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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 3ème jour de séance, 5ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 3 OCTOBRE 2002

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES

vice-président

Sommaire

      ACCORD FRANCE-ALGÉRIE
      ACCORD FRANCE-TUNISIE 2

      SALAIRES, TEMPS DE TRAVAIL
      ET DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI (suite) 2

      QUESTION PRÉALABLE (suite) 2

La séance est ouverte à neuf heures trente.

ACCORD FRANCE-ALGÉRIE
ACCORD FRANCE-TUNISIE

L'ordre du jour appelle le vote selon la procédure d'examen simplifiée de deux projets de loi autorisant l'approbation d'avenants à deux accords internationaux.

L'article unique du projet de loi autorisant l'approbation du troisième avenant à l'accord du 27 décembre 1968 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles et à son protocole annexe (ensemble un échange de lettres), mis aux voix, est adopté, de même que l'article unique du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à l'accord du 17 mars 1988, tel que modifié par l'avenant du 19 décembre 1991, entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne en matière de séjour et de travail.

SALAIRES, TEMPS DE TRAVAIL
ET DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi.

QUESTION PRÉALABLE DE M. JEAN-MARC AYRAULT (suite)

M. le Président - Hier soir, le vote sur la question préalable de M. Jean-Marc Ayrault a été reporté, le Bureau de séance ayant constaté que le quorum n'était pas atteint. Je vais la mettre aux voix.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Au nom du Gouvernement, je demande quelques instants de suspension de séance. La procédure d'examen simplifiée a été rapide ; M. François Fillon doit nous rejoindre.

La séance, suspendue à 9 heures 35, est reprise à 9 heures 40.

M. Jean Dionis du Séjour - Les jeux de procédure de l'opposition - ô combien subtiles pour le nouveau député que je suis - nous ont amenés à inverser l'ordre de passage des orateurs de l'UDF dans cette discussion générale. Nicolas Perruchot, notre porte-parole, devait présenter le premier la position de notre groupe ; il est retenu à cette heure par un conseil municipal à Blois ; je vous prie de l'en excuser. Il fera une intervention plus complète et plus argumentée en fin de séance.

Après l'avalanche de chiffres plus ou moins rigoureux fournis par Gaëtan Gorce, permettez-moi de vous faire part de quelques propos entendus à l'occasion de la campagne électorale sur la loi socialiste des trente-cinq heures, mais aussi, depuis notre élection, sur le projet de loi Fillon. Que l'on soit député UMP ou UDF, en juin dernier, nous avons tous reçu un mandat commun : transformer les lois Aubry. Elles ont fait peser une charge exorbitante sur les finances publiques - 70 milliards de francs supplémentaires par an ; elles ont perturbé nos services publics - en particulier les hôpitaux ; elles ont créé des inégalités insupportables entre les salariés du service public - dont l'évolution des salaires n'a pas été affectée - et ceux du secteur privé, pour qui l'arrivée de ces lois s'est traduite par le gel voire la baisse des salaires ; elles ont détérioré la compétitivité française - notre pays se situe au douzième rang européen. Tout cela dans un climat social détestable, et pour quels résultats ? À peine 300 000 emplois ont été créés en cinq ans alors que dans la même période, la seule croissance en créait 1 650 000. Convenez-en : c'est très peu, au vu du coût astronomique de cette loi.

Pourquoi une si médiocre efficacité de l'action publique ? Parce que votre approche, shootée à l'étatisme, ne convient plus à un grand pays moderne et démocratique.

À l'inverse, votre proposition, Monsieur le ministre, s'inscrit dans la mise en _uvre des engagements que nous avons pris devant nos électeurs.

Au-delà, ses principes fondamentaux correspondent à notre projet politique commun : permettre à ceux qui veulent travailler plus de gagner plus, par le passage de 130 à 180 heures du contingent d'heures supplémentaires et la possibilité offerte aux cadres de se faire payer les jours de RTT ; redonner toute sa place au travail en faisant progresser le SMIC horaire de 11,4 % en trois ans et en unifiant par le haut les cinq SMIC légués par la loi Aubry ; reconnaître le rôle des petits entrepreneurs en prorogeant jusqu'à la fin de 2005 le taux de rémunération réduit à 10 % des heures supplémentaires pour les entreprises de moins de vingt salariés. Ces réponses sont conformes au projet politique de la majorité, qui associe le monde du travail - notamment les ouvriers et les employés - et celui de l'entreprise - notamment les petits entrepreneurs.

Pour n'avoir répondu ni à l'attente des premiers, ni à celle des seconds, et pour avoir concentré ses efforts sur les fonctionnaires, la gauche a payé le prix fort électoral : les 35 heures et l'insécurité sont les deux principaux motifs de la désaffection de l'électorat populaire.

Votre effondrement spectaculaire dans le monde ouvrier - moins de 15 % des ouvriers auraient voté pour Lionel Jospin au premier tour, contre 75 % en 1974 - aurait dû vous conduire à une attitude plus constructive sur ce texte. Vous avez choisi la stratégie inverse : refaire une unité de façade - on sent bien dans vos rangs l'appel du « Nouveau monde » - en appelant à la rescousse tous les mânes de votre famille politique : Léon Blum, Léo Lagrange...

Mme Hélène Mignon - Nous en sommes fiers !

M. Jean Dionis du Séjour - Dommage... Le pays attendait davantage de lucidité et d'imagination.

Les députés de l'UDF, quant à eux, se retrouvent dans les grandes orientations de ce texte et l'approuveront. Ils souhaitent cependant, comme le détaillera Nicolas Perruchot, l'améliorer sur deux points. D'abord en transférant du domaine réglementaire à la négociation entre partenaires sociaux tout ce qui ne relève pas de l'ordre public social, comme le régime des heures supplémentaires ou leur rémunération. Pourquoi donc confier le taux de rémunération des heures supplémentaires à la négociation sociale, tout en précisant qu'à défaut d'accord ce sera 25 % pour les huit premières heures et 50 % pour les suivantes ? Quel syndicat osera proposer moins que le taux plancher légal ? Pourquoi n'avoir pas donné sa chance à la négociation sociale ? Pourquoi un taux plancher unique qui rappelle la logique archaïque des lois Aubry ? Nous proposerons donc une série d'amendements.

Il faut ensuite maîtriser l'évolution du coût global du travail.

M. Maxime Gremetz - Ah !

M. Jean Dionis du Séjour - La légitime revalorisation des SMIC et le paiement en heures supplémentaires des heures comprises entre la 35ème et la 39ème heure n'a de sens que si le coût global du travail reste stable. Aussi vous proposerons-nous une exonération de charges sociales à hauteur du surcoût des heures supplémentaires - 10, 25 ou 50 %. Nous proposons que la 36ème, la 37ème, la 38ème et la 39ème heure soient neutres, en terme de coût global pour l'entrepreneur.

M. Maxime Gremetz - Plus réac que moi, tu meurs !

M. Jean Dionis du Séjour - J'anticipe votre réponse, Monsieur le ministre, sur l'état des finances publiques et des régimes sociaux.

Notre défi commun sera, dans une conjoncture difficile, de faire en sorte que la machine économique France crée plus d'emplois qu'il n'en disparaît. Cette neutralité économique des heures supplémentaires serait un atout important.

Nous savons que le budget 2003 sera notre premier budget, difficile et ne permettant guère encore de voir le résultat des changements que nous impulsons. À vous de dire, comme vous l'avez fait pour le SMIC horaire, ce que vous comptez faire en 2004 et en 2005.

La baisse des charges sociales au service de la création d'emplois avec revalorisation simultanée des salaires modestes doit être notre priorité. Elle l'est depuis longtemps pour notre famille politique.

Certains, qui viennent de nos rangs et vous ont rejoint - je pense à Pierre Méhaignerie, à Jacques Barrot - peuvent en témoigner. Monsieur le ministre, nous voterons votre texte. Permettez-moi cependant de vous dire que dans ma circonscription, j'ai entendu à la fois la satisfaction du monde du travail, et les réserves du monde de l'entreprise, déçu par la prudence de votre projet. Ce texte, le nôtre, celui du rassemblement du monde du travail et de l'entreprise, est celui dont la France a besoin.

Dans sa mise en _uvre, vous pouvez compter sur notre soutien fidèle, mais exigeant en matière de justice sociale et de modernisation économique (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Mme Muguette Jacquaint - Vous avez dit hier, Monsieur le ministre, que vous n'aviez pas de certitudes. Je vous en donne acte : c'est moins avec des certitudes qu'avec des actes que l'on gouverne.

Pour ma part, je n'ai pas de certitudes, mais des convictions qui, contrairement à ce que prétend M. Tron, ne viennent pas d'une autre planète.

Que demande notre peuple ? La sécurité de l'emploi, des salaires plus élevés, de meilleures conditions de vie et de travail. Quand je vous entends dire que nous avons trop dépensé pour la santé ou que les salariés qui réclament de meilleurs salaires n'ont qu'à travailler plus, je me dis que nous n'avons pas entendu le même peuple ! Aussi le groupe communiste et républicain désapprouve-t-il fermement votre texte.

Si la réduction du temps de travail a été diversement appréciée, en particulier dans les PME, c'est non en raison de ses objectifs mais de son manque d'audace. Les deux lois existantes méritaient d'être améliorées, et nous avions d'ailleurs déposé nombre d'amendements visant à faire de la réduction du temps de travail un vrai progrès social pour tous. Il reste que les objectifs de la réforme - rechercher un meilleur équilibre entre le temps de travail, le temps pour le soi et le temps pour les autres, améliorer la qualité de la vie - ont été appréciés par les salariés.

Vous ne pouvez donc mépriser ces attentes. À l'époque déjà, vous vous faisiez l'écho du MEDEF en rejetant en bloc tout processus historique de réduction du temps de travail. Vous y revenez aujourd'hui : vous ne voulez toujours pas de la RTT et vous nous présentez un projet qui remet fondamentalement en cause les 35 heures. Vous parlez d'assouplissement : c'est une duperie.

Par un arsenal de dispositions régressives et de mesures anti-sociales, nuisibles aux droits des salariés, fragilisant la croissance, vous aggravez la vie des salariés dans l'entreprise et remettez en cause une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie familiale et sociale.

Ce texte ne répond pas aux attentes des Français, salariés ou privés d'emplois. Pourtant, leur message a été clair, et vous prétendez l'avoir entendu : « nous voulons vivre mieux, avoir les moyens de subvenir à nos besoins, un emploi et du temps pour nous ».

Or, ce que vous proposez est à mille lieues de ces préoccupations. Vous ne faites qu'abonder dans le sens du MEDEF. Vous démantelez le code du travail. Pis, vous allez à l'encontre des propos du chef de l'Etat. Chacun s'en souvient : « Travailler plus pour gagner plus ». Avec ce projet, tous pourront travailler plus, certains même ne verront jamais leur temps de travail réduit. Mais les salariés gagneront moins !

L'harmonisation des différents SMIC freinera leur pouvoir d'achat. Cette augmentation du SMIC horaire que vous n'avez de cesse de mettre en avant, c'est l'arbre qui cache la forêt. Si cette harmonisation est impérative, si l'amélioration du dispositif est nécessaire, vous dissimulez que ce système comporte un effet pervers terrible ! En effet, si vous prévoyez des coups de pouce, vous supprimez l'un des deux mécanismes d'indexation qui entraînait la progression du SMIC chaque année. Dès lors, la hausse étalée sur trois ans n'entraînera pas de hausse équivalente du salaire mensuel. En dévoyant le mode traditionnel de calcul du SMIC, vous faites un bond en arrière de 35 ans en reprenant les bases de calcul du SMIG !

J'ai le souvenir qu'il y a deux ans, à l'occasion d'une procédure, vous dénonciez l'incompatibilité entre réduction du temps de travail et augmentation du pouvoir d'achat. C'était déjà une contrevérité, puisque vous proposez aujourd'hui qu'augmentation du temps de travail s'articule avec perte sensible de rémunération.

Cette affirmation est confortée par le nouveau régime des heures supplémentaires que vous défendez, en renvoyant à la négociation leur majoration salariale, avec un plancher de 10 % au lieu de 25 %.

En outre, vous étendez ce dispositif aux entreprises de moins de vingt salariés. Davantage de salariés verront ainsi leurs heures supplémentaires moins rémunérées ! Où est la possibilité de travailler plus pour gagner plus ?

