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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 2ème jour de séance, 3ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 2 OCTOBRE 2002

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

NOMINATION D'UN SECRÉTAIRE

DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE 2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

SUPPRESSION DE LA TIPP FLOTTANTE 2

SANTÉ PUBLIQUE 2

DIFFICULTÉS SOCIALES 3

ARMÉES 4

MALAISE DES INFIRMIÈRES 4

POMPIERS VOLONTAIRES 5

CONTRATS AIDÉS 5

DIPLOMATIE FRANÇAISE AU PROCHE
ET AU MOYEN-ORIENT 6

DIALOGUE SOCIAL DANS LA PERSPECTIVE
DE L'OUVERTURE DU CAPITAL D'EDF ET GDF 6

AVENIR D'EDF 7

COMPARUTION DEVANT LA JUSTICE
DES AUTEURS PRÉSUMÉS DES ATTENTATS DE 1995 8

PÊCHE EN MANCHE 8

SALAIRES, TEMPS DE TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI 9

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 21

EXPLICATIONS DE VOTE 30

La séance est ouverte à quinze heures.

NOMINATION D'UN SECRÉTAIRE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

M. le Président - L'ordre du jour appelle la nomination d'un secrétaire de l'Assemblée nationale. Je n'ai reçu qu'une candidature, qui a été affichée, celle de M. Alain Moyne-Bressand. En conséquence, je proclame M. Alain Moyne-Bressand secrétaire de l'Assemblée nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

SUPPRESSION DE LA TIPP FLOTTANTE

M. Philippe Vuilque - Monsieur le ministre de l'économie, une décision, prise discrètement, pour ne pas dire en catimini, sans aucune concertation, a eu pour effet d'augmenter la fiscalité (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Cela vous aurait-il échappé, Monsieur Carrez ? Je parle de la suppression de la taxe intérieure sur les produit pétroliers, de la TIPP flottante, qui a eu pour conséquence l'augmentation du prix des carburants à la pompe : un centime quatre-vingt-cinq d'euro supplémentaire pour le gazole, un centime soixante-cinq pour le fuel domestique.

D'un côté, vous distribuez des cadeaux à ceux qui n'en ont pas besoin. De l'autre, pour tout le monde, et notamment pour les plus modestes, vous supprimez un dispositif mis en place par le gouvernement précédent, qui avait permis d'alléger le prix des carburants à la pompe. Décision inopportune et fiscalement injuste.

Si, demain, le prix du baril de pétrole s'envole, aucun mécanisme de régulation ne viendra compenser cette hausse.

Que comptez-vous faire pour atténuer cette nouvelle ponction fiscale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Je vous remercie de m'avoir dispensé de vous rappeler à l'ordre en respectant bien votre temps de parole.

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Ce dispositif, nous le savons tous, était temporaire, comme il avait été précisé par l'ancien ministre que j'ai l'honneur de remplacer. Il a été supprimé au moment où il n'était plus nécessaire (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Des dispositions seraient naturellement prises en cas de hausse du prix du pétrole (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; huées sur les bancs du groupe socialiste).

SANTÉ PUBLIQUE

M. Claude Leteurtre - Monsieur le ministre de la santé, vous avez hérité d'une très grave situation, qu'il s'agisse de l'hôpital ou de la médecine de ville. Pour avoir moi-même vécu la situation en tant que chirurgien hospitalier, je peux vous parler des conséquences de la mise en place des 35 heures : moins de malades soignés, des délais plus longs.

En médecine de ville, les généralistes ne trouvent plus de remplaçants, les infirmières sont de plus en plus rares et de plus en plus découragées. Vous avez déjà pris d'heureuses mesures mais beaucoup reste à faire, et je voudrais vous poser deux questions.

Comment comptez-vous prendre en compte le déficit annoncé de la caisse d'assurance maladie, qui atteindra, fin 2002, 6 milliards d'euros ? Et comment allez-vous compenser les conséquences néfastes de la mise en place des 35 heures dans les hôpitaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. le Président - Merci d'avoir respecté votre temps de parole.

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Je savais en prenant mes fonctions que la tâche serait lourde. Et pourtant, je n'avais pas imaginé une situation aussi dégradée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Qu'on en juge : une gestion sanitaire en place depuis cinquante ans ne marche plus depuis quelques mois, l'un des partenaires ayant quitté la table, et donc un système à reconstruire ; quant au financement, dès juin, la commission des comptes de la sécurité sociale annonçait un déficit de 3 milliards d'euros - bien loin des excédents virtuels qu'on nous avait fait miroiter !

Les professionnels de ville souffrent d'une crise matérielle et morale. A l'hôpital, tandis que le taux de vétusté des bâtiments atteint 68 %, un personnel déjà en pénurie doit en plus affronter la réduction du temps de travail. Je pourrais continuer cette triste litanie. Alors, que faire ? D'abord, élaborer une nouvelle gouvernance pour l'assurance maladie. Ensuite, sur le plan du financement, clarifier les relations entre l'Etat et la Sécurité sociale. Enfin, s'agissant de la réduction du temps de travail, nous avons déjà financé 400 millions et nous recommencerons l'année prochaine, car le personnel hospitalier doit pouvoir en bénéficier (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), tout en assurant la sécurité des soins (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

DIFFICULTÉS SOCIALES

Mme Janine Jambu - Monsieur le Premier ministre, en cette rentrée, beaucoup de familles sont dans une situation financière difficile. L'insuffisance du pouvoir d'achat des retraites, salaires et minima sociaux, les ravages du surendettement, l'extension de la précarité sont autant de signaux d'alarme qui exigent des réponses immédiates.

Or vous entérinez des mesures qui pèsent sur le pouvoir d'achat des plus modestes : augmentation du prix des carburants, des tarifs des télécommunications, des transports en commun, des produits alimentaires et de la consommation courante. Vous refusez de donner un coup de pouce au SMIC, aux minima sociaux et aux retraites, alors que vous octroyez aux membres de votre gouvernement 70 % d'augmentation (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Votre réforme des 35 heures portera également un coup au pouvoir d'achat des salariés, par le gel de l'augmentation du SMIC, conjugué à des heures supplémentaires moins payées. Elle détériorera l'emploi avec la disparition des aides à la réduction du temps de travail et à la création d'emplois, alors que de nombreux plans sociaux sont déjà en cours.

Comment comptez-vous donner sens à vos engagements et répondre aux attentes de nos concitoyens ? Etes-vous prêt à accepter le débat parlementaire que le groupe communiste a demandé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Je partage votre analyse : le pouvoir d'achat des bas salaires a stagné depuis quatre ans (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Il a même, pour les salariés passés aux 35 heures, baissé de 3,6 %. Il y a aujourd'hui 11 % de Français sous le seuil de pauvreté. Et c'est vrai, les gouvernements précédents n'ont pas donné de coup de pouce au SMIC : 0 % en 1999, 0 % en 2000, 0,3 % en 2001 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

C'est vrai, notre ascenseur social est bloqué : aujourd'hui 80 % d'enfants d'ouvriers ou de salariés modestes ne connaîtront pas d'autre carrière que celle de leurs parents. Voilà le bilan du gouvernement que vous avez soutenu pendant cinq ans (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Nous avons donc choisi de changer de politique. Si vous soutenez le texte qui sera présenté cet après-midi, vous aurez participé à l'augmentation de 11,4 % du SMIC pour un million de salariés, et à l'augmentation de 6 % du SMIC pour 2 millions (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La question sociale est grave ; elle demande de la modestie et de la volonté, plus que des envolées lyriques dont la gauche est coutumière (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

ARMÉES

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - Madame le ministre de la défense, vous avez pu constater le nombre de navires qui ne peuvent naviguer, le nombre d'avions qui ne peuvent voler, le nombre de chars qui ne peuvent rouler, tout ceci faute de moyens.

Le précédent gouvernement, sans doute par idéologie, a laissé nos armées dans un état de désarroi jamais atteint sous la Ve République (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

A un moment où la tension internationale monte, assurer la sécurité des Français, défendre l'intégrité de notre territoire, être une force de paix capable d'intervenir dans le monde entier, voilà les bons choix politiques, qui impliquent de restaurer les capacités opérationnelles de nos armées.

Pouvez-vous nous éclairer sur le projet de loi de programmation militaire, adopté par le conseil des ministres le 11 septembre dernier, une date dont la signification ne saurait échapper ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense - Oui, le Gouvernement a adopté le 11 septembre dernier une loi de programmation militaire. Nous vivons en effet dans un monde dangereux, où les crises locales se multiplient et où le risque terroriste n'épargne personne. Aussi le Président de la République avait-il défini le modèle d'une armée capable de répondre à ces nouveaux défis. La première loi de programmation - 1997-2002 - a ainsi instauré la professionnalisation des armées, aujourd'hui réalisée. Les financements n'ont malheureusement pas suivi, si bien que nous avons perdu une année complète. Voici donc une seconde loi qui a pour ambition de permettre à nos armées de protéger nos concitoyens et à la France de tenir son rang. Elle a un triple objectif : dégager des crédits permettant à nos matériels de redevenir opérationnels et à nos soldats de remplir leurs missions et de s'entraîner, moderniser nos matériels et enfin consolider la professionnalisation.

M. le Président - Madame le ministre...

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense - Cette loi sera appliquée : le Président de la République s'y est engagé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) encore hier à Creil et la loi de finances montrera que nous entendons concrétiser notre volonté (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

MALAISE DES INFIRMIÈRES

M. Jean-Yves Hugon - Monsieur le ministre de la santé, je reviens sur le problème des infirmières. Vous connaissez leur extrême dévouement et vous savez que tout en forçant l'admiration de nos concitoyens, elles souffrent de l'absence de considération des pouvoirs publics. Pour répondre à leur inquiétude, pourriez-vous exposer les premières pistes de réflexion du Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Vous abordez un sujet crucial, tant le rôle des infirmières dans notre système de santé libéral et hospitalier est essentiel. Or, une véritable pénurie se fait sentir depuis plusieurs années : moins 12 000 postes dans les hôpitaux (« Plan Juppé ! » sur les bancs du groupe socialiste). S'y ajoute la réduction du temps de travail. Le Gouvernement entend réagir. Sur le court terme, j'ai diligenté dès juillet une mission d'évaluation de la réduction du temps de travail dans les établissements, les résultats en seront connus fin octobre. Il n'y a aucune raison que les infirmières ne bénéficient pas des mêmes mesures que les médecins.

A moyen terme, nous avons comme nos prédécesseurs relevé le numerus clausus, mais 12 % des places offertes restent non pourvues. Le métier manque d'attractivité. A nous d'y remédier en favorisant la promotion professionnelle et en prenant des mesures incitatives.

A long terme, il faudra porter une plus grande considération aux infirmières et accroître leur niveau de responsabilité. Car enfin, ce métier, fait avant tout d'humanité et de compassion, doit être choisi et non subi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

POMPIERS VOLONTAIRES

Mme Geneviève Colot - Monsieur le ministre de l'intérieur, cinq sapeurs-pompiers de Paris et un sapeur-pompier volontaire de l'Hérault, âgés de 22, 23, 24, 27 et 43 ans, sont tous morts en mission. Ils ont sacrifié leur vie, victimes de leur engagement au service des autres. Chacun se joint à moi dans cet hémicycle pour exprimer à leurs familles l'intense émotion qui nous étreint. Le Président de la République et vous-même avez rendu un vibrant hommage à ces hommes. Cette dramatique actualité met en évidence les dangers que courent nos pompiers, qu'ils soient militaires, départementaux, professionnels ou volontaires. Ces derniers sont depuis si longtemps oubliés que les engagements se font de plus en plus rares.

Comment répondre à leur demande de formation et les aider à concilier leur activité professionnelle et leur engagement de pompier ? Comment considérer les accidents survenus en mission comme des accidents du travail ? Comment aider leurs familles lorsqu'ils perdent la vie au service des autres ? Oui, il faut encourager le volontariat des pompiers. Nous avons besoin d'eux, la France les aime. A nous de le leur témoigner (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF, sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Votre question honore l'Assemblée tout entière. Chacun d'entre nous a été bouleversé par ces dramatiques événements. Aussi nous faut-il agir, et rapidement. La France compte 240 000 sapeurs-pompiers dont 200 000 volontaires. Si le nombre d'interventions croît, celui des volontaires stagne et ils demeurent moins longtemps en activité.

Comment encourager le volontariat ? Il ne rapporte rien, et il est inadmissible qu'il coûte à celui qui s'y engage (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Chacun d'entre nous a été profondément choqué de voir ce sapeur-pompier volontaire de l'Est perdre son emploi parce qu'il avait courageusement effectué une mission.

Avec l'autorisation du Premier ministre qui a engagé l'arbitrage et la concertation interministérielle, je vous annonce qu'avant la fin de l'année, les années de sapeur-pompier volontaire compteront comme un avantage de retraite, conformément à une très ancienne revendication (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Les jeunes admirables qui consacrent leurs samedis à se former doivent voir leur effort reconnu dans leur cursus scolaire et professionnel. Je me réjouis donc qu'existe depuis cette année un CAP de sécurité civile, et nous travaillons à la création d'un bac professionnel de sécurité civile l'an prochain.

Enfin, je souhaite que l'engagement chez les sapeurs-pompiers volontaires soit possible dès 16 ans, au lieu de 18. Un projet de loi vous sera soumis dès l'automne 2003 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

CONTRATS AIDÉS

M. Paul Quilès - Les contrats aidés que sont les contrats emploi-solidarité et les contrats emploi consolidé ont une double vocation sociale - ils permettent à des personnes en difficulté de retrouver un emploi - et économique - ils aident les collectivités locales et les associations à embaucher. Aussi remportent-ils un grand succès.

