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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 3ème jour de séance, 6ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 3 OCTOBRE 2002

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

Sommaire

      SALAIRES, TEMPS DE TRAVAIL
      ET DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI (suite) 2

      MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 7

      AVANT L'ARTICLE PREMIER 19

      ARTICLE PREMIER 21

La séance est ouverte à quinze heures.

SALAIRES, TEMPS DE TRAVAIL
ET DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi.

M. Sébastien Huyghe - C'est avec une certaine émotion que je m'exprime pour la première fois devant la représentation nationale, mais j'aurais préféré le faire dans d'autres conditions. En effet, le jeune élu que je suis est stupéfait par l'attitude de l'opposition qui, pour d'obscures raisons politiciennes, bloque le travail de notre assemblée.

M. Bernard Accoyer - C'est triste ; mais aujourd'hui, ils ne sont pas là !

M. Sébastien Huyghe - Comment justifieront-ils qu'il n'y ait eu finalement en séance qu'un seul député socialiste pour voter la question préalable déposée par leur groupe, M. Gorce étant lui-même absent ! C'est dire à quel point l'opposition était convaincue du bien-fondé de sa motion ! Une telle attitude ne peut que nourrir un anti-parlementarisme dommageable pour notre démocratie.

Sur le fond, c'est une malhonnêteté intellectuelle de se réjouir du nombre de négociations qui ont eu lieu dans les entreprises à l'occasion du passage aux 35 heures, alors que les entreprises ont été obligées de procéder à des négociations le revolver sur la tempe pour bénéficier des aides de l'Etat, et ainsi atténuer les effets néfastes de la loi. C'est comme si l'on proposait à quelqu'un dont on maintient la tête sous l'eau de chanter un petit air en échange d'une bouffée d'oxygène !

À la différence de nombreux membres de l'ancienne majorité, j'ai personnellement négocié le passage aux 35 heures dans une entreprise où j'exerce des responsabilités bénévoles...

M. Patrick Bloche - Très bien !

M. Sébastien Huyghe - Je peux vous dire que, dans une période délicate, la mise en place des 35 heures, qui s'est traduite par une augmentation de la masse salariale de 11,5 %, a mis en péril la survie même de l'entreprise, et donc l'emploi d'une centaine de salariés. Il n'est pas certain qu'à terme, l'entreprise survivra.

M. Bernard Accoyer - Ecoutez, Gorce !

M. Gaëtan Gorce - J'écouterais si c'était plus sérieux.

M. Sébastien Huyghe - L'on touche ici à l'effet pervers des 35 heures. Cette mesure visait à créer des emplois, et elle l'a peut-être fait, et encore, j'en doute, en tout cas à court terme ; mais à long terme, elle détruira des emplois en entravant fortement la compétitivité de nos entreprises et en incitant les créateurs d'entreprises à aller exercer leurs talents hors de nos frontières. Ainsi, dans le Nord, si une catégorie de personnes s'est réjouie de la loi sur les 35 heures, c'est bien celle des entrepreneurs... belges ! ! !

M. Bernard Accoyer - Eh oui !

M. Sébastien Huyghe - J'entendais ce matin Mme Royal défendre la réduction du temps de travail, créatrice d'emploi selon elle et, dans le même temps, se plaindre des nombreux plans sociaux en cours ou en préparation.

C'est que la dure réalité se fait jour : dans une période économique un peu plus délicate, les entreprises sont obligées de se « restructurer » pour ne pas dire plus.

Voilà venu le moment de payer l'« addition sociale » de cette loi. Je regrette qu'il nous incombe de supporter les conséquences de nos actes.

M. Gaëtan Gorce - Rendez-nous Mme Aubry ! (Rires).

M. Sébastien Huyghe - Vous prétendez que votre loi a créé ou préservé 300 000 emplois. Mais ce calcul est faussé. En effet, la loi prévoyait deux niveaux d'aides pour le passage aux 35 heures ; pour bénéficier des aides de maintien de l'emploi il fallait présenter un plan social qui serait abandonné « grâce » aux 35 heures. Bon nombre d'entreprises ont monté de tels plans de toutes pièces, uniquement pour bénéficier des aides. D'autre part, pour recevoir les aides liées à la création de postes, bon nombre d'entreprises ont légèrement anticipé des embauches prévues de toute façon. Voilà la réalité.

Vous nous parlez de « choix de société », de « message à notre population ». Permettez alors au jeune père que je suis de vouloir transmettre à sa fille un message différent du vôtre, et de lui dire que, non, le but de la vie n'est pas de travailler le moins possible !

Sur le plan pratique, que répondre à ceux de nos concitoyens qui ont les plus bas revenus, et qui expliquent que, depuis le passage aux 35 heures, ils ont perdu le « beurre dans les épinards » que constituaient les heures supplémentaires, si bien qu'ils ne savent pas comment s'en sortir ?

Je vous remercie, Monsieur le ministre, de permettre que, grâce à votre loi, nos concitoyens les plus démunis retrouvent un niveau de vie plus acceptable.

Je vous remercie de donner à certaines de nos entreprises un espoir de survie, et aux autres l'espoir d'inverser la courbe de leur compétitivité pour préserver les emplois et pouvoir en créer d'autres. J'attends par ailleurs avec impatience les propositions visant à améliorer l'attractivité de la France promises par le Premier ministre.

Enfin, certains membres de l'opposition sont venus à cette tribune faire le panégyrique de Mme Aubry. Mais, depuis le début de cette législature, j'ai beau écarquiller les yeux, je ne la trouve pas sur les bancs du groupe socialiste... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Bernard Accoyer - A mon tour, je regrette les man_uvres d'obstruction...

M. Patrick Bloche - C'est un spécialiste qui parle !

M. Bernard Accoyer - ...auxquelles se sont livrés nos collègues socialistes hier soir, nous contraignant à repousser un vote quand nous étions cent vingt, eux qui ne sont pas plus nombreux, cet après-midi, que les doigts de la main !

Pourquoi faut-il légiférer sur les salaires, le temps de travail et le développement de l'emploi ? Tout simplement parce que la situation pose - et continuera de poser - de graves problèmes à la France et aux Français. Mais cette situation, comme on nous l'a expliqué longuement hier reflète le bilan Jospin.

M. Patrick Bloche - De Monsieur Jospin !

M. Bernard Accoyer - Ne s'agit-il pas des mesures phares d'un ministre emblématique de son Gouvernement, qui se voulait, il y a encore peu, l'une de ses valeurs sûres ? On a vu ce qu'il en est advenu !

M. Gaëtan Gorce - Mais ce qui en adviendra ?

M. Bernard Accoyer - Or, ce bilan est un échec, ce qui n'a rien d'étonnant quand on se rappelle la genèse de ces dispositions, bricolées sur un coin de table par un hiérarque socialiste lors de la préparation, en 1997, du programme socialiste. Ces mesures sont fondées sur un dogme erroné, selon lequel la réduction du temps de travail serait l'alpha et l'oméga de la lutte contre le chômage ; et aussi la garantie du bonheur. Mais la France s'est trouvée isolée, seule à prétendre que l'on pourrait travailler moins et gagner plus en bénéficiant d'une meilleure protection sociale. La réduction du temps de travail, comme mesure miracle ! C'était oublier que tout progrès trouve sa source dans l'effort des hommes, et qu'il n'y a pas d'exemple de progrès social sans progrès économique.

Bref, cette mesure aberrante a porté un coup que nous estimons, à terme, mortel pour l'économie de la France, son dynamisme et son avenir social. C'est pourquoi nous légiférons.

Qui oserait, aujourd'hui, prétendre que la réduction du temps de travail obligatoire et généralisée serait un facteur de progrès social et renforcerait la solidarité nationale ? Au contraire, vos mesures ont provoqué le gel des salaires les plus faibles. Ils ont aussi perturbé durablement la vie des entreprises. Elles ont encore alimenté une mystification de grande ampleur. Ce matin encore, j'ai entendu que l'on répétait des chiffres - ceux, paraît-il, des créations d'emplois induites par la réduction du temps de travail.

Eh bien, moi, je conteste ces chiffres. Ce n'est pas la réduction du temps de travail qui a permis de créer des emplois, mais la croissance. Une seule question d'ailleurs, chers collègues : auriez-vous institué les 35 heures si la croissance mondiale n'avait pas été aussi forte pendant ces quelques années heureuses ?

M. Jean Le Garrec - Oui.

M. Bernard Accoyer - Non, car la sanction des statistiques du chômage eût alors été immédiate. Et si vous avez pu masquer les résultats sur l'emploi de cette mesure profondément nuisible sur le plan économique et social, c'est seulement parce que le taux de croissance annuel moyen a dépassé 3 % de 1997 à 2000 et que la masse salariale a progressé annuellement de 5 %, alors que les quatre années précédentes, la croissance a souvent été nulle et la progression de la masse salariale n'a pas dépassé 1 %.

M. Jean Le Garrec - Croissance nulle pendant que vous étiez au pouvoir, vous le reconnaissez !

M. Bernard Accoyer - Oui, vous avez usé de subterfuges. Monsieur Le Garrec, vous qui en cet instant m'interrompez, dois-je vous rappeler que vous étiez ici le thuriféraire des nationalisations de 1981 ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Monsieur Gorce, vous qui hier soir ne trouviez pas de mots assez pompeux pour nous expliquer, de manière d'ailleurs assez méprisante, que les 35 heures auraient résolu tous les problèmes et que la majorité actuelle n'aurait pas les compétences pour mesurer l'immense progrès qu'elles auraient représenté, vous qui avez la chance d'être élu dans une circonscription où l'étiquette, plus que la pertinence des analyses, assure le succès... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Martine Carrillon-Couvreur - Et vous ?

M. Bernard Accoyer - Plus grave encore, la mystification qui a entouré le coût, social bien sûr mais aussi financier, des 35 heures. Cette réduction obligatoire et généralisée du temps de travail a été financée avec l'argent des contribuables, en réalité l'argent de la sécurité sociale que vous n'avez pas hésité à détourner à cet effet. C'est parce que les 35 heures n'ont jamais été financées que vous avez créé le fameux FOREC, « fonds pour la réforme des cotisations patronales » - habile sémantique ! -, ponctionné les recettes du Fonds de solidarité vieillesse, de l'assurance maladie, des taxes sur l'alcool, le tabac et les véhicules. Vous avez préféré dépenser pour la réduction du temps de travail plutôt que consolider le financement des régimes sociaux. Résultat : si l'on acceptait l'idée - que personnellement je réfute - que la réduction obligatoire et généralisée du temps de travail a créé des emplois, le coût de chaque emploi prétendument créé oscillerait entre 300 000 et 600 000 F. Et malheureusement, nous n'avons pas fini de payer les conséquences de vos choix : combien d'entreprises n'ont pas été créées de ce fait ? Combien ont dû fermer, écrasées par les tracasseries administratives ou par manque de main-d'_uvre qualifiée ?

Mme Catherine Génisson - N'importe quoi !

M. Bernard Accoyer - Expliquez-moi, Madame, comment recruter les infirmières nécessaires dans les hôpitaux quand on y met en place les 35 heures et qu'il n'y a pas assez d'infirmières disponibles sur le marché du travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Combien d'entreprises ont dû se délocaliser ? Combien ont préféré s'implanter ou se développer ailleurs qu'en France, ne consultant même plus le site France après cinq années de socialisme (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). C'est, hélas, la vérité. Cette semaine encore, dans ma circonscription, deux entreprises ont fait les frais de votre politique irresponsable.

C'est pourquoi aujourd'hui, aux côtés du Gouvernement, non pas au nom d'un dogme, mais bien parce que les Français ont tranché en ce sens...

Mme Catherine Génisson - 19 % !

M. Bernard Accoyer - Ils ont voté à la présidentielle et aux législatives (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)... y compris dans la première circonscription du Nord, pour un changement.

M. Jean Le Garrec - On a élu Bernard Roman !

M. Bernard Accoyer - Qu'il s'agisse des salaires, avec notamment six SMIC, source d'injustices pour les salariés, de la liberté pour les salariés de gagner davantage s'ils le souhaitent en faisant des heures supplémentaires, du fonctionnement des entreprises qui doivent pouvoir répondre à la demande et trouver les personnels qualifiés dont elles ont besoin, oui, il y a urgence à légiférer pour assouplir les 35 heures. Il faut rendre de la liberté aux partenaires sociaux et abaisser les charges des entreprises, en particulier celles qui pèsent sur les bas salaires. Trop longtemps, la gauche a refusé d'admettre, ce qui est pourtant démontré de façon indiscutable, que le meilleur moyen de créer de l'emploi est de faire confiance aux entreprises et d'alléger leurs charges.