En relevant le contingent d'heures supplémentaires à 180 heures de façon unilatérale, vous restreignez les possibilités de majoration salariale et de repos compensateur et vous accentuez la sujétion des salariés à l'entreprise.

Concernant l'aide financière aux entreprises, votre politique d'exonération de charges va freiner la création d'emploi. Les députés communistes avaient voulu au moins conditionner les exonérations à la création d'emploi.

Vous accordez au contraire des aides aux entreprises qui ne réduisent pas leur temps de travail et supprimez l'aide pérenne à celles qui ont opté pour la réduction de la durée du travail.

À l'époque des deux précédentes lois, vous nous aviez accusés de mépriser les chômeurs et les travailleurs précaires. Que faites-vous aujourd'hui ? Où sont les dispositifs permettant de libérer du travail et d'encourager les créations d'emplois ? Vous voulez faire travailler plus ceux qui travaillent déjà et moins les rémunérer, avec cette trappe à bas salaires que vous instaurez ! Nous ne pouvons pas l'accepter ! C'est un contresens économique évident.

M. Maxime Gremetz - Très bien !

Mme Muguette Jacquaint - Votre projet de loi, en visant la baisse du coût du travail sans contrepartie, aura des effets négatifs sur l'emploi, des conséquences sociales inacceptables, des résultats néfastes sur l'économie, et ce au moment où le chômage remonte et la croissance ralentit.

Il dénature également le dispositif du compte épargne temps pour favoriser l'accumulation de capitaux pour les entreprises et engager une spéculation financière sur le dos des salariés. Vous tracez ainsi le chemin de la capitalisation et des fonds de pensions pour la retraite.

En ce qui concerne la monétarisation du compte épargne temps, quelles garanties le salarié a-t-il de récupérer son dû si l'entreprise fait banqueroute au jeu de la bourse ? Vous assujettirez également le pécule placé par le salarié, lorsqu'il sera débloqué, à l'impôt sur le revenu. Mais le compte épargne temps ne souffre aucune fiscalité car il capitalise des jours de repos. Est-ce votre conception de l'amélioration du pouvoir d'achat des salariés ?

Toute votre philosophie vise à remettre en cause l'ordre public social tel qu'il fut précisé par le Conseil d'Etat en 1973. En renvoyant largement à la négociation, dans des rapports de forces inégaux et contestables, vous permettez au patronat de dévoyer toutes les mesures légales de garantie pour les salariés.

Avec ce texte, vous démantelez le code du travail. La négociation la plus favorable ne pourra guère que préserver les avantages acquis. Vous coupez ainsi court à toute autre avancée sociale.

Les propos de Victor Hugo prennent tout leur sens aujourd'hui : « Le travail ne peut être une loi sans être un droit ». Dans le cas présent, c'est le droit au travail qui est mis à mal.

Les députés communistes et républicains vous opposent une toute autre logique. Ils veulent réduire et aménager le temps de travail pour créer du progrès social, enclencher une politique salariale ambitieuse et donner de véritables droits aux salariés dans l'entreprise.

Pour cela, ils ont déposé plusieurs amendements.

Nous proposons d'abord une augmentation réelle du SMIC de 11,4 %, afin d'effectuer un lissage immédiat entre les différentes échelles de rémunération. Nous vous démontrerons que cela est possible.

Nous vous proposerons également d'améliorer le régime des heures supplémentaires, pour éviter qu'il y soit fait un recours abusif, et ainsi créer des emplois et pour donner une juste compensation aux salariés.

M. Maxime Gremetz - Très bien !

Mme Muguette Jacquaint - Nous avons également déposé plusieurs amendements visant à lutter contre le travail précaire et le recours abusif aux CDD et autres temps partiels imposés autant de contrats qui installent durablement bon nombre de personnes dans des difficultés sociales quotidiennes et qui interdisent tout projet de vie, et dont votre projet de loi ne se soucie absolument pas.

Nous voulons également défendre un droit à la formation pour les jeunes et les salariés. Aujourd'hui, nous devons reconnaître un droit à la formation tout au long de sa vie, qui est là encore totalement absent de votre texte.

Nous souhaitons aussi donner la possibilité aux salariés d'intervenir dans la gestion de l'entreprise, de participer activement à sa prospérité et à son développement et de donner leur avis sur son avenir.

Enfin, nous proposons une autre logique d'aide à la création d'emploi. L'inefficacité des exonérations de charges que vous vous acharnez à défendre est démontrée : ni dans le petit livre rouge, ni dans le petit livre bleu, ni dans les statistiques de l'INSEE que M. le Premier ministre a évoqué lors de son discours de politique générale, mais dans un rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen en juin 2000. Nous avancerons dans une alternative reposant sur une bonification des crédits selon que l'entreprise participe ou non à la création d'emploi.

Nous marquerons fermement notre hostilité à toutes les mesures contraires aux aspirations des salariés et à toute remise en cause d'acquis sociaux. Nous proposerons des mesures progressistes qui tiennent réellement compte des attentes des salariés sur des choix de société que le patronat et le MEDEF souhaitent remettre en question au titre de leur prétendue refondation sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Claude Gaillard - Après une fin de soirée quelque peu agitée, nous continuons à débattre et je ne peux qu'être surpris que le groupe qui a demandé à vérifier le quorum soit si peu représenté ce matin, alors que nous étions au total plus de deux cents hier soir. Permettez-moi d'y voir plus une volonté d'obstruction qu'un souhait d'améliorer le débat.

Par ailleurs, et contrairement à ce que certains veulent laisser croire, il est question dans ce projet de loi à la fois des salaires, et notamment des plus bas, du développement de l'emploi, parce que le chômage reste un fléau, et du temps de travail. Vouloir réduire le débat à cette dernière question est trop restrictif et je m'y refuse.

Le projet que nous avons à examiner est donc un texte majeur, et je vous remercie, Monsieur le ministre, d'avoir, par votre diligence, répondu à l'impérieuse exigence d'action exprimée par les Français. Depuis les lois « Aubry », un vaste débat public s'est engagé. Deux élections majeures ont eu lieu. Le pouvoir d'achat des bas salaires et le dynamisme des entreprises sont rapidement apparus comme des préoccupations majeures, et chaque famille politique a pu faire valoir ses arguments en la matière. Ce sont les sujets que nous traitons aujourd'hui, en voulant libérer les forces économiques de contraintes réglementaires et fiscales trop lourdes et renouveler le dialogue social.

Les deux longues motions de procédure d'hier m'ont inspiré quelques réflexions. Pas tant celle de M. Gorce, tellement technocratique et embrouillée que le Français moyen que je suis n'y a pas compris grand-chose, que celle de M. Le Garrec, qui exposait une vision politique, au sens noble, sur le travail et la société. Comme lui, je viens de l'entreprise. Même si lui vient plutôt de la grande entreprise et moi de la petite, je crois que nous savons tous les deux que le contexte a changé, que l'importance de l'Europe est réelle, que l'ouverture à l'Est va encore modifier les choses et que la mondialisation a à la fois des effets bénéfiques et des effets néfastes. Nous devons nous adapter à ces réalités, et l'expérience sur le terrain est pour cela indispensable.

Déjà en 1981, les choses avaient davantage changé qu'on veut bien le dire. M. Le Garrec a rappelé à M. Mer les effets bénéfiques de la nationalisation de la sidérurgie. Le Lorrain que je suis, qui a les aciéries de Pompey dans sa circonscription - celles qui ont fourni l'acier de la tour Eiffel - se souvient de ce qui était dit avant 1981 sur les nationalisations ! Mais en 1984, la loi Fabius a rayé d'un trait de plume les aciéries de Pompey et leurs 4 500 ouvriers. On peut se féliciter sur certains plans des nationalisations, mais il faut aussi se souvenir de leur coût social.

On peut avoir le même type d'approche pour 1993 et pour 2002. En 1993, nous sortions de cinq ans de gauche sans cohabitation. Qu'avons-nous trouvé ? Un taux de croissance nul, voire négatif. Il a donc fallu prendre des mesures pour nous adapter à une conjoncture difficile. Comparer 1993 et 1997, c'est taire cette réalité.

En 2002, nous arrivons au pouvoir après cinq années de gouvernement socialiste, qui je le crois, a essayé sincèrement de faire des réformes. Mais qu'en est-il ? Depuis un an et demi le chômage augmente à nouveau et le taux de croissance pour 2002 sera faible. Le cours des choses s'est inversé et il faut donc faire attention quand on compare.

En ce qui concerne la réduction du temps de travail, je rappelle qu'il y avait une différence essentielle entre les lois de Robien et Aubry. De Robien se basait sur l'incitation et le volontariat (« Ça n'a pas marché ! » sur les bancs du groupe socialiste). Quand on incite, c'est forcément moins rapide que quand on impose ! La loi Aubry 1 imposait, mais avec la volonté de créer des emplois. Mais dans la loi Aubry 2 il n'en était plus question : c'était reconnaître, de fait, que les choses ne se passaient pas comme prévu.

Je suis fasciné de voir qu'on ne lâche rien sur rien et qu'on nous ressort aujourd'hui les mêmes arguments que pour les lois Aubry, comme si rien ne s'était passé. Les électeurs, à en croire certains, étaient insouciants et ont voté les yeux bandés... Pour nous, les électeurs ont raison par définition. Ils se sont exprimés et ce texte répond à leurs priorités, qui touchent les ruptures sociales, les laissés pour compte et les problèmes d'emploi.

Le projet a une portée large, il traite l'ensemble des problèmes. C'est une étape majeure dans le cadre d'une politique globale au service de la croissance et de l'emploi.

Il s'efforce d'abord de résoudre un problème hérité de nos prédécesseurs : il s'agit de cette usine à gaz des 35 heures, qui ne satisfait pleinement ni les salariés, ni les employeurs, ni même ceux qui l'ont conçue - beaucoup de députés de l'opposition ont dit ce qu'ils en pensaient.

La politique est une question de choix. La gauche plurielle a présenté cette réforme comme une « grande avancée sociale ». Pourtant, au début, François Hollande et d'autres y voyaient avant tout une mesure de lutte contre le chômage. Comme cela n'a pas marché, on l'a requalifiée en « avancée sociale ».

Les 35 heures sont en partie responsables de la stagnation du pouvoir d'achat, notamment des plus modestes. Certains d'entre vous, dont François Hollande, ont d'ailleurs reconnu ce décalage entre un taux de croissance important et le blocage des salaires les plus bas. En outre, la France se retrouve au 13ème rang européen en matière de chômage.

À ce choix, nous préférons celui du pouvoir d'achat, du dynamisme économique et de la solidarité sociale. Les 35 heures obligatoires et uniformes ont un important coût financier - le FOREC est alimenté par des prélèvements sociaux, avec tous les effets pervers que l'on constate - un coût entrepreneurial, un coût social par les rigidités qu'elles créent, et enfin un coût comportemental - un journaliste parlait de désengagement excessif à l'égard du travail.

Notre souci est de traiter ces conséquences et de respecter nos engagements. On nous reproche de vouloir créer un salariat à deux vitesses : mais entre les 8 millions de salariés des grandes entreprises et les 7 millions de salariés qui ne sont pas aux 35 heures, l'inégalité existe déjà. En outre, la France n'est pas monolithique, elle est variée. Certains souhaitent être fonctionnaires, d'autres préfèrent le privé, mettre tout le monde sous la même toise ne correspond pas aux attentes du pays.

Aujourd'hui nous nous attachons à rassembler de façon solidaire les Français, tout en laissant une large place à la convention collective et aux accords d'entreprise. La réduction du temps de travail aurait pu être un formidable laboratoire d'innovation sociale. La gauche en a fait un diktat, elle préfère, par sa culture, l'obligation légale applicable à tous, partant de la conception manichéenne que les relations dans l'entreprise sont toujours des rapports de force. Or les entreprises ont évolué. Ce sont elles qui ont inventé les concepts de « projets d'entreprise » et de « démarche de qualité » qui associent l'ensemble du personnel. Notre rôle est de les aider, et non de multiplier les contraintes pesant sur elles.

C'est pourquoi ce projet corrige les excès précédents, simplifie, assouplit et réhabilite la négociation collective. Les accords déjà conclus ne seront pas remis en cause, cela va de soi. Un journal notait récemment qu'il a fallu un gouvernement de la gauche plurielle pour transgresser ouvertement le principe « à travail égal, salaire égal ». Un smicard qui continue à travailler 39 heures dans une PME touchera le même salaire que celui passé aux 35 heures. Tel est le résultat du système institué par les socialistes pour éviter une revalorisation immédiate du SMIC horaire.

