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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 2ème jour de séance, 4ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 2 OCTOBRE 2002

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

      SALAIRES, TEMPS DE TRAVAIL
      ET DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI (suite) 2

      QUESTION PRÉALABLE 2

      EXPLICATIONS DE VOTE 12

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

SALAIRES, TEMPS DE TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Gaëtan Gorce - L'emploi, toujours l'emploi et encore l'emploi ! Telle devrait être l'obsession de tout gouvernement et en particulier du vôtre, à l'heure où la situation ne cesse de se dégrader et où chaque jour apporte son lot de plans sociaux. Le nombre de demandeurs d'emploi progresse sur un rythme analogue à celui constaté au début des années 1990 et selon la plupart des analystes, il est à craindre que 2002 soit dans la zone euro une année de croissance zéro.

Dans ce contexte, la politique de l'emploi devient peut-être une affaire trop sérieuse pour être laissée au ministre des affaires sociales ! Le temps est cependant venu, Monsieur le ministre, de nous expliquer quel sera l'effet direct sur le nombre de demandeurs d'emploi, de votre politique de démantèlement des 35 heures et d'allégement des cotisations sociales.

Je préfère du reste parler de cotisations plutôt que de charges car les dépenses afférentes viennent directement financer la solidarité nationale. Nous attendons vos éclaircissements : de quelle manière les 15 milliards d'euros d'allégement de cotisations prévus dans votre dispositif - et cela sans contrepartie en termes d'aménagement du temps de travail - profiteront-ils à l'emploi dans notre pays ? Les mêmes qui se montrent aujourd'hui si évasifs, nous sommaient hier d'évaluer à l'unité près l'effet du moindre franc engagé dans la dynamique de réduction du temps de travail. Puisque la question de l'emploi est devenue centrale pour le Premier ministre, dîtes-nous quel effet aura votre politique sur la courbe du chômage ! Et je vous le demande : qui fait preuve de dogmatisme ? Nous, qui avons su jouer sur tous les leviers de l'emploi entre 1997 et cette année ? Ou vous, qui vous abritez derrière le remède unique de la baisse des cotisations sociales ? Au reste, Martine Aubry a toujours été favorable à la maîtrise du coût du travail et le gouvernement de Lionel Jospin, loin de supprimer la ristourne Juppé, l'a complétée. Mais la majorité et le gouvernement d'alors ont su bâtir une politique de l'emploi cohérente et diversifiée reposant sur la maîtrise des cotisations sur les bas salaires, les emplois-jeunes, le soutien à la consommation, à l'innovation et à l'investissement.

M. Jean Le Garrec - Très juste !

M. Gaëtan Gorce - Nous n'avions pas alors un seul fer au feu...

Plusieurs députés UMP - Où sont les résultats ?

M. Gaëtan Gorce - Les résultats sont là : deux millions d'emplois créés en cinq ans, soit mieux que partout en Europe ! Certes, nous connaissons un ralentissement mais cela justifie-t-il de démanteler des dispositifs qui ont fait la preuve de leur efficacité - CES, CEC, programme TRACE - et d'annihiler les 35 heures ? Plutôt que d'offrir des baisses d'impôt qui profiteront à l'épargne plutôt qu'à la consommation, ne valait-il pas mieux agir comme nous l'avons fait en 1997 en relevant le SMIC et en quadruplant l'allocation de rentrée scolaire ?

Au lieu de proposer une politique de l'emploi volontariste et cohérente, vous vous contentez de convoquer les uns après les autres les instruments de notre politique pour les remettre en cause. Il en va ainsi des 35 heures, obtenues au terme d'un processus continu de négociation...

M. Jean Dionis du Séjour - Et de grèves !

M. Gaëtan Gorce - ...engagé dès 1998 et qui a donné lieu à un débat public comme notre pays n'en connaît que trop rarement. Peut-on annuler d'un trait de plume cinq années de négociations ? Est-ce là votre conception de la concertation ? Il est vrai qu'à cet égard, vos première initiatives n'augurent rien de bon. La commission nationale de la négociation collective n'a pas été consultée sur les dispositions relatives aux heures supplémentaires, la négociation par branche reste hypothétique, vos projets de décret n'ont pas été présentés à la représentation nationale et nous n'avons échappé à l'urgence que parce que vous étiez assuré du vote conforme du Sénat. Toutes les forces de la majorité ont en outre enfilé les godillots du RPR puisqu'aucun amendement n'émane de vos rangs...

Plusieurs députés UMP - Le texte était parfait ! (Sourires)

M. Gaëtan Gorce - Assurément, la consigne a été respectée mais cela en dit long sur la qualité du débat et la concertation à venir. Au regard des dizaines de milliers d'accords conclus dans lesquels se sont investis autant de négociateurs, vous n'y mettez guère la manière !

La RTT mérite mieux qu'une exécution sommaire au terme d'un jugement expéditif. Il est vrai que vous avez fort à faire pour contenir un attelage où beaucoup aspirent à jouer le rôle du postillon ! Et il me revient à l'esprit la formule déjà citée de M. Seillière « A défaut d'avancer dans le bon sens, ce gouvernement recule dans la bonne direction ».

M. Le Garrec les ayant brillamment exposés tout à l'heure, je me contenterai de rappeler brièvement les éléments du dossier. Vous proposez de relever de 130 à 180 heures le contingent des heures supplémentaires. Anodine en apparence, la mesure aboutit à un véritable déplafonnement. Certes - et je veux y voir un hommage de votre part -, vous vous gardez bien de toucher à la référence légale aux 35 heures de travail hebdomadaire. Mais alors, où est la cohérence ? Comment peut-on à la fois imputer tous les maux de l'économie nationale aux 35 heures, en brosser un portrait apocalyptique et ne pas les remettre en cause ? Vous préférez la méthode du contournement : 180 heures, cela correspond à environ quatre heures de plus par semaine. Voilà le moyen que vous avez trouvé pour en revenir à la semaine de 39 heures !

