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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 29ème jour de séance, 76ème séance

2ème SÉANCE DU VENDREDI 22 NOVEMBRE 2002

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

Sommaire

      RAPPELS AU RÈGLEMENT 2

      ORGANISATION DÉCENTRALISÉE
      DE LA RÉPUBLIQUE (suite) 3

      APRÈS L'ARTICLE 3 3

      ART. 4 4

La séance est ouverte à quinze heures.

RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. André Chassaigne - Je fais un rappel au Règlement, fondé sur l'article 58, alinéa premier. Nous avons engagé mardi après-midi le débat sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République. Hier, au cours de la nuit, j'ai demandé, pour la première fois, une suspension de séance pour que le groupe CR puisse se réunir.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Il n'avait qu'un représentant en séance !

M. André Chassaigne - Cette suspension était de droit, et elle s'imposait, car le groupe devait pouvoir débattre du très important article 3 qui modifie la Constitution. Or, il ne nous a été accordé qu'une suspension de deux minutes !

Ce matin, j'ai à nouveau demandé, au nom de M. Alain Bocquet, président de notre groupe et dont je suis le délégué, une suspension de séance qui m'a été refusée, alors qu'elle était également de droit. J'élève donc une protestation solennelle devant ce refus inacceptable.

Mme la Présidente - La Présidence a considéré que le débat sur l'article 3 étant achevé, il n'y avait pas d'inconvénient réel, y compris pour le groupe CR, à ce que le vote sur l'article 3 ait lieu et à ce que la séance soit levée immédiatement après, compte tenu de l'heure.

M. Augustin Bonrepaux - Ma demande de rappel au Règlement est fondée sur une grave interrogation : le Gouvernement entend-il reconnaître les droits de l'opposition ? Au cours de la séance de ce matin, l'article 100, alinéa 3, du Règlement nous a été opposé pour nous empêcher de défendre nos sous-amendements. C'est inacceptable, car il s'agissait de rien de moins que de préciser quel serait le principal objet des lois que le Sénat se verrait soumettre en priorité.

M. Jean-Luc Warsmann - Il s'agissait de sous-amendements d'obstruction présentés hors délais ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. André Chassaigne - Cessez de vous prendre pour le président de séance, comme vous le faites depuis le début de nos débats !

M. Augustin Bonrepaux - Le Gouvernement, qui dispose de la majorité à l'Assemblée, au Sénat et au Conseil constitutionnel, sans parler de la Présidence de la République, veut-il, en plus, empêcher l'opposition de s'exprimer sur des textes essentiels ? Si tel est son état d'esprit, qu'il le dise ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

L'opposition a le droit de faire savoir que ce texte peut avoir de graves conséquences pour la représentation nationale et donc pour le pays.

Mme la Présidente - Le Gouvernement a usé de la prérogative discrétionnaire que lui reconnaît l'article 44, alinéa 2, de la Constitution.

M. André Chassaigne - C'est un coup de force !

M. Victorin Lurel - Ma demande de rappel au Règlement tend à souligner à quel point j'ai été blessé que Mme Girardin, ministre de l'outre-mer, ait cru bon d'exciper ledit article 44, alinéa 2, de la Constitution, pour refuser l'examen de sous-amendements qui avaient trait, aussi, au sort futur des DOM et des TOM. Nombreux sont pourtant les députés qui ont fait le voyage exprès pour participer à ce débat capital ! Et que constate-t-on cet après-midi ? Que Mme Girardin n'est plus au banc du Gouvernement !

M. Jean-Luc Warsmann - Vous pratiquez l'obstruction systématique, puis vous faites mine de vous en offusquer !

M. Victorin Lurel - L'obstruction est le fait du Gouvernement. Le député fraîchement élu que je suis, et qui n'est, pas plus que vous, Monsieur Warsmann, président de notre assemblée (M. Jean-Luc Warsmann se récrie), est consterné par la manière scandaleuse dont le Gouvernement conduit le débat sur cette réforme constitutionnelle calamiteuse. En donnant la primauté au Sénat, comment réglera-t-il les conflits d'intérêts entre collectivités territoriales ? Ainsi, comment tranchera-t-il le litige qui oppose, en Guadeloupe, le département et la région, à propos du Fonds d'investissement routier ?

Mme la Présidente - Vos propos n'ont que peu à voir avec un rappel au Règlement. Vous vous expliquerez tout à loisir lors de l'examen des amendements.

M. Victorin Lurel - Il est scandaleux que l'on empêche la représentation nationale de s'exprimer alors que des questions aussi graves que les conflits de compétence ne sont pas réglés !

ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République.

APRÈS L'ARTICLE 3

M. Rodolphe Thomas - Affirmer le principe de l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales sans prévoir de contrôle, c'est le vouer à rester lettre morte. Si le Conseil constitutionnel est garant du respect de ce principe, l'amendement 122 tend à confier à la Cour des comptes et à ses émanations régionales le soin de produire un rapport annuel rendant compte de l'effectivité de ce respect, laquelle a eu tendance à diminuer au cours des dernières années en matière financière et fiscale. Il faut éviter que la grande ambition décentralisatrice dont ce projet semble porteur entraîne de nouveaux transferts de charges non compensés.

M. Pascal Clément, Rapporteur et président de la commission des lois - Je partage vos préoccupations. Il importe que les nouvelles délégations de compétences n'altèrent pas l'autonomie financière et fiscale des collectivités. A l'évidence cependant, nulle autorité institutionnelle n'aura le pouvoir de faire plier le Gouvernement si l'on constate un déséquilibre entre les charges transférées et les compensations accordées. Je vous rappelle que, pour pertinent et formellement respecté qu'il soit, le rapport annuel de la Cour des comptes reste très souvent lettre morte. Vous voulez créer une nouvelle garantie, mais cela n'aura aucun effet.

Il appartient toujours, cela dit, au Conseil constitutionnel de censurer les dispositions qui introduiraient un trop grand déséquilibre, et il existe déjà un Observatoire des finances locales chargé d'exercer la mission que vous préconisez. Au reste, il n'est pas opportun d'introduire dans la Constitution des dispositions n'emportant aucune conséquence juridique.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales - Même avis. Il revient au Conseil constitutionnel d'exercer le contrôle demandé.

L'amendement 122, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Augustin Bonrepaux - L'amendement 189 de M. Le Bris tend à créer un article 53-3 de la Constitution disposant que, dans le respect du premier alinéa de l'article 2, la République peut reconnaître les principes énoncés par la Charte européenne des langues régionales et minoritaires du 7 mai 1999. Il y a lieu, en effet, de reconnaître l'existence de ces langues, qui font partie de notre patrimoine culturel. Le Gouvernement et la majorité se plaisent à citer l'Espagne en modèle d'organisation décentralisée. Le basque, le catalan et les autres langues régionales y sont reconnus et ce pays a signé la Charte européenne. La décentralisation va-t-elle permettre, sans faire offense à la langue de la République, de garantir enfin l'existence de nos langues régionales, auxquelles nous sommes très attachés ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Rapporteur - Nous avons eu hier un débat de grande qualité à ce sujet et les avis transcendaient les clivages de notre assemblée...

M. René Dosière - M. Bayrou n'était guère convaincu !

M. le Rapporteur - J'ai précisément rapporté que des avis différents s'étaient exprimés ! Quoiqu'il en soit, l'Assemblée a conclu au rejet d'amendements analogues et ne peut changer d'avis en moins de vingt-quatre heures... Avis défavorable, donc.

M. le Ministre délégué - Même avis, d'autant que l'amendement tombe sans doute suite au rejet, hier, de celui de M. Le Fur.

M. René Dosière - M. le Bris, qui n'a pu être présent cet après-midi, ne prévoyait pas que les man_uvres du Gouvernement, qu'a fort justement dénoncées M. Lurel, affecteraient à ce point le déroulement de nos travaux... A la différence des amendements déjà discutés à ce sujet, le sien tend à introduire un article additionnel après l'article 53 de la Constitution. La même procédure a déjà été utilisée pour permettre la ratification des traités de Maastricht et d'Amsterdam et la création de la Cour pénale internationale.

L'amendement 189, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Rodolphe Thomas - L'amendement 124 tend à ce que les lois relatives à la libre administration des collectivités territoriales soient, au même titre que les lois organiques, systématiquement déférées au Conseil constitutionnel. Si l'on accorde plus de libertés aux collectivités locales, il faut renforcer les procédures de contrôle a priori, de façon que nos concitoyens ne soient pas confrontés à des lois dont la constitutionnalité serait douteuse.

M. le Rapporteur - Si vous souhaitez que toutes lois touchant à la libre administration des collectivités passent devant le Conseil constitutionnel, il faut les ériger en lois organiques. Il ne serait pas de bonne méthode de leur maintenir le caractère de lois simples tout en prévoyant leur examen systématique par le juge constitutionnel.

Le danger serait en outre - et certains membres de votre groupe l'ont relevé - de donner à ce dernier la prééminence sur le Parlement. La commission a donc repoussé votre amendement.

M. le Ministre délégué - Même avis. La saisine automatique du Conseil constitutionnel laisserait entendre que les parlementaires pourraient manquer de vigilance quant aux conséquences des lois qu'ils votent. Pas d'auto-flagellation !

M. Émile Zuccarelli - Je suis sensible à la fois aux arguments des rédacteurs de l'amendement et à ceux de notre rapporteur et du ministre. Il ne faut pas donner le sentiment que l'on veut mettre sous tutelle le travail législatif ordinaire du Parlement. Cependant, la matière est complexe, et les lois simples relatives à la libre administration des collectivités territoriales peuvent être très difficiles à interpréter. N'est-il pas envisageable de recourir plus facilement à la loi organique ? Je défendrai ainsi, à l'article 5, un amendement proposant que seule une loi organique puisse entériner une modification de la carte des collectivités territoriales de la République. Par cohérence, le Gouvernement devrait le soutenir et ne pas s'opposer aux amendements allant dans le même sens.

M. Jean-Pierre Balligand - Je voudrais rappeler ce qu'a dit le Président Debré au sujet de l'article 3 : telle qu'elle nous revient du Sénat, la rédaction de l'article 3 n'est « ni faite ni à faire ». Dès lors, on ferait bien, au vu du vote qui vient d'intervenir sur l'article 3, de prendre la précaution de saisir le juge constitutionnel, sinon il n'y aura plus aucun garde-fou. L'amendement du groupe UDF est donc sage.

L'amendement 124, mis aux voix, n'est pas adopté.

ART. 4

M. Émile Zuccarelli - Si on m'avait suivi, le projet commencerait par cet article, tant les précédents sont au mieux inutiles, au pire inopportuns.

Nous entrons, avec l'article 4, dans le c_ur de la problématique de la décentralisation. Son premier objet est de remettre à jour la nomenclature des collectivités territoriales. J'estime que le Sénat a été bien inspiré d'y ajouter les collectivités à statut particulier. J'en connais au moins deux, Paris et la Corse, et leur nombre devrait augmenter à l'avenir.

Ensuite l'article traite de ce que l'on appelle le principe de subsidiarité. La définition retenue peut donner à penser qu'on entre dans une logique fédérale. Aussi ai-je déposé un amendement de suppression du paragraphe en cause. Or, la réponse du rapporteur m'a laissé un peu rêveur. Il convient, selon lui, de concilier le principe de l'unité de la République avec celui de subsidiarité, lequel garantit que les décisions sont prises à l'échelon territorial le plus pertinent. Cette réponse pose le problème, elle ne le résoud pas. Il conviendrait de préciser au moins que la recherche du meilleur niveau de décision ne doit pas porter atteinte aux prérogatives régaliennes de l'Etat.

