Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session extraordinaire 2002-2003)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session extraordinaire de 2002-2003 - 13ème jour de séance, 34ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 24 JUILLET 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

      NOMINATION D'UN DÉPUTÉ EN MISSION TEMPORAIRE 2

      SAISINES DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL 2

      RÉSOLUTION ADOPTÉE EN APPLICATION
      DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION 2

      RÉFÉRENDUM LOCAL (deuxième lecture) 2

      VILLE ET RÉNOVATION URBAINE (CMP) 7

La séance est ouverte à vingt et une heures.

NOMINATION D'UN DÉPUTÉ EN MISSION TEMPORAIRE

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant de sa décision de charger M. Olivier Jardé, député de la Somme, d'une mission temporaire, dans le cadre des dispositions de l'article L.O. 144 du code électoral auprès de M. le Garde des Sceaux, ministre de la justice et de M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

Cette décision a fait l'objet d'un décret publié au Journal officiel du 24 juillet 2003.

SAISINES DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le Président - J'ai reçu de M. le Président du Conseil constitutionnel trois lettres m'informant qu'en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, le Conseil constitutionnel a été saisi de demandes d'examen de la conformité à la Constitution : d'une part, de la loi modifiant la loi du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive, par plus de soixante sénateurs et plus de soixante députés ; et, d'autre part, de la loi relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, par plus de soixante députés.

RÉSOLUTION ADOPTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le Président - J'informe l'Assemblée qu'en application de l'article 151-3, alinéa 2, du Règlement, la résolution sur l'avant-projet de budget général des Communautés européennes pour 2004, adoptée par la commission des finances, est considérée comme définitive.

RÉFÉRENDUM LOCAL (deuxième lecture)

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi organique relatif au référendum local.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales - Après la révision de la Constitution votée par le Congrès le 17 mars dernier et le projet de loi organique sur l'expérimentation, voté conforme par le Sénat après que votre assemblée eut considérablement enrichi le texte du Gouvernement - à l'initiative, notamment, de votre excellent rapporteur, M. Piron -, le présent texte, relatif au référendum local, constitue le troisième volet de l'action du Gouvernement en faveur de la décentralisation.

Il n'est pas temps de refaire l'ensemble du débat, qui a été riche. Je m'en tiendrai donc à la question du seuil de participation nécessaire pour que la consultation ait valeur décisionnelle. Le projet du Gouvernement ne comprenait pas de seuil. Le Sénat l'a fixé à 50 % ; votre assemblée, après en avoir largement débattu, avait proposé, à l'initiative de votre rapporteur Alain Gest (« Excellent rapporteur ! » sur les bancs du groupe UMP) et avec la bienveillance du Gouvernement, de retenir un seuil de 40 %. Puis, le président Daubresse ayant proposé 33 % des inscrits, votre assemblée a finalement retenu ce dernier niveau.

Cependant, le Sénat persiste dans sa position de fixer le seuil de participation utile à 50 %, arguant que les élus locaux doivent garder la main et ne pas être placés devant le fait accompli en cas de participation trop restreinte. Au reste, votre commission des lois s'est finalement ralliée à cette proposition.

Dans cette affaire - pourquoi ne pas le dire ? -, le Gouvernement s'est un peu inquiété, la notion de seuil utile de participation lui semblant quelque peu sujette à caution. De deux choses l'une, en effet : soit le projet soumis à référendum fait consensus et la participation s'en ressent, nombre d'électeurs ne jugeant pas utile de se déplacer - tel fut le cas notamment du référendum national sur le quinquennat -, soit le sujet est controversé et le seuil de participation fait moins problème que la détermination de l'exécutif local à organiser un référendum, par crainte d'un possible revers. Le risque est donc qu'il n'y ait pas de référendum du tout et que la démocratie participative locale ne progresse pas.

Or l'intention du Président de la République est bien de banaliser l'institution du référendum pour faire progresser, justement, la démocratie participative. Dès lors, le Gouvernement considère que l'adoption de ce texte fera franchir une étape importante et qu'il s'en remet à la sagesse - qui est grande - de votre assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Gest, rapporteur de la commission des lois - Après l'adoption par le Parlement du texte sur l'expérimentation, nous abordons la deuxième lecture du projet de loi organique prévoyant l'organisation de référendums locaux, dispositif consacré par la dernière révision constitutionnelle. Ce projet constitue une profonde rénovation des procédures de participation directe, afin de faire de la décentralisation l'affaire de tous. En effet, comme je l'avais indiqué le 15 juillet, la décentralisation ne doit pas être considérée comme un simple outil de gestion au service des élus locaux.

Au cours de nos travaux, nous avons souhaité réaffirmer la responsabilité première des élus locaux dans la gestion quotidienne des collectivités territoriales. Dans un contexte où la démocratie représentative est sans cesse remise en question, il aurait été inconcevable d'affaiblir l'action publique locale. Aussi bien, le référendum local est-il un outil supplémentaire et novateur de démocratie directe, mais sa vocation première est de faciliter la décision des citoyens et celle de leurs représentants.

En première lecture, outre son souci de préserver la sérénité des référendums locaux en excluant de leur champ les actes individuels, la majorité était convenue de la nécessité d'instaurer un quorum pour que le scrutin conserve sa valeur décisionnelle, ce que ne prévoyait pas le projet de loi initial.

Effectivement, une très faible participation ne peut qu'affaiblir la portée de la consultation. Néanmoins, nous avions jugé trop élevé le seuil de 50 % voulu par le Sénat. C'est pourquoi, au regard des taux de participation aux divers scrutins, et particulièrement de ceux constatés dans les grandes villes, je vous avais proposé un seuil de 40 %. En séance publique, nous avions finalement retenu la proposition de notre collègue Daubresse de le fixer à un tiers des inscrits ce qui pouvait être considéré comme plus lisible.

A la quasi unanimité des groupes politiques, nos collègues sénateurs ont choisi de le rétablir à 50 %. Ce faisant, ils ont exaucé le v_u de toutes les associations d'élus locaux.

