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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 28ème jour de séance, 73ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 21 NOVEMBRE 2002

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

Sommaire

      CONSTITUTION D'UNE CMP 2

      ORGANISATION DÉCENTRALISÉE
      DE LA RÉPUBLIQUE (suite) 2

      ARTICLE PREMIER (suite) 2

      APRÈS L'ARTICLE PREMIER 14

      ERRATUM 26

La séance est ouverte à quinze heures.

CONSTITUTION D'UNE CMP

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant qu'il a décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003.

ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adoptée par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République.

ARTICLE PREMIER (suite)

M. Daniel Poulou - Je retire l'amendement 3, et interviendrai sur celui de M. Le Fur, qui a trait à l'enseignement et à la reconnaissance des langues régionales.

M. Paul Giacobbi - Sachez, Monsieur Clément, que non seulement j'ai approuvé les accords de Matignon sur la Corse - mais que je crois n'y avoir pas peu contribué - et je me réjouis donc de ce projet, même s'il reste perfectible.

Nous ne devons pas avoir peur des mots : le fédéralisme n'a rien à voir avec la décentralisation. Il signifie en effet universalité des compétences des Etats fédérés, auto-organisation de ceux-ci, double source de la volonté générale. Rien de tout cela dans votre projet, si ce n'est la préoccupante prééminence accordée au Sénat.

L'amendement 95 n'a qu'une portée rédactionnelle : il vise à mettre sur le même plan les principes de décentralisation et d'indivisibilité. Cela dit, comparé à la rédaction, sur ce point, de la Constitution italienne, dont M. de Courson a rappelé le caractère très alambiqué, et sans même parler de la Constitution espagnole, qui frise, de l'avis de nombreux juristes, le désastre syntaxique (Sourires) le texte présenté par le Gouvernement est acceptable. Je retire donc l'amendement.

Les amendements 3 et 95 sont retirés

Mme Ségolène Royal - L'amendement 57 tend à modifier la rédaction de l'article premier de la Constitution, qui contient les piliers de notre tradition républicaine, que nous devons servir - et non pas nous servir d'elle.

La notion d'accès à des services publics de qualité n'a certes pas vocation à égaler les principes d'indivisibilité, d'égalité et de laïcité, mais puisque, çà et là, au fil de ses révisions, la Constitution tend à devenir bavarde, autant mettre les points sur les i.

L'objectif de la décentralisation est d'abord d'améliorer la qualité des services publics sur l'ensemble du territoire. Alors que de nombreuses voix s'élèvent pour exprimer leur inquiétude - l'association des maires de France, le Président de l'Assemblée nationale, nombre de députés et de sénateurs - sur la possibilité de concilier décentralisation d'une part, égalité d'accès aux services publics et indivisibilité de la République de l'autre, il n'est que temps de lever toute ambiguïté.

On nous répondra que nous avons satisfaction, dans la mesure où il n'est pas question de revenir sur ces principes. J'ai pourtant entendu le président de la commission des lois affirmer la nécessité d'inscrire la décentralisation dans la Constitution, pour « lever l'obstacle » du principe d'égalité devant les services publics ! Acceptez donc, mes chers collègues, de compléter cet article. Faites-le pour nos concitoyens, premiers concernés par la décentralisation et la réforme des services publics. Faites-le aussi pour clarifier la notion de décentralisation, qui ne peut porter que sur l'organisation territoriale de la République : ni le Président de la République, ni le Gouvernement, ni le Parlement, ni l'autorité judiciaire ne peuvent être décentralisés.

Il faut, par ailleurs, rappeler que la décentralisation doit se faire dans le respect des principes fondamentaux garantis par la Constitution, notamment l'indivisibilité de la République.

Enfin, notre amendement comble une lacune. Dans le projet gouvernemental, l'Etat, en dépit des dénégations du Premier ministre, semble passer à la trappe. Réaffirmer le principe de déconcentration permettra à l'Etat de mieux assumer son rôle, tout en restant proche des citoyens.

Telles sont les propositions du groupe socialiste. Faute d'avoir eu, ce matin, une réponse du Gouvernement, nous ne savons toujours pas s'il a l'intention d'en accepter quelques-uns, ou de les rejeter toutes en bloc, par principe.

M. Pascal Clément, président et rapporteur de la commission des lois - Relisons l'article premier de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens... ». Cette égalité inclut naturellement l'égalité devant les services publics - comme vous le souhaitez -, vous précisez même que ces services devront être « de qualité », mais, comme l'a fort bien dit M. Zuccarelli, il ne faut pas abuser des qualificatifs dans le texte de la Constitution.

Dans un souci de concision, et afin d'éviter toute redondance, il n'est ni utile ni souhaitable que soit adopté votre amendement. J'ajoute que les notions de service public et d'égalité devant lesdits services publics sont fluctuantes et relatives : tel qui, dans l'opposition, proteste contre les fermetures d'écoles s'y résout lorsqu'il est au pouvoir. Vous en savez quelque chose...

Sur le fond, je le répète, vous avez satisfaction, puisque ce que vous voulez ajouter figure déjà à l'article premier de la Constitution, celui-là même dont René Cassin considérait qu'il complétait le Préambule.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Le Gouvernement est défavorable à l'amendement, qui ferait bégayer, si j'ose dire, la Constitution. Chacun sait que, dans le texte fondamental, peuvent coexister des principes en apparence contradictoires, dont la jurisprudence du Conseil constitutionnel assure ensuite l'équilibre. S'agissant, enfin, de la déconcentration, elle relève du domaine réglementaire, et n'a donc pas à être mentionnée ici.

Pour toutes ces raisons, qui n'ont rien de politique, le Gouvernement est contre l'amendement, qui affaiblirait singulièrement la qualité de la rédaction de notre Constitution.

M. Philippe Vuilque - Comment parler de « qualité de rédaction » alors qu'il s'agit d'apporter une précision de fond ? Votre rédaction de l'article premier risque de modifier la hiérarchie des normes, car le Conseil constitutionnel peut être enclin à privilégier la décentralisation au détriment de la laïcité ou de l'égalité. Le président de notre commission vient de le dire : la notion d'égalité est relative. Il faut donc rappeler, dans la Constitution, le principe de l'égalité des citoyens s'agissant de l'accès au service public. Le refus qu'oppose le Gouvernement signifie-t-il que tous les amendements déposés par l'opposition seront rejetés, alors même qu'ils visent à améliorer le texte ?

M. Richard Cazenave - Ils ne sont pas bons !

Mme Ségolène Royal - Le manque de rigueur du raisonnement du Garde des Sceaux m'étonne. Comment peut-il affirmer que le principe d'égalité des citoyens devant le service public n'aurait pas sa place dans la Constitution... (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Garde des Sceaux - Je n'ai pas dit cela !

Mme Ségolène Royal - ...alors que le Gouvernement s'est fait dire par le Conseil d'Etat que l'organisation décentralisée n'avait rien à y faire ? Si, malgré cela, vous décidez d'en faire mention, posez au moins des limites, et indiquez expressément que l'égalité des citoyens dans l'accès au service public est un droit constitutionnel ! Vous savez bien que l'expérimentation à la carte est ce qui inquiète le plus les élus de tous bords, car seules les collectivités nanties pourront s'y essayer.

M. Pierre Méhaignerie, président et rapporteur pour avis de la commission des finances - C'est absurde !

M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois - C'est aujourd'hui que l'on constate des inégalités !

Mme Ségolène Royal - Mieux aurait valu expliquer dès maintenant selon quelles modalités se feront les nouveaux transferts de compétences. Tous les élus se posent la question !

Pourquoi refuser d'inscrire dans la Constitution le principe de l'égalité d'accès aux services publics, notion à laquelle les Français sont particulièrement attachés ? Et comment M. Clément peut-il prétendre que nous avons satisfaction sur le fond ?

M. le Garde des Sceaux - Parce que la rédaction de l'article premier de la Constitution satisfait votre amendement ! (M. le rapporteur approuve) Chacun, ici, comprend le jeu auquel vous vous livrez : parler le plus longtemps possible, et polémiquer sans fin (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). C'est votre droit, et je vous répondrai aussi souvent qu'il le faudra, par respect du débat parlementaire. Je le rappelle à nouveau : le principe de l'égalité des citoyens est celui qui est le plus souvent inscrit dans notre Constitution, dans le préambule, à l'article premier et ailleurs. Il est donc inutile d'alourdir le texte par une redondance ! En revanche, il y a lieu de poser le principe, nouveau, de l'organisation décentralisée. Je vous le répète, mon opposition à votre amendement n'est pas d'ordre politique mais rédactionnel.

M. Jean-Marc Ayrault - Il ne s'agit pas d'un jeu, Monsieur le Garde des Sceaux !

M. Richard Cazenave - Mais si !

M. Jean-Marc Ayrault - Au contraire, nous prenons cette question très au sérieux, ce qui ne semble pas être le cas de la majorité, dont les rangs sont sérieusement dégarnis !

M. René André - Moins que les vôtres !

M. Jean-Pierre Brard - C'est que nous sommes moins nombreux que vous ne l'êtes !

M. Jean-Marc Ayrault - Votre très intéressante intervention au cours du débat général a montré que vous vous interrogez aussi, Monsieur André ! La question fondamentale de l'égal accès des citoyens au service public, sur tout le territoire, n'a rien de je ne sais quel jeu obscur. Hier, ici même, le Premier ministre a pris comme exemple l'inégal accès au réseau Internet à haut débit. Il avait raison ! L'amendement ne fait que traduire la préoccupation qu'il exprimait. Serait-ce que vous déniez à l'opposition le droit d'amendement ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur - Vous n'étiez pas dans l'hémicycle, Monsieur Ayrault, lorsque j'ai donné lecture de l'article premier de la Constitution à Madame Royal, qui n'en a manifestement pas compris le sens (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Si vous entendez : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens (...) », vous devriez en déduire, comme tous les juristes, que cet article implique l'égalité d'accès aux services publics. Et pourtant, non !

Ce n'est pas faire une mauvaise manière à l'opposition que de refuser des amendements redondants. Mais si l'on devait s'enferrer dans un dialogue de sourds, je me limiterais désormais à donner mon avis par « oui » ou par « non » sur tous les amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - Le rapporteur manie le sophisme avec une dextérité qui ne peut que nuire à la sérénité de nos débats, en entretenant une confusion délibérée entre égalité devant la loi et égalité devant l'accès aux services publics. En cette matière, nous ne parlons pas exactement de la même chose, puisque vous voulez privatiser certains services publics que nous considérons comme constitutifs du pacte social, qu'il s'agisse de La Poste ou d'EDF. Nous tenons, nous, à ce que le prix du kilowattheure soit le même au fin fond de l'Ariège et dans la Creuse, et le prix du timbre aussi ! Or, telles ne sont pas vos intentions !

M. Richard Cazenave - Quel insupportable procès d'intention !

M. Jean-Pierre Brard - Vous dites cela sur un ton si peu convaincu que l'on voit bien ce que vous pensez vraiment ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Il importe d'autant plus de faire figurer dans le texte l'égalité d'accès aux services publics, qui ne se confond pas avec l'égalité devant la loi.