Le respect de la référence légale ne sera plus garanti, puisque vous coupez le lien entre le bénéfice des allégements et la conclusion d'un accord. Les entreprises n'ont plus intérêt à réduire le temps de travail. En 1999 et 2000, vous nous reprochiez de ne pas respecter les accords de branche et d'entreprise. Quand nous en changions la lettre, c'était qu'ils dérogeaient aux principes de l'ordre public social.

M. Jean Le Garrec - Très bien !

M. Gaëtan Gorce - Pour le reste, ils ont été validés. Vous proposez quant à vous d'accorder aux entreprises des allégements sans conditions. Or, les cent mille accords appliqués reposaient sur des contreparties. Remettre en question la réduction du temps de travail, c'est remettre en question le contrat lui-même. Vous faites une sérieuse entorse au principe de la liberté contractuelle.

Votre souci apparent de respecter la référence légale masque votre volonté de dépecer la loi sur la réduction du temps de travail, au mépris des accords signés par les partenaires sociaux.

En relevant à 180 le contingent d'heures supplémentaires, vous laissez croire qu'il n'était pas possible de recourir aux heures supplémentaires. Ce n'est pas le cas. Le contingent actuel de 130 heures est un acquis des années 1981-1982, il résulte d'une négociation. Des conventions de branche autorisent un dépassement de ce contingent mais, dans ce cas, l'entreprise doit accorder au salarié un repos compensateur de 100 %.

M. Jean Le Garrec - Eh oui !

M. Gaëtan Gorce - Le salarié qui travaille au-delà du seuil a droit à un repos intégral. Et la limite est d'ordre public : sa définition ne relève pas de la négociation, afin de protéger le salarié. Non contents de modifier la limite, vous tentez de renvoyer sa définition aux accords de branche. Ainsi, le seuil ne serait plus le même d'une branche à l'autre.

En outre, vous portez atteinte au taux de rémunération des heures supplémentaires, qui passera de 25 à 10 % dans les entreprises de moins de 20 salariés. Dans ce domaine encore, des garanties fondamentales entrent dans le champ de la négociation. Comment demander aux organisations syndicales de négocier une rémunération des heures supplémentaires inférieure au seuil légal ?

Par ailleurs, l'usage et le bon sens voudraient que de telles dérogations soient accordées en échange de certaines contreparties. Ce n'est pas le cas dans votre texte : le salarié renonce à tout sans recevoir aucun avantage en retour.

Vous ne vous contentez pas de rogner les garanties sociales des salariés : vous supprimez toute incitation à la réduction du temps de travail, en dissociant les allégements de la conclusion d'un accord. Or, la perspective des allégements était un élément moteur de la négociation. Vous indiquez aux entreprises qui ne sont pas passées aux 35 heures qu'elles n'ont plus intérêt à négocier. Plus grave, les allégements profiteront à toutes les entreprises, qu'elles aient ou non réduit le temps de travail. Celles qui ont fait l'effort de négocier sont deux fois pénalisées : non seulement elles ne sont pas récompensées, mais le montant des aides qu'elles perçoivent diminuera au-delà de une fois et demie le SMIC (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Vous supprimez en effet l'aide fixe de 4 000 F et vous réduisez l'aide dégressive, en descendant le plafond de 1,8 à 1,7 fois le SMIC. Ainsi, à partir de 1,5 fois le SMIC, les entreprises passées aux 35 heures y perdent. Je suis curieux de connaître vos motivations. J'ai peur qu'elles se résument à la volonté de remettre en question les 35 heures

Le mécanisme que vous proposez est d'autant plus pervers que les salariés eux-mêmes n'auront plus intérêt à passer aux 35 heures. L'augmentation du SMIC horaire dont ils vont bénéficier sera reprise par le système de la garantie mensuelle.

Ainsi, vous découragez à la fois les entreprises et les salariés. Vous qui parlez d'un « assouplissement » de la loi, vous devriez revoir votre lexique : le terme d'anéantissement serait plus proche de la réalité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Vous créez par ailleurs un système à deux vitesses.

M. René André - Le vôtre en comptait cinq !

M. Gaëtan Gorce - Les professionnels, qui se réjouissaient de l'assouplissement annoncé, craignent maintenant que certains secteurs soient pénalisés. Selon le Centre des jeunes dirigeants, dans un article de Liaisons sociales, quand la croissance reprendra, les entreprises seront plus tentées d'utiliser le contingent élargi d'heures supplémentaires que de recruter. Et, fait valoir la CAPEB, les entreprises passées aux 39 heures seront en compétition avec celles qui resteront aux 35 heures. Vous pérennisez une situation qui n'était que provisoire dans le dispositif de 2000. Comment allez-vous désormais inciter les entreprises qui ne sont pas passées aux 35 heures à le faire d'ici 2005 ? Elles n'y ont plus le moindre intérêt.

Enfin, la loi du 19 janvier 2000 distinguait les cadres associés à l'horaire collectif et les cadres dirigeants bénéficiant d'un forfait, parce que leur temps de travail ne pouvait être « prédéterminé ». A cette dernière notion, vous substituez celle d'autonomie. Des centaines de milliers de cadres, qui n'ont pas de réelle responsabilité de décision, vont ainsi passer au forfait jour, dérogeant aux durées maximales de travail.

M. Jean Le Garrec - C'est un point très important.

M. Gaëtan Gorce - Il est très important pour les cadres. A entendre le ministre, les 35 heures n'ont bénéficié qu'aux cadres. Que cela leur ait bénéficié n'est déjà pas rien. Discutez avec leurs représentants, vous verrez que c'était une revendication forte dans cette catégorie soumise à des horaires moyens de 45,50 heures, voire plus, en dehors de toute légalité. En fait, la référence à « l'autonomie » est tellement vague, qu'il n'y aura plus de règle stricte. Une telle disposition est contraire à la directive du 23 novembre 1993 qui fait de l'absence de prédétermination du temps de travail un des critères pour définir les cadres.

