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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session extraordinaire de 2002-2003 - 5ème jour de séance, 12ème séance

1ère SÉANCE DU LUNDI 7 JUILLET 2003

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

Sommaire

      CONVOCATION D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE 2

      LOI ORGANIQUE PORTANT RÉFORME DU SÉNAT
      LOI SUR L'ÉLECTION DES SÉNATEURS 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (Élections des sénateurs) 7

      QUESTION PRÉALABLE (Élections des sénateurs) 15

La séance est ouverte à dix heures.

CONVOCATION D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant qu'il avait décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi modifiant la loi du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive.

LOI ORGANIQUE PORTANT RÉFORME DU SÉNAT
LOI SUR L'ÉLECTION DES SÉNATEURS

L'ordre du jour appelle la discussion de deux propositions de loi, adoptées par le Sénat, relatives à l'élection des sénateurs.

Mme la Présidente - La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales - Plusieurs initiatives ont été prises au cours des dernières années afin de modifier le scrutin sénatorial.

En 1999, le gouvernement précédent déposait un projet de loi relatif à l'élection des sénateurs devenu, après son adoption par le Parlement, la loi du 10 juillet 2000.

Au mois de février 2000, ce même gouvernement déposait au Sénat un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire pour mettre à jour la répartition des sièges des sénateurs entre les départements.

Ces deux projets ont été alors rejetés par le Sénat, qui avait adopté une question préalable.

Au mois de décembre 2000, le sénateur Gélard déposait une proposition de loi réaffectant, à nombre constant, les sièges existants de sénateurs entre les départements, compte tenu des résultats du recensement général de 1999.

Le groupe de réflexion sur l'institution sénatoriale présidé par M. Hoeffel a remis un rapport en 2002 qui comporte plusieurs propositions relatives au mode d'élection des sénateurs.

La proposition de loi adoptée en première lecture par le Sénat le 12 juin dernier qui vous est aujourd'hui soumise peut donc être considérée comme l'aboutissement de cette réflexion.

La Constitution reconnaît au Sénat un rôle législatif essentiel en tant que représentant des collectivités territoriales et des Français établis hors du territoire national. Il convient donc de veiller à sa représentativité et de renforcer sa légitimité dans la perspective d'une meilleure représentation des collectivités locales.

Le renforcement de la légitimité du Sénat passe par la réduction de la durée du mandat et l'instauration d'un renouvellement par moitié, l'actuelle durée de neuf ans faisant désormais figure d'exception quand tous les autres mandats sont de cinq ou six ans.

La proposition de loi organique réduit la durée du mandat sénatorial à six ans, durée qui coïncide avec la durée du mandat de l'ensemble des élus locaux et qui permet de conserver deux caractéristiques de la tradition bicamérale française : l'écart entre la durée du mandat des sénateurs et celle du mandat des députés, d'une part, et le renouvellement partiel du Sénat d'autre part.

Cette réduction nécessite la modification du principe du renouvellement par tiers du Sénat pour éviter un rythme trop rapide. La proposition de loi organique instaure donc un renouvellement par moitié tous les trois ans.

La réduction du mandat sénatorial et l'instauration du renouvellement par moitié impliquent l'adoption de dispositions transitoires permettant de gérer le passage de trois à deux séries, sans porter atteinte aux mandats sénatoriaux en cours. La proposition de loi organique permet de gérer cette transition en dix ans, en commençant, dès 2004, à élire une partie des sénateurs pour six ans et l'autre pour neuf ans.

Il faut également procéder à une nouvelle répartition des sièges des sénateurs entre les départements afin de prendre en compte les trois derniers recensements de la population française.

Le nombre de sénateurs est fixé par la loi organique. Il est actuellement de 304 pour les départements de métropole et d'outre-mer, de six pour les territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales et de 12 pour les Français établis hors de France.

Les dispositions actuelles ont été définies par une loi organique de 1976 qui a créé 33 sièges de sénateurs. La répartition des sièges entre départements est fondée sur la règle suivante : chaque département a droit à un siège jusqu'à 150 000 habitants et à un siège supplémentaire par tranche ou fraction de tranche de 250 000 habitants au-delà de 150 000 habitants.

Toutefois, le législateur de 1976 n'a pas supprimé les sièges des départements auxquels l'application stricte de la clé de répartition conduisait à diminuer le nombre de sénateurs. Trois sièges étaient concernés : un dans la Creuse et deux à Paris. Il a instauré de facto un « cliquet ».

Or, les résultats du recensement général de la population de 1999 ont fait apparaître un décalage entre la répartition des sièges du Sénat, telle qu'elle avait été déterminée en 1976, et la répartition de la population française sur le territoire.

Le Conseil constitutionnel a ainsi indiqué en 2000 et 2001 que la répartition des sièges de sénateurs devait tenir compte de ces évolutions démographiques.

La proposition de loi organique répond à ces préoccupations en reprenant la méthode de répartition appliquée en 1976 et, à partir des chiffres du recensement de 1999, en actualisant le nombre de sénateurs affectés à chaque département. Ainsi, vingt-cinq sièges sont créés dans vingt et un départements et trois territoires d'outre-mer.

La proposition ne revient pas sur l'effet cliquet de 1976 et ne supprime pas les quatre sièges surnuméraires de Paris et de la Creuse. Or, la conformité de cet effet cliquet à la Constitution n'a jamais été examinée par le Conseil constitutionnel.

Le Gouvernement a d'autant moins contesté le choix du Sénat que la suppression de sièges à Paris et dans la Creuse se serait faite exclusivement au détriment de l'opposition.

La proposition de loi relève de trois à quatre sièges par département le seuil à partir duquel s'appliquent le scrutin proportionnel et l'obligation d'alternance des candidats de chaque sexe sur les listes électorales.

La conformité à la Constitution du relèvement de ce seuil a été longuement débattue, certains prétendant qu'elle réduirait le champ d'application de la parité et méconnaîtrait l'article 3 de la Constitution selon lequel « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».

M. Bernard Roman - C'est évident.

M. le Ministre délégué - Le Conseil constitutionnel pourrait, en effet, vérifier que les dispositions de la proposition de loi « n'ont ni pour objet ni, par elles-mêmes, pour effet de réduire la proportion de femmes élues ».

Cependant, selon la formule consacrée, « la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement ». Aucune règle ne saurait priver le Parlement de sa légitimité à modifier un mode de scrutin. En fixant au législateur l'objectif de favoriser l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives, le constituant n'a pas entendu lui imposer la substitution irréversible du scrutin de liste au scrutin uninominal. Si telle était la règle, seul le scrutin proportionnel serait constitutionnel. Ce n'est évidemment pas le cas.

M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission des lois - Grande pertinence !

M. le Ministre délégué - Le législateur conserve le droit de choisir son mode de scrutin et la Constitution n'en impose aucun.

M. Bruno Le Roux - Lisez l'excellent rapport de Mme Zimmermann !

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement se réjouit de voir l'âge d'éligibilité à la Haute assemblée abaissé à trente ans.

Il est de tradition que les assemblées parlementaires fixent elles-mêmes le mode de scrutin qui préside à l'élection de leurs membres. Respectueux de cette tradition, le Gouvernement a accepté que l'initiative de la réforme du Sénat revienne aux sénateurs eux-mêmes. Il souhaite donc que l'Assemblée nationale exerce à son tour la plénitude des responsabilités du législateur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur - Sous l'impulsion du Président du Sénat M. Poncelet et du président du groupe UMP du Sénat M. de Rohan, la Haute assemblée a initié son auto-réforme en adoptant le 12 juin dernier deux propositions de loi, dont l'une, organique, fait passer le mandat de sénateur de neuf à six ans tout en maintenant le principe du renouvellement partiel, désormais par moitié. Elle abaisse également l'âge d'éligibilité des sénateurs de 35 à 30 ans et, enfin, augmente le nombre de sénateurs pour tenir compte des évolutions démographiques intervenues depuis 1975.

L'autre, dite loi ordinaire, organise la nouvelle répartition des 346 sénateurs et rétablit l'équilibre entre le scrutin majoritaire et la représentation proportionnelle.

L'essence même du régime électoral de notre seconde chambre n'est pas remise en cause.

Les principes de l'article 24 alinéa 3 de la Constitution sont les suivants : le Sénat est élu au suffrage universel indirect, il assure la représentation des collectivités territoriales de la République et représente les Français établis hors de France.

Les élus locaux, pour l'essentiel, composent le collège électoral dont 95 % proviennent des conseils municipaux, les députés ne comptant que pour 0,4 % et le solde étant constitué des conseillers généraux et régionaux.

Par ailleurs, le département est la circonscription électorale des sénateurs. Cette règle, constante depuis 1875, s'explique par l'histoire de nos républiques.

Le Sénat est en outre la seule assemblée politique qui soit désignée à travers deux modes de scrutin, le scrutin majoritaire dans les petits départements et la proportionnelle dans les départements plus importants. C'est une évolution que nous devons à la IVRépublique, puisque sous la IIIles sénateurs étaient tous élus au scrutin majoritaire.

Les sénateurs sont actuellement élus pour neuf ans, avec un renouvellement triennal. Enfin, l'âge d'éligibilité est fixé à 35 ans.

Ce régime électorale fait du Sénat une institution stabilisatrice, assurant, par rapport à l'Assemblée nationale, une représentation différenciée et complémentaire.

Notre bicamérisme inégalitaire, qui donne le dernier mot à notre Assemblée élue au suffrage universel direct, rendait moins urgente la réforme, mais les changements rapides dans notre société et des évolutions institutionnelles comme le quinquennat ont incité les sénateurs à procéder à ce qu'un journal du soir a appelé avec excès une « automutilation ».

Au contraire, en prenant l'initiative de réformer le Sénat sur deux points, nos collègues ont fait preuve de leur dynamisme...

M. Bernard Roman - N'exagérons rien !

M. le Rapporteur - ...et ont rajeuni l'image d'une institution utile. Ces deux points sont la durée du mandat et la représentativité des sénateurs.

La durée du mandat, ramenée à six ans, sera donc alignée sur celle des élus locaux, qui représentent 99,6 % des grands électeurs.

En outre, le Sénat sera renouvelé par moitié. Il était certes possible, mais peu opportun, de conserver le renouvellement par tiers, qui aurait dû intervenir tous les deux ans. Le rythme triennal est celui des conseils généraux et nous souhaitons conserver cette harmonie.

La mise en _uvre de la réforme sera progressive. Les trois séries A, B et C ne deviendront les séries 1 et 2 qu'au terme d'un processus qui commencera en septembre 2004 pour s'achever en 2013. Il s'agit d'observer la modération qui sied à cette noble institution. Le Sénat ne pouvant pas être dissous, ce nouveau rythme consoliderait sa fonction modératrice.

La réforme vise aussi à améliorer la représentativité des sénateurs. C'est dans cet objectif que l'âge d'éligibilité est abaissé à 30 ans. Il s'agit d'un pas dans le bon sens. Certains s'interrogent sur une éventuelle uniformisation des âges d'éligibilité ; d'autres défendent la spécificité sénatoriale. Il faut expérimenter cette mesure et il sera temps d'évoluer encore au vu des résultats.

Par ailleurs, la répartition des sièges doit être adaptée aux évolutions démographiques. Celle-ci n'a pas changé depuis 1976. Plusieurs recensements ont eu lieu et le Conseil constitutionnel a engagé le législateur à en tenir compte.

