dans un avis du 15 mai, que votre texte n'était pas intelligible et que la notion de bande organisée permettait de traiter de la même manière un réseau et une famille, ce qui n'était pas sans risque de détournement de l'esprit de la mesure.

M. le Ministre - Venant de cette commission, c'est un compliment !

M. Bruno Le Roux - Je respecte toutes les commissions qui ont un rôle complémentaire au nôtre et qui contribuent à éclairer le débat public.

M. le Ministre - C'est bien connu !

M. Bruno Le Roux - Les avis de cette commission sont toujours particulièrement intéressants, même s'ils ne vont pas toujours dans le sens des dispositions soutenues par votre majorité.

M. le Ministre - Ni des vôtres !

M. Bruno Le Roux - Toute poursuite à l'encontre d'une personne qui apporte sans contrepartie une aide à un étranger en état de nécessité doit être empêchée. Une civilisation évoluée doit interdire les poursuites pénales contre une personne qui a enfreint la loi pour sauvegarder un intérêt supérieur. Or les personnes physiques et les associations humanitaires qui apportent leur soutien aux étrangers sont clairement menacées par votre texte.

M. le Ministre - Pourquoi, alors, avez-vous ratifié la convention de Palerme ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Bruno Le Roux - Les articles 16, 17 et 18 de votre projet renforcent substantiellement la répression pénale pour l'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour des étrangers. Palerme n'avait pas cet esprit, et ne vous oblige pas à prendre de telles dispositions, qui jettent la suspicion sur tous ceux qui s'efforcent de combattre la misère et les traitements inhumains. Votre politique met d'ailleurs beaucoup d'associations en péril. Lors de la discussion de la loi sur la sécurité, vous nous aviez promis qu'elles seraient préservées ; elles me disent aujourd'hui qu'elles n'ont aucun moyen pour remplir leur tâche ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Eric Raoult - C'est faux !

M. Bruno Le Roux - De tout ce que vous aviez promis, rien n'a été mis en place.

M. le Ministre - C'est faux !

M. Bruno Le Roux - Il en sera de même pour les associations qui s'occupent des étrangers.

M. le Ministre - Elles sont dans les avions !

M. Bruno Le Roux - Vous les fragilisez, d'abord par la suppression des emplois-jeunes, ensuite par celle des aides financières, et maintenant par ce texte.

Outre la forme manifestement inconstitutionnelle de l'article 18 sur la confiscation des biens sans indemnisation, il y a quelque contradiction entre votre projet et vos déclarations publiques. Ainsi, vous assuriez à la présidente du GISTI que les personnes physiques et les associations humanitaires faisaient l'objet d'une grande tolérance de la part des services de police et que vous n'aviez nullement l'intention de poursuivre ceux qui tendent la main à des personnes en situation de détresse (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre - On ne saurait mieux dire !

M. Bruno Le Roux - Je note que votre majorité ne vous suit pas. La commission a refusé un amendement de M. Perruchot prévoyant que les personnes ayant aidé un étranger en situation irrégulière mais en état de nécessité ne peuvent pas faire l'objet de poursuites pénales. Heureusement, un amendement du groupe socialiste, adopté par la commission, vous aidera à rendre le texte cohérent avec vos déclarations.

M. le Ministre - Alors pourquoi me faire ce procès ?

M. Bruno Le Roux - Votre texte allait dans la mauvaise direction, nous l'avons rectifié !

M. le Ministre - Respectez-moi : excusez-vous !

M. Bruno Le Roux - J'adopte la jurisprudence du Premier ministre...

Il faut néanmoins aller plus loin que cet amendement, et décider que les membres d'une même famille qui agissent ensemble ne peuvent en aucun cas être assimilés à une bande organisée ou à un réseau d'immigration clandestine. Nous espérons que vous accepterez ce deuxième amendement.

Je m'étonne également du silence complet - et peut-être complaisant - de votre projet sur l'incrimination des employeurs de main-d'_uvre en situation irrégulière. Le code du travail interdit clairement d'employer un étranger qui n'est pas muni d'un titre l'y autorisant, mais l'amende prévue est purement symbolique. Pourquoi n'avez-vous pas renforcé la lutte contre le travail clandestin comme celle contre l'entrée des étrangers en situation irrégulière ou contre les mariages blancs ?

M. le Rapporteur - Un amendement a été adopté à ce sujet !

M. Bruno Le Roux - J'évoquerai enfin la délocalisation des audiences du juge des libertés chargé de se prononcer sur le maintien en zone d'attente des étrangers arrivant en France.