Ce projet mettra donc un terme au système sans fin des garanties mensuelles en assurant une convergence graduelle des SMIC horaires d'ici le premier juillet 2005. Il est en effet fondamental de rétablir l'unité du SMIC, tout en assurant la progression du pouvoir d'achat et sans mettre à mal la compétitivité des entreprises.

Nous souhaitons aussi promouvoir une certaine philosophie du travail (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Nous souscrivons à la réduction progressive du temps de travail, qui est une tendance lourde de notre époque, mais à un rythme qui ne casse pas la croissance. En outre, nous sommes partisans de la liberté de choix, ce qui n'est pas le cas de nos adversaires (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) - je le dis avec tout le respect dû aux adversaires...

M. Michel Herbillon - On attend la réciproque ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Claude Gaillard - Nous, nous reconnaissons vos qualités, car nous pensons que personne n'est complètement bon, ni complètement mauvais.

En avril 2002, un sondage Louis Harris révélait que 49 % des Français voulaient travailler plus. Avons-nous le droit de les en empêcher. Au-delà de la France qui profite de la réduction du temps de travail, il y a la France qui souhaite travailler plus et augmenter son pouvoir d'achat, même si un sociologue soulignait récemment la préférence de nos sociétés modernes pour le présent, l'émotion et l'hédonisme plutôt que pour le futur, la raison et le travail (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Cela doit alimenter notre réflexion politique.

L'objectif de ce texte n'est pas d'opposer ces deux France, mais de les concilier, et de laisser chacun choisir librement sa façon de vivre et de travailler.

M. Gaëtan Gorce - Dans l'entreprise, le salarié décide librement de ses horaires ?

M. Claude Gaillard - Que connaissez-vous du travail en entreprise ? Quand j'étais, moi, délégué du personnel, on négociait sur le temps de travail. Quand il y avait un surcroît d'activité, certains étaient volontaires pour des heures supplémentaires, d'autres non, et l'on parvenait toujours à concilier les besoins de l'entreprise et les souhaits des salariés. Vous avez une vision caricaturale de l'entreprise, où le méchant patron persécuterait les pauvres travailleurs ! La réalité n'est pas du tout celle-là ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Nous souhaitons, nous, faire pleine confiance à la dynamique des relations sociales.

M. Michel Herbillon - Très bien !

M. Claude Gaillard - Le chômage est pour nous la préoccupation principale. Certes, pour un cadre, le passage de 39 heures à 35 heures, qui permet de partir en week-end plus tôt, peut avoir un côté agréable. Mais il faut arbitrer entre cet agrément supplémentaire et la situation dans laquelle se trouvent les plus démunis. Depuis 18 mois, le chômage est reparti à la hausse. C'est l'occasion de nous demander ce qu'il en est de la solidarité, et quelle société nous voulons. Nous voulons, nous, hiérarchiser les inégalités. Or, la première d'entre elles, c'est le chômage ; et la seconde, c'est le risque potentiel de devenir chômeur. Sait-on combien il est usant pour un salarié de sentir cette épée de Damoclès lorsque la santé de l'entreprise n'est pas bonne ? Or, chaque fois que le poids des charges s'accroît sur l'entreprise, le risque du chômage augmente pour le salarié. Voilà les vraies inégalités ! Tout le reste est discours politique de qui vit dans un système protégé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

La justice sociale consiste aussi à protéger les plus faibles. L'attractivité de la France, hélas, s'est affaiblie. Or, la première conséquence en est une menace plus forte sur les emplois les moins qualifiés, parce qu'ils sont les premiers à être délocalisés. Aussi est-il indispensable, comme vous le faites avec raison, de diminuer les contraintes que subissent les entreprises.

M. le Président - Veuillez conclure !

M. Claude Gaillard - Pour votre projet, vous pariez sur l'évolution culturelle des rapports sociaux dans notre pays. Aux partenaires, vous dîtes en substance : « vous êtes des adultes, et comme tels nous vous faisons confiance. Il n'appartient pas aux politiques de vous dire a priori ce qui est bon pour vous ».

Monsieur le ministre, nous serons à vos côtés pour faire évoluer les rapports sociaux dans la perspective d'une société fondée sur la confiance et non pas sur les procès d'intention (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Élisabeth Guigou - Je conçois que vous ouvriez la session en présentant ce projet, car les 35 heures méritent une attention particulière. Est en effet en cause rien de moins que la politique de l'emploi et des salaires, et la place du travail dans la société.

Sur le premier point, je crains que votre projet conduise à de fortes désillusions. Ce n'est pas que je méconnaisse les défauts d'application des 35 heures...

M. Michel Herbillon - Enfin !

Mme Élisabeth Guigou - Je dis bien d'application ! Les 35 heures ont réussi là où les syndicats sont assez forts pour avoir négocié de bons accords conduisant à des créations d'emplois, à une progression des salaires et à la réduction du temps de travail. Ailleurs, les 35 heures ont souvent servi de prétexte pour brider les salaires et accroître la flexibilité, par exemple dans les secteurs du nettoyage, de la restauration ou de la distribution. Il est vrai aussi que les salariés faiblement rémunérés préfèrent souvent effectuer des heures supplémentaires plutôt que de voir réduire leur temps de travail.

Reste qu'une nette majorité de salariés, et pas seulement chez les cadres, sont satisfaits des 35 heures : 59 % reconnaissent, selon un rapport officiel, une amélioration de leur vie quotidienne, dont 65 % chez les cadres mais aussi 57 % chez les salariés non qualifiés. Ce même rapport établit que la RTT a permis de créer 300 000 emplois dans le secteur privé concurrentiel, et que la négociation préalable a contribué puissamment à relancer le dialogue social.

Devant ce constat nuancé, la question devrait être : comment remédier aux défauts d'application des 35 heures et mieux satisfaire les salariés tout en préservant la dynamique ainsi créée ? Or votre projet, loin de répondre à cette double nécessité, va créer une France du travail à deux vitesses et aggraver le chômage.

D'abord, la rémunération des heures supplémentaires ne sera que très faiblement augmentée, contrairement aux annonces électorales : 1 % de salaire en plus dans les entreprises de moins de vingt salariés, et cela jusqu'en 2005 ; pour les entreprises de plus de vingt salariés, les heures supplémentaires pourront n'être majorées que de 10 % si les accords de branche en décident ainsi. Au total, les salariés qui travailleront plus ne seront pas payés davantage.

En outre, la suppression, dans le code du travail, de la référence aux 35 heures hebdomadaires au profit de la seule mention des 1 600 heures annuelles accroîtra la flexibilité. Ainsi, vous aggraverez les conditions de travail des salariés.

M. Michel Herbillon - Caricature !

Mme Élisabeth Guigou - Vous allez aussi créer une France du travail à deux vitesses. Actuellement, 8,6 millions de personnes travaillent dans des entreprises passées aux 35 heures. Celles qui n'y sont pas encore n'auront plus intérêt à le faire, puisque les salariés à 35 heures verront leur propre rémunération bloquée et celle des salariés restés à 39 heures augmenter nettement.

Je vous donne acte d'avoir proposé d'unifier vers le haut les garanties de salaire mensuel. Reste que le pouvoir d'achat des salariés passés aux 35 heures en 2001 et 2002 sera bloqué. Quant aux bas salaires, rappelons que le salaire net par tête a augmenté de 7 % de 1997 à la fin de 2001, et le pouvoir d'achat du SMIC a crû de 16 % pendant la même période, contre 2 % entre 1993 et 1997. Voilà la réalité !

Les entreprises qui ne sont pas encore aux 35 heures n'auront plus aucune incitation à le faire, alors que cette incitation est particulièrement nécessaire pour les PME.

Cette coupure durable de la France du travail en deux est donc très préoccupante. Votre projet va aggraver le chômage. Les 35 heures ont été créées pour partager le temps de travail afin de permettre à chacun d'accéder à l'emploi et à tous de bénéficier d'un temps libéré (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Elles ont largement atteint leur objectif, puisqu'elles ont contribué à créer des emplois et à endiguer le chômage.

M. Michel Herbillon - C'est grâce à la croissance !

Mme Élisabeth Guigou - 300 000 emplois directs entre 1997 et 2002, auxquels s'ajoutent de 30 000 à 50 000 emplois induits.

L'arrêt du passage aux 35 heures est donc une mesure contre l'emploi, qui s'ajoute à d'autres. Ainsi, la diminution du nombre des CES au deuxième semestre 2002 est particulièrement inquiétante, car chaque CES est un chômeur de moins. Vous passez de 340 000 CES - l'évolution de la conjoncture nous a en effet conduits à en ajouter 80 000 aux 260 000 prévus dans le budget initial 2001 - à 240 000 : vous prenez donc la responsabilité directe d'aggraver encore le chômage.

À cela s'ajoutent le non-renouvellement des emplois-jeunes et l'arrêt de la distribution des bourses d'accès à l'emploi. Là-dessus, Monsieur le ministre, nous voudrions des précisions. Que ferez-vous du programme Trace ? Combien y aura-t-il de bénéficiaires en 2003 ? Quid des bourses d'accès à l'emploi ?

Ne me dites pas que les contrats jeunes permettront d'impulser la dynamique nécessaire : pour donner de l'emploi aux jeunes, il faut créer de l'emploi, pas changer l'ordre dans la file d'attente. Il faut aussi mener une politique d'accompagnement individualisé : ainsi, près de 60 % des jeunes sans qualification qui sont passés par le programme Trace ont trouvé un emploi.

Votre projet, c'est vrai, traduit une vision qui n'est pas la nôtre de la place du travail dans la société.

M. Michel Herbillon - Enfin de la lucidité !

Mme Élisabeth Guigou - Le travail est une valeur centrale : il est un élément déterminant du lien social et donne à chacun son utilité sociale. Il n'est donc pas question de préconiser la fin du travail, mais de voir comment favoriser une meilleure harmonie entre le travail et la vie sociale.

Le travail est probablement moins pénible physiquement qu'au début du XXe siècle mais il est plus stressant. La qualité du travail dépend aussi de la vie familiale, des rapports sociaux dans l'entreprise, de la formation et de la culture de chacun. Quand 80 % des mères de famille travaillent, la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, pour les femmes mais aussi pour les hommes, devient une question centrale.

Comme le dit le chercheur Jean Viard, qui a consacré des études de fond aux 35 heures, deux modèles existent en Europe : celui du rapport paritaire au travail, où la France est leader, et celui du sous-emploi féminin. Nous sommes fiers d'avoir fait un choix en faveur du travail des femmes, et du travail à temps plein, conduisant à un partage du travail entre la femme et l'homme.

La réduction du temps de travail n'appauvrit pas la France, contrairement à ce qui a été dit sur les bancs de la majorité. Depuis le début du XXe siècle, la durée du travail a été fortement réduite et la productivité n'a cessé d'augmenter. Les salariés français sont aujourd'hui parmi les plus productifs du monde ; et la France est le pays où les coûts salariaux ont évolué le plus favorablement de 1997 à 2002.

Elle est aussi le pays européen où le nombre d'heures travaillées a le plus progressé ces dernières années, grâce à la réduction du chômage, à laquelle les 35 heures ont fortement contribué.

Certes, la richesse produite par habitant est plus faible chez nous qu'ailleurs en Europe. Il faut donc augmenter la quantité de travail. Mais de qui ?

Là est toute la question. Nous, nous avons fait le choix d'augmenter la quantité de travail en ramenant vers l'emploi les chômeurs.

Vous aurez compris que pour nous, il ne faut pas revenir sur les 35 heures, mais au contraire les développer. Loin de la caricature que vous en faites, elles font partie d'une politique d'ensemble et correspondent à une certaine vision de la société. Chaque homme, chaque femme doit pouvoir consacrer du temps non seulement au travail, élément essentiel d'intégration sociale, mais aussi à l'éducation des enfants, à la culture, aux amis, à l'engagement associatif ou syndical. Comme Bernanos, nous croyons, à gauche, que « l'homme ne va bien que là où il va tout entier » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Nicolas Perruchot - La gestion socialiste a été aussi inefficace que dépensière. Dans le domaine de l'emploi, la politique autoritaire qui a été suivie a engendré l'inégalité entre les salariés et l'alourdissement du coût du travail pour les entreprises. Il était donc particulièrement nécessaire de légiférer.