Selon mes informations - notamment, Monsieur le ministre de l'emploi, votre circulaire n° 2002-39 du 2 septembre - vous envisagez, contrairement à vos affirmations d'hier, de réduire considérablement le nombre de ces contrats. La réponse que vous avez apportée hier à ma collègue Hélène Mignon ne nous a pas rassurés. Allez-vous borner votre effort à ce que vous appelez, ce qui ne nous plaît pas trop, le secteur marchand ? Allez-vous réduire le nombre des CES et des CEC, ce qui serait catastrophique ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - J'ai déjà répondu à cette question hier (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste). Je redis donc que le Premier ministre s'est engagé à autoriser la création de 20 000 CES par mois, soit 240 000 pour l'année, nombre sensiblement équivalent à celui de 2002 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste).

DIPLOMATIE FRANÇAISE AU PROCHE ET AU MOYEN-ORIENT

M. Daniel Garrigue - Ma question s'adresse au ministre des affaires étrangères. Face aux graves crises que traversent le Proche et le Moyen-Orient, le Président de la République et vous-même avez adopté une position de fermeté conforme à l'équilibre et à la justice que la France entend faire prévaloir dans cette région.

Fermeté à l'égard de l'Irak - impérieuse nécessité des inspections -, fermeté à l'égard des Etats-Unis sur le respect du droit international, fermeté à l'égard tant de l'Autorité palestinienne que de l'Etat d'Israël. Ainsi avez-vous contribué à placer les protagonistes devant leurs responsabilités et à décrisper les positions les plus extrêmes. Les crises ne sont cependant pas résolues. Quelles initiatives peuvent encore prendre la France, et au-delà l'Union européenne, pour parvenir à un apaisement et à un véritable règlement de paix dans cette région du monde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères - Vous avez raison, Monsieur le député, le Moyen-Orient connaît des crises graves et la France souhaite, en liaison avec ses partenaires européens, prendre des initiatives. En Irak, l'objectif est clair : l'éradication de toutes les armes de destruction massive, et donc le retour des inspecteurs de l'ONU. Nous souhaitons agir dans le cadre multilatéral des Nations unies dans le respect d'une triple exigence. L'unité du Conseil de sécurité et de la communauté internationale bien sûr ; ensuite, on ne doit recourir à la guerre qu'en dernière extrémité, nous récusons donc toute action unilatérale et préventive (Applaudissements sur de nombreux bancs de l'UMP et de l'UDF et quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains). Nous devons enfin être soucieux de l'efficacité des actions engagées : il faut penser aux populations civiles irakiennes, à l'unité de l'Irak et à la sécurité régionale. C'est pourquoi nous préconisons une démarche en deux temps. Si l'Irak n'obtempère pas, il faudra saisir de nouveau le Conseil de sécurité, chacun prendra alors ses responsabilités.

Quant à la situation au Proche-Orient, elle demeure dramatique. La levée du siège de la Moqataa ne suffit pas. Il faut appliquer la résolution 435 et mettre en _uvre la feuille de route établie par l'Union européenne. Il faut redonner à cette région de véritables perspectives de paix et pour cela, soutenir les réformes palestiniennes, notamment la tenue d'élections dans les territoires avec un retrait israélien, et relancer l'idée d'une conférence internationale, seule à même de redonner souffle au processus de paix. Vous le voyez, la France agit dans cette région du monde, animée d'un souci de justice et dans le respect du droit (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains).

DIALOGUE SOCIAL DANS LA PERSPECTIVE DE L'OUVERTURE DU CAPITAL D'EDF ET GDF

M. Philippe Briand - Monsieur le ministre de l'économie et des finances, avant d'être au gouvernement, vous étiez responsable de la sidérurgie française. Alors que vous l'aviez trouvée en fort mauvais état, vous en avez fait le leader mondial au sein du groupe Arcelor. Cela n'a été possible qu'avec le travail réalisé avec l'ensemble des partenaires sociaux. Dans vos nouvelles fonctions, vous allez devoir ouvrir prochainement le capital d'EDF et GDF, afin de permettre à ces entreprises de se développer, d'améliorer l'équilibre de leurs comptes et de pérenniser leurs emplois. Quand recevrez-vous les représentants de leurs salariés pour leur indiquer la méthode et le calendrier retenus pour cette ouverture de capital ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Comment faire pour faire évoluer nos entreprises ? La réponse est claire : à travers le dialogue social, lequel n'est pas l'apanage du Gouvernement, il doit exister dans toutes les entreprises - et je crois savoir de quoi je parle... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) J'ai donc bien l'intention d'y recourir largement dans nos entreprises publiques afin de leur permettre d'exploiter au mieux leurs atouts majeurs dans un monde de plus en plus compétitif. Ce dialogue passe par le respect des partenaires, l'écoute, l'échange, et in fine le compromis.

M. Arnaud Montebourg - Et les licenciements !

M. le Ministre - Leurs salariés sont l'un des principaux atouts d'EDF et GDF. Comme nous l'avons déjà fait en juillet dernier, nous recevrons leurs représentants, notamment à l'occasion de leur déplacement demain à Paris (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Au-delà de cette manifestation, nous savons que nous pourrons parvenir à un accord dans les mois prochains. Une entreprise réussit grâce à son management et grâce à son personnel, c'est ensemble que ceux-ci créent les conditions de son avenir, telle est ma conviction depuis toujours et qui demeure pour les nombreuses entreprises publiques dont nous avons la charge (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

AVENIR D'EDF

M. Christian Bataille - Monsieur le ministre de l'économie et des finances, une récente enquête d'opinion indique que les Français reconnaissent toute la valeur des entreprises publiques et du service public en général. C'est EDF qu'il placent en tête de toutes ces entreprises pour la qualité et l'efficacité de ses services.

Demain 3 octobre, à l'appel de toutes leurs organisations syndicales, les salariés du service public, avec le soutien de nombreux citoyens, défileront dans les rues de Paris, non à l'occasion d'un « déplacement », comme vous l'avez dit (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), mais bien pour battre le pavé par dizaines et dizaines de milliers, et y crier leur inquiétude pour leur emploi, leur statut, leur salaire et leur retraite (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). L'avenir d'EDF sera au c_ur de leurs préoccupations. Cette entreprise marche bien, elle participe de la démocratie économique et sociale, avec notamment la fourniture d'une énergie à prix modéré, égal sur l'ensemble du territoire (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Laissez M. Bataille s'exprimer !

M. Christian Bataille - La vérité est que parlant « d'ouverture du capital »... (Brouhaha sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), vous vous apprêtez, au nom du dogme libéral, à privatiser rapidement EDF (Brouhaha sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Laissez M. Bataille s'exprimer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Monsieur Bataille, posez votre question.

M. Christian Bataille - J'ai été beaucoup interrompu.

M. le Président - J'en ai tenu compte dans votre temps de parole.

M. Christian Bataille - Nous vous demandons d'informer le Parlement et au-delà, l'ensemble des Français : allez-vous privatiser EDF ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. le Président - Laissez M. le ministre répondre.

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Pourquoi voudriez-vous que nous remettions en cause le service public ? Pourquoi voudriez-vous qu'en refusant l'ouverture de capital, et non la privatisation d'EDF et GDF, nous privions ces entreprises de la possibilité d'assurer encore mieux leurs missions de service public ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Le service public est d'abord au service des usagers. Or, ceux-ci, en France comme dans les autre pays européens, sont de plus en plus exigeants. Le seul moyen de satisfaire ces exigences croissantes est de permettre aux entreprises de tirer le meilleur profit des atouts de la construction européenne. Si nous souhaitons ouvrir le capital d'EDF, ce n'est pas pour combler le déficit budgétaire de l'Etat, mais bien pour permettre à l'entreprise, grâce à de meilleurs bilans, un provisionnement mieux assuré de ses charges de retraite, une plus grande liberté d'action, et en un mot de défendre encore mieux qu'aujourd'hui les couleurs de la France dans l'espace européen qui est désormais le sien (Très vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF où de nombreux députés se lèvent pour applaudir ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

COMPARUTION DEVANT LA JUSTICE DES AUTEURS PRÉSUMÉS DES ATTENTATS DE 1995

M. Alain Marsaud - Comme chacun s'en souvient, plusieurs attentats terribles eurent lieu à Paris en 1995, notamment à la station RER Saint-Michel où huit personnes furent tuées et cent cinquante autres blessées. Deux des auteurs présumés comparaissent actuellement devant la cour d'assises spécialisée de Paris. Mais il se trouve que l'un des organisateurs présumés de ces attentats, interpellé en Grande-Bretagne en novembre 1995, y est toujours détenu, la justice britannique ayant toujours, jusque-là, refusé les demandes d'extradition des autorités judiciaires françaises, et encore le 27 juin dernier, la Haute Cour de Londres au motif qu'« Algérien suspecté d'actes terroristes, cette personne risque de subir en France un traitement inhumain et dégradant ». La Cour européenne des droits de l'homme, laquelle pourrait être saisie pour détention provisoire abusive, pourrait exiger l'élargissement de l'intéressé. Cela ne ferait que désespérer encore davantage les victimes et leurs familles. Le Gouvernement compte-t-il intervenir auprès des autorités judiciaires mais aussi politiques et diplomatiques pour éviter un tel déni de justice ?

Cet après-midi, nous allons lever l'embargo sur la viande de Grande-Bretagne (Mouvements divers). Le seul embargo subsistant aujourd'hui devrait-il être celui des poseurs de bombes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; murmures sur les bancs du groupe socialiste)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - En tant que membre du Gouvernement, je tiens à dire que je partage l'émotion des familles des victimes devant ce box des accusés incomplet. En effet, Rachid Ramda est le financier présumé des attentats de 1995 et je ne comprends pas les motivations des autorités judiciaires britanniques.

Les autorités politiques britanniques, elles, ont donné au gouvernement précédent leur accord sur l'extradition. J'ai moi-même rencontré mon collègue de l'Intérieur en juillet, il partage complètement notre point de vue. C'est la Haute Cour de Londres qui a refusé cette extradition.

Je travaille sur ce dossier pour répondre point par point, dans la mesure du possible, aux observations faites par la Haute Cour. Il faut que Rachid Ramda soit jugé, je souhaite qu'il le soit en France. Je considérerais comme absolument inacceptable qu'une procédure devant la Cour européenne aboutisse à sa libération en Grande-Bretagne. Je suis donc déterminé à obtenir satisfaction : nous le devons aux victimes et à leurs familles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF, sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains).

PÊCHE EN MANCHE

M. Jean-Marc Lefranc - Monsieur le ministre de l'agriculture, je salue la détermination dont vous avez fait preuve pour défendre la pêche française contre les avis du commissaire européen Fischler, qui mettent en péril cette activité essentielle.

Elu du Calvados et de la région de Basse-Normandie, j'ai en charge le littoral de cette région où l'activité halieutique est très importante. Je partage l'inquiétude des marins-pêcheurs quant à leur avenir.

Premier point, le renouvellement des flotilles est empêché par l'interdiction de constructions nouvelles, de sorte que la flotte de pêche artisanale, côtière et au large, vieillit, ce qui pose des problèmes d'exploitation, et aussi de sécurité. Le nombre d'emplois directs ou dérivés diminue. La voie choisie par M. Fischler conduira inexorablement à une désertification du littoral.

Pour nous, il est impératif de reprendre la construction de bateaux et de maintenir les aides à l'acquisition et la modernisation.

Second point, il conviendrait, en contrepartie, de garantir la maîtrise des stocks de poissons, crustacés et mollusques sur des zones homogènes, bien délimitées, facilitant le contrôle. Une aquaculture intensive ne pourra jamais remplacer l'exploitation extensive des ressources de la mer. La région de Basse-Normandie s'est engagée dans cette démarche avec des résultats significatifs : c'est la bonne voie pour sauvegarder l'activité...

M. le Président - Il est temps de poser votre question.

M. Jean-Marc Lefranc - C'est ma première intervention, je souhaitais être un peu plus long... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Il conviendrait donc, Monsieur le ministre, de considérer l'espace Manche comme un secteur de pêche homogène et significatif...

M. le Président - Telle est donc votre question. Merci.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - Je comprends votre préoccupation, et face à la réforme de la politique commune des pêches proposée par la Commission européenne, nous avons adopté une position ferme. Oui à une gestion durable des ressources marines, non à une vision technocratique et globalisée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Nous sommes pour une approche espèce par espèce et lieu de pêche par lieu de pêche. Vos propositions concernant la Manche vont en ce sens.

Second impératif, il faut continuer à moderniser notre flotte. Il y a beaucoup de problèmes de sécurité en mer, beaucoup trop de morts - une vingtaine l'an dernier - et il est indispensable de pouvoir moderniser la flotte. La Manche est un cas spécifique puisque 70 % des espèces ne sont pas soumises aux quotas, mais à d'autres formes de gestion : l'approche régionale est donc indiquée. Il existe déjà une conférence « Manche centrale », qui réunit des représentants de la Grande-Bretagne, des îles anglo-normandes, de la Belgique et de la France pour éviter les conflits d'intérêts et gérer la ressource. Il faut continuer dans cette direction.

Cela étant, j'appelle votre attention sur la nécessité de continuer à avoir une politique européenne en la matière, avec décision du conseil des ministres de l'Union, car c'est ce qui a permis de mener une politique durable de la pêche. Il faut éviter toute renationalisation de cette politique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La séance, suspendue à 15 h 55, est reprise à 16 heures 15.

SALAIRES, TEMPS DE TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Le projet que j'ai l'honneur de soumettre à l'Assemblée est indissociable de la politique économique et sociale du Gouvernement pour relancer la croissance et l'emploi, il en est même à bien des égards la clé de voûte.

Voici près de deux ans que la croissance ralentit. Depuis un an, le chômage n'a cessé d'augmenter et l'emploi a repris la première place dans la préoccupation des Français, devant l'insécurité. La morosité de la conjoncture internationale y est certes pour beaucoup, mais il existe aussi dans notre pays des blocages qui expliquent nos difficultés. Pour ceux qui ont la lucidité de voir les choses en face, c'est bien la convergence de ces blocages qui explique le choc électoral du 21 avril dernier. Une fois encore, les Français nous confient les responsabilités au moment où le redressement s'impose.