M. le Ministre - C'est vous qui avez créé la salle d'attente de Roissy !

M. Bruno Le Roux - Je connais très bien le problème, et je sais que le gouvernement Jospin avait décidé de ne pas la mettre en service (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Eric Raoult - Quel gâchis !

M. Bruno Le Roux - Il avait écouté ceux qui étaient chargés d'y travailler.

M. Jean-Christophe Lagarde - Les transfèrements mobilisent des dizaines de policiers, alors qu'il en manque tant en Seine-Saint-Denis !

M. Bruno Le Roux - La répartition des forces de l'ordre et la dignité des personnes qui sont transportées sont d'autres problèmes, et ce n'est pas en mettant en place une justice d'exception opaque qu'on les résoudra ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Christophe Lagarde - C'est honteux !

M. Bruno Le Roux - Nous faisons une proposition constructive : la construction d'un nouveau tribunal de grande instance est envisagée depuis plusieurs années en Seine-Saint-Denis.

M. Eric Raoult - Et qui a pris la décision ?

M. le Président - N'interrompez pas M. Le Roux, il va conclure.

M. Bruno Le Roux - Roissy génère un contentieux considérable, qui peut être aussi commercial, civil et même parfois pénal. Il faut sortir de cette situation en ouvrant un nouveau TGI dans cette zone (M. Eric Raoult s'exclame). Monsieur Raoult, vos insultes sont particulièrement malvenues. J'attends vos propositions au cours du débat. Sur ce genre de sujet, vos déclarations sur le terrain et vos actes ont toujours fait le grand écart ! Un peu de modestie ! Si vous n'avez que cela comme arguments, ils ne sont pas à la hauteur du débat.

Le débat d'aujourd'hui, nous l'attendions. Il est nécessaire à notre pays. Vous ne l'ouvrez que sur la pression de votre majorité, avec un texte partiel, partial et dangereux, qui n'est pas à la hauteur de ce à quoi vous nous aviez habitués, Monsieur le ministre, depuis une année.

M. le Ministre - J'ai du respect pour M. Le Roux, mais quand on franchit les bornes, il doit y avoir une réponse. Ce qu'il dit sur la répression des passeurs agissant en bande organisée est proprement hallucinant. Ne voulant pas croire à sa mauvaise foi, je le mets sur le compte de quelque lacune dans sa compétence. Qui a introduit dans notre droit pénal la répression des passeurs agissant en bande ? M. Chevènement, par la loi Réséda !

M. Bruno Le Roux - Et alors ?

M. le Ministre - La troisième incrimination nouvelle ne fait que reprendre celle qui était prévue dans la loi Réséda elle-même ! Vous venez de dénoncer avec une violence et une outrance qui ne vous ressemblent pas ce que vous aviez voté !

En ce qui concerne la convention de Palerme, elle a été ratifiée en 2000 à l'unanimité ! En quoi la transposition de ses dispositions mettrait-elle gravement en cause les droits de l'homme, et serait-elle une honte pour la France ? Je suis prêt au dialogue, prêt à accepter des amendements qui amélioreront notre texte. Alors, pourquoi de tels procès d'intention ? Vous avez reproché hier au Premier ministre une déclaration qui était bien anodine par rapport aux insultes dont vous venez d'abreuver la majorité ! MM. Caresche et Valls, quelles que soient leurs opinions, ne nous ont à aucun moment blessés ni insultés !

M. Bruno Le Roux - Mais vous n'avez pas daigné leur accorder la moindre réponse !

Plusieurs députés UMP - Des excuses !

M. le Ministre - Je ne vous en demande pas. Ces propos ne vous ressemblent pas. Un coup de fatigue, sans doute... Mais quand on ne veut pas recevoir de leçon, on n'en donne pas (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Bruno Le Roux - Au moins, ce que j'ai dit vous a fait mal !

M. Nicolas Perruchot - L'immigration n'est pas un sujet pour l'extrême droite, mais pour l'ensemble de la classe politique et pour tous ceux qui veulent faire de la France un creuset de cultures et d'identités. Or, ce débat est devenu tabou. Certains ont voulu le cacher, et ont invité les préfectures et les procureurs à ne pas appliquer la loi et à s'en désintéresser. Il n'a donc pas eu lieu et les résultats se sont faits sentir le 21 avril. Lorsque 17 % des électeurs croient que les problèmes de la France sont le fruit de l'immigration, comment ne pas se sentir alerté ?

Après vingt-cinq modifications de l'ordonnance du 2 novembre 1945, la politique d'immigration et d'intégration de la France est un échec.