Sans doute agacés par les atteintes portées à la démocratie représentative, les élus locaux restent assez frileux, en effet, face à un possible développement de la démocratie directe. Nombre d'entre eux semblent ne pas avoir encore assimilé la différence entre référendum local et référendum d'initiative locale. Je rappelle en effet que les référendums locaux seront décidés exclusivement par les exécutifs communaux, départementaux ou régionaux, qu'ils ne concerneront que des sujets de la compétence de la collectivité et que la question posée relèvera également de leur unique responsabilité. Dès lors, comment imaginer qu'un élu ayant fait le choix de consulter ses concitoyens refuserait de tirer les conséquences du résultat, au motif que le taux de participation serait inférieur à 50 % ? Dans cette hypothèse, le référendum perdrait certes sa valeur décisionnelle mais il conserverait un caractère consultatif, susceptible de légitimer la décision finale de la collectivité. Pour cette même raison, je ne partage pas l'inquiétude de ceux - dont vous, peut-être, Monsieur le ministre ? - qui considèrent qu'un seuil trop élevé découragerait les initiatives référendaires.

Chacun devrait garder à l'esprit ce que M. Geoffroy a opportunément rappelé hier en commission, à savoir qu'il n'est plus rare que des maires, ou des conseillers généraux, soient élus sans que le taux de participation atteigne 50 % - et que l'on considère pourtant qu'ils l'ont été valablement. N'est-il pas paradoxal, dans ces conditions, d'exiger un taux égal à la moitié des inscrits lorsqu'il s'agit de consulter directement la population ? Je laisse la question à la réflexion de chacun.

Quoi qu'il en soit, j'ai proposé à la commission des lois, qui l'a accepté, de conserver finalement le seuil de 50 % voulu par nos collègues sénateurs. Nous avons fait preuve d'audace réformatrice, ils ont fait montre de prudence. Fallait-il pour autant remettre en cause le consensus qui s'est dessiné sur le recours à la démocratie directe ? C'eût été donner trop d'importance à une simple divergence sur la procédure. Et il faut reconnaître que ce seuil de 50 % est de nature à vaincre les réticences des élus locaux.

Voilà plus de vingt ans que l'idée du référendum local a été lancée par Gaston Defferre. Mais c'est ce gouvernement et pas un autre, cette majorité et pas une autre, qui la mettent en _uvre, répondant ainsi à une aspiration de nos concitoyens en même temps qu'à un engagement du Président de la République.

Au nom de la commission des lois, je vous invite donc à émettre un vote conforme à celui du Sénat. En instaurant un dispositif qui représente un progrès significatif pour la démocratie directe, nous avons une fois encore - comme nous l'avons fait en votant la réforme des retraites - fait notre devoir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Certaines interprétations diverses et variées risquant de fleurir, je voudrais rappeler comment les choses se sont passées.

Le texte initial ne prévoyait pas de seuil. Le raisonnement du Gouvernement était en effet que, le référendum national n'en comportant pas, il n'y avait pas de raison d'en instituer un pour le référendum local. La commission des lois et moi-même nous étions opposés à cette vision des choses, considérant qu'au niveau d'un village, un groupe de pression pourrait facilement imposer ses vues à l'ensemble des électeurs, alors que ce ne serait pas possible dans le cas d'une consultation nationale. Il fallait donc un seuil. Mais lequel ? Le Sénat avait opté pour 50 %, votre commission des lois pour 40 % puis, en séance, à la demande du ministre, l'Assemblée avait finalement retenu le seuil de 33 %. Je pensais, pour ma part, que si nous options pour 33, nous aboutirions à 40 % en CMP. La suite de l'histoire a prouvé que les choses ne se passent pas toujours aussi simplement que l'on l'espère... (Sourires)

Il faut dire que le rapporteur du texte au Sénat, M. Daniel Hoeffel, est aussi président de l'association des maires de France, et qu'il avait reçu, au cours d'une sorte de « tour de France », un message unanime de la part des élus locaux : il faut que le seuil soit de 50 % ! En commission des lois et en séance, nos collègues sénateurs ont donc tous adopté ce seuil, à l'exception du groupe communiste qui, au Sénat comme à l'Assemblée, s'est opposé à tout seuil - se faisant sous ce rapport, Madame Jacquaint, le meilleur soutien du Gouvernement, et d'ailleurs le seul... (Sourires)

Bien sûr, notre assemblée pourrait décider d'avoir le dernier mot - sous réserve que 289 de ses membres se prononcent en ce sens. Mais ce serait un peu comme si nous disions aux maires de France que nous leur donnons tort au motif que nous, députés, voyons plus vite et plus loin qu'eux.

Cela me rappelle le débat que nous avons eu sous la précédente législature, sur l'élection des délégués des communautés de communes. A l'Assemblée, les socialistes étaient favorables à leur élection au suffrage universel direct - au Sénat, ils l'étaient déjà un peu moins... Quant à la droite, elle y était tout à fait hostile, et j'avais pour ma part soutenu l'idée qu'on ne pouvait pas aller plus vite que l'évolution des esprits au niveau municipal. Eh bien, de même que les esprits n'étaient alors pas prêts à accepter l'élection au suffrage universel direct des instances intercommunales, ils ne le sont pas aujourd'hui à supprimer, ni même à abaisser le seuil exigé pour qu'un référendum local soit décisionnel.

Autrement dit, l'Assemblée n'est pas en train, passez-moi l'expression, de se « coucher » devant le Sénat, mais simplement d'écouter les 36 000 maires de France. C'est pourquoi je vous demande à mon tour d'émettre un vote conforme.

Léon Jozeau-Marigné qui présida pendant douze ans la commission des lois du Sénat et qui vient de nous quitter, m'avait dit un jour, il y a fort longtemps, alors que nous participions tous deux à une CMP « mon cher jeune collègue, en CMP il faut savoir céder » ; j'ai retenu la leçon et, tout en rendant hommage au défunt, je voudrais renvoyer ce conseil à ses collègues sénateurs d'aujourd'hui... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. le Président - Merci, Monsieur le président de la commission, de cette démonstration implacable. Heureusement, la Constitution interdit le mandat impératif... (Sourires)

M. Rodolphe Thomas - La décentralisation nous a engagés sur une voie de proximité et de participation et il importe de redonner un souffle nouveau au débat politique traditionnel. La crise de confiance exprimée par les Français doit être le moteur du changement. Il ne s'agit pas seulement de réformer l'Etat mais de refonder l'action publique en France et cette refondation passe par une redistribution des pouvoirs.