Le Sénat a également adopté un amendement très pertinent, rappelant qu'aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Pour autant, il peut se justifier de définir un chef de file, dans l'exercice d'une compétence déterminée. Mais le Gouvernement a introduit entre ces deux phrases le mot « cependant » et le Garde des Sceaux a expliqué qu'il s'agissait bien de limiter le principe de non-tutelle. A quoi sert d'affirmer un principe, si on le contredit aussitôt ? Cet ajout ne me paraît pas souhaitable.

Enfin, le texte introduit également la notion d'expérimentation et celle d'adaptation de l'exercice des compétences à la situation de telle ou telle collectivité. Cela existe déjà et c'est utile, mais il faut parallèlement garantir l'égalité des citoyens devant la loi et veiller à ce que faire celle-ci reste l'apanage du Parlement.

Mme Ségolène Royal - Cet article et celui sur la démocratie participative sont les seuls qui traitent vraiment de la décentralisation.

Nous sommes favorables à l'inscription de la région dans la Constitution, mais nous nous étonnons que le texte passe sous silence la véritable révolution que constitue, depuis dix ans, le développement de l'intercommunalité. Les regroupements de communes à fiscalité propre devraient se voir reconnaître le statut de collectivités territoriales, faute de quoi le texte sera périmé avant même d'être adopté.

Le premier alinéa tend en outre à autoriser la création de nouvelles catégories de collectivités territoriales ou de collectivités à statut particulier. Cette rédaction est trop imprécise : elle permettrait notamment la suppression ou la fusion de plusieurs collectivités.

Les dispositions sur le principe de subsidiarité ont été très sévèrement critiquées par le Conseil d'Etat, qui y a vu la source de contentieux inextricables. C'est un principe d'essence fédéraliste, contraire à la tradition unitaire de la France. Il pourrait porter atteinte à l'égalité devant la loi et à l'indivisibilité de la République et aboutir à une confusion des compétences, alors que les Français dénoncent déjà l'empilement des structures administratives et réclament, au contraire, simplification et transparence.

Soit l'Etat va être dépouillé de ses prérogatives, soit les collectivités locales démunies vont perdre leurs compétences. Le critère d'efficacité mis en avant se ramènera finalement à un critère financier, sans que le principe de subsidiarité engage qui que ce soit ni à quoi que ce soit, faute de précision sur les transferts financiers ! Commencer par la réforme constitutionnelle sans que soient connus les projets relatifs aux transferts de compétences et de ressources, c'est se payer de mots. Et il est pour le moins curieux que ceux qui se déclarent hostiles au principe de subsidiarité pour la construction européenne veuillent l'appliquer en France !

L'alinéa relatif à l'exercice du pouvoir réglementaire n'appelle pas d'objection particulière, si ce n'est qu'aucun renvoi n'y est fait au pouvoir réglementaire du Premier ministre et du Président de la République. Or le pouvoir réglementaire des collectivités locales ne doit pas concurrencer la mise en _uvre de la politique nationale.

Suit un alinéa lourd de conséquences, en revanche, sur le droit d'expérimentation, qui n'est ni encadré, ni précisé. Le garde des Sceaux n'a pas répondu à nos nombreuses questions, et nous ne savons toujours pas comment ce droit s'articulera avec le principe constitutionnel d'égalité devant la loi. Le Conseil d'Etat a formulé des observations sur ce point. Nous proposerons donc de préciser l'objectif des expérimentations et d'affirmer qu'elles ne pourront en aucun cas supplanter les principes d'égalité devant la loi et devant les services publics.

Mme la Présidente - Il est temps de conclure.

Ségolène Royal - Cet article est extrêmement important !

Mme la Présidente - Mais chaque orateur doit respecter son temps de parole.

Mme Ségolène Royal - Nous aurons l'occasion de présenter également de nombreuses observations sur les chefs de file - qui ne relèvent absolument pas de la Constitution, vous mobilisez vraiment l'Assemblée pour peu de chose ! - et sur le pouvoir des préfets.

M. Victorin Lurel - Ce texte est présenté à la représentation nationale sans que les collectivités d'outre-mer aient eu à faire connaître leur avis. Or leur consultation s'imposait.

En effet, le décret du 26 avril 1960, signé par le Premier ministre d'alors, Michel Debré, et par le ministre d'Etat chargé des DOM, Robert Lecourt, dispose que tout projet de loi d'ordonnance ou de décret tendant à adapter le régime législatif ou l'organisation administrative à la situation particulière des DOM serait préalablement soumis aux conseils généraux de ces départements. La loi d'orientation du 13 décembre 2000 a confirmé cette disposition, qui vaut aussi pour les conseils régionaux. Or tel n'a pas été le cas, et c'est pourquoi, d'ailleurs, conseils généraux et régionaux ont voté des motions pour s'étonner que ce droit fondamental ait été aussi allègrement violé sur un sujet si important.

Qu'en est-il, par ailleurs, de l'expérimentation outre-mer ? Parce que nous sommes à 8 000 kilomètres de la métropole et que nous avons développé une culture particulière, devons-nous rester enfermés dans notre insularité ? Nos expérimentations seront-elles susceptibles d'être étendues à tout l'hexagone, ou devront-elles se cantonner à l'outre-mer ? La République doit tenir compte de sa diversité sans vider de son sens le principe d'égalité.

La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane ont tenu des congrès qui n'étaient pas, comme je l'ai entendu dire au Sénat, des huis-clos autocratiques. Le débat, nourri et tolérant, a débouché sur des propositions, qui ont été transmises aux gouvernements Jospin puis Raffarin. On y insistait sur le fait que les initiatives doivent venir d'en bas, et non plus seulement d'en haut : aujourd'hui, en effet, c'est par une loi d'habilitation que l'on peut autoriser des dérogations, des adaptations ou des expérimentations. Nous demandons un pouvoir législatif, encadré par le Parlement et par le Conseil constitutionnel, et ne remettant en cause ni l'unité de la République, ni la jurisprudence constitutionnelle. Nous trouvons donc très intéressant l'amendement sur la saisine automatique du contrôle du Conseil constitutionnel. Pourquoi la France est-elle si frileuse alors que l'Italie, autre Etat unitaire, permet à ses vingt régions - je ne parle même pas des cinq régions à statut particulier - de légiférer, dans le respect de la loi fondamentale ? Hélas, le projet reste sourd à cette proposition de nos départements français d'Amérique, qui en viennent à se demander si elles sont bien partie intégrante de la démocratie française.

Enfin, il faut absolument éviter la tutelle d'une collectivité sur une autre, et cette question a une résonance particulière outre-mer : tous les jours, chez nous, les collectivités régionales font peser leur tutelle, parfois pour des motifs spécieux, sur les autres collectivités.

M. Francis Delattre - Avec l'article 4 commence réellement le travail sur la réforme constitutionnelle, et je regrette encore une fois que l'article 3 nous ait si longtemps égarés.

Il est très important d'affirmer qu'aucune collectivité ne peut exercer de tutelle sur une autre, mais la rédaction initiale me semblait meilleure sur ce point que celle du Sénat : le « cependant » enlève à l'affirmation beaucoup de son poids et, surtout, la référence à une « action commune » indique qu'une collectivité a le pouvoir d'imposer une marche à suivre quant à un projet d'intérêt commun. Il ne faut pas abandonner cette notion.

En ce qui concerne l'expérimentation, la première mouture du texte encadrait bien le principe : elle prévoyait que les collectivités locales pouvaient légiférer dans le respect des libertés publiques ou d'un droit constitutionnellement garanti. Je suis surpris que le Sénat ait voulu supprimer cette deuxième condition. En effet, une liberté ne s'exerce que si les droits correspondants sont garantis ! Par exemple, le droit de propriété est déjà malmené lors de l'exercice des compétences d'aménagement rural des collectivités. Cela pourrait encore empirer ! J'aimerais que le Gouvernement défende sa version.

Enfin, en ce qui concerne le principe de subsidiarité, nous connaissons tous les critiques du Conseil d'Etat. Mettre en forme constitutionnelle un principe d'ordre philosophique est risqué. Si l'article 34 de la Constitution prévoit toujours qu'il appartient au Parlement de définir les compétences des collectivités locales, vous lui opposez un principe constitutionnel qui l'affaiblit fortement ! Qui décidera de ce qui peut « le mieux » être mis en _uvre ? Pas le Parlement, car au premier différend entre les deux Assemblées, c'est le Conseil constitutionnel qui tranchera ! Le Conseil d'Etat attire notre attention sur les désordres et les contentieux que cela pourrait entraîner.

M. Jean-Pierre Balligand - Nous en arrivons enfin au c_ur du texte. Convenons que le reste n'était que du bavardage ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre délégué - Pourquoi alors avoir fait tant d'histoires !

M. Jean-Pierre Balligand - Comparé aux truismes de l'article premier et au flou de l'article 2, sans même parler de l'article 3, l'article 4 apparaît enfin consistant, comme le sera d'ailleurs l'article 6.

Au deuxième alinéa de l'article 72, il est incompréhensible, au regard de ce qui s'est passé depuis dix ans, de ne pas évoquer les établissements publics de coopération intercommunale sans qu'il s'agisse pour autant, dans mon esprit, de les transformer en collectivités territoriales. Qu'est-ce qui empêche d'écrire que les collectivités territoriales « et leurs groupements » ont vocation à exercer les compétences qui peuvent le mieux être mises en _uvre à leur échelon ? En l'absence de cette mention, que se passera-t-il quand un groupement exercera certaines compétences ? N'y a-t-il pas un risque de conflit d'interprétation entre le Garde des Sceaux et le ministre de l'intérieur, dont j'aimerais connaître le point de vue ?

Le troisième alinéa est beaucoup trop flou. Qui va définir les compétences qui méritent d'être assurées à tel ou tel niveau territorial ? Et quid des compétences régaliennes ? Là encore, il faudra faire appel au Conseil constitutionnel pour trancher.

L'alinéa suivant concerne l'expérimentation. La loi ou le règlement pourront l'autoriser dès lors que ne seront pas en cause « les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ». Mais existe-t-il, en la matière, des conditions non essentielles ? Reviendra-t-il au préfet de connaître de la démarche expérimentale et, le cas échéant, de la censurer ? Toutes ces questions ne se poseraient pas si l'on connaissait le contenu des futures lois organiques et ordinaires.

Concernant le cinquième alinéa, la notion de chef de file n'apparaît pas dans le texte du Gouvernement, mais elle est utilisée dans tous les commentaires. Là encore, il y a des risques de contentieux car on ne sait pas très bien ce qu'elle recouvre. Concernant l'expérimentation en matière de transports ferroviaires, on a employé l'expression « autorité administrative ».

Sur toutes ces questions qui n'ont rien de polémique, nous aimerions connaître la position du Gouvernement.

M. André Chassaigne - Cet article apporte-t-il des réponses précises ? En apparence peut-être, mais en réalité il s'agit, comme l'a dit le président et rapporteur de la commission des lois, d'« ouvrir le champ du possible », avec ce que, Monsieur le ministre, vous avez pour votre part appelé la « mère de toutes les réformes ».

M. le Ministre délégué - Nous ne sommes pas des conservateurs, nous !

M. André Chassaigne - Ce texte permet tout, la fragmentation comme le regroupement des collectivités territoriales.

M. le Rapporteur - L'avez-vous lu ?

M. André Chassaigne - Je vous en prie, un peu de respect.

L'objectif est fondamentalement libéral : on va opposer les territoires les uns aux autres, provoquer une politique de dumping social et fiscal, dans un but de marchandisation. Chacun va aller au « supermarché » des compétences ! De surcroît, les possibilités de regroupement risquent de porter un coup fatal aux petites communes rurales.