M. Jean-Christophe Lagarde - C'est vrai !

M. Nicolas Perruchot - Nous n'avons plus la maîtrise des flux migratoires, prérogative essentielle de l'Etat et condition indispensable de l'intégration des étrangers dans la société. Tant que nos concitoyens auront le sentiment que les étrangers en situation irrégulière ne seront pas reconduits à la frontière, ils continueront à faire l'amalgame avec ceux qui sont en situation légale (M. Jean-Christophe Lagarde approuve). Sur le terrain, les réfugiés, déjà meurtris, se trouvent parfois confrontés à leur hostilité parce que d'autres sont entrés en France de façon irrégulière. Cette situation a des conséquences en matière d'emploi, de logement, de loisirs, bref, dans toutes les relations entre Français et étrangers.

Les faiblesses du système sont bien connues : détournement de la procédure d'asile, attesté par le quadruplement des demandes entre 1998 et 2001 ; explosion du nombre d'attestations d'accueil - de 160 000 à 735 000 entre 1997 et 2002 - ; chute du taux d'exécution des décisions d'éloignement - de 25 % à 17 % entre 1997 et 2001.

M. Jean-Christophe Lagarde - Belle absence de volonté !

M. Nicolas Perruchot - Est-il normal que nous ne puissions savoir si le bénéficiaire d'un visa de court séjour est bien reparti au bout de trois mois ? Est-il normal que le niveau de ressources jugé suffisant pour qu'un étranger puisse faire venir sa famille soit le SMIC ? Est-il normal que, lorsqu'il est jugé insuffisant - dans 70 % des cas - le taux d'accord pour le regroupement familial soit néanmoins de plus de 80 % ? Est-il normal que l'on encourage les préfets à ne pas appliquer la loi et qu'un officier de police judiciaire ne puisse appliquer une mesure de reconduite à la frontière parce que l'identité d'un étranger a été connue lors d'une procédure d'expulsion d'un squat ? Est-il normal que des réseaux de proxénétisme se mettent en place dans les centres d'accueil de réfugiés ? Est-il normal qu'à Roissy, un tribunal flambant neuf ne soit pas utilisé, alors qu'il permettrait d'améliorer le traitement des dossiers des étrangers présents en zone d'attente ?

M. le Ministre - Très bien !

M. Nicolas Perruchot - La France restera-t-elle un Etat-nation, ou deviendra-t-elle un agrégat de communautés ?

Ni la fermeture ni l'ouverture totales de nos frontières ne permettront d'intégrer les étrangers. Notre capacité de maîtrise des flux migratoires et la mise en place d'une politique d'accueil seront déterminantes.

Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour le courage avec lequel vous abordez sans tabous la situation actuelle et proposez des solutions efficaces et respectueuses de la dignité des personnes. Depuis un an, nous constatons une amélioration sensible du taux d'exécution des mesures d'éloignement et, tout simplement, du degré d'application de la loi. C'est là le premier devoir de l'Etat.

Y renoncer, ce n'est pas « faire du social », mais prendre des libertés inacceptables avec la volonté du peuple. C'est dans la transparence que l'on nous propose aujourd'hui l'aménagement de la double peine en lieu et place des libertés prises par nos prédécesseurs - en toute illégalité, si l'on donne tout sons sens à l'acte législatif.

M. Jean-Christophe Lagarde - Très bien !

M. Nicolas Perruchot - Je ne crois pas que le problème soit de savoir s'il faut durcir ou assouplir les conditions d'accès et de séjour des étrangers. Il faut sortir de cet antagonisme manichéen et considérer cette question dans un sens plus humaniste.

Lors des nombreuses auditions et visites que nous avons effectuées avec Jean-Christophe Lagarde pour préparer cette discussion, tous nos interlocuteurs nous ont dit que la loi Réséda a fait exploser le nombre d'arrivées sur notre territoire...

M. Jean-Christophe Lagarde - C'est vrai.

M. Nicolas Perruchot - ...sans pour autant prévoir un dispositif d'accueil digne de ce nom.

Les filières d'immigration clandestine sont de véritables réseaux mafieux, qui profitent de la détresse des migrants pour les exploiter. Quels que soient les moyens utilisés, le trafic d'êtres humains ne saurait être toléré, et nous devons disposer d'un arsenal complet pour faire cesser ce scandale. N'oublions pas que les premières victimes de l'immigration clandestine sont les immigrés eux-mêmes.

M. Jean-Christophe Lagarde - Exactement.

M. Nicolas Perruchot - Un texte unique, néanmoins, aurait eu le mérite de montrer que le Gouvernement souhaite à la fois lutter contre l'immigration clandestine et proposer un parcours d'intégration dans la société française.