A ces éléments essentiels que je viens d'évoquer, s'ajoutent de petites mesquineries. Ainsi vous voulez transformer le compte épargne-temps en argent, sans qu'on sache d'ailleurs dans quelles conditions ; vous remettez en cause la durée moyenne hebdomadaire de 35 heures en cas d'annualisation. Ce ne serait donc plus le seuil normal au-delà duquel on compte les heures supplémentaires ? Nous aimerions des réponses.

Face à ces arguments, vous persistez à répondre qu'il ne s'agit que d'assouplissement. Le Premier ministre n'a pas votre art de la rhétorique. A Strasbourg, il a bien dit qu'on allait revenir aux 39 heures. M. Seillière a été écouté. L'un dit qu'il faut assouplir, l'autre qu'il faut supprimer les 35 heures. C'est Dupont et Dupond ! Le Premier ministre, en parlant de « revenir aux 39 heures », semble considérer qu'un certain nombre de situations acquises dans le cadre des 35 heures pourraient être remises en question.

M. Jean Le Garrec - C'est une phrase clé !

M. Gaëtan Gorce - Absolument.

S'agissant d'une remise en cause aussi radicale des 35 heures, vous devez engager le débat sur le fond avec le Parlement.

M. René André - C'est ce que nous faisons.

M. Gaëtan Gorce - Non, vous esquivez en parlant d'assouplissement. Dites la vérité : vous ne voulez plus des 35 heures. Les Français ne ressentent pas les choses comme vous. Aucun salarié passé aux 35 heures n'accepterait qu'on remette en question la réduction du temps de travail, croyez-le bien.

Plusieurs députés UMP - Faux.

M. Gaëtan Gorce - Tentez donc l'expérience ! Pour l'instant, les 35 heures vous servent de bouc émissaire pour expliquer tous les maux de la société. Vous engagez donc un débat à la hussarde et vous comptez sur une opposition trop proche de son échec pour relever le défi.

M. Bernard Accoyer - Demandez-vous pourquoi vous avez perdu !

M. Gaëtan Gorce - Monsieur Accoyer, de 1997 à 2002 vous n'êtes jamais venu à résipiscence et vous avez toujours considéré l'expérience de M. Juppé comme une référence, ce qui ne nous rassure pas pour la suite (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Nous voulons que le débat s'engage sans que l'on caricature les 35 heures. Nous connaissons les limites de la réduction du temps de travail, et savons que, celle-ci n'ayant pas été imposée de manière uniforme, les résultats sont variés. Nous sommes donc prêts, non à abandonner les 35 heures, mais à réfléchir par exemple au renforcement des moyens des organisations syndicales dans les secteurs où les négociations ont été les plus difficiles.

Les 35 heures ont été une véritable réussite. Elles méritent un vrai bilan, non un faux débat ou un faux procès. Vous prétendez que les 35 heures auraient été imposées, alors qu'elles sont le résultat d'une formidable dynamique de négociation ; elles se seraient retournées contre les salariés, alors que la majorité d'entre eux y sont très attachés : elles n'auraient créé aucun emploi, alors qu'elles ont leur part dans les deux millions de créations qui ont eu lieu entre 1997 et 2001 (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Bien sûr, vous redoutez déjà la comparaison ! Elles auraient remis en cause la valeur du travail, alors qu'elles ont ramené au travail des centaines de milliers de nos compatriotes (Même mouvement).

Revenons-y, en nous appuyant sur les données officielles.

Nous aurions imposé les 35 heures en étouffant la négociation. La réalité est bien différente. Vous n'aimez pas les références historiques, mais le mouvement vers la réduction du temps de travail est consubstantiel au mouvement ouvrier depuis le siècle dernier. Il y a eu la journée de huit heures, puis la semaine de 40 heures - qui d'ailleurs paraissent vous gêner. Avec la reconstruction, on est passé à 44 heures au lendemain de la guerre, et même 46 heures dans les années 1960. Puis 42 heures en 1970, et 39 heures en 1981. Mais ensuite, plus rien pendant 20 ans.

En revanche, des formes individuelles sont apparues : réduction du temps de travail imposée et non négociée, individuelle et non collective, liée au développement du temps partiel. Celui-ci concernait 900 000 emplois sur un million créés entre 1985 et 1998 ; 56 % des hommes et 40 % des femmes concernés ont expliqué qu'ils avaient accepté la situation faute de mieux, et 75 % de ces emplois étaient faiblement qualifiés et rémunérés. Du milieu des années 1980 à la fin des années 1990, le nombre des salariés à temps partiel a doublé jusqu'à représenter 17 % du total. A cela s'est ajouté un émiettement du temps de travail : de plus en plus de salariés voient leurs horaires changés du jour au lendemain, et près d'un sur quatre déclare qu'il va travailler au moins une fois dans l'année le dimanche, et un sur deux le samedi.

Voilà la situation que nous avons trouvée : arrêt de la réduction collective, développement d'un temps partiel inégalitaire. Les partenaires sociaux s'en étaient préoccupés : à trois reprises, et la dernière fois dans le cadre de l'accord du 31 octobre 1995, ils avaient jugé que la réduction du temps de travail était le moyen de réduire le chômage. L'accord de 1995 n'a cependant débouché que sur une vingtaine d'accords de branche, à telle enseigne que la majorité de l'époque a estimé nécessaire de voter la loi du 11 juin 1996, dite « loi de Robien », mais qu'il serait plus légitime d'appeler loi Chamard. Faute de consensus, cette loi n'a pas débouché sur des négociations d'une ampleur exceptionnelle : au bout d'un an et demi, seulement 2 300 accords avaient été signés, contre 13 000 pour la loi Aubry I, au bout de six mois !