Après ces années où tant de contraintes ont été imposées aux entreprises et aux salariés, où l'on a privilégié la culture du non-travail et du temps libre (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), en oubliant tout simplement que l'humanité n'a jamais progressé que grâce au travail, nous remercions tout particulièrement le Gouvernement de présenter ce texte et l'assurons de notre soutien (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Au terme de cette discussion générale, je remercie le rapporteur, le président de la commission et les membres de la majorité, qui tous ont souligné le caractère volontariste de ce texte qui cherche à concilier l'efficacité économique et la justice sociale. Certains d'entre eux ont suggéré des pistes pour aller plus vite ou plus loin, posé des questions qui trouveront leurs réponses dans la discussion des amendements. Nous y reviendrons.

Tous ont souligné que notre action marquait un infléchissement par rapport aux discours et aux pratiques des dernières années. Libre à la gauche de s'indigner que nous ne suivions pas ses traces mais il serait paradoxal de poursuivre une politique qui a été sanctionnée par les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). J'ai été très étonné tout à l'heure de l'intervention de Mme Guigou, laquelle s'est demandée comment étendre les 35 heures pour mieux satisfaire les aspirations des salariés... sans dire le moindre mot sur la façon de le faire ! Ce n'est pas surprenant car j'ai relu attentivement le programme du candidat Jospin à la présidentielle : je n'y ai trouvé aucune référence à la réduction du temps de travail, non plus qu'à l'avenir des bas salaires et des différents SMIC.

Oui, il y a un infléchissement de politique car la question de l'efficacité économique et de la justice sociale a été trop longtemps mal posée, à la manière socialiste, en exacerbant l'opposition entre entreprises et salariés, en se défiant des partenaires sociaux, en privilégiant la dépense publique, tenue comme le critère exclusif du développement de l'emploi et du progrès social.

Oui, il y a infléchissement car, contrairement à la majorité d'hier, nous ne cherchons pas à raconter des histoires à nos concitoyens ni à leur masquer la réalité du monde qui nous entoure, laquelle exige de nous mobiliser si nous voulons préserver notre modèle social. La gauche ne semble toujours pas avoir mesuré ce que signifie la globalisation, l'entrée de la Chine dans l'OMC, la concurrence des pays à très faibles salaires, l'élargissement du marché unique aux pays de l'Est européen. On ne peut pas faire croire aux Français que tout pourrait continuer comme avant, selon les schémas d'antan. Ce discours de facilité, la gauche a pu le tenir pendant cinq ans parce que la croissance mondiale était forte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Mais le monde du travail et les classes populaires cherchent moins à esquiver la réalité que certains dans cet hémicycle qui n'ont de cesse de suspecter l'économie de marché, faute d'avoir su en tenir compte lucidement dans leur politique. Si nous n'améliorons pas notre compétitivité et si nous ne réhabilitons pas les valeurs de l'effort et du mérite, c'est l'ensemble de notre pacte économique et social qui sera mis à mal. C'est pourquoi, contrairement à la gauche, nous ne flattons pas de manière irénique la culture du temps libre, nous ne stigmatisons pas l'entreprise, nous ne refusons pas le droit à ceux qui le souhaitent, de faire des heures supplémentaires, nous ne privilégions pas le statu quo. Nous ne cherchons pas à caresser dans le sens du poil les marchés boursiers dont le précédent gouvernement a usé plus que n'importe quel autre pour financer sa politique. Non, ce discours a pour seule ambition de susciter une prise de conscience sur les défis du XXIe siècle.

L'intérêt général du pays exige que nous soyons plus lucides avec nous-mêmes et plus courageux. Il y a donc bien un infléchissement dans le discours et les mesures proposées. Ce projet est destiné à nous sortir de quelques impasses. Ce n'est pas nous qui avons imposé les 35 heures de façon autoritaire, désorganisé certaines entreprises en accentuant la flexibilité et la stagnation des salaires, créé une disparité entre petites et grandes entreprises, construit l'usine à gaz des multiples SMIC. Nous gérons un héritage, dont nous allons tirer le meilleur en rendant aux partenaires sociaux la liberté de négocier l'assouplissement des 35 heures, en abaissant le coût du travail par des allégements de charges et en revalorisant le SMIC comme aucun gouvernement ne l'a fait depuis vingt ans (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Gaëtan Gorce - Rappel au Règlement !

Première observation, M. Accoyer, avec son élégance habituelle, s'en est pris aux personnes (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). A l'époque de Paul Reynaud, ça se serait réglé par un duel, malheureusement ce n'est plus possible... (Mêmes mouvements)

M. Bernard Accoyer - A quel titre, ce rappel au Règlement ?

M. le Président - Je pense que M. Gorce souhaite intervenir sur la base de l'article 58.

M. Gaëtan Gorce - Oui, alinéa 1 ! Notre règlement prévoit que le débat général se conclut par une intervention du ministre lui permettant de répondre aux questions posées. Or, il n'a répondu à aucune de ces questions (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Il n'a pas dit quel serait l'effet sur l'emploi de la suppression des 35 heures.

Alors, pour permettre au ministre de rassembler les informations nécessaires, mon groupe demande une suspension de séance d'une demi-heure.

M. le Président - Compte tenu de l'ordre du jour, et notamment de la longue intervention à venir de M. Gremetz, je ne peux vous accorder que dix minutes (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Plusieurs députés UMP - C'est trop ! C'est de l'obstruction !

La séance, suspendue à 15 heures 35, est reprise à 15 heures 45.

M. Jean Le Garrec - Rappel au Règlement fondé sur l'article 58.

Monsieur le ministre, nous attachons la plus grande importance à la qualité de nos débats. Sur une loi dont vous avez dit vous-même qu'elle était le socle de votre politique, il est légitime que l'opposition vous pose des questions précises et la bonne règle veut qu'au terme d'une discussion générale de presque quatre heures, vous-même, le président de la commission ou le rapporteur y répondent. Je l'ai suffisamment fait moi-même pour pouvoir vous demander de respecter l'opposition. MM. Gorce, Vidalies, Bloche, Mme Génisson, Mme Mignon, moi-même avons posé des questions de fond (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Il s'agit de questions de fond sur les salaires, sur le SMIC, sur le temps de travail (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Quels seront les effets de votre texte sur la politique de l'emploi, alors que le chômage remonte déjà ? Vous n'avez en rien répondu à ces questions précises. Je le regrette. Nous considérons que le débat est en partie faussé, et que vous n'accordez pas à l'opposition le respect auquel elle a droit (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Ministre - M. Le Garrec joue le jeu de l'opposition, dans lequel il excelle, afin d'obtenir que la discussion dure le plus longtemps possible. J'ai exposé la politique que j'entends conduire. L'examen des amendements permettra d'éclaircir beaucoup de points. Je ne peux pas me livrer à un dialogue de sourds en répondant indéfiniment à la même question que pose M. Gorce depuis plusieurs heures. Je n'ai pas cru non plus nécessaire de relever toutes les erreurs, toutes les approximations, tous les mensonges, toutes les caricatures auxquels vous vous êtes livrés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Un seul exemple : tout à l'heure, un orateur de l'opposition a soutenu que nous allions supprimer les 35 heures tout en laissant les salariés supporter les conséquences, souvent néfastes pour eux, des accords qui ont été négociés. Or, le texte, vous le savez bien, ne remet nullement en cause les accords dans les entreprises qui souhaitent les conserver. Seules les entreprises dont les branches le décideront, après accord des partenaires sociaux, verront le système modifié.

Voilà une réponse que j'aurais pu apporter ; mais, par égard pour l'opposition, j'avais pensé que cela n'était pas nécessaire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communistes et républicains une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91-6 du Règlement.

M. Maxime Gremetz - Nous sommes engagés dans un grand débat de société et de civilisation.

Je me sens un peu fatigué parce que j'ai participé ce matin à la formidable manifestation (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)... Une manifestation unitaire, que vous auriez tort de prendre à la légère, sur des mots d'ordre non pas corporatistes mais de défense de l'intérêt national...

M. Jean-Louis Bernard - Bien sûr !

M. Maxime Gremetz - ...de défense de grands services publics qu'il ne faut pas privatiser, mais développer et moderniser.

Monsieur le ministre, je n'ai pas compris votre dérapage, hier soir, sur le Front populaire. En 1938, certains disaient « plutôt Hitler que le Front populaire », en particulier dans les grands groupes industriels.

M. Jean-Louis Bernard - Et que disiez-vous du pacte germano-soviétique ?

M. le Président - N'interrompez pas l'orateur !

M. Maxime Gremetz - « Plutôt Hitler que le Front populaire ». Le général de Gaulle en a tiré certains enseignements : il a décidé les nationalisations, à la Libération, pour des raisons économiques mais aussi pour faire payer ceux qui avaient trahi la France et avaient choisi Hitler plutôt que le Front populaire. On peut être pour ou contre le Front populaire ; mais trahir son pays, voilà le crime.

M. Yves Fromion - Et Georges Marchais ?

M. Maxime Gremetz - Je suis député d'Amiens, successeur de Jean Catelas guillotiné par Vichy sur ordre des nazis le 21 septembre 1941, monté à l'échafaud en chantant La Marseillaise. Pas de leçon, s'il vous plaît !

Je reviens à l'emploi, et aux privatisations, pour lesquelles je n'ai aucun goût. Je n'ai jamais vu une entreprise privatisée embaucher, mais bien plutôt licencier dans l'intérêt des actionnaires, qui cherchent le profit avant tout.

M. Yves Fromion - Pourquoi avez-vous soutenu la politique du gouvernement Jospin ?

M. Maxime Gremetz - Répétez, je n'ai pas bien entendu !

M. le Président - C'est moi qui préside ; poursuivez votre propos.

M. Maxime Gremetz - La majorité et le Gouvernement tablent sur 8 milliards de privatisation. Et on voudrait ainsi privatiser EDF-GDF, ce grand service public de qualité, la SNECMA, ce grand outil technologique, Air France... Et quoi encore ? Vous avez sans cesse l'emploi à la bouche. Or, les privatisations vont contre l'emploi : vos déclarations sur la loi de modernisation sociale m'ont surpris. J'ai bien lu vos déclarations (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Oui, je lis, je m'informe, ce qui évite de dire n'importe quoi. C'est la moindre des choses !

M. Jean-Louis Bernard - Je ne vous le fais pas dire !

M. Maxime Gremetz - Vous annoncez que vous allez suspendre rapidement tout ce qui concourt à augmenter les délais pour licencier. En clair, il s'agit de revenir sur les amendements que nous avons fait adopter, relatifs aux licenciements boursiers, et qui comportent le droit d'opposition reconnu au comité d'entreprise, son droit aussi de présenter des alternatives aux prétendus licenciements économiques, de recourir à un médiateur et de saisir le tribunal d'instance. Supprimer ces dispositions permettrait en effet d'aller plus vite. Mais, comme le consultant Bernard Brunhes l'a récemment écrit, le problème en France n'est pas celui du délai mais l'impossibilité de parvenir à un accord après discussion. Chez nous, l'entrepreneur annonce, et il ne reste qu'à dire amen. Tant que ce comportement prévaudra, le dialogue social restera bloqué. Ce n'est pas un hasard si les plans de licenciements « économiques » se multiplient. Et nous sommes sans moyens pour agir. Ce n'est pas un défaut de loi sur la modernisation sociale ; c'est que vous n'avez pas publié les décrets relatifs aux médiateurs. Quand je demande un médiateur pour Whirpool, où 360 postes sont menacés de suppression, rien ne se passe, comme rien ne s'est passé quand d'autres grands groupes comme Curvair ou Honeywell, ont licencié et délocalisé, jetant les gens uniquement pour le fric ! Qu'en est-il de la loi relative au contrôle de l'utilisation des fonds publics ?

Comment se fait-il que Whirlpool ait pu bénéficier de 320 millions de francs de fonds publics et se soit délocalisé ? Il existe une commission nationale de contrôle des fonds publics, je l'ai saisie il y a des mois, et je n'ai même pas obtenu d'accusé de réception ! On ne peut rien, parce que les décrets ne sont pas publiés, et lorsqu'ils le sont, la volonté politique manque pour les mettre en _uvre.

On nous parle aussi des élections. Nous n'aurions pas entendu le message des Français. Je rappelle, tout d'abord, que les élections sont passées. Chacun se doit d'en tirer les enseignements. Les résultats me préoccupent moins que les 42 % d'électeurs qui n'ont pas voté ou ceux qui ont voté pour le Front national. Pourquoi en a-t-il été ainsi ? J'ai un point de vue ; vous avez le vôtre. Certes, vous avez gagné les élections, mais serez confrontés comme nous l'avons été aux attentes et aux exigences sociales. Si l'on ne répond pas, c'est la démocratie qui en supportera les conséquences. Que chacun réfléchisse, de façon constructive, et fasse des propositions.