M. Bruno Le Roux - Eh oui !

M. Nicolas Perruchot - Tous ces sujets sont liés. Ainsi, nous unifions la procédure de demande d'asile tout en maintenant des dispositions différentes pour le droit au séjour. Nous introduisons la condition d'intégration satisfaisante dans la société française pour l'obtention de la carte de résident et de la nationalité, mais seulement dans certains cas et sans prévoir un parcours d'intégration permettant à l'étranger de respecter cet engagement.

Nous sommes en droit de regretter l'absence d'un volet « intégration », une vraie maîtrise de l'immigration passant par une intégration satisfaisante. Il faut ainsi proposer aux immigrés un enseignement de notre langue et des principes de notre République.

Le texte renforce certaines dispositions afin de lutter contre les abus et la fraude - je pense aux attestations d'accueil, au regroupement familial ou aux mariages blancs. Maire depuis deux ans, il m'est de plus en plus difficile de ne pas célébrer des mariages que je sais pourtant frauduleux. C'est tout le problème posé par une certaine économie parallèle, dont les femmes sont les premières victimes. Les mariages blancs, dans ma commune, se négocient entre 7 500 et 15 000 € ; ils représentent entre 15 % et 20 % des mariages célébrés. Les officiers d'état-civil saisissent certes le Procureur de la République, mais généralement sans résultat.

Il est également souhaitable de renforcer les pouvoirs des maires pour la délivrance des attestations d'accueil. Même si le projet de loi va dans ce sens, j'ai déposé un amendement au terme duquel ils doivent être informés des suites données.

S'agissant de la prise d'empreintes digitales des ressortissants demandant la délivrance d'un visa dans leur consulat ou à l'occasion du franchissement de la frontière, nous avons souhaité, avec Jean-Christophe Lagarde, systématiser le relevé et l'accompagner d'une photo afin de rendre le système plus efficace.

Concernant le regroupement familial, les critères de l'ordonnance de 1945 ne semblent plus adaptés. Je souhaiterais, Monsieur le ministre, que vous révisiez notamment les critères de logement et de ressources, les abus étant fréquents.

L'adoption de ce texte ne clarifiera pas pour autant la législation concernant les étrangers, sans doute la plus illisible d'Europe. Nous devons aller plus loin dans le suivi et la rationalisation des procédures. Il est en effet essentiel de garantir aux étrangers une information claire et accessible sur leurs droits et leurs devoirs.

Nous avons du temps pour donner à la France une politique d'intégration digne de sa réputation. J'espère qu'il sera bien employé. Le sauvetage de notre lien social est à ce prix (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. André Gerin - « Selon que vous serez puissant ou misérable » : cette formule illustre les choix politiques du gouvernement Raffarin et du Président Chirac. Un vent mauvais souffle sur ce pays. Cette politique fabrique de la haine. Les petites gens sont dans le collimateur et votre texte, à cet égard, a le mérite de la clarté (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre - Parlez-nous des bulldozers ! (Rires)

M. André Gerin - Après les retraites, nous changeons de sujet, mais pas de philosophie. De quel acharnement faites-vous preuve contre les simples gens, hier contre les travailleurs en fin de carrière, aujourd'hui contre les « étrangers » et les réfugiés, ces citoyens de notre planète qui n'ont pas la chance de vivre dans un monde doré et qui, la plupart du temps se voient dénier toute citoyenneté ! On ne peut pas vous reprocher de manquer d'ardeur pour présenter une politique hostile aux immigrés, soupçonneuse jusqu'à en devenir tatillonne.

M. le Ministre - Moi, je n'avais jamais conduit de bulldozer !

M. André Gerin - Permettez au maire que je suis de m'insurger contre la volonté du Gouvernement de se défausser sur les élus locaux. Bien sûr, les mariages blancs et les faux justificatifs de domicile existent. Mais la politique de l'immigration est une question nationale. Il appartient à l'Etat de s'en occuper, avec le concours de la justice quand il le faut.

Les médias ont fait grand cas de votre approche du problème de la double peine. Il y a là une avancée incontestable.

M. le Ministre - C'est honnête de le reconnaître !

M. André Gerin - Mais la question n'est pas réglée, puisque le principe même de la double peine est maintenu.

Vous installez une société sécuritaire féroce envers le peuple. Je n'oublie pas le triste anniversaire des lois Pasqua de 1993, que les députés communistes et républicains ont toujours voulu abroger, de même qu'il n'ont pas soutenu les lois Chevènement.

Vous dites récuser à la fois le dogme d'une immigration zéro et celui du laisser-faire. L'architecture de votre projet s'appuie sur un socle dont vous avez déjà éprouvé la solidité : la lutte contre les fauteurs de désordres publics, en l'occurrence les organisateurs de l'immigration clandestine. S'il faut évidemment mener un combat résolu contre les marchands d'hommes, les négriers, les trafiquants de main-d'_uvre, les patrons des ateliers clandestins - et vous savez très bien qu'il y en a de gros et de puissants qui ont pignon sur rue...