A partir de la clé de répartition de 1948, légèrement modifiée en 1966, nos collègues sénateurs ont prévu de créer vingt-deux nouveaux sièges dans vingt et un départements.

M. Bernard Roman - C'est trop !

M. le Rapporteur - Il s'est dégagé au Sénat un consensus politique pour ne pas tenir compte des évolutions démographiques à la baisse. Votre commission des lois a adopté un amendement qui fait l'objet d'un consensus juridique pour supprimer quatre sièges : trois à Paris et un dans la Creuse. Les deux injonctions du Conseil constitutionnel s'appliquent à toutes les évolutions démographiques, qu'elles soient positives ou négatives. Il est difficile de soutenir qu'il en faut toujours plus. Nos concitoyens auraient du mal à le comprendre. S'agissant des collectivités d'outre-mer, la répartition des sièges n'a pas évolué depuis 1946. Il est urgent de procéder aux adaptations nécessaires, d'autant plus que les évolutions démographiques ont été fortes dans ces territoires. Il est donc proposé de créer trois nouveaux sièges à ce titre.

Enfin, cette réforme doit améliorer l'équilibre entre scrutin majoritaire et scrutin proportionnel. En effet, conformément à la loi de juillet 2000, 70 % des sénateurs, soit 212 sièges dans 50 départements, sont désignés à la proportionnelle. En revenant au scrutin majoritaire dans les départements élisant trois sénateurs, on rétablit l'équilibre : 48 % des sénateurs seront élus au scrutin majoritaire et 52 % à la proportionnelle. La création de sièges supplémentaires, même si elle était réduite par l'adoption de l'amendement déposé par votre commission, profiterait aux départements les plus peuplés, dont les sénateurs sont élus à la proportionnelle.

Il n'est pas apparu à votre commission que ce rééquilibrage soit contraire à la Constitution. Certes, celle-ci pose dans son article 3 le principe de la parité, mais cela ne signifie pas que le scrutin majoritaire doive disparaître, comme l'a souligné M. le ministre délégué. La proportionnelle n'est pas le seul mode de scrutin qui puisse garantir la parité. Supposer qu'elles ne peuvent être élues au scrutin majoritaire serait faire injure aux femmes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Très bien !

M. le Rapporteur - Je le dis à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes, la parité progressera si les partis politiques concourent sincèrement à la promotion des candidatures féminines et si les femmes s'engagent davantage. Il m'est arrivé, en tant que président d'une commission d'investiture, de manquer de candidates (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Le juge constitutionnel s'est toujours refusé à devenir un juge de l'opportunité. La Constitution ne lui confère pas un pouvoir de décision de la même nature que le nôtre. Ce projet n'est pas contraire à la Constitution.

Il s'agit d'une réforme simple, qui va dans le bon sens. Certains la jugeront inutile, d'autres regretteront la création de sièges supplémentaires. N'oublions pas que la loi organique doit être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. En outre, la réforme se justifiait de toute façon par la nécessité de réduire la durée du mandat, devenue particulièrement anachronique.

M. Bernard Roman - C'est le Sénat qui est anachronique !

M. le Rapporteur - Moi, je ne me permettrai pas d'insulter nos collègues sénateurs. Notre bicamérisme inégalitaire est un facteur d'équilibre politique. La démocratie représentative est un bien fragile qu'il faut renforcer en la faisant évoluer.

Le projet de constitution européenne, mais aussi le concept de développement durable qui induit celui de « nouvelle gouvernance » font coexister démocratie représentative et démocratie participative. Toutefois, les contours de cette dernière restant flous, il importe de consolider cette grande institution de la République qu'est le Sénat (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation parlementaire aux droits des femmes - La délégation aux droits des femmes a été saisie sur sa demande par la président de la commission des lois, que je veux remercier, des deux propositions portant réforme du Sénat et elle a adopté six recommandations.

Même s'il est de tradition que chaque assemblée fixe elle-même son régime électoral, la délégation ne pouvait se désintéresser d'un dispositif qui aura des conséquences non négligeables sur le nombre de femmes élues au Sénat.

Elle a donc, dans une première recommandation, souhaité réaffirmer la portée de la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999, qui en fixant l'objectif constitutionnel de parité a permis à la loi de garantir l'égal accès aux mandats électoraux et fonctions électives.

Cette révision constitutionnelle a rendu possible l'adoption de plusieurs lois favorables à la parité.

La loi du 6 juin 2000, mais également celle du 11 avril 2003 pour les élections régionales et européennes et celle du 27 mai 2003 pour les élections à l'assemblée de Corse ont toutes retenu le principe de l'alternance homme-femme sur les listes électorales. Or, c'est ce principe d'alternance qui, dans le scrutin de liste, permet de garantir la parité.

La délégation a regretté les résultats insuffisants de la loi du 6 juin 2000 pour les élections législatives. Elle s'est félicité des avancées significatives obtenues grâce à l'application de cette loi aux élections municipales de mars 2001, puisque 47,5 % de femmes ont été élues dans les communes de plus de 3 500 habitants, et aux élections sénatoriales de septembre 2001, vingt femmes ayant été élues parmi les soixante-quatorze sénateurs élus à la proportionnelle.

Le rétablissement du scrutin majoritaire, à la place du scrutin proportionnel avec alternance homme-femme, dans les départements élisant trois sénateurs aurait des effets défavorables sur la parité.

Lors du dernier renouvellement, 27 % des sénateurs élus au scrutin proportionnel étaient des femmes, contre 7,14 % seulement parmi ceux élus au scrutin majoritaire.

Certes, la proportion de femmes élues augmente avec le nombre de sièges : il y a eu ainsi 35,71 % de femmes dans les départements élisant cinq sénateurs et plus, 25 % dans ceux élisant quatre sénateurs et 20 % dans ceux élisant trois sénateurs.

Mais, sur la base des chiffres de 2001, il y aurait dans les départements élisant trois sénateurs, environ 15 élues sur 75 sénateurs, si le scrutin proportionnel y était maintenu, alors que pour l'ensemble des renouvellements de 1992, 1995 et 1998, réalisés au scrutin majoritaire, une femme seulement avait été élue sur les 78 sénateurs des 26 départements élisant trois sénateurs. La comparaison se passe de commentaire (« Absolument ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

Dès lors, comme vous l'avez fait, Monsieur le ministre, devant le Sénat, la délégation a rappelé combien le Conseil constitutionnel s'est montré un gardien vigilant de la parité et s'est interrogée sur la compatibilité de la proposition avec l'article 3 de la Constitution.

Enfin, la délégation a conclu ses recommandations en réaffirmant son v_u que les partis politiques, conformément à l'article 4 de la Constitution, mettent activement en _uvre l'objectif de parité.

En conclusion, la réforme sénatoriale aurait pour effet de briser une dynamique paritaire voulue à l'unanimité par le législateur lors de la révision constitutionnelle de juillet 1999.

La délégation aux droits des femmes a donc souhaité à nouveau, par ses recommandations, rappeler que le principe constitutionnel de parité doit guider le législateur et les partis dans leur action (Applaudissements sur les tous les bancs).

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Bruno Le Roux - Rappel au Règlement sur la base de l'article 58 concernant l'organisation de nos débats.

Monsieur le ministre, hier a eu lieu en Corse la première consultation rendue possible par la récente révision de la Constitution. Nous n'aurons plus l'occasion de vous interroger sur vos intentions à la suite de ces résultats, un peu surprenants, puisqu'il n'y a pas de séance de questions d'actualité en session extraordinaire. J'aimerais donc savoir si le Gouvernement a l'intention de faire une déclaration ou d'ouvrir un débat à ce sujet cette semaine. Il me semble d'autant plus nécessaire que le Gouvernement s'était fortement engagé pour le « oui ».

Mme la Présidente - En session extraordinaire, l'ordre du jour est limité et sous la responsabilité du Gouvernement. A lui de décider ce qu'il souhaite faire par rapport à votre question.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité.

M. Bernard Roman - Nous nous livrons aujourd'hui à un exercice singulier. Nous sommes saisis, en plein mois de juillet, toutes affaires cessantes, d'une réforme portant sur la composition du Sénat et le mode d'élection des sénateurs - réforme concoctée par les sénateurs eux-mêmes, sans aucune prise en compte des attentes de l'opinion ni de notre appréhension du bicamérisme français.

Car contrairement à ce que voudraient les sénateurs, cette réforme n'est pas seulement leur affaire. Elle intéresse aussi l'Assemblée nationale, car l'équilibre du bicamérisme est en cause, et l'ensemble des Français, car le fonctionnement de leurs institutions est en jeu.

Le Sénat est conscient, depuis un certain temps, de la nécessité de se réformer, compte tenu des critiques dont il est l'objet : mandat exceptionnellement long, mode d'élection déséquilibré, légitimité quelquefois contestée.

Alors aujourd'hui, pour solde de tout compte, la majorité sénatoriale consent à accepter deux évolutions inéluctables : la réduction à six ans du mandat sénatorial et l'abaissement à 30 ans de l'âge d'éligibilité. Je rappelle que l'âge d'éligibilité pour l'élection présidentielle est de 23 ans. C'est vrai qu'il faut sans doute être plus mature pour postuler au Sénat qu'à la Présidence de la République ! Le Président appréciera...

Pourquoi cette réforme a minima est-elle si urgente ? La question est d'autant plus pertinente que la majorité sénatoriale s'applique aujourd'hui une disposition qu'elle rejetait il y a trois ans, celle de l'augmentation de son effectif. A un an de son renouvellement triennal, la Haute Assemblée, qui s'était vue imposer sous la précédente législature une modification des règles électorales qu'elle avait vécue comme un outrage, s'empresse d'enrober d'un habillage pseudo-rénovateur le retour au statut antérieur en matière de représentation proportionnelle et de parité.

Certes, la majorité sénatoriale et son rapporteur, M. Larché, s'emploient, et avec beaucoup de rouerie, à justifier la réforme, arguant que les positions récentes du Conseil constitutionnel imposent une actualisation « rapide » de la répartition des sièges des sénateurs.

On pourrait saluer ce zèle, mais les observations du Conseil n'impliquent en rien d'augmenter l'effectif sénatorial, seulement de l'adapter aux évolutions démographiques.

Et pourquoi l'Assemblée nationale se voit-elle obligée d'examiner sans délai des propositions dont l'intérêt principal est de faire plaisir à M. Poncelet ?

Les petits cadeaux entre amis continuent (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Depuis que le sénateur Raffarin est entré à Matignon, la modernisation de la vie politique a été oubliée, la parité sacrifiée, le cumul de mandats réhabilité, la décentralisation détournée (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Le Sénat, lui, a été favorisé, gâté.

M. Guy Geoffroy - Quelle caricature !

M. Bernard Roman - Votre réaction me surprend car ces propositions vont à l'encontre des principes constitutionnels sur lesquels nous avions marqué notre unanimité.

Je rappelle qu'à la faveur de la révision constitutionnelle sur la décentralisation, les prérogatives du Sénat ont été renforcées. Malgré les réserves du Conseil d'Etat sur la primauté donnée, pour l'examen d'une catégorie très importante de textes législatifs, à la chambre qui n'est pas élue au suffrage universel direct...