En réalité, vous nous placez dans une logique fédéraliste, même si vous vous refusez à employer ce terme, et par ailleurs vous cherchez à transférer sur les collectivités territoriales le poids des dépenses publiques, notamment pour respecter les critères de Maastricht.

M. Paul Giacobbi - « Les collectivités territoriales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en _uvre à leur échelon », est-il écrit. M. Clément nous expliquera sans doute tout à l'heure qu'il ne s'agit pas de subsidiarité, principe autrement complexe qui, lorsqu'il est exprimé dans des constitutions de type fédéral, donne lieu à des rédactions variables et compliquées, excluant rarement l'existence d'un domaine concurrent.

Mais alors, quel est l'apport de cette phrase ? Non seulement le mot « vocation » ne me paraît pas très normatif, mais encore l'échelon auquel on peut le mieux exercer une compétence ne peut être défini que de manière relative... Pour prendre un exemple concret, il peut paraître absurde, d'un point de vue hydrologique, que la Corse soit rattachée à l'agence de l'eau du Midi, mais cela se justifie sur le plan financier...

Pour le reste, je me réjouis dans l'ensemble des dispositions retenues à cet article. Cependant je voudrais poser deux questions précises.

Un amendement du Sénat a ajouté à l'article 72 les « collectivités à statut particulier » ce qui, vous le comprendrez, émoustille ma curiosité ! (Sourires) Un constitutionnaliste m'a expliqué que la seule portée de cette constitutionnalisation serait qu'il devrait toujours subsister au moins une collectivité à statut particulier. Mais laquelle ? Ce ne serait pas sur un territoire donné - autrement dit, on pourrait tordre le cou à toutes les collectivités à statut particulier, à condition d'en garder au moins une, qu'il s'agisse de la Corse, de Mayotte ou d'une autre. C'est un point de doctrine, mais je souhaiterais, Monsieur le ministre, que vous confirmiez - ou non - que la rédaction du Sénat n'interdit nullement, dans une région comportant une collectivité à statut particulier, et par exemple, deux départements, la fusion de ces trois collectivités en une nouvelle collectivité à statut particulier - qui serait forcément différente de l'ancienne. Si l'innocuité de cette rédaction m'était confirmée, je m'en satisferais.

J'ajoute une remarque plus politique, qui tient au motif qui vous a conduit à introduire des dispositions relatives à la fusion des départements ou de toute autre collectivité avec une autre : ces dispositions, inspirées par une considération générale, pourraient s'appliquer ailleurs qu'en Corse, et c'est très bien. Mais d'aucuns, lors des assises des libertés locales qui se sont tenues à Ajaccio, ont déclaré, Monsieur le ministre, que la seule explication de l'attitude du Gouvernement était qu'il agissait sous la contrainte d'une organisation clandestine. Révolté par ces allégations, j'y ai vigoureusement répondu, sans susciter d'autre réplique que quelques applaudissements dans la salle, mais j'attends que vous en fassiez litière vous-même, dans la mesure où elles sont fréquemment répétées ici ou là.

M. Louis-Joseph Manscour - Cette réforme répond-elle aux aspirations des populations et des élus des DOM et, singulièrement, de la Martinique ? Dans l'allocution qu'il a prononcée dans l'île le 11 mars 2000, le Président de la République a affirmé sa volonté de doter les collectivités d'outre-mer d'un statut différencié, et déclaré, faisant référence à la déclaration de Basse-Terre : « Aucune de ces démarches ne me gêne, aucune de ces approches ne me choque. Toutes les orientations, s'agissant des départements d'outre-mer sont admissibles, dès lors que les principes de la République et de la démocratie sont respectés et que les populations concernées sont, le cas échéant, consultées. »

Nous avons accueilli ces propos avec enthousiasme. Le Congrès des élus départementaux et régionaux de la Martinique a travaillé dans cette perspective, et Mme la ministre de l'outre-mer nous a assurés qu'elle tiendrait compte de nos propositions. Je me réjouis notamment de la possibilité, pour les populations concernées, de se prononcer sur tout changement institutionnel, avec même un droit de veto, qui leur garantit qu'aucun changement de statut ne pourra se faire contre leur volonté.

Mais le texte du Gouvernement reste bien en deçà des aspirations des élus antillais. L'article 4 tend certes à modifier l'article 72 - qui ouvre le titre XII de la Constitution - afin de tenir compte des réalités particulières des DOM. Il est ainsi prévu que les collectivités territoriales pourront passer, avec le consentement des électeurs, du régime de l'article 73 à celui de l'article 74, ouvrant une porte pour, cependant, la refermer aussitôt. L'article 73, en effet, ne vaut que pour les départements et les régions d'outre-mer ; si certaines de ces entités devaient évoluer vers un statut autre, relevant de l'article 74, elles y perdraient de nombreuses prérogatives - notamment celle de bénéficier de fonds européens, comme le FEOGA, le FEDER ou le FSE. Bref, en contrepartie d'une autonomie accrue, elles perdraient le droit aux discriminations positives, qui leur sont fort légitimement accordées aujourd'hui. Nous espérions que cette loi constitutionnelle serait une magnifique occasion de sortir du jacobinisme et de ce paternalisme séculaire qui nous a fait plus de mal que de bien. Il est temps de briser ce complexe d'_dipe des départements d'outre-mer, de concevoir une entité martiniquaise qui, loin de tout assimilationnisme, exprime et développe une identité sans complexe.

Or, tous les articles concernant le titre XII renvoient à une loi organique sur laquelle nous n'avons aucune précision. Je ne peux m'empêcher de penser que le Gouvernement a rédigé ce projet dans la précipitation. Le projet constitutionnel est également entaché d'imperfections de forme. Victorin Lurel l'a dit : le Gouvernement semble oublier la garantie fondamentale consacrée par le décret de 1960 et confirmée quarante ans plus tard par la loi d'orientation pour l'outre-mer : tout projet de loi d'ordonnance ou de décret tendant à adapter le régime législatif ou l'organisation administrative à la situation particulière des DOM doit être préalablement soumis pour avis aux conseils généraux et régionaux concernés. Que cela n'ait pas été fait semble signifier que le Gouvernement n'a pas confiance dans les hommes, les femmes, les élus d'outre-mer, pour prendre en main la gestion de leurs affaires dans le cadre d'une République émancipatrice.

M. Victorin Lurel - Très bien !

M. Augustin Bonrepaux - Le projet du Gouvernement oublie l'intercommunalité, qui a pourtant commencé dès 1966 avec la création des communautés urbaines et des districts, et qui s'est développée grâce aux lois de 1992 et de 1997. Cette omission constitue un vrai retour en arrière !

M. Hervé Mariton - C'est du fétichisme !

M. Augustin Bonrepaux - Si vous voulez remettre en cause l'intercommunalité, dites-le clairement ! il est vrai que, mis à part la loi de 1966, vous ne l'avez guère fait progresser... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Dans la loi de finances pour 2003 vous avez même voté un amendement qui la contrarie, en gelant le critère d'intégration fiscale pour les communautés de communes à taxe professionnelle unique.

M. Hervé Mariton - C'est la subsidiarité !

M. Augustin Bonrepaux - Qu'il s'agisse de communautés urbaines ou de communautés de communes, et à plus forte raison dans les zones défavorisées, l'intercommunalité est la meilleure formule pour stimuler le développement économique et fournir à la population des services étendus. En effet, la plupart des projets en ce sens, qu'ils soient lancés par le département ou par la région, ne pourront pas trouver, au plan communal, d'interlocuteur valable, si l'intercommunalité n'est pas reconnue. J'entends beaucoup vanter le modèle espagnol, mais celui-ci justement, reconnaît l'intercommunalité !

Comment les EPCI pourront-ils soutenir des projets - ce pourquoi ils ont été conçus - s'ils ne sont pas reconnus comme chefs de file ? C'est un véritable recul que vous imposez là, et j'en prendrai un exemple simple : comment une communauté de communes pourra-t-elle percevoir une taxe de séjour si elle n'a pas le pouvoir réglementaire d'appliquer la compétence, acquise, de recueillir le produit de cette taxe ? A l'évidence, il faut préciser les compétences, et reconnaître aux intercommunalités le statut de collectivités territoriales.

M. Hervé Mariton - Non.

M. Augustin Bonrepaux - S'y refuser, c'est remettre en cause l'intercommunalité, donc l'aménagement du territoire.

Mme Ségolène Royal - On ne le sait que trop, le projet de révision constitutionnelle fait l'impasse sur l'intercommunalité, évolution irréversible de la décentralisation. L'amendement 88 tend à corriger cette grave lacune en inscrivant explicitement dans la Constitution la possibilité, pour les collectivités territoriales, de se regrouper.

M. Hervé Mariton - Non.

Mme Ségolène Royal - Je sais bien que le Gouvernement a pris des engagements auprès des présidents de conseils généraux, qui se sentent menacés, mais cela n'autorise pas à passer sous silence la révolution silencieuse qu'a connue notre pays, où l'on dénombre désormais 2 175 EPCI qui regroupent 45 millions d'habitants, et 120 communautés d'agglomérations. Comment ignorer ce mouvement d'adhésion volontaire massif ?

M. Hervé Mariton - Et qu'en est-il de l'accroissement de l'impôt ?

Mme Ségolène Royal - Est-ce préjugé coupable ou passéisme ? La liberté locale se mesure aussi aux réalisations !

M. Hervé Mariton - Et qu'a fait le précédent gouvernement à ce sujet ?

Mme Ségolène Royal - C'est au sein des EPCI que la démocratie participative est la plus vivante, c'est là que le renouvellement des générations de responsables politiques se fait et c'est ainsi que s'établit un équilibre avec la France des notables. De fait, ces collectivités, parce qu'elles sont impliquées dans la gestion de projets, sont, bien davantage que d'autres, à l'abri des enjeux politiciens.

Il n'est pas question de mettre en cause la légitimité des présidents des conseils régionaux et départementaux, mais cette légitimité ne doit pas servir de prétexte à une régression en matière d'intercommunalité. Mais l'on sait bien que l'enjeu est celui de l'élection des présidents de communautés de communes. Voilà pourquoi vous ne voulez pas inscrire l'intercommunalité dans la Constitution !

M. Rodolphe Thomas - Le projet fait, fort heureusement, la part belle à l'expérimentation, dans le cadre général de l'article 72 de la Constitution. Cet article doit donc affirmer des principes, sans se perdre dans des définitions rigoureuses dont, tôt ou tard, nous serions prisonniers.

A cette fin, l'amendement 121 propose une nouvelle rédaction de l'article 4 affirmant le principe de subsidiarité, l'autonomie financière et fiscale, le droit à l'expérimentation et la désignation d'une collectivité « chef de file », la promotion de la démocratie locale et l'indispensable information des citoyens.

Le souci de démocratiser nos institutions doit aussi conduire à fonder le droit de pétition et à prévoir qu'il débouche sur l'organisation de consultations locales. Rédigé en ce sens, l'amendement concilie démocratie représentative et démocratie locale.

M. le Rapporteur - L'amendement présenté par Mme Royal reflète fidèlement celui que M. Mauroy a présenté au Sénat, et l'on sait que M. Mauroy souhaite voir figurer les EPCI dans la Constitution. J'ai déjà longuement expliqué le point de vue de la commission à ce sujet, et je vais le faire une dernière fois. On considère aujourd'hui les EPCI comme des collectivité territoriales autonomes alors que leurs organes délibérants ne sont pas élus au suffrage universel direct. De plus, leurs périmètres sont très différents : ainsi, dans votre circonscription, Madame Royal, il existe une communauté de très grandes communes alors que chez moi les communes considérées sont très petites. On le voit, rien n'est fixé.