C'est pourquoi ma première exigence est de tout faire pour répondre aux trois facteurs qui sont selon moi à la source du malaise français. Le premier, c'est l'absence d'un dialogue social constructif comme préalable à toute réforme. On a cru pouvoir imposer et imposer encore sans réelle concertation, il en est résulté doute et crispation du corps social. Le deuxième, c'est la rigidité de notre organisation du travail, qu'illustre bien l'impact économique et culturel de l'instauration forcée des 35 heures. Celle-ci a entraîné en effet une dépréciation sans précédent du travail comme valeur sociale. En France, il est devenu presqu'anachronique d'afficher sa volonté de se dépasser, presque indécent d'appeler à se retrousser les manches (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Troisième facteur : la stagnation des bas salaires. Cette injustice sociale pour les Français les plus modestes a été aggravée par l'effet des lois sur la réduction du temps de travail, qui ont affaibli, par la multiplication des SMIC, le rôle de référent du salaire minimum. En valeur absolue, les salariés modestes ont perdu depuis trois ans entre un et deux points de pouvoir d'achat, tandis que les cadres dirigeants voyaient le leur croître de façon importante.

Les leçons du passé ont appris la modestie aux gouvernants et je veux croire que personne ici ne peut encore s'en tenir au discours simpliste consistant à réduire la politique de l'emploi à la réduction du temps de travail et à la création d'emplois aidés dans le secteur public. Car cette politique n'a pas réussi. Comment expliquer sinon que la France, seul pays européen à avoir fait ces choix, se situe au douzième rang parmi les pays de l'Union pour ses performances en matière d'emploi ?

Les 35 heures ont dégradé la compétitivité internationale des entreprises françaises, ont eu pour effet un accroissement du volume des importations et ont affaibli l'attractivité de notre territoire (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). D'ailleurs aucun autre pays n'a suivi cette voie. Ne nous enfermons donc pas dans une application dogmatique des 35 heures ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Regardons enfin la réalité en face : la réduction uniforme et obligatoire du temps de travail rend inévitable la diminution de la richesse nationale qui peut être répartie entre les Français.

Alors que la conjoncture mondiale s'assombrit, que l'économie internationale est en passe de connaître une nouvelle mutation avec l'entrée de la Chine à l'OMC et que l'élargissement de l'Union européenne lance un nouveau défi à nos entreprises, la réforme s'impose. Notre objectif est donc de créer les conditions de la confiance indispensable à la relance.

Nous relançons la demande par le pouvoir d'achat, particulièrement celui des bas salaires, avec la prime pour l'emploi élargie au temps partiel, la baisse de l'impôt et une augmentation sans précédent des SMIC.

Nous relançons l'offre par la baisse des charges, par l'assouplissement du temps de travail, par les nouveaux contrats jeunes en entreprise.

Nous relançons aussi le dialogue, afin de décrisper le corps social et de dynamiser la création d'emplois durables.

Réhabiliter en France la valeur du travail, c'est toute notre philosophie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Hausse rapide des bas salaires par harmonisation des SMIC, assouplissement des 35 heures, amplification de la baisse des charges : voilà le schéma volontariste que nous vous proposons.

Le débat d'aujourd'hui dépasse la seule question de la durée du travail, il reflète l'esprit même de la politique globale du Gouvernement au service de la croissance et de l'emploi. Si je tiens à le replacer au centre de notre projet, c'est que je me rappelle à quelles caricatures avait donné lieu, ici même, la réduction autoritaire de la durée du travail.

Mme Hélène Mignon - En effet !

M. le Ministre - On nous rejouait les débats du XIXe siècle ou de juin 1936, on invoquait le travail des enfants, la conquête des congés payés ou encore « les plus belles heures des luttes sociales de notre pays ».

Je me contente, pour ma part, de présenter un projet pragmatique, qui cherche à répondre à la réalité de l'économie mondiale, aux besoins de nos entreprises et aux aspirations de leurs salariés. Bref, une loi du XXIe siècle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Ma méthode a été de renouer le dialogue. J'avais mon cap, mais contrairement aux pratiques en vigueur ces dernières années, j'ai écouté et fait confiance aux partenaires sociaux. C'était déjà la méthode privilégiée avec la loi relative au contrat jeune en entreprise : fixer le cap par la loi pour élargir le champ de la négociation dans les branches et les entreprises.

La France d'aujourd'hui ne peut plus être gouvernée comme celle d'hier, de façon uniforme, sans considération pour la réalité complexe et mouvante des situations économiques et sociales. Je me suis donc efforcé de saisir, par la concertation, le fil de l'intérêt général. Les observations et préoccupations des partenaires sociaux ont été prises en compte. La majorité d'entre eux jugeaient le dossier des 35 heures mal ficelé et celui des multi-SMIC indéchiffrable et inéquitable. J'ai donc voulu rebattre les cartes.

Ce projet est équilibré, il respecte les intérêts des entreprises et ceux des salariés. Bref, il est, selon moi, conforme à l'intérêt national.

M. Alain Néri - Selon vous !

M. le Ministre - Il comprend trois parties : l'augmentation des SMIC et le retour rapide à un seul SMIC, les modalités d'assouplissement des 35 heures, un nouveau dispositif d'allégement de cotisations destiné à promouvoir l'emploi.

Il nous faut en effet d'abord sortir du piège des multi-SMIC.

M. Gaëtan Gorce - Il n'y a pas de piège !

M. le Ministre - Le SMIC joue pour les Français un rôle tout particulier dans le champ des relations du travail. Il détermine le minimum horaire auquel doit correspondre la rémunération de tout salarié ; il constitue une valeur de référence déterminante dans la fixation et l'évolution des basses rémunérations ; il représente une des composantes essentielles du coût du travail pour les entreprises et affecte à ce titre les conditions d'emploi des salariés les moins qualifiés. Plus qu'une référence, c'est un symbole.

M. Alain Néri - C'est pour cela que vous ne l'avez pas augmenté !

M. le Ministre - Le gouvernement précédent - qui, soit dit en passant, n'a augmenté le SMIC ni en 1999, ni en 2000, ni en 2001 - a joué avec cette valeur dans des conditions particulièrement peu transparentes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Le principe posé par l'article 32 de la loi du 19 janvier 2000 était en apparence simple : il fallait faire en sorte que, pour les salaires les plus bas, le passage aux 35 heures ne se traduise pas par une réduction de la rémunération. Il fallait donc une convergence entre la garantie mensuelle et le SMIC. En réalité, la loi a provoqué une multiplication des valeurs de référence et une complexité inextricable tant pour les salariés que pour les employeurs. Et contrairement à ce qui avait été promis, le dispositif ne conduisait nullement par lui-même à la convergence à terme du SMIC et de la garantie mensuelle.

M. René Couanau - C'est tout à fait exact.

M. le Ministre - En effet, toute augmentation du SMIC entraînait la création d'une nouvelle garantie, ce qui repoussait d'autant la convergence.

Le dispositif ne permettait pas davantage d'assurer la justice sociale puisqu'il entraînait au contraire des disparités injustifiables entre les salariés selon que leur entreprise était ou non passée aux 35 heures ou selon la date du passage. Tout le monde se perdait dans cet imbroglio.

Inéquitable et illisible pour le salarié, complexe et coûteux pour les entreprises, notamment pour les plus petites d'entre elles, le dispositif imposé pour les 35 heures remettait progressivement en cause la cohérence même des relations du travail.

C'est dire s'il était urgent d'agir : parce que la loi l'imposait et parce que la justice sociale et l'efficacité économique - et donc l'emploi - étaient en cause.

Fort de ce constat, le Premier ministre a saisi le Conseil économique et social dès l'installation du Gouvernement. S'inspirant de ses travaux, le projet répond à deux préoccupations essentielles : rétablir l'unité du SMIC et assurer dans un même mouvement la progression du pouvoir d'achat des salaires les plus bas.

La restauration de l'unité du SMIC suppose un mécanisme volontaire de convergence, qui prendra pour référence la garantie la plus élevée, assurant ainsi une augmentation du pouvoir d'achat des salariés rémunérés au SMIC horaire de 11,4 % en 3 ans et un gain de pouvoir d'achat moyen de 6,5 % pour l'ensemble des plus bas salaires au cours de la même période.

Les règles de calcul du SMIC sont modifiées, pour une période temporaire, exclusivement justifiée par les besoins de la convergence. Le retour aux règles habituelles de revalorisation aura évidemment lieu une fois la convergence achevée.

Les plus bas salaires vont donc bénéficier, jusqu'en 2005, d'un gain de pouvoir d'achat bien supérieur à celui qu'aurait permis la simple application des règles habituelles, d'un gain de pouvoir d'achat tel qu'aucun gouvernement n'en a jamais accordé depuis deux décennies.

C'est un message fort aux salariés dont les revenus sont les plus faibles, et c'est un pas décisif vers la réhabilitation de la valeur du travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). C'est aussi une vraie mesure de justice sociale. Les mêmes principes ont guidé le Gouvernement s'agissant de l'assouplissement des 35 heures.

Je ne veux pas relancer le débat idéologique sur la réduction de la durée du travail. On nous a dit et répété que les lois Aubry auraient permis de créer ou de préserver quelque 300 000 emplois en cinq ans. Mais c'est bien entendu la croissance, soutenue par les allégements de charges, qui a créé ces emplois ! Dès qu'elle fléchit, le chômage repart de plus belle, réduction du temps de travail ou pas !

La vérité, c'est que la politique de l'emploi du gouvernement précédent n'a réglé aucun des problèmes structurels qui entravent notre marché du travail. Il est temps de rendre toute sa place au travail, élément central de la cohésion sociale, et de replacer la négociation collective au c_ur de l'aménagement du temps de travail.

Nous proposons de le faire sans remettre en cause la durée légale fixée à 35 heures, n'en déplaise à ceux qui caricaturent notre projet (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Pour y parvenir, la réforme s'articule autour du régime des heures supplémentaires, dont dépendent le rythme de travail des salariés et l'organisation du travail au sein des entreprises.

Le système actuel est inextricable puisqu'il faut distinguer le contingent dont le dépassement est subordonné à l'autorisation de l'inspecteur du travail et le contingent dont le dépassement implique l'octroi du repos compensateur. L'un peut être négocié par les partenaires sociaux, l'autre est fixé unilatéralement par l'Etat. Quant au régime définissant les conditions de rémunération des heures supplémentaires, il est encore plus compliqué, et je mets quiconque au défi de s'y retrouver !

La réforme que je vous propose prend le contre-pied des errements du passé par sa simplicité et sa souplesse. Le rôle de l'Etat dans le maintien des équilibres essentiels n'en est pas moins préservé.

Simplicité d'abord, avec l'uniformisation des contingents. Il existera désormais un contingent unique déterminant tant l'autorisation administrative que le déclenchement du repos compensateur. Ce souci de simplicité ne doit toutefois pas nous conduire à méconnaître la situation spécifique des petites entreprises, qui font l'objet de dispositions particulières.

Pour les entreprises de moins de 20 salariés, à défaut d'accord de branche, le taux actuel de 10 % sera maintenu jusqu'au 31 décembre 2005, afin de leur laisser davantage de temps pour s'adapter.

Souplesse, ensuite, par le renvoi aux partenaires sociaux du soin de fixer le niveau du contingent des heures supplémentaires et les conditions de leur rémunération.

C'est pour moi l'élément essentiel de la réforme, car sa portée dépasse l'assouplissement de la durée du travail. Il est emblématique de notre volonté de rééquilibrer le droit des relations du travail en réduisant l'emprise du droit législatif et réglementaire au profit de la norme conventionnelle.

En ce sens, la réforme préfigure un de nos chantiers de l'année prochaine qui me tient particulièrement à c_ur : celui de la modernisation de la négociation collective. Il y va de l'avenir du dialogue social, dont dépend largement notre capacité à réformer la France.

Ce choix ne doit cependant pas se traduire par un désengagement de l'Etat. C'est pourquoi le dispositif que je vous propose répartit clairement les rôles : l'Etat fixe la règle du jeu et les partenaires sociaux négocient les conditions de son application, branche par branche et entreprise par entreprise.

S'agissant de la rémunération des heures supplémentaires, la loi fixe les modalités de l'accord qui en déterminera le régime, en exigeant un accord de branche étendu. La loi fixe, par ailleurs, la règle minimale, en prévoyant que le taux de majoration ne peut être inférieur à 10 %.

Enfin, tant pour la fixation du niveau du contingent que pour les conditions de rémunération des heures supplémentaires, l'Etat fixe par décret la règle supplétive qui s'applique faute d'accord.

Le renvoi à la négociation prévu par la loi n'aurait guère de sens si, parallèlement, l'Etat fixait définitivement le niveau supplétif du contingent. Le décret sera donc réexaminé, et c'est au vu du contenu des négociations et des accords signés que le Gouvernement prendra position sur le niveau optimal du contingent destiné à s'appliquer en l'absence d'accord, après avis de la commission nationale de la négociation collective et du Conseil économique et social.

Certains ont cru pouvoir justifier leur opposition à ce décret en prétendant que je me serais inspiré des décrets-lois de 1938 pour liquider les 35 heures sans le dire ! (Interruptions sur divers bancs) Autrement dit : Fillon-Reynaud, même combat !

Ceux-là n'ont pas compris grand-chose au précédent de 1938, et pour cause. Les analyses de Paul Reynaud sur les moyens de sortir notre pays de la crise économique dans laquelle il restait englué étaient parfaitement pertinentes puisqu'il mettait en avant des solutions de type keynésien qui finiront par être appliquées, bien que trop tardivement, par le gouvernement Daladier.

Certes, Reynaud ne flattait pas la démagogie à un moment où le contexte international ne s'y prêtait guère. De même n'hésitait-il pas à soutenir les thèses sur l'utilisation de l'arme blindée d'un obscur colonel promis à sauver la France. Il y a, vous en conviendrez, des comparaisons moins flatteuses !