M. Guy Geoffroy - La primeur, pas la primauté !

M. Bernard Roman - ...malgré les craintes de certains députés UMP, à commencer par le Président de l'Assemblée lui-même, quant à l'équilibre des pouvoirs entre les deux chambres, les textes relatifs à l'organisation des collectivités territoriales sont désormais soumis en premier lieu au Sénat - au moins théoriquement, car le projet sur les expérimentations serait, dit-on, inscrit en première lecture devant les députés. Curieuse façon d'appliquer la Constitution révisée !

M. Raffarin n'a pas daigné entendre les craintes de ceux, y compris au sein de sa majorité, qui se sont émus de ces faveurs faites au Sénat. Il a même donné le feu vert à M. Poncelet pour consolider les privilèges sénatoriaux.

Inutile de vous dire que nous soumettrons ces deux textes au Conseil constitutionnel...

M. le Ministre délégué - Qui se prononce obligatoirement sur une loi organique !

M. Bernard Roman - Nous le saisirons également du deuxième texte.

La proposition de loi organique porte le nombre de sénateurs de 321 à 346, réduit le mandat sénatorial de 9 à 6 ans, prévoit le renouvellement par moitié, et abaisse à 30 ans l'âge d'éligibilité au mandat sénatorial.

La proposition de loi ordinaire procède à une nouvelle répartition des sièges de sénateurs entre les départements et relève à 4 sièges le seuil d'application du mode de scrutin proportionnel.

Un pas en avant, deux pas en arrière.

Les sénateurs de droite présentent comme des révolutions l'abaissement de l'âge d'éligibilité et la réduction du mandat, mesures proposées par les élus socialistes depuis des années et qui ne peuvent plus être différées, mais qui ne répondent pas à la question de la légitimité du Sénat.

Cette modernité affichée ne réussit pas à masquer un conservatisme effréné, l'ambition réelle des sénateurs de droite étant de conforter leurs avantages acquis et de se mettre à l'abri de tout risque d'alternance ; de « défendre le bastion », selon la formule de Pierre Mauroy !

Cette réforme est contestable car l'augmentation de l'effectif sénatorial n'est pas justifiée.

Avec habileté - et prudence -, nos collègues sénateurs s'appuient sur la décision du Conseil constitutionnel en date du 6 juillet 2000, qui appelait à tenir compte des évolutions démographiques. Mais ils ne se montrent respectueux de cette préconisation que pour autant qu'ils y trouvent avantage ! Ainsi, M. Larché, dans son rapport, parle à ce propos d'« ardente obligation » mais, quelques pages plus loin, sur un sujet certes moins agréable à son assemblée
- le respect du principe constitutionnel d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs -, il s'empresse de rappeler qu'en matière électorale, le juge constitutionnel « s'est toujours refusé à devenir un juge de l'opportunité des dispositions retenues par le législateur » ! A bon entendeur... Chacun aura compris que le Sénat n'utilise des décisions du Conseil que ce qui l'intéresse et que le Conseil est prié par avance de ne pas trop se mêler d'évaluer les effets constitutionnels des nouvelles dispositions !

L'interprétation faite par nos collègues de l'article 24 confirme ce don de tordre les dispositions dans le sens qui les arrange. Quand le gouvernement précédent avait proposé de modifier le nombre des sénateurs, ceux-ci avaient adopté, le 16 mars 2000, une question préalable, estimant que, dans la mesure où la Haute assemblée représentait les collectivités territoriales, une augmentation de son effectif ne s'imposait pas. Aujourd'hui, la même majorité utilise le même argument pour conclure qu'il est urgent de procéder à cette augmentation ! Défendant la question préalable, le sénateur Paul Girod précisait : « Dans la mesure où, en application de l'article 24 de la Constitution, le Sénat est le représentant des collectivités territoriales, il n'y a pas nécessairement à rechercher une stricte proportionnalité entre le nombre des sénateurs et la population des départements ». Aujourd'hui, le rapport Larché préconise au contraire « l'ajustement pertinent du nombre des sénateurs aux réalités démographiques » !

Il y a trois ans, M. Girod invoquait une augmentation inconsidérée des coûts de fonctionnement et le jugement de nos concitoyens, qui estimeraient que la classe politique serait « un peu pléthorique », et il faisait valoir que « la qualité du travail d'une assemblée ne se mesure pas au nombre de ses membres » pour rejeter une « solution de facilité inutile », cependant que Jacques Larché indiquait au ministre de l'intérieur d'alors qu'il regardait sa proposition comme anachronique, ajoutant : « Dans les années 1970-1980, il y eut une période de vive inflation des effectifs des assemblées. Nul ne peut dire si le nombre actuel est satisfaisant. Notre collègue Albert Vecten vous en a proposé la diminution et je n'étais pas loin de l'approuver. En tout état de cause, l'incrédulité qui a pu saisir certains, en dehors de ces murs, lorsque nous avons indiqué qu'il ne nous semblait pas nécessaire d'augmenter le nombre des sénateurs, m'apparaît à mon tour surprenante. C'est une décision dont nous sommes maîtres et je ne pense pas que l'opinion publique apprécierait cet accroissement de nos effectifs. » Comment comprendre que ce qui était anachronique, inutile et inopportun soit devenu en trois ans urgent et indispensable ? La seule explication est qu'en 2000, cette modification devait accompagner la réforme du mode d'élection, l'abaissement du seuil de la proportionnelle et l'élargissement du corps électoral...

Aujourd'hui, la majorité sénatoriale, qui tient à revenir sur la proportionnelle et sur la parité, accepte en contrepartie d'adapter la représentation à l'évolution démographique en proposant elle-même la mesure qu'elle vilipendait hier !

Pour ce faire, elle prétend se référer largement au rapport Hoeffel. C'est à moitié vrai et à moitié faux, nos collègues apparaissant plutôt en la matière comme des adeptes du tri sélectif. En effet, ce rapport propose d'actualiser la répartition des sièges sur la base du recensement de 1999 à effectif pratiquement stable. Rappelant la décision du 6 juillet 2000 du Conseil constitutionnel, il insiste sur le fait que la répartition par département doit tenir compte de la population des collectivités territoriales et souligne la relative stabilité de l'effectif sénatorial : 300 membres en 1875, 322 en 2002, bien que la population soit passée dans le même temps de 39 à 60 millions d'habitants.

M. Bignon propose de supprimer quatre sièges, se rapprochant ainsi de la proposition refusée par ses amis sous la précédente législature. La mesure nous semble aller dans le bon sens et être conforme aux décisions du Conseil constitutionnel comme aux conclusions du rapport Hoeffel. Reste à savoir ce que le Gouvernement en dira... En tout état de cause, l'augmentation du nombre de sièges n'est imposée ni par le Conseil ni par la démographie. Elle n'est qu'une solution de facilité, qui évite de fâcher des élus en réduisant la représentation de leur département et qui atténue les incidences qu'aurait le relèvement du seuil d'application de la proportionnelle sur la parité, mais qui va contre la tradition constitutionnelle qui a toujours recherché une certaine proportion entre la composition de la première assemblée, élue au suffrage universel, et celle de la chambre haute. Ce rapport, que les travaux préparatoires à la Constitution situaient autour de deux tiers, un tiers, est compromis et, si l'Assemblée accepte que l'on crée 25 sièges de sénateurs sans que son propre effectif soit modifié, l'équilibre de nos institutions en sera altéré, en particulier au niveau du Congrès - dont le rôle n'est pas mince comme nous pourrions en avoir la confirmation lorsqu'il s'agira de se prononcer sur la responsabilité pénale du chef de l'Etat. Le Sénat étant voué par son mode de scrutin à se trouver éternellement à droite, cette procédure d'impeachment ne pourrait en outre concerner qu'un président de gauche. En renforçant le poids du Sénat au sein du Congrès, nous ne ferions qu'accentuer ce déséquilibre.

Lors du débat du mois dernier au Sénat, Monsieur le ministre délégué, vous avez qualifié cette augmentation de l'effectif du Sénat d'« inconvénient inévitable ». Je dis, moi, évitable, pour les raisons que je viens d'exposer, et nous nous proposons donc de relever le défi que vous avez lancé aux sénateurs socialistes en vous soumettant une nouvelle répartition des sièges à effectif constant.

Cette réforme est également critiquable en ce qu'elle ne réajuste pas la composition du corps électoral, comme le préconisaient pourtant et le Conseil constitutionnel et le rapport Hoeffel.

Les délégués des conseils municipaux forment à eux seuls plus de 95 % de ce collège, ce qui entraîne secondairement une sur-représentation des communes rurales.

Le rapport Hoeffel reconnaît d'ailleurs la nécessité de tenir compte de la place des grandes villes dans le collège électoral, et préconise que les départements et les régions élisent des délégués supplémentaires, à l'instar des communes les plus peuplées. Laissant à la commission des lois le soin de formuler des propositions quant au nombre de délégués supplémentaires - notre texte a été censuré sur ce point - M. Hoeffel ajoute que « le principe même d'élection de délégués supplémentaires départementaux et régionaux irait beaucoup plus loin dans le sens du rééquilibrage de la représentativité sénatoriale que la plupart des propositions dont le Sénat a pu précédemment être saisi, car ce rééquilibrage concernerait toutes les collectivités territoriales, et pas simplement les communes. Sans affecter l'assise élective des sénateurs, dont le collège électoral resterait majoritairement composé des délégués des communes, cette mesure représenterait, une vingtaine d'années après la décentralisation, une reconnaissance claire du fait régional et de l'importance des départements ». On pourrait même, poursuit M. Hoeffel, réfléchir sur la prise en compte de l'intercommunalité dans le collège électoral. Étrangement, les propositions de loi occultent cette partie du rapport Hoeffel et les recommandations du Conseil constitutionnel sur ce point, ce qui est d'autant plus curieux qu'elles n'excluent en rien une modification du collège électoral : le corps électoral doit émaner des collectivités territoriales, toutes les catégories de collectivités doivent y être représentées, la représentation des communes doit refléter leur diversité et la représentation de chaque catégorie de collectivité et des communes tenir compte de la population, sans que le nombre de délégués supplémentaires aille au-delà de la simple correction démographique.

L'annulation du dispositif proposé sous la précédente législature ne permet donc pas de conclure au bien-fondé du statu quo, au contraire.

Les collectivités territoriales sont des communautés humaines qui doivent être également représentées en fonction de leur population. Si elles possèdent un droit propre à être représentées dans le collège électoral, si chaque département a le droit d'élire au moins un sénateur, cela ne saurait affaiblir les droits de chaque citoyen. Le suffrage indirect n'exclut pas le droit égal de représentation : l'article 24 de la Constitution ne l'emporte pas sur l'article 3, qui dispose que le suffrage est égal. Or, cette condition d'égalité n'est pas respectée. C'est en tout cas ce que suggère la décision du Conseil constitutionnel de juillet 2000.

Le bicaméralisme n'interdit pas la juste représentativité. Or, selon les départements, les droits civiques de l'habitant d'une commune de 50 habitants sont de vingt à trente fois plus importants que ceux de l'habitant d'une commune de 1 000 habitants. Dans une commune de moins de 9 000 habitants, le nombre de délégués dépend de celui des membres du conseil municipal lui-même déterminé en fonction de la population. Au-delà de 30 000 habitants, des délégués supplémentaires sont désignés à raison de 1 pour 1 000 habitants. Des amendements du groupe socialiste proposeront de ramener ce seuil à 1 pour 400 ou 500 habitants, le Conseil constitutionnel ayant refusé celui de 1 pour 300. Il est en effet inadmissible que certains sénateurs représentent 70 000 habitants et d'autres 300 000.