Il faut créer une société de partenaires en octroyant des droits nouveaux aux Français et en leur permettant de participer activement à la chose publique. Cette volonté, que nous exprimons depuis de nombreuses années à l'UDF, trouve un aboutissement aujourd'hui. Certes, de nombreuses réformes restent à mener, mais l'édifice se construit petit à petit.

Le référendum local redonnera du pouvoir à nos concitoyens et leur permettra de participer directement à l'administration de leurs collectivités, le débat se déplaçant ainsi en dehors des assemblées.

Permettez-moi cependant de regretter l'absence de consensus du Parlement sur un sujet qui devrait nous rassembler, puisque le but recherché est de faire participer nos concitoyens. C'est un outil de démocratie très intéressant qui nous est proposé, et il serait dommage qu'une querelle d'initiés vienne ternir cette belle idée et que le débat se réduise à un vulgaire marchandage. L'adoption, dès le départ, d'une voie consensuelle, aurait honoré le Parlement.

Mais il en a été autrement. En effet, nos collègues sénateurs ont décidé d'instaurer un seuil de validité du référendum et l'ont fixé à 50 %. Le choix d'instituer un quorum recueillait l'approbation générale, mais des divergences sont apparues concernant le taux. En première lecture, l'Assemblée, ayant jugé ce seuil trop élevé, l'a abaissé à 33 %, et ce dans le but d'aboutir à un consensus portant sur 40 %, seuil moyen de participation aux référendums proposés jusqu'ici aux Français.

Nous comprenons parfaitement l'intérêt d'instaurer une limite, si basse soit-elle. N'oublions pas toutefois l'enjeu véritable de ce référendum : il engage des réformes qui concerneront directement les citoyens. Fixer un seuil inférieur à 50 % reviendrait à faire adopter une décision par une partie infime de la population. En ces temps où nos concitoyens expriment de vifs mécontentements envers la classe politique, il importe de souligner que la majorité doit pouvoir décider et l'on ne peut se permettre d'imposer à la population des choix minoritaires. Par ailleurs, comme l'a souligné notre collègue sénateur Hoeffel, un seuil élevé est de nature à mobiliser les électeurs en leur montrant l'importance attachée à leur voix. Il confortera la légitimité du projet soumis au vote. Gardons confiance dans le suffrage universel : les électeurs ont montré qu'ils se déplacent lorsque l'enjeu est d'importance. En outre, le quorum responsabilisera les élus qui devront se mobiliser pour susciter l'intérêt des citoyens. Enfin, les associations d'élus se sont toutes prononcées en faveur d'un seuil de 50 %.

Il faut trouver un équilibre entre la légitimité du référendum et la possibilité d'en organiser de façon régulière. Si nous voulons redonner un pouvoir de participation aux Français, il faut leur montrer que leur participation majoritaire leur donnera un véritable pouvoir de décision. Fixer un seuil trop bas ferait perdre sa légitimité au référendum.

Surtout, il faut montrer aux Français que leurs représentants sont unanimes à vouloir mettre en _uvre ce pan de la décentralisation, et qu'ils ont compris le message. Nous avons le devoir de nous responsabiliser. Le groupe UDF est donc favorable à ce seuil de 50 % (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Muguette Jacquaint - Ce projet est assurément le moins mauvais de tous les textes sur la décentralisation que nous avons eu à discuter. Mais nous devons l'analyser en liaison avec le projet global présenté par le Premier ministre. Le référendum local est la caution démocratique d'un projet antidémocratique. Le contenu même de ce projet est d'ailleurs marqué par votre méfiance envers la démocratie participative. Tout y est fait pour cadenasser les débats : on ressent dans le texte votre peur envers tout ce qui relève de l'initiative populaire, ou qui n'est pas directement contrôlable par les élus : les conseils de quartier, les associations, les pétitions... Les étrangers non communautaires sont exclus du débat public. L'instauration d'un quorum reflète votre volonté de laisser primer l'autorité de quelques-uns.

Pour marquer l'opposition franche de notre groupe parlementaire à votre projet global de décentralisation, et notre rejet d'un texte qui, dans ces faits, n'apporte aucun acquis démocratique, nous voterons contre ce projet.

M. Guy Geoffroy - Ce texte est plus important qu'il n'y paraît. Il s'agit tout simplement de faire ce que les partisans les plus convaincus de la démocratie locale attendaient depuis de longues années : donner enfin à nos concitoyens, dans leurs collectivités, la possibilité de décider des affaires importantes qui les concernent.

Lors de la première lecture dans les deux assemblées, rien ne semblait devoir opposer les points de vue, jusqu'à ce qu'on en vienne à ce point d'achoppement : l'établissement d'un seuil à partir duquel la consultation serait valide, c'est-à-dire décisionnelle. Le Gouvernement avait choisi, lui, de ne pas fixer de seuil, calquant son dispositif, malgré d'indéniables différences, sur le référendum national. Le Sénat a pris une option très tranchée. L'Assemblée, montrant peut-être, en l'espèce, plus de sagesse que la chambre haute, a estimé qu'il fallait éviter de fixer un seuil trop élevé, afin de rendre le référendum possible. Voilà ce dont nous avons à décider aujourd'hui ; le rapporteur et le président de la commission ont rappelé avec exactitude la portée de cette décision, et sa complexité.

Nous n'avons pas le droit, fût-ce au nom de divergences légitimes, de priver nos concitoyens d'un droit qui doit leur être donné. C'est pourquoi le groupe UMP, de manière sage et raisonnée, suivra la voie ouverte par la commission des lois. Il n'y a pas en effet de péril immédiat, ni définitif, à adopter la position du Sénat. Je souhaite toutefois formuler deux remarques dans ce débat qui reste intéressant, même si nous devons aujourd'hui conclure.

Tout d'abord, je veux souligner ce qui pourrait apparaître comme un paradoxe. Nous aurions, dans la France d'aujourd'hui, une réalité très contrastée. Les élus de nos collectivités sont de plus en plus nombreux à tenir leur mandat d'un scrutin qui ne réunit pas une majorité des inscrits - surtout au deuxième tour d'une élection partielle... - ce qui ne les empêche pas de décider des affaires de la collectivité qu'ils dirigent. Dans le même temps ceux qui fondent la légitimité des élus, à savoir les électeurs, quand, à l'initiative des élus, ils seraient appelés à décider en lieu et place de ces derniers, ne se verraient pas reconnaître le droit de le faire s'ils n'étaient pas assez nombreux à se déplacer... C'est là une constatation ; elle ne nous empêchera pas de voter le texte, mais elle méritait d'être soulignée.