Laissez-moi dire, surtout à ceux qui font ce rapprochement, que nous ne parlons pas de la même chose. Les 40 heures de 1936 constituaient la durée maximale du travail, l'équivalent de nos 48 heures actuelles. C'est d'ailleurs ce qui les rendait, comme l'avait noté Alfred Sauvy, totalement anti-économiques. Et c'est bien pourquoi il a fallu inventer les heures supplémentaires en 1938, et en ajouter encore en 1946.

Ce dont il s'agit simplement, avec ce décret, c'est de rendre plus largement possible le recours aux heures supplémentaires lorsque c'est nécessaire. Alors, n'en faisons pas un conflit théologique, ni chez les patrons, ni à ma gauche.

Les mêmes exigences de simplicité et de souplesse inspirent les autres dispositions plus techniques, notamment celles qui sont relatives au compte épargne-temps, qui pourra désormais être valorisé en argent et non pas obligatoirement en temps.

Je souhaite enfin insister sur le fait que le projet ne remet pas en cause les accords déjà conclus, ni ne se substitue à eux. Ils continuent donc à poursuivre leurs effets, et il n'y a nulle obligation de les renégocier. La loi ouvre de nouvelles pistes, mais il appartient aux partenaires sociaux de s'en saisir, s'ils le souhaitent. Quant aux accords paradoxalement remis en cause par la loi de janvier 2000, ils trouvent maintenant une base légale, et pourront eux aussi produire tous leurs effets.

Décrispation sociale, responsabilisation des partenaires sociaux, convergence des SMIC vers le haut et assouplissement des 35 heures n'ont qu'un seul objectif : redynamiser l'emploi en France.

C'est pourquoi le projet que je soumets à votre examen comprend, dans son titre III, un volet essentiel à la cohérence de l'ensemble : l'allégement des cotisations de sécurité sociale.

S'il est une seule leçon à tirer des expériences précédentes, c'est que la baisse des charges sur le travail peu qualifié favorise efficacement la création d'emplois.

M. Maxime Gremetz - C'est une contre-vérité !

M. le Ministre - C'est l'orientation qu'avaient prise avec succès Edouard Balladur et Michel Giraud en 1993, puis Alain Juppé et Jacques Barrot en 1995.

Mais que l'on y prenne garde : notre politique de baisse de charges n'a rien à voir avec celle du gouvernement précédent. Nous passons d'une incitation aux 35 heures à une véritable ambition d'encouragement à l'emploi.

On a fait croire aux Français que l'on pouvait travailler 35 heures payées 39 sans que quelqu'un finisse par payer l'addition. C'est la collectivité qui a pris partiellement cette supercherie à sa charge, mais il nous faut maintenant solder les comptes.

Mme Muguette Jacquaint - Qui va payer la baisse d'impôt des riches ?

M. le Ministre - Le nouveau dispositif aidera à tourner la page des 35 heures non financées. Il vise à éviter que le surcoût lié à la sortie des « multi-SMIC » ne pénalise excessivement la compétitivité des entreprises, et donc l'emploi.

Il permettra surtout de diminuer le coût du travail pour les bas salaires et le travail peu qualifié, par la mise en place progressive d'un nouveau dispositif d'allégement à partir du 1er juillet 2003. L'allégement sera maximal au niveau du SMIC, et concernera tous les salaires inférieurs à 1,7 fois le SMIC.

Pour les salaires modestes et moyens, les allégements de charges feront plus que compenser les effets de la convergence des SMIC, ils abaisseront réellement le coût du travail.

La France a été l'un des premiers pays à expérimenter une réduction générale des cotisations sociales en 1993. D'autres ont suivi : la Belgique, les Pays-Bas, puis l'Allemagne et l'Italie, et les résultats observés ont toujours été très positifs.

Les économistes considèrent que les allégements de charges ont permis d'enrichir la croissance en emplois. Ainsi, le seuil de croissance à partir duquel l'économie française est créatrice d'emplois serait passé, grâce aux allégements de charges, de 2,5 % à 1,5 % dès 1994. La baisse du nombre d'emplois peu qualifiés a été enrayée, et la part des emplois peu qualifiés dans le total des emplois, après avoir baisse de 7 points entre 1983 et 1994, a recommencé à croître très légèrement à partir de cette date.

Cette inversion de tendance est un phénomène majeur, non seulement d'un point de vue économique, mais pour notre cohésion sociale, car nous ne pouvons accepter que les progrès de notre économie laissent les plus faibles sur le bord du chemin.

Cet allégement, dont le surcoût pour les finances publiques sera de l'ordre de 6 milliards d'euros d'ici 2006, sera intégralement compensé pour les régimes de sécurité sociale.

Augmentation des bas salaires, assouplissement des 35 heures, baisse des charges : la réforme s'inspire très largement de ce qui avait été conclu par les branches et les entreprises entre 1998 et 2000. Le gouvernement précédent n'avait pas voulu en tenir compte puisqu'il savait mieux que les acteurs sociaux ce qui était bon pour les entreprises et les salariés.

L'économie générale de notre projet se fonde sur un souci d'équilibre entre le maintien de la durée légale de 35 heures, les exigences de souplesse et de compétitivité des entreprises et l'accroissement du rôle des partenaires sociaux.

La durée légale de 35 heures est maintenue, mais elle est maintenant organisée sur un mode qui permet aux acteurs sociaux, s'ils le souhaitent, de s'en écarter, de l'adapter, bref de se l'approprier.

Plusieurs députés socialistes - Que de contorsions !

M. le Ministre - Cette réforme n'est pas un retour en arrière, mais un retour à la raison.

Cette réforme, c'est plus de liberté pour plus de justice sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Pierre Morange, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - J'ai l'honneur d'être rapporteur d'un projet de loi majeur et très attendu. Premier texte inscrit à l'ordre du jour de cette session il traduit les engagements pris par le Président de la République et le Premier ministre et les priorités que le Gouvernement se fixe pour l'emploi : hausse du pouvoir d'achat des salariés les moins rémunérés et rénovation du dialogue social.

La politique de réduction du temps de travail du précédent gouvernement s'est traduite par un triple échec : complexité, inéquité entre les salariés, manque de dialogue social. Notre projet de loi s'articule autour de trois priorités majeures : restauration du dialogue social, correction des effets négatifs de la réduction du temps de travail sur le pouvoir d'achat des salariés, diminution du coût du travail pour favoriser l'emploi.

La restauration du dialogue social exige que l'on corrige la loi du 19 janvier 2000, qui encadrait à l'excès les outils mis en place, et a donné naissance à des monstres juridiques, notamment en créant plusieurs niveaux de salaires minima.

Le régime des heures supplémentaires s'est également trouvé compliqué au point de devenir illisible. Il faut donc fixer de nouvelles conditions pour restaurer le dialogue social. Les acteurs de terrain possèdent un savoir-faire et une pratique de la négociation qui leur permet de conclure des accords équilibrés préservant les intérêts de la collectivité et des travailleurs, et la compétitivité des entreprises. Ainsi, aucun projet social important ne sera proposé sans avoir été au préalable examiné par l'ensemble des acteurs sociaux. Et le présent texte rend toute sa place à la négociation collective en prévoyant pour la première fois de véritables transferts de compétences au profit des partenaires sociaux.

Ce projet pose des principes généraux de droit du travail, les modalités concrètes d'application étant renvoyées à l'accord collectif.

Que l'on comprenne bien ce qu'il y a là d'audacieux : dans nombre de domaines, ce n'est qu'au cas où les partenaires sociaux n'auraient pu trouver un accord que la loi s'appliquera.

De nouveaux champs importants de négociation sociale sont ainsi ouverts, par exemple avec la possibilité de fixer un taux de majoration des heures supplémentaires différent des taux légaux, mais qui ne devra cependant pas être inférieur à 10 %.

En outre, c'est désormais le contingent annuel d'heures supplémentaires susceptibles d'être effectuées par chaque salarié qui, après avoir été négocié par branche, servira de référence pour le calcul du repos compensateur obligatoire dû au salarié. Les responsabilités des partenaires sociaux sont ainsi accrues.

Il convient de répondre aux critiques sur les chances de succès des négociations de branches dès lors que la loi fixe un seuil minimum : par définition, la négociation permettra d'aborder bien d'autres sujets que le taux de majoration des heures supplémentaires ; elle trouvera donc à se développer.

Le champ de la négociation sociale s'applique également aux cadres. Le projet de loi se caractérise dans ce domaine également par une volonté de simplifier, ce qui explique le choix du nouveau régime légal des heures supplémentaires : là encore, c'est en l'absence d'un accord de branche que s'appliquent les règles légales énoncées dans la nouvelle rédaction du paragraphe 1 de l'article 212-5 du code du travail.

S'agissant des accords de modulation des horaires sur toute ou partie de l'année, le projet de loi pose le principe simple selon lequel la durée annuelle de travail est de 1 600 heures, sauf fixation par les partenaires sociaux à un montant inférieur.

Je tiens à souligner le pragmatisme du Gouvernement : concernant le relèvement du contingent d'heures supplémentaires à 180 heures par salarié, le futur décret sera valable 18 mois, puis sera réexaminé au vu des négociations et des pratiques instaurées dans les entreprises. C'est de la part du Gouvernement une preuve d'humilité.

Enfin, le projet de loi affronte avec courage et pragmatisme le passage aux 35 heures pour les petites et moyennes entreprises : la période d'adaptation initialement prévue pour un an seulement est prolongée de 3 ans. Durant cette période, la majoration des 4 premières heures supplémentaires maintenue à 10 % jusqu'à la fin de l'année 2005 permettra à ces entreprises d'absorber le choc des 35 heures.

La deuxième ambition du projet de loi est de corriger l'effet négatif de la réduction du temps de travail sur le pouvoir d'achat des salariés. Dans la plupart des cas, la réduction du temps de travail a été accompagnée d'un gel du pouvoir d'achat sur plusieurs années, alors que dans le même temps, notre économie bénéficiait d'une forte croissance internationale. Rappelons que le gouvernement précédent s'est contenté de revaloriser le SMIC du minimum légal. Le projet de loi permettra de sortir de cette gestion malthusienne.

Le premier élément en ce sens réside dans la possibilité de faire des heures supplémentaires. Une heure de travail en plus n'est pas seulement un facteur de souplesse pour les entreprises, mais aussi et surtout une heure et davantage de salaire en plus pour le salarié.

Il est vrai que nous touchons là à la conception même que chacun se fait du travail. Si certains persistent à croire qu'il s'agit d'une sorte de « punition divine », nous considérons pour notre part qu'il s'agit d'une valeur structurante de la vie sociale, dont la remise en cause au cours des dernières années n'est sans doute pas pour rien dans la crise morale que connaît notre pays. Le travail est le moyen de réaliser ses projets de vie et de gravir les échelons de l'échelle sociale. Bref, nous préférons le goût de l'effort à l'obligation du repos.

Le projet de loi permet également de mettre un terme au système ubuesque et inique des « multi-SMIC ».

La conséquence des 35 heures a été la mise en place de six niveaux différents de rémunération minimale : au SMIC se sont ajoutées cinq « garanties mensuelles de rémunérations » créées chaque année afin de compenser la baisse de la durée du travail. Ainsi sont apparus différents niveaux minima de rémunération selon la date du passage aux 35 heures.

Le projet de loi se propose de mettre fin à cette situation inacceptable en organisant rapidement l'harmonisation par le haut des différents SMIC.

Il est en effet indispensable d'éviter un blocage de l'évolution du pouvoir d'achat des salariés concernés sur une période trop longue. La convergence se fera donc en trois ans par des coups de pouce d'environ 3 % par an d'ici à 2005 et par une évolution différenciée des garanties mensuelles de rémunération et du SMIC. Le SMIC horaire réel sera ainsi revalorisé de 11,4 % sur trois ans hors inflation.

M. Patrick Ollier - Très bien !

M. le Rapporteur - Une telle harmonisation des SMIC par le haut préserve et renforce le pouvoir d'achat de tous les salariés concernés. La fin de la période de transition, le 1er juillet 2005, marquera le retour aux règles habituelles de revalorisation du SMIC.

Ce faisant, le Gouvernement répond aux attentes du monde du travail et redonne au SMIC son statut de valeur de référence. Enfin, les salariés titulaires d'un compte épargne-temps pourront le reconvertir en argent.

L'harmonisation par le haut des SMIC ne doit cependant pas renchérir inconsidérément le coût du travail. Le projet de loi vise donc à diminuer celui-ci pour favoriser l'emploi. Le nouveau dispositif d'exonération des charges patronales compense ainsi l'essentiel de la hausse du SMIC. L'exonération sera maximale pour le SMIC, dont le coût sera réduit de 26 % pour l'entreprise sans conséquence pour le salarié. Les entreprises restées à 39 heures n'auront à supporter, en trois ans, que 4,6 points d'augmentation de salaires et le coût du travail diminuera de plus de 4 % pour les salaires compris entre 1,2 et 1,6 SMIC, segment sur lequel une baisse des charges est la plus favorable à l'emploi. Rompant avec le dispositif Aubry 2, cette baisse profitera à l'ensemble des entreprises - au premier rang desquelles les PME - et non plus seulement aux 10 % d'entreprises passées aux 35 heures. C'est la fin d'une inégalité et de la paradoxale exception française qui consiste à subventionner les entreprises pour que leurs salariés travaillent moins. Le choix d'un allégement massif des charges sociales est un acte politique fort en faveur de l'emploi. Selon les études du précédent gouvernement, 460 000 créations d'emplois sont imputables aux allégements de charges opérés entre 1994 et 1997, notamment à la ristourne dégressive pour les salaires inférieurs à 1,3 SMIC. Le bilan officiel de la réduction du temps de travail chiffre quant à lui à 300 000 les créations d'emplois. Encore sont-elles moins imputables aux 35 heures qu'aux baisses de charges qui les accompagnaient.

Si le Gouvernement engage une démarche ambitieuse en faveur de l'emploi, il fait aussi preuve de mesure. Le coût du nouvel allégement ne s'élèvera qu'à un milliard d'euros en 2003, à 6 milliards d'ici à 2006. Nous vous félicitons, Monsieur le ministre, de stopper ainsi le mécanisme infernal du financement des 35 heures, que nul dans l'ancienne majorité n'avait osé dénoncer. Ensuite, le calendrier de la mise en place du dispositif suivra celui de l'harmonisation des SMIC. Enfin, les entreprises à 35 heures bénéficieront, y compris pendant la période transitoire, d'un taux d'allégement de charges constant.