Enfin, cette réforme ne respecte pas le principe constitutionnel de parité. On ne s'attendait pas à voir ce principe remis en cause. « Il nous appartient, avait estimé le Président Poncelet dans son discours de rentrée du 10 octobre 2001, de contribuer à mettre un terme aux procès en représentativité, et donc en légitimité, qui sont instruits, çà et là à l'encontre du Sénat. J'ose espérer, déclarait M. Poncelet, que le mode d'élection des sénateurs ne souffrira plus de critiques émanant de l'opinion ou de la majorité plurielle depuis l'extension de la proportionnelle et l'introduction de la parité sous sa forme la plus radicale, la parité alternée... ».

Nous ne pouvons donc comprendre que les sénateurs de la majorité reviennent sur des avancées que le président du Sénat considérait comme irréversibles. Le rapport de M. Larché entend pourtant rétablir « le pluralisme des modes de scrutin ». Depuis la loi du 10 juillet 2000, la représentation proportionnelle s'applique aux départements élisant au moins trois sénateurs - ce qui représente 50 départements et 212 sièges. Avec le relèvement du seuil d'application de la représentation proportionnelle, les sénateurs seront élus au scrutin majoritaire dans 70 départements. Cela représente près de la moitié - 166 - des sièges.

Le rapport de M. Larché est nourri de mauvaise foi et de contradictions. « Le scrutin proportionnel, y lit-on, favorise la représentation de la diversité des sensibilités politiques. Il facilite aussi la prise en compte de l'objectif constitutionnel de parité. » Mais « le scrutin majoritaire seul permet une représentation satisfaisante des départements moyens ainsi que des moins peuplés et des plus fragiles. » Les femmes apprécieront ! « Il favorise une plus grande proximité entre l'élu et ses électeurs. » Les femmes apprécieront encore ! « Il donne aux sénateurs une indépendance certaine aux partis politiques. » Et M. Larché de conclure qu'il faut étendre l'application du scrutin majoritaire ! On avait cru comprendre que la France s'était urbanisée. Mais pour M. Larché, la spécificité du Sénat impose que les collectivités territoriales « les plus fragiles » y soient « sur-représentées en dépit de leur démographie, au nom de l'intérêt général » ! Le raisonnement est plus audacieux que convaincant... Une telle légitimation de l'illégitime laisse sans voix.

L'instauration de la proportionnelle dans les départements élisant trois sénateurs a constitué un progrès de la parité. Selon le rapport de la présidente de notre délégation aux droits des femmes sur le projet de loi relatif à l'élection des conseils régionaux et des députés européens, « jusqu'au renouvellement de 2001, le Sénat était le bastion fermé à la parité. » Vous vous félicitiez, alors, Madame Zimmermann, que le scrutin proportionnel, qui suppose une stricte parité sur les listes, ait été étendu. Je me réjouis que vous n'ayez pas changé d'avis.

M. Jean-Jack Queyranne - Très bien !

M. Bernard Roman - Le rééquilibrage a été réel. Lors du dernier renouvellement, seuls 7 des 101 sénateurs sortants - soit 6,9 % - étaient des femmes. Il y en a désormais 22 - 21,6 %. Le nombre de femmes a plus que triplé, entraînant un rajeunissement : la moyenne d'âge des sénatrices est de 53,9 ans contre 59,3 ans pour les sénateurs. Seuls 2 des 28 sénateurs élus au scrutin majoritaire - soit 7 % - lors du renouvellement de 2001 étaient des femmes, alors que sur les 74 élus à la représentation proportionnelle, il y a 20 femmes - soit 30 %. Avec le relèvement du seuil de la représentation proportionnelle à 4 sièges et l'augmentation du nombre de sénateurs, 81 sénateurs de plus seront élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours.

L'argumentation de la majorité sénatoriale est si fallacieuse qu'elle inquiète même l'UMP. Le ministre délégué aux libertés locales lui-même s'est demandé au Sénat si le relèvement du seuil d'application de la proportionnelle ne méconnaissait pas l'article 3 de la Constitution.

Dans leur recours contre la loi du 3 avril 2000 relative à l'élection des conseils régionaux et des députés européens, les requérants avaient fait valoir que la création de circonscriptions pour les élections européennes aurait pour effet de réduire le nombre de sièges obtenus par chaque liste, que de nombreuses listes n'obtiendraient qu'un siège et qu'il en résulterait un déséquilibre entre hommes et femmes.

Le Conseil constitutionnel a rejeté cet argument, mais a précisé que ces dispositions n'avaient pas pour effet de réduire la proportion de femmes élues au Parlement européen. Le législateur avait maintenu la règle de l'alternance entre candidats féminins et masculins sur les listes.

Sur le fondement de l'article 3 de la Constitution, selon lequel la loi doit favoriser l'égal accès aux mandats, la jurisprudence constitutionnelle a décidé qu'il existait un effet cliquet empêchant de revenir sur une disposition favorisant l'accès des femmes au mandat sénatorial. On peut en déduire qu'il n'est pas possible d'augmenter le seuil de l'application du mode de scrutin proportionnel.

M. Larché assure n'avoir aucun doute sur la constitutionnalité de ce projet, jugeant que le scrutin uninominal n'est pas incompatible avec la parité, et nécessite simplement une organisation différente au sein des formations, pour permettre l'élection d'un nombre suffisant de femmes.

Il ne faudrait cependant pas oublier que c'est justement l'incapacité des formations politiques à accorder une place aux femmes qui a conduit l'ensemble de la représentation nationale à réviser la Constitution et la loi sur la parité. Affirmer aujourd'hui le contraire, c'est une argutie et non un argument ! Si vous supprimez la proportionnelle dans les départements à partir de trois sièges, nous reviendrons à une représentation en quasi-totalité masculine.

Certains l'ont invité à supputer le nombre de départements qui auraient contourné la loi, d'autres à décider que les pertes potentielles n'étaient pas très importantes, que pour l'essentiel, la parité serait préservée. Le Conseil constitutionnel appréciera d'avoir été incité à juger de la constitutionnalité de cette loi à l'aune de l'instinct de conservation de la majorité sénatoriale.

Cette loi nuit à l'égal accès des femmes et des hommes au mandat sénatorial.

M. Jean-Jack Queyranne - Bien sûr !

M. Bernard Roman - M. Michel Mercier affirme que « la parité ne dépend pas du mode de scrutin, sinon un seul serait constitutionnel ». « Ce qui compte, poursuit-il, c'est l'organisation même du scrutin proportionnel » qui alterne les sexes parmi les candidats. Or ce texte, estime-t-il, ne modifierait pas le principe de l'alternance, confirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 avril. On croit rêver !

L'argumentation du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, selon laquelle les effets potentiellement négatifs de la réforme du mode de scrutin seraient en partie compensés par l'augmentation de l'effectif ne nous satisfait pas davantage. La parité doit rester un objectif que la loi doit favoriser, et non une contrainte qu'elle peut contourner.

En commission des lois, Mme Zimmermann, soutenue par plusieurs de ses collègues de la majorité, a exprimé des réserves que les socialistes partagent.

« Rien ne permet de dire, ajoute M. Larché, que le scrutin uninominal empêche la parité, même si je reconnais que ce scrutin exige un plus grand courage au regard de la parité ».

Pourtant, aucune femme n'a été élue sénatrice en 1998 ! Et le ministre de l'intérieur lui-même n'a-t-il pas expliqué à une militante associative corse, auprès de laquelle il plaidait en faveur du oui au référendum, qu'« on ne compte aujourd'hui qu'une seule femme sur 52 conseillers généraux », mais qu'elles seraient demain, « avec des élections proportionnelles, 46 sur 91 » ?

Les sénateurs de la majorité ont rivalisé d'imagination pour emporter l'aval du Conseil constitutionnel.

La parité est un principe constitutionnel, que toute nouvelle loi doit faire progresser, et non reculer. La seule question qui pourrait se poser serait celle de l'extension du champ d'application de la représentation proportionnelle, et non sa restriction.

Ces textes n'étant pas conformes à la Constitution, le groupe socialiste vous demande de voter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Ministre délégué - Permettez-moi de préciser trois points. S'agissant de l'équilibre numérique entre le Sénat et l'Assemblée nationale, c'est votre majorité, Monsieur Roman, qui a augmenté, en 1986, de 101 le nombre de députés, le faisant passer de 476 à 577, sans augmenter pour autant le nombre de sénateurs, stable depuis 1976. Du reste, le nombre de sénateurs augmenterait de 25, soit le tiers de l'augmentation du nombre de députés. Nous rétablissons l'équilibre que vous avez rompu en 1986.

D'autre part, le Sénat, dans notre système bicaméral, a vocation à représenter le territoire plus que la population. Et M. Larché n'a pas tort d'avancer que les territoires concernés par la réduction du nombre de sénateurs sont les plus fragiles, du point de vue démographique et économique, et n'ont vraiment pas besoin d'un affaiblissement de leur représentation.

A conserver l'effectif actuel de sénateurs, on serait conduit en effet à réduire de deux à un le nombre de sénateurs dans le Cantal, la Corrèze, la Creuse, le Gers, l'Indre, la Haute-Loire, le Lot, la Haute-Marne, la Meuse, la Nièvre, les Hautes-Pyrénées, la Haute-Saône, le Tarn-et-Garonne. Du reste, trois sièges seraient supprimés à Paris, au préjudice de vos amis politiques certainement ! Deux sénateurs par territoire, c'est le minimum pour garantir la représentativité.

Quant à la parité, j'admets que la comparaison entre les effets de la proportionnelle et ceux du scrutin majoritaire est éloquente. Pour autant, c'est le comportement de chaque formation politique qui compte - et la mienne n'a pas été, hélas, la plus en avance ! La loi sur la parité, que j'ai votée, a changé les mentalités, et il faut aussi compter avec les dispositions financières et les effets des élections municipales.

La parité aux élections municipales a été une véritable initiation, pour les femmes, à la vie politique locale. Leur présence oblige également les formations politiques à changer de comportement.

Les sénateurs l'ont dit : au fond, le scrutin proportionnel ne changerait rien pour ceux qui veulent passer outre la parité. Il suffit en effet de multiplier les listes proportionnelles pour arriver de facto à un système majoritaire.

M. Jean-Jack Queyranne - C'est plutôt dangereux !

M. le Ministre délégué - Vous ne pouvez prétendre, Monsieur Roman, que le mode de scrutin proportionnel serait devenu un principe constitutionnel parce qu'il a favorisé la parité.

M. Bernard Roman - Je n'ai pas dit cela.

M. le Ministre délégué - Car alors, il faudrait que le législateur l'affirme expressément. Renoncer au mode de scrutin proportionnel ne saurait donc être anticonstitutionnel en soi, même si, j'en conviens, le nombre de femmes élues peut être modifié.

Tout dépend du comportement des formations politiques. Vous savez qu'un joueur invétéré peut se rendre au ministère de l'intérieur pour demander à ce que l'accès aux casinos lui soit interdit. Nos formations politiques, de même, incapables d'investir un nombre de femmes à parité, s'obligeraient à le faire en modifiant la Constitution plutôt que de changer d'elles-mêmes leur comportement. C'est là l'aveu d'une grande faiblesse (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Jack Queyranne - Cette réforme était néanmoins nécessaire.