Vous dites, Monsieur le ministre, ne pas voir d'alternative. Nous en avons une. Alors, pourquoi renvoyer le texte en commission ?

Tout d'abord, le texte nous est parvenu très tardivement, la veille de son examen en commission. De ce fait, le débat de fond est amputé.

En second lieu, plusieurs dispositions méritent une étude précise et sérieuse. Nous examinons un texte qui vise à arrêter le processus historique de réduction du temps de travail au détriment des aspirations des salariés. Réduire le temps de travail est une grande idée du mouvement ouvrier que nous avons toujours défendue dans nos programmes. Il est naturel que le temps de travail diminue lorsque les technologies progressent. En outre, l'activité humaine déborde le seul cadre du travail. Or, les salariés de PME seront privés de la réduction du temps de travail soit 7 millions qui, plus de quatre ans après sa promulgation, n'ont toujours pas vu l'application des trente-cinq heures. Il faut en finir avec ces retards.

Assurément, la volonté de la nouvelle majorité, comme du MEDEF, est plutôt d'en finir avec les trente-cinq heures, de briser la création d'emplois, d'affaiblir le pouvoir d'achat des salariés. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Si le MEDEF, représentant avant tout les intérêts des grandes entreprises, s'intéresse tant à la question des PME c'est qu'il tient à maintenir un coût réduit du travail afin de peser sur l'ensemble des salaires et d'en bénéficier directement par la sous-traitance.

Votre projet encourage les heures supplémentaires, et vous mourez d'envie d'abroger purement et simplement les 35 heures. Cependant, vous savez très bien qu'elles sont populaires chez les salariés, et qu'en cas d'abrogation, vous allez au-devant d'une résistance. C'est pourquoi vous contournez la difficulté par des mesures qui visent à rendre les 35 heures caduques.

Ainsi vous supprimez la référence à la durée légale hebdomadaire de 35 heures. Pourtant, dans Les Echos, hier, vous affirmiez, Monsieur le ministre, ne pas toucher à la durée légale. Vous jouez sur les mots ! Je vous rappelle que, selon le code du travail, « une convention ou un accord collectif peut prévoir que la durée hebdomadaire du travail varie, sur tout ou partie de l'année, à condition que sur un an, cette durée n'excède pas, en moyenne, trente-cinq heures par semaine travaillée, et, en tout état de cause, un plafond de 1 600 heures au cours de l'année ».

Or, vous vous livrez à un tour de passe-passe. Vous ne précisez pas que vous enlevez, dans le code du travail, la durée légale « hebdomadaire », et que vous maintenez simplement les 1 600 heures par an. Que deviennent les heures supplémentaires ? Dans la loi, de 35 à 39 heures, la majoration est de 25 %, et de 50 % au-delà. Voilà ce que vous tenez à supprimer ! Je ne fais pas un procès d'intention !

Si, vraiment, vous ne voulez pas modifier la durée légale du temps de travail, prouvez-le en donnant votre accord à l'amendement que nous avons proposé : rajoutez dans votre projet : « qui n'excède pas en moyenne trente-cinq heures par semaine travaillée ».

Vous avez assez dit que cette réforme était désastreuse. Alors, que n'allez-vous jusqu'au bout, que ne l'abrogez-vous pas ? C'est que vous savez que les 35 heures sont populaires. Elles répondent à l'aspiration des salariés à disposer de davantage de temps pour vivre, se détendre, s'occuper de leur famille ou d'une association, aimer. Plus de 14 millions de salariés sont passés aux 35 heures en quatre ans. Beaucoup déplorent les conditions de la réforme, son insuffisance... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Si vous aviez passé autant de jours et de nuits que moi à en débattre, vous sauriez que je ne change pas de langage ! Aucun des salariés concernés ne voudrait revenir en arrière, et pour être réélu le Président de la République a pris l'engagement de ne pas abroger les 35 heures. Mais vous essayez de contourner l'obstacle. C'est un exercice délicat celui de ne pas trahir votre engagement tout en satisfaisant les revendications patronales ! En septembre 1999, nous avions estimé que le projet Aubry 2 ne pouvait être voté en l'état (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) et obtenu des améliorations considérables sur la définition du temps de travail effectif, l'encadrement de l'annualisation, le sort des salariés à temps partiel, le statut des cadres et la légalité des accords ouvrant droit aux aides publiques. Le Journal officiel en fait foi. Pour autant, la loi restait insuffisante, et nos réticences réelles. Mais sans le vote communiste, les 35 heures n'auraient pu voir le jour - ce qu'espérait sans doute le MEDEF, voire quelques personnalités de gauche...

M. Yves Fromion - Des noms !

M. Maxime Gremetz - Nous n'avons donc pas à regretter notre décision, qui a permis au mouvement historique de réduction du temps de travail de s'accélérer. Pas suffisamment cependant, tant s'en faut. Le premier objectif était et demeure de libérer des emplois pour faire reculer le chômage. Le bilan officiel - et je m'en tiens aux chiffres du ministère du travail, de la DARES ou de l'INSEE - fait état de 300 000 créations d'emplois, au grand dam des adversaires de la RTT qui prétendent qu'elle détruirait des emplois. Reste que nous sommes loin du million d'emplois nouveaux qu'aurait engendré une réduction radicale et sans faux-fuyants du temps de travail. Si la deuxième loi Aubry avait maintenu les dispositions de la première, déjà moins révolutionnaire que celle de M. de Robien puisque la réduction de 10 % de la durée du travail ne s'accompagnait que d'une augmentation de 6 % de l'emploi...

M. Yves Fromion - Vous avez été trop modeste !

M. Maxime Gremetz - Mais vous avez voté contre, parce que c'était déjà trop à votre goût ! La création d'emplois a décliné à partir de la deuxième loi, qui ne posait plus cette condition sauf dans les accords d'entreprise. Les patrons pouvaient donc appliquer les 35 heures sans créer d'emplois, ce qui convenait parfaitement à M. Seillière ! Dès lors, les conditions de travail et le pouvoir d'achat se sont dégradés, les pauses ont même été remises en cause dans les entreprises aux trois x huit. Selon le ministère du travail, la réduction moyenne du temps de travail a été ramenée de quatre heures à deux heures et demie par semaine, l'annualisation s'est étendue, les trois quarts des cadres se sont vu cataloguer « dirigeants » ou imposer le forfait en jours. Les aides publiques n'étant plus conditionnées à la création d'emplois, celle-ci a décliné. Votre texte va amplifier cette situation en déconnectant les exonérations de cotisations patronales de l'obligation de la réduction du temps de travail et de la création d'emplois.

Au-delà des chiffres, les études d'opinion confirment que la plupart des salariés sont satisfaits des retombées sur leurs conditions de vie. En revanche, ils sont plus critiques sur les conditions de travail : un quart seulement note une amélioration, la moitié n'a vu aucun changement, et un autre quart parle d'aggravation. La remise en question des pauses, la modulation du temps de travail, les changements d'horaires et l'intensification accrue du travail en sont les causes.

M. Yves Fromion - C'est un véritable réquisitoire contre les 35 heures !

M. Maxime Gremetz - Nous l'avions prévu, mais contrairement à vous, nous entendons améliorer la loi et non en faire table rase !

La deuxième raison de leur mécontentement tient aux clauses de gel ou de modération salariale imposées dans de nombreux accords. Les chefs d'entreprise, pour les obtenir, ont entonné le couplet du coût exorbitant des 35 heures. Or, c'est un mensonge comme le montre le rapport officiel du ministère.

M. Yves Fromion - C'est le Gosplan !

M. Maxime Gremetz - Vous n'allez pas mettre en cause les études du ministère ! Les aides publiques liées aux 35 heures ont rapporté aux patrons plus de 9 milliards d'euros. Les dépenses dues aux 35 heures, ce sont les salaires et cotisations payées pour les 300 000 embauches réalisées, c'est-à-dire environ 6 milliards d'euros. Au total, loin de coûter aux actionnaires, les 35 heures leur ont donc mis dans le portefeuille la différence, soit 3 milliards d'euros ! Et il faut y ajouter encore 2 milliards d'euros, grâce aux clauses de gel et de modération salariale ! La vérité est là, les salariés ont été dupés. Ils n'ont pas besoin de travailler plus pour gagner plus : il suffit qu'on leur rende ce qu'on leur a pris !

On nous reproche de ne pas penser aux entreprises. Mais toutes les études montrent que la productivité des entreprises françaises est supérieure à celle de leurs homologues européennes.

Nous avons donc déposé des amendements. Les résultats décevants des 35 heures ne sont pas la conséquence de trop de RTT, mais d'une insuffisance de RTT et d'une mauvaise application des textes par les chefs d'entreprise.

Tout nous incite donc à poursuivre la réduction du temps de travail, à nous opposer au projet néfaste du Gouvernement et à proposer des réformes audacieuses. Nous vous proposons donc de renvoyer le texte en commission sur la base de ces premiers éléments - mais ce ne sont pas les seuls.

Nous allons combattre vos propositions, non parce qu'elles émanent d'un gouvernement de droite ...

M. Yves Fromion - Bien sûr que non !

M. Maxime Gremetz - Vous nous connaissez mal ! Dois-je vous rappeler que le temps du grand-père Dassault - Marcel, le grand avionneur parti de rien - deux forces se sont alliées pour promouvoir le lancement du Concorde : le général de Gaulle et les communistes ?

M. Yves Fromion - Il vous arrive d'avoir des éclairs de lumière !

M. Maxime Gremetz - Et quand le général de Gaulle a décidé de retirer les forces françaises de l'OTAN, n'étions-nous pas à ses côtés ?

M. Yves Fromion - Oui, mais peut-être pas pour les mêmes raisons !

M. Maxime Gremetz - Pour garantir l'indépendance de la France ! Dois-je vous citer d'autres exemples du patriotisme des communistes ? Je vous le répète : nous n'allons pas combattre vos propositions par principe, mais parce qu'elles sont mauvaises, car nous nous déterminons selon la nature des projets qui nous sont présentés et que le contenu de votre texte est contraire aux intérêts des salariés et de ceux qui sont privés d'emplois, mais favorable aux privilégiés. Nous nous opposerons donc à votre projet, sans pour autant noircir un tableau déjà bien sombre. Nous savons en effet que les rôles sont distribués : le Gouvernement se défend publiquement d'abroger les 35 heures pendant que d'autres se chargent de désespérer les salariés en clamant que les 35 heures sont morts pour les sept millions de personnes qui n'y ont jamais accédé, pour les deux millions de cadres au forfait jour - et même pour les salariés passés aux 35 heures, dont les employeurs pourraient remettre en cause cet acquis.

Le sujet le plus débattu est celui des heures supplémentaires. La question mérite que l'on s'y arrête, pour traiter de leur utilisation et de leur coût.

L'utilisation des heures supplémentaires est l'élément de fond de ce débat. Des commentateurs se répandent en déclarations selon lesquelles les entreprises pourraient en rester à 39 heures. Leur raisonnement est simple : on prend le contingent réglementaire, porté à 180 heures, on divise par 47 semaines de travail et on ajoute le résultat de cette division à 35 heures, ce qui donne 39 heures.

Si ce raisonnement est exact, cela signifie qu'avec le contingent actuel de 130 heures, on peut librement travailler 38 heures. Dans ce cas, le projet ferait passer la durée du travail autorisée de 38 heures à 39 heures, et non de 35 heures à 39 heures, et les sept millions de salariés menacés de ne jamais connaître le régime des 35 heures ne l'auraient de toute façon jamais connu.

Mais les entreprises peuvent-elles, légalement, imposer des heures supplémentaires dans n'importe quelles conditions ? En l'état actuel de notre droit, la réponse est négative : elles ne peuvent utiliser le contingent de manière structurelle, pour maintenir la durée du travail à 39 heures. L'ordonnance de 1982 portant création du contingent d'heures supplémentaires l'interdit et l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 réserve l'usage des heures supplémentaires aux « pointes d'activités imprévisibles », ce que la jurisprudence - y compris celle de la Cour de cassation - confirme. La réduction du temps de travail à 35 heures n'est pas une option : elle s'impose. Et la plupart des branches ayant conclu des accords de RTT, ces accords doivent être respectés.

M. Jean-Michel Fourgous - Mme Aubry ne les a pas respectés !

M. Maxime Gremetz - Il s'ensuit que les sept millions de salariés qui sont encore assujettis aux 39 heures ont droit aux 35 heures et, à défaut, au paiement de quatre heures supplémentaires majorées de 25 %.

Les entreprises peuvent, certes, utiliser les heures supplémentaires, mais seulement en cas de besoin et après avoir appliqué la loi et l'accord de branche, ce qui signifie passer aux 35 heures avec maintien du salaire. Tel est le droit. Et ce n'est que lorsque vous aurez rappelé leurs obligations aux entreprises que l'on pourra vous croire, quand vous dites aux salariés « travaillez plus pour gagner plus » !