L'UDF est en phase avec la volonté du Gouvernement d'aller dans le sens de la simplification des textes, de la valorisation du travail, de la reconnaissance des salariés et des entreprises. Ce qui a fait perdre la gauche, c'est d'abord sa gestion du dossier emploi.

S'il est une mesure urgente, c'est bien l'harmonisation des SMIC : il s'agit simplement de mettre fin aux disparités engendrées par la loi sur les 35 heures. L'UDF approuve le système d'harmonisation par le haut prévu par le Gouvernement.

Certes, cette harmonisation aura des conséquences sur l'ensemble de la grille salariale. Par ailleurs, l'allégement des charges ne compensera que partiellement le mécanisme de convergence. Nous demandons donc que des mesures soient prises pour réduire le coût du travail dans les entreprises, façon la plus efficace de promouvoir l'emploi. François Bayrou avait défendu pendant la campagne présidentielle l'idée des emplois francs, pour lesquels les cotisations patronales seraient limitées à 10 % du salaire brut pendant cinq ans.

S'agissant des heures supplémentaires, nous sommes également en phase avec l'objectif que vous affichez : promouvoir la négociation salariale. Cependant, votre projet ne fait pas suffisamment confiance au dialogue social. Vous auriez pu très vite, par simple décret, augmenter le contingent d'heures supplémentaires. Sur le reste, vous auriez pu distinguer ce qui relève de l'ordre public social et ce qui relève de la négociation collective. À l'UDF, nous pensons que la législation doit venir après le dialogue social, et non pas avant. Dès lors que la loi encadre, de quelle négociation peut-on parler ?

Un exemple : le taux de majoration des heures supplémentaires. Vous proposez une mesure législative supplétive à 25 %, avec un appel à négociation sur un taux qui ne pourra être inférieur à 10 %. Mais quel syndicat va négocier en dessous de 25 % ?

Compte épargne temps, régime des heures supplémentaires, mesures spécifiques aux cadres font partie des sujets qui, à nos yeux, doivent relever de la négociation collective. Inspirons-nous, dans ce partenariat entre l'Etat et les acteurs du monde du travail, de l'exemple de certains de nos partenaires européens comme l'Allemagne. Il faut sortir de l'idée qu'en matière sociale, la légitimité du politique est plus forte que celle des partenaires sociaux.

Le dispositif prévu pour les PME est pertinent car il leur apporte la souplesse nécessaire. Toutefois, nous craignons qu'il ait des conséquences néfastes sur l'attractivité de l'emploi dans ces entreprises. Nous vous demandons donc d'être particulièrement attentifs au sort de leurs salariés.

Vous voyez, Monsieur le ministre, l'architecture que voudrait créer l'UDF : un pays où la notion d'accord majoritaire a un sens et une portée ; un pays où sont définies explicitement les règles d'ordre public social. Une réflexion sur la légitimité des partenaires sociaux et sur la notion d'accord majoritaire est nécessaire.

Mais l'heure est à l'urgence. Ce texte constitue un bon point de départ pour résoudre les problèmes les plus graves. Il pourra être amélioré au fur et à mesure des négociations avec les partenaires sociaux. Le groupe UDF le votera (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Edouard Landrain - En présentant un projet de loi relatif aux salaires, au travail et au développement de l'emploi, Monsieur le ministre, vous avez lancé un message fort ; vous avez répondu à l'appel des Français.

Ceux qui travaillent nous ont dit pendant la campagne électorale : pourquoi gagnons-nous moins d'argent ? Pourquoi nous manque-t-il 1 000 ou 1 500 francs pour payer nos crédits ? Les artisans s'étonnaient de voir dans les magasins de bricolage, le samedi, des files ininterrompues de personnes venues faire des achats non pour bricoler chez elles, mais pour travailler au noir. Quelque chose n'allait donc pas dans notre Royaume de France. Ceux qui étaient au pouvoir se trompaient.

Bien des Français avaient le sentiment d'avoir été les oubliés de la précédente législature, en particulier les salariés les moins qualifiés, les millions de personnes qui touchent le SMIC dont le pouvoir d'achat et les conditions de vie ont été mis à mal par l'application rigoureuse de la réduction du temps de travail.

Loin d'être une grande conquête sociale, les 35 heures ont au contraire bénéficié aux cadres des grandes entreprises.

Une étude remise au précédent Gouvernement par M. Jean Viard, du CNRS, dresse un état des lieux sans ambiguïté : globalement, la courbe de satisfaction est calquée sur celle de l'échelle sociale. Les catégories socioprofessionnelles les plus élevées ont un taux de satisfaction plus important - sans doute en raison d'une plus grande maîtrise du temps libéré -, alors que les catégories les moins favorisées sont plus soumises à la modulation des horaires et des variations quotidiennes difficiles à gérer. Les clubs de loisirs, les centres de voile, les clubs de tennis ont été très occupés, en effet, par ceux qui en ont le temps... et les moyens ; les autres ramaient et bricolaient. En préconisant le travail au noir, vous avez nui à la croissance (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Globalement, les écarts sont plus considérables chez les femmes : les cadres ont un taux de satisfaction de 70 % ; il est de 40 % pour les femmes non qualifiées et les ouvrières. Le constat est identique à propos des conditions de travail. Les cadres et les professions intermédiaires perçoivent une amélioration ; l'augmentation des cadences, une polyvalence accrue, une perte d'autonomie touchent les employés et les ouvriers non qualifiés. Leur pouvoir d'achat, de surcroît, a subi de plein fouet la rigueur salariale qui a accompagné la mise en _uvre des 35 heures. En valeur absolue, les salariés modestes ont perdu entre 1 et 2 points de pouvoir d'achat depuis trois ans, quand les cadres voyaient le leur croître d'environ 40 %. Cette baisse s'explique par un mouvement général de gel des salaires et par la diminution du nombre d'heures supplémentaires qui représentaient, pour les revenus les plus modestes, un complément important.

Les Français dans leur ensemble ont été privés des fruits de la croissance. La hausse du pouvoir d'achat s'est limitée à 0,4 % en 2000, année où la croissance était pourtant favorable. La France occupe l'une des dernières places, parmi les pays industrialisés, en matière de PIB par habitant.

À cette rigueur salariale s'est ajoutée l'injustice des smics multiples. Avec les trente-cinq heures, c'est paradoxalement la gauche qui a mis fin au principe « à travail égal, salaire égal ».

Dans une même entreprise et sur un même poste pouvaient coexister différents niveaux de salaire minimum.

La réduction du temps de travail ne s'est pas accompagnée d'une amélioration de l'emploi. Le dogme « travailler moins pour partager plus » a mené à l'échec. Avec un taux de chômage de plus de 9 %, la France fait figure de mauvais élève de la classe européenne, puisqu'elle se place au 12ème rang en terme d'emplois. Dans la même période, l'Allemagne et l'Italie ont créé proportionnellement autant de postes, les Etats-Unis un tiers de plus.

Si notre pays a créé en 4 ans 1,5 million d'emplois, ce n'est pas grâce à la réduction du temps de travail, mais essentiellement à la bonne conjoncture internationale : l'étude la plus récente de la DARES attribue à la réduction du temps de travail, depuis 1996, 300 000 emplois, soit seulement 18 % des emplois créés sur cette période - et encore ces emplois sont-ils principalement dus aux allégements de charges qui ont accompagné la réduction du temps de travail. Certains, au moment du vote de la loi Aubry, parlaient pourtant de la création de 750 000 postes !

Peu efficace, la réduction du temps de travail s'est avérée un véritable gouffre pour les finances publiques. Au total, on atteint un coût d'aides publiques unitaires moyen par emploi créé de 52 000 € ! La sécurité sociale a été lourdement mise à contribution, ses différentes branches étant régulièrement siphonnées pour alimenter le FOREC. Les acrobaties comptables auxquelles s'est livré le précédent gouvernement ont contribué à aggraver le déséquilibre des comptes dont nous découvrons aujourd'hui l'ampleur. Il restera sans doute dans l'Histoire pour avoir osé pareilles manipulations.

Certains, dans l'opposition, font mine aujourd'hui de nier ce tableau peu glorieux ; ils voudraient faire de la majorité et du Gouvernement les tombeurs de la grande conquête sociale de ces dernières années. Pourtant, après les élections, ils étaient moins nombreux à défendre les 35 heures ! Certains n'ont pas eu de mots assez sévères pour en qualifier les effets : M. Fabius, Mme Lienemann, mais c'est M. Kouchner qui s'est montré le plus acerbe : « La façon dont les 35 heures ont été mises en place et ressenties a été, c'est évident, l'une des raisons fortes de l'échec de la gauche. Dans la campagne, personne n'a jamais défendu devant moi les 35 heures, sauf les cadres supérieurs qui étaient eux, très heureux. Nous sommes allés trop vite. Et en particulier moi, à l'hôpital, où j'assume ma propre part de responsabilité ». Il est regrettable que cette lucidité ne soit pas plus partagée aujourd'hui sur les bancs d'une opposition dont nous avons bien compris qu'elle cherchait avant tout à se refaire une santé politique à l'occasion de ce débat.

Heureusement, le projet de loi dont nous discutons laisse peu de prise à la caricature : le Ministre des affaires sociales l'a dit : c'est un texte équilibré, qui vise autant l'efficacité économique que le progrès social. Il rompt avec la politique précédemment menée. Conformément aux engagements du Président de la République, du Premier ministre et du Gouvernement, les salariés les moins rémunérés vont pouvoir bénéficier d'un gain substantiel de pouvoir d'achat qui aidera à la relance de la consommation.

Le texte permettra aux salariés de faire plus d'heures supplémentaires - sans pour autant qu'ils y soient obligés, car la fixation du contingent d'heures supplémentaires sera désormais déterminée prioritairement par la négociation. Enfin la négociation ! Vous étiez en panne de dialogue social avec les entreprises, avec les syndicats. Vous les négligiez. Ils vous ont montré votre erreur.

Certains, dans l'opposition, dénoncent une régression sociale, une victoire des employeurs sur les salariés. Cessons d'opposer les intérêts des uns à ceux des autres : la possibilité de travailler plus permet de produire plus, certes, mais aussi de gagner davantage, car il convient d'ajouter une majoration au paiement de l'heure. Son niveau pourra être négocié dans les branches avec un plancher de 10 %. A défaut d'accord, le taux actuel de 25 % pour les 8 premières heures supplémentaires s'appliquera. Garantie de qualité supplémentaire : le Gouvernement aura la capacité de refuser l'extension d'un accord qui aurait été signé par une Confédération ne représentant qu'une partie très minoritaire des salariés dans la branche concernée.

La possibilité de faire plus d'heures supplémentaires s'accompagne d'un effort sans précédent en faveur du SMIC puisque le projet de loi propose un schéma d'harmonisation par le haut permettant de sortir de l'impasse économique et sociale des SMIC multiples.

Il convient de saluer le sens des responsabilités du Gouvernement qui, suivant l'avis du Conseil économique et social - institution que la gauche, en particulier, ferait mieux d'écouter plus souvent - met en _uvre un processus qui devrait permettre, en 2005, de revenir à un SMIC unique.

Ce rattrapage se traduira, pour plus de 46 % des salariés actuellement rémunérés au SMIC horaire, par une augmentation de près de 11,4 % sur trois ans. En tenant compte de l'évolution des prix, cette hausse devrait atteindre 16 %. Au total, 80 % des salariés verront leur pouvoir d'achat augmenter - quant aux autres, il sera garanti, la hausse des prix étant évidemment répercutée.

L'attitude ambiguë de l'opposition, qui tente maladroitement de nous faire des procès d'intention, n'est sans doute que la conséquence de son amertume : ce qu'elle a été incapable de faire, le Gouvernement est en train de le réaliser. Il rétablit l'équité entre les salariés et revalorise les bas revenus.

En agissant, nous contribuons à redonner au travail toute sa valeur, à la fois comme facteur essentiel d'épanouissement personnel et comme force structurante des rapports dans notre société. Le différentiel entre les revenus de l'assistance et ceux du travail n'incite pas toujours les chômeurs à reprendre un emploi. Pour redonner le goût d'entreprendre, il nous faut donc revaloriser la rémunération du travail et offrir à chacun les chances d'une véritable promotion professionnelle. C'est déjà le cas pour les jeunes non qualifiés, avec le contrat sans charges. Quant aux entreprises, elles vont enfin disposer de la souplesse indispensable dans un contexte de concurrence internationale. Avec la réduction du temps de travail, la durée moyenne collective a chuté à 36 heures par semaine en France, contre plus de 42 aux Etats-Unis et plus de 40 en Allemagne. Donnons à notre économie les moyens de rester compétitive !