Le projet de loi amorce aussi la refonte des dizaines d'exonérations de cotisations sociales patronales existantes, en commençant par la fusion des deux principales, la ristourne dégressive dite Juppé - jusqu'à 1,3 SMIC - et l'allégement dit Aubry 2 lié à la réduction du temps de travail. La vie des entreprises s'en trouvera simplifiée.

Il est ainsi mis un terme aux distinctions byzantines introduites par la loi du 19 janvier 2000 entre les entreprises éligibles ou non aux exonérations de cotisations et entre les salariés y ouvrant droit ou non. Par exemple, un salarié à temps partiel travaillant dix-huit heures par semaine y ouvrait droit, contrairement à son collègue n'en travaillant que dix-sept...

Les entreprises devaient également se livrer chaque mois à de savants calculs. Je pense à la complexité du contrôle par l'administration du respect de la durée du travail et aux incertitudes sur le bénéfice de l'allégement, souvent suspendu, voire supprimé.

Le projet de loi offre donc enfin aux entreprises un cadre juridique clair et stable.

Pour toutes ces raisons, la commission a adopté ce texte après l'avoir enrichi, les 29 septembre et 2 octobre, par le vote de 17 des 131 amendements examinés, et après avoir entendu l'ensemble des organisations syndicales.

Premier apport : un amendement indique clairement que le taux horaire du SMIC fera bien l'objet d'une augmentation majorée grâce à un coup de pouce chaque année. Il faut éviter un rattrapage des 11,4 % en une seule fois au 1er juillet 2005 ; l'augmentation doit se faire par paliers successifs.

Deuxième apport : plusieurs amendements simplifient le dispositif transitoire en matière d'allégements des cotisations sociales patronales. Le régime doit être le même pour tous les salariés de l'entreprise, quelle que soit leur situation au regard de la réduction du temps de travail.

Troisième apport : plusieurs amendements améliorent la cohérence du nouveau dispositif d'allégements avec d'autres mécanismes de réduction de charges.

En conclusion, votre projet de loi marie efficacité et solidarité, répondant ainsi à l'attente de nos concitoyens et de nos entreprises. La primauté donnée au dialogue social en est le fil rouge. Ce texte préserve ainsi l'emploi, revalorise nettement le pouvoir d'achat des salariés les plus modestes, aide nos entreprises à affronter la concurrence internationale et redonne au travail sa valeur de référence morale et financière (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Maxime Gremetz - Rappel au Règlement fondé sur l'article 58 alinéa 2.

Nous avons entendu M. le ministre et M. le rapporteur. Au terme de ces discours si complets, voire répétitifs, afin que le travail à l'Assemblée nationale ne devienne pas une « punition divine », je demande une brève suspension de séance.

M. le Président - Elle est de droit.

La séance, suspendue à 17 heures 5, est reprise à 17 heures 20.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Après quatre années de baisse quasi continue, le chômage a recommencé d'augmenter depuis mai 2001. Dans cette conjoncture incertaine, notre rôle est d'anticiper les évolutions et de placer les Français à l'abri des aléas grâce à des mesures visant à protéger l'emploi et à abaisser le coût du travail. Ainsi, les contrats jeunes votés en juillet dernier doivent faciliter l'entrée des jeunes dans les entreprises.

Le présent projet de loi sera la clé de voûte d'une politique plus vaste visant à redynamiser la croissance, l'emploi et le dialogue social. C'est un texte équilibré, respectueux des intérêts des entreprises comme des salariés, qui prévoit d'un côté des baisses de charges, d'un autre une harmonisation par le haut des différents SMIC. Il touche aux lois Aubry, lesquelles non seulement n'ont pas atteint leurs objectifs mais pourraient même devenir une machine à broyer de l'emploi si la croissance marquait durablement le pas.

La nécessité d'assouplir les 35 heures n'est pas apparue aujourd'hui : le gouvernement Jospin avait déjà accordé un régime de faveur à certains entreprises. L'abaissement du coût du travail lui non plus n'est pas une nouveauté et les milliards d'allégements accordés pour le passage aux 35 heures expliquent largement des créations d'emplois, un peu hâtivement inscrites à l'actif de la réduction du temps de travail.

Les lois Aubry sont d'abord l'histoire d'une réforme promise par la gauche à la veille des législatives de 1993 à un moment où la gauche n'avait plus rien à perdre. En 1997, revenue au pouvoir, la gauche se lance dans l'aventure, sans grande conviction d'ailleurs. Le pire n'était pas l'inanité du discours : « Du temps pour soi, une chance pour l'emploi », pouvait-on lire sur une affiche du ministère de l'emploi ; « Redonner, pourquoi pas, le sens de la fête, qui nous manque tant dans notre pays », ose la ministre de l'environnement à un colloque des Verts ; mais la perle revient à Alain Lipietz, renchérissant lors du même colloque, pour revendiquer « le droit absolu à ne rien faire du tout » (Rires sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Allaient suivre de funestes décisions : seule parmi les pays occidentaux, la France réduit autoritairement la durée du travail et impose à ses entreprises des contraintes qui deviendraient redoutables au moindre essoufflement de l'activité. Cette approche à la fois malthusienne et jacobine de l'économie traduit une profonde méconnaissance de l'économie et de la société française, lesquelles ne fonctionnent pas comme une chaudière, dont il suffirait de régler les manettes centrales !

Fruit d'invraisemblables approximations, mal préparée sur le plan technique, cette réforme conduisait à la dislocation du marché du travail et à l'asphyxie des entreprises. L'Etat lui-même allait avoir le plus grand mal à appliquer les mesures à ses agents ; les petites et moyennes entreprises allaient être confrontées à un casse-tête, les plus petites d'entre elles craignant d'être contraintes de mettre la clé sous la porte et de laisser des salariés sur le carreau. Mais la consigne fut de se taire, de surtout ne rien dire. Une circulaire de janvier 1999 relative aux droits et obligations du ministère dans leurs relations avec les médias rappelle à l'ordre ceux qui l'auraient oublié. CGT et CFDT protestent, sans succès. Mais peu à peu, la presse confirme cette censure.

Pendant ce temps, au congrès du néo-Labour, Tony Blair a le mauvais goût de souhaiter que la Grande-Bretagne devienne un pays d'initiative et d'ambition où se développent les petites entreprises. « Une société forte ne peut être construite sur des choix mous, ajoute-t-il, le nouvel Etat-providence doit encourager le travail. » En France, c'est aussi de gauche que vont naître les plus vives objections. Pour Denis Olivennes, ancien membre du cabinet de Pierre Bérégovoy, la réduction du temps de travail non seulement est inefficace contre le chômage, mais elle est nuisible sur le plan intellectuel car elle détourne, dit-il, de la seule question qui vaille : comment accroître la productivité, la croissance et l'emploi en inventant de nouveaux instruments d'intervention sociale « qui n'aient pas les effets malthusiens des réglementations actuelles ».

Alors que la croissance repart en 1998, le gouvernement dissuade les jeunes d'en profiter pour prendre un emploi normal. Il privilégie les emplois jeunes alors même que l'un de nos handicaps est d'avoir moins d'emplois marchands que nos voisins, de surcroît très difficilement accessibles aux jeunes. Le gouvernement mobilise alors ses plus brillants esprits pour dénicher les fameux « métiers de demain » et l'un d'eux prophétise que les « acteurs de sens seront à l'économie post-industrielle ce que les entrepreneurs puritains furent à l'économie pré-industrielle. » Derrière le slogan qui fait fureur de la « recomposition du tissu social », les beaux esprits préparent l'avenir radieux de nos enfants qui pourront par exemple être « agent de sensibilisation au tri sélectif » ! La perle vient, une fois de plus, d'Alain Lipietz qui remet à Martine Aubry un rapport intitulé : « Du halo sociétal au tiers secteur ». Les emplois jeunes y sont présentés comme un pas vers « une société de dévouement fondée sur la pure affection » (Rires sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). De nouvelles entreprises de l'économie solidaire et sociale vont ainsi être créées, dispensées de cotisations sociales et d'impôts commerciaux, sans être soumises ni à la concurrence ni aux règles des marchés publics. Pourquoi, me direz-vous ? Tout simplement, parce que leurs employés ont vocation à perdre leur temps - il manque sans doute aux salariés du privé et aux fonctionnaires le fameux « halo sociétal. » « Ni le livreur de pizza, ni le jardinier du service public n'ont vocation à s'écarter de leur tâche pour bavarder avec une personne âgée solitaire », écrit Alain Lipietz. Mais les salariés de ces nouvelles « unités productives », si ! Quel bond en avant dans la pensée contemporaine ! Décidément, Tony Blair n'a rien compris au génie français !

Certes, des milliards d'euros de subventions et des centaines de milliers de faux emplois publics, sans le moindre avantage statutaire cela étant, constituent de précieux atouts électoraux. Mais bientôt, les contradictions apparaissent et les résultats ne sont pas à la hauteur des prétentions des révolutionnaires. Le Roi se dénude...sous le regard de ses enfants. Les emplois jeunes manifestent. Stupeur à gauche ! Ces jeunes seraient-ils mécontents de retisser du lien social ?

Non content d'avoir raté l'occasion de dynamiser le marché du travail et de l'ouvrir aux jeunes, le gouvernement Jospin charge la barque avec un mastodonte juridique, les lois Aubry, lesquelles consolident le triste record de la France au sein de l'OCDE, à savoir la réglementation administrative la plus lourde. Résultat : un marché du travail à deux vitesses, malade, disloqué, bloqué par un mélange incohérent d'interdits et d'incitations valant à la France d'employer un nombre record d'intérimaires. Mais le gouvernement tient sa riposte : taxer le travail atypique que sa politique produit.

Dans les tiroirs de la rue de Solferino, un dernier projet laisse rêveur : la proposition de loi Besson, fille naturelle de la pensée lipietzenne, propose de ponctionner la cagnotte de 8,5 milliards d'euros pour employer 1,5 million de personnes dans les collectivités locales et les entreprises d'insertion ! Enfin, l'outil-miracle !

On aura rarement vu aussi piètre gestion de l'abondance. Le gouvernement précédent a agi à contresens de la reprise mondiale, imposant à l'économie de demain les recettes du passé (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), et ce pour des sommes astronomiques échappant à la connaissance du Parlement. C'est l'un des aspects les plus évidents d'un certain repli français et d'un refus de la mondialisation signifiant en fait l'ignorance du reste du monde.

Sous le titre « La grande illusion », le journal The Economist constate qu'en ne parvenant pas à créer des emplois, le modèle dirigiste français a échoué, laissant notre pays au 13ème rang européen en ce domaine.

Au lendemain du premier tour des présidentielles, Serge July, dans Libération, relève que les 35 heures ont beaucoup profité aux cadres et aux professions intermédiaires et pas du tout aux salariés des PME...

M. Maxime Gremetz - Il n'y connaît rien !

M. le Président - Monsieur Gremetz, vous avez déjà obtenu une suspension de séance. Je vous en prie, cessez d'interrompre !

M. le Président de la commission - ...ni à ceux des administrations publiques, illustrant la persistance de la fracture sociale.

Comment réparer les dégâts ? Il n'y a pas de solution idéale, pas de potion magique.

Que les socialistes se rassurent : les 35 heures seront maintenues, en dépit des dommages causés. Mais nous allons corriger les lois Aubry, au profit de l'emploi et de la justice sociale.

Les mesures proposées visent à dissuader les entreprises d'investir dans les machines plutôt que dans l'homme ou de délocaliser à l'étranger. Elles encouragent l'embauche dans les PME. La lutte contre le chômage passe aussi par les efforts pour trouver de nouveaux débouchés, ce qui implique le recours aux heures supplémentaires.

Ce texte donne également la priorité à la fiche de paie. Avec les lois Aubry, les salariés modestes ont perdu de un à deux points de pouvoir d'achat en trois ans, alors que celui des cadres a augmenté. Or l'essentiel, pour les Français, c'est l'espoir de vivre demain mieux qu'hier. Le Gouvernement va rendre la parole aux salariés et aux entrepreneurs pour qu'ils définissent eux-mêmes l'organisation du travail souhaitable.

La justice sociale exige également de sortir par le haut de la jungle des multiples SMIC. L'ancienne majorité reconnaissait l'absurdité du système, mais en avait renvoyé la solution à après les présidentielles. Nous voulons réparer le tort causé par les lois Aubry à une grande partie des salariés payés au SMIC en rétablissant le principe d'un salaire horaire égal pour un même travail.

Une société avancée doit poursuivre des objectifs à long terme. Le gouvernement Jospin avait oublié que le passage de 40 à 39 heures avait nécessité des années pour être effectivement appliqué et « digéré ». Il était irresponsable d'imposer l'usine à gaz Aubry à notre économie.

L'Etat n'est pas le seul maître de l'emploi. Quand on joue les apprentis sorciers, ce sont toujours les plus modestes qui paient la facture (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, en application de l'article 91-4 du Règlement.

M. Jean Le Garrec - Je suis, Monsieur le ministre, en désaccord total avec votre loi. Je m'exprime au nom de mes convictions, avec l'appui total du groupe socialiste, en m'appuyant sur mon expérience d'homme d'entreprise, et aussi en ma qualité d'élu de la région Nord-Pas-de-Calais.

J'ai été frappé par les discours tout en nuances du rapporteur et du président de notre commission (Sourires). Tant qu'à citer des auteurs, je vous recommande la lecture du charmant petit pamphlet de Paul Lafargue, Le droit à la paresse, plutôt que celle de Lipietz.

Ce débat ne s'achèvera pas avec le vote. Vous avez la majorité arithmétique, le texte sera voté, mais ce sont les mois à venir qui départageront l'opinion (« Chantage ! » sur les bancs du groupe UMP). Non, c'est un simple constat.