Or, au lieu de tirer les conclusions qui s'imposent de la jurisprudence, vous rédigez l'article 5 de votre projet de telle manière que vous vous substituez aux tribunaux pour l'interprétation des accords, ce qui n'est pas conforme à la Constitution et mérite un réexamen du texte en commission.

Pour supprimer les 35 heures, il vous faudrait abroger clairement la durée légale du travail actuelle et décider, en plus, que les accords de branche n'ont plus de force contraignante... ce qui vous est évidemment impossible.

J'entendais la semaine dernière le Premier ministre vanter son attachement au respect du droit. Voilà, pour lui, une occasion de prouver sa sincérité. Sept millions de salariés subissent aujourd'hui une illégalité, car ils ont droit au paiement de leurs heures supplémentaires. Allez-vous demander à leurs employeurs de régulariser la situation, ou les encourager à ignorer leurs obligations ? Pour l'heure, vous avez choisi la seconde solution.

Vous poussez aux heures supplémentaires en augmentant leur contingent, en diminuant leur coût, en maintenant le forfait jour pour les cadres, en monétarisant le compte épargne temps, en déconnectant les baisses de charges de la réduction du temps de travail et en reculant la date d'harmonisation des SMIC. Quel dangereux amalgame pour notre économie !

Les salariés doivent pouvoir « travailler plus pour gagner plus », dites-vous. Quel mépris pour les trois millions de chômeurs que compte notre pays, lesquels aimeraient bien travailler pour gagner leur vie ! « Notre société a perdu le goût du travail », prétendez-vous aussi. Quel mépris pour tous ceux qui ont été jetés à la porte des entreprises, et tous ceux qui travaillent encore à la chaîne ou font les trois-huit !

M. Jean-Michel Fourgous - Vous êtes complètement déconnecté du peuple.

M. Maxime Gremetz - Quel mépris aussi pour les trois millions et demi de salariés à temps partiel dont la majorité voudrait bien travailler plus pour gagner plus, pour les deux millions en CDD ou en intérim, pour les sept millions encore aux 39 heures qui ne gagnent pas plus que ceux aux 35 heures !

Vous encouragez les heures supplémentaires en diminuant leur coût. D'une part, vous permettez que des accords collectifs de branche comportent des taux de majoration inférieurs au minimum légal. Vous prolongez pour trois ans le taux de 10 % dans les entreprises de moins de vingt salariés, vous défendant d'ailleurs en expliquant que vous ne touchez pas aux dispositions actuellement en vigueur. Nous avions à l'époque voté contre cette proposition et n'avons pas changé d'avis : il est inacceptable de ne majorer que de 10 % le coût des heures supplémentaires. J'entendais hier soir François Bayrou déclarer sur LCI que pour vraiment créer des emplois, il faudrait ne pas le majorer du tout (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Vous voyez, il y a pire que vous encore ! Pour les entreprises de dix à vingt salariés, vous réduisez la majoration puisque celle-ci est aujourd'hui de 25 %. D'autre part, vous permettez que des accords collectifs de branche réduisent le droit légal au repos compensateur, au risque que les droits existants soient remis en question. Vous faites fi du principe d'ordre public social, lequel exige un minimum de garanties légales pour les salariés.

Jusqu'à présent, toutes les heures effectuées au-delà de 130 heures donnaient lieu à repos compensateur de 50 % ou 100 % selon la taille de l'entreprise. Désormais, n'y ouvriront plus droit que les heures effectuées au-delà du contingent conventionnel ou de 180 heures. Beaucoup pensent peut-être que ce nouveau dispositif ne s'appliquera qu'après de nouvelles négociations alors qu'il entrera en vigueur dès la promulgation de la loi. Certes, 62 branches ont négocié un contingent supérieur à 130 heures...

M. le Ministre - Il faut en tirer les conséquences.

M. Maxime Gremetz - ...mais cette concession a été faite en contrepartie du repos compensateur de 50 % ou 100 %. Vous passez outre ces négociations et rayez d'un trait de plume un droit des salariés en modifiant autoritairement une clause au profit exclusif du patronat.

Vous placez les syndicats le dos au mur en leur demandant de négocier l'ampleur des reculs sociaux. Ceux qui ont accepté des contingents supérieurs à 130 heures ne voient d'autre solution que de dénoncer les accords en totalité, ce qui entraînera un incroyable imbroglio juridique et social. Nul ne sait qui sortira gagnant des situations conflictuelles que vous allez faire naître. Cela étant, si vous souhaitez provoquer partout des renégociations, cela ne nous gêne pas, bien que la méthode choisie ne nous paraisse pas la meilleure. Nous avons déposé un amendement demandant que soient respectés les termes des accords passés. En le votant, vous manifesteriez votre attachement au droit.

J'en viens aux cadres et au forfait jour, ce concept aberrant que vous conservez pourtant. Celui-ci n'a été inventé que pour permettre aux dirigeants de grandes entreprises de continuer à faire travailler leurs ingénieurs et leurs cadres de façon excessive, 48 heures par semaine en moyenne. Supprimer toute référence horaire, c'était casser l'instrument de mesure de la durée de travail effective. Les représentants des cadres ont d'ailleurs manifesté à l'époque contre cette escroquerie. Nous les avons entendus et avons exigé des garanties supplémentaires, comme le fait que le recours au forfait jour ne soit possible que pour les cadres réellement autonomes dans leur travail. Mais la loi a été détournée et aujourd'hui, les trois quarts des cadres sont abusivement considérés comme cadres dirigeants et placés au forfait jour. Certains d'entre eux ont contesté des accords devant les tribunaux, avec succès le plus souvent. Ainsi la Cour d'appel de Lyon a-t-elle cassé l'accord signé à Aventis au motif qu'il n'appartient pas aux négociateurs de décréter arbitrairement que les conditions légales sont réunies mais que celles-ci doivent être réellement réunies.

Le projet de loi modifie l'article L 212-15-2 relatif aux cadres dits « intégrés », c'est-à-dire soumis au droit commun pour la durée du travail. Aujourd'hui, seuls peuvent bénéficier des 35 heures, les cadres qui ont un temps de travail prédéterminé - notion qui nous a toujours paru étrange dans la mesure où le temps de travail peut toujours être déterminé : il suffit de lire le contrat de travail et de posséder une montre ! Quoi qu'il en soit, beaucoup de directions d'entreprises ont profité de cette condition quelque peu surréaliste pour priver les cadres des 35 heures et les placer au forfait jour. La nouvelle rédaction de l'article qui supprime cette condition nous paraît donc meilleure que l'ancienne - vous voyez que lorsqu'une modification nous apparaît opportune, nous n'hésitons pas à le dire. Beaucoup de cadres de la distribution et d'ingénieurs de l'industrie ont tout à y gagner.

Les avis sont en revanche partagés sur la modification de l'article L 212-15-3-III relatif au forfait jour. Aujourd'hui, peuvent être placés au forfait jour des cadres dont la nature des fonctions, les responsabilités qu'ils exercent et l'autonomie dont ils bénéficient dans l'organisation de leur emploi du temps rend impossible de prédéterminer leur temps de travail. Dans la nouvelle rédaction, il faudra que cette autonomie soit réelle. Celle-ci ne pourra être décrétée mais devra être prouvée. Les cadres vraiment autonomes sont très rares dans la réalité. Cette femme cadre dans une grande surface que j'ai rencontrée est-elle autonome quand elle doit être présente dans son magasin du lundi au samedi de 7 heures à 20 heures, et même y retourner le dimanche soir à 23 heures pour l'inventaire ? Ces horaires déments lui sont imposés par sa direction du fait même d'une charge de travail excessive. C'est pour mettre un terme à de tels excès que nous voulons la suppression du forfait jour, concept trop éloigné de la réalité sociale pour être enserré dans un cadre juridique solide. Cela étant, les accords non conformes aujourd'hui le seront tout autant demain avec la nouvelle rédaction proposée ou bien alors il faudrait abroger toute notion de durée de travail pour les cadres, ce qui à l'évidence, contreviendrait aux traités internationaux signés par la France.

Ce qu'il faudrait, c'est parvenir en quelques années à ce que les cadres ne travaillent pas davantage que la durée légale, nous sommes ouverts pour en discuter. Un tel projet serait inséparable d'actions de formation professionnelle auprès des non-cadres afin que nombre d'entre eux puissent occuper les postes de travail libérés par la réduction du temps de travail des cadres, lesquels consacrent aujourd'hui, au détriment de leurs fonctions propres, beaucoup de temps à des tâches qui pourraient parfaitement être déléguées. Nous sommes aussi favorables, comme c'est leur souhait, à la réduction du temps de travail des cadres sous forme de jours de repos, les fameux JRTT. Une confusion a été soigneusement entretenue entre JRTT et forfaits jours qui autorisent des horaires excessifs.

C'est pourquoi nous proposons, si le forfait jour est maintenu, d'instaurer des limitations horaires avec contrôle. Vous encouragez par ailleurs les heures supplémentaires en monétisant le compte épargne-temps. Nous nous étions opposés au compte épargne-temps car il s'agissait d'une réduction du temps de travail à crédit et donc de créations d'emploi à crédit. Vous prévoyez maintenant le rachat de ce temps, c'est-à-dire plus de réduction du temps de travail du tout. Autrement dit, vous proposez aux salariés de faire des heures supplémentaires qui leur seront payées plus tard, dans cinq ans peut-être ! Même chose pour les congés annuels : vous proposez d'en payer 10 jours à crédit !

Proposer que les salariés ouvrent une ligne de crédit à leur employeur, il fallait oser ! Certes, on ne peut empêcher des salariés reconnaissants de faire des cadeaux à leurs employeurs - les sentiments, ça ne se commande pas ! (Sourires) Mais nous voulons empêcher qu'ils y soient contraints et nous proposons donc la suppression de cette innovation perverse.

J'en arrive au SMIC. Vous fixer à 2005 la date-butoir pour une harmonisation par le haut. Il est vrai que rien ne vous y obligeait. E il fallait bien sortir du système actuel, trop complexe.

M. Jean-Pierre Soisson - Très bien !

M. Maxime Gremetz - Vous dites « Très bien ! » quand cela vous arrange. Mais vous êtes mal fondés à critiquer l'injustice du SMIC. Les communistes avaient déposé, en 1999, un amendement augmentant le SMIC horaire de 11,43 % pour prendre en compte la réduction du temps de travail. Les députés de droite ont voté contre ! Et aujourd'hui vous plaignez ces pauvres ouvriers qui ont perdu du pouvoir d'achat...

M. Yves Fromion - Ils nous en ont été reconnaissants aux élections !

M. Maxime Gremetz - A moi aussi ! (Rires)

À l'époque, à droite, vous avez donc refusé notre proposition.

Plusieurs députés UMP - Regardez plutôt à gauche !

M. Maxime Gremetz - Nous ne voulions pas de l'usine à gaz des SMIC multiples. Mais vous avez voté contre notre amendement, sous prétexte que l'économie française ne supporterait pas une telle hausse - pourtant il y avait de la croissance à l'époque !

On fait comme si les entreprises n'avaient pas d'argent. Mais la part des profits, des revenus du capital dans le revenu national a augmenté de 20 % depuis 1980, au détriment des salaires !

M. Yves Fromion - C'est vous qui avez gouverné !

M. Maxime Gremetz - On n'a pas gouverné pendant 20 ans ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

On a refusé, au nom des réalités économiques, du traité de Maastricht, de la mondialisation, d'augmenter les bas salaires (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Aujourd'hui tous les économistes reconnaissent que dans la crise boursière actuelle c'est la consommation des ménages qui maintient la croissance.

Le SMIC a perdu en pouvoir d'achat.

M. Yves Fromion - Nous allons l'augmenter !

M. Maxime Gremetz - Alors pourquoi avez-vous voté contre notre proposition ? Faute de coups de pouce, le SMIC est tombé à un niveau absolument insuffisant. Vous voulez maintenant rectifier le tir. Mais pourquoi attendre trois ans ? Nous proposons de donner un signal fort en l'augmentant dès maintenant de 11,3 %. Cela relancera la croissance.

Par ailleurs, vous modifiez le mode d'indexation du SMIC. Vous dites que c'est provisoire, mais on sait que le provisoire dure longtemps. Vous revenez au système de 1957. J'ai fait le calcul : les salariés passés à 35 heures devront attendre trois ans pour que l'injustice soit réparée ; ceux passés à 35 heures en 1998 vont même y perdre 45 euros par mois.

La non-prise en compte de la progression des salaires ouvriers pour le calcul du SMIC pendant trois ans représentera un manque à gagner d'au moins 4 %, soit 40 euros pour les salariés au SMIC.