Vous nous reprochez de refuser l'élection des organes délibérants au suffrage universel ; c'est un mauvais procès, car c'est la volonté du peuple français que nous respectons ainsi, de ces Français qui craignent pour leur commune et qui voient d'un mauvais _il l'évolution vers les EPCI. Il ne s'agit pas d'un clivage politique, vous le savez. Ainsi, nous avons évoqué l'hypothèse de l'élection au suffrage universel direct dans ma communauté de communes, où les sensibilités politiques sont également représentées : personne n'était d'accord, car tous voulaient que le maire demeure le premier responsable local. Or, si l'élection des présidents des EPCI se faisait au suffrage universel direct, les maires ne seraient plus, en quelque sorte, que leurs adjoints.

Rappelons-nous, sans parti pris, l'évolution des établissements publics régionaux créés en 1972. Il s'agissait d'une sorte de club dont les parlementaires, désignés par les maires, étaient membres de droit. Ensuite, la loi de 1982 a créé les conseils régionaux, et celle de 1985 a décidé leur élection au suffrage universel direct. A titre personnel, je pense que les EPCI connaîtront une évolution semblable, mais plus lente, car le passage de la commune à l'intercommunalité suppose une perte d'identité.

Je le répète, le problème n'est pas politique. Au contraire : l'intercommunalité donne aux élus l'habitude de travailler ensemble, quelque soit leur sensibilité politique. Etant donné le jeu que vous jouez, le climat est tout autre ici ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Ségolène Royal - Il n'empêche que vous n'avez rien dit des présidents des conseils généraux.

M. le Rapporteur - Mais ils se réjouissent de l'existence des EPCI et souhaitent les coordonner.

Mme Ségolène Royal - Nous y sommes !

M. le Rapporteur - J'ai bien dit « les coordonner », et non « les mettre sous tutelle » ! Il s'agit de les aider. Mais comme vous n'avez jamais été présidente d'un département, vous avez des idées préconçues et abstraites de la situation, au point que vous refusez de reconnaître les pas que nous avons faits dans votre direction : non seulement le Sénat a donné aux EPCI la possibilité de bénéficier des expérimentations, mais encore je proposerai sous peu un amendement tendant à leur permettre de devenir chef de file au même titre que les communes, les départements ou les régions. Soyons clair, Mme Royal et MM. Roman et Mauroy ont satisfaction sur le plan pratique. Il n'en va pas de même au plan symbolique puisque la sacralisation par la Constitution qu'ils appellent de leurs v_ux n'interviendra pas.

J'en viens à la proposition de loi du groupe UDF. La commission, Monsieur Thomas, l'a trouvée tellement intéressante qu'elle l'a jointe au rapport. Elle a cependant considéré que la rédaction proposée par le Gouvernement était plus satisfaisante. S'agissant de la démocratie de proximité, le texte du Gouvernement va au-delà de vos rêves puisqu'il prévoit d'inscrire le référendum local dans la norme suprême ! Je salue donc la proposition de loi du groupe UDF mais la commission lui préfère le texte du Gouvernement.

M. le Ministre délégué - Nous nous sommes déjà, Madame Royal et Monsieur Balligand, largement expliqués au sujet de l'intercommunalité. Monsieur Balligand, vous étiez avec moi ce matin à Amiens et le débat a été sur ce point des plus éclairants. Lorsqu'un maire a réclamé l'élection au suffrage universel direct des organes délibérants des EPCI, il a suscité un véritable tollé de la part des maires des communes rurales ! Votre proposition est recevable sur le plan des principes mais les esprits ne sont pas mûrs. Le processus, heureux - et j'y insiste à l'intention notamment de M. Bonrepaux -, de l'intercommunalité, le Gouvernement y est tellement favorable qu'il ne veut pas le voir dérailler par excès de zèle ! Le succès de l'intercommunalité tient d'abord au fait que les organes délibérants y sont élus par les communes adhérentes - les dirigeants tirent donc leur légitimité de leurs mandants -, et ensuite à l'abondement de DGF, manifestement très incitatif. Résultat : 28 000 de nos 36 000 communes sont déjà engagées dans la dynamique de l'intercommunalité, 2 000 nouvelles communes y viennent chaque année ce qui laisse augurer que le processus aura abouti d'ici à cinq ans ! Toutefois, le président Clément a raison : les périmètres des structures intercommunales ne sont pas stabilisées et les processus d'intégration des compétences demeurent très disparates. Changer les règles du jeu d'un dispositif qui fonctionne bien, c'est prendre le risque de le faire dérailler. Votre demande d'inscrire les EPCI dans la Constitution au même titre que les autres collectivités territoriales n'est pas infondée mais elle est prématurée et c'est pourquoi le Gouvernement n'entend pas y donner suite.

M. Balligand propose d'inscrire les groupements au deuxième alinéa. N'oublions pas que cela concerne aussi les 17 000 SIVOM et SIVU, au-delà des structures intercommunales. Manifestement, le dispositif n'est pas assez resserré pour que la Constitution le consacre. Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendent 88.

S'agissant du 121 de Mme Comparini qu'a défendu M. Thomas, le Gouvernement ne peut accepter sa rédaction et notamment le premier alinéa qui exclut les collectivités à statut particulier. Le Gouvernement veut conserver toute latitude à ce sujet et ne peut donc accepter votre rédaction. Vous faites en outre une référence expresse au principe de subsidiarité, lequel relève davantage de la philosophie politique que du droit positif. Je vous invite par conséquent à retirer votre amendement. A défaut, j'en demanderai le rejet.

M. Jean-Pierre Balligand - Je voudrais convaincre le président Clément qu'à partir du moment où l'on présente un texte qui se veut fondateur et novateur, il est navrant que l'intercommunalité n'y trouve pas sa place. Les lois de 1992 et de 1999 sur l'intercommunalité ont modifié l'architecture institutionnelle du pays de manière bien plus radicale que celles de 1982 et 1983. C'est l'intercommunalité qui a fait bouger les choses et introduit une dynamique territoriale inédite. M. Perben, alors ministre de la fonction publique, le sait bien.

D'accord, Monsieur le rapporteur et Messieurs les ministres, pour ne pas mettre les EPCI au même niveau que les autres collectivités territoriales, dans le premier alinéa de l'article 72. Nous demandons du reste qu'ils soient mentionnés dans le deuxième alinéa. Il est toujours possible de sous-amender en ce sens. Mais sauf à prendre parti pour la France du statu quo contre celle du mouvement, il faut admettre que l'avenir, c'est l'intercommunalité ! Je ne comprends pas votre obstination à le refuser. Certes, je ne suis pas dans le secret des tractations qui ont conduit MM. Méhaignerie et Clément à revenir sur leurs amendements à l'article 3 visant à retirer une partie des exigences du Sénat.

La majorité s'est couchée...

M. le Ministre délégué - On aurait bien aimé se coucher plus tôt nous aussi !

M. Jean-Pierre Balligand - ...faisant fi des votes qui étaient intervenus en commission.

A l'avenir, il faudra choisir - et cela ne sera pas simple - entre l'intérêt « communautaire » et l'intérêt communal, le risque étant de faire de l'intercommunalité une supra-communalité. Il existe des formules originales pour en sortir et l'institut de décentralisation en a identifié plusieurs. On peut ainsi distinguer l'exécutif de l'EPCI et l'organe délibérant et prévoir pour chacun des modes de désignation adaptés.

Le XXIe siècle sera celui de la recherche d'une citoyenneté intercommunale. Aujourd'hui, les structures dépourvues de toute légitimité démocratique directe lèvent des impôts considérables et gèrent d'énormes budgets hors de tout contrôle direct par les citoyens. Je conçois que le texte constitutionnel ne s'en saisisse pas encore mais on ne réglera pas la question par l'expérimentation !

M. Hervé Mariton - Je suis heureux que la gauche et la droite ne s'accordent pas sur ce sujet. L'intégrisme intercommunal, dont MM. Balligand et Bonrepaux sont les plus fervents défenseurs, n'a eu qu'un résultat : l'augmentation inconsidéré des impôts locaux... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Il faut laisser l'intercommunalité à sa place. L'intercommunalisme est en outre contraire au principe de subsidiarité. Je suis donc résolument hostile à l'amendement 88.

En ce qui concerne l'amendement de Mme Comparini, je trouve, à la différence du président de la commission, que l'inscription du terme « subsidiarité » est une bonne chose.

En revanche, « constitutionnaliser » le préfet dans ses fonctions est pour le moins curieux. Le but de ce texte n'est pas d'organiser l'administration de l'Etat ! M. Zeller disait que nous aurions enfin atteint une décentralisation mûre quand cette fonction aurait disparu...

M. Pierre Méhaignerie, président et rapporteur pour avis de la commission des finances -Nous sommes nombreux ici à pratiquer et promouvoir l'intercommunalité, mais nous sommes aussi conscients des risques qu'elle présente.

Certaines communautés d'agglomération croissent rapidement, créent des structures lourdes et on sent déjà une réaction, dans certaines communes, qui leur reprochent de prendre trop de pouvoirs.

Deuxième critique souvent entendue : il n'y a intérêt à transférer à l'intercommunalité que les compétences que celle-ci peut mieux exercer. Or la structure de la DGF fait qu'on assiste parfois à une course à l'intégration mal perçue par les communes qui la subissent.

Enfin, il convient de respecter la diversité des situations locales. Dans le département de la Marne, où il y a des communes de moins de 100 habitants, celles-ci ont tout intérêt à transférer de nombreuses compétences. Mais dans d'autres régions, vous avez des communes de 1 000 à 3 000 habitants qui sont solides et ne veulent transférer que le nécessaire.

Inscrire l'intercommunalité dans le texte risquerait de susciter des réactions négatives des communes et donc d'avoir l'effet inverse de celui souhaité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Augustin Bonrepaux - La DGF est calculée en fonction de la population et du potentiel fiscal. Si elle donne un petit plus à l'intercommunalité, n'est-ce pas justice ? Ne faudrait-il pas faire la différence, justement, entre les communes qui pratiquent une intercommunalité purement formelle pour accroître leur DGF et celles qui travaillent réellement ensemble ?

Je suis d'accord avec vous sur le fait que les transferts de compétence doivent se limiter au nécessaire. Mais certaines communes très démunies n'existeraient plus aujourd'hui sans l'intercommunalité, qui leur permet d'offrir à leurs habitants les mêmes services qu'ailleurs.

L'amendement 88, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 121, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Ségolène Royal - J'ai déjà défendu les amendements 89 et 68.

Les amendements 89 et 68, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jacques Brunhes - Si nous sommes favorables à l'inscription des régions dans la Constitution, nous sommes, en revanche, tout à fait hostiles à la consécration de la notion de collectivité à statut particulier. Sans nier la diversité des situations, il ne faut pas ériger la dérogation en principe dans notre loi fondamentale. Cela remettrait en cause l'intégrité du territoire. Autoriser la création de nouvelles catégories de collectivités se substituant à celles existantes permettrait de faire disparaître communes et départements et de fusionner les régions en grandes régions européennes. Nous proposons donc, par l'amendement 174, de supprimer les mots « collectivité à statut particulier ».

Le cinquième alinéa de l'article introduit le principe du chef de file, et donc celui de la tutelle, qu'avaient exclu les lois de 1982-1983. Nous le jugeons dangereux.