Nous ne pouvons que nous féliciter des orientations de votre projet de loi : concilier l'efficacité économique, à travers votre dispositif d'allégements des charges, et le progrès social, est une ambition qui emporte l'adhésion de tout député UMP. Aussi voterons-nous ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Patrick Bloche - Comment ne pas être saisi de vertige devant ce texte, si l'on songe au nombre d'heures passées ici à élaborer patiemment, aux côtés de Martine Aubry, les deux lois qui, en réduisant la durée hebdomadaire du travail, ont initié une profonde dynamique de négociation dans nos entreprises ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Entre 1998 et 2001, des dizaines de milliers d'accords ont été signés chaque année sur la réduction et l'aménagement du temps de travail, mais aussi sur les conditions du travail ou sa rémunération. C'est à cette vraie richesse sociale, aux effets économiques indéniables, que vous vous attaquez aujourd'hui. Il y a fort à parier que quelques jours suffisent à mettre à bas la savante architecture des 35 heures (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) née avant tout du dialogue social...

M. Michel Herbillon - « Savante » est de trop !

M. Marc Laffineur - N'importe quoi !

M. Patrick Bloche - Car c'est bien d'un démantèlement systématique qu'il s'agit, non de ce prétendu assouplissement que vous avez annoncé, craignant sans doute la réaction de nos concitoyens, dont près de 60 % estiment que leurs conditions de travail se sont améliorées, 13 % seulement jugeant le contraire.

Dès l'élaboration de votre projet de loi, vous avez donné le ton. Devant la Commission nationale de la convention collective, vous aviez affirmé votre volonté de concertation. Les organisations syndicales n'ont pas eu le temps de vous prendre au mot : leur présentant votre pré-projet le matin, vous en avez modifié le contenu l'après-midi même. Du reste, le doublement brutal des cotisations des intermittents du spectacle au c_ur de l'été, nous avait déjà instruits sur l'attaque en règle que vous livrez contre le droit du travail. Sur fond de revanche sociale, le MEDEF guide vos pas (Protestations sur les bancs du groupe UMP) et les rodomontades de M. Seillière n'ont trompé personne. Saluons l'artiste, mais comment être dupe d'une répartition des rôles si peu discrète ?

M. Michel Herbillon - C'est un peu caricatural !

M. Patrick Bloche - La vérité, c'est que votre projet de loi est un antidote au dialogue social. Vous lui tournez d'ailleurs le dos en portant par décret de 130 à 180 heures, le contingent d'heures supplémentaires permettant aux employeurs - selon leur seul et bon plaisir - de « revenir aux 39 heures », pour reprendre l'aveu du Premier ministre. Sur la rémunération de ces heures supplémentaires, qui était définie par loi et que vous renvoyez à la négociation, je pointe un risque majeur, celui de faire de la négociation un facteur non de progrès, mais de régression sociale. Nombre de salariés auront en effet intérêt à ce qu'il n'y ait pas de négociation, pour que la loi s'applique et que tout risque de diminution du taux de rémunération disparaisse.

Au-delà du pragmatisme affecté, votre texte est d'inspiration nettement libérale, avec d'abord la suppression de toute contrepartie aux allégements de cotisations sociales accordés aux entreprises, qui s'élèveront à 15 milliards d'euros. Il marque surtout un recul du rôle protecteur de l'Etat, garant de la justice sociale, dans un contexte de développement des inégalités entre les salariés des différents secteurs.

Les atteintes que, sous prétexte de simplification, votre texte porte aux droits au repos compensateur, révèlent une démarche qui conduit à supprimer des protections dont l'Etat, par la loi, était jusqu'à présent le garant.

La politique de votre Gouvernement est donc un flagrant retour en arrière dans la conception même des relations sociales et du rôle de la puissance publique en France. Dans ce même hémicycle, il y a quelques décennies, Léon Blum (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) déclarait déjà : « Ce que nous essayons de faire, c'est une organisation économique et sociale nouvelle, dans le cadre d'un pays libre, entre des organisations patronales et syndicales libres, sous l'égide ou l'arbitrage d'un gouvernement soumis à un Parlement souverain et, par conséquent, dans le cadre d'une démocratie ». Cette « feuille de route « , qui fut aussi celle du gaullisme social (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), aurait pu être la vôtre, Monsieur le ministre. Ce n'est visiblement pas le cas : vous lui avez préféré le cahier des charges du MEDEF.

Plus incompréhensible est votre volonté, après la suppression des emplois-jeunes et la diminution condamnable des emplois aidés, de casser avec autant de légèreté un outil essentiel de la politique pour l'emploi, alors même que le chômage augmente.

À cet égard, la réponse plutôt courte que vous avez donnée à notre collègue Hélène Mignon avant-hier n'a pu qu'accentuer ce manque de visibilité de vos grands objectifs sociaux.

Ce qui est clair, c'est que vous vous positionnez à contre-courant des évolutions majeures de notre société dans son rapport au temps. En 1948, le temps de travail était de 120 000 heures annuelles dans une vie de 600 000 heures. Depuis l'instauration des 35 heures, il s'élève à 63 000 heures dans une vie de 700 000 heures, soit 96 000 heures de vie en plus et 57 000 heures de travail en moins : en un demi-siècle, la vie de non-travail a gagné plus de 150 000 heures.

Parce qu'il occupe une place majeure dans le temps social, le temps libre n'est plus ce résidu nécessaire à la reproduction de la force de travail, mais un temps autonome, investi de sens, qui produit ses propres valeurs. Comme le souligne le sociologue Jean Viard, dans son rapport à Elisabeth Guigou sur les effets des 35 heures, « le temps libre devient la trame de fond du temps social » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) d'autant plus que la France a fait le choix d'un modèle paritaire du travail - court, très productif et à forte valeur ajoutée - qui n'est pas sans conséquence sur le temps libre disponible.

Le passage aux 35 heures n'est donc pas apparu comme une révolution, mais plutôt comme un accélérateur des mutations déjà à l'_uvre dans notre société. Sa force réside moins dans la baisse quantitative du temps de travail que dans l'arythmie nouvelle qu'il a dessinée et dans le gain de liberté qu'il a engendré. Si l'adhésion de nos concitoyens a été aussi forte (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) c'est parce que cette mesure a déplacé le centre de gravité du temps social du travail vers l'individu. La loi sur la réduction du temps de travail a ainsi répondu à deux exigences fortes : le manque de travail pour les uns, de temps pour les autres. Elle montre que les notions de solidarité et de liberté, loin d'être opposées, sont fortement liées.

C'est à ce temps « choisi », pour reprendre l'expression de Jacques Delors, que vous vous attaquez. C'est un vrai projet de société que vous remettez frontalement en cause.

Craignez donc que nos concitoyens prennent rapidement conscience des conséquences de vos choix pour leurs vies personnelles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Mme Martine Billard - Avec ce projet de loi, le Gouvernement fait semblant de répondre au ressentiment de certains salariés envers les deux lois de réduction du temps de travail. En réalité, il remet en cause leurs avancées et aggrave les dispositifs de flexibilité imposés aux salariés. Certaines dispositions du texte vont bien au-delà d'un simple assouplissement - ô beauté du langage politique ! - puisqu'elles s'attaquent à des acquis sociaux antérieurs même aux 39 heures.

En incitant à la baisse du taux minimum de majoration des heures supplémentaires, le Gouvernement se moque des salariés fragilisés par la première expérimentation des 35 heures, tout en prétendant les défendre (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Les salariés veulent-ils gagner plus ? Si leur salaire est bas, évidemment. Veulent-ils travailleur plus ? Non, s'ils ont les moyens de gagner correctement leur vie autrement.

M. Gaillard nous a parlé d'une entreprise idéale. Visiblement, nous n'avons pas fréquenté les mêmes PME, et nombreux sont les salariés qui n'ont pas eu la chance de discuter des heures supplémentaires avec leur chef d'entreprise. De quelle « valeur-travail » voulez-vous parler à la caissière de supermarché, au livreur de pizzas, payés au SMIC à temps partiel, aux salariés de Mc Donald's ou des centres d'appel ? S'ils font ce travail, c'est souvent faute de mieux. De quelle « valeur-travail » voulez-vous parler à ces salariés de 50 ans menacés par les plans de licenciement ? Les Verts ne font pas leur deuil de la réduction du temps de travail. Les imperfections des lois de 1998 et de 2000 ne justifient pas le démantèlement du dispositif, mais son amélioration. « Travailler moins pour travailler tous » demeure pour nous un objectif de progrès social.

Pour les entreprises de moins de vingt salariés, au lieu de continuer la politique frileuse de gel des 35 heures, mieux vaudrait concentrer les aides sur ces très petites entreprises créatrices d'emploi, au lieu d'aider des entreprises qui versent des stock-options et licencient au nom du seul intérêt des actionnaires.

Vous proposez d'étendre l'annualisation du calcul du temps de travail en abandonnant la référence à la durée hebdomadaire du travail arrachée de haute lutte par les salariés.

La différence entre vous et nous, c'est bien celle qui sépare, en matière de durée du travail, les intérêts des patrons de ceux des salariés, bataille qui a traversé tout le XXe siècle.

M. Pierre-Louis Fagniez - Les salariés vous ont répondu !

Mme Martine Billard - Ils n'ont pas répondu à un référendum sur les 35 heures, ils ont élu un président et des députés. Ce n'est pas la même chose ! Alors que les licenciements économiques se multiplient, votre politique de l'emploi se limite à des baisses de cotisations sociales patronales, sans aucune contrepartie. Profitant des angoisses de certains salariés qui ont peur de voir leur salaire baisser avec la réduction du temps de travail, vous nous présentez un véritable texte de régression sociale. Vous proposez des temps d'annualisation, ou des forfaits-jours contre lesquels les cadres se sont élevés parce qu'ils représentent une véritable augmentation du temps de travail. Vous cherchez à démanteler les protections construites pendant des décennies grâce aux luttes des salariés. Les salariés des petites entreprises, où il n'existe souvent pas de sections syndicales, de délégué du personnel ou de comité d'entreprise, se sentaient protégés par le cadre légal. Aujourd'hui, vous rendez leur situation très inégale par rapport à ceux des grandes entreprises. Au nom de la liberté, vous introduisez le renard dans le poulailler en interdisant aux poules de se réfugier sur des perchoirs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Pierre Cohen - Permettez-moi, Monsieur le ministre, d'exprimer mon indignation : quelques mois à peine après votre arrivée au Gouvernement, vous décidez de remettre en cause cette avancée emblématique qu'est la réduction du temps de travail. Que les lois Aubry aient été pendant cinq ans le symbole du combat du Medef contre la gauche, ce n'est pas étonnant. Mais que vous vous précipitiez pour les mettre à mal apparaît comme revanchard et dogmatique (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Vous vous attaquez sans scrupules à des avancées notoires. Pour vous justifier, vous dites que la réduction du temps de travail a été appliquée de façon autoritaire et sans concertation.

M. Jean-Louis Bernard - C'est la stricte vérité !

M. Pierre Cohen - Au contraire, elle est le fruit d'un dialogue social reconnu. La loi du 13 juin 1998 a créé une dynamique de négociation dans de nombreuses entreprises. Elle a fixé un cadre souple, et la loi suivante a pris en compte deux années entières de dialogue. Quant à vous, vous vous êtes contentés d'organiser, cet été, quelques réunions qui ne se sont soldées par aucun accord avec les syndicats, et à l'issue desquelles, le MEDEF vous a fait quelques simples critiques de façade. Ce n'est pas vraiment le fait d'un gouvernement de dialogue !

Vous prétendez aussi que les lois de réduction du temps de travail instaurent un salariat à deux vitesses et bénéficient surtout aux cadres. Mais leur mise en place n'était pas achevée : il faut du temps pour surmonter les obstacles qui se dressent devant des dispositifs d'une telle ampleur. Vous allez, en revanche, créer une inégalité irréversible entre ceux qui bénéficient déjà de la réduction du temps de travail et ceux qui n'y accéderont jamais, avec pour seule contrepartie une faible augmentation de leur pouvoir d'achat. En outre, il faut arrêter de chercher à faire croire que ce sont les salariés qui décident ou non de faire des heures supplémentaires !