M. le Ministre - Ecoutez donc ce que dit M. Le Roux !

M. André Gerin - ...pas une ligne, dans votre texte, ne tend à la protection des étrangers victimes de ces bandits. Pire : à chaque fois que vous évoquez l'immigration clandestine, vous procédez à un scandaleux amalgame entre les trafiquants et leurs victimes.

Dès lors, tous les coups sont permis. Imaginez un étranger qui a fait un long voyage, dupé ou forcé, et qui se voit placé dans un centre de rétention. S'il refuse de signer le procès-verbal lui signifiant le refus de son admission sur le sol national, votre projet lui fait perdre le maigre bénéfice du « jour franc ». C'est une disposition d'une rare perversité, puisque la victime peut tout simplement ne pas comprendre qu'elle a été flouée, et elle en est punie.

Cette perversité est tout sauf une maladresse. Elle vise à jeter méthodiquement la suspicion sur l'étranger qui se présente à nos frontières. Il s'agit à tout prix de faire passer dans l'opinion l'idée que nous avons à nous défendre, contre l'invasion sournoise des hordes venues du sud... (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

A force de spéculer sur les frayeurs de l'opinion, vous pourrez bientôt vous vanter d'avoir anticipé les solutions qu'appelle de ses v_ux le Front national (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Il est de bon ton de dire que vous posez de vraies questions. En vérité, vous renversez outrageusement les problèmes. La réalité, c'est le chef de l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière qui la décrit...

M. le Ministre - Attention ! Il est là ! (Sourires)

M. André Gerin - ...en expliquant qu'à part les filières chinoises, organisées par des bandes criminelles pour fournir une main d'_uvre corvéable à merci aux ateliers clandestins, les autres traduisent le « sauve qui peut » de populations confrontées à des situations invivables.

La réalité, c'est que l'Europe des riches veut se barricader contre la misère du monde. La réalité, c'est que l'Europe abrite moins de 5 % des réfugiés de la planète, et qu'il y a davantage de réfugiés dans la seule Tanzanie que dans les quinze pays membres de l'Union européenne.

Il est triste de voir la France s'engager dans cette voie, et lorsque le rapporteur attribue à une immigration non contrôlée la montée des communautarismes - que nous combattons comme lui - il inverse une nouvelle fois les problèmes. La cause première de ce phénomène, c'est le rejet, par une certaine France, des étrangers, rejet qu'attise la politique du Gouvernement.

La République ne souffre pas d'une trop forte immigration, mais du refus de l'intégration des immigrés. Le problème est inversé, encore, lorsque vous prétendez renouveler le projet d'intégration en signant, de façon parcimonieuse et hautement conditionnelle, des contrats d'accueil et d'intégration. Quel fossé entre cette « vitrine » et la réalité, que votre projet va dramatiquement aggraver !

En vérité, vous voulez contrôler les flux migratoires pour répondre à la demande de main-d'_uvre faite par le capital, (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), et rejeter tous ceux qui lui sont inutiles.

Nous sommes bien éloignés du principe républicain de la France terre d'accueil et d'asile !

M. Serge Grouard - Pas du tout !

M. André Gerin - Votre projet généralise la précarité. La carte de séjour d'une année renouvelable devient la norme, le délai d'obtention de la carte de résident est reculé de trois à cinq ans et il faudra dorénavant faire preuve de « volonté d'intégration » pour l'obtenir, alors qu'à sa création - votée en 1984 à l'unanimité de la représentation nationale - elle était considérée comme un outil d'intégration en elle-même.

Les conditions du regroupement familial deviennent de plus en plus draconiennes. Mais qui peut croire qu'en précisant le statut des conjoints ou des membres d'une famille, on favorise leur intégration ? Au contraire, ce projet aggravera le sort des plus fragiles, en premier lieu les femmes immigrées.

Pire encore, votre projet instaure la suspicion généralisée, et il instaure un mode de gestion de l'immigration qui n'a rien à voir ni avec nos traditions républicaines ni avec les valeurs humanistes de notre pays. Tout est fait pour amener à penser que l'étranger est, a priori, un fraudeur. Il n'est pas besoin de chercher bien loin pour comprendre quel public vous voulez séduire avec de telles conceptions ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

J'en viens au point le plus scandaleux de votre projet : la rétention administrative et l'allongement de sa durée. Il faut le dire avec force : les zones d'attente sont des zones de non-droit, et les conditions d'hébergement y sont parfois à ce point indignes que de très nombreuses associations, dont la Cimade, en demandent la fermeture.