Loin de tarir le mouvement de négociation, les deux lois Aubry sont à l'origine d'un élan, perceptible aujourd'hui encore. A la fin de 2001, près de 9 millions de salariés étaient passés aux 35 heures, grâce à près de 100 000 accords ! La réduction du temps de travail a donc été effective. Mieux, la négociation collective a été relancée comme jamais auparavant dans ce pays : en moyenne, 7 000 accords d'entreprise ont été signés chaque année pendant cinq ans. Ces données contredisent à l'évidence votre propos, selon lequel ces lois auraient paralysé la négociation... De plus, ces accords avaient le mérite de porter, non sur un point précis, mais sur l'ensemble des questions déterminantes pour la modernisation sociale, y compris au sein des PME : avant la loi Aubry, 5 % des 7 000 accords concernaient des entreprises de moins de 50 salariés. Après, le pourcentage est passé à 45 % ! La négociation est ainsi entrée dans toutes les entreprises. Quel progrès, pour celles-ci comme pour les salariés !

Le constat vaut aussi pour le tertiaire, concerné par six accords sur dix, soit la même proportion que pour l'industrie, auparavant.

Le mouvement s'est poursuivi. Le rythme de signature des accords a triplé depuis le 1er janvier de cette année, en particulier au bénéfice des entreprises de moins de 20 salariés où le temps de travail a diminué de 0,4 %, contre 0,2 % en moyenne.

C'est ce mouvement que vous allez briser aujourd'hui ! Votre loi va notamment remettre en cause une avancée considérable : la nécessité d'accords majoritaires pour bénéficier des allégements. Vous dites vouloir réformer les relations sociales, mais cela suppose que les accords signés au niveau des entreprises soient approuvés au moins par une majorité syndicale. Pourquoi abandonner cette idée, à travers l'article 12 qui condamne l'ensemble du dispositif ?

En général, la satisfaction dont font état les salariés varie selon qu'ils ont été consultés ou non. Si vous prétendez corriger les défauts des lois Aubry, vous ne prenez donc pas le bon chemin !

La deuxième mystification concerne les salariés, que vous cherchez à retourner, pour supprimer leurs avantages sociaux. La réduction du temps de travail, expliquez-vous, jouerait contre les conditions de travail : voyons ce qu'il en est ! La situation, je le reconnais, est nuancée mais les salariés ont-ils, ou non, bénéficié d'une réduction effective de leur temps de travail ? Oui, de l'ordre de 10 % - de 9 % au titre de la loi Aubry II et d'un peu plus de 6 % pour les entreprises qui ont réduit le temps de travail sans bénéficier des deux lois. Autrement dit, le temps de travail hebdomadaire est tombé un peu en dessous de 36 heures.

Voyons aussi le contenu des accords : dans un tiers d'entre eux, la réduction passe par l'octroi de jours de congé supplémentaires à prendre sur l'année, dans un autre tiers par l'octroi de jours à prendre dans la semaine. La modulation s'est en outre développée : près de la moitié des accords y font référence, grâce à la loi de janvier 1990 qui avait ramené à un seul les régimes existant auparavant. Cependant, 23 % seulement des accords vont jusqu'à l'application, qui ne concernerait ainsi que 18 % des salariés.

Ecoutons aussi les salariés eux-mêmes, plutôt que cette éminente majorité ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Selon l'enquête de la DARES de décembre 2000 et janvier 2001, 59 % des salariés interrogés considèrent que la réduction du temps de travail a amélioré leurs conditions de vie et de travail, 13 % seulement étant d'un avis contraire. La satisfaction est surtout grande chez les cadres - 64 % -, mais la proportion est encore de 57 % chez les ouvriers non qualifiés. S'agissant des seules conditions de travail, la situation est plus nuancée, en raison de l'intensification du travail dans certains secteurs mais, quel que soit le niveau de rémunération, l'élément décisif pour le jugement que portent ces salariés réside dans les conditions selon lesquelles la réduction a été opérée : le niveau de satisfaction est toujours plus élevé s'il y a eu accord d'entreprise et consultation. Si vous voulez améliorer la situation des moins favorisés, ce n'est donc pas en cessant d'alimenter la négociation que vous y parviendrez ! Pourquoi faire un autre choix ? Vous n'avez même pas interrogé les branches professionnelles et les syndicats !

Quant au débat sur les salaires, il n'est certes pas facile, mais vous êtes mal placés pour soutenir que la réduction du temps de travail aurait pénalisé les salariés sur ce point : le pouvoir d'achat du salaire net mensuel ouvrier a crû de 1 % au cours des dix dernières années, mais il a diminué de 4,1 % entre 1993 et 1997 et augmenté de 5,1 % depuis !

S'agissant du SMIC, nous avons institué une garantie, de sorte que les salariés concernés ne gagnent pas moins pour 35 heures de travail qu'ils ne faisaient pour 39 heures - nous avons même introduit une indexation sur le pouvoir d'achat et sur la croissance. D'autre part, nous avions organisé les allégements en sorte qu'à salaire maintenu, le coût pour l'entreprise soit nul jusqu'à 1,3 SMIC. Autrement dit, nous ôtions toute justification à la modération salariale.

Troisième élément : dans 98 % des accords, il y a eu compensation salariale. Certes, on a convenu parfois d'une modération salariale dans près d'un tiers des cas - voire d'un gel dans 14 % des cas, mais toujours de manière provisoire. De toute façon, l'écart de rémunération entre les entreprises passées aux 35 heures, et celles de même profil restées à 39 heures, n'est que de 0,8 %.

Si l'on considère que le salaire de base ouvrier a prospéré de près de 8 % en cette période, l'écart reste donc modique.