Ma seconde remarque est que la différence entre référendum national et référendum local, si elle est réelle, n'est peut-être pas si profonde. Ici aussi, on voit s'esquisser un paradoxe. Au plan national, quand la Constitution doit être révisée, le peuple se déplace dans la proportion qu'il souhaite, alors que la représentation nationale ne peut décider qu'à une majorité qualifiée fixée par la Constitution. A l'inverse, au plan local, c'est le peuple qui doit voter à une majorité déterminée, alors que ses représentants peuvent le faire en dehors de cette majorité...

L'important, aujourd'hui, est de décider que le référendum local va devenir possible. J'invite cependant mes collègues de l'Assemblée comme du Sénat à se projeter dans l'avenir. Soyons très volontaristes dans le soutien aux élus locaux qui veulent demander aux citoyens de décider. Et n'hésitons pas, sinon à revenir sur ce qui va être décidé aujourd'hui, du moins à y réfléchir à nouveau. Ainsi nous serons fidèles au v_u du Président de la République. Pour que la parole soit donnée aux citoyens, le groupe UMP votera ce projet sans hésitation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

M. le Président - J'appelle maintenant, dans le texte du Sénat, l'article unique du projet de loi organique sur lequel les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.

L'article unique du projet de loi organique, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 21 heures 40, est reprise à 21 heures 45.

VILLE ET RÉNOVATION URBAINE (CMP)

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre soumettant à l'approbation de l'Assemblée le texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion du texte de la CMP.

M. Philippe Pemezec, rapporteur de la commission mixte paritaire - En définitive, nous aurons mené cet examen un peu comme un marathon, ayant mis toute notre énergie à construire en un temps relativement court une loi à la fois mesurée, responsable et généreuse. Grâce à une parfaite coopération avec le Sénat, nous sommes parvenus, je crois, à un juste équilibre. Mais nous devons beaucoup aussi au sens de l'écoute que vous avez manifesté, Monsieur le ministre délégué, ainsi qu'à la disponibilité et à la compétence de vos services, à l'expertise des rapporteurs pour avis et à la qualité du travail fourni par nos administrateurs. Je tiens également à remercier M. Ollier, président de la commission des affaires économiques, pour la confiance dont il m'a honoré et pour la richesse de ses interventions.

Malgré les délais, ce projet a été examiné dans un climat serein et je salue l'attitude responsable du groupe socialiste...

M. François Brottes - Merci !

M. le Rapporteur - ...qui, mesurant la portée sociale de ce texte, a choisi de s'abstenir à l'issue de la première lecture. A l'inverse, je ne puis que regretter l'opposition systématique et politicienne du groupe communiste (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), qui se proclame pourtant grand défenseur des démunis. Lui n'a pas su dépasser les intérêts partisans... Les habitants des quartiers en difficulté et les personnes surendettées apprécieront !

Avec ce projet, le Gouvernement s'est en effet donné les moyens d'intervenir énergiquement dans les quartiers en difficulté, d'y susciter une dynamique susceptible de tirer ces populations de la grisaille et de la désespérance, entretenues ou subies.

Le Sénat a encore enrichi ce texte, puis la CMP est parvenue ce matin à un consensus. Nous disposons donc maintenant d'un texte innovant, comblant des lacunes dénoncées par la Cour des comptes en février 2002. La politique de la ville y gagnera en clarté, et l'évaluation en sera enfin possible, cependant que des moyens importants sont dégagés pour améliorer la qualité de la vie dans les quartiers. Ce projet ambitieux devrait donc donner un élan sans précédent.

Nous avons délibérément concentré notre effort sur la rénovation urbaine et sur le traitement des quartiers en difficulté tout en élargissant la portée de certaines dispositions, telles que les exonérations dans les ZRU. Je n'émettrai qu'un regret : nous n'avons pas suffisamment _uvré pour la mixité sociale - mais je compte bien revenir à la charge sur ce point !

Aux termes du texte adopté par la CMP, des conseillers généraux et régionaux siégeront désormais au conseil d'administration de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine et les EPCI assureront le suivi des opérations subventionnées par celle-ci ; la sécurité et la protection des copropriétés dégradées seront renforcées, les maires pouvant désormais se saisir des problèmes, alerter le juge et prescrire la remise en état des équipements communs. S'agissant des ZRU, les exonérations ont été portées à cinq ans en fonction de critères précis. Nous avons de même étendu la liste des associations susceptibles de bénéficier d'exonérations, à condition d'avoir une activité locale. Au vu d'un taux négligeable de rechute et compte tenu des filtres prévus, la CMP a par ailleurs décidé de ne pas limiter à une seule fois le bénéfice de la procédure de rétablissement personnel et elle a porté à neuf mois le délai d'instruction des dossiers de surendettement. Enfin, un amendement a donné voix prépondérante aux maires dans les commissions d'attribution de logements sociaux.

Toutes ces mesures constituent des progrès vers l'équité entre territoires et vers la qualité de l'habitat. La procédure de rétablissement personnel est même, à mon sens, une avancée sociale sans précédent, au bénéfice des défavorisés et des accidentés de la vie. C'est donc avec enthousiasme et conviction que je voterai ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire - Il est exceptionnel que le président d'une commission de l'Assemblée ait aussi à présider une commission mixte paritaire, et je remercie nos collègues sénateurs de m'avoir permis de vivre cette expérience enrichissante.

M. le Président - S'ils avaient pu agir autrement... (Rires)

M. le Président de la commission mixte paritaire - Le consensus l'a emporté, après que ce projet eut mûri au sein de chaque assemblée. Il y a donc eu une majorité pour améliorer ce projet, mais nous vous le devons largement, Monsieur le ministre délégué. En effet, vous avez dès le départ fixé la règle du jeu et les orientations essentielles, tout en laissant une large marge au débat. Nous avons pu ainsi élaborer ensemble une vraie loi d'orientation et de programmation, ce qui nous change de la politique menée auparavant, pendant cinq ans !