M. Serge Grouard - Et qu'avez-vous fait à ce sujet ?

M. André Gerin - Les normes d'accueil ne sont pas respectées dans au moins sept centres en province, et trois en région parisienne. A Bordeaux, le centre est installé dans le sous-sol sans fenêtre d'un commissariat. A Nantes, les plafonds menacent de s'écrouler. A Rivesaltes, le système électrique est hors norme. A Calais, les retenus dorment dans un dortoir souvent sale, gardés par des CRS. A Toulouse, le plafond grillagé fait songer à une cage.

Mais les locaux ne sont pas seuls en cause, et la situation des étrangers dans ces centres ressemble beaucoup trop à celle de détenus. Or, rien ne justifie cette incarcération qui, circonstance aggravante, se déroule en dehors de tout contrôle du judiciaire.

L'exercice de leurs droits par les étrangers est souvent aléatoire. L'information des retenus est rarement - et mal - assurée, et ils ignorent bien souvent le sort qui leur est réservé. Les interprètes font défaut, et les conseillers juridiques sont, la plupart du temps, inexistants. Dans ces conditions, allonger la durée de la rétention administrative revient à faire payer plus lourdement aux étrangers le seul fait d'avoir choisi la France pour destination.

Pour ce qui me concerne, je me prononce pour la fermeture totale de ces zones, afin que l'accueil des étrangers se fasse dans le respect du droit et conventions internationales.

M. Serge Grouard - « Y'a qu'à » !

M. André Gerin - Que disent les associations qui se préoccupent activement du sort des étrangers arrivant à nos frontières ? Que dans la zone d'attente de l'aéroport Charles-de-Gaulle de Roissy, les conditions de retenue sont particulièrement éprouvantes pour les étrangers, maintenus dans ces lieux en général non aérés et sans accès direct aux sanitaires.

Ces associations s'alarment des violences dont se disent victimes, de façon récurrente, les étrangers en attente d'admission sur le territoire français. Les brutalités physiques sont courantes et nombreuses, de même que les pressions psychologiques et les humiliations. Ainsi certains étrangers ont témoigné avoir été traités de « macaques » ou séparés en fonction de leur confession. Les associations ont relevé des pratiques inadmissibles, telles que des privations de repas, l'accès limité aux sanitaires dans les postes de police, des appels en pleine nuit, par haut-parleurs à un volume excessivement élevé... Et que dire des pressions psychologiques visant à obtenir d'un étranger qu'il renonce à faire valoir ses droits fondamentaux ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

J'insiste sur le fait que ces observations ont été consignées avant l'élaboration du présent projet.

Notre pays doit s'extraire de cette ornière nauséabonde. Nous ne pouvons tolérer la xénophobie, la haine de l'autre, la méfiance comme mode premier des relations humaines. Nous devons retrouver le chemin du droit en fermant définitivement ces centres d'un autre âge.

En conclusion, il est vain de croire que l'on puisse faire cesser les flux migratoires, et tout aussi faux de croire que ces flux pourraient devenir dangereux. Il est choquant d'ignorer que c'est une chance pour nous que des étrangers choisissent notre pays, notre culture, notre langue. Nous avons envers eux un devoir de reconnaissance, d'autant que beaucoup ont eu à subir la colonisation de la France (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Certains de nos voisins proches ont eu, eux, l'intelligence de saisir cette chance, en procédant à des régularisations massives.

M. le Rapporteur - Oui, mais ils ont arrêté !

M. André Gerin - La politique actuelle de répression que mène la France n'est pas seulement un manquement à une tradition d'honneur et au droit (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ce n'est pas seulement une trahison, c'est aussi un mensonge et une mystification. C'est la réponse donnée à un danger imaginaire, qui sert d'alibi à une politique de racolage actif des voix de l'extrême droite.

Qu'il s'agisse du chômage, de l'économie de marché, de la spéculation, qu'il s'agisse d'une Europe livrée aux banques centrales, l'orientation générale est la même, et la politique menée à l'égard des « sans-papiers » et de l'immigration n'est qu'une triste diversion électoraliste, une opération « bouc émissaire », une misérable man_uvre pour grappiller les voix du Front national (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

N'oublions pas que si les premières victimes de cette stratégie sordide sont les immigrés et les « sans-papiers », il en résulte un système policier d'inquisition, de fichage, de quadrillage qui menace chaque citoyen dans l'exercice de ses libertés individuelles et collectives, un système qui menace toutes les libertés, celles des « sans-papiers » comme celles des « avec-papiers » (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Nous devons pouvoir vivre autrement. Or le délit d'hospitalité est puni d'emprisonnement. Que devient un pays quand ont peut y parler de « délit d'hospitalité », quand la générosité devient un crime aux yeux de la loi ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Nous devons pouvoir retrouver le goût d'habiter un pays où l'hospitalité ne sera plus un crime mais une vertu. C'est ce que veulent les députés communistes et républicains, qui n'ont jamais accepté les lois Pasqua-Debré.