Il faudrait, au contraire, harmoniser immédiatement les SMIC et gommer les effets des clauses de modération salariale, qui ont été imposées sans raison puisque les 35 heures n'ont pas coûté un sou aux entreprises.

J'en viens aux allégements de cotisations sociales. C'est dans la déconnexion entre les aides publiques et les 35 heures que les entreprises vont trouver le plus fort encouragement à rester aux 39 heures, puisque le barème des cotisations sera le même pour toutes d'ici trois ans. Je sais que la circulaire Aubry prévoyait aussi de transformer les allégements en un nouveau barème, mais seulement quand la plupart des entreprises seraient passées aux 35 heures. Vous, vous allez plus vite en besogne car 7 millions de salariés sont encore à 39 heures. Les entreprises n'ont plus aucune incitation financière pour diminuer le temps de travail et créer des emplois.

De plus, vous créez une distorsion de concurrence entre les entreprises qui ont réalisé des embauches pour passer aux 35 heures et les autres. Pour celles qui ont embauché 6 % de leur effectif, la distorsion sera de 6 % de la masse salariale. Des chefs d'entreprise qui vous soutiennent vont se réveiller avec une sacrée surprise !

Sur le fond, nous restons opposés à la baisse des cotisations sociales. Loin d'être une charge pour la société, elles donnent les moyens d'une protection sociale de haut niveau et solidaire. Ce sont des salaires indirects mutualisés et les baisser, c'est baisser les salaires parce qu'il faut alors soit réduire les prestations sociales, soit augmenter les recettes fiscales pour combler le déficit de la sécurité sociale.

Arrêtez de manipuler les gens en parlant de baisse des « charges ». Ça m'insupporte (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) car il ne s'agit pas de charges.

De plus, la baisse des cotisations n'a jamais créé d'emplois, contrairement à une idée reçue. En vingt ans le taux des cotisations sur le SMIC est passé de 30 % à 4 %...

M. Jean-Pierre Soisson - Mais non !

M. Maxime Gremetz - Avec toutes les exonérations, si ! C'est un chiffre officiel ! Allez-vous dire qu'Auxerre a gagné ? Malheureusement ils ont perdu...

Depuis vingt ans, les mesures ciblées d'exonération de cotisations se sont multipliées. La généralisation de taux très faibles de cotisation pour les bas salaires les vide désormais de leur substance et les fait apparaître pour ce qu'elles étaient, des mesures destinées à diminuer le taux global des cotisations patronales, des ballons d'essai en quelque sorte. D'un taux normal de 30 %, les cotisations de sécurité sociale sont passées, sous l'effet des ristournes Juppé et des allégements Aubry, à 21 %, et seraient descendues à 19 % avec la généralisation des 35 heures. Avec votre projet, le taux ne dépasserait pas 17 %. Ainsi, en dix ans, la réduction annuelle de cotisations atteint environ 50 milliards. Corrigez-moi si je me trompe.

Voilà pourquoi la part des salaires dans la valeur ajoutée s'est détériorée au profit des revenus du capital ; voilà aussi pourquoi diminuer les cotisations, c'est diminuer les salaires.

M. Pierre Hellier - Monsieur le Président, il faut en finir !

M. Maxime Gremetz - Vous vous inscrivez dans la poursuite obsessionnelle (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) de baisse des salaires au profit de la rentabilité financière. Il faut mettre un terme à cette spirale infernale. Nous proposons de réformer en profondeur le régime des cotisations sociales, en modulant leur taux en fonction du rapport entre les salaires et la valeur créée dans l'entreprise, et en éliminant les exonérations inutiles au profit d'aides à l'investissement productif. Cette réforme prend place dans notre projet global de société, destiné à assurer la sécurité et l'emploi.

Cette sécurité passe par un développement sans précédent de la formation professionnelle, avec trois mesures principales : un pouvoir de décision des comités d'entreprise sur le plan de formation, une allocation de formation de 700 € pour les jeunes de 18 à 25 ans, la reconnaissance de la formation avec un salaire minimum par niveau de formation.

La sécurité exige par ailleurs de bons salaires. La hausse générale de 200 € par mois pour les bas et moyens salaires fera hurler ceux qui ne savent même plus le montant de leur fortune, elle paraîtra irréaliste à beaucoup. Elle ne représenterait pourtant qu'un simple rattrapage par rapport à la part des salaires dans la valeur ajoutée en 1980.

M. le Président - Veuillez conclure !

M. Maxime Gremetz - La sécurité suppose enfin de créer massivement des emplois en poursuivant la réduction du temps de travail. La précarité est l'ennemie de la sécurité. Aussi avons-nous déposé une proposition de loi pour la faire reculer.

M. Yves Fromion - Vous auriez dû le faire plus tôt !

M. Maxime Gremetz - Toutes ces réformes ne réussiront qu'à une condition qui a beaucoup manqué : on n'a pas écouté ; on a été auto-suffisant (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Vous aussi, méfiez-vous !

M. Yves Fromion - C'est de l'auto-flagellation !

M. Maxime Gremetz - Quand on pense avoir toujours raison, à gauche comme à droite, quand les gens considèrent qu'on ne les écoute jamais parce qu'ils ne seraient pas assez intelligents, le pire est à craindre.

Tant que les droits nouveaux que nous proposons ne seront pas entrés dans l'entreprise, avec pour fondement des accords majoritaires, la crise de la politique et de la citoyenneté continuera de s'amplifier. Je le répète, tout accord, quel qu'il soit, doit être adopté par la majorité des représentants des organisations représentatives.

Je vous remercie de votre attention (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Monsieur Gremetz, j'avoue ne pas comprendre. Je vous ai écouté avec respect. Comment un parlementaire expérimenté comme vous a-t-il choisi de défendre une motion de renvoi en commission, plutôt qu'une exception d'irrecevabilité ou la question préalable ? La commission a tenu huit réunions, totalisant 8 heures 43 minutes de discussion, en présence d'un nombre remarquable de députés. Au moment d'examiner le rapport en commission, combien d'amendements avez-vous déposé ? Environ 40.

M. Maxime Gremetz - 65 !

M. le Président de la commission - Et vous les avez tous défendus avec la verve qu'on vous connaît, avec aussi une certaine pédagogie répétitive (Sourires). Et voilà qu'après un tel travail vous demandez le renvoi en commission ? Je signale à nos collègues socialistes qu'eux ont déposé presque tous leurs amendements après l'examen du rapport en commission, ce qui nous a conduits à siéger à nouveau, y compris aujourd'hui à 14 heures 30, en présence d'un seul député de l'opposition que je salue, Mme Carrillon-Couvreur (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Alors, Monsieur Gremetz, tiendriez-vous un rôle ?

M. Yves Fromion - C'est impossible !

M. le Président de la commission - C'est bien mon avis, et c'est pourquoi je m'interroge. De plus que signifiait ce langage ambigu ? Vous attaquiez alternativement d'un côté et de l'autre, sur les 35 heures, sur les heures supplémentaires, sur les SMIC. Pourtant, n'avez-vous pas contribué à l'adoption des lois Aubry ? Vous n'ignorez pas que nous sommes passés au douzième rang en Europe pour le chômage, au treizième pour la richesse par habitant. À trop se fondre dans la gauche plurielle, on perd son individualité, et on court le risque d'être assimilé.

M. Pierre Hellier - Et même digéré !

M. le Président de la commission - Êtes-vous en train d'ajouter un chapitre au « Livre noir du communisme » de Stéphane Courtois, lequel indique que quand les communistes s'effondrent, l'extrême-gauche resurgit ?

M. Gaëtan Gorce - Cela n'a rien à voir.

M. le Président de la commission - C'est une citation.

Je m'interroge sur l'évocation que vous avez faite des bonnes relations qu'un certain nombre de communistes ont entretenues avec les gaullistes, mais ce que je ne comprends pas du tout, ce sont les propos que vous avez tenus sur l'harmonisation de l'augmentation du SMIC. S'ils sonnent justes parfois, ils résonnent faux ; ils sont presque démagogiques.

M. Maxime Gremetz - Oh !

M. le Président de la commission - Pensez aux millions de personnes qui verront leur pouvoir d'achat augmenter de 11,4 % dans les trois années à venir, pensez aux deux millions de personnes qui verront leur pouvoir d'achat augmenter de 6,4 % !

Je sais que vous respectez le travail, que vous ne le confondez pas avec l'assistanat. Vous avez raison. Ces ouvriers qui votent encore pour vous ne vont-ils pas se sentir trahis ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. le Ministre - J'ai écouté Maxime Gremetz avec beaucoup d'attention et pas seulement en raison de la référence à Marcel Dassault. Il a défendu ses convictions sans suffisance, et dans la cohérence. Il ne change pas d'avis au gré de la météo électorale.

Monsieur Gremetz est hostile aux privatisations ; il défend même le principe des nationalisations. C'est un choix, mais je lui rappelle que le groupe communiste a soutenu le Gouvernement qui a le plus privatisé et le plus ouvert le capital des entreprises publiques ces dernières années - France Télécom, la Caisse nationale de prévoyance, Renault, les ASF, EADS. Le produit des privatisations a explosé depuis 1997 : 10 milliards d'euros à cette date, 13 milliards en 1998, 9 milliards en 1999, 17 milliards en 2000. Maxime Gremetz est hostile aux licenciements. Nous sommes tous hostiles aux menaces qui pèsent sur l'emploi. Il défend la loi de modernisation sociale. Or, elle contrarie les objectifs sociaux  qu'il défend. Elle est si procédurière que la seule issue, pour des entreprises en difficulté, consiste à déposer le bilan. C'est la pire des solutions pour les salariés, et la plus dissuasive pour les investisseurs étrangers. L'Agence française des investissements internationaux, créée par le gouvernement précédent, en témoigne. Vous êtes hostile, Monsieur Gremetz, aux assouplissements du marché du travail. Nous pouvons au moins nous retrouver sur le schéma de convergence des SMIC, schéma ambitieux tel que, d'ailleurs, vous le réclamiez en vain. Ce choix de l'harmonisation sur trois ans, reconnaissez-le, est courageux.

Hostile à la droite républicaine, Monsieur Gremetz reconnaît néanmoins la légitimité politique de la majorité née d'une élection démocratique - contrairement à certains orateurs que nous avons entendus ce matin.

L'intervention de M. Gremetz a également permis de clarifier bien des sujets. Il a reconnu - à la différence des orateurs du parti socialiste - que nous n'avons pas choisi d'abroger la loi sur les trente-cinq heures, mais que nous tenons à l'assouplir. Il a reconnu que le pouvoir d'achat du SMIC avait baissé ces dernières années, ce qui justifie notre démarche.

Sur la référence aux trente-cinq heures comme norme de base, je tiens à vous rassurer, Monsieur Gremetz. Elle figure au premier alinéa de l'article L 212 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 19 janvier 2000. Le projet de loi que je vous présente ne le modifie en rien.

En revanche, dans l'article L 212 alinéa 8, nous proposons de modifier les accords de modulation du temps de travail pour l'année. Il est logique de se référer aux 1 600 heures et à elles seules, car la référence aux 35 heures sur ce point ne fait que compliquer le texte.

Malgré la qualité de vos arguments, je ne crois pas, Monsieur Gremetz, que le renvoi en commission soit justifié. Ce projet a fait l'objet de consultations nourries avec les partenaires sociaux, d'un examen approfondi en commission. Notre pays et notre économie l'attendent avec impatience. Il est temps d'engager la discussion sur les articles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Claude Gaillard - J'ai écouté l'intervention de Monsieur Gremetz ; j'y ai plus entendu de critiques sur la situation actuelle résultant des lois Aubry que sur ce projet de loi. Nous partageons une partie des analyses de notre collègue. La délocalisation de Whirpool à laquelle il a fait allusion démontre combien il est impératif de rendre la France plus attractive et de garder chez nous les emplois qui y sont. Pour cela, il nous faut jouer non sur les salaires, mais sur les charges. La compétitivité de nos entreprises en dépend. Trop de contraintes pèsent sur elles - en particulier, liées aux complexités administratives.

Monsieur Gremetz a justement rappelé la nécessité de légiférer à nouveau en évoquant l'attente sociale dans notre pays. Quel aveu d'échec, après une législature de cinq ans marquée par un taux de croissance élevé !

Avec les trente-cinq heures, les conditions de travail se sont dégradées, Maxime Gremetz l'a rappelé. Les « respirations », au cours d'une journée, ont en effet disparu.

Le texte qui nous est proposé vise à la fois à augmenter les salaires et à renforcer la compétitivité des entreprises, en insufflant une nouvelle dynamique, alors que la loi Aubry a bien constitué, d'une certaine façon, un reniement par rapport au but premier qui était la création d'emplois ; les dépenses publiques ont augmenté sans résultat notable de ce point de vue.