Le Gouvernement aura ainsi des objectifs clairs, assortis de moyens financiers et d'instruments. C'en est désormais fini de la logique de guichet, qui contrariait tous les projets de développement économique et de rénovation urbaine ! Vous simplifiez, vous assouplissez, contribuant en cela à la réforme de l'Etat, éminemment.

Je tiens à féliciter le rapporteur, qui a pris en main ce dossier et fait preuve de beaucoup de dynamisme, contribuant à enrichir cette loi sur des points importants. Je me réjouis de la coopération entre les deux assemblées, qui ont su trouver les voies de la complémentarité et du consensus. Je remercie enfin tous ceux qui se sont associés à cette extraordinaire aventure afin de donner au Gouvernement les moyens d'une vraie politique de la ville (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine - Si ce projet est voté en l'état, nous n'aurons plus aucune excuse pour ne pas mener à bien la rénovation urbaine : nous disposerons en effet de 1 200 millions d'euros par an au lieu de 60, et, le Gouvernement restituant aux élus locaux les moyens que vous lui accordez ici, les maires, les départements, les régions et les organismes HLM pourront recourir à de nouveaux instruments, en sus des ZRU et des ZFU.

La procédure du rétablissement personnel, en particulier, était quelque chose à quoi je tenais beaucoup. Il m'était insupportable de voir des familles broyées, non par l'endettement, mais par la machine que cet endettement mettait en marche. Sur ce sujet délicat, nous avons su élaborer des dispositions responsables et humaines en revenant à ce qui avait été voté ici, il y a cinq ans, sur proposition de Mme Neiertz, puis qui avait été enterré. Désormais, comme les entreprises, les familles pourront se voir offrir une deuxième chance.

Nos institutions fonctionnent bien. Parce que nos quartiers sont hétéroclites, ce projet l'est aussi, brassant développement économique, rétablissement personnel, expropriations, réorganisation du monde HLM... Le Conseil économique et social en a été saisi le 12 mai ; très peu après, il nous a livré deux rapports d'une qualité exceptionnelle, le Conseil d'Etat a rendu un avis favorable sous huit jours, et le Conseil des ministres a été immédiatement saisi. L'Assemblée a siégé jusqu'à 6 heures du matin, en prenant son temps pour examiner le texte, le Sénat l'a discuté quelques jours plus tard et la CMP s'est tenue aujourd'hui même. Tout cela a pris deux mois et demi seulement : cela prouve que les institutions fonctionnent bien... Je garderai l'image de ces 56 parlementaires descendant, à presque sept heures du matin, les marches de l'Assemblée ocrées par le soleil levant, et je pense qu'elle est à l'honneur du Parlement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - J'en conclu que nous vous garderons souvent jusqu'à 6 heures du matin... (Sourires).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Nous sommes, comme vous, attachés à la politique de la ville, à la rénovation urbaine, au développement social des quartiers et à l'accompagnement de leurs habitants. Chaque étape de la démarche publique en direction de ces objectifs, qui sont au c_ur du pacte républicain, est donc essentielle. Mais nous considérons que celle que vous nous proposez est un rendez-vous manqué (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Nous n'approuvons pas votre projet de loi. Nous nous abstiendrons donc, sans que cela signifie aucune approbation tacite, aucune expression contrite de quelque encouragement. Certains ont cru comprendre que l'opposition était gênée devant un texte qui réaliserait ce dont elle aurait rêvé de 1997 à 2002 (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Notre souci d'éviter la polémique sur un sujet qui ne s'y prête pas et d'argumenter tout au long du débat a également été interprété comme une marque d'encouragement adressée au ministre, qui n'en a du reste pas besoin (Sourires). Notre abstention ne serait donc qu'une adhésion honteuse qui ne pourrait dire son nom...

Je tiens à rétablir la vérité. Nous avons clairement soutenu les dispositions qui nous paraissent positives, telles la création d'un observatoire national des ZUS et les mesures relatives aux copropriétés dégradées, ou la procédure de rétablissement civil, qui s'inscrit dans la continuité de la loi Neiertz de 1989 bien que les volets relatifs à la prévention et à la responsabilisation des acteurs aient été supprimés au Sénat. Mais c'est la nature même du texte qui motive notre abstention. Vous avez en effet longuement insisté sur le fait que la politique de la ville faisait pour la première fois l'objet d'une loi de programmation sur cinq ans. Mais le projet, loin d'offrir une vision d'ensemble, loin d'intégrer toutes les dimensions de la question dans un projet cohérent, loin de formuler des choix et de fixer des objectifs et des moyens, n'est qu'un amalgame incomplet et disparate de dispositions touchant, pêle-mêle, à la ville, au surendettement, à la caisse de garantie du logement social et à la gouvernance des sociétés de HLM...

Certaines de ses dispositions inspirent la plus prudente réserve. L'augmentation du nombre des zones franches urbaines, la prolongation des ZRU, la création par le Sénat de zones-tampon conduisent à une incontestable pérennisation du système. Or, le caractère dérogatoire doit rester la règle, et le dispositif de sortie la priorité.

M. Guy Geoffroy - Que ne l'avez-vous fait !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - La création de l'agence, elle, suscite une inquiétude que les propositions sénatoriales n'ont pas atténuée. Et comment croire que les démolitions suffiront à régler les problèmes des habitants ? La politique de la ville doit intégrer tous les aspects quotidiens de la vie des habitants. Déconstruire et reconstruire sans accompagnement social, sans lutte contre l'échec scolaire, sans démarche d'insertion et sans développement des services publics ne répond pas à cette exigence.