L'amendement 57, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Ségolène Royal - Le Gouvernement soutient que le principe de l'égalité d'accès aux services publics n'est pas d'ordre constitutionnel, alors que lui-même introduit dans la Constitution des dispositions qui auraient leur place dans une loi simple, comme l'a observé le Conseil d'Etat.

Le principe d'indivisibilité de la République fait aussi l'objet de nombreuses inquiétudes. Dès lors qu'on mentionne l'organisation décentralisée au même titre que l'indivisibilité, et comme par ailleurs vous allez rendre possible des expérimentations à la carte, le risque existe de mettre en faillite le principe d'indivisibilité et d'aboutir à une République éclatée. C'est pour y parer que nous proposons, par l'amendement 60, de préciser que le principe de décentralisation n'est pas placé à égalité avec celui d'indivisibilité - sans quoi il pourrait l'emporter sur lui dans une future jurisprudence constitutionnelle - mais qu'il lui est soumis. Ce principe d'indivisibilité interdit qu'une collectivité soit maîtresse de son champ de compétences et puisse s'autosaisir d'attributions qui ne lui ont pas été confiées dans le cadre de la Constitution. Il en résulterait inégalités et désordre : ce n'est pas ce que les Français attendent de cette réforme. Ce débat le montre à nouveau, nous souffrons cruellement de n'avoir pas connaissance des dispositions à venir sur les transferts de compétences et de ressources et sur les modalités de l'expérimentation ; aussi importe-t-il que ces dispositions soient encadrées par les principes d'égalité d'accès aux services publics et d'indivisibilité.

M. le Rapporteur - Mme Royal veut faire figurer dans la deuxième phrase de l'article l'indivisibilité qui figure déjà dans la première : la commission ne l'a pas jugé utile.

M. le Garde des Sceaux - Le principe d'indivisibilité, qui figure dans la Constitution et qu'il n'est donc pas besoin d'y réinscrire, exclut totalement qu'une collectivité territoriale se saisisse elle-même d'une compétence. Ce point est parfaitement clair, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante depuis longtemps, et il n'y a aucun risque à cet égard. Avis défavorable.

L'amendement 60, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Ségolène Royal - Plusieurs observateurs attentifs ont noté une lacune dans le texte : l'absence de toute mention de la réforme de l'Etat et de la déconcentration. Rapprocher le pouvoir des citoyens, ce n'est pas seulement décentraliser, c'est, parallèlement, déconcentrer l'Etat, et non pas le passer sous silence, gommer ses pouvoirs et ses devoirs. L'objet de l'amendement 61 est donc de faire état de ce principe de déconcentration des pouvoirs de l'Etat.

M. Richard Cazenave - C'est d'ordre réglementaire !

Mme Ségolène Royal - Le président Clément m'a déjà fait cette objection, mais je vous ferai observer que le principe de décentralisation et de libre administration des collectivités locales figure déjà à l'article 72. Dès lors que vous-même inscrivez à l'article premier le principe de décentralisation, il est impératif de l'équilibrer par les principes d'égalité devant le service public, d'indivisibilité de la République et de déconcentration : nos amendements ne sont là que pour rappeler cette exigence, et nous les retirerions si vous renonciez à faire figurer la décentralisation dans l'article premier. Si vous le faites sans l'équilibrer comme nous le proposons, c'est le juge constitutionnel qui devra arbitrer en permanence. Nous ne voulons pas qu'un transfert de pouvoirs se paie d'un recul en termes d'égalité sur le territoire. C'est d'ailleurs cela qui inquiète les maires.

En vérité, nous comprenons bien ce qui se passe. Vous avez décidé de refuser tout amendement, de l'opposition comme d'ailleurs de la majorité. A moins que vous n'ayez, Monsieur le Garde des Sceaux, l'autorisation du Premier ministre d'en accepter quelques-uns ? Ne sommes-nous pas ici pour améliorer le texte ?

M. le Rapporteur - Vous voulez inscrire la déconcentration dans la Constitution. Mais, tout d'abord, et je vous l'ai dit, c'est d'ordre réglementaire. D'autre part, avez-vous remarqué qu'en dehors de l'article 13, qui prévoit sa nomination au conseil des ministres, le texte actuel de la Constitution ne dit pas un mot du préfet et de son rôle ? Or le projet tend, pour la première fois, à préciser dans la Constitution même que « dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'Etat, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ». Ce sera le dernier alinéa de l'article 72. Vous avez donc satisfaction sur la déconcentration.

M. le Garde des Sceaux - Avis défavorable.

M. Charles de Courson - Cet amendement du groupe socialiste me surprend. On apprend dès la première année de droit que l'organisation interne de l'Etat relève du pouvoir réglementaire. Ou alors, Madame Royal, allez au bout de votre démarche et modifiez aussi l'article 34 ! Je suis surpris que les bons juristes que compte le groupe socialiste aient laissé passer votre proposition (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Ségolène Royal - Vous n'êtes pas mon professeur, je ne suis pas votre élève ! Ce que je vois, c'est qu'aucun amendement parlementaire ne sera adopté dans ce débat. S'agit-il, d'ailleurs, d'un vrai débat, ou d'un vrai-faux débat ? Est-il vrai, comme l'a dit le président Clément, qu'aucun amendement ne sera adopté, afin d'éviter une navette ? Ou bien avez-vous mandat, Monsieur le Garde des Sceaux, pour accepter éventuellement quelques amendements, en fonction de leur qualité ?

M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois - C'est un tissu de mensonges : la commission a adopté une quinzaine d'amendements.

Mme Ségolène Royal - Je demande une suspension de séance pour que le ministre chargé des relations avec le Parlement puisse venir en séance, et répondre aux questions suivantes (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : sommes-nous dans un vrai débat parlementaire ? Des amendements seront-ils pris en compte ? L'égalité devant le service public a-t-elle un sens pour ce gouvernement ? Nous refuserions de participer à une mascarade, et nous voulons savoir s'il nous est possible de faire ce pourquoi les contribuables nous paient...

M. le Rapporteur - Vous n'êtes sûrement pas payée pour faire cela !

Mme Ségolène Royal - ... à savoir travailler à améliorer les textes.

M. le Garde des Sceaux - A la suite de l'intervention de Mme Royal, je veux lui dire ceci : de même que le Gouvernement ne met pas en demeure l'Assemblée, le groupe socialiste n'a pas à mettre en demeure le Gouvernement, à demander que tel ou tel ministre vienne en séance. M. Devedjian et moi représentons ici le Gouvernement ; je parle au nom du Premier ministre. Restons-en là ! On ne joue pas avec les institutions de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Pour le reste, il apparaît que vous souhaitez polémiquer sur chaque amendement. C'est votre droit, mais si vous comptez user mes réserves de sérénité, vous perdez votre temps (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

L'amendement 61, mis aux voix, n'est pas adopté.

La séance, suspendue à 15 h 45, est reprise à 15 h 55.

M. Didier Migaud - Je voudrais faire un rappel au Règlement, sur la base de l'article 58, alinéa 1, relatif au déroulement de la séance. Les orateurs du groupe socialiste défendent leurs amendements avec conviction, dans un esprit constructif. Depuis le début de cette séance, ils s'entendent accuser par le président de la commission ou par le ministre de se livrer à je ne sais quel « jeu » et d'être guidés par une volonté d'obstruction. Mais s'il n'est pas possible de présenter des amendements dans la sérénité, à quoi sert le débat parlementaire ?

Je pense qu'il sera nécessaire de réunir la Conférence des présidents d'ici la fin de la journée pour prévoir la suite du déroulement de nos travaux. Pourquoi laisser deux semaines de discussion au Sénat et nous contraindre à bâcler la nôtre en une semaine ? Pourquoi nous obliger à siéger un vendredi, ce que l'on ne demande jamais aux sénateurs, alors même que demain se tiennent des assises des libertés locales dans plusieurs départements ? Notre travail consiste pourtant aussi à être dans nos circonscriptions pour écouter la base ! Cette façon de faire est totalement incorrecte.

Nous voudrions être respectés dans cet hémicycle (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Nous n'avons pas abusé des outils de procédure et nos amendements ne visent qu'à poser et résoudre des problèmes. Vous-même en avez d'ailleurs déposé de nombreux, et il n'y a rien de plus normal si nous voulons débattre au fond.

Monsieur le Président, à travers ce rappel au Règlement, j'ai voulu vous inviter à rester vigilant, de manière que nous débattions dans l'esprit qui doit être celui des travaux parlementaires. Quand une suggestion vient de l'opposition, elle ne doit pas être traitée avec mépris. Je souhaite que le débat reste serein.

M. le Président - Je veillerai à ce que chacun puisse s'exprimer. S'agissant de l'ordre du jour, vous êtes un parlementaire trop averti pour ignorer qu'il a été adopté en Conférence des présidents où sont représentés tous les groupes politiques.

M. Émile Zuccarelli - J'avais d'abord souhaité que mon amendement 31 soit mis en discussion commune avec ceux de Mme Royal, puis je me suis ravisé.

La commission et le Gouvernement ont estimé redondante la mention du principe d'indivisibilité dans la deuxième phrase, ce principe apparaissant déjà dans la première.

Or le projet me semble suffisamment bavard par ailleurs pour qu'on ne s'offusque pas de la répétition d'un principe aussi essentiel.

Pour ma part, je souhaitais la suppression pure et simple de la phrase : « Son organisation est décentralisée ». A tout le moins, que cet ajout soit précis, car le mot « organisation » est trop vague. Le Gouvernement, la présidence de la République, le Parlement seront-ils décentralisés ?

Mon amendement 31 vise donc à insérer, après le mot « organisation », l'adjectif « territoriale ». Il m'a semblé en commission que l'adjonction de ce mot était perçue comme améliorant le texte sans le dénaturer. Or cela ne passera pas, nous dit-on, parce que le texte a été arrêté, vissé, figé, au cours de discussions qui échappent complètement à l'Assemblée nationale : non possumus. Dans ces conditions, le débat a-t-il encore un sens ? L'Assemblée nationale a-t-elle toujours son droit d'amendement ?

M. le Rapporteur - Vous n'avez pas à craindre que l'on décentralise le Parlement, le Gouvernement ou la présidence de la République - au demeurant, il s'agirait de délocalisation et non de décentralisation...

Nous voulons que se noue un dialogue nouveau entre l'Etat unitaire et les territoires décentralisés. Votre amendement, contraire à cette philosophie, qui dépasse les questions de simple organisation territoriale, ne ferait qu'alourdir le texte.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales - Le Gouvernement est ouvert à toute suggestion visant à améliorer ce texte en restant en cohérence avec lui. Tel n'est pas le cas de votre amendement.

Pour nous, la décentralisation est un principe politique. Or vous voulez la limiter à l'organisation territoriale.

En outre, votre amendement est dangereux. L'Etat dispose en effet, sur tout le territoire, de sa propre organisation ; votre amendement, s'il était adopté, pourrait rendre inconstitutionnelle l'existence même des préfets. Or nous n'entendons pas les supprimer, nous voulons même revaloriser leur rôle ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

C'est pour ces raisons, et non par dogmatisme, qu'à mon grand regret j'émets un avis défavorable.