M. le Ministre - Ce sont des mensonges !

M. André Gerin - Non seulement ce ne sont pas des mensonges, mais je vous prends en flagrant délit d'irrespect envers la représentation nationale ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. le Ministre - Je maintiens avoir entendu deux mensonges. Pour commencer, le centre de Coquelles, inauguré il y a six mois, est le plus moderne de France. Celui auquel vous faisiez allusion est sans doute l'ancien centre, que le précédent gouvernement n'a pas jugé utile de réhabiliter et où les retenus vivaient, en effet, dans des conditions scandaleuses.

S'agissant d'autre part du centre de rétention de Roissy, vous êtes-vous seulement rendu aux ZAPI ? A votre air, je vois bien que non ? Y seriez-vous allé, comme je l'ai fait, que vous auriez constaté, comme moi, que la France n'a pas à avoir honte de ces lieux. Il reste la question de Bobigny, mais elle sera réglée ultérieurement. Certes, beaucoup de progrès restent à faire, mais s'il est une question qui ne supporte pas le mensonge, c'est celle-là. De même, je ne peux admettre que l'on insulte à tort les fonctionnaires de la PAF, qui travaillent dans des conditions très difficiles. Le bruit de brutalités a couru, et j'ai fait mener une enquête. Si des exactions ont été commises, elles seront sanctionnées. Mais, avant même d'entendre ces bruits, j'avais fait filmer les retours groupés, et j'ai invité des journalistes à visionner ces films, qui ne montrent aucunes brutalités. J'attends toujours, d'ailleurs, la plainte qui devrait être déposée devant la Cour européenne des droits de l'homme...

C'est un amalgame trop grave ! Les fonctionnaires de police font leur travail de façon républicaine et ne méritent pas un tel traitement (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Estrosi - Une nouvelle fois, Monsieur le ministre, vous n'avez pas hésité à vous saisir d'un dossier trop longtemps occulté, faute de courage. Depuis des années, en effet, notre pays a tâtonné entre immobilisme et renoncement en matière de politique de l'immigration.

Ce texte marque une vraie rupture et témoigne de la volonté du Gouvernement de redéfinir un cap, de préciser des objectifs, de fonder une doctrine. Il est équilibré, responsable et volontaire.

Équilibré, car il rejette avec la même force le laxisme et l'extrémisme qui depuis des années prospèrent dans une vraie complicité, entre d'un côté les partisans d'une France fermée, repliée sur elle-même, tournant le dos à sa culture, sa tradition, son histoire, et de l'autre ceux d'un pays ouvert à tous les vents, sans frontière, ce qui revient finalement à supprimer tous les fondements d'une démocratie.

L'immigration a trop souvent été l'enjeu de débats caricaturaux exploitant la détresse humaine au profit d'objectifs électoraux. J'en veux pour preuve l'ouverture systématique par la défunte gauche plurielle, à la veille de chaque échéance électorale importante, d'un débat récurrent sur le droit de vote des étrangers. En agitant ce chiffon rouge, la gauche suscitait des passions qui faisaient du Front national son allié objectif.

J'en veux pour preuve la politique profondément démagogique du précédent gouvernement, qui a procédé à des régularisations massives d'étrangers en situation irrégulière, attitude délibérément provocatrice qui n'a fait qu'exacerber les tensions. Vous tournez heureusement et résolument le dos, Monsieur le ministre, à ces errements coupables.

Ce projet est responsable, dans la mesure où pour la première fois, il est guidé par un principe tellement simple qu'on l'a trop souvent oublié : le respect de la loi. Les choses sont claires : les étrangers qui respectent les lois de la République ont des droits et doivent bénéficier de l'attention permanente de la communauté internationale. Mais ceux qui, dès leur arrivée sur le territoire national, transgressent nos lois, n'y ont pas leur place et doivent être reconduits chez eux.

Placer sur le même plan les étrangers en situation régulière et ceux qui ne le sont pas, constitue une faute lourde.

Les étrangers légalement installés sur notre territoire sont les premières victimes de cet injuste amalgame, alors que notre pays se doit de les accueillir avec la considération qu'ils méritent. Le Président de la République et le Gouvernement ont pris des initiatives majeures, de nature à grandement favoriser leur intégration.