Notre abstention est surtout l'expression de notre profond scepticisme. Vous avez laissé sans réponse - ainsi d'ailleurs que M. de Robien - toutes les questions qui vous ont été posées en matière de logement social. Mais on compte plus d'un million de demandeurs de logements, pour 40 000 logements neufs construits par an ! Nous avons approuvé l'objectif de 200 000 démolitions - qui ne l'aurait fait ? -, mais cela suppose 200 000 logements supplémentaires ! Et si vous affichez vos objectifs avec beaucoup d'assurance, vous ne nous avez pas convaincus quant aux moyens dont vous disposerez : vous entreprenez des travaux de 30 milliards, avec 6 milliards seulement dans les caisses ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

La nature hétéroclite de ce texte, sa belle ambition mais ses graves insuffisances appellent au mieux l'abstention de tous ceux qui ne veulent ni faire de procès a priori, ni être dupes d'effets d'annonce. Monsieur le ministre, nous sommes tous acteurs de la politique de la ville. Nous allons donc nous retrouver maintenant pour la mise en _uvre de vos dispositifs, et c'est là que les habitants vous attendent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Emile Blessig - C'est un symbole, pour les députés de l'UMP que de finir la session par ce texte. La majorité se préoccupe en effet de tous les sujets qui touchent à la vie quotidienne des Français, et ce texte concerne 6 millions d'entre eux qui vivent dans des situations très difficiles. On peut certes nous reprocher, de façon pointilliste, de ne pas aller assez loin sur tel ou tel aspect des choses, mais notre démarche marque une rupture fondamentale ! Elle remplace des procédures éparpillées par des actions organisées autour d'un fil conducteur, qui envisagent les quartiers dans leur globalité.

La priorité, pour avoir des chances de mener une vie normale, est le logement. Pour cela, il faut à la fois réhabiliter les logements très dégradés, rénover ceux qui ne sont plus aux normes et fournir un effort supplémentaire de construction. Il faut également réorganiser le fonctionnement du système de l'habitat social, qui est très parcellisé et peu efficace. Enfin, il faut veiller à son financement, rôle de l'agence de rénovation urbaine.

En ce qui concerne l'activité économique ensuite, les zones franches urbaines et les zones de rénovation urbaine bénéficieront de mesures fiscales et sociales de discrimination positive.

Il est également primordial d'introduire le concept de seconde chance dans notre société. Il faut permettre à ceux de nos concitoyens qui sont dans les situations les plus difficiles de sortir de cet enfer dans lequel ils ont été enfermés, plus souvent par les accidents de la vie que par une irresponsabilité que certains se sont plus à caricaturer. Ce dispositif est une chance pour les personnes concernées, mais aussi une occasion de mettre la France au niveau de toutes les autres démocraties occidentales, qui ont su élaborer un outil de ce type pour permettre à leurs citoyens de rebondir et de se reconstruire une vie normale.

Un aspect très important du texte réside dans les outils de suivi des quartiers. Le diagnostic portera sur de multiples critères, relatifs par exemple au logement, à l'emploi, aux services publics, à l'éducation ou à la santé. Nous ne prétendons pas avoir résolu la situation en deux mois et demi, mais nous nous sommes mis en marche. Les députés de l'UMP sont particulièrement heureux d'avoir pu démontrer, aux côtés du Gouvernement, que la majorité se saisit de tous les problèmes de la société française et précisément des plus difficiles. Ils voteront donc ce texte avec enthousiasme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Muguette Jacquaint - Aux termes d'un examen mené au pas de charge, je voudrais dire quelques mots sur la précipitation dans laquelle ce texte, ô combien important, a été discuté. S'agissant de quartiers où vivent plus de six millions de nos concitoyens il aurait mérité un débat plus approfondi, notamment quant aux moyens financiers consentis.

A ce propos, Monsieur le rapporteur, je n'ai guère apprécié que vous qualifiiez l'attitude du groupe communiste de politicienne : nous avons quelque expérience, en effet, des quartiers dégradés, et des familles en difficulté - aux côtés desquelles je me suis toujours trouvée, et c'est d'ailleurs pour cette raison que je siège encore ici !

Certes, le texte contient quelques avancées, comme les mesures sur le surendettement, même s'il eût fallu davantage insister sur la prévention, et apporter une réponse aux « accidents de la vie », souvent liés à la perte d'emploi, et qui concernent 64 % des causes de surendettement. Quant à l'accumulation des crédits à la consommation, à des taux du reste scandaleux, il convient d'aller plus loin dans la responsabilisation des organismes de crédit.

Plus généralement, il est dangereux de traiter les difficultés de ces quartiers sous le seul angle de la démolition et de la reconstruction : c'est là s'attaquer aux effets, mais non aux causes, alors que votre politique d'ensemble tend à casser méthodiquement tous les mécanismes de la solidarité nationale, à libéraliser les services publics, à diminuer les aides sociales tels les fonds sociaux des collèges, sans oublier la baisse récente de la rémunération du livret A qui va pénaliser le financement du logement social.

Plusieurs députés UMP - C'est le contraire !

Mme Muguette Jacquaint - C'est vrai, vous prévoyez une série d'indicateurs et d'objectifs pour évaluer l'efficacité de la politique de la ville, mais c'est à cette seule occasion que vous abordez des thèmes aussi importants que la réduction du chômage, la prévention et le développement de l'accès aux soins, l'école et la réussite scolaire, l'accessibilité des services publics. Vous vous contentez, en effet, de nous proposer la création de nouvelles zones franches urbaines, exonérées de charges patronales. Certes, elles ont créé des emplois, mais on ne peut décider de leur extension et de leur pérennisation sans en avoir fait le bilan, ni sans avoir abordé la question de l'argent public qui y est investi. Quant aux associations essentielles à la vie de nos quartiers, il faut leur donner les moyens qui leur sont nécessaires ; or, les gels de crédits se sont multipliés ces dernières années.

La France connaît aujourd'hui une grave crise du logement qui ne se limite pas aux quartiers défavorisés. Les besoins en constructions nouvelles sont évalués entre 80 000 et 120 000 par an. Or, vous prévoyez 40 000 démolitions par an pendant cinq ans, mais avez-vous prévu les relogements ? Du fait de financements insuffisants et incertains, il est à craindre que votre plan de rénovation de la ville n'accroisse encore la pénurie de logements sociaux. Et la lecture des fiches remises à la presse le 18 juin dernier renforce encore notre scepticisme. Le Conseil national des villes a lui-même souligné qu'une politique de démolition n'est pas une fin en soi et ne saurait faire l'économie d'un projet d'ensemble.

Quant au financement de votre projet, nos inquiétudes demeurent, tant il est insuffisant. Le budget de la ville a diminué, tous ministères confondus, de 3 % en 2003. Qu'en sera-t-il en 2004 ? La priorité donnée aux opérations de démolition-reconstruction ne grèvera-t-elle pas les autres lignes de crédits, telles la politique de revitalisation du lieu social, ou les subventions exceptionnelles ?