M. le Rapporteur - Ce que propose M. Brunhes, c'est de supprimer l'amendement introduit par M. Alfonsi au Sénat. Or cette adjonction vise la Corse et Paris, on l'aura compris.

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement ne peut accepter cette suppression.

M. Paul Giacobbi - Pour des raisons différentes de celles de mes collègues communistes, je me rallierai à l'amendement de suppression. En effet, un professeur de droit m'a confirmé que la disposition visée n'avait aucune portée juridique. Il existe déjà des collectivités territoriales en Corse. Cette disposition empêche-t-elle ou non la fusion des deux départements en un seul ? Le Gouvernement est déjà accusé, par certains, à tort certainement, d'avoir introduit cette disposition uniquement pour la Corse.

M. Émile Zuccarelli - Pour ma part, j'estime pertinente l'adjonction du terme « collectivité à statut particulier ». On sait bien que je ne suis pas un fanatique de la particularisation à tout prix des statuts. Mais puisque ces collectivités existent, on ne peu en faire des OVNI.

Je reconnais que les questions posées par M. Giacobbi sont pertinentes. Mais il faut éviter que ces statuts particuliers puissent être supprimés par une simple loi.

M. Jacques Brunhes - Il est évident qu'il existe des collectivités à statut particulier, mais jusqu'à présent elles n'étaient pas inscrites dans la Constitution. La question n'est pas de nier la diversité des territoires, mais de savoir si, dans un texte fondamental comme la Constitution, l'adjectif particulier a un sens et si on ne risque pas d'ouvrir ainsi la boîte de Pandore.

M. Giacobbi a bien démontré que ces collectivités à statut particulier n'ont aucune portée juridique ! Laissons donc les choses en l'état, n'officialisons pas des particularismes.

M. le Ministre délégué - M. Zuccarelli a raison, les collectivités à statut particulier existent. Les régions aussi existent, Monsieur Brunhes, et vous ne me demandez pas pourquoi nous voulons les inscrire dans la Constitution !

M. Jacques Brunhes - J'ai expliqué pourquoi les régions étaient différentes.

M. le Ministre délégué - Elles ne le sont pas.

M. Giacobbi me semble fin juriste. Je voudrais donc répondre à sa question : à quoi servent ces collectivités ? A en remplacer une ou plusieurs autres. La formulation du texte est qu'elles sont créées « en lieu et place ». Le statut particulier est le seul apte à remplacer ce qui existe ou à le faire disparaître. C'est tout l'intérêt de la notion.

M. Jacques Brunhes - Ou le danger !

L'amendement 174, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Emile Blessig - L'amendement 153 évoquait la nécessité d'une loi organique pour modifier les principes de la décentralisation. Compte tenu des explications que j'ai reçues du ministre et du président de la commission des lois, je le retire.

M. Jacques Brunhes - L'amendement 175 s'oppose à la création de collectivités locales à statut particulier, qui menacent l'intégrité du territoire et nous entraînent vers un Etat fédéral. La dernière phrase du ministre en illustre tous les dangers : on pourra effacer des communes ou des départements ou créer demain de grandes régions !

L'amendement 175, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Émile Zuccarelli - L'amendement 32 propose la suppression du deuxième alinéa de l'article. Le principe de subsidiarité tel qu'il est défini n'a pas sa place dans la Constitution. Il ne fait que fixer une vague règle de conduite. Vous auriez tout aussi bien pu écrire que les collectivités cherchent à faire leur travail le mieux possible et à agir dans l'intérêt de leurs populations !

J'ai cru comprendre qu'un amendement de la commission allait encore renforcer cet alinéa en affirmant la vocation de « décider » des collectivités locales.

M. le Rapporteur - Vous avez mal compris.

M. Émile Zuccarelli - Mais l'alinéa vise l'ensemble des activités et des compétences des collectivités locales. Il y manque une réserve concernant les missions incontournables de l'Etat, les missions régaliennes mais d'autres aussi, qu'il ne peut être question de déléguer.

Mme Ségolène Royal - L'amendement 69 est identique. Le deuxième alinéa vise à introduire le principe de subsidiarité, qui est d'essence fédérale, dans la Constitution. Mais la France est un Etat unitaire et le fédéralisme n'est pas compatible avec son histoire. Vous vous justifiez en parlant de la République de proximité, mais l'efficacité ne consiste pas à être toujours au plus près, mais à être à la bonne distance ! Qu'on soit élu, fonctionnaire ou dépositaire d'un parcelle de la puissance publique, ce qui compte, c'est d'être efficace.

Le Conseil d'Etat a sévèrement critiqué le flou de cette disposition. Il se demande comment elle sera appliquée et met en garde contre de nombreux contentieux. Le fait est que vous avez commis une grave erreur de méthode. Pourquoi n'avez-vous pas commencé par évaluer la façon dont les collectivités locales avaient exercé les compétences dont elles disposent déjà ? La rénovation des lycées est-elle par exemple terminée ? Assurément pas, il y en a qui n'ont pas connu de travaux depuis vingt ans ! Et certains présidents de conseils généraux demandent à avoir compétence en matière de routes nationales, mais toutes les routes départementales ne sont toujours pas sécurisées ! Je n'aurai qu'à citer la fameuse départementale 948, où les accidents sont nombreux car le département n'a pas les moyens de faire les travaux coûteux qui s'imposent.

Il faut commencer par opérer les transferts financiers nécessaires aux collectivités pour assurer les compétences dont elles ont déjà la charge. Il faut ensuite transférer des blocs de compétences dans les domaines où elles ont déjà fait leurs preuves, avec bien sûr les moyens nouveaux correspondants. Il faut analyser les raisons de leurs réussites et de leurs échecs et supprimer les doublons. Les collectivités locales se sont déjà exprimées à ce sujet, et leurs demandes sont simples et concrètes : la formation professionnelle, l'enseignement supérieur, les transports ou le développement économique pour les régions par exemple !

Voilà la vraie proximité, pas la subsidiarité qui provoquera le désordre le plus général. Certains départements donneront un contenu à ce principe totalement différent de leurs voisins ! Cela ne peut donner lieu qu'à une République à plusieurs vitesses, critiquée sur tous les bancs, et à des contentieux inextricables ! Donnez-nous des exemples concrets de ce qu'est la subsidiarité, Monsieur le ministre. Prouvez-nous que vous ne transformez pas la Constitution en bavardage.

M. Jean-Luc Warsmann - L'amendement 131, identique, est défendu.

M. Jacques Brunhes - L'amendement 176 également. Le deuxième alinéa prévoit que les collectivités locales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en _uvre à leur échelon. Il introduit donc le principe de subsidiarité, qui met à mal l'idée d'une République unie et solidaire et aboutit à une érosion progressive des compétences de l'Etat. La subsidiarité est liée à une conception fédérale des institutions. Nous sommes fermement opposés à l'éventualité que l'Etat perde ses compétences générales et qu'il ne soit plus en mesure d'assurer la cohésion sociale de la nation.

M. le Rapporteur - Le principe de subsidiarité n'apparaît nulle part dans notre texte, et il serait impossible qu'il y figure ! Ce principe est en effet la grille d'application du fédéralisme. Il trouve son origine dans le droit canon de l'Eglise ou dans la Constitution allemande. Le respect de la personne humaine induit que si quelqu'un est capable de faire quelque chose, ce n'est pas la peine de le faire faire par son supérieur hiérarchique. C'est un principe qui va du bas vers le haut. Or le texte va du haut vers le bas : il ne s'agit donc pas du même principe.

Ce mot a été popularisé par le biais de l'Europe. Si vous me permettez une appréciation strictement personnelle, j'aimerais bien que le principe de subsidiarité soit réellement appliqué au niveau européen !

M. Jacques Brunhes - Votre position est très claire ! C'est pourquoi nous la contestons...

M. le Rapporteur - Ici, il s'agit de se demander qui est le mieux à même d'exercer telle ou telle compétence. Auparavant, on ne se posait jamais de question, c'était le fait du prince : en 1982, on a « octroyé » des compétences aux collectivités territoriales. Nous introduisons un principe dynamique, alors qu'il n'y avait rien de tel dans la Constitution : il y aura discussion entre l'Etat et les collectivités territoriales sur telle compétence qui pourrait leur être transférée, et le Parlement tranchera. Le partage des compétences va donc certainement changer profondément dans les années qui viennent, mais de manière pragmatique, et non brutale.

Madame Royal, lorsque, constatant qu'une route départementale dont j'ai la responsabilité est particulièrement dangereuse, je demande en vain à l'Etat de financer pour moitié la réalisation d'un rond-point, il me paraît normal de souhaiter avoir la compétence... Et quand je constate que les lois Defferre ont conduit à créer des doublons entre des fonctionnaires de l'Etat et ceux des départements, donc à augmenter les impôts, je souhaite qu'on mette de l'ordre !

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement est naturellement défavorable à ces quatre amendements.

Monsieur Zuccarelli, permettez-moi un peu d'humour : si on vous suivait, il ne resterait de ce projet constitutionnel que le statut particulier...

Madame Royal, il ne s'agit pas du tout d'un système fédéraliste. Si tel était le cas, il faudrait commencer par définir de manière limitative les compétences de l'Etat. Ici, nous posons un principe incitatif qui doit inspirer le législateur, mais l'Etat central conserve la « compétence des compétences ».

M. Paul Giacobbi - Une Constitution est un cadre juridique. Depuis que l'on fait des constitutions, c'est-à-dire depuis le Haut Moyen-Age, il n'y a jamais eu de Constitution incitative ou dynamique... Le mot « vocation » n'a guère de sens juridique, et les mots « qui peuvent le mieux être mises en _uvre » ne veulent pas dire grand chose non plus, ce qui risque de poser problème. Je prendrai l'exemple de la protection du patrimoine : dans les Etats fédéraux, elle relève en général de la fédération ; pourtant, je sens venir l'idée que les architectes des Bâtiments de France devraient relever de l'échelon local...

M. Émile Zuccarelli - Monsieur le ministre, je n'ai proposé de supprimer qu'un seul alinéa sur les six que comporte cet article !

Comme Paul Giacobbi, il me semble important de réserver clairement certaines compétences à l'Etat. Certes, l'Etat peut accorder des délégations : les maires, par exemple, exercent certaines missions - concernant notamment l'état-civil - par délégation de l'Etat, mais il ne s'agit pas de compétences locales.

Mme Ségolène Royal - Monsieur le ministre, je vous avais prié de me donner des exemples concrets de subsidiarité, mais je n'ai pas obtenu de réponse...

M. le Rapporteur - Vous avez eu la mienne !

Mme Ségolène Royal - Vous avez parlé du contraire !

M. le Rapporteur - J'ai dit qu'il ne s'agissait pas de subsidiarité ! La mauvaise foi a des limites !

Mme Ségolène Royal - Ne vous fâchez pas !

M. le Rapporteur - Trop, c'est trop ! Vous me faites systématiquement dire le contraire de ce que j'ai déjà dit !

Mme Ségolène Royal - Vous nous avez expliqué que vous demandiez de l'argent de l'Etat pour faire des travaux. Ce n'est pas cela, la décentralisation !

M. le Rapporteur - Vous désespéreriez l'homme le plus patient ! Il y a des limites aux fadaises !

M. Augustin Bonrepaux - La parole est libre !

M. le Rapporteur - La bêtise est limitée !

Mme Ségolène Royal - Réforme-t-on la Constitution pour vous permettre de faire des ronds-points ?