M. Philippe Vuilque - La précision que M. Zuccarelli propose d'apporter permettrait de lever bien des ambiguïtés.

M. de Courson, avec une certaine condescendance, a voulu nous donner une leçon de droit. Mais aucun professeur de droit, pas même un étudiant en première année, ne laisserait passer votre rédaction, dont le constitutionnaliste Guy Carcassone a dit qu'il était « un neutron juridique à charge nulle ».

M. Jacques Myard - Positive !

M. Philippe Vuilque - Il faut donc voter cet excellent amendement.

L'amendement 31, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - L'amendement 5 a été retiré par ses auteurs.

M. René André - En effet !

M. Philippe Vuilque - Nous le reprenons ! Cet amendement de M. André montre le trouble qui existe au sein de la majorité (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). En commission, M. Delattre partageait, lui aussi, certaines de nos préoccupations.

Il est dommage que M. André ait retiré son amendement - sans doute à la demande du Gouvernement. Il avait en effet raison de souhaiter que, si la décentralisation devait être introduite dans la Constitution, la déconcentration y figure aussi.

M. Hervé Mariton - Cela n'a rien à voir !

M. René André - Je ne pensais pas que cet amendement pouvait être repris, puisqu'il a été retiré avant même d'être appelé. Comme tous mes collègues, je souhaite un équilibre entre décentralisation et déconcentration. Les explications du Gouvernement m'ont convaincu que cet équilibre n'était pas rompu, et c'est pourquoi je n'ai pas jugé nécessaire de maintenir l'amendement.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Garde des Sceaux - Avis défavorable.

M. Marc Le Fur - Je suis un militant de la déconcentration, domaine dans lequel notre pays a un effort gigantesque à faire. Mais la placer sur le même plan que la décentralisation serait une erreur. La décentralisation concerne des élus qui tirent leur légitimité du peuple, alors que la déconcentration concerne des fonctionnaires qui tirent la leur de l'autorité qui les a nommés. Constitutionnaliser la déconcentration serait confirmer les prétentions de ceux qui, parmi eux, ont tendance à s'arroger eux-mêmes certains pouvoirs ; je pense par exemple aux directeurs des agences régionales de l'hospitalisation. Sachons dire aux fonctionnaires qu'ils sont responsables devant un Gouvernement qui est lui-même responsable devant le Parlement !

Mme Ségolène Royal - Je remercie M. Devedjian du ton qu'il utilise pour nous répondre. Il respecte l'opposition et fait l'effort d'argumenter : cela nous change de l'attitude de son collègue.

L'amendement montre à quel point certains débats de fond dépassent les clivages politiques. Je souhaite que nos collègues ne retirent pas les suivants, afin que nous puissions continuer à débattre...

L'amendement 5, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Emile Blessig - Mon amendement 149 tend à ajouter les mots « , dans le respect de la diversité de ses composantes territoriales ». En effet, la décentralisation doit conjuguer unité et diversité.

M. Jean-Pierre Brard - C'est la dialectique marxiste ! (Sourires)

M. le Rapporteur - Avis défavorable, pour deux raisons de forme. Premièrement, la Constitution, dans son titre XII, salue déjà la diversité des collectivités territoriales. Deuxièmement, le Conseil constitutionnel a définitivement tranché la question de savoir s'il y avait une différence entre « collectivités territoriales » et « collectivités locales » - expressions qui auparavant figuraient toutes deux dans la Constitution - en décidant qu'il n'y en avait pas, ce qui a conduit à unifier le vocabulaire. Si on rajoute les « composantes territoriales », on est reparti pour des ratiocinations juridiques à n'en plus finir !

M. le Garde des Sceaux - Même avis.

L'amendement 149, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Mon amendement 187 pourrait être consensuel car il a été élaboré au sein de l'association des maires de grandes villes. Il vise à reconnaître que l'organisation décentralisée de la France se fonde non seulement sur les collectivités territoriales, mais encore sur les communautés intercommunales qui, absentes de l'article 72, n'en méritent pas moins une reconnaissance constitutionnelle. En effet, l'intercommunalité, relancée par la loi du 6 février 1992, consacrée et harmonisée par la loi du 12 juillet 1999, concerne aujourd'hui près des deux tiers des communes et de la population française.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné cet amendement, mais un amendement voisin.

Personnellement, je ne sais pas ce que sont les « communautés intercommunales » : je ne connais que les EPCI. Ceux-ci doivent être distingués des collectivités territoriales, dont les représentants sont élus au suffrage universel direct. Certes M. Mauroy avait proposé dans son rapport, resté sans suite, de retenir ce mode d'élection, mais la majorité, à la quasi-totalité de ses membres, y est défavorable car elle connaît l'attachement des Français à leurs communes et à leurs maires. En outre, on voit bien dans les communautés d'agglomération, les communautés urbaines et les communautés de communes que le suffrage universel indirect permet à des élus de sensibilité très différentes de travailler ensemble pour le bien commun.

M. Jacques Myard - Absolument !

M. le Rapporteur - C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas inscrire les EPCI dans la Constitution.

M. le Ministre délégué - Avis défavorable également, car il ne serait pas équitable de mettre les intercommunalités à parité de droits avec les collectivités territoriales, dès lors qu'il n'y a pas élection au suffrage universel.

M. Hervé Mariton - La gauche souhaite supprimer les communes, ou en tout cas les vider de leur substance. Nos concitoyens apprécieront... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Le projet constitutionnel, en citant les trois niveaux de collectivités territoriales, a le mérite d'être clair. N'introduisons pas une confusion qui irait à l'encontre du principe de subsidiarité, lequel est au c_ur de la démarche du Gouvernement, ainsi que du principe de simplicité.

M. le Président - Monsieur Brard, retirez-vous votre amendement ? Ou allez-vous le défendre ?

M. Jean-Pierre Brard - J'ai un esprit trop cartésien pour commencer par la conclusion... (Sourires)

On nous dit qu'il faut faire simple. Pourquoi alors avoir conçu un texte aussi embrouillé ?

M. Devedjian parle d'équité hors de propos. Quant à M. Clément, il est hors sujet quand il évoque l'élection au suffrage direct des EPCI. Par contre, il a justement distingué les élus du peuple des sénateurs, qui ne sont élus qu'au second degré. Soyez cohérent, Monsieur Clément, puisque vous reconnaissez vous-même que les sénateurs ne sont pas les élus du peuple.

M. le Rapporteur - Ne déformez pas mon propos : les sénateurs sont des élus du peuple.

M. Jean-Pierre Brard - Je pourrais vous renvoyer à l'analytique. En tout cas, il ne convient pas d'attribuer des pouvoirs exorbitants au Sénat qui n'a pas la légitimité conférée par le suffrage universel direct.

M. Jean-Pierre Balligand - Il n'y a pas eu que les lois de décentralisation de 1982, 1983 et 1985. Il ne faut pas oublier celles du 6 février 1992 et de juillet 1999, qui ont pourtant profondément modifié le paysage de la France rurale par la création des communautés de communes.

Nous avons été seuls à les voter dans cet hémicycle. Cela n'a pas empêché la droite de s'en saisir (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Mais je ne vous le reproche pas.

M. Daniel Poulou - Nous respectons la loi !

M. le Président - M. Balligand vous rend hommage, ne protestez pas.

M. Jean-Pierre Balligand - Si ce texte n'avait pas constitué une véritable avancée, vous vous seriez empressés de l'annuler dès votre arrivée au pouvoir en 1993 !

M. Jacques Myard - Il y avait tout à faire !

M. Jean-Pierre Balligand - D'ailleurs, j'avais préparé avec M. Perben, à l'époque, un texte destiné à améliorer l'intercommunalité, et M. Chevènement l'a repris dans le cadre des communautés d'agglomération.

M. Francis Delattre - Nous l'avons voté !

M. Jean-Pierre Balligand - C'est bien pourquoi il est inutile de nous quereller.

Nous allons d'ailleurs proposer de modifier le mode de scrutin de façon à concilier l'intérêt des communes avec celui de l'agglomération.

L'amendement 187 n'a pas pour objet d'élever les communautés de communes et les communautés d'agglomération au rang des collectivités territoriales, mais de les faire participer à la décentralisation. La pertinente remarque du président de la commission des lois est ainsi prise en compte.

Faites donc un geste pour que soit reconnue la nouvelle réalité de notre pays : l'intercommunalité fonctionne bien, et elle n'est pas antinomique avec le fait communal. M. Devedjian l'a clairement exprimé : les communautés intercommunales ne peuvent s'apparenter à des collectivités territoriales, car elles ne couvrent pas l'ensemble du territoire, et le problème du mode de scrutin n'est pas réglé. Mais ce serait faire preuve d'ouverture que d'accepter la formulation de M. Brard, approuvée par nombre de maires et d'élus ruraux.

M. Didier Migaud - L'intercommunalité est la grande absente de ce projet de loi de révision constitutionnelle. Vous lui opposez maintenant qu'elle n'est pas issue du suffrage universel direct, ce qui est savoureux puisque à l'article 3 vous accordez une prééminence au Sénat. D'ailleurs, c'est le Sénat qui a refusé l'élection de l'intercommunalité au suffrage universel direct.

M. Alain Joyandet - C'est faux !

M. Didier Migaud - Si, Monsieur l'ancien sénateur. Et permettez-moi de vous féliciter d'avoir courageusement affronté le suffrage direct... Mais laissez-moi vous rappeler que ce texte, la majorité de l'époque ne l'a accepté en CMP qu'à contrec_ur dans l'intérêt du pays.

Il est vrai que ce mode de scrutin peut poser quelque difficulté, mais l'on peut toujours trouver des solutions, comme le scrutin mixte. M. Raffarin ne nous invitait-il pas à plus d'audace et d'imagination ? L'intercommunalité est composée de maires, de conseillers municipaux, eux-mêmes issus du suffrage universel direct. En tout cas, il serait contraire à l'esprit de la Ve République que le suffrage universel direct s'efface devant le suffrage universel indirect (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'amendement 187, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Balligand - C'est vraiment une occasion manquée !

M. Jacques Myard - Le projet complète l'article premier de la Constitution par une disposition emblématique...

M. Jean-Pierre Brard - Quel langage châtié !

M. Jacques Myard - Comme le vôtre, mon cher collègue,...

M. le Président - Si vous pouviez arrêter de vous féliciter mutuellement... (Sourires)

M. Jacques Myard - Cette disposition porte organisation décentralisée. Fort bien. Mais les textes ont une vie propre, et il convient donc de préciser que la décentralisation ne peut porter atteinte à l'unité de l'Etat. Tel est l'objet de l'amendement 45 rectifié. Notre rapporteur considère que l'amendement est satisfait par la première phrase de l'article premier, qui dit que « la France est une République indivisible »... Cette interprétation ne me convient pas, car la phrase renvoie en fait à l'article 53 de la Constitution, qui dispose que « nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées ». Le législateur se doit de préciser les conditions dans lesquelles s'exercera la décentralisation pour éviter que le Conseil constitutionnel ne donne de l'article premier une interprétation que nous n'aurions pas souhaitée.