Mme la Présidente - Nous en venons aux explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité.

M. Guy Geoffroy - M. Roman déplore que l'urgence ait été déclarée. C'est un reproche que vous nous adressez régulièrement lorsque des textes sont déposés, mais non sans avoir auparavant regretté qu'ils aient tant tardé à l'être.

D'autre part, la tradition républicaine veut qu'aucun mode de scrutin ne soit modifié dans l'année précédant une élection. C'est parce qu'un renouvellement est prévu en septembre 2004 que le Sénat a proposé un commencement de réforme qu'il conviendra d'ailleurs d'approfondir.

Concernant la représentativité respective des deux chambres, il est vrai que chacun peut choisir les références historiques qui lui conviennent. En 1976, je crois me souvenir que ce sont les sénateurs socialistes et communistes qui ont proposé une augmentation sensible du nombre de sièges au Sénat. De la même manière, vous avez augmenté le nombre de députés pour les élections de 1986 en raison du passage au mode de scrutin proportionnel.

Nous, nous procédons à un nouveau rééquilibrage, et je parie que lorsque la question se posera du réajustement du nombre de députés, vous nous adresserez les mêmes reproches.

N'adhérons pas au « consensus » indélicat selon lequel le Sénat serait une assemblée archaïque ou anachronique. N'oubliez pas que lorsqu'on touche au Sénat, on touche au Parlement dont notre assemblée fait partie.

La question de la parité, enfin, a fait l'objet d'un débat fort intéressant en commission. La représentation proportionnelle non seulement ne règle pas toutes les difficultés, mais elle peut même avoir des effets pervers, M. le ministre l'a dit.

La parité obligée dépend du mode de scrutin mais, surtout, du comportement des formation politiques. C'est, en fait, le mode de scrutin par liste qui fait la parité. Ne prétendez pas, ainsi, que lorsque deux ou trois sièges sont à pourvoir la proportionnelle est effective.

Le groupe UMP ne votera pas l'exception d'irrecevabilité ; je ne voudrais que notre Assemblée prive M. Roman de la décision du Conseil constitutionnel (Sourires).

M. Jean-Jacques Guillet - Très bien !

M. Michel Vaxès - Les auteurs de cette proposition de loi ont sans doute voulu dépoussiérer la noble et conservatrice institution qu'est la Haute assemblée.

A cette fin, ils se sont saisis de deux plumeaux, organique et ordinaire. Se sont-ils rendus compte que pendant que l'un dépoussiérait légèrement, l'autre, parce qu'il a déjà beaucoup servi, redéposait de la poussière ?

Notre collègue Bernard Roman disait très justement : un pas en avant, deux pas en arrière. Je n'en retiendrai qu'un : celui qui modifie le seuil à partir duquel la proportionnelle est appliquée et qui met à mal le principe de la parité.

Selon le ministre, il appartient, non pas aux juges constitutionnels mais au législateur de décider des modes de scrutin, de même qu'il serait inconvenant, au motif de la parité, de recourir plus largement au scrutin proportionnel au risque de l'imposer à toutes les élections. Mais il ne s'agit pas de cela. Le seuil actuel à partir duquel la proportionnelle s'applique améliore la parité. Or, votre texte la réduit, ce qui constitue une régression.

Pour toutes ces raisons, le groupe communiste et républicain votera l'exception d'irrecevabilité.

M. Bruno Le Roux - Je prie M. Bignon de m'excuser. En votant l'exception d'irrecevabilité, nous le priverions, après le débat relatif aux modes de scrutin européens et régionaux, sur lequel le Gouvernement avait fait usage de l'article 49-3, d'un deuxième débat en tant que rapporteur (Sourires).

M. Guy Geoffroy - Nous n'avons aucun souci ! (Sourires)

M. Bruno Le Roux - J'invite notre assemblée à ne pas se défausser sur le Conseil constitutionnel. La réelle source d'inconstitutionnalité ne tient pas au mode de scrutin, mais au fait de ne pas favoriser l'égal accès des femmes aux mandats électifs. Nous ne faisons pas l'apologie de la représentation proportionnelle. Si vous proposez un mode de scrutin meilleur permettant d'assurer la parité, nous en prendrons acte. Nous demandons à l'Assemblée de voter l'exception d'irrecevabilité car votre texte constitue un recul politique.

En 1998, dans les départements où trois postes de sénateurs étaient à pourvoir, trois hommes ont été élus à chaque fois. Les mentalités progressent, dit-on. En 2001, sept femmes comptaient ainsi parmi les sortantes, mais sur 22 entrantes, 20 l'ont été au scrutin proportionnel, deux au scrutin majoritaire.

Vous évoquez les départements où, pour contourner la parité, plusieurs listes ont été présentées, comme ce fut le cas en 2001. Cela revenait à détourner la loi sur la parité. Dans aucun département, nous n'avons cédé à cette facilité. J'invite mes collègues à voter cette exception d'irrecevabilité. S'ils ne le font pas, je leur demande de ne pas s'en remettre passivement au Conseil constitutionnel et de voter plutôt nos amendements en faveur de la parité.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

Mme la Présidente - Sur la proposition de loi portant réforme de l'élection des sénateurs, j'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean-Jack Queyranne - Le Sénat a enfin pris l'initiative de se réformer. Cette perspective ne bouleversera pas les Français, qui ont bien d'autres sujets de préoccupations : l'avenir de leurs retraites, la remontée du chômage, le déficit de l'assurance-maladie, le malaise de l'éducation.

Pourtant, cette réforme du Sénat devrait être un élément, certes très partiel, de réponse à la crise de la représentation politique que connaît notre pays. Le coup de tonnerre du 21 avril a révélé une profonde fracture civique. Nous sommes tous tenus de revitaliser nos institutions. Le Sénat devrait y tenir sa place. Mais comme il est préservé des foudres du suffrage universel, il peut jouer la montre, laissant passer les tempêtes.

Une réforme du Sénat s'impose depuis longtemps. Le Conseil constitutionnel, à plusieurs reprises, en a rappelé l'ardente obligation, constatant que la répartition des sièges et le mode de représentation ne correspondent plus à l'évolution démographique de notre pays.

Le sénateurs eux-mêmes en sont conscients. Le 16 octobre 2001, après sa réélection, le président du Sénat M. Christian Poncelet disait qu'il fallait renoncer à la politique de l'autruche.

Il se fixait pour objectifs de « normaliser » l'existence du Sénat, de « rénover ses méthodes de travail » pour qu'il devienne « une véritable assemblée de proximité, à l'écoute des Françaises et des Français, sans oublier nos compatriotes établis hors de France ».

Dans la foulée, le Sénat constituait un groupe de réflexion ouvert à tous les groupes politiques et présidé par Daniel Hoeffel. Son rapport, déposé le 2 juillet 2002, n'élude pas la question de la légitimité du Sénat. Il dresse le constat lucide : « Le Sénat souffre d'une image paradoxale, contrastée et ambivalente ». Le groupe formule un ensemble de propositions, conscient de la nécessité d'une réforme devant « les critiques qui, à force d'être répétées à l'envi, peuvent, de proche en proche, remettre en cause la représentativité du Sénat et, à terme, sa légitimité, au risque de fragiliser le bicamérisme en France ».

On pouvait donc s'attendre à ce que la majorité sénatoriale fasse preuve d'audace. Dans les propositions qui nous sont soumises, c'est plutôt la résignation qui prévaut. Ce qui nous est proposé n'est ni une révolution - nous n'en attendions pas tant du Sénat - ni même une réforme, mais une réformette, un faux-semblant.

Le Sénat confirme ainsi qu'il est le temple des conservatismes. Il veille d'abord à conforter les situations acquises et à préserver l'ordre des choses. Il se contente de créer l'illusion du mouvement. Pire, il cherche à détourner l'obligation constitutionnelle de parité qui, il est vrai, a été plus subie que désirée au Palais du Luxembourg.

Cette « auto-réformette » du Sénat est bien un rendez-vous manqué par la démocratie. Cela ne va pas contribuer à rapprocher les citoyens de leurs élus. Voilà pourquoi nous lui opposons cette question préalable.

Qu'on nous entende bien : nous sommes partisans du bicamérisme. L'existence d'une seconde assemblée, chambre de réflexion, est nécessaire au fonctionnement d'une démocratie. Elle tempère la toute puissance de l'Assemblée élue au suffrage universel direct. Elle donne du temps et de la mesure dans l'élaboration législative. Elle contribue à améliorer les textes de lois. Elle aide certaines évolutions à mûrir dans l'opinion. Dépourvu du pouvoir d'impulsion politique, le Sénat doit être une chambre de vigilance, veillant à ne pas s'aligner systématiquement sur les positions de l'Assemblée nationale, sauf à risquer de voir un jour ses compétences réduites aux collectivités territoriales et aux Français de l'étranger.

Pour jouer ce double rôle de réflexion et de vigilance, le Sénat doit jouir d'une représentativité large et incontestable. Ce n'est plus le cas, puisque le divorce s'accroît entre une France où les trois quarts de la population vivent dans des agglomérations et un monde qui fleure bon la France d'autrefois, celle des petits bourgs et des campagnes, une France rurale qu'il faut bien sûr défendre, mais qui ne saurait constituer le modèle dominant dans notre pays.

Ainsi va le Sénat, préservé par son mode d'élection et son corps électoral de tout risque d'alternance politique, ce qui constitue une exception dans toutes les démocraties du monde. Il pourrait s'en contenter. Mais il ne songe qu'à accroître son champ d'intervention, n'hésitant pas à marchander son soutien pour les révisions de la Constitution. Chaque fois que les circonstances politiques le permettent, il cherche à prélever sa dîme. C'est ainsi qu'ont dû lui être successivement concédés le droit de veto sur toute modification institutionnelle le concernant ou, plus récemment, la priorité dans l'examen des projets de loi relatifs aux collectivités territoriales, et cela malgré les réserves du Président de l'Assemblée nationale et des rapporteurs.

En 1995, par la réforme de son Règlement, le Sénat a imposé sa propre conception de l'ordre du jour. Si le Gouvernement conserve sa prérogative constitutionnelle de fixer l'ordre d'examen des textes, le Sénat s'est arrogé la maîtrise du temps, pouvant par différents moyens de procédure vider de sa substance la notion d'ordre du jour prioritaire. Rassurez-vous, ce n'est pas dans l'actuelle configuration politique qu'il exerce ses talents. D'ailleurs, à peine voté par l'Assemblée, le projet sur les retraites est déjà en discussion au Sénat. Ancien ministre des relations avec le Parlement, je n'avais jamais vu une telle précipitation sur un texte de cette importance.

Enfin, si le nouveau statut pénal du chef de l'Etat était adopté, le Sénat pourrait toujours, à égalité avec l'Assemblée nationale, déclencher la procédure de destitution. Parions que cela lui sera plus facile quand le Président est de gauche que lorsqu'il est de droite !

Aujourd'hui, il est temps de porter un coup d'arrêt à cette « république sénatoriale » annoncée dès 1959 par le doyen Prélot. Elle est en passe de devenir réalité, par l'action paradoxale de ceux qui se réclamaient, il y a encore quelques temps, du gaullisme.