Monsieur le ministre, je m'étonne de votre capacité à tordre les chiffres. Quelques exemples : selon les comptes de la sécurité sociale, le coût de la ristourne Juppé est de 7,5 milliards d'euros, celui des autres allégements de charges de 6,3 milliards d'euros.

Selon les statistiques du ministère de l'emploi, l'aide à la création d'un emploi liée aux 35 heures a coûté 75 000 F, celle d'un emploi lié à la ristourne Juppé 200 000 F, celle d'un CIE a été de 300 000 F. Nous y reviendrons. Nous ne laisserons pas tordre la réalité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Vous avez qualifié votre texte, Monsieur le ministre, de « clé de voûte » et je suis d'accord avec vous : elle illustre bien vos intentions. Mais je voudrais revenir aux remarques du rapporteur sur la valeur structurelle de l'emploi dans la vie sociale. J'en suis convaincu, même s'il y a d'autres valeurs structurelles. Mais quelle est la réalité ? Le chômage augmente graduellement depuis près de 40 ans. Il n'y avait en 1974 que 320 000 demandeurs d'emploi. Mais depuis, il y a eu une pression déstructurante sur les salariés, encore aggravée, les derniers mois, par les dysfonctionnements financiers, par ce jeu où la recherche de la « valeur », et non pas seulement des bénéfices, entraîne des charrettes de licenciements. Les dix chefs d'entreprise les mieux payés au monde auraient effectué, à eux seuls, 900 000 licenciements... Depuis quelques jours, les annonces de charrettes s'accélèrent. On a vu ces entreprises courir de manière inconsidérée à « l'effet de taille », à la recherche de rentabilité maximale - 11, 12, 13 % - et non pas de bénéfice, on a vu ce mouvement détruire le lien social. Alors au nom de quoi pouvez-vous parler de perte de référence au travail ? Au nom de quoi pouvez-vous dire à ceux qui galèrent qu'ils n'ont plus le sens du travail ? C'est insensé et insupportable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

C'est pour cela qu'avec conviction, et sans doute en commettant quelques erreurs, nous avons agi dans quatre directions fondamentales : la réforme des 35 heures comme vecteur supplémentaire d'emploi (Huées sur les bancs du groupe UMP), la création d'emplois-jeunes (« Deuxième erreur ! » sur les bancs du groupe UMP), la grande loi de lutte contre l'exclusion, dont j'étais le rapporteur général, grande loi saluée par Mme de Gaulle-Anthonioz, enfin l'augmentation des minima sociaux, contrairement à ce que vous avez dit, Monsieur le ministre.

Sous les gouvernements Balladur-Juppé, l'ASS a baissé de 4,5 % et le RMI de 0,3 %, alors que sous le gouvernement Jospin l'ASS a augmenté de 15 % et le RMI de 7 % : ce sont les chiffres officiels (« Et le SMIC ? » sur les bancs du groupe UMP).

Comme l'écrit Edgard Morin, « à force de repousser l'essentiel au nom de l'urgence, on oublie l'urgence de l'essentiel ». C'est exactement ce que vous faites, Monsieur le ministre. Vous travaillez dans l'urgence et en trois mois, vous avez stoppé quatre ans de débats, de négociations...

M. Richard Cazenave - Il était temps !

M. Jean Le Garrec - Vous interrompez une mobilisation sans précédent des représentants des salariés et un mouvement qui allait s'amplifiant. En effet, il y avait eu 38 000 signatures d'accords dans les huit premiers mois de 2001 ; il y en a eu 81 000 dans la même période pour 2002. C'est dire la dynamique qui était à l'_uvre...

M. Dominique Dord - Les entreprises n'avaient pas le choix !

M. Jean Le Garrec - Cette dynamique, vous la cassez ! D'ailleurs, les commentateurs ne s'y trompent pas, qui parlent les uns de « requiem pour les 35 heures », les autres de « loi inventée pour gommer les 35 heures ». Dans un élan de clarté et de sincérité, le Premier ministre a lui-même reconnu, le 6 septembre à Strasbourg, que les entreprises allaient pouvoir revenir aux 39 heures. C'est votre droit, en tant que majorité, d'en décider ainsi, mais pourquoi alors faire semblant de ne pas toucher au principe des 35 heures ?

Le baron Seillière a déclaré qu'à partir du moment où l'on autoriserait les entreprises à mettre en place les heures supplémentaires, on ne reviendrait plus là-dessus, et il ajoutait, avec son cynisme habituel, qu'il laissait aux politiques le soin de trouver les formules adéquates. Voilà qui est clair ! Ce que l'on nous présente comme provisoire en réalité durera.

Vous dites, Monsieur le ministre, que l'emploi est votre première préoccupation. Ce qui nous préoccupe, nous, c'est la baisse du nombre de CES, le devenir des emplois-jeunes et du programme Trace - croyez que nous serons vigilants sur tous ces points lors de la discussion de votre budget -, la fin des 35 heures, les allégements de charges sans contrepartie, la dégradation de la situation économique... Le Premier ministre nous assure qu'en 2010, l'inversion des flux démographiques réglera le problème du chômage...

M. Hervé Novelli - C'est vrai.

M. Jean Le Garrec - Non, c'est une vision malthusienne et erronée du problème. Sans parler du fait que c'est loin !

Ne vous en déplaise, Monsieur le ministre, je voudrais faire quelques références à notre histoire sociale, non par archaïsme mais parce qu'elle est instructive jusque dans ses balbutiements. La réduction du temps de travail est au centre de cette histoire depuis un siècle et demi.

M. Hervé Novelli - Oui, mais naturelle, pas forcée !

M. Jean Le Garrec - Dans son Journal d'usine en exergue duquel est placée cette belle phrase d'Homère « Bien malgré toi, sous l'empire d'une dure nécessité », la grande philosophe Simone Weil rend compte d'un tel mouvement de réduction du temps de travail : « On a un peu desserré l'étau de la contrainte sociale, on respire un peu mieux ».

M. Dominique Dord - Vous allez nous faire pleurer !

M. Jean Le Garrec - Si je la cite, ce n'est pas pour vous faire pleurer mais parce que cette histoire sociale est nôtre et constitutive de la République.

Face à ce mouvement de fond, ce sont les mêmes arguments qui reviennent : attention, on remet en cause la liberté des entreprises, on ne répond pas aux nécessités de l'économie ! L'histoire n'est qu'un éternel recommencement.

La réduction du temps de travail est une nécessité historique incontournable, compte tenu de ce qu'est le rapport de force avec les travailleurs.

M. Hervé Novelli - Nous ne sommes pas au XIXe siècle !

M. Jean Le Garrec - Mais c'est encore plus vrai aujourd'hui.

M. Francis Delattre - Vous défendez les bobos, vous ne savez pas ce qu'est un travailleur !

Mme Martine David - Vous êtes bien mal placé pour en parler, vous !

M. Jean Le Garrec - Je suis à votre disposition, Monsieur Delattre, pour vous raconter ma vie professionnelle.

A chaque tentative d'arracher une avancée en faveur des travailleurs, ce sont donc les mêmes mots qui reviennent. Lors du débat sur le travail des enfants,...

M. Dominique Dord - Revoilà Zola !

M. Jean Le Garrec - ...on a ainsi pu entendre M. Grandin, filateur à Elbeuf, affirmer qu'il n'y avait rien de plus vexatoire pour des honnêtes fabricants que de subir le joug d'une inspection. Un autre personnage déclarait qu'il ne fallait pas que les enfants vivent jusqu'à dix ans sans avoir contracté l'habitude salutaire du travail.

Plusieurs députés UMP - Réveillez-vous, nous ne sommes plus il y a deux siècles !

M. Jean Le Garrec - Oh, je me souviens d'avoir entendu, dans les années 1980, lorsque j'étais syndicaliste, des vieux salariés me raconter que lorsqu'ils avaient commencé à l'usine, on leur demandait de se cacher lors des inspections car ils n'étaient pas en âge d'avoir le droit de travailler.

Nous n'en sommes plus là aujourd'hui, je le sais bien, mais le problème s'est simplement déplacé vers les pays en voie de développement. Et dans nos pays, ce sont bien toujours les mêmes récriminations que l'on entend, de la part de certains, contre le poids excessif de l'inspection du travail, contre les prétendues atteintes à la liberté d'entreprise...

M. Kessler, inspirateur du MEDEF, estime que l'entreprise pourrait ne verser aux travailleurs qu'un salaire correspondant au prix du marché, à charge pour la solidarité nationale d'assurer le complément d'existence. Il exprime là tout haut une tentation assez répandue chez certains. On voit bien ce que serait le rôle du marché, compte tenu du déséquilibre actuel entre l'offre et la demande.

En ayant terminé avec les références historiques, je souhaite rappeler quelles intentions ont présidé à l'élaboration des lois Aubry 1 et 2. Et je ne le ferai pas sans rendre hommage au grand talent et au courage de Mme Aubry (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; sarcasmes sur les bancs du groupe UMP).

Nous avions deux objectifs. Le premier était de tenir compte des préoccupations des entreprises, mais aussi de l'évolution du rapport au travail. L'avènement de l'ère informatique a impliqué un effort considérable de la part des salariés, soumis à un stress permanent, facteur de nouvelles maladies professionnelles. Il était donc de l'intérêt vital des salariés de trouver une solution à un problème qui relève de l'ordre public social et de le faire par la négociation, le renforcement des organisations syndicales et la lutte contre la précarité. Notre deuxième objectif était de faire de la réduction du temps de travail l'un des instruments de la lutte contre le chômage.

M. Dominique Dord - Double fiasco !

M. Jean Le Garrec - Comment avons-nous procédé ? En multipliant les références à des études et le recours aux experts...

M. Francis Delattre - Cherchez l'erreur !

M. Jean Le Garrec - ...et en nous appuyant sur deux textes fondamentaux : l'accord interprofessionnel conclu le 31 octobre 1995 entre le CNPF et l'ensemble des organisations syndicales d'une part, la loi Robien sur la réduction du temps de travail d'autre part.

Que dit l'accord interprofessionnel de 1995 ? Qu'il incombe aux partenaires sociaux de rechercher les moyens de renforcer la compétitivité et la croissance, mais aussi d'améliorer le contenu de celle-ci en emplois. L'accord fait donc de la réduction du temps de travail l'un des éléments de la lutte contre le chômage, et encourage son développement par la négociation collective.

Cet accord, signé, je l'ai dit, par le CNPF et par l'ensemble des organisations syndicales, était donc un accord historique... si ce n'est qu'ensuite il ne s'est rien passé, ou si peu ! A peine quelques accords de branche, mais en si faible nombre que M. de Robien a considéré qu'il fallait pousser les feux. Il a donc présenté un texte mentionnant explicitement la réduction du temps de travail comme un élément important de la politique de l'emploi.

M. Dominique Dord - Elément facultatif !

M. Jean Le Garrec - Quel était l'objectif de la loi Robien ? D'inciter les entreprises à favoriser l'emploi, en aménageant et en réduisant le temps de travail par la voie conventionnelle. Une commission d'enquête, présidée par M. Rossinot et dont le rapporteur était M. Séguin, avait déjà constaté, en 1979, que le projet correspondait à une aspiration profonde des salariés, et estimé qu'il revenait à l'Etat d'encourager une telle orientation « en substituant la législation et la réglementation à des négociations défaillantes »...

Le Président Chirac a, quant à lui, salué l'initiative de M. de Robien en rendant visite à l'entreprise Brioches Pasquier, qui avait, grâce à la réduction du temps de travail, créé 220 nouveaux emplois. Le seul ennui, c'est qu'au rythme où se sont conclu les accords après l'entrée en vigueur de la loi, il aurait fallu trente ans pour atteindre les résultats que nous avons obtenus en quatre ans ! C'est pourquoi nous avons décidé d'accélérer un mouvement constant depuis 1945 mais interrompu depuis la fin des années 1980.

Il faut, d'autre part, cesser une fois pour toutes de prétendre qu'il n'y aurait pas eu de négociations préalables ! Bien au contraire, la loi Aubry 1 a donné lieu au plus formidable mouvement de négociations que nous ayons connu, et auquel « ont participé quelque cent mille représentants des salariés, au cours de travaux parfois longs de six mois, conclu le cas échéant par des référendums d'entreprise. En dépit de difficultés d'accès aux informations à l'intérieur des entreprises, les organisations syndicales ont fait preuve d'une grande rigueur et d'un grand sens des responsabilités, et les salariés ont témoigné d'une vraie solidarité collective à l'égard des chômeurs, auxquels ils considéraient donner une chance de retrouver un emploi.

C'est ainsi que la loi a été élaborée ; que personne ne prétende donc qu'elle serait le fruit des élucubrations de quelques esprits enfiévrés ! C'est un modèle social et économique sans précédent.

M. René Couanau - Et qui a échoué !

M. Jean Le Garrec - Il y a eu des désaccords entre nous. Je me rappelle en particulier un débat avec M. Gremetz, qui déplorait que la loi ne fixe pas le pourcentage de créations d'emplois requis. Peut-être avait-il raison... (M. Maxime Gremetz opine) mais nous étions convaincus, pour notre part, que la raison l'emporterait, dès lors que le chômage était au centre des préoccupations.

Monsieur le ministre, je partage certaines de vos analyses. Je pense, comme vous, que l'absence de dialogue social constructif est un problème majeur et, comme vous, je considère que les élections récentes ont révélé l'état de doute et de crispation de notre société. C'est, bien sûr, au premier tour de l'élection présidentielle que vous faisiez allusion, et ce que vous avez dit vaut tant pour le candidat que je défendais que pour le Président Chirac, qui était alors le candidat Jacques Chirac, et donc le score au premier tour a été le plus faible jamais obtenu par un candidat élu au second (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Un député UMP - Si votre candidat avait eu le même, il n'aurait pas été éliminé !