M. le Rapporteur - M. Myard, qui ne se satisfait pas de la réponse que je lui ai faite, se satisfera plus sûrement de l'avis du Conseil constitutionnel qui figure dans mon rapport. Je ne doute pas qu'il en sera rassuré, et qu'il conviendra, avec le Conseil, que la Constitution prévoit déjà ce que nous souhaitons tous : l'indivisibilité de la République. Préférons donc la concision à la tautologie.

M. le Garde des Sceaux - La Constitution postulant que la République est indivisible, aucune collectivité territoriale ne peut se saisir de quelque compétence que ce soit : seul le législateur peut la lui attribuer. L'organisation décentralisée de la République ne modifiera en rien ce principe.

M. Jacques Myard - L'avis du Conseil constitutionnel auquel le rapporteur a fait référence a été rendu avant que le texte de la Constitution soit révisé ! Mais qui peut nous assurer que, demain, le principe nouveau inséré à l'article premier sera interprété de manière à garantir l'indivisibilité de la République ? Personne ! Il faut donc préciser le texte en adoptant l'amendement.

M. Francis Delattre - Je voudrais pouvoir croire le Garde des Sceaux, qui affirme qu'aucune collectivité territoriale ne pourra s'attribuer une compétence. C'est vrai aujourd'hui, certes. Cependant, le Conseil d'Etat a considéré que la mention de l'organisation décentralisée de la République trouverait mieux sa place à l'article 72 qu'à l'article premier.

Mme Ségolène Royal - Que ne l'avez-vous rappelé plus tôt !

M. Francis Delattre - De plus, comme je l'ai dit hier sans que le Garde des Sceaux ait eu la courtoisie de me répondre, la rédaction de l'article 4 du projet, parce qu'elle introduit la notion de subsidiarité, pose problème. En effet, qui, en dernier ressort, décidera que telle ou telle compétence sera transférée ? Il faut pour le moins renvoyer à une loi organique précisant les limites de la subsidiarité ! Actuellement, nous sommes tous des démocrates ; mais si, demain, un régime venait à être dirigé par le Front national, si elle procédait à une auto-saisine de compétence... La rédaction proposée ouvre la voie à tous les contentieux, si bien que le juge constitutionnel sera amené à arbitrer sans arrêt entre les collectivités territoriales et le Parlement. Est-ce ce que nous souhaitons ?

M. le Garde des Sceaux - Je comprends votre préoccupation, mais l'article 34 de la Constitution y répond, en établissant que « la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ». Le renvoi à la loi, que vous souhaitez à juste titre, est donc expressément inscrit dans la Constitution, ce qui rend l'amendement inutile.

M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois - Je prends la parole au nom de la commission pour compléter les propos du Garde des Sceaux en rappelant que nous fixons un objectif, et non un principe.

M. Francis Delattre - Mais la Constitution est normative ! Un objectif n'a pas à y figurer !

M. le Président - Monsieur le vice-président de la commission des lois, vous avez relancé le débat...

M. Philippe Vuilque - Rappel au Règlement. A quel titre M. Warsmann s'exprime-t-il au nom de la commission, puisque le président de celle-ci est également rapporteur ?

M. le Président - Ce rappel au Règlement ne contribue pas à éclairer le débat (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). J'avais moi-même fait remarquer à M. le vice-président la singularité de la situation.

L'amendement 45 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jacques Myard - Dans le même esprit, à l'occasion de mes amendements 46 et 47, je souhaite entendre le Garde des Sceaux, sur l'unité de la Constitution. Nous posons à l'article premier que l'organisation de la France est décentralisée. C'est désormais un principe constitutionnel fort, puisqu'il figure à l'article premier, article emblématique qui définit l'essence même de la République. Or il peut se présenter des situations, et nous en avons malheureusement connu dans notre histoire, qui conduisent le pouvoir central à reprendre des attributions qu'en des périodes plus normales il aurait confiées à tel ou tel organisme décentralisé. Je fais référence aux lois d'urgence, à l'organisation de la nation en temps de guerre, à la possibilité de décréter l'état de siège, à l'article 16. Vous me direz, Monsieur le Garde des Sceaux, que la Constitution se lit globalement. Je souhaite, pour la clarté des travaux préparatoires, que le Gouvernement déclare que, si la situation sur telle partie du territoire l'exigeait, la puissance publique ne serait pas entravée par la nouvelle rédaction de l'article premier, dans sa capacité de prendre les mesures exceptionnelles que lui permet par ailleurs la Constitution. C'est après vous avoir entendu que je déciderai du sort de mes amendements.

M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois - La commission a émis un avis défavorable. Les dispositions nouvelles sur la décentralisation ne modifient en rien les conditions d'un recours éventuel à l'article 16.

M. le Garde des Sceaux - Je veux le dire clairement à M. Myard, et à travers lui à l'Assemblée tout entière : ce qui est envisagé en matière de décentralisation ne remet aucunement en cause les prérogatives du Président de la République ou du Gouvernement. Nous sommes attachés aux pouvoirs que leur confère la Constitution et il n'est pas question que le présent projet les remette en cause.

M. Jacques Myard - Considérant que les travaux préparatoires d'une loi constitutionnelle ont une portée juridique, je retire mes amendements.

Les amendements 46 et 47 sont retirés.

Mme Ségolène Royal - Avec l'amendement 59 nous revenons au principe d'égalité devant les services publics. Quand fut engagé ce grand chantier de décentralisation, nous avions compris qu'il s'agissait pour la France de prendre, plus efficacement et plus démocratiquement, son destin en mains, c'est-à-dire de concilier de nouvelles libertés locales, mais donc aussi plus de solidarité, plus d'autonomie, mais donc aussi plus de responsabilité.

Nous avions compris qu'il s'agissait d'établir une complémentarité entre des pouvoirs locaux mieux affirmés et un Etat meilleur garant du bien commun. Mais vous avez refusé d'inscrire dans la Constitution le principe d'égal accès à des services publics de qualité - « de qualité », parce qu'ils doivent être évolutifs, comme la décentralisation. Ce que vous proposez en fait, c'est moins d'Etat, puisque vous avez aussi refusé d'inscrire la déconcentration. Le rappel de ces principes est d'autant plus nécessaire qu'avant même l'adoption de ce projet, l'Etat a commencé à se désengager, notamment du service public d'éducation, avec les suppressions de surveillants, d'emplois-jeunes, d'auxiliaires d'intégration pour les enfants handicapés, de personnels d'entretien et de service. Les chefs d'établissement sont inquiets et les élus de toutes tendances se demandent s'il va leur incomber de réembaucher et de rémunérer ces personnels, et de payer les contrats éducatifs locaux, dont les crédits ont perdu 30 %. Bref, avant même que ce texte soit voté et que nous ayons des précisions sur les futurs transferts de compétences, les premières étapes de décentralisation se sont déjà traduites par une série de désengagements de l'Etat au détriment de l'égalité des chances.

Si votre intention n'est pas de poursuivre le désengagement de l'Etat, le mieux serait de l'écrire dans le texte. Puisque vous prenez la liberté d'inscrire à l'article la décentralisation, que le Conseil d'Etat avait disjointe, considérant qu'elle était traitée à l'article 72, je vous demande, dans un souci d'équilibre, de faire figurer aussi à l'article premier le principe d'égalité devant les services publics. Votre refus signifierait que, pour vous, la décentralisation c'est moins d'Etat, plus de marché, plus de pouvoirs dans quelques mains ; avec à terme le désordre, l'insécurité, l'inégalité. Cette décentralisation libérale, nous n'en voulons pas.

M. le Président - Je donne la parole à M. Warsmann, qui, étant premier vice-président de la commission, a le droit de s'exprimer au nom de celle-ci en l'absence de son président.

M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois - Monsieur le Président, je vous remercie de cette précision. Je ne relèverai pas toutes les contrevérités de Mme Royal : il leur a été répondu à l'occasion de chacun des budgets. Quant à l'amendement, pour des raisons déjà expliquées, la commission l'a rejeté.

M. le Garde des Sceaux - Défavorable.

M. Victorin Lurel - Permettez-moi d'ajouter une touche d'outre-mer à ce débat sur les services publics, en évoquant quelques exemples, et tout d'abord la continuité territoriale, avec la mission de service public naguère confiée à une société comme Air France. Aujourd'hui, face au marché, à la rentabilité, l'égalité ne nous est plus assurée, non plus que la liberté d'aller et de venir. Autre exemple : la loi de 1975 a nationalisé l'électricité en Guadeloupe. Mais, avec l'ouverture du capital à une société qui a eu les pires difficultés à appliquer les lois de la République, la Guadeloupe a été longuement privée d'électricité. La nécessaire péréquation entre l'outre-mer et la métropole n'a jamais été assurée, parce que les règles du marché grignotent les principes républicains d'égalité. Dernier exemple : la région où j'habite, la Côte-sous-le-vent, a été carrément déclarée « non rentable » par le directeur régional de France Télécom, et nous n'aurons jamais le haut débit... Vous comprendrez pourquoi il nous importe d'inscrire dans le texte l'égal accès aux services publics.

M. Jacques Brunhes - Vous connaissez notre philosophie quant à ce projet et particulièrement à son article premier, qui formule les principes fondamentaux de notre Constitution. Ce n'est pas que ce socle ne puisse évoluer ; mais nous ne souhaitons pas que la décentralisation y figure, estimant, comme le Conseil d'Etat, que ce principe n'est pas de même force que les autres, et doit être disjoint. C'est pourquoi, dans ce débat, nous avons veillé à ne rien ajouter à cet ajout que déjà nous désapprouvons. Toutefois les problèmes des services publics sont aujourd'hui cruciaux. Je sais qu'il y a d'autres lieux pour en traiter. Mais, compte tenu de l'importance que revêtent aujourd'hui les services publics, ainsi que des menaces qui pèsent sur eux, nous voterons l'amendement de Mme Royal.

L'amendement 59, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article premier, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE PREMIER

M. Victorin Lurel - Le 21 avril a montré que l'intolérance, le racisme et le défaut d'intégration étaient un drame pour notre pays. Les discriminations fondées sur la couleur de la peau sont malheureusement une réalité et l'image de l'homme de couleur par nature fainéant continue à faire florès.

Or le mot « race » figure dans notre loi fondamentale. Son article premier dispose que la France assure l'égalité de ses citoyens devant la loi sans distinction d'origine, de race ni de religion. La Constitution reconnaît donc un concept que la science récuse : on sait en effet maintenant que l'humanité forme une seule espèce. Si elle est génétiquement polymorphe, aucune classification typologique ne peut être fondée. Il faut donc saisir l'occasion de cette réforme pour réaffirmer l'identité de notre République.