Il est nécessaire de redonner aux entreprises les moyens de se développer en faisant évoluer les bas salaires. Il n'y a pas de raison de renvoyer ce texte en commission ; nous devons passer à l'examen des articles et des amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Alain Vidalies - L'explication de vote du groupe UMP ne peut que donner plus de force à la demande de M. Gremetz. En effet, si ses observations ont suscité en vous pareil enthousiasme, il vous faut revenir en commission pour élaborer avec lui des amendements que nous approuverons !

Au demeurant, s'agissant d'un texte important et parfois complexe, les délais ont été beaucoup trop brefs : le 18 septembre, le projet a été examiné au Conseil des ministres, à partir du 25, en commission, et nous l'examinons en séance publique depuis le 2 octobre. J'ai connu des calendriers plus respectueux des possibilités de réflexions et d'audition de notre assemblée. Plus le débat avance, plus des arguments nouveaux se font jour. M. le ministre soutient que la réduction du temps de travail aurait entraîné une diminution des investissements étrangers. Cela mérite une expertise. Jusqu'à présent, les chiffres dont nous disposions témoignaient d'un accroissement continu de ces investissements. Avez-vous d'autres chiffres ? Allons en commission examiner cette question !

Mais il en est une autre. Il n'y a guère que le président de la commission pour penser que M. Gremetz se fondait vraiment dans la gauche plurielle. Dans le débat sur les 35 heures, notre collègue communiste refusait de faire confiance aux partenaires sociaux pour négocier en l'absence de tout garde-fou, ce qui l'amenait à une position très « réglementariste ».

La nôtre était différente : ayant fait le pari des 35 heures, nous avons fait bénéficier les partenaires sociaux, pour faciliter la négociation dans les entreprises, d'éléments de souplesse tels que l'annualisation. Mais en ne conservant de la loi que ces éléments de souplesse que nous avions introduits, vous nous proposez en fait une régression sociale. Aussi faut-il bien renvoyer le texte en commission.

La motion de renvoi en commission, mis aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président - A la demande du Gouvernement, je vais suspendre la séance pour quelques instants.

La séance, suspendue à 17 heures 45, est reprise à 18 heures.

M. le Président - J'appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. Maxime Gremetz - Nous proposons, par l'amendement 29, de modifier le libellé du titre premier, qui se lirait désormais « dispositions relatives aux salaires ». Mon intention n'est pas de me lancer dans les « envolées lyriques » que me reproche M. le ministre mais, en gardant à l'esprit ce que vivent les habitants de ma circonscription, d'appeler l'attention de nos concitoyens sur les dangers de ce texte qui amputera leur pouvoir d'achat.

Le Premier ministre nous dit vouloir appuyer la croissance sur la dynamique de la consommation ; encore faudrait-il que les Français puissent, tous, consommer. Or, ce n'est pas par une réduction uniforme et démagogique de l'impôt sur le revenu que l'on obtiendra ce résultat. En revanche, ce somptueux cadeau fiscal d'un coût de 2,7 milliards d'euros bénéficiera pour près d'un tiers à un seul pour cent de la population : les ménages les plus aisés. Et voilà autant d'argent qui manquera à la santé, à la culture, à l'école, à la justice, à la sécurité.

Dans ce même temps, vous avez refusé tout « coup de pouce » au SMIC, et vous vous apprêtez à faire la même chose pour l'allocation logement. Or, les inégalités sociales gangrènent notre société ; par vos premières mesures, vous allez les aggraver. Mais comment vivre, comme le font 2,6 millions de nos concitoyens, avec moins de 900 euros par mois, alors que le loyer représente 30 % des dépenses incompressibles ? Que reste-t-il des belles déclarations du Président Chirac, faites la main sur le c_ur, selon lesquelles « la feuille de paie n'est pas l'ennemi de l'emploi » ?

Une augmentation immédiate du SMIC et une augmentation généralisée des salaires permettraient de relancer la consommation et l'économie, et ce serait une mesure de justice sociale, rapportée à la hausse indécente des rémunérations des dirigeants des sociétés cotées, équivalentes à 140 fois le SMIC. Et lorsque, tel Jean-Marie Messier, ils sont remerciés, ils partent avec une prime de 12 millions d'euros !

Votre politique, en encourageant cette dérive scandaleuse, va au-devant des exigences du MEDEF, qu'il s'agisse de la réforme de la fiscalité ou, aujourd'hui, du droit du travail et, demain, des retraites, car l'irruption des fonds de pension à l'américaine n'attend plus que votre feu vert pour se réaliser - la réforme du compte épargne temps en est une prémisse.

Tout entier tourné vers les classes les plus favorisées de notre société, c'est un nouvel « enrichissez-vous ! » que le Gouvernement s'apprête à lancer. Il faudrait, au contraire, engager une véritable rénovation de la politique salariale, et pousser les entreprises à faire cesser le gel des salaires, afin que, les richesses étant mieux réparties, chacun puisse vivre dignement. Cela suppose une forte hausse des salaires. Une hausse mensuelle de 200 euros des salaires les plus bas serait nécessaire. Elle donnerait un coup de fouet à la croissance en alimentant la demande intérieure et favoriserait l'emploi et la protection sociale.

Tel est l'objet de l'amendement.

M. Pierre Morange, rapporteur de la commission des affaires sociales - L'amendement a été repoussé par la commission car il tend en fait à obtenir que tous les salaires en France soient fixés par la loi. Ce dont nous débattons aujourd'hui est du problème des « multi-SMIC » que nous a laissé le gouvernement précédent. Il n'appartient pas au législateur d'aller au-delà. La priorité, comme le veut le texte, doit rester au dialogue social.

M. le Ministre - Je suis attaché au SMIC et je me suis battu contre tous ceux qui, voulant profiter du trouble suscité par l'introduction du « multi-SMIC », ont cherché à en finir avec le salaire de référence. On peut d'ailleurs s'interroger sur les motivations réelles des rédacteurs de la loi Aubry : en mettant fin à l'unicité du SMIC, ne souhaitaient-ils pas, en réalité, faire disparaître un dispositif très critiqué et que la France est l'un des seuls pays européens à maintenir ?

Serait-ce un progrès de donner au Parlement une compétence en matière de salaire au-delà du SMIC, au lieu de privilégier les accords conventionnels ? Nous souhaitons une renégociation, en particulier, comme l'a dit le Président de la République, sur les minima sociaux qui sont trop bas dans certaines branches. Le Gouvernement fera tout pour l'encourager. En attendant, vous aurez compris que j'ai, sur l'amendement, un avis défavorable.

M. Gaëtan Gorce - Je vous donne acte, Monsieur le ministre, que sur les bancs de la majorité, certains souhaitent remettre en cause le SMIC horaire. N'a-t-on pas entendu parler de « SMIC annuel » et de « SMIC régional » ? N'a-t-on pas compris entre les lignes que le mécanisme d'indexation du SMIC ne serait pas obligatoirement rétabli au terme de la période transitoire que votre texte institue ?

Mais je ne peux laisser dire que les rédacteurs de la loi Aubry voulaient cela ! Ce que nous voulions, c'est que les salariés rémunérés au SMIC et qui passaient à 35 heures ne soient pas pénalisés. Nous ne voulions pas, non plus, que l'ajustement se fasse par le bas. Et, à la différence de ce que vous proposez, le dispositif que nous avons créé prévoyait un système d'indexation garantissant à tous les salariés le bénéfice de l'évolution de la croissance.

L'amendement 29, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gaëtan Gorce - Si, comme il le déclare, le Gouvernement veut élargir le champ de la négociation sociale, il doit organiser une concertation régulière, sans plus différer. Que l'on sache, le décret relevant à 180 heures le contingent légal d'heures supplémentaires n'a pas été présenté aux partenaires sociaux : l'annonce a été faite par le Premier ministre le soir même où la commission se réunissait. Avec l'amendement 128, nous prenons le Gouvernement au mot, en demandant simplement que la commission nationale de la négociation collective puisse donner un avis sur toute disposition modifiant le droit du travail.

M. Jean Le Garrec - Je souhaite appuyer cet amendement d'une grande importance. Depuis le début de la discussion, le ministre nous dit son attachement à la concertation. Mais le contenu du décret qu'il nous annonce n'est pas connu.

Je suis de ceux qui, lors de la précédente législature, se sont battus pour que le Parlement ne débatte pas sans connaître la teneur et les orientations des décrets. Cela doit être le cas, a fortiori, pour la commission nationale de la négociation collective - CNNC - ! Je vous le demande donc, Monsieur le ministre : quand le décret sera-t-il prêt ? Quelles seront ses orientations ? Pourrons-nous en prendre connaissance avant la fin des débats ?

M. le Rapporteur - La commission a repoussé l'amendement. La CNNC a été largement consultée.

De cette volonté de donner toute sa place au dialogue social, le ministre a encore apporté une preuve concrète lors de la dernière réunion de la commission nationale de la négociation collective.

M. le Ministre - J'observe que l'amendement 128 rend justice au Gouvernement du procès que lui intente le groupe socialiste au sujet de la consultation de la commission de la négociation collective. Non seulement celle-ci a été consultée sur les sujets sur lesquels elle est compétente, comme la fixation du SMIC, mais j'ai souhaité qu'un point d'information y soit fait sur tous les aspects liés à l'assouplissement des 35 heures.

La concertation sur ce texte, contrairement à ce que prétend l'opposition, a bien eu lieu avec l'ensemble des partenaires sociaux. Tous les éléments, y compris le décret que vous venez d'évoquer, leur ont été soumis. Ce décret, dont j'ai d'ailleurs remis le texte à la commission lors de mon audition, est d'une extrême simplicité, puisqu'il se limite à porter le contingent d'heures supplémentaires à 180 heures, à défaut d'accord. Il sera publié dans les tout prochains jours.

Pourquoi ne pas élargir le rôle de la commission nationale de la négociation collective ? Tout simplement, parce qu'il existe d'autres instances de concertation comme le comité permanent de l'emploi, la commission de prévention des risques professionnels... Chacun a ses compétences propres, dont j'observe d'ailleurs que vous n'avez pas jugé utile de les modifier ces cinq dernières années.

Avis défavorable à l'amendement.

M. Gaëtan Gorce - Notre proposition répond seulement au souhait, très largement partagé sur ces bancs, de développer la concertation sociale dans notre pays. Nous aurions aimé que vos déclarations à ce sujet se traduisent dans les faits.

Dans une déclaration commune du 17 juillet 2001, les partenaires sociaux exprimaient le souhait que « préalablement à toute initiative législative dans le domaine social, les interlocuteurs sociaux soient officiellement saisis par les pouvoirs publics d'une demande d'avis sur son opportunité. À l'issue de cette consultation, poursuivaient-ils, si l'initiative était maintenue, faculté leur serait offerte de traiter le thème en question par voie conventionnelle dans un délai à déterminer. » Notre proposition ne vise pas autre chose.

Enfin, puisque vous prétendez que la concertation a bien eu lieu, permettez-moi de vous rappeler les déclarations de plusieurs responsables syndicaux sur la manière dont vous concevez celle-ci. Jean-Luc Cazettes de la CGC déplore dans sa lettre confédérale du septembre dernier : « Alors que le Gouvernement et le MEDEF vantaient les mérites de la négociation sociale et n'avaient pas de mots assez durs pour fustiger les décisions unilatérales de l'ancien gouvernement, on va assouplir les 35 heures par voie de décret. Il faut donc imaginer que ce fameux dialogue social, conclut-il, n'est au fond qu'un alibi. » Pour François Chérèque, l'attitude du Gouvernement consistant à ne pas soumettre à la commission de la négociation collective l'ensemble des dispositions présentées au Parlement pose « un problème de confiance et procède d'une réelle incompréhension du dialogue social. Le Gouvernement Raffarin assure les partenaires sociaux qu'il les écoute mais prend dans leur dos des décisions sur lesquels ils auraient eu légitimité à discuter, ajoute-t-il. La CGT et FO ne sont pas en reste non plus, mais j'arrêterai là mon propos. Et vos propres amis de l'UDF ne mâchent pas leurs mots non plus. Hervé Morin dans Les Echos du 1er octobre s'exprimait ainsi : « Tout est encadré. Il n'y a rien à négocier. Le carcan de la loi est tel qu'il n'y a pratiquement pas d'incitation à négocier. »

L'amendement 128, mis aux voix, n'est pas adopté.