Les amendements 52, 69, 131 et 176, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur - J'en ai assez de voir mes propos totalement déformés. Je vais désormais tourner le dos à Mme Royal.

Mme Ségolène Royal - Ne soyez pas misogyne !

M. le Rapporteur - J'ai cru comprendre que vos propres amis vous reprochaient d'en faire trop...

Mme Ségolène Royal - Je demande la parole !

M. le Rapporteur - Vous ne l'avez pas ! Je défends mon amendement 12.

Il est écrit dans le projet que les collectivités « ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en _uvre à leur échelon ». J'ai considéré que le rôle d'une collectivité décentralisée n'est pas de « mettre en _uvre », mais de savoir ce qu'elle est le mieux à même de décider. Certaines décisions doivent être prises près du terrain, d'autres au niveau de l'Etat ou de l'Europe. J'ai donc souhaité substituer au mot « exercer » les mots « prendre les décisions pour ». Tel est le sens de l'amendement 12.

Mme Ségolène Royal - Je fais un rappel au Règlement sur la base de l'article 58 alinéa 6 : « Toute attaque personnelle, toute interpellation de député à député sont interdites dans l'enceinte de l'hémicycle ». Monsieur Clément, je vous demande de supporter le débat parlementaire, souffrez que nous puissions débattre.

M. Hervé Mariton - Pour souffrir, on souffre !

Mme Ségolène Royal - Vous n'avez accepté aucun amendement de l'opposition ; la man_uvre consiste à faire adopter un texte conforme à celui du Sénat ; nous serons donc privés d'une seconde lecture. Permettez-nous de nous exprimer sur ce texte constitutionnel, déjà sévèrement critiqué par le Conseil d'Etat, le Sénat, et certains députés de votre majorité. Nous somme élus pour défendre nos convictions ; nous le ferons malgré vos cris et vos attaques personnelles.

Je demande une suspension de séance.

La séance, suspendue à 17 heures 50 est reprise à 17 heures 55.

M. le Ministre délégué - Dans la mesure où cet amendement ne porte pas atteinte à la compétence des compétences qui continue de relever du Parlement, je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.

M. André Chassaigne - Inscrire « prendre des décisions pour » accentue le glissement vers la subsidiarité.

M. Hervé Mariton - C'est parfait !

M. le Rapporteur - Nous sommes d'accord !

M. André Chassaigne - Dans la formule - « les collectivités territoriales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences » -, le mot « vocation » a un sens très précis. J'ai vérifié dans le Littré : la vocation se réfère à un « certain ordre de choses auquel on doit se conformer ». Le sens du second alinéa de l'article 4 a donc une valeur extrêmement forte. Il y aurait, pour les collectivités locales, une manière de déterminisme à devoir se conformer à un certain ordre des choses, déterminisme que vous accentuez encore avec la modification « prendront les décisions pour ». Cet article 4 est particulièrement dangereux.

Mme Ségolène Royal - Tout à fait.

M. André Chassaigne - Les collectivités territoriales, au gré de leurs décisions, pourront tendre la main ici ou là et prendre telle ou telle compétence.

M. le Rapporteur - M. Chassaigne a parfaitement compris ce que je souhaitais faire - au moins, nous parlons des mêmes choses, avec l'opposition, ce qui n'était pas arrivé depuis longtemps.

Je m'incline devant la définition du mot « vocation » par M. Littré, mais nous utilisons ce terme dans une autre acception. Comme un nourrisson est nourri à la petite cuillère et qu'un enfant « a vocation » à manger tout seul, les collectivités locales de base ont vocation à accomplir certaines actions pour des raisons de proximité. Telle est l'idée : devenues adultes depuis le vote des lois Defferre, les collectivités territoriales ont désormais vocation à faire ce qui se fera mieux à leur niveau.

Après une épreuve jugée douteuse, l'amendement 12, mis aux voix, est adopté.

M. Michel Piron - Mon amendement 114 tend à inscrire dans la Constitution le principe de subsidiarité et de faire ainsi le pari des intelligences locales. Cette mention garantirait que la décentralisation renforcée ne se limitera pas à la déconcentration. De plus, le principe de subsidiarité ainsi affirmé, en fondant la répartition des compétences entre les collectivités locales et leur articulation, éviterait les litiges éventuels. Enfin, cette mention, portée à l'article 72 de la Constitution, ne pourrait être interprétée comme remettant en question le principe républicain d'égalité. J'espère que le Gouvernement donnera son assentiment à une proposition qui est dans le droit fil du texte.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Mentionner, dans cet article, le principe de subsidiarité aurait pour conséquence d'instituer un système fédéral.

M. le Ministre délégué - Avis également défavorable. Non seulement l'énoncé de la proposition est flou mais la proposition est incompatible avec l'amendement de la commission qui vient d'être adopté.

M. André Chassaigne - Je ne vois pas, Monsieur le rapporteur, que l'inscription du principe de subsidiarité dans le Traité de Maastricht ait eu pour conséquence de faire de l'Europe une fédération.

M. le Rapporteur - Nous sommes d'accord là-dessus.

L'amendement 114, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Emile Blessig - Le Conseil d'Etat a fait remarquer la difficulté de traduire dans les textes le principe de subsidiarité. Par l'amendement 152, je propose à la fois qu'une loi organique détermine la répartition des compétences entre l'Etat et les différentes collectivités territoriales et que cette répartition soit périodiquement réexaminée par le Parlement. L'amendement règle aussi la question des litiges portant sur la répartition des compétences, portés devant le Conseil constitutionnel si l'Etat est impliqué, devant une juridiction administrative dans les autres cas. Ainsi évitera-t-on que le processus ne soit paralysé.

M. le Rapporteur - Si le premier paragraphe de l'amendement est bien dans l'esprit de la loi, il n'en va pas de même pour le second. Je le rappelle : c'est à l'Etat qu'il reviendra, après la révision constitutionnelle, de transférer aux collectivités territoriales, avec l'aval du Parlement, les compétences qu'il souhaite transférer. Dans ce cadre, on ne voit pas comment « la base » pourrait, au motif que le principe de subsidiarité aurait été ignoré, attaquer l'Etat. Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Même avis. La proposition d'inspiration fédéraliste supposerait un changement radical de notre système constitutionnel.

L'amendement 152, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Emile Blessig - L'amendement 154 tend à préciser le contenu de la notion de « libre administration » pour éviter le risque d'une interprétation restrictive. Il est rédigé dans le même esprit que celui de la commission, que nous venons d'adopter.

M. le Rapporteur - L'amendement est largement satisfait par le texte. Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Je saisis l'occasion qui m'est donnée de préciser que l'article vise, d'une part, à conforter le pouvoir réglementaire reconnu jusqu'à présent aux collectivités locales par la jurisprudence uniquement et, d'autre part, à tirer les enseignements des expérimentations que la révision constitutionnelle rendra possible. S'agissant du premier point, il fallait lever le doute qui subsistait sur la capacité du législateur à confier aux collectivités locales les moyens d'appliquer une loi. C'est ce qui a été fait. Vous comprendrez donc que le Gouvernement tient à ce que la rédaction retenue demeure inchangée. Aussi, je vous prie de bien vouloir retirer l'amendement dont je serai, sinon, contraint de demander le rejet.

M. Emile Blessig - Vos arguments m'ont convaincu. Je retire l'amendement.

M. André Chassaigne - Le pouvoir réglementaire ne peut être conféré aux collectivités territoriales, que de manière dérogatoire. C'est ce que précise l'amendement 177, dont les auteurs tiennent à rappeler que, conformément à l'article 21 de la Constitution, il n'existe qu'un pouvoir réglementaire, exercé par le Président de la République et le Gouvernement. Or, dans sa rédaction actuelle, le texte donne à penser que les collectivités territoriales pourraient être les égales du pouvoir central. L'amendement rétablit la vérité constitutionnelle.

M. le Rapporteur - Si j'ai bien compris, M. Chassaigne souhaite que seul l'Etat dispose du pouvoir réglementaire...

M. André Chassaigne - Ou les collectivités à titre dérogatoire !

M. le Rapporteur - Précisément, les collectivités territoriales disposent aujourd'hui d'un pouvoir réglementaire qui n'est pas dérogatoire mais d'adaptation. Le texte s'inscrit dans cette tradition et il n'y a pas lieu par conséquent de vous alarmer. Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Par sa nature comme par sa portée, le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales est distinct de celui du Premier ministre. Tirant sa compétence de la Constitution, le Premier ministre l'exerce sans habilitation législative expresse.

En revanche, les collectivités territoriales ne peuvent exercer un pouvoir réglementaire qu'au cas par cas, dans les conditions fixées par la loi et dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Au regard de celle que détient le Premier ministre, la capacité normative des collectivités est donc subsidiaire. C'est bien entendu de manière tout à fait délibérée que le projet ne modifie pas l'article 21. Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement de M. Chassaigne.

L'amendement 177, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Luc Warsmann - L'amendement 142 est défendu.

L'amendement 142, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Ségolène Royal - Notre amendement 70 vise à supprimer l'alinéa qui permet aux collectivités territoriales de déroger, à titre expérimental, aux dispositions législatives et réglementaires régissant l'exercice de leurs compétences.

Il eût été souhaitable que nous disposions du projet de loi organique pour savoir comment ces dérogations allaient s'organiser. Nous n'avons obtenu du Gouvernement aucune réponse claire. On évoque la possibilité de combiner l'ancienne expérimentation législative avec celle qu'introduit l'article 4. Qu'en sera-t-il ? Donnez-nous des exemples concrets ! Comment le pouvoir de déroger se concilie-t-il avec le principe d'égalité ? En matière de prestations sociales, est-il envisageable que certains départements versent, à titre expérimental, un RMI minoré ? A l'évidence, le droit à l'expérimentation risque de creuser les inégalités entre les territoires. Nous demandons des éclaircissements. Si les collectivités disposent de compétences « à la carte », l'organisation administrative du pays - déjà très opaque - va devenir franchement incompréhensible. Les expérimentations sont-elles accompagnées de moyens suffisants pour les exercer ? Comment s'opéreront les indispensables transferts de ressources ? Ne crée-t-on pas - pour reprendre les termes du président Debré - une « République en morceaux » où le citoyen se perdra dans l'enchevêtrement des responsabilités ?

Nous sommes favorables à des transferts clairs, par blocs de compétences bien identifiés et assortis des moyens d'accompagnement nécessaires à leur mise en _uvre. Votre méthode et vos choix nous inquiètent. Le pouvoir d'expérimentation n'est pas encadré. Répondez, Messieurs les ministres, aux questions précises qui vous remontent de l'ensemble des Assises !

M. le Rapporteur - Défavorable pour les raisons que j'ai déjà exposées.

M. le Ministre délégué - Même avis mais je tiens à rassurer Mme Royal. Le droit à l'expérimentation est déjà considérablement encadré. M. Méhaignerie - qui en est l'initiateur - déplore peut-être que pas moins de neuf limites lui soient opposées : objet limité, durée limitée, espace limité, volontariat de la collectivité, évaluation, réversibilité, autorisation par le Parlement, finalisation par le Parlement, impossibilité de porter atteinte aux conditions d'exercice d'une liberté publique. La loi organique précisera encore les choses mais il n'y a aucune crainte à avoir !

Du reste, le Gouvernement précédent avait autorisé l'expérimentation sur les ports, les aéroports et l'inventaire supplémentaire des monuments historiques sans la définir ni l'encadrer.