Au moment où resurgit l'hydre du racisme et du fanatisme et où le nouveau réactionnaire veut justifier les inégalités de tous types, il faut supprimer de notre loi fondamentale toute mention d'une notion contraire à l'essence de la démocratie égalitaire, quand bien même elle cherche à lui dénier toute portée. L'inscrire, c'est quelque part la reconnaître. Le mot « race » a toujours servi de support aux barbaries nationalistes, aux abominations fondamentalistes et aux exterminations de population. Le mentionner dans une phrase qui refuse toute forme de darwinisme social part d'un bon principe, mais comme on peut faire de mauvais romans avec des bons sentiments, comme le disait Gide, on peut créer un corpus juridique douteux avec des idées généreuses.

Jusqu'ici, le Conseil constitutionnel n'a jamais motivé une de ses décisions en invoquant ce terme, mais rien ne l'interdit, et son pouvoir d'évocation demeure en tout état de cause. Utilisé pour expliquer des différences d'aspect comme des différences culturelles ou sociales, il établit toujours une hiérarchie, même si elle est implicite. Terme polysémique mais le plus souvent péjoratif, ondoyant et divers comme aurait dit Montaigne, vecteur de férocité et d'inhumanité armée, il n'a pas sa place dans la Constitution. Introduit légitimement après la guerre par Pierre Cot et Paul Ramadier, deux parlementaires insoupçonnables, pour proclamer à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés, il est aujourd'hui dépassé.

Sa suppression ne créera pas de vide juridique dans la lutte contre les discriminations puisqu'il figure toujours dans le préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie de notre bloc de constitutionnalité, et dans la convention européenne des droits de l'homme. Par ailleurs, le terme « origine », plus général, plus neutre et plus objectif, suffira amplement à interdire toute discrimination.

M. le Président - Monsieur Lurel, veuillez conclure.

M. Victorin Lurel - Notre tâche est de faire cohabiter dans une République plurielle identité et altérité, unicité et diversité, égalité et différence et de rappeler la phrase de Saint-Exupéry : « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m'enrichis ». Il nous faut donc congédier le « scandale sémiotique » qui, selon l'écrivain René Depestre, compromet l'unité de l'espèce. La France doit marcher sur les deux jambes de l'universalité et de la diversité. Bannissez ce terme détestable, Mesdames et Messieurs les députés : aucun fétichisme sémantique ne doit vous retenir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Rapporteur - Sur le fond, tout le monde est d'accord avec M. Lurel, mais son amendement aura un effet inverse à celui qu'il recherche ! L'article premier de la Constitution assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Son objet est précisément d'empêcher toute distinction fondée sur la race.

M. Jacques Myard - La prétendue race !

M. le Rapporteur - Supprimer ce terme serait porter un coup à tous ceux de nos concitoyens qui luttent contre les dérives de ce type.

M. le Garde des Sceaux - Je voudrais mettre en garde l'Assemblée : nous jouons avec le feu ! Je comprends et je partage le souci de M. Lurel, mais supprimer cette interdiction de discrimination serait une pure folie, même si elle demeurerait dans le préambule de 1946. Vous nous proposez de nous livrer à un acte grave, et qui aurait des effets contraires à ce que vous souhaitez. Je ne saurais laisser courir ce risque à notre République.

M. Victorin Lurel - Je ne peux laisser dire que nous avons présenté cet amendement par pure folie ou par manque de réflexion ! L'interdiction restera en lettres de feu dans le préambule de 1946, qui fait partie de notre bloc de constitutionnalité, et dans la convention européenne des droits de l'homme qui s'applique également. Il n'y aura donc aucune régression dans les moyens dont disposent les associations antiracistes.

Je dois d'ailleurs vous signaler que j'ai soumis cet amendement à SOS racisme et aux associations de lutte pour les droits de l'homme, qui le soutiennent. Le mot origine suffit dans la Constitution, et le mot race n'y a pas sa place. La République s'honorera à le supprimer.

M. André Chassaigne - Le débat ne porte pas sur le fond, car il est évident que nous partageons à ce sujet des valeurs communes, mais sur le moyen d'éviter une erreur de rédaction. Cet amendement permettrait d'éliminer une scorie dans notre Constitution. Depuis la première République jusqu'à celle de 1958, aucun constituant n'a jamais donné un contenu raciste au mot race. Mais voilà longtemps que les scientifiques et les historiens ont fait la démonstration que le concept de race était sans fondement. Pensez à la loi Gayssot, Monsieur le garde des Sceaux !

Les majorités de gauche en général et les parlementaires communistes en particulier n'ont jamais cessé de combattre le racisme. Supprimer le mot race de l'article premier de notre Constitution serait une belle étape de notre travail.

M. Paul Giacobbi - Les mots évoluent. Au XVIIIe siècle, le mot race avait une signification qui aujourd'hui n'est plus reconnue par aucun sociologue, ethnologue ou biologiste. Il a été vidé de tout sons sens sur le plan scientifique, et il suffit de lire Luigi Cavalli Sforza pour s'en convaincre. Pourquoi donc conserver ce terme alors qu'il a acquis un sens dangereux ?

Le mot origine peut fonder l'interdiction de toutes les discriminations. Le mot race, lui, reste inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 - mais il n'est pas question de modifier des textes historiques ! La déclaration des droits de l'homme elle aussi contient des dispositions qui sont devenues inapplicables !

Cet amendement est donc très important. Supprimons de notre droit un concept qui n'a plus aucun fondement puisque les races n'existent pas !

M. Jacques Myard - Mais les racistes existent !

M. François Bayrou - Je voterai pour cet amendement extrêmement important. Il est vrai que les mots changent de sens. A une certaine époque, le terme de race apparaissait comme une donnée d'observation évidente. Par ailleurs, les significations peuvent être diverses. En Béarnais par exemple, ce mot n'a rien de péjoratif. On se glorifie d'être de bonne race, c'est-à-dire de bonne lignée.

Mais le mot « race » a pris un sens tragique au XXe siècle avec l'avènement de l'hitlérisme. Il est ressenti par beaucoup de nos compatriotes comme une marque au fer rouge. Beaucoup de jeunes ont le sentiment d'être exclus à cause de leur nom ou de leur couleur de peau. Il faut tenir compte de cette sensibilité et nous nous honorerions en supprimant de la Constitution ce mot qui a pris un tout autre sens en quelques décennies.

Nous pouvons nous contenter du mot « origine » (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Rapporteur - Il ne s'agit pas de maintenir le mot « race » pour le plaisir. Si le mot est employé dans la Constitution, ce n'est pas pour affirmer qu'il existe des races, mais pour condamner toute distinction qui serait faite sur ce critère. Si vous le supprimez, vous faites tomber tout le droit pénal visant à combattre le racisme. Le problème est juridique et non philosophique, contrairement à ce que croit M. Bayrou. La loi Gayssot elle-même, Monsieur Chassaigne, considère comme discriminatoire toute distinction faite en raison de « l'appartenance ou la non-appartenance, réelle ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». En droit pénal, vous êtes obligés d'employer le mot « race » pour condamner le racisme. Tout le monde voudrait pouvoir vous donner raison, Monsieur Lurel, mais votre collègue René-Paul Victoria a déposé un amendement visant à modifier l'article 72 de la Constitution qui vous donnera satisfaction (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'amendement 107 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Victorin Lurel - Mon amendement 108 vise à intégrer dans la Constitution le droit au respect de l'environnement et sa mise en _uvre.

Le Président de la République s'est engagé à faire adopter une charte de l'environnement qui devrait être « adossée à la Constitution ». Je ne sais pas, pour ma part, ce que signifie « adosser » en droit et il me paraît préférable d'inscrire le droit au respect de l'environnement dans la Constitution. Depuis toujours le droit occidental obéit à une logique anthropocentrique. Il est urgent de passer à une vision écocentrique qui défende à la fois l'homme, l'animal et l'arbre.

Certes, les articles 110-1 et 110-2 du code de l'environnement reconnaissent déjà des principes importants, comme le principe de précaution ou le principe du pollueur-payeur. Mais pourquoi attendre l'élaboration d'une hypothétique charte de l'environnement pour revoir notre Constitution en la matière ?

M. le Rapporteur - Je suis désolé, Monsieur Lurel, de ne pouvoir vous faire plaisir. Personne ne doute de la volonté du Président de la République, qui a créé une commission pour réfléchir à cette question. Les juristes en débattent. Vous avez raison d'appeler l'attention de l'Assemblée sur ce point, mais ne nous précipitons pas. Et il faut en outre éviter la multiplication des chartes. Cela étant, le débat est ouvert, et il appartiendra à la représentation nationale de décider.

M. le Garde des Sceaux - Même avis.

Je ne me prononce pas sur le fond ; mais cet amendement intéressant me paraît prématuré.

M. Michel Piron - Je ne comprends pas la notion d'écocentrisme. Elle me fait penser à cette pensée de Pascal : « C'est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part » (Sourires).

Mme Ségolène Royal - Aucun amendement n'a été accepté à l'article premier. Notre collègue Lurel nous a présenté deux excellents amendements. Pour le premier, il est dommage que la discussion ait tourné court. Cela fait longtemps que les associations demandent la suppression du mot « race ». Ce n'est pas parce que notre Constitution cesserait de le mentionner que la loi pénale serait abolie. Je déplore le manque d'audace du Gouvernement.

Quant au second, on le repousse au motif que le Président de la République a créé une commission. Il faudrait au moins que le Gouvernement nous donne des précisions. Une autre révision constitutionnelle est-elle envisagée ? Dans quelques mois ? dans quelques années ?

Ne ratons pas l'occasion d'inscrire dans la Constitution le droit au respect de l'environnement.

M. Victorin Lurel - Je veux rappeler à M. le Garde des Sceaux, pour qui il est urgent d'attendre, que ce droit figure dans le traité d'Amsterdam et dans la charte des droits fondamentaux. Et il faudrait encore des études avant de légiférer ? Je ne le crois pas.

M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois - Vous avez eu cinq ans pour le faire.

L'amendement 108, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Paul Giacobbi - La République s'honorerait à reconnaître les langues régionales. Elles ne menacent personne ni aucune langue, mais elles sont menacées. Les linguistes les reconnaissent, et elles ont quand même produit un prix Nobel de littérature, Frédéric Mistral...

Méfions-nous des raisonnements quantitatifs : on nous dit que les langues régionales sont parlées par peu de gens, mais le français n'est langue maternelle que pour 100 millions de personnes, soit moins que n'en comptent l'hindi, le bengali et l'ourdou... Nous formulons des exigences à l'égard de la Turquie à propos de l'enseignement du Kurde, nous donnons des leçons à la terre entière, mais nous pourrions commencer par nous les appliquer à nous-mêmes !

Mon amendement 98 a donc pour but d'introduire un alinéa ainsi rédigé : « La République reconnaît les langues régionales et veille à leur développement ». Naturellement, je suis prêt à me rallier à un autre qui irait dans le même sens.

M. Marc Le Fur - Nombre de nos concitoyens de métropole et d'outre-mer, attachés à leur langue maternelle, n'en sont pas moins Français. Dans mon enfance, j'ai entendu alterner le breton et le français.

Il nous faut poser les termes du débat dans un esprit d'ouverture, en évitant de tomber dans la guerre de religions. Pourquoi ne pas donner ce soir un signe de bienveillance à l'égard de personnes qui considèrent avoir été parfois traitées par le mépris ?