ARTICLE PREMIER

Mme Martine Billard - Harmoniser les différents SMIC par le haut, l'intention est louable et n'importe quel gouvernement, de droite ou de gauche, aurait été amené à le faire. Mais attention à la manière de le faire ! Vous clamez à l'envi que le SMIC va augmenter de 11,4 %. C'est un abus de langage car c'est seulement le taux horaire qui va augmenter de ce montant. Tous les salariés au SMIC ne vont pas voir leur salaire bondir de 11,4 %, leur situation dépendant du fait que leur entreprise est ou non passée aux 35 heures et à quelle date. Beaucoup n'auront pratiquement aucune augmentation pendant trois ans. Vous risquez ainsi de créer de nouvelles frustrations. Prenez garde, vous qui ne cessez de dire que la gauche a perdu à cause des frustrations engendrées par les 35 heures et la non-augmentation des bas salaires, à n'être pas victimes de la même chose. Les salariés penseront que vous leur avez menti.

Par ailleurs, vous avez refusé de donner en juillet un coup de pouce au SMIC, lequel sera dorénavant revalorisé uniquement en fonction de l'indice des prix à la consommation. Vous allez ainsi aggraver encore la situation des salariés payés au SMIC et de leurs familles, lesquels utilisent la quasi-totalité de leurs revenus pour des besoins primaires comme se loger, se nourrir, s'habiller et ont dû faire face à des hausses de prix bien supérieures à l'inflation, comme l'enquête d'une association de consommateurs l'a démontré cet été.

Vous vous contentez du strict minimum en harmonisant les SMIC. Vous ne faites rien pour redonner goût au travail, idée qui vous est pourtant chère. Car comment avoir « goût au travail » quand on travaille beaucoup - 35 heures, 39 heures ou même davantage maintenant - pour si peu ? L'augmentation prévue du SMIC représente 11 euros par mois. Que fait-on avec cette somme ? Aussi, je vous le dis, les lendemains risquent de déchanter. Les salariés vont être très déçus et risquent de ne pas vous pardonner de les avoir trompés.

M. Maxime Gremetz - Si notre position sur le SMIC a toujours été cohérente, ce n'est pas le cas de toutes dans cet hémicycle. L'amendement 23 que nous allons défendre tout à l'heure, nous l'avions déjà déposé en 1999. Le Gouvernement et la majorité de l'époque, mais aussi l'opposition, avaient voté contre. Il n'existe pas de solution parfaite pour régler le problème mais il faut absolument faire un geste en faveur des salariés payés au SMIC, d'autant que la modification de l'indexation leur fait perdre encore du pouvoir d'achat. L'harmonisation par le haut est un premier pas, mais il faudrait, comme nous le proposons, aller plus loin et plus vite avec un alignement immédiat. Ce ne serait que justice après le refus d'un coup de pouce et alors que les prix ont beaucoup augmenté.

M. Gaëtan Gorce - Le ministre nous reproche d'avoir créé une usine à gaz avec ces différents SMIC mais dois-je lui rappeler que le dispositif avait été mis en place pour éviter que les salariés payés au SMIC et passant aux 35 heures ne perdent du salaire ? Nous avions prévu qu'à chaque revalorisation annuelle du SMIC au 1er juillet, la garantie mensuelle évoluerait de façon différente pour chacun. La loi Aubry renvoyait à une concertation avec les partenaires sociaux d'ici à la fin de 2002 et prévoyait une harmonisation à l'échéance du 1er juillet 2005. Vous n'allez guère au-delà. A l'époque, l'opposition proposait, par l'amendement 100 de MM. Mariani et Goulard, de supprimer purement et simplement l'article 16 de la loi. Vous avez une position très différente, Monsieur le ministre, et je m'en réjouis - cela doit d'ailleurs vous créer quelques difficultés dans votre majorité. Nous vous donnons acte de votre volonté de vous inscrire dans la logique de la loi sur ce point.

Ce qui est plus discutable, c'est le fait de dissocier le SMIC du rythme de la croissance. Pour les deux millions de salariés au SMIC, l'augmentation moyenne sera de l'ordre de 2 % par an. Seuls bénéficieront de l'augmentation de 11,4 % en trois ans ceux qui sont restés à 39 heures, pour les autres l'augmentation ne sera que de 0,6 % par an. Même pour les premiers, le taux sera inférieur à celui des années 1997 à 2002, pendant lesquelles le pouvoir d'achat du SMIC horaire a augmenté de 15 à 16 %.

M. Jean Le Garrec - Première remarque liminaire, Monsieur le président de la commission, vous ne pourrez pas dire de M. Gremetz qu'il s'est fondu dans la majorité plurielle. J'ai passé en cinq ans plus de temps à débattre avec lui qu'avec M. Accoyer, qui est la référence pour les débats avec l'opposition ! (Sourires).

Deuxième remarque, liminaire, qui s'adresse à M. le ministre : jamais je n'ai dit que cette loi « abrogeait » les 35 heures. J'ai parlé de « coup d'arrêt » à leur extension.

En ce qui concerne l'article premier, vous m'avez, Monsieur le ministre, à la fois rassuré et inquiété. « L'usine à gaz » dont vous parlez avait pour objectif d'assurer à la fois une baisse du temps de travail et le maintien du SMIC. Vous reprenez la date-butoir et la méthode que nous avions prévues. On peut discuter du délai et de l'effet réel sur les salaires. Mais ce qui nous inquiète, c'est que vous décrochiez le SMIC de l'évolution du salaire ouvrier moyen. Nous savons, comme vous, que certains veulent remettre en cause le SMIC - j'ai fait allusion aux interventions de M. Kessler et dans votre majorité même, les tentations sont grandes. En supprimant cette référence, même à titre « provisoire », vous ouvrez la brèche. Il sera très difficile de revenir en arrière.

M. Patrick Bloche - L'article premier traite d'un domaine important, la politique salariale. Mais après examen, il faudrait plutôt parler d'absence de politique salariale.

On pouvait pourtant espérer que votre slogan - rendre toute sa place au travail - s'accompagnerait d'une politique ambitieuse quant à la rémunération du travail. Il n'en est rien.

La rémunération des heures supplémentaires, qui était définie dans la loi, est renvoyée à la négociation. S'il s'agissait de l'augmenter, il était inutile de modifier la loi car rien n'empêche les partenaires sociaux de négocier des dispositions plus favorables. Et si la négociation aboutit à des taux inférieurs, ce sera une régression sociale. En fait, les salariés auront intérêt à ce qu'il n'y ait pas de négociation. Il est à craindre que le message final soit de permettre de faire travailler plus en payant moins.

Autre incohérence par rapport à votre discours général, les dispositions concernant le SMIC. Il est faux de dire que les salariés verront leur pouvoir d'achat augmenter de 11,4 %. Pour les salariés passés aux 35 heures et bénéficiant d'une garantie mensuelle, la hausse n'est que formelle : ne leur donnez donc pas de faux espoirs.

Par ailleurs, je ne m'explique pas pourquoi vous voulez modifier, même temporairement, les règles de revalorisation du SMIC. Vous dites que l'harmonisation doit s'accompagner d'un freinage de l'augmentation automatique. Mais quel intérêt cela présente-t-il puisqu'il vous faudra de toute façon augmenter le SMIC d'un taux supérieur à cette revalorisation automatique ? Ne s'agit-il pas de préparer une réforme profonde du SMIC, comme vous y poussent le MEDEF et certains de vos amis ? Nous souhaitons des éclaircissements sur ce point.

M. le Président - Je précise déjà que sur l'amendement 23 je suis saisi par le groupe des députés communistes et républicains d'une demande de scrutin public.

M. Maxime Gremetz - Je me suis déjà expliqué sur le fond de cet amendement. En demandant un scrutin public, nous voulons placer chacun devant ses responsabilités.

M. le Rapporteur - Rejet.

M. le Ministre - Le Gouvernement est évidemment défavorable à cet amendement qui introduirait une contrainte insupportable pour notre économie. Je rappelle à M. Gremetz que la dernière augmentation aussi massive du SMIC, en 1981, a été suivie par des incidents monétaires et un changement brutal de politique ; je pourrais aussi évoquer les précédents de 1973 et 1968.

Je précise aux orateurs qui viennent de s'exprimer que la suspension de la référence à l'augmentation moyenne du salaire ouvrier est évidemment destinée à rendre la convergence possible.

Accélérer l'augmentation du SMIC le plus élevé accroîtrait l'écart avec le SMIC le plus faible, et rendrait la convergence encore plus difficile. Depuis la mise en _uvre des lois Aubry, le pouvoir d'achat du SMIC a augmenté de 5,7 % pour le SMIC horaire, de 0,8 % pour la GMRI, de 2,1 % pour la GMRII, de 3,8 % pour la GMRIII, de 5,1 % pour la GMRIV, et de 5,7 % pour la GMRV, soit une moyenne de 4,7 %. Le dispositif que nous proposons aboutira à une hausse moyenne de 6,5 % pour une période comparable.

M. Gaëtan Gorce - L'augmentation annoncée de 11,4 % du pouvoir d'achat ne concerne, rappelons-le, qu'un peu moins de la moitié des salariés au SMIC. 400 000 salariés aujourd'hui au SMIC ne bénéficieront d'aucune augmentation ou presque, et la moyenne ne dépassera pas 2 % par an, nettement moins qu'avant. C'est un constat.

À la majorité de 50 voix contre 5 sur 69 votants et 55 suffrages exprimés, l'amendement 23 n'est pas adopté.

M. Maxime Gremetz - Ce résultat me bouleverse. Les temps changent, et vous restez les mêmes en repoussant un amendement essentiel qui aurait rehaussé substantiellement le SMIC. Mon amendement 24 n'ayant plus d'objet réel, je le retire.

L'amendement 92, lui, est défendu.

M. Gaëtan Gorce - Je défends l'amendement 129, qui tend à rétablir une règle remontant à 1957. C'est en 1899 qu'un ministre alors socialiste, Alexandre Millerand, a pris un décret obligeant les entreprises soumissionnaires de marchés publics à fixer un salaire minimum. Le dispositif a été élargi en 1915, en 1930, en 1938 avec Léon Blum, en 1950 avec la création du SMIG, et enfin en 1957, quand Félix Gaillard a fait adopter le principe d'un salaire minimum indexé à la fois sur les prix et sur la moitié de l'évolution du pouvoir d'achat des salariés.

Remettre en cause, comme vous le faîtes, ce dispositif historique, ne va pas sans inconvénients. Désormais, fût-ce pour une période transitoire, les salariés au SMIC ne sont plus associés aux fruits de la croissance. Le SMIG était fondé sur l'idée d'un minimum de subsistance lié au travail. Avec le SMIC s'est ajoutée une participation des salariés les moins bien rémunérés à l'évolution de la richesse nationale. La décision définitive a été prise en 1970, et c'est sur elle que nous vivons aujourd'hui.

Vous la remettez en cause. C'est dommage. Nous comprenons bien votre souci de réaliser la convergence dans un délai raisonnable et d'éviter que l'augmentation soit trop forte. Mais nous devons aussi nous préoccuper du soutien à la consommation par les salaires. Le coup de pouce donné au pouvoir d'achat des salariés les moins bien rémunérés devait être conçu dans cette perspective, ce qui supposait le maintien de l'indexation, soit 0,8 % de plus que ce que vous avez prévu pour les salariés au SMIC horaire. La croissance en aurait été mieux confortée que par la baisse de l'impôt sur le revenu.

Hier, vous avez déclaré que le pouvoir d'achat des salariés au SMIC avait baissé de 3,6 % depuis l'application des lois Aubry. Vous vous trompez : le pouvoir d'achat a moins augmenté qu'il n'aurait pu, il n'a pas diminué. Vous avez ajouté que la part des bas salaires avait tendance à s'accroître. Or, de 1997 à 2002, elle s'est réduite ; je l'ai vérifié. Ne faites donc pas croire, pour la facilité d'une démonstration, que les 35 heures ont conduit à un appauvrissement des salariés, en particulier des plus modestes. Que certains salariés aient subi de moindres augmentations, nous le savons. Mais n'en profitez pas pour accréditer l'idée que la période 1997-2002 aurait été identique aux périodes précédentes, durant lesquelles le pouvoir d'achat a diminué. Le mieux, pour éviter cette confusion, serait de rétablir l'indexation sur la moitié de l'évolution moyenne du pouvoir d'achat.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Il faut que la revalorisation des différents GMR soit différenciée. Sinon la convergence sera impossible, et le scandale des multi-SMIC, héritage du gouvernement précédent, perdurerait. Le long propos de M. Gorce serait plus crédible s'il comportait une note d'humilité.