Pourquoi tant de sollicitude à l'égard du Sénat ? D'abord, pour ménager une base arrière propre à servir les ambitions électorales de l'ancien sénateur qu'est l'actuel Premier ministre et qui lorgne, dit-on, sur la présidence du Sénat ?

M. Guy Geoffroy - C'est indigne !

M. Jean-Jack Queyranne - Etes-vous ici pour lui faire plaisir et laisser passer cette réforme dont vous ne semblez pas convaincus ? Le temps est bien loin où le général de Gaulle confiait à Alain Peyrefitte, en 1963 : « Le Sénat et les conseils généraux représentent la France du XIXe siècle, celle du seigle et de la châtaigne. Notre grande affaire est d'épouser notre siècle. Ce ne sont pas eux qui nous permettront de rattraper notre retard puisqu'ils font tout pour l'accentuer ».

M. le Ministre délégué - Vous n'avez pas voulu réformer le Sénat avec lui !

M. Jean-Jack Queyranne - Il y a une seconde raison : il faut bien payer le Sénat de sa docilité. C'est la première fois depuis 1875 qu'un parti politique dispose, à lui tout seul, de la majorité au Palais du Luxembourg. Comme cette majorité concorde avec celle du Palais Bourbon, le Sénat n'est plus qu'une chambre d'enregistrement.

En tant que ministre des relations avec le Parlement, j'ai beaucoup fréquenté le Sénat. J'ai connu son président et sa majorité plus pugnaces, n'hésitant pas à décortiquer les projets et à peser de tout leur poids sur le calendrier parlementaire. J'avouerai même que les observations et les critiques du Sénat étaient parfois pertinentes et quelquefois avisées. Mais je ne reconnais plus le Sénat : plus personne dans la majorité sénatoriale ne déplore que le Gouvernement déclare l'urgence sur les textes, que les votes conformes deviennent la règle et que les commission mixtes paritaires soient rapidement conclusives !

Il faut bien constater que cette réformette passe mal. Vous essayez de faire contre mauvaise fortune bon c_ur. En première lecture au Sénat, M. Devedjian s'interrogeait sur la constitutionnalité de l'article 5, qui tend à rétablir le scrutin majoritaire dans les départements élisant trois sénateurs. Vous semblez avoir évolué sur ce point. Les deux présidentes des délégations parlementaires aux droits des femmes, Mme Gautier au Sénat et Mme Zimmermann à l'Assemblée, s'en sont légitimement émues. La commission des lois de notre assemblée ne débordait pas d'enthousiasme. Le Président Debré ne s'est d'ailleurs pas précipité pour l'inscrire à l'ordre du jour et il a fallu que le Gouvernement l'impose.

Aujourd'hui, vous nous proposez donc un « ripolinage » du mode d'élection des sénateurs. La majorité est instamment priée d'adopter votre dispositif sans le modifier. La menace est claire : une assemblée ne s'immisce pas dans le régime électoral d'une autre, en vertu d'une tradition républicaine fort opportunément invoquée. Sinon, de terribles représailles seront exercées par la majorité sénatoriale.

Parce qu'il ne peut faire autrement, le Sénat propose de raccourcir la durée du mandat et d'abaisser de cinq ans l'âge d'accès à la seconde chambre. Nous l'approuvons, même si on pouvait aller plus loin en prévoyant un renouvellement intégral consécutif aux élections municipales, comme le proposait le rapport de la commission Mauroy - dont vous êtes, Monsieur le ministre délégué, un lecteur attentif - et en ramenant l'âge d'éligibilité à vingt-trois ans, comme pour les candidats à la présidence de la République.

Parce que vous ne voulez pas faire autrement, vous oubliez qu'une réforme juste du Sénat, répondant à l'intérêt général, doit porter sur son corps électoral.

Parce que vous devez subir la pression des conservatismes, vous vous préparez, à votre corps défendant, à porter une atteinte inadmissible et anticonstitutionnelle à la parité.

Le raccourcissement du mandat et l'abaissement de l'âge de l'éligibilité sont les seuls apports positifs de ce texte.

Comme l'avait montré le Forum des sénats du monde, le 14 mars 2000, vaste opération de communication destinée à démontrer l'universalité du bicamérisme, le Sénat est l'assemblée parlementaire ayant le plus long mandat en Europe.

Selon l'article 24 de la Constitution, le Sénat représente les collectivités territoriales, mais une partie de celles-ci ne sont pas représentées, à un instant donné, au Sénat. C'est le cas d'un tiers des conseils municipaux : ceux des départements dont les sénateurs ont été élus en 1998, avant les élections municipales de 2001, et qui seront renouvelés en septembre 2007, soit après les prochaines élections municipales. Voilà bien une anomalie incontestable.

Surtout, depuis le quinquennat, le temps du Sénat n'est plus le temps de la démocratie. Les sénateurs élus en 2004 achèveront leur mandat en 2013, soit au début du mandat, non du prochain Président de la République, mais de son successeur, qui sera élu en 2012 !

Le Sénat ne pouvait donc pas faire autrement, mais il aurait pu le faire plus tôt. Dès juin 2000 en effet, le groupe socialiste, puis le groupe communiste, avaient déposé des propositions de loi organiques allant dans ce sens.

Il est vrai qu'avec le dispositif transitoire qui est proposé, les derniers sénateurs élus pour neuf ans achèveront leur mandat en 2013... C'est cependant l'un des rares points de cette auto-réformette sénatoriale qui suit les recommandations du rapport Hoeffel.

Second point, la volte-face de la majorité sénatoriale sur l'augmentation du nombre de sièges montre qu'elle n'a pas compris les véritables priorités d'une réforme.

Rarement un revirement a été aussi spectaculaire. Il aura fallu 28 ans pour mettre à jour la composition du Sénat, qui reflète actuellement la situation démographique de la France de 1975 ! Depuis, deux recensements ont été effectués et le Conseil constitutionnel a adressé deux injonctions au législateur. La majorité sénatoriale avait le choix entre modifier la répartition des sièges à effectifs constants, ce qui était politiquement douloureux pour certains départements fragiles du fait de leur dépopulation, soit créer de nouveaux sièges. Le gouvernement avait proposé la seconde solution en 2000, mais comme élément d'une réforme d'ensemble qui comportait aussi l'évolution du collège électoral. Le Sénat lui opposa la question préalable et le texte s'arrêta là, faute de consensus. Selon la commission des lois du Sénat, en effet, il n'y avait pas lieu de rechercher une stricte proportionnalité entre le nombre de sénateurs et la population des départements ; la qualité du travail d'une assemblée parlementaire ne se mesurait pas au nombre de ses membres et l'opinion n'apprécierait pas la création de sièges supplémentaires, « une solution de facilité inutile ». Paul Girod, rapporteur de la réforme du 10 juillet 2000, estimait inopportun « d'augmenter les coûts de fonctionnement du Parlement de manière inconsidérée ».

Que je sache, la situation des finances publiques ne s'est pas améliorée depuis ! D'ailleurs, cette proposition va à l'encontre de l'article 40, mais le Gouvernement l'a reprise. M. Girod ajoutait : « Nous sommes actuellement 321, et nous délibérons sereinement ». Alors, pour maintenir la sérénité du Sénat, refusons l'augmentation des effectifs. M. Girod concluait, je le cite, - permettez-moi ce plaisir, Monsieur le ministre, puisqu'à l'époque j'étais à votre place au banc du Gouvernement ! (Sourires) - que le Sénat ne jugeait « pas nécessaire d'augmenter un personnel politique sur lequel pèsent déjà, malheureusement, trop de soupçons" » Et le président de la commission, M Larché, renchérissait sur ce point.

Pourquoi ce qui n'était pas nécessaire en 2000 le devient-il en 2003 ? Mystère ! Une explication argumentée de ce retournement d'opinion s'impose d'autant plus que le groupe de réflexion piloté par le sénateur Daniel Hoeffel avait préconisé d'actualiser la répartition des sièges sans augmenter les effectifs du Sénat.

D'ailleurs vous-même, Monsieur le ministre, avez déclaré devant le Sénat que vous n'étiez pas « absolument convaincu de la nécessité d'augmenter l'effectif sénatorial ».

Mes chers collègues de la majorité, soutenez donc M. Devedjian en repoussant ces textes. L'opposition est prête à aider le Gouvernement dans ses difficultés avec la majorité sénatoriale (Rires sur les bancs du groupe UMP).

M. Bruno Le Roux - Surtout M. Devedjian !

M. Jean-Jack Queyranne - Pour celle-ci, la réforme, qui était inopportune lorsque le gouvernement de Lionel Jospin l'a proposée est devenue urgentissime.

Permettez-moi de trouver un peu « courtes » les explications du rapporteur du Sénat, Jacques Larché, qui après l'avoir combattue avec acharnement pendant trois ans, estime que « l'augmentation de l'effectif du Sénat peut être envisagée désormais ».

Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le respect des équilibres démographiques tient, non pas au nombre de sénateurs, mais à leur « répartition par département », en d'autres termes, à l'équilibre entre les départements les plus peuplés et ceux qui le sont moins. Une modification de notre système bicaméral méritait mieux que ce qui ressemble à un petit arrangement à visée électorale.

Une autre solution pourrait être envisagée, à effectif constant. Il suffirait de changer la clef de répartition fixée par la loi du 23 septembre 1948 : un siège par département jusqu'à 154 000 habitants, et ensuite un siège par 250 000 habitants ou fraction de 250 000. Comme, entre-temps, la population française est passée à plus de 60 millions, le quotient de répartition des sièges pourrait être modifié. Un siège serait ainsi attribué à chaque département jusqu'à 200 000 habitants, puis un siège supplémentaire par nouvelle tranche de 100 000 habitants : 305 sièges seraient ainsi répartis, auxquels s'ajouteraient les sièges actuels des collectivités d'outre-mer - la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna - et ceux des Français à l'étranger, soit un total de 322 sièges.

Dans la réformette qui nous est soumise, un point essentiel est oublié : la question du corps électoral.

Dans la Constitution de 1958, la primauté légitime de l'Assemblée élue au suffrage universel direct se concilie avec le rôle reconnu à l'Assemblée élue au suffrage indirect. Or dans un article du Monde de septembre 1980, un éminent spécialiste, François Goguel, qui fut secrétaire général du Sénat avant de siéger au Conseil constitutionnel, tenait pour évident que la condition d'égalité du suffrage posée par l'article 3 de la Constitution était « loin d'être remplie en ce qui concerne le Sénat ».

Ce n'est pas seulement une affaire de justice abstraite. Le régime électoral du Sénat a des conséquences sur sa représentativité et sur son rôle dans nos institutions. François Goguel relevait que la majorité des Français vivait dans des villes de plus de 10 000 habitants
- c'est encore plus vrai maintenant - et qu'il était à craindre que le Sénat, comme dans l'entre-deux-guerres, « en vienne à ne plus bien saisir les données réelles de la vie sociale et politique de l'ensemble de la nation ». Voilà une remarque significative de la part d'un homme aussi mesuré, pondéré que M. Goguel.

La majorité sénatoriale a toujours cherché à conserver un mode de scrutin qui ne soit pas affecté par les alternances politiques afin, selon M. Girod, « d'exprimer une certaine permanence de la France », et « d'assurer la préservation des repères fondamentaux du pays, que peuvent occulter certaines modes ».