Il ne s'agit pas seulement d'une pétition de principe. En effet, nous avons introduit en 1992 à l'article 2 de la Constitution un premier alinéa qui dispose que « la langue de la République est le français ». Si j'avais été parlementaire à l'époque, je l'aurais voté volontiers. Mais au cours du débat, il n'avait été question que de la menace représentée par l'anglais et la culture anglo-saxonne. Or, cet alinéa a été utilisé par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat contre les langues régionales. Mon amendement 200, qui est consigné par bon nombre de collègues, a donc aussi pour objet de répondre à un problème de droit objectif, qui fait que notre pays partage avec la Turquie la particularité de ne pas avoir adopté la charte des langues régionales.

L'unité n'est pas l'uniformité : la République se grandirait en affirmant plus de tolérance.

Mon amendement 200 tend à compléter le premier alinéa de l'article 2 de la Constitution par les mots « dans le respect des langues régionales, qui font partie de son patrimoine ». Je n'utilise volontairement pas le mot « reconnaissance », qui appartient au vocabulaire du droit international et n'a pas sa place ici. Je ne parle pas non plus de « langues minoritaires » car il existe des langues minoritaires non régionales.

Sachons être cohérents avec nos engagements européens : j'ai eu l'occasion de constater qu'on incitait les pays d'Europe orientale candidats à respecter, en matière de langues régionales, des règles autrement plus exigeantes que celles que nous vous proposons.

Nous sommes nombreux dans nos régions à militer pour que ce mouvement culturel qui manifeste son attachement aux langues et cultures régionales ne soit pas récupéré par un mouvement politique sensible au thème de l'autonomisme. Ce sujet intéresse beaucoup de nos concitoyens : montrons-leur que la République est ouverte.

M. Emile Blessig - Très bien !

M. François Bayrou - Dans beaucoup de nos débats, nous savons que si nous ne gagnons pas aujourd'hui, nous avons une chance de gagner demain. Il en va tout différemment ici car nous parlons de langues en danger de mort.

Comme l'a rappelé notre collègue Le Fur, les auteurs de l'amendement disposant que le français est la langue de la République ne voulaient porter aucun tort aux langues régionales. Mais depuis, le Conseil d'Etat s'est appuyé sur cet alinéa pour faire obstacle à toute politique de soutien aux langues régionales.

Mon sous-amendement 210 a donc pour objet d'insérer, après le mot respect, les mots « et la défense », car le respect ne suffit pas. Cela permettra une décision politique de première importance, la signature par la France de la charte des langues régionales.

Le groupe UDF demandera un scrutin public.

M. le Rapporteur - Personne ne peut méconnaître le désir de beaucoup de nos compatriotes de conserver ou de voir se développer des idiomes locaux. Mais la Constitution interdit-elle aujourd'hui qu'on soutienne l'apprentissage des langues régionales ?

Votre amendement modifierait l'article 2 de la Constitution selon lequel la langue française est la langue de la République. Mais il y a fausse donne. La charte européenne des langues régionales et minoritaires, signée en 1997, comporte pour les signataires une série d'engagements sur leur emploi dans l'enseignement, la justice, par les autorités administratives et les services publics,...

M. Jacques Myard - C'est la fin de la République !

M. le Rapporteur - ...dans les médias, les activités culturelles, la vie économique et sociale, les échanges transfrontaliers.

M. François Bayrou - Permettez-moi d'apporter une précision.

M. le Rapporteur - Non, vous allez encore me faire perdre le fil de mes pensées.

M. Jean-Pierre Balligand - Déjà que la démonstration est laborieuse !

M. le Rapporteur - Comme le Conseil constitutionnel l'a fait observer, la notification par la France de la charte des langues régionales et minoritaires autoriserait certains administrés, par exemple à exiger d'user du basque ou du breton devant les tribunaux.

M. François Bayrou - Ce n'est pas vrai !

M. le Rapporteur - Je ne vous livre pas mon opinion, mais l'avis du juge constitutionnel qui devrait retenir votre attention.

Pour celui-ci la mise en _uvre d'une charte qui reconnaît des droits collectifs serait contraire à l'unicité du peuple français. Tel est le débat juridique. Mais nous ne sommes pas opposés à l'essor des langues régionales. Nous disons seulement qu'il serait dangereux de les inscrire dans la Constitution. Permettez-moi d'évoquer à ce sujet deux souvenirs. Mon grand-père avait été placé en 1914 à la tête d'une section de sa région car ces hommes ne parlaient que le patois. Et moi-même, lorsque j'étais tout jeune maire, j'avais constaté que nombre d'anciens ne s'entretenaient qu'en patois.

M. Jacques Myard - Moi aussi, j'ai parlé patois.

M. le Rapporteur - Il n'y a donc pas si longtemps que tout le monde parle le français, et ceux qui ne le maîtrisent pas subissent plutôt une inégalité.

M. François Bayrou - Que c'est triste de tenir de tels propos !

M. le Rapporteur - En revanche, la loi française permet le développement des langues régionales ou minoritaires. Il est possible d'apprendre à l'école l'algérien, le marocain, l'arabe classique. Mais de là à constitutionnaliser les langues régionales et à admettre des écoles où l'on ne parlerait que breton, il y a un pas qu'il serait dangereux de franchir.

M. Jean-Pierre Balligand - Et la Suisse.

M. le Rapporteur - Songez à ce pays francophone qui a fait du créole la langue nationale, et n'a fait que s'isoler. Pensez aux populations d'outre-mer fières de leur nationalité française et de leur langue française ! Pensez à ces familles d'immigrés qui interdisaient à leurs enfants de parler une autre langue que le français pour mieux les intégrer.

Bref, il n'y a aucun procès contre les langues régionales, mais la langue de la République ne peut être que le français (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Garde des Sceaux - Il importe de bien distinguer, Monsieur Bayrou, le débat culturel et le débat constitutionnel. Personne ne fait de procès culturel ni ne remet en cause les richesses de nos régions : la question est purement juridique.

Le Conseil constitutionnel est fondé sur deux arguments pour juger inconstitutionnelle la ratification de la charte européenne. Tout d'abord, il a jugé impossible de reconnaître des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance. Ensuite, il a rappelé l'obligation faite aux personnes morales de droit public, ainsi qu'aux personnes privées exerçant des missions de service public, de se servir du français. Quant aux particuliers, ils ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec l'administration et les services publics, de l'usage d'une autre langue que le français, ni y être contraints.

Dans l'état actuel de notre droit, il est parfaitement possible de développer les langues régionales et même de les enseigner à titre facultatif dans les écoles. Ne prenons pas le risque d'introduire un ferment de division dans notre République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Je suis saisi, par le groupe UDF, sur le vote du sous-amendement 210 puis de l'amendement 200, d'une demande de scrutin public.

M. Paul Giacobbi - Mon origine corse ne doit pas me faire suspecter de sympathie communautariste. Bien au contraire ! Par contre, sur le plan linguistique, je suis très surpris de ce que je viens d'entendre.

Si vous voulez bien m'écouter, Monsieur Clément, je vous dirai que vos propos ne répondent pas à l'expérience pédagogique. Selon vous, pour acquérir une langue, il faudrait en tuer une autre. Or c'est l'inverse : même s'il faut être Georges Dumezil pour apprendre quatorze langues à la fois, il est beaucoup de pays où l'on maîtrise parfaitement trois langues.

M. Jean-Pierre Balligand - Mais nous sommes un pays d'ânes !

M. Paul Giacobbi - Arrêtez de croire au monolinguisme ! Comment cette République française, si diverse et tolérante, peut-elle refuser ce que tous les pays européens admettent ?

M. Jean-Pierre Balligand - Sauf la Turquie !

M. Paul Giacobbi - Bref, l'Assemblée s'honorerait de revenir à la raison ! Quant à mon amendement, il tendait à lancer le débat - et c'est un plein succès ! - mais je me rallierai volontiers à l'amendement 200 sous-amendé.

M. Jacques Myard - De quoi parlons-nous aujourd'hui ? De la constitution de la République, c'est-à-dire de la Constitution d'un peuple aux multiples composantes, dont tous les membres ont la volonté de vivre ensemble en usant de cet instrument merveilleux qu'est le français, langue de la République.

Le patrimoine de la République comprend des patois, des dialectes et des langues régionales qui méritent tout notre intérêt, la loi le montre. Seulement, certains individus veulent instrumentaliser les langues régionales, ce dont les parlementaires de bonne foi, peut-être eux-mêmes instrumentalisés à leur insu, n'ont pas conscience.

Il faut, encore et encore, rappeler que la charte des langues régionales et minoritaires trouve son origine dans la société des nations, qui voulait protéger les Polonais des nazis et les Hongrois des Autrichiens ! Aujourd'hui, il s'agit de notre République ! Que ceux qui appellent à la ratification de la charte le sachent : ils jouent les apprentis-sorciers, et ils s'en mordront les doigts (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. René André - Je suis contre l'amendement et je pense, comme le Garde des Sceaux, qu'il faut distinguer le culturel du constitutionnel. Nous sommes tous attachés à la langue de nos régions, moi le premier ! « O Breiz ma bro, Bro goz mazadou ! ». Mais si nous adoptons l'amendement présenté par notre collègue Le Fur, nous passerons du culturel au constitutionnel, au risque d'amplifier la tendance au communautarisme. Au moment où nous introduisons les principes nouveaux de l'expérimentation et de la subsidiarité, allons-nous affaiblir les fondements de la République en affirmant que le français ne serait plus sa seule langue ? Libre à chacun d'apprendre la langue régionale de son choix ! Mais l'enseignement du français est-il à ce point performant qu'il faille le rendre plus difficile encore ?

M. Jean-Pierre Balligand - Oui, le bilinguisme est une chance !

M. René André - En 1870, Napoléon III, en visite au camp de Conlie, se félicitait de l'ardeur guerrière des fantassins bretons, qu'il entendait répéter « A la guerre ! A la guerre ! », sans se douter un instant que les malheureuses recrues ne souhaitaient qu'une chose : rentrer à la maison : « Ar ger ! » (Sourires) Voulons-nous susciter ce type d'incompréhension ?

M. René Dosière - Le Gouvernement argue de la diversité des régions françaises pour renforcer la décentralisation ! Pourquoi faudrait-il faire l'impasse sur la diversité des langues ? Un voyage récent dans le Béarn m'a montré à quel point le français et le béarnais, également pratiqués par une communauté, se complètent sans se nuire ; pourquoi ce qui vaut pour la langue corse - et que le Conseil constitutionnel a validé - ne vaudrait-il pas pour les autres langues régionales ? Le ministre de l'intérieur ne cesse d'affirmer qu'il faut développer la pratique de la langue corse, quand il ne parle pas d'en rendre l'enseignement obligatoire... ce qui va au-delà des textes... Est-ce à dire que les encouragements du Gouvernement vont à la seule langue corse et point aux autres ? L'amendement a d'autant plus de pertinence qu'il ne remet pas en cause le français. Enfin, contrairement à ce que semble penser le rapporteur, notre débat porte sur la décentralisation et non sur l'immigration.