M. le Ministre - Même avis. Le pouvoir d'achat des salariés au SMIC passés à 35 heures a baissé de 3,6 % par rapport à celui des salariés restés à 39 heures. C'est ce que M. Gremetz a souligné, c'est ce que nous essayons de réparer. Car nous réparons vos erreurs, Monsieur Gorce. Vous pourriez avoir la décence, l'honnêteté et la modestie qu'impose la situation dans laquelle vous avez placé le pays, et que nous devons redresser, à un coût élevé pour les finances publiques. En vous comportant ainsi peu de temps après avoir quitté les responsabilités, vous ne contribuez pas à crédibiliser le débat politique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Gaëtan Gorce - Je peux vous renvoyer l'argument. Je ne cherche pas la polémique, mais vous saisissez toute occasion pour travestir la réalité (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

M. Bernard Accoyer - Quel censeur !

M. Gaëtan Gorce - C'est regrettable de la part d'un ministre de la République (Mêmes mouvements). Nous faisons notre travail d'opposants. Je suis prêt à un débat équitable sur le bilan du gouvernement précédent. Les 3,6 % que vous indiquez, je le répète, constituent un écart et non pas une baisse. Votre façon de triturer les chiffres et les mots donne à penser que vous avez beaucoup à masquer et beaucoup moins à dire sur la réalité.

Car le pouvoir d'achat des salariés passés aux trente-cinq heures a augmenté, accompagné d'une réduction du temps de travail de quatre heures, ce qui correspond aussi à une augmentation de la valeur de l'heure de travail. Il faut le rappeler, si on veut avoir un vrai débat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Bernard Accoyer - Ce n'est pas vrai !

L'amendement 92, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 129, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean Lassalle - Le dispositif présenté par le Gouvernement corrige les incohérences générales provoquées par la deuxième loi relative à la réduction du temps de travail. Alors, l'opposition avait alerté la majorité sur les risques que le texte faisait courir à l'unité du SMIC. Chacun sait que ces mises en garde étaient justifiées.

Le dispositif que vous proposez améliore la situation des salariés, mais la durée doit en être allongée. Je propose donc à votre Assemblée d'étaler cette unification sur cinq ans, durée plus réaliste pour les entreprises afin qu'elles passent le cap dans de bonnes conditions. Tel est l'objet de l'amendement 151.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Le projet de loi prévoit une revalorisation qui se fera chaque 1er juillet pendant trois ans.

Notre souci est double : celui de l'économie française, qui a la possibilité d'absorber cette augmentation du SMIC, et celui du dialogue social. Il est important de répondre rapidement à l'attente des salariés par une hausse sensible du pouvoir d'achat. La relance de la consommation intérieure sera ainsi possible.

M. le Ministre - Le Gouvernement ne peut être favorable à cet amendement, même s'il témoigne que notre dispositif courageux et rapide est le mieux à même de concilier les intérêts des entreprises et ceux des salariés.

Il est vrai que cette augmentation sensible du SMIC aura des conséquences pour les entreprises. Je pense que le dispositif d'allégement des charges compensera cette augmentation.

Il ne faut pas condamner les salariés à une absence de perspective, incompatible avec la perte du pouvoir d'achat qui fut le leur et avec leur état d'esprit, au c_ur de la crise politique que nous venons de traverser.

M. Bernard Accoyer - Je suis opposé à cet amendement. Un effort conséquent est accompli pour mettre fin à une injustice : la multiplicité des SMIC consécutive au dispositif infernal des trente-cinq heures obligatoires et généralisées. Socialement, seule une harmonisation par le haut était acceptable.

Certes, le budget de l'Etat, les entreprises auront à supporter un effort, mais mesurez, Monsieur Gorce, le coût de vos décisions inconséquentes, pour l'économie française.

Vous avez vous-même reconnu la réduction de la progression du pouvoir d'achat ; mesurez les difficultés des entreprises pour gérer cette « usine à gaz » que nous avons vainement dénoncée en son temps.

La situation ne peut plus durer ; on ne saurait repousser le délai d'application au-delà de ce qui a été convenu par les partenaires sociaux.

M. Gaëtan Gorce - J'observe que dans la majorité deux points de vue coexistent sur cette question de l'harmonisation des SMIC. Ils ne séparent pas l'UDF de l'UMP.

Le ministre revendique l'effort en faveur des salaires ; d'autres, dont M. Accoyer, l'approuvent à reculons.

Ils se livrent à des contorsions pour parvenir à l'accepter... Défendre les salariés et les salaires, en effet, demande un peu plus d'habitude...

M. Bernard Accoyer - Les Français ont voté !

M. Gaëtan Gorce - Je crains que votre dispositif ne se heurte bientôt à des résistances. Il se met en place par étape, mais des voix expliquent que c'est trop, trop court. Vous serez sans doute amenés, dans les mois qui viennent, à remettre en cause les dispositions sur lesquelles vous travaillez. Nous serons vigilants sur la défense du SMIC, soyez-en persuadés.

L'amendement 151, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Maxime Gremetz - Je défendrai l'amendement 1 de Mme Billard et notre amendement 25, qui sont identiques. Ils ont trait au mode de calcul et d'indexation du SMIC.

Pour la première fois, en 1957, ce mode de calcul a été modifié pour ne prendre en compte que l'inflation mais non l'augmentation du salaire moyen ouvrier. Tel était le sens du SMIG. J'ai démontré tout à l'heure la baisse du pouvoir d'achat - 4 % - qui résulte de la suspension de l'indexation sur la moitié du salaire ouvrier. Certes, vous avez dit qu'elle serait provisoire, mais je me méfie beaucoup du provisoire dans notre pays. Je crains en outre que des pressions ne s'exercent. Le programme du MEDEF est simple : la suppression des « rigidités ». On commence par le SMIC, puis la durée hebdomadaire du travail, et l'on voit le résultat dans certains pays.

Pour résoudre la question de la multiplicité des SMIC, je ne vois pas l'intérêt de la mesure que vous proposez mais j'en vois bien les inconvénients. D'où nos amendements de salubrité et de clarté. Sur l'amendement 25, je demande un scrutin public.

M. Gaëtan Gorce - L'amendement 130, identique au précédent, tend à rétablir le mécanisme d'indexation. Si le Gouvernement veut soutenir les plus bas salaires, l'occasion lui en est donnée : réaliser la convergence tout en maintenant ce mécanisme d'indexation, procurerait un bénéfice beaucoup plus rapide et plus important aux salariés, qui permettrait de soutenir la consommation. Ainsi, les deux objectifs - salaire et emploi - seraient conciliés. La feuille de paie ne saurait être l'ennemie de l'emploi.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Cet amendement aboutirait à supprimer le dispositif de revalorisation du taux horaire du SMIC. Il est impératif de prévoir ces modalités de revalorisation dérogatoire : telle est la seule solution pour assurer cette fameuse convergence et remédier enfin à l'iniquité du dispositif.

M. le Ministre - Même avis que la commission.

M. le Président - Sur les amendements 1, 25 et 130, il y aura un scrutin public à la demande du groupe communistes et républicains.

M. Maxime Gremetz - Ma demande de scrutin public ne portait que sur mon amendement, le 25. Personnellement, je ne supporterais pas que la demande de scrutin public d'un autre groupe soit automatiquement étendue à l'un de mes amendements.

M. le Président - Les trois amendements sont identiques, ils font donc l'objet d'un vote unique, conformément à l'article 100, alinéa 5, du Règlement.

M. Maxime Gremetz - Mais un scrutin public est une procédure particulière.

M. le Président - Une réponse plus précise à votre remarque vous sera apportée ce soir ou demain.

À la majorité de 59 voix contre 15 soit 74 votants et 74 suffrages exprimés, les amendements 1, 25 et 130 ne sont pas adoptés.

M. Maxime Gremetz - L'amendement 26 propose d'augmenter le SMIC (Rires). Nous n'avons pas encore renoncé à défendre les intérêts et les aspirations légitimes des salariés les plus mal payés. Nous avions présenté du reste un amendement comparable à l'occasion de la deuxième loi sur les 35 heures, et proposons depuis deux ans de revaloriser le taux horaire du SMIC.

M. le Rapporteur - Rejet. Cette revalorisation s'opérera par paliers sur trois ans. Notre économie n'a d'ailleurs pas la capacité de l'absorber en une seule fois.

M. le Ministre - Même avis.

L'amendement 26,mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 11 vise à renforcer l'engagement pris par le Gouvernement d'augmenter le taux horaire du SMIC par coups de pouce successifs. Il répond ainsi aux interrogations des partenaires sociaux et permettra une majoration substantielle du pouvoir d'achat des plus modestes.

L'amendement 11, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Maxime Gremetz - L'amendement 27 tend à mettre un terme aux accords iniques qui ont prévu un gel ou une modération des salaires lors du passage aux 35 heures, alors même que les entreprises empochaient 3 milliards d'euros grâce à la réduction du temps de travail. Ces accords ont souvent été validés par des organisations syndicales minoritaires, ce qui pose la question de leur légitimité. Ils ont amoindri la dimension progressiste des 35 heures. Les aides octroyées ne donnaient pourtant aucun fondement à un tel chantage.

M. le Rapporteur - Rejet. Le qualificatif d'inique appliqué aux « multi-SMIC » créés par un gouvernement que notre collègue a soutenu, relève de sa seule responsabilité. Il n'appartient pas au législateur, mais aux salariés, de fixer les règles de progression des salaires en économie de marché.

M. le Ministre - Avis défavorable. Le Gouvernement s'attache à renforcer la liberté économique et la liberté conventionnelle et vous fera des propositions en ce sens en 2003. Revenir sur des accords signés par les partenaires sociaux serait contraire au sens de l'histoire.

M. Claude Gaillard - Mon expérience me permet de dire qu'il n'est pas équitable d'aligner l'évolution des salaires sur celle du SMIC. Dans une entreprise privée confrontée à des difficultés en fin de mois, nous avons au contraire pénalisé les hauts salaires pour que les bas salaires soient davantage augmentés. Le principe même de cet amendement est en fait injuste pour les plus bas salaires dans les conjonctures difficiles : c'est sur eux qu'il faut concentrer l'effort (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'amendement 27, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Maxime Gremetz - L'amendement 28 vise à préciser que « les barèmes de salaires des accords et conventions collectives ne peuvent comporter de niveaux de rémunérations minima inférieurs au SMIC ».

Les minima de branche sont actuellement inférieurs au SMIC dans 70 % des cas. C'est profondément injuste et les organisations syndicales ont raison de s'en indigner. Des centaines de milliers de salariés sont concernés ! Ce n'est donc pas par mauvaise humeur que j'ai demandé un scrutin public sur cet amendement.

M. le Président - Sur l'amendement 28, je suis saisi par le groupe communistes et républicains d'une demande de scrutin public.

M. le Rapporteur - L'amendement a été repoussé par la commission car, dans les faits, aucun salarié ne perçoit une rémunération inférieure au SMIC. De plus, le respect dû aux partenaires sociaux ne permet pas de leur imposer de négocier.

M. le Ministre - L'amendement est sympathique, mais il aurait le résultat inverse à celui espéré, en provoquant un écrasement supplémentaire de la hiérarchie des salaires. Ce qui doit être fait, et que je demande aux partenaires sociaux, c'est d'engager une négociation sur les minima sociaux, qui doivent être modifiés. L'amendement ne le permettrait pas, et c'est pourquoi le Gouvernement y est défavorable.

M. Jean-Pierre Soisson - Le problème est réel et ne peut perdurer. La future négociation sociale devra permettre de supprimer les minima de branche inférieurs au SMIC.

M. Maxime Gremetz - L'adoption de l'amendement indiquerait avec force que la hiérarchie des salaires doit être renégociée.

M. Alain Vidalies - La réponse du ministre a déjà été faite par d'autres gouvernements mais elle n'est toujours pas satisfaisante, car la situation actuelle trouble le cours de la négociation collective. Un grand effort est nécessaire pour mettre fin à une situation qui suscite l'incompréhension de nos concitoyens.

À la majorité de 65 voix contre 17 sur 82 votants et 82 suffrages exprimés, l'amendement 28 n'est pas adopté.

M. Gaëtan Gorce - Nous voulons avoir la certitude que, dans la période de libéralisme social qui s'ouvre, le libéralisme ne l'emportera pas en permanence sur le social. D'où l'amendement 131, qui se justifie par son texte même.

M. le Rapporteur - L'amendement a été rejeté par la commission, qui l'a jugé inutile. Les données sont connues et publiées dans mon rapport, conformément à la loi.

M. le Ministre - Cet amendement inutile illustre assez bien l'état d'esprit du groupe socialiste. Les augmentations du SMIC ne seront pas à la discrétion du Gouvernement : elles seront fixées, dans le moindre détail, par le Parlement, conformément à la loi. Le rapport demandé est donc sans objet.

M. Jean-Pierre Soisson - Le ministre a raison, l'amendement est superfétatoire.

L'amendement 131, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article premier modifié, mis aux voix, est adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 15.

La séance est levée à 19 heures 40.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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