Pour autant que ces objectifs soient dignes d'intérêt, on doit constater que le collège électoral du Sénat souffre d'archaïsme. Alors que l'époque est aux synergies intercommunales, départementales et régionales, les communes sont surreprésentées puisque les délégués des conseils municipaux représentent 95 % des collèges électoraux. Ne gâchons pas une occasion de moderniser et d'améliorer la représentativité du Sénat !

Ce mode de scrutin est également contraire à l'article 3 de la Constitution, qui pose le principe de l'égalité du suffrage. Une commune de 100 000 habitants dispose de 125 délégués, soit un pour 800 habitants, alors qu'une commune de 10 000 habitants en a 33, soit un pour 303 habitants. Les premières, qui regroupent 15,1 % de la population, ne désignent ainsi que 7,2 % des délégués des conseils municipaux. Une évolution s'impose donc et même la majorité sénatoriale en a convenu puisque, dans son rapport de juillet 2002, M. Hoeffel a plaidé pour une augmentation du nombre des électeurs sénatoriaux « pour une meilleure prise en compte du fait urbain et, notamment, de la place des grandes villes ». A cet effet, dans l'esprit du projet initial du précédent gouvernement, il suggérait de faire varier le nombre des délégués en fonction uniquement de la population communale, tout en déterminant une tranche suffisamment large pour limiter le nombre des délégués désignés en dehors du conseil municipal. Dans la logique du texte adopté en 2000 par la Haute assemblée, il préconisait en outre d'abaisser à 9 000 habitants le seuil à partir duquel les communes désignent des délégués supplémentaires, la tranche de population concernée étant ramenée à 700 habitants.

Commentant la décision du 6 juillet 2000, le secrétaire général du Conseil constitutionnel, M. Schoettl, a proposé une troisième solution qui ferait l'économie de la désignation de délégués : elle consisterait à « faire voter les organes délibérants de toutes les collectivités territoriales de la circonscription en pondérant les voix exprimées au sein de chacun par la population de cette collectivité ».

Faute de suivre ces excellentes recommandations, la majorité sénatoriale s'expose au risque constitutionnel d'incompétence négative du législateur. Dans sa décision du 6 juillet 2000, le Conseil a en effet affirmé que « la représentation de chaque catégorie de collectivités territoriales et des différents types de communes doit tenir compte de la population qui y réside. » Dès lors, le législateur devait modifier le code électoral afin d'éliminer des inégalités de représentations manifestes.

La jurisprudence constitutionnelle relative à la méconnaissance du principe d'égalité du suffrage est fermement établie. Dans sa décision des 1er et 2 juillet 1986, le Conseil a rappelé que notre assemblée devait être élue sur des bases essentiellement démographiques et, dans celle du 7 juillet 1987, relative au découpage électoral de la ville de Marseille, il a implicitement étendu ce principe au Sénat. Se fondant sur les articles 72 et 24 de la Constitution, il a en effet jugé que ledit principe s'appliquait à l'élection des conseillers municipaux parce que ceux-ci participent à l'élection des sénateurs. Parce que le Sénat est élu au suffrage universel, même si c'est un suffrage universel indirect, cette jurisprudence est applicable à l'élection des sénateurs eux-mêmes !

Pour la majorité sénatoriale, il ne conviendrait pas de modifier un collège qui épouse si bien la France rurale ! Comme si celle-ci n'avait pas cessé d'être majoritaire ! Dire que la Haute assemblée devrait continuer imperturbablement à représenter « la France du seigle et de la châtaigne » dont parlait André Siegfried ne suffit plus à justifier le statu quo institutionnel, d'autant que cette seconde chambre a souvent montré le visage d'une France conservatrice sans rapport avec les aspirations de l'opinion.

Ce constat vaut particulièrement pour la parité, dont les « sénateurs hommes sortants » de la droite visent à s'éviter les effets dévastateurs, en prévision de l'élection de septembre 2004. Dans les départements élisant trois représentants et où les sortants sont tous issus de la majorité, la proportionnelle pourrait contraindre celle-ci à céder un siège à la gauche et un autre à une femme, fût-elle de droite aussi : quel cauchemar !

Pour notre part, ainsi que M. Le Roux l'a rappelé, nous nous sommes pliés en 2002 à la règle de parité sans qu'il y ait de listes dissidentes comme en a connu la droite, au prix de nombreux échecs - ainsi dans la Loire et l'Isère, n'est-ce pas, Monsieur Clément ?

Le relèvement du seuil à partir duquel les sénateurs sont élus au scrutin proportionnel vise, annoncez-vous, à opérer un rééquilibrage entre ce mode de scrutin et le scrutin majoritaire. Mais il a aussi un objectif inavoué, parce qu'inavouable : faire reculer une parité que les sénateurs n'ont acceptée que sous la pression de l'opinion en 1999 et qu'ils ont essayé de contourner en septembre 2001.

La parité ne peut s'imposer qu'avec les scrutins de liste, comme l'ont montré a contrario les élections législatives, en dépit des pénalités prévues. Dans son rapport du 5 février dernier sur le projet relatif à l'élection des conseillers régionaux, Mme Zimmermann se réjouissait déjà de l'extension du scrutin proportionnel à tous les départements élisant plus de deux sénateurs, qui allait entraîner une extension de la parité, et je salue aujourd'hui la constance de sa position, exprimée au nom de la Délégation aux droits des femmes.

Comparaison n'est pas raison, avez-vous dit, Monsieur le ministre délégué, un peu gêné tout de même. Il reste que l'élection de septembre 2001 a permis un net rééquilibrage puisque, alors qu'on ne comptait que 7 femmes sur les 101 sénateurs sortants, il y en avait 22, soit plus du triple, parmi les 102 élus ou réélus. Leur arrivée a en outre contribué à rajeunir le Sénat, leur âge moyen étant inférieur à 54 ans, contre plus de 59 pour les hommes.

L'effet positif de la réforme apparaît encore mieux quand on distingue entre sénateurs élus au scrutin majoritaire et sénateurs élus à la proportionnelle : dans le premier cas, il n'y eut que deux femmes élues sur 28, soit 7 %, et dans le second, 20 sur 74, soit 27 % ! La conclusion coule de source : revenir au scrutin majoritaire, c'est faire reculer la parité. Or, faire reculer la parité, c'est désormais aller contre la Constitution ! Ce point justifie amplement l'adoption de la question préalable. Sur ce grand acquis de la modernisation de la vie politique entreprise par Lionel Jospin, nous ne transigerons pas : nous saisirons le Conseil constitutionnel, qui tranchera dans la sérénité en dépit des menaces voilées prononcées par le rapporteur du Sénat.

Mais l'Assemblée a encore le temps de modifier ces dispositions. Non seulement elle écartera ainsi le risque d'inconstitutionnalité, mais elle évitera que soit atteinte l'image du Sénat, en quête d'une légitimité mieux assurée. Le courage commande de renoncer à tout ce qui, dans ce texte, peut nuire à la représentation équilibrée des sexes et des territoires, afin de donner au Sénat une représentativité incontestée et constitutionnellement incontestable. Ce courage, il nous faut l'avoir à la place du Gouvernement. C'est pourquoi je vous invite à adopter la question préalable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - J'indique aux membres de la commission que la réunion au titre de l'article 88 se tiendra à 14 heures 30, et non à 14 heures comme initialement prévu.

M. le Ministre délégué - Ce n'est guère gentil de parler de réformette, Monsieur Queyranne ! Au surplus, c'est oublier l'essentiel, à savoir que ce texte ramène à six ans la durée du mandat sénatorial. La mesure apparaissait jusqu'ici comme impossible et il faut donc se réjouir que la Haute assemblée ait décidé de l'imposer elle-même. En outre, elle répond à l'invite réitérée du Conseil constitutionnel à prendre en compte l'évolution démographique : vos accusations de conservatisme ne tiennent guère devant cette capacité d'auto-réforme !

Ces critiques auraient d'ailleurs plus de poids si vous n'aviez si longtemps approuvé l'antigaullisme du Sénat. Sous M. Monnerville notamment, la gauche s'accommodait fort bien de son prétendu conservatisme, de son caractère rural et de tous les autres défauts que vous dénoncez aujourd'hui...

M. Jean-Jack Queyranne - Vous vous êtes converti ?

M. le Ministre délégué - Lorsque le général de Gaulle a voulu réformer le Sénat, c'est la gauche qui a fait échec à la réforme (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Le non au référendum de 1969, c'est bien vous ! Vos critiques ne sont pas exemptes d'hypocrisie. Vous donnez sans cesse des leçons de morale, vous pratiquez l'autosatisfaction des Pharisiens, qui ne leur assure pas pour autant le paradis, on vous l'a rappelé ! (Sourires) Vos observations sur la France rurale perdent de leur crédibilité quand on sait qu'historiquement le parti socialiste a renoncé à toute implantation en milieu rural.

M. Jérôme Lambert - Ne suis-je pas député d'une zone rurale ?

M. le Ministre délégué - Certes, mais les gros bataillons du parti socialiste viennent quand même des zones urbaines, et ce n'est pas le discours que vous tenez sur le monde rural qui vous aidera à vous y implanter ! Vos critiques sur les territoires fragiles, abandonnés, victimes du centralisme, ne sont pas désintéressées...

M. Bruno Le Roux - Ne sont-ils pas fragilisés par le fait que vous êtes les seuls à les représenter depuis des années ?

M. le Ministre délégué - Vous avez conclu, Monsieur Queyranne, qu'il n'y avait pas lieu de délibérer. C'est tout de même paradoxal : le parti socialiste a voté pour la réforme au Sénat !

M. Bernard Roman - Il n'a voté qu'un des deux textes !

Mme la Présidente - Nous en venons aux explications de vote sur la question préalable.

M. Guy Geoffroy - S'il faut reconnaître un mérite à Jean-Jack Queyranne, c'est celui de nous avoir livré quelques-uns des plus beaux poncifs qui existent sur le Sénat, en réussissant une remarquable danse d'un pied sur l'autre. Audace ou résignation, réforme ou réformette, le Sénat « temple des conservatismes », mais aussi nécessaire « assemblée de proximité » ou « chambre de réflexion »... La vraie représentation du « vrai » peuple, celui des villes , la fausse représentation du « faux » peuple, celui des milieux ruraux. Et, enfin, cette merveilleuse formule : « il faut mettre un coup d'arrêt à la République sénatoriale ».

Si vous n'avez guère apporté d'éléments nouveaux par rapport à l'exception d'irrecevabilité défendue par notre collègue Roman, vous avez levé le voile sur votre ranc_ur - que le Sénat ne soit pas à gauche (« Jamais ! » sur les bancs du groupe socialiste) - et sur votre objectif : faire qu'il le soit, dussiez-vous pour cela réformer le corps électoral. Voilà qui mérite mieux que les conclusions sommaires auxquelles vous êtes arrivé. Il faut rester prudent quand on évoque la sur-représentation des communes. Chaque fois qu'on a voulu modifier notre organisation territoriale, on a envisagé de revenir sur deux fondements de notre République : la commune et le département, parce que les milieux politiquement corrects croyaient y déceler des résistances. N'oubliez pas qu'au fond de nos campagnes, il y a des électeurs qui savent faire la part des choses, votent souvent comme ceux des villes, mais font en sorte, dans les élections locales, que le monde rural ne soit pas oublié. N'allons pas leur dire, au moment où nous réfléchissons à l'aménagement du territoire, qu'ils sont sur-représentés ! Loin de redouter les conséquences « dévastatrices » du renouvellement de 2004, il faut saluer l'initiative, peut-être inaboutie mais courageuse, du Sénat : elle ne méritait pas cette caricature. Le groupe UMP ne votera pas la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Bernard Roman - Le groupe socialiste votera la question préalable brillamment défendue par notre collègue Jean-Jack Queyranne. Un seul argument suffit à conforter son propos : l'article 40 de la Constitution, qui dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique ». Qui pourrait soutenir que la création de vingt-cinq sièges de sénateurs n'aggrave pas les charges publiques ? Si nous nous en tenions à la lettre et à l'esprit de la Constitution, il n'y aurait pas lieu à débattre. C'est pourquoi je vous demande de voter la question préalable.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

Mme la Présidente - Nous en venons à la discussion générale.