M. Jean Le Garrec - Je ne fais qu'expliciter les propos de M. le ministre, avec lequel je suis en plein accord. Pourquoi en êtes-vous choqués ? De la crispation sociale à laquelle il a fait allusion, nous sommes du reste les premières victimes, et vous pourriez reconnaître quelques mérites à tous ceux qui ont fait l'effort, difficile, de voter pour M. Chirac au second tour.

M. René Couanau - Reconnaître quelques erreurs, certainement, mais aucun mérite !

M. Jean Le Garrec - Mais trouverez-vous une autre explication aux négociations salariales qui ont abouti à de centaines de milliers d'accords et mis en _uvre par tant de représentants de salariés ? Il n'y a aucun précédent à une négociation sociale à laquelle l'ensemble des organisations syndicales ont participé - parfois avec un peu de retard -, pour aboutir à ce que 31 719 accords soient conclus au cours des huit premiers mois de 2001, et 87 839 au cours de la même période en 2002.

A-t-on déjà vu courbe plus ascendante ?

M. Dominique Dord - Mais les entreprises y étaient obligées !

M. Jean Le Garrec - On n'oblige jamais quelqu'un à négocier ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Une dynamique était en train de se créer, et voici que vous le cassez ! C'est bien un requiem pour les 35 heures ! Abaissement des charges sans contrepartie, augmentation du quota d'heures supplémentaires, réduction du coût des dites heures supplémentaires, limitation de l'obligation de compensation par le repos... J'insisterai, pour ma part, sur trois points, le SMIC, la durée annuelle et le compte épargne-temps.

S'agissant du SMIC, vous remettez en cause une partie de son indexation : vous gardez la référence à l'inflation, mais supprimez la référence à l'évolution du salaire horaire de base des ouvriers. Vous affirmez que cette mesure est provisoire, mais les déclarations du patronat laissent présager le contraire. Le système permettra certes de donner, pendant trois ans, un coup de pouce aux salaires, mais au-delà de 2005, il y a fort à craindre que vous repreniez d'une main ce que vous aurez donné de l'autre.

Quant à la durée même du travail, elle ne doit actuellement dépasser, ni 35 heures par semaine, ni 1 600 heures par an. Le projet de loi supprime la référence hebdomadaire, mais de quelle manière seront alors calculées les heures supplémentaires ? Votre texte est plein de risques potentiels pour l'ensemble des salariés.

Enfin, concernant le compte épargne-temps, vous indiquez qu'il est possible de prévoir des modalités de revalorisation en temps ou en argent, mais le temps et l'argent n'ont pas la même signification pour tout le monde. C'est pour nous une troisième source d'inquiétude !

En définitive, vous faites votre credo de l'abaissement du coût du travail. Celui-ci est certes l'un des éléments du problème de l'emploi, mais il n'est pas le seul : il y a aussi l'efficacité et la disponibilité du salarié, l'environnement des entreprises. Une étude d'Eurostat montre ainsi que, si l'on mesure la production par heure travaillée et la production par personne employée, la France arrive en tête devant l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, et le Royaume-Uni étant loin derrière. C'est donc une erreur de considérer que le seul élément de la compétitivité d'une entreprise est le coût du travail !

M. Richard Cazenave - Personne n'a dit que c'était le seul !

M. Jean Le Garrec - ...et je ferai état d'une étude récente de la DRIR qui montre, qu'autour de Lille, une centaine d'entreprises anglaises se sont installées pour créer 23 000 emplois. Quant à la formule de M. le Premier ministre, « que ceux qui veulent gagner plus puissent travailler plus » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) j'y répondrai que je n'ai jamais vu un salarié prendre seul la décision de travailler davantage (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. François Grosdidier - On voit que vous n'êtes pas allé dans une entreprise depuis longtemps !

M. Jean Le Garrec - On sait bien que c'est l'entreprise qui décide si l'on peut travailler plus et gagner plus ! (Mêmes mouvements)

J'ajoute qu'en agissant comme vous le faites, vous créez une formidable inégalité entre les 9 millions de salariés qui sont aux 35 heures, et ceux qui n'y passeront sans doute jamais - du moins avec vous.

M. François Grosdidier - Il y a des ouvriers qui ne peuvent plus payer leur maison !

M. Jean Le Garrec - Cette distorsion aura de graves conséquences, même si je pense, comme vous, que dans les grandes entreprises ayant signé des accords sur les 35 heures, il y a peu de risques de voir ces accords remis en cause. C'est différent pour les petites entreprises sous-traitantes.

M. Richard Cazenave - Parlez-nous plutôt de vos erreurs.

M. Jean Le Garrec - Je voudrais terminer par un bilan honnête de notre action, sans occulter les difficultés liées à cette réduction réussie du temps de travail. Ne chicanons pas sur les chiffres : nous ne sommes pas loin des 400 000 emplois promis lors de la discussion des lois Aubry (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), et même davantage si l'on tient compte des emplois induits, des emplois annexes, des emplois de services non mesurables.

Un député UMP - C'est pourquoi le chômage a augmenté !

M. Jean Le Garrec - Si ces emplois, auxquels s'ajoutent les emplois-jeunes, n'avaient pas été créés, le nombre de chômeurs aurait augmenté d'autant, et le bilan du gouvernement Jospin ne serait pas 960 000 chômeurs en moins, mais 300 000 chômeurs en plus !

M. François Grosdidier - C'est la croissance qui crée les emplois !

M. le Président - Messieurs, laissez M. Le Garrec reprendre son souffle et continuer.

M. Jean Le Garrec - Les interruptions de nos collègues ne me troublent guère et me permettent de me désaltérer... (Sourires)

Voilà donc notre bilan, et j'attends encore qu'on me montre une entreprise en difficulté par le seul effet des 35 heures ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Nous savions que la réduction du temps de travail serait difficile, notamment pour les petites entreprises. Le petit chef d'entreprise, Maître Jacques pris entre la production, la commercialisation et les relations avec les sous-traitants ou fournisseurs, en oublie parfois son entreprise. Que la négociation des 35 heures l'ait contraint à se pencher sur son fonctionnement n'est pas le moindre intérêt des lois Aubry. A travers la mobilisation de leurs salariés, les entreprises ont ainsi contribué à créer une utile dynamique de développement. Je puis en parler, car cela a longtemps été mon métier (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Les résultats ont certes pu pâtir, çà et là, de la nature de l'accord ou de la rigidité d'un certain patronat. Certaines entreprises ont voulu compenser par la productivité ce qui avait été donné par la réduction du temps de travail...

Un député UMP - Heureusement !

M. Jean Le Garrec - Nous avons conscience que l'équilibre de l'accord n'était pas entièrement garanti et que l'effort demandé aux salariés ne pouvait perdurer : dans bien des entreprises, en effet, ils ont payé cher cette contribution à la lutte contre le chômage. J'en veux pour preuve un remarquable livre, fruit de dix ans d'enquête à Sochaux et Montbéliard, intitulé « Retour à la condition ouvrière ». Ses auteurs mettent en évidence une réalité bien antérieure aux 35 heures : des jeunes bien souvent en rupture avec le monde du travail, le déclin du rôle des OP, qui furent longtemps le fer de lance du mouvement ouvrier, parfois la disparition même de l'identité ouvrière. Cette enquête, souvent déchirante, devrait nous inciter à la plus grande modestie. Voilà pourquoi nous faisons de nouvelles propositions...

M. François Grosdidier - L'appropriation collective des moyens de production ?

M. Jean Le Garrec - Le Gouvernement compte dans ses rangs au moins un ministre, M. Francis Mer, qui ne peut que se féliciter de la nationalisation de la sidérurgie en 1981 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Pour en revenir à notre sujet, j'attache une grande importance à notre première proposition : revoir l'architecture des cotisations patronales. Tant que nous ne les recentrerons pas sur les entreprises à forte valeur ajoutée, nous n'avancerons pas. Certes, le débat est difficile, il divise la gauche, mais je m'engage à m'y atteler. Il y a aussi la question du suivi des accords, du rôle de l'inspection et de la médecine du travail, de la prise en compte des nouvelles conditions de travail. Ou encore l'indispensable réflexion à mener sur le temps social : le temps ne revêt pas la même signification, en effet, pour le cadre d'une entreprise high tech passée aux 35 heures que pour l'OS de chez Peugeot. La réflexion sur le temps social sera au c_ur du débat politique dans les années à venir, et je me félicite à cet égard que la nouvelle municipalité de Paris ait créé un bureau des temps... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. François Grosdidier - Un bureau de quoi ?

Un député UMP - De la pluie et du beau temps !

M. Jean Le Garrec - Si la majorité des salariés passés aux 35 heures souhaitent que l'on ne touche pas à cette réforme, les positions varient selon la fonction occupée dans l'entreprise, selon la nature de celle-ci ou même selon le sexe. Cette différenciation des comportements est un élément fondamental, qui s'explique aisément.

Voilà pourquoi nous avons voulu cette réforme, voilà pourquoi nous sommes en désaccord avec votre texte. La fierté que nous tirons de notre bilan ne nous empêche pas d'être lucides sur ses faiblesses. Croyez bien, Monsieur le ministre, que le débat n'est pas clos et que je fais mienne la formule d'Edgard Morin : « A force de repousser l'essentiel au nom de l'urgence, on oublie l'urgence de l'essentiel ». Nous nous engageons à poursuivre le débat sur cet essentiel.

Toute motion de procédure est évidemment une tribune pour l'opposition. Mais je considère vraiment ce texte comme dangereux et irrecevable, car il crée une extrême inégalité entre les salariés qui sont aux 35 heures et les autres. Cela se vérifie tant à l'article 6 sur l'exonération des charges sociales qu'à l'article 3, relatif aux dispositions transitoires, et que dans l'ensemble du texte, qui remet en cause le principe constitutionnel de l'égalité devant le travail. Je me suis exprimé au nom de mes convictions et de mon expérience. S'il n'existe aucune réponse toute prête au problème de l'emploi, au moins avons-nous essayé d'apporter la nôtre. Je vous le dis, vous prenez un risque politique et un risque social.

M. Francis Delattre - Le risque de la réussite !

M. Jean Le Garrec - Vous risquez de briser des outils favorables à l'emploi, en un temps où la confiance est essentielle à la croissance, où les licenciements se multiplient, où nombre d'entreprises disparaissent. Nous risquons une dramatique aggravation du chômage et vous pourrez moins que jamais répondre que c'est la faute aux 35 heures. Membre d'une grande fédération socialiste et élu d'une grande région ouvrière, je connais la valeur du travail. La situation que vous créez m'inquiète vraiment et c'est pourquoi je demande à mes collègues de voter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Ministre - La première fois que je vous ai entendu dans cette assemblée, en 1981, vous défendiez avec le même talent la nationalisation de notre appareil de production et de notre système bancaire. Vous n'avez pas changé. Membre, comme vous le rappeliez, d'une grande fédération, sans doute allez-vous pencher du côté du « Nouveau Monde »... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Au moins votre démonstration aura-t-elle clarifié le débat entre notre politique et la vôtre, qui n'a pas donné les résultats que vous escomptiez et qui a été jugé par nos concitoyens.

Je souhaite clarifier certains points. Vous avez prétendu que les allégements de charges accordés par les gouvernements Balladur et Juppé pour soutenir l'emploi avaient coûté plus cher que les 35 heures. Or, selon les statistiques de la DARES et de l'INSEE, ces allégements ont permis de créer 500 000 emplois pour un coût de 7,5 milliards d'euros, alors que la réduction du temps de travail n'a créé que 300 000 emplois -si tant est même que l'on accepte ce chiffre pour un coût de 6,3 milliards d'euros. Preuve, s'il en était besoin, que nos allégements de charges, qui portaient essentiellement sur les bas salaires, étaient plus créateurs d'emplois que vos 35 heures ! Et ce, sans parler des emplois qui n'ont pas été créés en raison même de vos choix politiques, idéologiques, en matière d'organisation du travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

J'aurais également dit, selon vous, lors des questions au Gouvernement tout à l'heure, que les minima sociaux avaient diminué lorsque vous étiez au pouvoir. Non, j'ai seulement dit que le pouvoir d'achat des salariés les plus modestes, en particulier des smicards, avait diminué en valeur absolue. En augmentant les minima sociaux, ce dont je vous donne acte, tout en réduisant le pouvoir d'achat des bas salaires, vous avez d'ailleurs contribué à créer une situation explosive dans le pays, ceux qui travaillent dur pour un petit salaire ne comprenant pas qu'à côté d'eux, certains disposent des mêmes revenus qu'eux sans travailler (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). C'est ainsi que l'on fait le lit de tous les extrémismes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Ce problème est au c_ur de la crise politique qui a culminé en avril dernier.

Vous avez aussi critiqué la rapidité avec laquelle ce gouvernement a proposé une nouvelle politique de l'emploi pour contrer l'échec de la vôtre. Je le prends comme un hommage, qui me permet d'ailleurs de dire à ceux qui trouvaient que je n'allais pas assez vite que j'avais donc sans doute le bon rythme !

Vous avez défendu l'idée que la droite est la droite et la gauche la gauche, ce que je vous accorde volontiers, mais aussi celle que la gauche a toujours été à l'origine des conquêtes sociales quand la droite n'aurait fait que s'y opposer. C'est oublier notre rôle dans la mise en place de notre système de protection sociale, dans les grandes lois de 1970 sur l'hôpital, de 1975 sur les handicapés ou encore de 1971 sur la formation professionnelle. C'est oublier aussi la responsabilité du Front populaire dans l'effondrement de la nation française elle-même en 1940 (Très vives protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Gérard Bapt - Vous dérapez !

M. Christian Bataille - C'est le retour de Vichy !

M. le Ministre - Vous avez ensuite cherché à appeler la loi Robien au secours des lois Aubry. Contre-sens ! La loi Robien, comme vous l'avez vous-même rappelé, permettait aux entreprises et aux branches de négocier une réduction du temps de travail adaptée à leur activité. Vous avez fait tout le contraire en l'imposant uniformément à l'ensemble de l'économie française.