S'il y a un sentiment de frustration par rapport aux salaires, c'est que la revendication salariale a commencé à poindre au moment où la situation de l'emploi s'améliorait du fait des 35 heures, créant ainsi un décalage. Certes, on m'objectera que la perte de salaire peut être liée aussi aux heures supplémentaires. Celles-ci représentent en moyenne 23 à 24 heures par salarié ; et 30 % des salariés font de 52 à 58 heures supplémentaires. C'est donc en moyenne 6 à 10 heures supplémentaires que les salariés auraient pu perdre, soit 0,6 point de salaire s'ajoutant au 0,8 précédent. Cela n'est pas négligeable, mais ne s'est pas traduit par un appauvrissement, simplement par un moindre gain de pouvoir d'achat.

Bref, lorsque nous étions aux responsabilités, sur 3 % de croissance annuelle, 2 % sont allés à l'emploi, 1 % aux salaires. Fallait-il faire l'inverse ? Vous prétendez que les 35 heures ne favorisent ni le salarié, ni les salaires. Mais que proposez-vous ? Vous annoncez une augmentation de 11,4 % du pouvoir d'achat du SMIC. Mais tous les smicards n'en profiteront pas ! L'augmentation moyenne ne sera que de 2 %. Parallèlement, vous remettez en cause le repos compensateur. Où est le progrès ?

Troisième sujet de débat, le rapport entre la croissance et l'emploi. Vous nous dîtes que les 35 heures n'auraient été qu'un épiphénomène. Rappelons d'abord la situation de 1997. Après cinq ans de majorité de droite, il y avait 3 millions de chômeurs, avec une explosion du chômage de longue durée et du chômage des jeunes, une augmentation de 460 000 du nombre des RMistes et de bénéficiaires de l'ASS, une croissance plus faible que la moyenne européenne.

L'enjeu, pour le nouveau Gouvernement, était donc de relancer la croissance par une augmentation du pouvoir d'achat, puis de partager les fruits de la croissance en faveur de l'emploi. C'est ce que nous avons fait. La réduction du temps de travail n'est pas un partage du travail, mais un partage de la richesse en faveur de l'emploi.

Que s'est-il passé entre 1997 et 2001 ? La croissance est passée en moyenne de 1,5 % à 3 %. En cinq ans, 2 millions d'emplois ont été créés (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Richard Cazenave - Ce n'est pas vous !

M. Gaëtan Gorce - Je ne dis pas que c'est nous. Ce sont les salariés et les entreprises de notre pays que vous dénigrez en dénigrant ces résultats ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Deux millions d'emplois, c'est cinq fois plus que 1993-1997.

M. Richard Cazenave - Ce n'est pas la même période ! Il faut regarder aussi les autres pays.

M. Gaëtan Gorce - Précisément, le PIB mondial avait progressé de 3,2 % par an de 1993 à 1997, et de 2,7 % entre 1997 et 2002 !

M. Richard Cazenave - De qui vous moquez-vous ?

M. Gaëtan Gorce - Au total, la croissance française a été supérieure de 0,6 point à la moyenne européenne, et double de celle observée pendant votre période. Le chômage a diminué de 1,8 % en France contre 0,8 % pour l'ensemble de la zone européenne.

M. Richard Cazenave - C'est l'histoire revisitée !

M. Gaëtan Gorce - Quelle est la part de la réduction du temps de travail dans ce résultat ? De 1997 à 2002, l'écart de croissance était d'environ 1,9 %, et le nombre d'emplois créés, en moyenne, de 400 000 par an. La croissance doit donc être responsable des emplois créés pour 1,9 point, soit 250 000 emplois par an.

Qu'est-ce qui a fait le reste ? Sans doute pas la démographie, mais plutôt les 35 heures, résultat vérifié du reste par les études micro-économiques.

J'ajoute que l'OFCE prévoyait une création de 550 000 emplois dans le cadre des 35 heures d'ici 2005 si le processus n'était pas interrompu.

La compétitivité de ce pays n'a pas été atteinte par les 35 heures, mais améliorée.

M. Gérard Hamel - C'est surréaliste !

M. Gaëtan Gorce - Je ne dis pas cela pour en tirer gloire, mais pour que nous ayons un débat fondé sur des faits réels (Protestations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Quatrième point : vous parlez de « dévalorisation du travail ». En vous écoutant, Monsieur le ministre, je me suis rappelé Léon Blum devant le tribunal de Riom. On lui reprochait, avec les 40 heures et la création d'un secrétariat d'Etat aux loisirs, d'avoir fait perdre aux Français le goût du travail, et encouragé chez eux « l'esprit de jouissance et de facilité », comme aujourd'hui on nous reproche d'avoir « dévalorisé les valeurs de l'effort » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Comment prétendre que la RTT aurait « dévalorisé le travail », alors qu'elle a permis de créer 300 000 emplois ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP) La loi sur les 35 heures aura créé plus d'emplois que tous les gouvernements auxquels M. Fillon a participé (Mêmes mouvements).

M. Richard Cazenave - Ce qu'il faut entendre !

M. Gaëtan Gorce - Eh oui ! Etre majoritaire ne dispense pas d'entendre l'opposition ! J'ajoute que la loi aura aussi permis de créer plus d'emplois que tout gouvernement auquel a participé M. Chirac, ou qu'il a dirigé (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Vérifiez les chiffres, vous constaterez qu'ils sont vrais ! Si vous ajoutez ceux de 1967 à 1974, de 1974 à 1976, de 1986 à 1988, de 1995 à 1997, cela fait un million de chômeurs en plus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; vives protestations sur les bancs du groupe UMP)

Et puis, pourquoi cette vision moralisatrice selon laquelle il serait honteux de travailler moins ? C'est oublier que la réduction du temps de travail s'accompagne toujours d'une augmentation de la productivité. Travailler moins, c'est souvent travailler mieux (Protestations sur les bancs du groupe UMP). C'est oublier aussi que, selon Eurostat, on travaille en moyenne 36,4 heures dans les pays européens. C'est oublier que la RTT a eu pour conséquence l'augmentation de 9 % des heures travaillées - autrement dit, la création d'emplois induite par la loi a fait croître le nombre collectif d'heures travaillées. C'est oublier, enfin, que la valeur du travail, c'est aussi celle de l'emploi.