M. Gilbert Gantier - Dans un régime bicaméral, chacune des deux assemblées est élue selon des dispositions qui lui sont propres. La tradition républicaine veut aussi, le ministre l'a rappelé, que chaque assemblée intervienne avec discrétion sur les lois qui gouvernent l'élection de l'autre. Il n'en va pas ainsi aujourd'hui, puisque le groupe socialiste a soutenu une exception d'irrecevabilité et une question préalable.

Les réflexions du groupe de travail constitué par le président du Sénat ont débouché sur une proposition de loi et une proposition de loi organique, qui s'articulent autour de quatre points : réduction de la durée du mandat, abaissement de l'âge d'éligibilité, adaptation aux évolutions démographiques et rétablissement d'un équilibre entre scrutins majoritaire et proportionnel. L'objectif est de trouver un régime électoral qui dépasse les clivages politiques et évite les changements à chaque alternance. Nous ne pouvons qu'être favorables à un tel objectif. Aussi voterons-nous ce texte même s'il appelle quelques réserves de notre part.

La réduction de la durée du mandat de neuf à six ans, qui aligne le mandat sénatorial sur les autres mandats, est tout à fait opportune. Institué dès 1875, le mandat de neuf ans n'a connu qu'une éclipse, sous la IVe République. Depuis l'instauration du quinquennat, le mandat sénatorial est le seul à excéder six ans, ce qui constitue un record européen. Cette durée était justifiée à l'origine par la recherche d'une certaine stabilité. Mais le renouvellement par tiers de la chambre haute lui confère déjà une continuité que renforce le caractère modérateur du scrutin indirect.

La réduction de la durée du mandat de sénateur ne saurait remettre en cause l'essence même du Sénat. Au contraire, elle renforce la légitimité démocratique de l'institution, favorisera une meilleure représentation des collectivités territoriales, et permettra à tous les élus locaux de participer à une élection sénatoriale, ce qui n'était pas le cas avec un mandat de neuf ans. Autre point essentiel : l'abaissement de l'âge d'éligibilité à 30 ans qui rapproche le sénateur de la pratique des autres mandats : 18 ans pour les mandats locaux, et 23 ans pour les mandats de député, député européen et Président de la République.

Le dispositif actuel répondait au souci de conférer au Sénat un caractère modérateur, mais suscitait des critiques récurrentes sur l'âge moyen des sénateurs - 61 ans - qui n'est pourtant que de sept ans supérieur à celui des députés.

Au demeurant, les modalités de désignation, où la longue expérience d'élu local demeure l'atout principal, favoriseront les candidats expérimentés, mais cet abaissement redonne un souffle plus jeune au Sénat, tout en préservant l'équilibre institutionnel conforme à sa mission. Aussi l'approuvons-nous.

Par ailleurs le texte prévoit l'application du scrutin majoritaire à deux tours dans les départements où sont élus trois sénateurs ou moins, afin de corriger le déséquilibre créé par la loi du 10 juillet 2000, qui a introduit massivement la représentation proportionnelle en limitant le scrutin majoritaire aux seuls départements auxquels sont attribués un ou deux sièges de sénateurs.

De 110 sièges élus à la proportionnelle avant la loi, nous sommes passés à 224. Le texte rétablit l'équilibre entre les deux modes de scrutin. Si le scrutin majoritaire favorise l'enracinement local des sénateurs et leur indépendance à l'égard de formations politiques, le scrutin proportionnel favorise la représentation des différentes formations politiques, aussi se justifie-t-il dans les départements à forte population urbaine, où le tissu social est plus hétérogène.

Enfin, la réforme conduit à l'augmentation du nombre de sénateurs. Depuis 1959, les évolutions démographiques, notamment l'exode rural, ont justifié huit modifications. Entre 1975 et 1999, la population française a augmenté de 12 %, mais cette croissance n'a pas été uniforme, créant des écarts très importants entre les départements. Pour autant, l'augmentation du nombre de sénateurs n'apparaît pas la solution la plus appropriée en ces temps de conjoncture économique difficile, même si, au terme de l'article 24 de la Constitution, le Sénat doit assurer la représentation des collectivités territoriales de la République.

Tout en restant réservé sur l'augmentation du nombre de sénateurs, le groupe UDF votera ces propositions de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Vaxès - A l'occasion du bicentenaire sénatorial en 1999, M. Didier Maus, professeur de droit constitutionnel déclarait : « Le Sénat a traversé deux siècles, le débat sur sa légitimité également ».

Aujourd'hui, 160 sénateurs de l'UMP et de l'Union centriste, avec le soutien du Premier ministre, ont estimé qu'il était temps de déposer deux propositions de loi le réformant.

L'une, organique, portant réforme de la durée du mandat, de l'âge d'éligibilité des sénateurs et de la composition du Sénat ; l'autre, ordinaire, portant réforme de l'élection des sénateurs.

Ces deux textes sont-ils de nature à imposer la légitimité de la chambre dite « haute » ?

La volonté des auteurs de la proposition de loi organique serait de renforcer la légitimité du Sénat et son ancrage dans les collectivités territoriales en réduisant à six ans la durée du mandat des sénateurs, d'où un renouvellement du Sénat par moitié tous les trois ans.

Cette réduction de la durée du mandat des sénateurs est une mesure de bon sens, mais si cette disposition peut emporter notre adhésion, le maintien d'un renouvellement sur plusieurs séries ne sera pas de nature à assurer la représentativité qui manque tant à cette chambre. Seul un renouvellement intégral, en une seule fois, permettrait de refléter l'état de la société française à un moment donné.

La proposition de loi organique entend également abaisser l'âge d'éligibilité au Sénat à 30 ans afin de « rapprocher ce seuil des autres élections ». Pourquoi tant de timidité quand l'âge d'éligibilité est fixé à 18 ans pour tous les mandats locaux ; et à 23 ans pour deux des trois mandats nationaux dont celui de Président de la République ? Le Palais du Luxembourg va-t-il éternellement refuser d'accueillir une jeunesse pourtant si indispensable au renouvellement de ses forces ?

Pour le rapporteur de la commission des lois du Sénat, la fixation d'un âge d'éligibilité plus élevé pour les sénateurs se justifierait par la « vocation traditionnelle de chambre stable et modératrice du Sénat ». Notre assemblée serait-elle alors instable et excessive ?

Cette vision a déjà justifié que la Constitution de l'an VIII lui ait si justement conféré le label de « Sénat conservateur ». La sagesse et le bon sens ne sont pas l'apanage de l'âge. Aussi défendons nous l'idée d'un alignement de l'âge de l'éligibilité des sénateurs sur celui des députés. Que nos collègues sénateurs ne soient pas trop inquiets : seuls deux députés siégeant aujourd'hui dans cet hémicycle ont été élus à l'âge de 29 ans ! Le péril jeune n'est pas encore à nos portes ! (Sourires)

La proposition de loi organique propose également d'augmenter le nombre de sénateurs de 25 sièges afin de tenir compte de l'évolution démographique. Le Sénat représente aujourd'hui la France de 1975, il s'agit donc d'une prise de conscience bien tardive ! Si elle avait eu lieu plus tôt elle aurait pu concerner le renouvellement de 2001, mais en 2000, la proposition en ce sens du gouvernement de M. Jospin s'était heurtée à l'opposition de la majorité sénatoriale !

Si cette augmentation s'impose, l'on regrette qu'elle n'_uvre pas au rééquilibrage entre zones urbaines et zones rurales, qui restent sur-représentées.

Voilà pourquoi cette proposition de loi ne peut emporter notre adhésion tant elle manque d'audace pour corriger les défauts que ses auteurs ont bien timidement repérés.

Quant à la proposition de loi ordinaire, elle réforme l'élection des sénateurs en proposant le rétablissement du scrutin majoritaire dans les départements où sont élus trois sénateurs ou moins.

Alors que la réforme de juillet 2000 avait pu insuffler une bouffée d'air frais dans le Palais du Luxembourg, cette proposition marque une formidable régression.

En effet, l'instauration de la proportionnelle dans les départements comprenant trois sénateurs avait permis l'élection de plusieurs sénatrices lors du renouvellement de 2001, quatre jeunes sénatrices communistes.

La proportionnelle avait également permis de combattre la notabilisation chronique du Sénat fort peu représentative de la population française, alors que le pluralisme politique est un élément essentiel de la légitimité démocratique d'une institution en crise. Et la stabilité politique du Sénat reflète peu les mutations de notre pays.

Ce principe de parité est du reste à ce point malmené que vous-même, Monsieur le ministre, avez exprimé les plus grandes réserves sur la constitutionnalité de cette proposition de loi. Au Sénat, après avoir rappelé l'article 3 de la Constitution, vous ajoutiez que « Le Conseil constitutionnel pourrait être conduit à constater que le relèvement du seuil d'application de la représentation proportionnelle aura pour effet, dans les vingt-cinq départements élisant trois sénateurs, de réduire les possibilités d'accès égal aux mandats, puisque aucune règle, ni incitative ni contraignante, ne viendra atténuer la suppression de l'obligation d'appliquer le mode de scrutin proportionnel ».

Enfin, cette proposition de loi ordinaire ne prévoit pas de réforme du collège électoral, ce qui est regrettable pour une réforme qui vise à « renforcer la légitimité du Sénat », laquelle passe par une représentativité réelle.

Or, peut-on parler de représentativité lorsque le pourcentage de délégués représentant les communes de moins de 1 000 habitants, où vivent 16,5 % de la population française, dépasse les 30 % ?

Voilà autant de raisons, pour le groupe des députés communistes et républicains, de ne pas voter ces propositions de loi en l'état.

Une fois encore un grand rendez-vous sera manqué. C'était pourtant une belle occasion de donner enfin au Sénat cette légitimité démocratique qui faisait tant regretter à son président Poncelet, en 1998, que cette « institution soit injustement mais fréquemment brocardée ».

Une fois de plus, le constat ironique que faisait en 1913 un docteur en droit est plus que jamais d'actualité : « Notre Sénat a un mérite essentiel qu'il faut lui reconnaître,... il a duré ».

Nous aurions préféré qu'il se réforme pour offrir à nos institutions une seconde chambre démocratique et représentative de la population française.

En ce domaine comme dans bien d'autres, il aurait fallu qu'un véritable débat sur nos institutions s'instaure, que notre peuple s'en mêle. Le Gouvernement s'y refuse, préférant inscrire sa démarche dans le droit fil de la réforme des modes de scrutin des élections régionales et européennes, dictée par la loi de l'Etat UMP, qui passe par un Sénat UMP.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures 5.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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