Vous dites compenser le désengagement de l'Etat par la création de l'agence pour la rénovation urbaine, l'instauration du guichet unique garantissant de nouveaux financements. Certes, votre intervention sur l'amendement relatif à la gouvernance des SA d'HLM nous a donné plus de détails sur la contribution du 1 %... Mais au-delà, en instaurant une nouvelle cotisation uniquement basée sur le nombre de logements appartenant aux organismes HLM, vous mettez les locataires à contribution.

Pour toutes ces raisons, nous nous opposerons à votre projet de loi.

M. Rodolphe Thomas - Le groupe UDF est satisfait des conclusions de la commission mixte paritaire qui a confirmé la plupart de ses propositions ainsi que celles de nos collègues du groupe Union centriste au Sénat. La détermination du président de notre commission Patrick Ollier et de notre rapporteur Philippe Pemezec, qui n'ont pas ménagé leurs efforts lors de la réunion de la CMP pour défendre et soutenir les positions de l'Assemblée, notamment sur les ZRU, est à saluer, tout comme la pugnacité de mon collègue Alain Venot. Enfin je remercie chaleureusement mon collègue et ami Pierre Cardo, qui a pris sur son temps pour guider le jeune parlementaire que je suis tout au long de ces travaux législatifs, et m'a apporté un soutien décisif et éclairé sur bien des sujets.

Votre projet de loi, Monsieur le ministre, était très attendu par tous les acteurs de la politique de la ville, en ce qu'il permettra d'engager une dynamique constructive dans les zones urbaines en difficulté. Les acteurs sur le terrain auront tous les outils pour lutter contre la relégation sociale qui transforme certains quartiers en zones de non-droit et en ghettos indignes de notre République. Vous avez fixé des objectifs précis, que des esprits chagrins ou conservateurs ont pu juger trop ambitieux. Mais c'est un ministre en colère qui a conçu ce texte, et qui a eu la force de briser les conservatismes et de convertir les hommes et les structures à son rêve, allant jusqu'à imaginer l'inutilité, dans quelques années seulement, d'un ministère de la ville ! Désormais, l'administration et les moyens de l'Etat seront au service des projets et non plus des procédures ! Désormais les élus locaux pourront trouver des interlocuteurs capables de les accompagner dans les grands chantiers de restructuration et de rénovation urbaine !

Par un ensemble de trois volets, vous luttez contre le surendettement des ménages, rénovez l'image et le cadre de vie des quartiers dégradés, et favorisez leur développement économique. Alors que la croissance n'est pas au rendez-vous, vous avez compris que ces quartiers représentent une chance pour le développement économique de notre pays.

Le bref délai imparti à l'examen de ce projet n'a pas bloqué la réflexion, et le travail des commissions a permis des avancées sensibles, s'agissant notamment du soutien à toutes les forces vives qui travaillent sur le terrain. Parce qu'ils militent depuis des années dans ces quartiers, il fallait reconnaître les associations, les commerces, les entreprises, et les artisans des 416 quartiers ZRU. Ces bataillons de bénévoles, porteurs de projets, sont des piliers de nos banlieues. Les associations assument aujourd'hui la fin du dispositif des emplois-jeunes (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Elles font face à une baisse d'effectifs et à des difficultés financières. Votre projet de loi représente un acte fort en direction de ces acteurs, qui pourront mieux agir contre l'échec scolaire, contre l'illettrisme, et pour le développement du lien social, de l'insertion, de l'emploi, de la culture et du sport. Palliant parfois la défaillance de l'Etat, elles sont souvent le dernier espoir du plus grand nombre. Le Parlement leur rend hommage et leur apporte son soutien.

Les exclus du monde du travail n'ont pas été oubliés. La relance des zones franches et des ZRU, mais aussi la charte d'insertion, leur ouvrent les portes du travail. Demain, nos villes en chantier généreront des marchés constituant des viviers d'emplois inespérés. Les habitants seront invités à participer par leur travail à cette ambition nationale. La charte permet que chaque subvention accordée par l'agence génère des emplois pour les habitants des quartiers. Ce coup de pouce permet de combattre les discriminations et d'engager une dynamique d'appropriation des quartiers par leurs habitants.

La relance des ZRU vise à accompagner le renouvellement urbain par une aide concrète à l'initiative économique. De même, l'extension des zones franches - quintessence des politiques économiques en faveur des quartiers sensibles - ne se fera pas au détriment des centaines d'autres quartiers ne disposant pas de cette chance. Non seulement elle maintient les entreprises en place, mais elle favorise également la création de richesses et d'activités supplémentaires.

Un regret néanmoins : celui que l'amendement de M. Salles sur la taxe foncière n'ait pas été retenu, car il aurait servi l'objectif de mixité sociale qui sous-tend l'ensemble du projet. De même, le volet « prévention » du surendettement aurait pu être plus étoffé.

Quoi qu'il en soit, vous pouvez compter sur le soutien bétonné (Exclamations sur tous les bancs) du groupe UDF à ce texte ambitieux et attendu, qui respecte le présent et engage l'avenir (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Annick Lepetit - Qu'il me soit permis, après Mme Jacquaint, de dénoncer les conditions de travail difficiles qui nous sont faites. Elles ne sont pas dignes des sujets que nous avons à traiter, lesquels intéressent tous nos concitoyens.

Il y a dix jours, nous avons dû débattre de ce texte en un jour et demi, dont une nuit complète. Ceux qui avaient fixé l'ordre du jour semblaient considérer que la politique de la ville pouvait être expédiée en quelques heures. Certes, nous avons eu malgré tout quelques échanges intéressants, mais dans quelles conditions ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Puis, les sénateurs ont achevé l'examen du texte hier soir. Quelques heures seulement après, nous étions convoqués à la CMP, sans avoir eu le temps de prendre connaissance des conclusions du Sénat ! Tout cela n'est pas sérieux, et ajoute encore au sentiment désormais bien partagé que le Gouvernement agit dans la précipitation et tente de tout faire passer en catimini ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

La CMP n'a de toute façon pas changé l'esprit du projet, et notamment ce qui lui fait le plus défaut : l'absence d'approche globale, la vision réductrice de la politique de la ville, le manque d'accompagnement social et de garanties financières.