J'en viens au financement, pour souligner que la question des 35 heures doit être envisagée du point de vue macro-économique et non pas, seulement, du point de vue comptable (Interruptions et quolibets sur les bancs du groupe UMP). Messieurs de la majorité, pour réfuter des arguments, il faut les avoir entendus ! Les lois Aubry étaient conçues dans une dynamique de création d'emplois marchands, générant des recettes fiscales ristournées aux entreprises sous forme d'allégements. Et si l'on rapporte le coût des allégements Aubry à celui de la ristourne Juppé, on voit bien que la dépense la plus forte n'est pas là où vous le dites ! Les 90 milliards de francs du FOREC ne sont-ils pas également partagés entre les allégements Aubry et la ristourne Juppé ? C'est une contrevérité flagrante de prétendre le contraire. Une étude de l'OFCE de juillet 2001 établit d'ailleurs qu'une réduction de 5 % du temps de travail entraîne la création de 320 000 emplois, pour un coût de 45 000 F par emploi - cependant que le coût de la ristourne Juppé était de 200 000 F par emploi... Selon les économistes, la part des créations d'emplois liée aux allégements est d'un tiers ; mais ils ajoutent que le coût des allégements, sans la RTT, est bien supérieur...

Nous reviendrons, au cours du débat, sur tous les aspects de la question mais je vous le dis déjà : nous assumons cette mesure, avec ses réussites et ses limites, car c'est un dispositif « gagnant-gagnant ». Le vôtre serait un mécanisme « perdant-perdant », le plus grand perdant étant l'emploi (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Quant à la revalorisation des salaires que vous promettez, c'est un marché de dupes.

Pourquoi, alors, ce démantèlement ? Par esprit de revanche bien sûr, comme le prouvent vos citations insistantes de Blum et de Jaurès, que vous présentez comme autant d'archaïsmes, et tous ces propos tenus sur les 35 heures et leur inspiratrice, Mme Aubry, à laquelle je rends hommage (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mais il y a aussi un parti pris idéologique - vous ne voulez pas que l'Etat intervienne pour soutenir l'emploi (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Pour notre part, nous avons fait un autre choix. Sans doute des modifications sont-elles nécessaires...

M. Richard Cazenave - Précisément ! Nous allons modifier la loi !

M. Gaëtan Gorce - ...mais nous avons pris nos responsabilités d'élus décidés à tout tenter pour aider les chômeurs. Et cela, vous ne le supportez pas ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Nous nous sommes, pour cela, appuyés sur la négociation collective, mais avec la conviction que sans volonté politique, rien n'est possible, et je crains fort que vous n'en montriez pas (Mêmes mouvements).

De fait, vous êtes en train de détruire tous les outils de la politique de l'emploi sans exception. Quelle équipe d'alpinistes, au pied du sommet le plus haut, se débarrasserait en toute hâte de ses sacs, piolets, crampons et cordes de rappel pour attaquer la paroi à mains nues, et continuerait en arrachant les pitons fixés par ses prédécesseurs ? (Rires) Ce n'est pas drôle, car, ce faisant, vous supprimez des emplois Aubry pour les remplacer par des chômeurs Raffarin (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP).

Au fond, vous n'aimez pas la négociation collective (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Vous l'invoquez mais vous ne la pratiquez pas, et vous lui préférez les bonnes vieilles méthodes de votre acolyte, le MEDEF, lequel, curieusement, ne parle plus que lois et décrets depuis que vous êtes aux affaires ! Vous vous apprêtez à briser un outil de modernisation sociale qui a bénéficié à toutes les entreprises, pour des raisons qui échappent à l'entendement, vous privant ainsi d'un instrument qui a fait la preuve de son utilité au moment où le chômage repart. Ce soir, nous prenons date, en vous disant que vous prenez la responsabilité d'augmenter le chômage (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Mais il y a plus. La réduction du temps de travail n'est pas seulement une réserve pour l'emploi ; c'est une vision de la société. On peut vouloir celle-ci toujours plus inégalitaire, ou souhaiter qu'elle réponde aux aspirations de tous. Certes, la RTT ne peut tout régler à elle seule. Elle doit donc être inscrite dans un projet global, associée de manière cohérente à une politique des transports et du loisir, pour tendre à une société plus active et plus solidaire. C'est ce que nous revendiquons : une société du temps libéré, par l'approfondissement d'un processus que la loi du 19 juillet 2000 a amorcé en instituant un nouveau droit au repos.

Ce sont bien des garanties nouvelles que nous avons introduites en permettant notamment aux salariés à temps partiel de refuser des heures supplémentaires pour préserver leur vie familiale. Préserver de nouveaux droits individuels dans le cadre d'un droit du travail rénové : tel devrait être notre objectif commun. Renvoyer à la négociation libre, c'est faire reculer les droits du salarié. Il convient au contraire de nouer avec les organisations syndicales un dialogue approfondi sur les évolutions à apporter à notre droit du travail pour en faire un droit des temps de vie, intégrant les temps de formation et les temps de passage entre les périodes d'activité et de non-activité.

Votre loi passe très loin à côté de ces sujets essentiels. On en est presque revenu au train à vapeur et à la lampe à huile ou, pour le moins, à des logiques qui fleurent bon les années 1970 !

Nous combattons résolument un texte qui va à contre-courant des évolutions profondes de la société. Les 35 heures ont changé la société...

Plusieurs députés UMP - Ça, on le sait !