M. Michel Piron - En écoutant Mme Royal, je me disais que Spinoza avait raison : « tout être tend à persister dans son être »... (Sourires)

Mme Ségolène Royal - Je remercie le ministre de s'être efforcé de nous répondre précisément mais nos doutes demeurent. Du reste, lorsqu'il était président de l'Association des régions de France, M. Raffarin s'est vigoureusement opposé à l'expérimentation portant sur les transports ferroviaires dans sa région, plaidant pour que le transfert de compétences se fasse dans toutes les régions de manière simultanée.

Nous ne voulons pas d'une France à vingt-deux vitesses dans laquelle les difficultés des régions les plus pauvres ne seraient pas compensées. A l'instar de M. Raffarin qui souhaitait disposer des projets de décret d'application avant que ne s'engage la discussion parlementaire sur la loi de 2001, nous voulons prendre connaissance du projet de loi organique. Les transferts doivent être compensés - par le biais d'une allocation spécifique et de l'indexation des dotations - et nous exigeons que les régions les moins favorisées ne soient pas pénalisées. Comment M. Raffarin, qui était hostile à l'expérimentation sur les transports ferroviaires dans sa région, peut-il aujourd'hui proposer de l'inscrire dans la Constitution ?

M. le Ministre délégué - Cela ne vous a pas empêché de le faire !

M. Émile Zuccarelli - Loin de faire de l'obstruction, nous faisons notre métier de parlementaire. Si nous avions fait preuve de moins de combativité, ce débat eût été expédié en deux temps-trois mouvements et le pays n'aurait pas été éclairé sur ces questions essentielles. Mme Royal propose de supprimer l'alinéa ; j'ai déposé un amendement qui ne va pas aussi loin.

Vous nous demandez de réviser la Constitution ! Vous devez nous dire comment sera conformé l'âne qui est dans le sac !

M. le Ministre délégué - M. Brard l'a changé en lapin ! (Sourires)

M. Émile Zuccarelli - Sans doute vais-je retirer mon amendement car je crains qu'il n'ait guère de chances d'aboutir mais je souhaite être éclairé sur un point précis. Il nous est dit que l'on va pouvoir déroger aux dispositions législatives ou réglementaires. Mais qui déroge ? Et déroger, est-ce prendre des dispositions dérogatoires ou en bénéficier ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

La question ne relève pas du fantasme. Qui fait la loi ? Le pouvoir d'adapter les lois a donné lieu à des interprétations très variées. On a pu parler de pouvoir législatif partagé, encadré ou de pouvoir législatif tout court ou inexistant !

Je suis attaché à ce que le pouvoir législatif reste l'apanage du Parlement. Le mot « déroger » permet toutes les interprétations : comment devons-nous le lire ?

L'amendement 70, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne - Le quatrième alinéa de l'article exclut la possibilité de dérogation quand « les conditions essentielles d'exercice des libertés publiques sont en cause ». C'est bien le moindre. Mais l'adjectif « essentielles » est superflu. Toutes les conditions d'exercice des libertés publiques doivent être respectées sans restriction. C'est pourquoi notre amendement 178 tend à la suppression de cet adjectif.

M. le Rapporteur - Votre amendement réduit les possibilités d'expérimentation, alors que nous voulons les élargir. Si nous modifions la Constitution, c'est bien pour agrandir les marges de man_uvre dans lesquelles nous enfermait le Conseil constitutionnel. Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Avis défavorable. Mais la notion de « conditions essentielles » a été dégagée par le Conseil constitutionnel lui-même, nous faisons donc référence à sa jurisprudence.

L'amendement 178, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Présidente - Les amendements 13, 42, 71 et 179 sont identiques.

M. le Rapporteur - L'amendement 13 rétablit le texte initial du Gouvernement. Le Sénat a interprété les mots « en cause » comme signifiant « mis en cause », ce qui n'est évidemment pas l'intention du texte, s'agissant de droits constitutionnels.

M. Jean-Luc Warsmann - L'amendement 42 est défendu.

Mme Ségolène Royal - L'amendement 71 est défendu.

M. André Chassaigne - Nous souhaitons aussi revenir à la rédaction initiale.

M. le Ministre délégué - Sagesse.

Les amendements 13, 42, 71 et 179, mis aux voix, sont adoptés.

M. René Dosière - Je salue cette unanimité historique !

M. Hervé Mariton - Je retire l'amendement 2.

M. Paul Giacobbi - Je sais que mon amendement 102 ne sera pas adopté, mais il est destiné à susciter le débat.

Monsieur le ministre, vous faites de l'expérimentation un maître-mot de cette réforme. M. Clément a affirmé qu'elle évitait la différenciation juridique.

Cependant, cette expérimentation, qui en rassure certains et met en appétit les audacieux, pose de nombreuses questions. Il serait idiot d'abandonner une réforme expérimentée et réussie dans une collectivité donnée lorsqu'elle est difficilement transposable ailleurs : pourtant le texte ne laisse pas d'autre alternative que l'abandon ou la généralisation.

Autre question pratique, la durée de l'expérimentation et son renouvellement éventuel, compte tenu de la faible longévité de nos lois. Il faut un certain temps, et pas seulement en Corse, pour lancer une expérimentation.

On l'a vu avec le transfert à la Corse de la compétence pour les routes nationales : il fallait recruter des ingénieurs, en muter d'autres etc., cela a demandé plusieurs années.

Enfin, en cas d'expérimentation ratée, peut-on réellement revenir en arrière et retirer à la collectivité la compétence transférée ? Le cas ne doit pas être fréquent ! On parle certes de « recentralisation » à propos de comportements, mais je ne sais pas s'il y a eu réellement des exemples de « recentralisation » véritable. Comment pourra s'opérer ce retour en arrière quand il y aura eu transfert de personnels, de terrains etc. ?

L'expérimentation est une excellente chose, mais affirmer qu'il n'y aura pas de différenciation parce qu'on peut toujours revenir en arrière ne me paraît pas réaliste.

M. le Rapporteur - Nos amendements sont opposés, mais cela dit, vous posez de vraies questions. Elles seront discutées avec M. Devedjian lors de l'élaboration des lois d'habilitation et nous pouvons commencer à y réfléchir dès maintenant. Il y a effectivement des domaines où le retour en arrière paraît difficile à envisager.

Mais aujourd'hui nous en sommes au plan des principes et l'amendement 14 de la commission reprend à l'article 4 l'idée proposée par le Sénat à l'article 2, à savoir encadrer l'expérimentation en précisant son objet et en fixant des délais.

Je voudrais donner deux précisions à M. Giacobbi. D'abord, que se passe-t-il lorsque l'expérimentation, qui est de durée limitée, a réussi mais qu'elle n'est pas généralisable ? La dernière loi sur la Corse a résolu le problème : dans ces cas peu répandus, le législateur peut, s'il le souhaite, passer par le statut particulier.

Ensuite, c'est le législateur qui définira au cas par cas les conditions de chaque expérimentation. Vous venez de nous dire que sur trois ans, la première année est perdue et parfois même la seconde. Ce n'est pas le cas seulement dans votre région !

M. Paul Giacobbi - Cela arrive même au nord de la Loire !

M. le Ministre délégué - Si l'expérimentation prend du retard, le législateur pourra naturellement décider de la prolonger, voire de la réorienter si cela apparaît nécessaire.

M. Paul Giacobbi - Je retire l'amendement 102.

L'amendement 14, mis aux voix, est adopté.

M. Émile Zuccarelli - Je voudrais d'abord attirer votre attention sur les termes employés. Une expérimentation doit être réversible, sans quoi c'est un essai. Tenter une opération ou une autre sur un malade est un essai, pas une expérience. Cette précision est indispensable pour ne pas donner lieu à des malentendus.

L'amendement 36 supprime la possibilité pour les collectivités locales de déroger à des dispositions législatives. Dans la dérogation, qui est le sujet et qui est l'objet ? Qui fait la loi, et quelles sont la nature et la portée des décisions dérogatoires ?

M. le Rapporteur - Vous voulez restreindre l'expérimentation au domaine réglementaire, mais pour cela il n'est pas besoin de réviser la Constitution : cela a justement été fait pour la Corse ! L'expérimentation dans des matières législatives est un des points importants de ce projet, et nous ne voulons pas la supprimer.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. Émile Zuccarelli - J'ai peur que vous ne m'ayez prêté qu'une oreille peu attentive. D'abord, j'ai simplement dit que ne pas utiliser les termes appropriés, expérimentation ou essai, expose à des malentendus. Mais j'ai voté l'amendement de la commission ! Je demande simplement à savoir de quelle nature sont les décisions prises par dérogation par les collectivités locales : réglementaires ou législatives ? Relèvent-elles du juge administratif ou constitutionnel ?

M. le Rapporteur - Il est bien évident que si la loi organique décentralise une compétence d'origine législative, les décisions prises en la matière deviennent réglementaires et relèvent du seul juge administratif.

M. le Ministre délégué - C'est la grande différence avec ce que les accords de Matignon prévoyaient pour 2004, c'est-à-dire le transfert d'un pouvoir législatif. Les décisions dérogatoires prises par les collectivités locales ont une nature réglementaire. La philosophie est fondamentalement différente.

M. Émile Zuccarelli - Je retire l'amendement 36.

Mme Ségolène Royal - Les collectivités locales vont être autorisées à déroger aux lois et règlements. Mais on peut déroger en mieux comme en pire ! Par l'amendement 72, nous proposons donc de préciser qu'elles ne pourront faire que mieux que ce qui existe, c'est-à-dire élargir un droit, renforcer une protection ou améliorer un service rendu aux usagers. Je ne pense pas que vous pourrez vous opposer à une telle précision, qui rassurerait tout le monde. Cet amendement précise également que les dérogations ne peuvent pas remettre en cause le principe d'égalité devant le service public - et donc devant la loi, puisque pour vous c'est la même chose.

M. Devedjian nous a dit que l'inscription de l'expérimentation dans la Constitution permettrait de faire échec à certaines jurisprudences du Conseil constitutionnel. Peut-il nous préciser quels types de décision seraient concernés ? Le Conseil a par exemple clairement affirmé qu'une loi qui laisserait à des décisions des collectivités locales - par essence variables - le soin de déterminer les conditions d'exercice de certains droits serait anticonstitutionnelle. Mais dorénavant, il ne pourra plus sanctionner des lois selon un tel principe, y compris celles qui autoriseraient des dérogations aux principes d'égalité !

M. Bernard Stirn a donné l'exemple de la décision qui avait censuré la modification de la loi Falloux du 15 mars 1850, au motif qu'elle aurait laissé aux collectivités locales une marge d'appréciation trop large pour les aides aux établissements privés d'enseignement. Elle aurait donc entraîné une rupture d'égalité devant la loi. Plus généralement, dans l'état actuel de la Constitution, le législateur ne peut pas limiter la compétence de l'Etat aux seules garanties fondamentales des libertés publiques.

Avec votre article 4, la même réforme de la loi Falloux, c'est-à-dire la libéralisation totale du financement des établissements privés, serait-elle possible ? Vos objectifs font-ils obstacle à ce qu'on inscrive clairement dans la Constitution qu'on ne peut déroger que vers le haut et que les dérogations ne peuvent en aucun cas remettre en cause le principe d'égalité ?

M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois - La commission a émis un avis défavorable : il est évident, d'une part, que le Parlement ne décidera de procéder à une expérimentation que dans l'objectif d'améliorer le service rendu aux usagers, d'autre part, que le principe d'égalité devra être respecté.

M. le Ministre délégué - Défavorable. Le débat sur l'encadrement de l'expérimentation aura sa place dans la discussion de la loi organique. Vous nous reprochez d'être bavards dans la Constitution, mais vous contribuez à ce bavardage !