M. Marc Le Fur - J'approuve le sous-amendement de mon collègue Bayrou et je constate que, comme c'est souvent le cas dans cet hémicycle, certains savent de quoi ils parlent cependant que d'autres véhiculent des lieux communs au risque de tomber dans la caricature folklorisante (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Le Garde des Sceaux a évoqué la charte, mais sans rappeler que son application pouvait être à géométrie variable selon les pays.

M. François Bayrou - Très juste !

M. Marc Le Fur - Quant à M. Myard, qui dit redouter le risque de récupération, il ne veut pas comprendre que l'amendement tend précisément à éviter la récupération ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) J'insiste sur le fait qu'il n'est pas question d'obliger à l'enseignement des langues régionales, mais de donner la faculté de l'apprendre à l'école. Quant au rapporteur, qui s'inquiète de la possible « désorientation » des écoliers, qu'il veuille bien se reporter aux statistiques qui portent sur l'enseignement en Bretagne : elles montrent que les élèves qui ont bénéficié de l'enseignement du breton en même temps que de celui du français ont de meilleurs résultats que les autres ! Ce n'est pas une chance en moins, c'est une chance en plus qui leur est offerte ! (M. François Bayrou, M. Jean Lassalle et M. Jean-Pierre Balligand applaudissent).

L'Assemblée s'honorerait d'éviter la caricature, et de faire preuve de tolérance.

Mme Béatrice Vernaudon - Je voterai, naturellement, l'amendement dont je suis cosignataire. La loi organique de 1984 a conféré à la Polynésie française une large autonomie et reconnu au tahitien le statut de langue officielle. Mais ce statut fut supprimé en 1994, alors même que les compétences du territoire étaient élargies, parce qu'il avait été inscrit en 1992 dans la Constitution que « la langue de la République est le français » - le sous-entendu étant « le français seulement ». Nous avons ressenti cela comme une régression, car nous parlons le tahitien aussi souvent que le français. D'ailleurs, le journal télévisé est diffusé, chaque soir, dans les deux langues. De plus les programmes en tahitien constituent le tiers des émissions de RFO et de la télévision tahitienne. Le vote de cet amendement rétablirait donc pour nous un droit auquel nous sommes attachés.

M. Victorin Lurel - M. le ministre et le président Clément n'ont pas la chance d'appartenir à une société multiculturelle. Je peux vous assurer que le bilinguisme est une richesse. J'ai été élevé en créole, et je suis élu de Saint-Martin : les enfants de Saint-Martin maîtrisent le français, l'anglais, le papamiento qui est la langue de Curaçao, le créole et l'espagnol... Le créole n'est pas un patois, c'est une langue. En 1870, quand les Alsaciens demandaient à être Français, ils entendaient l'être en allemand. Car être Français, c'est vouloir être Français, conformément à la conception élective de la nation que Renan et Fustel de Coulanges opposaient alors à la conception ethnique de Mommsen. La patrie, c'est ce qu'on aime. Je ne comprends donc pas que nous puissions avoir ce débat, et j'ai été terrifié par les propos que le président Clément vient de proférer. Vous désespérez des millions de Français qui appartiennent à des cultures différentes et qui se sentent pourtant pleinement Français (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe UDF et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jacques Brunhes - Il faut parler de ce qui est réel. La charte européenne des langues régionales et minoritaires a été signée par la France pour quelques articles, pas pour tous ; et de plus elle n'a pas été ratifiée, par suite de l'intervention du Conseil constitutionnel. Evitons donc de brandir la charte comme une menace - j'allais dire comme un chiffon rouge (Sourires) pour faire peur. Laissons-là de côté.

Quelle est la question de fond ? Je me souviens des débats de 1992, quand nous avons écrit dans la Constitution que la langue de la République est le français. Il y avait alors des risques majeurs, liés à l'invasion de l'anglo-saxon. Avoir voté cette disposition n'a pas réglé le problème, et nous savons quelles difficultés se rencontrent encore, avec des modes d'emploi écrits uniquement en anglais. Mais nous avons au moins réaffirmé un principe. Aujourd'hui, quel risque comporte le fait d'y ajouter que la République respecte les langues régionales ? Il n'y a là aucun danger. Nous-mêmes avons déposé plusieurs propositions de loi en ce sens, dont la dernière était due à Guy Hermier. Nous pouvons sans risque constitutionnaliser cette idée.

M. le Rapporteur - La charte européenne n'a été ratifiée que par douze pays sur quarante-quatre : c'est donc qu'elle ne pose pas de problèmes en France seulement. D'autre part M. Le Fur dit qu'on peut faire son marché dans la charte : il est tout de même requis d'accepter 35 de ses 70 articles, et d'accepter un noyau dur. C'est ce dernier qui a motivé l'intervention du Conseil constitutionnel, soulignant les risques de communautarisme et d'inégalité entre les Français.

M. François Bayrou - Beaucoup d'entre nous ont été attristés par les arguments du président Clément et du Garde des Sceaux, car ces sujets sont pour beaucoup de Français des enjeux d'identité, de fierté et de vie de tous les jours. Je le sais bien, quand on ne pratique pas une des communautés où ces langues ont cours, on a l'impression qu'il s'agit de survivances. Il s'agit au contraire, pour nombre d'entre nous, du c_ur de ce que nous sommes, comme personnes et comme communautés.

Je voudrais apporter trois rectifications aux propos tenus. Tout d'abord, Monsieur le président Clément, la charte n'est pas un bloc, c'est un menu à la carte : alors choisissons, et ouvrons le débat. D'autre part, Monsieur le Garde des Sceaux, vous avez employé un curieux argument. Le Conseil constitutionnel ayant invoqué le texte de la Constitution pour dire qu'on ne pouvait ratifier la charte, vous invoquez aujourd'hui la décision du Conseil pour dire qu'on ne peut pas changer la rédaction de la Constitution ! Mais c'est bien pour modifier celle-ci que nous sommes réunis à votre invitation. Enfin, Monsieur le président Clément, ce ne sont pas des idiomes, ce ne sont pas des patois : ce sont des langues (Applaudissements sur bancs du groupe UDF et du groupe socialiste). Les textes juridiques du Béarn ont été écrits en béarnais dix siècles avant que le français devienne une langue juridique. Et ils sont aujourd'hui lisibles à livre ouvert, alors que bien peu d'entre nous savent lire le français d'il y a quatre ou cinq siècles... Et ce n'est pas parce qu'on pratique une de ces langues qu'on parle moins bien le français : c'est le contraire.

M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois - Tout cela est hors sujet et démagogique.

M. François Bayrou - Enfin, et je rejoins ici Mme Vernaudon, ce n'est pas une bienveillance que nous demandons, c'est un droit que nous défendons. Nous sommes citoyens français autant que vous, et nous avons le droit de pratiquer les langues qui nous ont fait ce que nous sommes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Garde des Sceaux - Je souhaite revenir sur plusieurs points qui demandent à être clarifiés. Tout d'abord, en droit, et comme Garde des Sceaux je dois bien me soucier du droit, je ne sais pas ce qu'est une langue régionale (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je ne sais pas si cela regroupe le béarnais, le basque, l'arabe dialectal...

M. Jean-Pierre Balligand - L'arabe n'est pas une langue régionale !

M. le Garde des Sceaux - Qu'en savez-vous, puisqu'il n'existe pas de définition ? (M. François Bayrou proteste) Me sera-t-il possible de parler de droit, quand nous réformons la Constitution ? D'autre part, pourquoi ai-je rappelé les motivations du Conseil constitutionnel dans l'affaire de la charte européenne ? Je n'ai évidemment pas commis la sottise qui consisterait à invoquer, contre une révision du texte constitutionnel, une décision fondée sur l'état antérieur de ce texte ! J'ai voulu indiquer les barrières qui disparaîtraient si vous adoptiez cet amendement, et j'ai cru intéressant, dans ce but, d'expliciter les motivations du Conseil, précisément parce qu'elles sont possibles sur la base de la rédaction actuelle, et ne le seraient plus si l'amendement était voté. Il ne m'a pas échappé que vous étiez réunis pour modifier la Constitution : c'est précisément pourquoi j'ai voulu expliciter cette jurisprudence.

Enfin, après avoir entendu les différents orateurs, y compris M. Bayrou, il m'apparaît que nous mélangeons deux sujets. Tout d'abord, je ne crois pas nécessaire d'opposer ceux qui représentent des régions biculturelles et ceux dont ce n'est pas le cas. On s'engage là dans une certaine façon de se montrer du doigt qui n'est pas conforme à la tradition de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). J'ai rappelé d'autre part, à propos de la langue corse, que le texte constitutionnel actuel permet parfaitement, y compris dans le cadre des horaires scolaires obligatoires, de proposer un enseignement facultatif de toutes les langues régionales, et cet état de choses me semble satisfaisant. Pour le reste, c'est-à-dire la création culturelle, littéraire, artistique, cinématographique, elle est libre dans notre pays, et je sais pas de loi qui l'entrave : ce n'est donc pas de cela qu'il s'agit (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Je rappelle que l'amendement 160 n'est pas défendu, que le 98 est retiré, et que des scrutins publics sont demandés sur le sous-amendement 210 de l'amendement 200.

A la majorité de 54 voix contre 39, sur 97 votants et 93 suffrages exprimés, le sous-amendement 210 n'est pas adopté.

A la majorité de 50 voix contre 39, sur 89 votants et 89 suffrages exprimés, l'amendement 200 n'est pas adopté.

La séance, suspendue à 18 heures 45, est reprise à 18 h 55.

M. Charles de Courson - L'amendement 127 vise à affirmer que les modes de scrutin, quelles qu'en soient les modalités, doivent assurer la représentation des opinions et des territoires et permettre de constituer des majorités, garantes d'un exercice clair des responsabilités. Il permettra d'éviter les tentations récurrentes de changement des lois électorales à l'approche des échéances politiques. Beaucoup de majorités ont eu cette tentation, espérant bien sûr que ce changement leur serait profitable. Heureusement, l'Histoire est parfois facétieuse. Cet amendement servira donc à éclairer le législateur sur le moyen d'obtenir une représentation équilibrée.

M. le Rapporteur - Cette déclaration d'intention mérite le respect, mais vous conviendrez que ce n'est rien de plus ! Or une déclaration sans valeur juridique ne peut être inscrite dans notre Constitution.

J'aurais compris que vous vous interrogiez sur l'opportunité d'inscrire un mode de scrutin déterminé dans la Constitution. M. Messmer et moi nous étions demandé, à l'époque de son rétablissement, si le scrutin majoritaire à deux tours devait être constitutionnalisé, et le général de Gaulle avait fait de même en 1958. Mais un v_u pieu ne peut pas l'être. Vous insistez en quelque sorte sur le fait que la démocratie doit permettre l'expression du peuple dans des conditions qui lui permettent de s'exprimer !

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement n'est pas favorable non plus à cette proposition. D'abord, permettez-moi de m'étonner de trouver, dans un amendement de Mme Comparini, que les modes de scrutin assurent la représentation « des hommes et des territoires ».