M. Patrick Bloche - Absolument !

M. Pierre Cohen - Vous avez également dit que notre dispositif était contre-productif et freinait le développement des entreprises. Vous feignez d'oublier les 400 000 emplois qu'il a permis de créer. Prenons date et voyons les résultats de vos mesures dans quelques mois, même si vous ne manquerez pas d'invoquer la conjoncture internationale, la Bourse et - et surtout - le bilan du gouvernement Jospin ! Comment soutenir que la flexibilité et les heures supplémentaires à faible coût ne détourneront pas les chefs d'entreprise d'embaucher ?

Vous avez en revanche omis de noter que la réduction du temps de travail avait amélioré les conditions de travail, contribuant à réduire la fatigue, les accidents et les problèmes de santé. Cela aussi a un coût ! Elle a également introduit un changement culturel, que les jeunes, en particulier, se sont approprié très vite, car il rééquilibre vie professionnelle et vie privée. C'est pourquoi 60 % des salariés bénéficiaires prônent le statu quo.

Le temps libéré, c'est aussi du temps pour se former, ou pour s'engager dans des actions d'intérêt général. Pourquoi ne parler que des cadres qui ont plus de loisirs, et non de tous ceux qui s'investissent dans la vie de leur quartier ou de leur commune ? Et à l'heure ou le Gouvernement se targue de faire payer l'absentéisme à l'école, comment oublier que la réduction du temps de travail a permis aux parents de passer plus de temps auprès de leurs enfants ? Votre projet aura aussi pour conséquence d'aggraver la fracture familiale !

Monsieur le ministre, je ne sais si les manuels d'histoire parleront de vous comme d'un ministre anti-social (Protestations sur les bancs du groupe UMP), mais vous serez sans doute le seul ministre de l'allongement du temps de travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Chantal Brunel - Permettez, Monsieur le ministre, à une nouvelle élue de vous dire la fierté qu'elle a de soutenir ce texte et à une femme de terrain de vous exprimer ses attentes. Ce projet de loi, qui était très attendu, redonne sens à un principe fondateur de notre Constitution : l'égalité.

Comment justifier en effet qu'un travail identique, qui nécessite les mêmes compétences, soit payé plus ou moins, selon la taille de l'entreprise et la date de son passage aux 35 heures ? Cette injustice évidente a été instaurée par un gouvernement qui pourtant se réclamait de la justice sociale.

L'harmonisation des SMIC est une ardente obligation. Elle a un coût, que l'allégement des charges tend à compenser, mais qui ne sera pas sans conséquences sur la pyramide des salaires, ni sur les marges des entreprises.

L'augmentation du quota des heures supplémentaires va permettre aux salariés de travailler plus et de gagner plus, et aux entreprises de gagner en souplesse. C'est un avantage vital pour les petites entreprises face à la concurrence des plus grosses. Leurs clients sont en effet toujours plus exigeants, en matière d'écoute, de qualité ou de délais. C'est pourquoi il aurait peut-être fallu aller plus loin et prévoir un assouplissement des heures complémentaires pour les salariés à temps partiel (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Celles-ci sont aujourd'hui limitées au dixième de la durée hebdomadaire du travail prévue au contrat. On aurait pu aller jusqu'à 20 %, avec un délai de prévenance suffisant. Il vaut mieux libéraliser le travail à temps partiel qu'empêcher ceux qui le peuvent de travailler.

Mme Muguette Jacquaint - Mais bien sûr !

Mme Catherine Génisson - Surtout pour les femmes !

Mme Chantal Brunel - Si je comprends la nécessité de soutenir les bas salaires, je regrette que le Gouvernement ait supprimé l'aide pérenne de 609 euros. Cette décision va pénaliser les salaires à haute valeur ajoutée qui sont pourtant essentiels dans une société de technologie où la « matière grise » est la richesse essentielle.

Il est donc regrettable que les ressources publiques soient entièrement consacrées à l'allégement des charges sur les bas salaires. Même si les contraintes budgétaires sont là, même si l'héritage est plus lourd que prévu, l'ensemble de nos sociétés de service, de nos entreprises qui sous-traitent et exportent sont pénalisées.

Je déplore également que le forfait des 217 jours travaillés ne s'applique pas aux salariés non cadres dont les horaires ne peuvent être prédéterminés, tels que les commerciaux qui travaillent souvent toute la semaine à l'extérieur de l'entreprise. Il s'ensuivra des litiges, qui feront les délices des prud'hommes. Par ailleurs, je ne suis pas sûre que ceux qui ont soutenu cette décision agissent dans l'intérêt de leurs propres troupes ; la vente par Internet va en effet se substituer de plus en plus au contact direct.

La négociation sur la majoration des heures complémentaires doit être déterminée au plus près du terrain, c'est-à-dire au niveau de l'entreprise ou de l'établissement. Il faudra notamment clarifier le sujet des astreintes, dont les conditions ont beaucoup évolué du fait de la généralisation des téléphones portables. Un arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 a pour conséquence d'interdire de mettre en astreinte un salarié qui a travaillé durant la semaine. Là encore, il faut laisser la négociation régler cette question.

Enfin, la femme de terrain que je suis, immergée dans le monde de la petite entreprise, souhaiterait vivement qu'une mission parlementaire soit créée pour passer au crible les aides aux entreprises. Ces aides, qui peuvent provenir du département, de la région, de l'Etat ou même de Bruxelles, créent en effet des distorsions de concurrence. Elles profitent essentiellement aux grandes entreprises, qui ont les moyens d'employer spécialement quelqu'un pour faire la chasse aux aides.

Mme Catherine Génisson - C'est vrai !

Mme Chantal Brunel - Le dispositif devient donc contre-productif, et est ressenti comme injuste par nos concitoyens. La plupart des entreprises ne demandent pas des subventions, mais des règles claires et durables.

Un travail d'élagage est donc indispensable, et les économies réalisées pourraient être intégralement affectées à l'abaissement des charges sur les salaires.

Mmes Catherine Génisson et Muguette Jacquaint - Et la formation professionnelle ?

Mme Chantal Brunel - Je ne parle que des économies qui seront réalisées. Les aides efficaces pour la formation professionnelle ou la recherche doivent bien sûr être maintenues.

Votre projet participe du souci, que je partage, d'alléger les charges et je le voterai avec enthousiasme. Mais il faudrait aller plus loin : il y va de nos emplois, de la compétitivité de notre pays - il y a donc urgence (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gérard Bapt - Je me suis inscrit dans ce débat, non pour reprendre les arguments de mes amis du groupe socialiste, mais pour vous dire mon inquiétude profonde en tant que président du comité de liaison des comités de bassin d'emploi, organisme placé sous votre tutelle, Monsieur le ministre.

Avec votre projet, la disparité entre les salariés passés aux 35 heures et les autres, notamment ceux des entreprises de moins de 20 salariés, va rester sans solution. Dans ma circonscription, les PME sous-traitantes de l'aéronautique m'ont dit leur difficulté à conserver leur personnel qualifié, débauché par les grandes entreprises en raison des meilleures conditions de travail qui y sont pratiquées.

Autre difficulté : ces PME, qui voulaient développer dans le cadre du bassin d'emploi un dialogue social territorialisé, conforté par la négociation sur la RTT, vont se trouver désarmées. On perd ainsi une grande chance d'instaurer, à côté du dialogue social institutionnel entre les pouvoirs publics et les centrales syndicales, un dialogue social décentralisé associant les chefs d'entreprises, les représentants des salariés, les élus locaux, les organismes consulaires. Vous renoncez à disposer, avec le comité de liaison, d'un organisme d'écoute et d'initiative, qui puisse impulser la création d'activités dans les territoires.

Mon inquiétude s'accroît encore quand je constate que la ligne budgétaire consacrée à la promotion de l'emploi sous son aspect décentralisé est en baisse.

Les comités de bassin d'emploi devraient être, au contraire, confortés, car les conseils de développement qui se mettent en place peuvent offrir des instruments nouveaux pour impulser les politiques publiques de l'emploi. N'êtes-vous pas en train de vous priver de cette mobilisation des acteurs locaux ?

Je compte sur la validité de votre signature en ce qui concerne le reclassement des salariés de l'association-support du comité de liaison : il serait dommage de gaspiller leur savoir-faire. Mais je crains qu'au niveau des territoires vous ne désespériez tous ceux qui se sont engagés sur le front de l'emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Dominique Tian - Ruineuse pour les finances publiques - 15 milliards d'euros, soit 52 000 € par emploi créé -, complexe, inégalitaire, sans équivalent en Europe où on travaille en moyenne 40 heures, démagogique, facteur de perte de pouvoir d'achat pour les bas salaires, la loi sur les 35 heures est la parfaite illustration de la fausse bonne idée : « travailler moins pour partager le travail ». Contrairement à la loi Robien, qui incitait à ce partage pour éviter des licenciements dans les entreprises en difficulté, la loi sur les 35 heures s'applique aussi aux entreprises en bonne santé et coûte des sommes considérables à l'Etat et aux organismes de protection sociale.

M. Le Garrec mentionnait hier les études d'impact réalisées par des experts. Sans doute n'ont-ils pas tenu compte du tournant démographique de 2006, quand la population active française commencera à diminuer, alors que le nombre des retraités explosera : ils seront 600 000 de plus par an, deux fois plus qu'actuellement. Fallait-il vraiment adopter une loi sur le partage du travail, alors que de gigantesques chantiers s'annoncent ? Les autres pays européens seront, certes, aussi confrontés à ce problème de vieillissement de la population, mais la France est le seul pays à s'être engagé dans une réduction généralisée et obligatoire du temps de travail.

Nous avons gâché les chances offertes par la croissance. Les 35 heures n'ont pas eu d'effets massifs sur l'emploi ; ce sont essentiellement les allégements de charges qui ont permis de créer les fameux 300 000 emplois (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). La preuve ? Avec un taux de chômage de plus de 9 %, la France n'est qu'au 13ème rang européen, et les pays voisins l'ont aussi distancée en ce qui concerne le PIB par habitant.

Dont aucun autre Etat de l'Union européenne, un gouvernement, même de gauche, n'aurait osé faire preuve de tant de dogmatisme idéologique : les 35 heures obligatoires ont marginalisé la France (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Selon une étude du cabinet Ernst & Young, 84 % des dirigeants de filiales d'entreprises étrangères en France voient dans les 35 heures un inconvénient majeur du « site France ». Les socialistes sont devenus des Européens convaincus, et pourtant ils n'ont cessé de handicaper les entreprises françaises. Quand Tony Blair se rend au Congrès des chefs d'entreprises britanniques, il est acclamé (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). À l'Assemblée nationale, les orateurs de gauche ne cessent de nous accuser d'obéir aux ordres du MEDEF (Mêmes mouvements). Ce n'est pas le MEDEF qui dicte notre action : c'est la volonté de rendre l'économie française plus compétitive et de garantir ainsi l'emploi.

En proposant l'harmonisation par le haut des différents SMIC, nous allons accroître le pouvoir d'achat des salariés, sans pour autant compromettre la compétitivité des entreprises, puisque 6 milliards d'euros seront consacrés aux allégements de charges d'ici 2005.

Ce texte va rendre moral et motivation à de nombreux salariés. Il va également permettre aux entreprises d'embaucher plus facilement. Dans certains métiers, il y a pénurie de candidats et les emplois ne sont pas pourvus : désormais les revenus du travail se différencieront plus nettement des revenus sociaux, incitant à une recherche d'emploi active.

Enfin la relance de la consommation profitera à la croissance.

Monsieur le ministre, ce projet répond à l'intérêt général ; il est juste et équilibré ; il était attendu (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Hélène Mignon - Napoléon a dit : « Il est normal qu'un ouvrier travaille tous les jours, puisqu'il mange tous les jours ». Certains propos entendus en commission et ici m'ont fait repenser à cette phrase. Le fond de la pensée n'est-il pas le même, quand on déclare que la réduction du temps de travail est bonne pour les cadres, mais que pour les salariés à faibles revenus, la liberté, c'est de travailler plus pour gagner plus ? Nous n'avons pas de la liberté cette notion marchande (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Je rappelle aussi que l'espérance de vie est différente selon la pénibilité du travail, et que les accidents du travail ne frappent pas uniformément toutes les catégories de travailleurs : j'ai assuré des consultations de médecine du travail, et je sais de quoi je parle.