M. Gaëtan Gorce - La confiance se constate : elle ne s'autoproclame pas. Mettre fin à la RTT, c'est alimenter la chaudière du chômage. Ressaisissez-vous Monsieur le ministre (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP). Notre devoir d'opposant est de vous mettre en garde. L'adoption de ce texte ne serait pas catastrophique que pour votre bilan : elle serait dramatique pour la France ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - La longueur d'une démonstration n'est pas un gage de rigueur : M. Gorce nous l'a rappelé ce soir et je m'en tiendrai à ce stade du débat à quelques éléments particulièrement peu convaincants de son exposé.

S'agissant de l'évolution du pouvoir d'achat des bas salaires, il n'est pas inutile de rappeler que les salariés passés aux 35 heures avant 1999 n'ont bénéficié d'aucune revalorisation avant juillet 2000. Certains ont donc subi la stagnation pendant plus de deux ans. Ceux qui sont passés aux 35 heures au cours de l'année 2000 n'ont pas bénéficié de plus de 0,4 % par an de progression soit moins de la moitié de la hausse du SMIC. Vous ne pouvez donc contester que la RTT a entraîné une modération salariale très prononcée. Pour les salariés rémunérés au SMIC passés aux 35 heures au cours du premier semestre 2000, on évalue à 3,6 % la baisse du pouvoir d'achat.

M. François Hollande - Le taux horaire du SMIC n'a pas pu baisser puisqu'on a gagné quatre heures !

M. le Ministre - Par contraste, je rappelle que le présent texte prévoit de revaloriser le SMIC de 11,4 % en trois ans, en valeur réelle, c'est-à-dire hors inflation.

J'en viens à l'une des principales contradictions de votre exposé. Puisque vous prêtez aux 35 heures toutes les vertus, tant pour les salariés que pour nos entreprises, et, finalement pour l'économie nationale, comment justifiez-vous que des sommes considérables aient dû être mobilisées, sur les ressources du contribuable, pour aider - sinon pour convaincre ? - les entreprises à s'y soumettre ? Pourquoi nous reprocher de supprimer les allégements Aubry si l'enthousiasme des entreprises à passer aux 35 heures les avait rendus inutiles ?

Votre aplomb, Monsieur Gorce, ne me fait pas sourire. Nous vous découvrons ce soir partisan de l'accord majoritaire et de la rénovation du dialogue social : que n'avez-vous, depuis cinq ans, manifesté les mêmes dispositions d'esprit ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Ne nous y trompons pas : votre objectif n'était pas ce soir d'éclairer notre débat mais de défendre votre bilan. Et vous me permettrez de relever une nouvelle fois votre incapacité à douter de la légitimité de vos choix. Vous semblez toujours persuadé que les orientations de votre politique de l'emploi n'ont eu aucune incidence sur votre résultat au premier tour de l'élection présidentielle ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) La vérité est désormais connue de tous : la France se situe au treizième rang des Quinze pour ce qui concerne le PIB par habitant (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP) et au douzième en matière d'emploi. L'Italie nous devance ! Nous le devons à votre impuissance à traiter les causes structurelles de la contre-performance économique de notre pays, pourtant riche de tant d'atouts.

Il est en outre quelque peu dérisoire d'attribuer à tel ou tel dirigeant la responsabilité du chômage. En la matière, les résultats sont intimement liés à la courbe de la croissance. C'est pourquoi nous mettons tout en _uvre pour soutenir celle-ci...

M. François Hollande - Pas du tout !

M. le Ministre - Vos certitudes, vos commentaires ironiques et vos remarques mesquines ne m'ont pas fait sourire. Notre pays affronte des vents contraires. En matière économique, il a même de sacrés défis à relever ! L'élargissement de l'Union européenne, à brève échéance, qui en mesure la portée ? L'entrée de la Chine dans l'OMC fait franchir une nouvelle étape à la mondialisation. En face de tels bouleversements, vous voudriez que nous soyons les seuls en Europe à appliquer vos remèdes ? Nous optons pour un changement radical de la politique de l'emploi. Nous entendons soutenir l'emploi des jeunes... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) ...en donnant aux jeunes de vrais emplois, assouplir les 35 heures, instituer une prime pour l'emploi à temps partiel, réformer la formation professionnelle en instaurant l'assurance emploi. Quant à la méthode, nous avons choisi de relancer le dialogue social. Notez bien que les craintes que vous avez exprimées perdraient tout fondement si vous faisiez vraiment confiance au dialogue social ! Le relèvement du contingent des heures supplémentaires, les règles du compte épargne-temps... autant de sujets qui ouvrent de nouveaux espaces au dialogue social alors que les lois Aubry interdisaient aux partenaires sociaux d'échanger sur ces questions de fond. Vous n'avez pas su faire confiance aux partenaires sociaux, et vous avez été battus à cause de votre autosatisfaction ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Je déplore que vous ne parveniez pas à vous départir de cette attitude car la transformation du pays passe aussi par votre propre évolution (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Maxime Gremetz - Je ne peux pas vous laisser dire, Monsieur le ministre, que vous aimez le dialogue social alors que vous revenez sur la seule avancée que nous avons obtenue en la matière, à propos de l'accord majoritaire. Pour bénéficier de l'exonération des cotisations patronales - que les patrons appellent des « charges » -, un accord de RTT devait avoir été conclu avec une ou des organisations représentatives de la majorité des salariés. On ne peut à la fois prôner un renouveau du dialogue social et revenir sur le principe de l'accord majoritaire, sauf à admettre qu'un syndicat ultra-minoritaire puisse engager à lui seul l'ensemble de la collectivité de travail. Je fais confiance au dialogue social à condition que les règles démocratiques les plus élémentaires y soient respectées. Comment réagiriez-vous si, alors que vous détenez ici la majorité des suffrages, nous prétendions décider à votre place ? C'est exactement ce que vous proposez aux salariés !

Pendant l'examen de la loi Aubry, la droite avait voté contre notre amendement visant à augmenter de 11,4 % le SMIC. Vous n'étiez pas les seuls, d'accord, mais vous avez voté contre ! (Rires sur les bancs du groupe UMP) De même, vous vous étiez opposé à notre exigence d'accords majoritaires. Vous n'étiez pas les seuls, d'accord, mais vous avez voté contre (Mêmes mouvements). En revanche, vous avez voté pour la rémunération des heures supplémentaires à 10 % même si vous n'étiez pas les seuls à le faire (Mêmes mouvements).