Volontaire, ce texte l'est parce qu'il dessine clairement les contours d'une vraie politique d'immigration pour notre pays.

Une politique fondée d'abord sur le respect de la tradition d'accueil et d'asile qui a forgé la nation française. La France s'est enrichie au fil des siècles d'apports successifs de populations étrangères. Elle a toujours accueilli sur son sol les victimes de la tyrannie ou de l'oppression. Notre pays se doit de préserver cette tradition, qui est intimement associée à son rayonnement politique, intellectuel et culturel.

Une politique fondée ensuite sur la maîtrise des flux migratoires. La France a le droit de choisir et de réguler démocratiquement le nombre des personnes étrangères qu'elle souhaite accueillir. Ce projet lui restitue cette capacité de choix dont elle a été trop longtemps privée. N'est-il pas scandaleux qu'à peine 17 % des procédures d'éloignement de personnes en situation irrégulière aient été exécutées en 2001 ? Vous avez su, Monsieur le ministre, corriger cette tendance, à force de volonté. Mais il convenait aussi de lever les obstacles juridiques à l'exécution de ces décisions. C'est ce que vous faites avec ce projet.

La création d'un fichier d'empreintes digitales pour les demandeurs de visas, l'allongement de la période de rétention, la lutte contre les attestations d'accueil frauduleuses ou contre les mariages blancs tariront les sources d'immigration clandestines. Conjuguées à la détermination avec laquelle vous avez depuis le début de l'année procédé à l'organisation de retours groupés, en parfaite coordination avec les pays d'origine des clandestins, ces dispositions devraient assurer une croissance rapide du taux d'exécution des reconduites à la frontière. Et elles s'harmonisent parfaitement avec la loi réformant le droit d'asile, que nous avons adoptée récemment.

Un amendement adopté en commission des lois autorise des sociétés privées à procéder au transfèrement d'étrangers en situation irrégulière d'un centre de rétention au palais de justice. Il faut savoir, en effet, que les magistrats du tribunal de Bobigny refusent de travailler dans les locaux que le précédent gouvernement a aménagés à Roissy - et dont vous venez de parler, Monsieur le ministre -, de sorte que, chaque jour, 65 policiers sont obligés de consacrer leur temps et leurs efforts au transfèrement vers Bobigny d'étrangers placés en rétention à Roissy. Je pense que ces policiers - auxquels je rends hommage - seraient mieux employés ailleurs, à protéger les personnes et les biens. Tel est le sens de cet amendement.

La commission en a adopté un autre, tendant à frapper d'une amende les compagnies aériennes responsables de l'entrée sur le sol national d'étrangers en situation irrégulière, et un autre permettant de déchoir de la nationalité française des personnes ayant été convaincues d'actes de terrorisme et ayant formulé leur demande d'acquisition de la nationalité française préalablement à leur condamnation.

Au total, ce projet doit nous permettre d'aborder dans la sérénité les questions relatives à l'intégration des étrangers dans notre pays.

M. le Rapporteur - La gauche a déserté l'hémicycle !

M. Christian Estrosi - En effet !

Monsieur le ministre, depuis la fermeture du centre de Sangatte, votre action en matière d'immigration fait honneur à notre pays. Et ce projet marque aujourd'hui une nouvelle étape, décisive, dans l'élaboration d'une politique d'immigration à la fois généreuse et rigoureuse.

Nous vous soutenons sans réserve dans cette démarche courageuse (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance .

FIN DE LA MISSION D'UN DÉPUTÉ

M. le Président - Par lettre du 2 juillet 2003, M. le Premier ministre m'a informé que la mission temporaire précédemment confiée à M. Luc-Marie Chatel, député de la Haute-Marne, avait pris fin le 30 juin 2003.

DÉPÔT DU RAPPORT D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

M. le Président - M. le Président de l'Assemblée nationale a reçu, le 3 juillet 2003, de M. Philippe Douste-Blazy, président de la commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques afin d'améliorer le système de prise de décision, le rapport fait au nom de cette commission par M. Michel Diefenbacher.

Le rapport sera imprimé sous le n° 1 004 et distribué, sauf si l'Assemblée, constituée en comité secret, décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport.

La demande de constitution de l'Assemblée en comité secret doit parvenir à la présidence dans un délai de cinq jours francs à compter de la publication du dépôt du rapport au Journal officiel, soit avant le jeudi 10 juillet 2003.

SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le Président - J'ai reçu de M. le Président du Conseil constitutionnel une lettre m'informant qu'en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, plus de soixante députés ont saisi le Conseil constitutionnel d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi de programme pour l'outre mer.

Prochaine séance ce soir, à 21 heures 45.

La séance est levée à 20 heures 10.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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