M. le Rapporteur - L'homme embrasse la femme !

M. le Ministre délégué - Bien sûr, mais il me semblait que depuis la loi sur la parité on avait pris l'habitude d'être plus précis !

Constitutionnaliser un mode de scrutin est discutable. Le débat a eu lieu en 1958 : Michel Debré l'avait proposé, et le général de Gaulle s'y était finalement opposé. Mais depuis vingt ou trente ans, les modalités du scrutin ont souvent évolué, de même d'ailleurs que notre façon de vivre la démocratie. Cet amendement reprend les trois critères qui déterminent un bon mode de scrutin : la faculté d'assurer une majorité stable, et la représentation des minorités politiques, et d'établir un lien étroit entre les citoyens et les élus. Mais l'inscrire dans la Constitution serait bloquer l'avenir.

Ce que vous proposez est raisonnable, mais n'a pas sa place dans la Constitution. Le Gouvernement souhaite le retrait de cet amendement.

M. Charles de Courson - Cet amendement nous apporte une formule intermédiaire entre le choix final du général de Gaulle et l'avis de Michel Debré. On n'inscrirait pas dans la Constitution les modes de scrutin, mais les critères auquel ils devront répondre. Actuellement, les conditions posées ici sont remplies par le mode de scrutin des municipales et par le nouveau mode de scrutin des régionales. Il reste les cantonales, les européennes, mais aussi les législatives. Le mode de scrutin utilisé pour l'élection des députés dégage-t-il une majorité ? Pas forcément, puisqu'il ne prévoit pas de prime au gagnant. Il a souvent donné une majorité au pays, mais il y a des exceptions. Le système actuel, en outre, ne garantit pas la représentation des minorités. Il ne me paraîtrait pas choquant que les minorités disposent ici de quelques dizaines de sièges, du moment que cela n'empêche pas la formation d'une majorité.

L'amendement 127 aurait donc une portée non négligeable sur les modes de scrutin actuels. Dans la mesure où Mme Comparini ne peut être parmi nous, je ne peux retirer son amendement. Elle ne m'en a pas donné le mandat.

M. André Chassaigne - Cet amendement a le mérite d'ouvrir un vrai débat. Je comprends le souci des députés du groupe UDF, qui souhaitent défendre le pluralisme. Comme nous, comme une majorité de Français, vous rejetez une bipolarisation de la vie politique française, qui n'est pas conforme à notre histoire. En France, ni la gauche ni la droite ne sont monolithiques. Il est important que nos concitoyens aient le choix entre une gauche révolutionnaire et une gauche réformiste, entre une droite libérale et une droite démocratie chrétienne.

Mais ne peut-on aller au-delà des déclarations d'intention, pour généraliser le système proportionnel ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Ce n'est pas l'objectif du parti dominant de la majorité ni celui du parti dominant de l'opposition d'ailleurs.

Si le groupe UDF demande l'introduction d'une dose de proportionnelle, j'aurais tendance à l'encourager. Je voterai son amendement, en le considérant comme un premier pas.

L'amendement 127, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Joyandet - La France entre avec un certain retard dans la société de l'information. Mon amendement 115 est d'intérêt général, puisqu'il tend à inscrire dans la Constitution que la loi fixe les conditions dans lesquelles l'Etat garantit l'égal accès des citoyens aux nouvelles technologies d'information et de communication. Les collectivités locales ne trouvent pas les voies et moyens nécessaires pour réduire la fracture numérique. Il s'agit d'un amendement d'appel.

M. le Rapporteur - Je conçois que vous souhaitez garantir l'égal accès aux nouvelles technologies comme à d'autres moyens de communication d'ailleurs. Je pense aux téléphones mobiles, le territoire national étant loin d'être couvert. Demain, de nouveaux moyens de communication seront sans doute inégalement répartis et il faudra tout faire pour y remédier. Mais inscrire cela dans la Constitution ! C'est le marché du samedi matin : une botte de poireaux, quelques carottes, peut-être des radis... On pourrait à la rigueur inscrire cette exigence dans un texte législatif, mais pas dans la Constitution.

M. le Ministre délégué - Le souci de M. Joyandet est légitime, mais les technologies évoluent vite. Le cadre législatif ne sert pas toujours ; quant au cadre constitutionnel, il est encore beaucoup trop rigide. Monsieur le député, votre appel a été entendu, mais je souhaite le retrait de cet amendement.

M. Alain Joyandet - Monsieur Clément, c'est l'avenir de notre nation qui est en jeu. Il ne s'agit pas de crudités, mais du plat de résistance. Mais comme nous approchons justement du dîner, je retire mon amendement (Sourires).

M. Jacques Myard - Un des objectifs du Gouvernement est de faire davantage participer nos concitoyens à la vie locale et, par conséquent, à la vie politique du pays. Mon amendement 48 lui donne le moyen d'y parvenir en prévoyant, à l'article 11 de la Constitution, le référendum d'initiative populaire. Une loi organique en préciserait les modalités d'organisation.

Quand le général de Gaulle avait institué le référendum, il souhaitait que chaque Français puisse être député d'un jour sur les grands sujets nationaux.

L'article 11 a été modifié une fois déjà, puisqu'on a élargi son champ d'application. Il faut aller plus loin. Si l'autorité vient d'en haut, la confiance vient d'en bas. Le peuple peut faire des propositions, du moment que la loi organique empêche les référendums régionalistes ou communautaristes.

M. le Rapporteur - Le référendum de l'article 11 ne pouvait porter que sur l'organisation des pouvoirs publics, avant qu'on élargisse son champ aux réformes politiques et sociales ainsi qu'aux services publics qui y concourent. Certains, à l'époque - et j'en étais -, souhaitaient qu'on élargisse davantage le champ du référendum. Le Gouvernement l'avait refusé pour éviter des référendums sur des questions de m_urs, voire sur la peine de mort.

Quant au référendum d'initiative populaire, il n'a pas été voulu par le général de Gaulle en 1958, ni par personne depuis. Il est, pratiquement, très difficile à mettre en _uvre.

Vous savez que, sans être inscrit dans la Constitution, le droit de pétition existe depuis la période révolutionnaire. Un administrateur-adjoint de la commission des lois est même chargé de recueillir les pétitions qui nous arrivent. Mais je n'ai jamais compris ce qu'on en fait.

M. Jacques Myard - Normalement, nous pourrions en débattre.

M. le Rapporteur - En effet, mais je n'ai jamais vu le droit de pétition avoir ici un effet pratique.

Je suis défavorable à votre amendement, car le référendum d'initiative populaire est trop difficile à mettre en _uvre. Et puis, ce n'est pas le débat.

M. le Ministre délégué - Avis défavorable. D'une part, on sort du champ de cette révision constitutionnelle ; d'autre part, le référendum d'initiative populaire est inadapté aux sujets visés par l'article 11 - organisation des pouvoirs publics, réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation, ratification d'un traité. Je vous serais donc reconnaissant de retirer votre amendement.

M. Jacques Myard - Le peuple est intelligent, il est capable de trancher ! Je maintiens mon amendement.

L'amendement 48, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Emile Blessig - Mon amendement 150 pose le problème de la portée du pouvoir réglementaire attribué aux collectivités territoriales. S'il s'agit d'un pouvoir autonome, je propose qu'à l'article 21 de la Constitution, il soit précisé que le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire sous réserve des dispositions non seulement de l'article 13, mais encore des articles 72 à 74, car il convient de laisser aux collectivités territoriales toute latitude pour agir dans leur domaine de compétence.

M. le Rapporteur - Je vous donne à la fois radicalement tort et fondamentalement raison. Élever le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales au même niveau que le pouvoir réglementaire du Premier ministre serait mettre en cause l'unité nationale, et c'est pourquoi je souhaite que votre amendement ne soit pas soumis au vote. En revanche, s'il s'agit de recommander au Gouvernement d'utiliser son pouvoir réglementaire à bon escient, afin de laisser des marges de man_uvre aux collectivités, je suis pleinement d'accord !

M. le Garde des Sceaux - Je souhaite que cet amendement soit retiré car il met sur le même plan deux pouvoirs réglementaires qui ne sont pas du tout de même nature. Celui du Premier ministre procède de la Constitution qui distingue clairement dans ses articles 34 et 37 les domaines respectifs de la loi et du règlement, mais celui des collectivités territoriales est accordé par une loi.

M. Jean-Pierre Balligand - Cet amendement comporte des ambiguïtés qu'il faut lever, mais il renvoie à l'ambiguïté de votre propre texte, dont la logique aurait dû conduire à employer l'expression « pouvoir réglementaire d'adaptation ».

M. Emile Blessig - Bien entendu, l'objet de mon amendement n'était en aucune manière de placer le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales en concurrence avec celui du Premier ministre. Néanmoins il faut faire en sorte que les transferts de compétences produisent tous leurs effets.

M. le Ministre délégué - Nous aurons l'occasion d'aborder ce sujet dans la discussion sur l'article 4.

L'amendement 150 est retiré.

M. Charles de Courson - Notre amendement 125 est un amendement d'appel. Si on veut renforcer l'autonomie locale, il faut interdire le cumul d'une fonction gouvernementale avec un mandat exécutif local, mais aussi, afin d'éviter les détournements, organiser la suppléance pour la durée d'exercice de la fonction ministérielle. Qu'en pense le Gouvernement ?

M. le Rapporteur - Défavorable.

M. le Ministre délégué - Cet amendement est cohérent avec l'esprit de la décentralisation. Le non-cumul est respecté dans la pratique gouvernementale, mais le Gouvernement mène une vraie réflexion sur la question des suppléants. Je vous invite donc à retirer votre amendement.

M. Philippe Vuilque - Cet amendement est intéressant. Faire un texte sur la décentralisation, c'est bien, mais cela ne suffit pas : il faut aussi moderniser notre vie politique. Par exécutif local, il convient d'entendre aussi le président du conseil général, et celui du conseil régional. De même, il faudrait interdire le cumul avec les fonctions de président d'établissements publics intercommunaux.

Mais si le Gouvernement voulait limiter le cumul des mandats, le Sénat, en application de l'article 3 du projet, aurait à connaître de la question en priorité. Et l'on connaît sa position à ce sujet !

M. Charles de Courson - Je salue cette ouverture du Gouvernement. Mais quel texte introduirait ce dispositif ? Je retire mon amendement.

M. Philippe Vuilque - Je le reprends.

L'amendement 125, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - A la demande de la commission, conformément à l'article 95, alinéa 5, du Règlement, l'amendement 202 de M. Brard est réservé jusqu'à l'article 3. Il sera soumis à une discussion commune avec l'amendement 201 de M. Migaud.

L'article premier bis, mis aux voix, est adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 35.

                Le Directeur du service
                des comptes rendus analytiques,

                François GEORGE

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ERRATUM

au compte rendu analytique de la 2ème séance du mercredi 20 novembre 2002.

Page 14, rétablir comme suit la 3ème ligne du 10ème paragraphe :

« ..., je défendrai un amendement à notre Constitution, ... (le reste sans changement) »


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