Avons-nous pensé à la loi Falloux pour nous déterminer ? Non !

Pour le reste, le Conseil constitutionnel considère qu'on peut déroger au principe d'égalité si l'intérêt général le justifie. A cet encadrement jurisprudentiel, le souci de sécurité juridique conduit à préférer un encadrement par des normes écrites. C'est aussi une question de souveraineté nationale : il revient au constituant de déterminer lui-même dans quelle latitude on peut déroger au principe d'égalité.

L'amendement 72, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Ségolène Royal - Monsieur le ministre, notre bavardage a un bon motif : apporter des garanties contre une « République en morceaux ». Vous nous renvoyez à la loi organique, dont nous ne connaissons même pas les grandes lignes : mieux vaut inscrire dans la Constitution qu'on ne peut déroger que dans un sens positif. C'est le but de mon amendement 73.

M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois - Pour les mêmes raisons, avis défavorable de la commission.

L'amendement 73, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Ségolène Royal - Notre amendement 74 concerne la non remise en cause du principe d'égalité devant le service public. Le dire, c'est bien, l'écrire, c'est mieux... Car on peut craindre le creusement des inégalités.

M. André Chassaigne - En effet.

L'amendement 74, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Ségolène Royal - Par l'amendement 75, nous proposons d'écrire dans la Constitution que tout transfert de compétence doit faire l'objet d'une évaluation annuelle - mieux vaut, là encore, ne pas se contenter d'en parler -, et de préciser que les citoyens doivent y être associés.

L'amendement 75, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Ségolène Royal - Notre amendement 76 tend à supprimer l'avant-dernier alinéa, qui concerne la notion de « chef de file ». La commission pour l'avenir de la décentralisation, présidée par Pierre Mauroy, l'avait retenue, mais elle n'a pas à être constitutionnalisée.

L'amendement 76, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Émile Zuccarelli - A l'avant-dernier alinéa de l'article 4, qui concerne la désignation d'une collectivité chef de file, le Sénat a introduit, à juste titre, une première phrase précisant qu'aucune collectivité ne peut exercer une tutelle sur une autre. Mais elle est très affaiblie par le mot « cependant » qui introduit désormais la deuxième phrase, et dont M. le Garde des Sceaux a expliqué toute l'importance... Mes amendements 34 et 35 ont un même but, supprimer cet mot.

M. le Rapporteur - Pour ne rien vous cacher, je me suis moi-même interrogé sur cette question... Mais une collectivité chef de file ne pourra contraindre une autre collectivité à financer un projet que s'il y a convention préalable entre elles ; une contrainte acceptée n'étant plus une tutelle, le mot « cependant » ne contredit pas la première phrase.

M. le Ministre délégué - Avis défavorable car il est bon d'introduire un mot de liaison entre deux phrases qui pourraient paraître contradictoires.

Cela dit, la disposition ne peut avoir pour effet d'imposer à une collectivité de financer un projet qui a été décidé par une autre collectivité.

M. Émile Zuccarelli - Je retire l'amendement 34 mais je maintiens l'amendement 35.

Monsieur le ministre, il s'agit d'exigence intellectuelle : il ne faut pas laisser penser que par un moyen détourné, on rétablit une certaine forme de tutelle.

M. André Chassaigne - Lier les deux phrases de cet alinéa par « Cependant » affaiblit considérablement sa portée, et le rend même équivoque. « Cependant » est employé ici comme une conjonction qui, par une transition à peine sensible, prend un sens adversatif, je veux dire qu'il marque une opposition entre ce qui précède et ce qui suit. Son emploi tend à laisser croire qu'une collectivité locale pourrait exercer une tutelle sur une autre, alors qu'il est seulement prévu que la loi peut autoriser une action commune des collectivités territoriales.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Si l'on ôtait l'adverbe, des contentieux pourraient se faire jour ; il y en aurait moins en le maintenant.

M. le Ministre délégué - Défavorable.

L'amendement 35, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Luc Warsmann - M. Daubresse m'a demandé de présenter son amendement 15 qui a été adopté par la commission des lois. Le Sénat avait donné aux groupements la possibilité d'avoir accès à l'expérimentation. M. Daubresse souhaite donner la possibilité aux groupements de jouer le rôle de chef de file.

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée.

M. le Rapporteur - Le Sénat avait donné aux ECPI la capacité d'expérimentation ; cet amendement leur donne la capacité d'être chef de file. Le texte gagnera ainsi en cohérence.

L'amendement 15, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Luc Warsmann - L'amendement 9 est défendu.

L'amendement 9, repoussé par la commission et le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Hervé Mariton - Mon amendement 1 corrigé et l'amendement 4 de M. Goulard proposent de supprimer le dernier alinéa de l'article 4 du projet. L'esprit de la décentralisation ne justifie plus l'identification d'un représentant de l'Etat dans le ressort des collectivités de la République.

Lors même que le représentant de l'Etat existerait, dans quelle circonscription, selon quel découpage ? L'institut de la décentralisation présidé par Adrien Zeller a défendu la thèse qu'il n'y ait pas de correspondance systématique entre le représentant de l'Etat et l'organisation des collectivités territoriales.

J'ajoute que les compétences données à ces représentants de l'Etat ne correspondent pas à l'esprit de la décentralisation. Il en va de même pour le « contrôle administratif ». Est-ce une tutelle sur les collectivités territoriales ? Mais y a-t-il alors décentralisation ? S'agirait-il du contrôle de légalité ? Un membre du corps préfectoral me disait que ce contrôle de légalité est de la fausse monnaie tant les moyens sont insuffisants et tant la garantie est illusoire. Il n'est pas rare que préfets et sous-préfets donnent un blanc-seing à un acte qu'ensuite le juge administratif annulera. Si le représentant de l'Etat disparaissait, l'administration territoriale n'en serait pas de moins bonne qualité.

J'ajoute que les préfets sont indispensables à un Etat qui fonctionne mal, mais comme ils existent, l'Etat peut continuer de mal fonctionner.

Mme Ségolène Royal - C'est scandaleux !

M. Hervé Mariton - Des pans entiers de notre administration ne répondent pas à l'esprit d'une majorité, en particulier quand elle est de droite (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

L'existence de préfets loyaux permet de rattraper ces écarts, mais des gouvernements renoncent aussi à ce que leur volonté soit correctement transmise par les administrations techniques de l'Etat.

Nous examinons une réforme de la Constitution qui doit avoir une philosophie : en déplaçant une seule pièce, il est possible de modifier fondamentalement l'architecture institutionnelle du pays.

M. le Rapporteur - Si M. Mariton me le permet, je voudrais m'adresser à l'ingénieur des poids et mesures qu'il est : avez-vous bien pesé votre amendement ? S'il n'y a plus de préfets, c'est que nous serons devenus un pays fédéral. Tel n'est pas notre objectif.

M. le Ministre délégué - Ce gouvernement a trouvé, en arrivant aux responsabilités, des préfets qui avaient été nommés par le gouvernement précédent. Tous, sans exception, sont d'une parfaite loyauté. Ce corps de grande qualité est indispensable. Vous dites que la France et son administration sont malades. Peut-être, il nous reste au moins une colonne vertébrale et vous nous proposez de retirer quelques vertèbres : alors nous nous affaisserions complètement !

Vous avez eu raison de critiquer le contrôle de légalité ; le Gouvernement et le corps préfectoral sont conscients de ses déficiences. Depuis vingt ans, le contrôle de légalité a évolué, il est aujourd'hui bien inadapté - mais il reste indispensable. La liberté a pour contrepartie la responsabilité.

M. Hervé Mariton - Le juge est là.

M. le Ministre délégué - Encore faut-il un procureur pour exercer les poursuites, car le juge ne se saisit pas de lui-même - en l'occurrence, c'est ce que font les préfets.

Certes, il faut réformer le contrôle de légalité, car le champ du droit s'est compliqué ; nous avons un système généraliste et nous devons tendre vers un système de spécialistes. Le corps préfectoral et aussi le gouvernement précédent ont utilement réfléchi au problème. Je souhaite que vous retiriez votre amendement.

M. René Dosière - Le discours de M. Mariton fait apparaître la diversité de pensée de l'UMP...

M. Hervé Mariton - C'est sa richesse !

M. René Dosière - ...et participe de l'héritage de ceux qui, en 1969, ont chassé le général de Gaulle. Je suggère à notre collègue de relire le discours de Michel Debré lors de la séance du 27 juillet 1982.

Il faut être bien ignorant pour parler ainsi du corps préfectoral. Depuis sa création, par Bonaparte, le corps préfectoral s'est adapté, et notamment depuis 1982, les préfets n'étant plus les exécutifs locaux.

Quant au contrôle de légalité, certains préfets se trouvent contraints de l'exercer de manière très inconfortable, cumul des mandats aidant : imagine-t-on leur situation, lorsqu'il leur faut déférer les actes pris par tel ministre en sa qualité de responsable d'une collectivité territoriale ?

M. Jean-Luc Warsmann - Ce n'est pas si fréquent.

Mme Ségolène Royal - C'est peu dire que l'amendement me choque. Celui qui veut supprimer les préfets, incarnations de l'impartialité, de la neutralité et de la continuité de l'Etat, incarnation, aussi, de l'ordre public et de l'unité de la nation ne rêve en fait que d'une décentralisation ultra-libérale, et d'une République éclatée (M. Hervé Mariton proteste). Ce n'est pas ce que souhaitent les Français, qui veulent un Etat déconcentré - mais nos amendements à ce sujet ont été repoussés. Comme les préfets, l'administration de l'Etat accomplit un travail remarquable ; on ne peut que déplorer que les départs à la retraite de ses agents ne soient pas compensés, car la présence de l'Etat en certains points du territoire se fait trop peu sentir. J'observe enfin que de nombreux postes de sous-préfets sont vacants, ce qui est fort dommage car il apportent une aide précieuse aux collectivités locales dans la mise au point de financements croisés.

J'exprime le plus profond désaccord avec la proposition formulée par un parlementaire qui, lui-même issu d'une grande école publique, n'hésite pas à scier la branche sur laquelle il est assis.

M. André Chassaigne - Cet amendement traduit la tendance, récurrente sur certains bancs, à l'ultra-libéralisme. Il y a quelques semaines, déjà, j'avais été effaré d'entendre proposer la suppression de l'ENA. Ces diverses tentatives cachent mal une remise en cause de la cohésion nationale.

Les préfets jouent un rôle irremplaçable au sein d'une organisation administrative dont notre pays peut s'honorer. Elu, depuis longtemps, en zone rurale, je peux témoigner avoir toujours trouvé dans le corps préfectoral des interlocuteurs attentifs et prêts à m'aider.

M. Hervé Mariton - Je n'ai pas mis en cause la qualité du corps préfectoral, (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et je crois en un Etat au service de la nation. Le problème est qu'aujourd'hui les préfets font croire à nos concitoyens que l'Etat est encore ce qu'il n'est plus. De plus, il me paraît curieux d'inscrire dans la Constitution le rôle du préfet.

M. le Ministre délégué - Cette inscription y figurait déjà !

M. Hervé Mariton - C'est bien pourquoi il faudrait la retirer ! Un pays décentralisé doit modifier son organisation administrative ; d'ailleurs, il existe en Europe bien des pays dans lesquels l'Etat n'a pas de représentant dans chaque territoire.

M. Victorin Lurel - Les motivations de cet amendement sont aussi limpides que scandaleuses : il s'agit de substituer le marché à l'Etat.

M. Hervé Mariton - Mais non !

L'amendement 1 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 40.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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