Alors qu'on fait appel à la responsabilisation de la famille, il est étonnant de reconnaître le droit au temps libre aux salariés à 35 heures, et de le décrier aux autres. La présence paternelle ou maternelle n'a-t-elle pas la même valeur pour un cadre ou un salarié, dans une grande ou une petite entreprise ? Le projet de salaire maternel va-t-il refaire surface ? Le salarié modeste n'aurait-il pas le droit, en dehors de son activité professionnelle, de se livrer, lui aussi, à des activités de son choix ?

L'actuelle majorité a toujours été hostile à la réduction du temps de travail. Pourtant je connais de très petites entreprises qui ont réussi le passage aux 35 heures, parce que le chef d'entreprise n'a pas écouté le discours des organisations patronales. Les 400 000 emplois créés grâce à la loi Aubry ont rendu leur dignité à toutes les personnes dont le seul désir était de retourner dans la vie active. En dénaturant la loi relative aux 35 heures, vous grugez des millions de travailleurs, vous leur faites croire à l'aubaine d'une augmentation d'un nombre des heures supplémentaires ; ils déchanteront à la vue de leur feuille de paie... Loin de réhabiliter le travail, c'est l'inverse que vous préparez. Le temps libre ne dévalorise pas le travail, sauf à considérer que l'épanouissement de chacun passe exclusivement par une activité rémunérée.

En négociant les 35 heures, les syndicats ont accepté flexibilité, annualisation, blocage des salaires, forfait-jours pour les cadres. Aujourd'hui, on abandonne les 35 heures, et on conserve tout le reste.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Quelle caricature !

Mme Hélène Mignon - Nous n'avons pas la même lecture de votre projet, qui fait la part belle au patronat, même si le MEDEF joue bien sa partition et hurle à l'insoutenable augmentation du SMIC. Les salariés vont-ils longtemps croire aux prétendues vertus de ce nouveau mode de calcul du SMIC ?

Votre projet revient sur des garanties acquises et fragilise le dialogue social. Il ne profite ni aux salariés les plus modestes, ni non plus aux cadres ? En fait vous voulez modifier la loi pour répondre aux v_ux du MEDEF, qui apparaît comme le seul interlocuteur valable aux yeux du Gouvernement. Or, dans l'entreprise, que ferait le patron sans les salariés ? C'est pourquoi il faut écouter leurs représentants ? Le dialogue social que vous prônez est en fait un dialogue de sourds. Ce patronat que vous placez en position de force ne lâchera rien, au contraire. Nous avons institué les 35 heures par la loi sans casser l'outil de travail et en garantissant à la fin du processus des avancées à toutes les catégories de salariés. Sous couvert d'assouplissement, vous videz le dispositif de sa substance sociale, vous créez plus de devoirs et moins de droits pour les salariés. « Travailler plus pour gagner plus », voilà votre devise. « Travailler plus pour gagner moins » serait plus conforme à la vérité. Toute heure supplémentaire appelle une rémunération supplémentaire. Ce supplément, d'ordre public, et défini par la loi, est fixé à 25 % depuis soixante ans ! Ce n'est pas être ringard que de dénoncer la réduction de cette majoration à 10 %.

M. le Ministre - C'est vous qui l'avez fait !

Mme Hélène Mignon - Ce taux dérisoire signifie en fait que vous voulez revenir sur la durée légale du travail.

Les aides accordées aux entreprises passées aux 35 heures subissent le même sort. Les entreprises qui ont réellement réduit le temps de travail et qui rémunèrent bien leurs salariés vont être perdantes. La bonification pour conduite antisociale ira à celles qui ont tourné le dos à la réduction du temps de travail, qui ont des masses salariales faibles et des employés mal payés.

Personne ne peut se féliciter de la mort programmée de la loi sur les 35 heures. Nous n'en attendons rien de bon. Votre objectif est ailleurs. Tout le monde a compris qu'il s'agit de donner des gages au MEDEF. Pourquoi ne pas écouter ces quelque 9 millions de travailleurs passés aux 35 heures, dont 59 % apprécient ce nouveau temps partagé ? Pourquoi ne pas écouter non plus le Centre des jeunes dirigeants d'entreprise, qui affirme que l'augmentation du quota d'heures supplémentaires risque de nuire à l'emploi ? Les propos de M. Gaillard relatifs à l'acceptation ou au refus des heures supplémentaires renforcent mes appréhensions.

Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ! Pour porter un coup mortel aux 35 heures, on prétend qu'elles n'ont qu'un impact négatif sur l'emploi et l'activité économique. Pourtant, la création de 2 millions d'emploi entre 1997 et 2002, la diminution du chômage (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), une santé économique meilleure que celle de nos voisins, démentent cette affirmation.

La majorité se réfère souvent à la décision des électeurs. Mais Jacques Chirac, au premier tour, n'a pas atteint 20 % des voix (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Plusieurs députés UMP - Et Jospin ?

Mme Hélène Mignon - Entre les deux tours, notre rôle a été important. Le succès ne vous appartient pas à vous seuls ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Yves Bur - Les conséquences de la loi sur la réduction du temps de travail alimenteront encore longtemps les débats. Certes une étude du ministère de l'emploi estime à quelque 300 000 les créations d'emplois qui lui sont imputables. Encore faudrait-il apprécier ce qui relève de l'effet d'aubaine, et ne pas oublier que l'année 2000 a connu un taux de croissance exceptionnel. De plus cette étude ne comptabilise pas les milliers d'emplois détruits à cause de ce carcan législatif.

La création d'emplois, en réalité, n'a pas été « boostée » par cette mesure autoritaire tant vantée par Mme Aubry, « votre dame des trente-cinq heures » ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) De 1997 à 2001, la France, avec 8,1 % de créations d'emplois marchands en plus, a fait moins bien que la moyenne de la zone euro et ne se situe qu'au 7ème rang parmi les pays européens (Approbation sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Cette loi idéologique, en revanche, a durablement déstabilisé nos entreprises et découragé un grand nombre d'employeurs qui attendent de nous que nous redonnions au travail sa place centrale au lieu de le considérer comme une aliénation.

M. Jean-Louis Bernard - Très bien !

M. Yves Bur - C'est précisément ce que vous faites, en respectant la durée légale du travail, mais en desserrant le carcan qui empêche ceux qui le souhaitent de travailler davantage pour gagner plus sans surcharger les coûts pour les entreprises. Vous nous proposez aussi de remettre de l'ordre et de la justice sociale dans le capharnaüm des SMIC multiples que la majorité précédente, toujours aussi fascinée par la bureaucratie étatique, justifiait par une idéologie jacobine dont même les Français ont été saturés (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). C'est bien M. Jospin qui a laissé s'installer une France à plusieurs vitesses ! Mais plus personne, il est vrai, ne semble revendiquer un héritage si encombrant...

Loin d'être ressenties par les Français comme une grande conquête sociale, les 35 heures ont aggravé les inégalités. Ainsi, si les femmes cadres sont les plus satisfaites, les femmes les moins qualifiées sont parmi les plus mécontentes. Ouvriers et employés sont ceux pour lesquels les conditions de travail et de revenus se sont le plus dégradées.

En revalorisant à terme de manière significative le SMIC, vous renforcez la justice sociale et vous contribuez à la revalorisation du travail. C'est que, pour nous, les revenus du travail doivent toujours être plus importants et attractifs que les revenus tirés de l'assistance (« Très bien ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP). L'augmentation substantielle du SMIC doit être l'occasion de creuser davantage l'écart entre le salaire minimal et le RMI, au « I » duquel il faut redonner tout son sens. Il importe en fait de dynamiser une politique de RTI - réduction du temps d'insertion - en redonnant au travail toute son attractivité.

En conciliant progrès économique et justice sociale, vous nous proposez une loi d'équilibre qui contribuera à relancer la croissance tout en associant davantage l'ensemble des salariés aux fruits de l'expansion.

Réjouissons-nous que la sécurité sociale ne soit pas mise à contribution pour financer le milliard de dépenses nouvelles liées à ce qu'on appellera bientôt « l'allégement Fillon ». Voilà qui contraste avec l'irresponsabilité du précédent gouvernement ! Attentif à l'évolution des finances de la sécurité sociale en tant que rapporteur du PLFSS, je me félicite que les exonérations de cotisations patronales soient intégralement compensées pour la sécurité sociale. En effet, à ce jour celle-ci porte toujours une dette que l'Etat refusait de lui rembourser pour équilibrer le FOREC, déficitaire en 2000 de 2,4 milliards. Au mépris des partenaires sociaux et en contradiction avec la décision du Conseil constitutionnel, cette dette jamais honorée pèse fortement sur les comptes sociaux.

À l'inverse, l'article 8 de votre projet garantit que l'exonération des cotisations, au titre du régime définitif comme du régime transitoire, seront intégralement compensées par un transfert de recettes vers le FOREC. Voilà la preuve d'une nouvelle volonté de transparence et de clarté ! je souhaite que nous disposions au plus vite d'une première analyse de l'évolution du FOREC au regard de ce nouveau dispositif. La refonde des allégements de cotisations induira en 2003 un surcoût de l'ordre de 1 milliard pour atteindre 6 milliards d'ici 2005. Ces sommes se substitueront aux coûts bien plus lourds des allégements Aubry et seront moins onéreuses pour les finances publiques.

En adoptant ces mesures qui libèrent les potentiels de travail tout en limitant les coûts pour les entreprises, nous redonnerons confiance aux entrepreneurs.

Ceux-ci attendent aussi un vaste effort de simplification. À cet égard, ils apprécieront l'unification des SMIC, de même que le début de regroupement des formules d'allégement des cotisations sociales. Ce regroupement permet à la fois de simplifier les formalités déclaratives des entreprises, qui aujourd'hui ne savent même plus à quoi elles ont droit, et d'éviter la superposition de dispositifs ciblés sur les mêmes publics.

Parce que vos propositions sont équilibrées, parce que le nouveau système d'allégement des charges bénéficiera en premier lieu aux PME, qui constituent un formidable gisement d'emplois, parce que 90 % des personnes touchant l'un des SMIC y gagneront en pouvoir d'achat et en reconnaissance, parce que la souplesse rendue aux entreprises pour organiser le travail suscitera la confiance, nous voterons ce texte avec l'espoir qu'il mènera les Français sur le chemin de la croissance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Catherine Génisson - Le Premier ministre va répétant à qui veut l'entendre que son gouvernement est pragmatique, mais il nous apparaît bien plutôt doctrinaire... (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Il s'emploie, derrière un discours tempéré, à disloquer les lois de la précédente législature, particulièrement en matière économique et sociale.

Après avoir substitué aux emplois-jeunes des contrats-jeunes sans accompagnement de formation, vous nous présentez un projet de loi qu'il serait plus franc d'intituler : abrogation des 35 heures, sous commandement du MEDEF (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Force est de constater que nous n'avons pas la même approche du travail. La diminution du temps de travail permet à la fois de travailler mieux et dans de meilleures conditions, et d'harmoniser les temps de vie : rien à voir avec l'analyse condescendante que vous en avez faite, Monsieur le ministre, devant notre commission. Les lois portées par Martine Aubry sous l'impulsion de Lionel Jospin ont contribué à ce mouvement historique d'émancipation des femmes et des hommes.

Par ailleurs, l'application des 35 heures a permis la création de 300 000 emplois (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Autrement dit, grâce à la RTT, 300 000 hommes et femmes ont retrouvé dignité et sentiment d'appartenance à la collectivité.

En vous appuyant sur le rapport d'un syndicat patronal, qui n'est d'ailleurs pas suivi par l'ensemble des organisations patronales, vous vous apprêtez à mettre en place un dispositif économiquement inefficace et socialement nuisible.

Vous arguez du prétendu caractère autoritaire des lois Aubry ; pourtant, que faites-vous du dialogue social quand vous l'enfermez dans le carcan d'un décret qui relève unilatéralement le contingent des heures supplémentaires, ou quand vous supprimez le principe de l'accord majoritaire, le principe du mandatement, le principe du référendum ?

Certes, vous êtes dans la ligne du Premier ministre qui, parlant dans son entretien télévisé des représentants syndicaux, a déclaré : « ils ont des convictions, je les écoute, mais ensuite nous décidons ».

M. Yves Bur - C'est déjà mieux que Jospin !

Mme Catherine Génisson - Satisfaisant les revendications du MEDEF, vous déplafonnez le recours aux heures supplémentaires, dont vous modifiez le régime indemnitaire, les salariés travailleront donc davantage, sans être justement rémunérés. Pendant ce temps, le nombre de chômeurs continuera d'augmenter...