Nous ne renonçons pas à la réduction du temps de travail, vous le savez très bien, nous souhaitons seulement redonner aux partenaires sociaux les espaces de liberté dont vous les avez privés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Vous avez cherché à démontrer que les 35 heures ont été à l'origine d'un formidable élan en matière de négociation sociale. C'est oublier la façon dont les lois ont été imposées, y compris aux partenaires sociaux. Le Conseil constitutionnel lui-même a dû vous rappeler en janvier 2000 le principe de la liberté conventionnelle, que la deuxième loi Aubry bafouait. C'est oublier surtout les conditions dans lesquelles les 35 heures ont été négociées dans beaucoup d'entreprises et que les organisations syndicales elles-mêmes dénoncent aujourd'hui. Vous avez fait allusion à votre expérience de chef d'entreprise et d'élu local. Elu local moi aussi, mais de l'Ouest, je vois ce que sont devenues les conditions de travail des salariés de l'agro-alimentaire après la signature des accords de réduction du temps travail : salaires diminués, flexibilité accrue, rythme de travail accru (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Enfin, vous avez voulu faire croire que, s'agissant du SMIC, nous ne faisions qu'appliquer la loi Aubry. Or, celle-ci, dans son article 32, prévoyait que le Gouvernement, après consultation de la commission nationale de la négociation collective, remettrait au Parlement avant le 31 décembre 2002 « un rapport retraçant l'évolution des rémunérations des salariés au SMIC bénéficiant de la garantie prévue et précisant les mesures envisagées pour rendre cette garantie sans objet au plus tard le 1er juillet 2005 ». Il n'y a pas là-dedans le moindre début de commencement d'une solution aux problèmes de la multiplicité des SMIC (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mais je n'ai finalement rien trouvé de mieux pour vous répondre que de vous rappeler les propos de certains de vos amis sur la réduction du temps de travail. Jack Lang s'emportait devant les risques d'une législation trop rapide et d'une application trop rigide. Bernard Kouchner reconnaissait en juin dernier que la façon dont les 35 heures ont été mises en place et ressenties a été « une cause forte de l'échec de la gauche » (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). « Personne durant la campagne n'a jamais défendu les 35 heures devant moi, sauf les cadres supérieurs », ajoutait-il, avant de conclure que la réduction du temps de travail aurait dû être discutée sur plusieurs années. Ségolène Royal estime, pour sa part, que les 35 heures ont « dégradé un peu plus les conditions de travail du monde salarié défavorisé » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste). Henri Emmanuelli relève que l'adoption de la deuxième loi Aubry a entraîné des baisses de salaires pour les salariés moyens et modestes : peu importe, pour eux, dit-il, à quoi elle est due, ils voient seulement le résultat ! Marie-Noëlle Lienemann déclare, quant à elle, que les 35 heures, qui devaient être « une grande avancée de la gauche », ont « vite tourné au vinaigre ». « Le mécanisme des cinq SMIC mériterait de figurer au livre des records », ajoute-t-elle, « une artillerie lourde a été inventée, rompant avec le principe : à travail égal, salaire égal » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste). Anticipant les conséquences de cette multiplication des SMIC, Maxime Gremetz réclamait, pour sa part, dès 1999, une hausse de 11,4 % du taux horaire du SMIC. Quant à Claude Allègre, il a avoué n'avoir « jamais été un fana des 35 heures : le même temps de travail pour tous a quelque chose de bizarre et de trop systématique ». Jean-Pierre Chevènement s'est déclaré de son côté favorable à un assouplissement général des 35 heures. Enfin, Laurent Fabius a observé, en décembre 2000, que devant la diversité de la situation des entreprises, la réponse ne peut être la même pour toutes : « Des lois ont été votées ; on ne les annulera pas, mais nous devons certainement traiter les situations diverses avec souplesse » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Eh bien, c'est exactement ce que ce gouvernement a décidé de faire !

Quant à votre argumentation sur l'anti-constitutionnalité de ce texte au motif d'inégalités de traitement des salariés, Monsieur Le Garrec, elle ne tient pas. Outre qu'elle n'est pas fondée juridiquement dans la mesure où nous avons prévu un mécanisme progressif d'harmonisation, permettez-moi de vous faire observer que ce sont les lois Aubry elles-mêmes qui ont créé ces inégalités. Qui a jamais pensé que les agriculteurs, les professions libérales, les travailleurs indépendants auraient un jour droit aux 35 heures ? Alors que vous avez, vous, créé des inégalités, nous allons, nous, harmoniser les situations par la négociation et la concertation (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - M. Ayrault m'a demandé la parole pour un rappel au Règlement fondé sur l'article 58, alinéa 3.

M. Jean-Marc Ayrault - Qu'il existe une profonde divergence entre la gauche et la droite sur les 35 heures ne surprendra personne. Le débat qui s'ouvre le montrera. Ce débat, nous le souhaitons clair et digne. Si chacun doit pouvoir défendre son point de vue, de façon que l'opinion soit éclairée, cela n'autorise pas les dérapages comme celui auquel nous venons d'assister (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Au nom du groupe socialiste, je dois dire que nous sommes profondément choqués (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Monsieur le ministre, vous avez des convictions politiques, c'est votre droit. Mais je n'accepte pas que vous vous livriez aller à des facilités telles que sortir de leur contexte telle ou telle citation (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Surtout, nous avons assisté, à travers vos propos, à un procès qui est celui du Front populaire. Il n'est pas acceptable d'entendre reprendre à cette tribune les arguments qui faisaient de la semaine de 40 heures un encouragement à la paresse et la cause de la défaite de 1940 !

C'est profondément scandaleux et c'est pourquoi je demande une suspension de séance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Président - La suspension est de droit.

La séance, suspendue à 19 heures, est reprise à 19 heures 5.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Maxime Gremetz - Les députés du groupe communiste ont bien écouté la motion de M. Le Garrec et votre réponse, Monsieur le ministre.

Je ne suis pas gêné que vous m'ayez cité. J'ai toujours dit qu'il fallait revoir la loi sur la réduction du temps de travail. Mais entendons-nous bien : il faut la revoir à cause des difficultés qui ont surgi dans sa mise en _uvre - annualisation, flexibilité, pertes de salaire, etc. Il s'agit de l'améliorer, pas de la modifier dans le sens où vous le souhaitez, vous.

Je rappelle que les députés communistes avaient déposé une proposition de loi réduisant la durée du travail sans diminution de salaire. Nous nous sommes battus , dans le cadre de la gauche plurielle, pour que cette loi voie le jour. Et je dois dire que la première loi Aubry nous convenait plutôt bien : elle était précise et ne pouvait pas donner lieu à des interprétations divergentes de la part des employeurs et des salariés. Nous avons même dit, à l'époque, que c'était un progrès de civilisation, et que la réduction du temps de travail était un processus historique que personne ne peut arrêter.

Cette loi avait plusieurs objectifs : permettre de vivre autrement, créer des emplois, améliorer l'organisation du travail et la démocratie sociale. Nous l'avons votée et nous aurions souhaité qu'elle s'applique aussi à la fonction publique. Nous étions également pour une mise en application rapide à toutes les entreprises, afin d'éviter les inégalités de traitement que l'on a constatées selon la taille des entreprises.

Et puis est venue la deuxième loi, qui a fait l'objet de beaucoup de critiques et contre-propositions de notre part. Nous avons plaidé pour une harmonisation des SMIC par le haut et déposé, effectivement, un amendement qui aurait évité bien des problèmes et que nous allons défendre à nouveau aujourd'hui.

Monsieur le ministre, j'ai lu avec attention votre interview dans Les Echos de ce matin. Vous y affirmez que la durée hebdomadaire de 35 heures va rester inscrite dans la loi. C'est faux : elle n'y est pas inscrite à moins que vous n'acceptiez l'amendement que nous proposons.

Dans ce même entretien, Monsieur le ministre, vous dites que les exonérations de charges patronales vont représenter plus de 6 milliards d'euros. C'est une raison de plus pour voter pour l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jacques Barrot - Notre désaccord est très profond, en effet, Monsieur Ayrault. M. Le Garrec a évoqué tout à l'heure les deux objectifs du précédent gouvernement. Je suis convaincu, en mon âme et conscience, que ce dernier s'est trompé deux fois. D'abord parce qu'on ne reconquiert pas l'emploi par une approche malthusienne consistant à accepter de voir l'activité de son pays diminuer et à se partager les miettes de travail qui restent. L'emploi est, en vérité, la résultante de l'investissement et de la formation. C'est d'ailleurs l'un des péchés des lois Aubry que de n'avoir pas lié la réduction du temps de travail à un accroissement de la formation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) ; nous disposerions maintenant d'un merveilleux rempart contre le chômage. Ensuite parce que l'amélioration de la vie des travailleurs ne passe pas nécessairement ou seulement par une réduction du nombre d'heures travaillées. Il faut aussi se soucier des conditions de travail et des rémunérations, et nous n'avons pas, nous politiques, à choisir à la place des travailleurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Le présent projet mettra fin à plusieurs dérives : l'accroissement des rigidités dans les entreprises qui les empêche de saisir de nouveaux marchés, la baisse de pouvoir d'achat des salariés, la démotivation de ceux qui finissent par considérer que le travail ne peut pas être le lieu de l'épanouissement personnel.

Avec vous, Monsieur le ministre, nous allons vers une revalorisation sans précédent des bas salaires (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Elle s'accompagnera des mesures nécessaires pour éviter que le coût de revient du travail n'affaiblisse la compétitivité des entreprises. Dans trois ans, il n'y aura plus qu'un seul SMIC, aligné par le haut (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Martine David - Si ce n'est pas de l'autosatisfaction, ça !

M. Jacques Barrot - Avec vous, Monsieur le ministre, nous allons aussi vers la simplification et la souplesse, ainsi que vers plus de négociation, étant entendu qu'il appartient à la loi de fixer les règles, à charge pour les partenaires sociaux de déterminer ensuite les modalités d'application.

Je suis convaincu que l'avenir de l'emploi passe par la croissance, le développement, la recherche, la formation des personnels. L'avenir du travail, ce n'est pas le temps réduit mais le temps choisi. Nous marcherons vers le véritable horizon du progrès (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

M. Baroin remplace M. Debré au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

Mme Hélène Mignon - Le groupe socialiste votera l'exception d'irrecevabilité car il n'accepte pas le démantèlement des lois sur la RTT. Cette attaque contre les 35 heures ne nous surprend pas - nous nous souvenons en effet des discours de l'opposition d'alors - mais tout de même, comment ignorer à ce point les effets positifs des lois Aubry ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Près de 60 % des salariés concernés ont le sentiment que leur situation s'est améliorée grâce à elles, 15 % seulement font état d'une dégradation. La création d'emplois, le sauvetage de certaines entreprises, le dialogue social noué ou renoué, et parfois la réorganisation du travail ne sont pas des résultats négligeables, non plus que les effets du temps libéré sur les relations familiales et sociales. Sans parler de l'impact économique sur la sphère du loisir...

Fin 2001, 8,6 millions de salariés travaillent dans des entreprises ayant procédé à une réduction négociée du temps de travail, soit 53 % des salariés des secteurs concurrentiel et associatif.

Le passage aux 35 heures n'a évidemment pas ruiné l'économie française (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Au contraire, durant les quatre dernières années, la France a connu une croissance inférieure à celle de ses principaux partenaires européens. Près de 2 millions d'emplois ont été créés durant cette période, et il y a eu 900 000 chômeurs en moins.

Les salariés ne demandent pas la suppression des 35 heures, mais simplement des ajustements en vue d'une réelle égalité. Ecoutez-les, Monsieur le ministre !

L'harmonisation du SMIC, telle que vous la proposez, est un leurre car l'écart avec les salariés restés aux 39 heures va se maintenir. Le SMIC aligné par le haut, il n'y a que M. Barrot qui y croie !

En réalité, ni la relance de l'emploi, ni l'amélioration du pouvoir d'achat ne sont à l'ordre du jour de l'actuelle majorité. Nous avions quant à nous, depuis 1997, fait augmenter le pouvoir d'achat des smicards de la valeur d'un treizième et même d'un quatorzième mois.

Ce projet aura des effets négatifs sur l'emploi, des conséquences sociales inacceptables et des résultats néfastes pour l'économie. L'une de vos réflexions, Monsieur le ministre, me fait même craindre une remise en cause de la loi sur les exclusions...

Nous devions tout faire pour que tous les salariés accèdent aux 35 heures dans les meilleures conditions. Or, avec ce texte, vous figez les situations et vous pérennisez les inégalités entre salariés (Claquements de pupitres sur les bancs du groupe UMP).

Nous nous y refusons et nous voterons donc l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Christophe Lagarde - La loi Robien, que le groupe UDF avait soutenue, possédait un grand mérite : se fonder sur la contractualisation et permettre toutes les adaptations. Après 1997, les 35 heures ont, elles, représenté un carcan rigide et inégalitaire. Elles empêchent beaucoup de gens qui le souhaiteraient - y compris les fonctionnaires de nos collectivités locales - de travailler plus. Vous le leur refusez par pure idéologie, de même que vous refusez, en défendant cette exception d'irrecevabilité, que 500 000 personnes payées au SMIC gagnent 11,4 % de plus, soit plus qu'un treizième mois. C'est une lourde responsabilité que vous prenez là vis-à-vis de l'électorat populaire de ce pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Mme Lienemann - que vous n'aimez plus (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) - reconnaissait d'ailleurs que l'échange « RTT contre flexibilité » était une stupidité dangereuse, qui a conduit à une réduction des salaires alors que, disait-elle, « nous avions promis exactement le contraire ». Permettez-moi aussi de citer - au risque de le fâcher - M. Ayrault, qui déclarait le 22 décembre 2001 : « La droite mettra en cause les 35 heures si elle revient au pouvoir, directement ou par des subterfuges. La présidentielle sera sur ce point un référendum ». Eh bien, si la présidentielle a été le premier référendum, l'élection dans la cinquième circonscription du Nord en a été un autre (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Nous voterons contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

A la majorité de 162 voix contre 125 sur 287 votants et 287 suffrages exprimés, l'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 30.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE


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