M. le Président de la commission mixte paritaire - Nous n'avons pas lu le même texte !

Mme Annick Lepetit - En effet, la politique de la ville n'est pas qu'affaire de démolitions et de reconstructions. Elle doit aussi intégrer l'emploi, l'éducation, la prévention et soutenir les associations dans leurs activités et leurs initiatives.

La suppression des emplois-jeunes a d'ailleurs été évoquée en CMP, certains parlementaires de votre majorité convenant qu'il était nécessaire d'étendre les exonérations fiscales aux entreprises d'insertion et aux associations ayant des activités en ZFU et en ZRU, et que la fin des emplois-jeunes risque de faire partir. Un sénateur a même fait le calcul du coût de la fin des emplois-jeunes. Ce doit être un sénateur-maire... (« Eh oui ! Il y en a ! » sur les bancs du groupe UMP)

Le béton ne fera pas tout ! Pour refaire la ville, il faut aussi recréer de la vie, du lien social et de l'activité économique. Il faut donc mettre les habitants au c_ur de nos quartiers. Or, les habitants, vous les oubliez dans tous les dispositifs que vous créez. Vous oubliez de les associer, de les consulter, et même de les informer des transformations que vous voulez apporter à leurs quartiers. Vous les oubliez même lorsque vous prévoyez que leurs immeubles seront démolis : où les logerez-vous ? Qui s'occupera de leurs difficultés ? Sur le terrain, ce texte suscite les plus grandes inquiétudes. Vous avez annoncé qu'il fallait démolir 200 000 logements, en reconstruire autant et en rénover encore autant, le tout en cinq ans. Vous avez fait naître des espoirs : comment pourrez-vous les satisfaire ?

Votre projet, surtout, n'est pas financé. Ainsi, vous annoncez que 30 milliards d'euros seront nécessaires à son application mais que l'Etat n'apportera que 6 milliards ! Où sont les 24 milliards manquants ? Je ne crois pas qu'il soit envisageable de les chercher du côté des organismes de logements sociaux ou du côté des collectivités locales : elles n'en ont pas les moyens ! Votre projet procède d'intentions louables ; certaines de ses dispositions, telle que l'Observatoire national des ZUS ou les mesures relatives aux copropriétés dégradées, sont à saluer. Mais l'absence de garantie budgétaire, de transversalité, de prise en compte des habitants, d'outils et de personnels pour conduire une véritable politique de la ville nous inquiètent au plus haut point.

C'est pourquoi, notre groupe adoptera une position d'abstention vigilante (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Cardo - Je suis très honoré d'être le dernier orateur de cette session (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Le Président de la République s'y était engagé dans son discours de Troyes, le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, vous l'avez fait : voici enfin, Monsieur le ministre, la grande loi de rénovation urbaine et d'amélioration de la vie quotidienne que les habitants de nos quartiers attendent depuis trop longtemps.

Nombre de nos collègues ont émis sur ces sujets délicats des avis pertinents. Le texte comporte des avancées très significatives, qu'il s'agisse de la rénovation urbaine, du rétablissement personnel, de l'ANRU ou de l'annexe relative aux critères d'évaluation de la politique de la ville. Après vingt ans de politique de la ville, on va enfin savoir où on va et comment on y va ! (« Tout à fait ! » bancs du groupe UMP).

Monsieur le ministre, l'Assemblée nationale vous a fait quelque peu souffrir au cours de longues séances nocturnes, mais elle s'est efforcée d'améliorer encore votre texte. Toujours chaleureux, nos débats ont parfois été quelque peu chauds ! Avec la sagacité qui lui est coutumière, le Sénat a encore amélioré le projet - notamment par la pérennisation du dispositif ZRU - et la CMP s'est déroulée dans de bonnes conditions. Certes, le projet n'est pas parfait, ainsi que l'opposition - c'est son rôle - n'a pas manqué d'en relever les lacunes : l'éparpillement des lignes budgétaires, la faiblesse du volet prévention (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), le peu d'empressement de certains de vos collègues à fédérer les interventions en faveur des quartiers (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) - mais il est vrai que cela fait vingt ans que ça dure ! -, le manque de garanties financières pour les GPV ou l'absence de réforme de la DSU (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)... mais tout ne peut pas être fait en un jour, et vous posez un jalon essentiel en mobilisant des moyens financiers qui sont enfin à la hauteur des enjeux ! Nous sommes impatients d'examiner les textes qui vont suivre, et en particulier ceux qui traiteront des outils immatériels de la politique de la ville : l'éducation, l'emploi, les finances locales... (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

S'agissant de la DSU, nous gardons espoir, même si le lobby des villes riches est naturellement plus fort que celui des villes pauvres (« Très juste ! » sur divers bancs). Chacun doit se sentir concerné pour faire évoluer la situation.

Je remercie nos collègues de l'UMP qui ont bien voulu se mobiliser sur ces sujets, et ceux du groupe UDF - M. Thomas notamment - dont les remarques constructives nous ont fait avancer. Je remercie le président Ollier et notre rapporteur, mais aussi Mme Jacquaint et M. Le Bouillonnec pour leur opposition ferme mais constructive. En dépit de conditions de travail parfois à la limite de l'aberrant, nous avons eu un débat de qualité sur chaque article, et je suis heureux de constater qu'un nombre croissant de parlementaires se préoccupent de ces sujets essentiels pour le devenir de nos sociétés urbanisées. Les quartiers sont aux avant-postes de la société française. Nous n'avons pas le droit de nous en désintéresser.

Ceux du dedans vous remercient, Monsieur le ministre, pour votre action. Le groupe UMP la soutient résolument. Merci pour tout, et bon courage pour la suite ! (Applaudissements sur tous les bancs).

La discussion générale est close.

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix compte tenu du texte de la CMP, est adopté.

M. le Président - Le texte de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la ville va maintenant être soumis au Sénat.

L'Assemblée a achevé l'examen des textes qui étaient inscrits à son ordre du jour.

Sauf nécessité d'avoir à convoquer à nouveau l'Assemblée, je prendrai acte de la clôture de la session extraordinaire par avis publié au Journal officiel.

La séance est levée à 22 heures 45.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


© Assemblée nationale