Bien plus, vous posez le principe que nos concitoyens qui ont les plus bas salaires doivent accepter les heures supplémentaires pour vivre décemment.

En déconnectant la baisse des cotisations sociales de la réduction du temps de travail, vous créez une fracture entre les salariés qui bénéficient des 35 heures et ceux qui, malheureusement, les attendront encore longtemps. Parallèlement, vous allez instaurer une concurrence déloyale entre les PME.

Notre action passée n'était certes pas parfaite.(« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP). Nous aurions dû, en prenant comme base des cotisations sociales la valeur ajoutée plutôt que les salaires, allier réduction du temps de travail et amélioration du pouvoir d'achat. Mais vous ne faites que démanteler ce que nous avons mis en place. Pour notre part, nous continuerons à promouvoir la réduction du temps de travail, tant pour ses bénéfices économiques que pour ses bienfaits personnels et collectifs (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Daniel Garrigue - Ce projet est l'un des plus attendus par les Français. En effet les lois sur les 35 heures, imposées sans concertation, ont eu des conséquences profondément négatives.

D'abord, l'affaiblissement de notre économie, le Gouvernement Jospin ayant prétendu faire de la réduction du temps de travail un outil de lutte contre le chômage, au lieu de le considérer, comme par le passé, comme un résultat des gains de productivité et cela sans tenir compte du fait que nous sommes dans un monde ouvert, sans prendre en considération les spécificités des différents secteurs, sans considérer les contraintes démographiques.

Ensuite, la frustration profonde des salariés, et surtout des salariés modestes, qui ont vu leur pouvoir d'achat bloqué, voire amputé avec la remise en cause des heures supplémentaires, et qui ont vu se rétrécir, ou même s'annuler, l'écart entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas. Peut-être était-ce même pour vous une façon de régler le problème de l'immigration : des travailleurs saisonniers espagnols et portugais m'ont dit qu'ils ne viendraient pas travailler en France pour faire seulement 35 heures (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

En troisième lieu, la fermeture du dialogue social. Il est quand même savoureux d'entendre parler de la « dynamique » des accords sur les 35 heures, alors qu'elle était imposée par la loi !

Enfin, un effet profondément destructeur sur les services publics, notamment le service public hospitalier et les services publics en milieu rural.

Ce projet n'est pas l'expression d'une idéologie, mais porte la marque des valeurs auxquelles nous croyons. Valeur du travail, avec l'unification des SMIC et les nouvelles règles sur les heures supplémentaires ; valeur du dialogue, par le champ d'application donné à la négociation sociale ; valeur du développement, puisque les allégements de charges rendront à nos entreprises souplesse et compétitivité.

Certains trouveront que vous n'en faites pas assez. Faut-il leur rappeler les 6 milliards d'euros d'aides supplémentaires, l'articulation étroite que votre projet établit entre l'unification des SMIC et l'allégement des charges, faut-il leur rappeler que le rétablissement du dialogue social répond aux v_ux des Français et des partenaires sociaux ?

Sans doute de nouveaux dispositifs resteront-ils à définir pour inciter réellement ceux qui se sont installés - volontairement ou non - dans les mécanismes d'assistance, à revenir vers l'activité.

L'attente des Français n'est pas prioritairement tournée vers la réduction du temps de travail, mais vers la croissance, l'emploi et le pouvoir d'achat. Plutôt que par l'élargissement de la trame libre du temps social - qui n'est souvent que l'alibi égoïste des « bobos » - (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) nous pensons que c'est par le travail que passe le lien social (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Nous voterons votre texte avec la conviction qu'il sert le développement de la France et le bonheur des Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Alain Vidalies - La réduction du temps de travail a toujours été au c_ur de la confrontation sociale et politique.

Cette bataille permanente est jalonnée d'avancées, dont souvent la gauche fut à l'origine - 1936, 1982, 2000. La droite tente toujours de freiner ce mouvement, mais rarement, comme elle le fait aujourd'hui, de revenir en arrière.

Il se peut que cette loi Fillon entre dans l'histoire sociale de la France, mais avec un singulier label, celui de la première loi ayant organisé un allongement de la durée du travail (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Cette notoriété serait d'ailleurs en harmonie avec les propos tenus hier par son auteur, qui, en stigmatisant la responsabilité du Front populaire dans l'abaissement de la nation, donc dans la défaite de la République, a donné à ce débat le ton détestable de la revanche sociale (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La veille, la majorité avait adopté, en catimini, une proposition de loi autorisant l'extension du cumul des mandats dans le conseil d'administration des entreprises. On voit où sont les priorités...

Quant aux choix opérés en matière fiscale - baisse de l'impôt sur le revenu, nouvelles déductions fiscales pour les ménages aisés, mais augmentations des impôts indirects et notamment, pour tous, de la TIPP -, ils complètent harmonieusement le tableau de votre politique.

Manifestement, vous n'avez pas retenu la leçon des années 1993-1997 ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Pourtant, vous devriez vous rappeler que, confrontés à l'explosion du chômage, vous vous étiez interrogés sur la piste que constitue la réduction du temps de travail. Face aux gains de productivité permis par les progrès de la science et des techniques, la réduction du temps de travail est une sorte de passage obligé, sauf à accepter l'idée d'un chômage de masse.

Une autre solution existe : le développement du travail à temps partiel subi, au risque d'une précarisation généralisée. Ceux qui comparent notre situation avec celle des pays étrangers ne doivent pas oublier ce paramètre : il n'y a pas de « miracle hollandais » ni de « miracle britannique », mais dans ces pays, un recours massif et systématique au temps partiel qui, certes, améliore les statistiques, mais au prix de l'émergence de millions de salariés pauvres. Nous nous sommes risqués nous-mêmes à cette politique ; cette expérience partagée justifie nos inquiétudes à la lecture de l'amendement de votre rapporteur, qui propose de rétablir une exonération de charges supplémentaires pour les emplois à temps partiel.

Votre projet est une bombe à retardement pour la vie quotidienne des salariés, et vous n'avez apporté aucune réponse aux questions majeures posées par M. Gorce. La suppression de la référence à la durée hebdomadaire moyenne de 35 heures modifie-t-elle les conditions et le moment du calcul des heures supplémentaires ?

M. Jean Le Garrec - Très important !

M. Alain Vidalies - Les conditions de la monétarisation du compte épargne temps méritent également d'être précisées ; en l'état, cette procédure ouvre des possibilités de contournement de la majoration des heures supplémentaires.

L'extension du forfait-jour à ces centaines de milliers de cadres et de non cadres n'est-elle pas contraire aux dispositions de la charte sociale européenne, dès lors qu'il s'agit de la généralisation d'un cadre conçu comme dérogatoire ?

Votre projet instaure une distorsion majeure entre la situation des salariés dans les petites et dans les grandes entreprises. C'est socialement injuste et économiquement absurde. Cette différence pénalisera les petites entreprises dans leur recrutement, mais aussi dans la fidélisation de leurs salariés. Des organisations d'employeurs, déjà, s'en inquiètent.

Vous nous annoncez une loi sur la négociation sociale. Comprenez nos inquiétudes quand votre premier acte consiste à supprimer la règle de l'accord majoritaire, issue de la loi Aubry !

La campagne électorale est loin ! Vous nous promettiez de privilégier la négociation avec les partenaires sociaux, avant toute initiative législative. Or, votre pratique est inverse : un décret, une loi, sans négociation préalable. Pourquoi, me direz-vous, s'étonner qu'une majorité de droite applique un programme de droite avec des méthodes de droite ? Mais tous les Français ont-ils bien compris que, derrière vos slogans électoraux, se cachait une réalité aussi désastreuse pour leur vie quotidienne ? Derrière le slogan : « Travaillez plus pour gagner plus », les Français ont-ils compris qu'il fallait lire « diminution du taux de rémunération des heures supplémentaires et restriction du bénéfice du repos compensateur « ?

Il n'est pas certain non plus qu'ils aient compris que la mise en _uvre des 35 heures, dans les petites entreprises, est définitivement abandonnée...

Déjà, aujourd'hui, des milliers de salariés manifestent leur inquiétude pour les services publics ; demain, d'autres les rejoindront sur d'autres sujets.

L'emploi est redevenu la première préoccupation de nos concitoyens ; c'est en pensant à eux que nous trouvons la plus grande détermination à combattre ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Xavier Bertrand - Il a beaucoup été question des 35 heures, mais ce texte ne s'y réduit pas. Il s'agit d'un projet global pour l'emploi, qui repose sur trois piliers, au service d'une dynamique.

Tout d'abord, il traite de l'augmentation et de l'harmonisation du SMIC. La situation actuelle est ubuesque, voire kafkaïenne, et surtout injuste : six SMIC coexistent aujourd'hui dans notre pays ! Qui peut s'en satisfaire ? C'est au nom de la justice sociale qu'il nous est proposé d'harmoniser les SMIC par le haut, dans un délai de trois ans, mais c'est aussi au nom de l'efficacité économique, car cette revalorisation stimulera la consommation et la croissance.

Depuis plusieurs années, les salariés les plus modestes ont vu leur pouvoir d'achat baisser. Or, ils auraient voulu avoir le choix, et la plupart auraient alors choisi de gagner plus et non de travailler moins. Cette loi leur donnera satisfaction, en même temps qu'elle participe de la restauration du travail comme valeur morale, et non pas seulement économique.

La deuxième partie du projet traite de la durée de travail. Il s'agit d'assouplir le régime des 35 heures par le dialogue social, la durée hebdomadaire légale restant de 35 heures - et si certains prétendent le contraire, ils mentent (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Portons un bref regard en arrière : les 35 heures allaient rendre le monde du travail meilleur en réduisant le chômage, en changeant le rapport des salariés au travail, en offrant davantage de temps de loisirs. Qui n'aurait souscrit à pareilles promesses ? Las ! Le résultat n'a pas été à la hauteur des espérances. Certains salariés, il est vrai, y ont trouvé leur compte - tant mieux -, mais tel n'est pas le cas pour la majorité d'entre eux.

Les trente-cinq heures ont fait baisser le pouvoir d'achat des salariés les plus modestes, alors qu'ils ne demandaient pas à travailler moins, mais à « faire des heures », comme on dit, pour gagner plus chaque mois.

Combien sont-ils à avoir vu leur salaire gelé pour des années au nom des 35 heures, combien sont-ils à avoir eu le sentiment qu'elles leur étaient imposées, combien ont-ils vu la qualité et l'ambiance de travail se dégrader ? Quant aux employeurs, Mme Aubry n'a pas voulu tenir compte de leur avis...

Le gouvernement Jospin a imposé le « casse-tête des 35 heures » au mépris de la spécificité des entreprises. Qui a vraiment mesuré le coût de la réforme, pour les entreprises et pour l'Etat ? Qui a répondu à cette question - désarmante de simplicité - de bien des employeurs : « Pourquoi n'ai-je pas le droit de donner du travail à mes salariés désireux de travailler plus ? » Oui, ce nouveau texte privilégie la souplesse et l'autre grand perdant des lois Aubry, le dialogue social. C'est la négociation collective qui permettra de coller à la réalité et de s'adapter aux exigences des branches d'activité et aux aspirations des acteurs sociaux.

Si les 35 heures n'ont pas été la réussite annoncée, les voilà désormais assouplies et aménageables, conformément aux v_ux des entreprises et des salariés. C'est le résultat d'un pragmatisme que je n'aurai pas la facilité d'opposer au dogmatisme d'hier...

Le titre III est consacré aux allégements de charges qui permettront à notre économie de mieux respirer et de créer des emplois - je ne le crois pas seulement en tant que député, mais aussi en tant qu'employeur. Je me réjouis donc de la simplification des dispositifs existants, car c'est en facilitant la gestion de l'entreprise et en diminuant le coût du travail que l'on encourage l'emploi. Cet allégement de charges constitue un message clair, qu'il nous faudra amplifier.

Ce texte est empreint de bon sens et de volontarisme. Vous avez voulu agir sans tarder pour mettre en _uvre les engagements du Président de la République : libérer les énergies et rapprocher les acteurs économiques. Oui, les Français en ont assez que l'on choisisse pour eux. Sachons leur faire confiance ! D'aucuns, Monsieur le ministre, vous auraient volontiers enfermé dans une dangereuse alternative : ne rien changer ou tout casser. Vous avez su trouver l'équilibre. C'est ainsi qu'on avance, et nous avancerons avec vous (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 50.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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