Ne faites donc pas assaut de démocratie sociale, ne prétendez pas présenter une politique sociale modèle !

Le groupe communiste et républicain votera cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur quelques bancs socialistes).

M. Patrick Bloche - « Assouplissement » ? Non, mais un sérieux recul du rôle protecteur de la puissance publique. Alors que vous prétendez redonner du souffle à l'économie française, vous allez figer les situations existantes.

Ce texte enlève toute portée à la réforme des 35 heures.

Vous modifiez la rémunération des heures supplémentaires comme s'il s'agissait d'une équation abstraite. Mais la conséquence sera simple : les salariés devront travailler plus pour gagner moins. En modifiant l'architecture savante des 35 heures, qui est née de la négociation (Protestations sur les bancs du groupe UMP), vous portez atteinte aux droits sociaux et au pouvoir d'achat.

Je veux citer quelques chiffres pour rétablir des vérités qui dérangent. Comparons les révolutions des cinq dernières années avec celles de la période 1993-1997. Avec nous, le salaire net par tête a progressé de 7 % ; avec vous, de 1 %. Avec nous, le SMIC net a augmenté de 16 %, contre 2 % avec vous. Nous avons augmenté l'allocation spécifique de solidarité de 5 %, alors que vous l'aviez réduite de 4,5 %. Nous avons relevé le SMIC de 7 %, alors que vous l'aviez diminué de 0,3 %.

De même, en matière de création d'emplois, la France avec nous était en tête de l'Union européenne (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Votre projet va en outre figer les relations sociales. Quel intérêt aura-t-on à réduire le temps de travail ? Les salariés qui ne sont pas encore passés aux 35 heures vont perdre tout espoir d'y parvenir, sans même la contrepartie de pouvoir travailler plus pour gagner plus. Il y aura donc deux France, celle qui s'est organisée à temps pour avoir du temps libre et celle qui n'aura aucune perspective.

C'est là une brèche dans le pacte républicain. Le groupe socialiste votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Georges Tron - A entendre M. Gorce, je me demande si nous parlons du même pays. Il nous a longuement expliqué que les 35 heures seraient la panacée en matière de politique économique. Ont-elles fait reculer le chômage ? Non, elles n'ont eu aucun résultat dans ce domaine. Ont-elles contribué à stabiliser nos finances publiques ? Leur financement par le FOREC est d'une telle complexité qu'aucun député ne sait précisément comme cela fonctionne. Et les experts de la Cour des comptes se demandent pour quelles raisons le précédent gouvernement a mis en place un mécanisme si peu transparent (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Les déficits publics trouvent leur origine dans le coût des 35 heures. Le déficit de l'Etat est supérieur de 50 % aux prévisions, les comptes de la Sécurité sociale sont de nouveau dans le rouge, comme en 1993.

S'agissant du pouvoir d'achat des salariés, nous sommes au douzième ou treizième rang en Europe. Les salariés les moins bien rémunérés ont perdu un à deux points de pouvoir d'achat à cause des 35 heures.

Monsieur Gorce, au lieu de nous interroger sur les 35 heures, demandez à vos électeurs ce qu'ils en pensent. Sans doute trouverez-vous sur vos propres bancs des députés pour qui les 35 heures ne sont pas pour rien dans ce qui s'est passé il y a quelques mois.

Quant à nous, nous sommes pragmatiques, et nous défendrons les valeurs auxquelles nous croyons, comme la liberté de travailler plus pour gagner plus. Il faut aussi assouplir le dispositif. Comment voulez-vous que les entreprises créent des emplois si elles sont prises dans un carcan ?

Les SMIC seront harmonisés ! Quant à la négociation, nous y croyons et elle est au c_ur du dispositif.

Voter une question préalable, c'est considérer qu'il n'y a pas lieu de délibérer. Il y a pourtant matière à discuter de votre bilan. Comme d'habitude, c'est à nous qu'il appartient de régler les problèmes que vous avez posés. Nous le ferons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le Président, en vertu de l'article 61, alinéas 2 et 3, du Règlement, je demande la vérification du quorum.

M. le Président - Le vote de la question préalable est donc réservé, dans l'attente de cette vérification.

La séance, suspendue à 23 heures 30, est reprise à 23 heures 40.

M. le Président - Le bureau de séance constate que le quorum n'est pas atteint. Conformément à l'alinéa 3 de l'article 61 du Règlement, et compte tenu de l'heure, je vais lever la séance. Le vote de la question préalable est reporté à la prochaine séance.

Prochaine séance jeudi 3 octobre à 9 heures 30.

La séance est levée à 23 heures 45.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
du JEUDI 3 OCTOBRE 2002

A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Discussion du projet de loi (n° 189) autorisant l'approbation du troisième avenant à l'accord du 27 décembre 1968 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles et à son protocole annexe (ensemble un échange de lettres).

M. Richard CAZENAVE, rapporteur au nom de la commission des affaires étrangères.

(Rapport n° 232)

(Procédure d'examen simplifiée ; art. 107 du Règlement)

2. Discussion du projet de loi (n° 188) autorisant l'approbation de l'avenant à l'accord du 17 mars 1988, tel que modifié par l'avenant du 19 décembre 1991, entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne en matière de séjour et de travail.

M. Richard CAZENAVE, rapporteur au nom de la commission des affaires étrangères.

(Rapport n° 232)

(Procédure d'examen simplifiée ; art. 107 du Règlement)

3. Suite de la discussion du projet de loi (n° 190) relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi.

M. Pierre MORANGE, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

(Rapport n° 231)

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A VINGT-ET-UNE HEURES : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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