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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 45ème jour de séance, 118ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 16 JANVIER 2003

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

Sommaire

ACCORD COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES-CROATIE (Procédure d'examen simplifiée) 2

ACCORD COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES-MACÉDOINE (Procédure d'examen simplifiée) 4

PRÉVENTION DES RISQUES BIOTECHNOLOGIQUES
(
Procédure d'examen simplifiée) 5

ACCORD D'ASSOCIATION ENTRE LES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET L'ÉGYPTE (Procédure d'examen simplifiée) 10

CONVENTION FRANCO-SUISSE
SUR LE RÉSEAU FERRÉ
(Procédure d'examen simplifiée)
14

APPROBATIONS - RATIFICATIONS D'ACCORDS OU DE CONVENTIONS 15

CONVENTION FRANCE-ALLEMAGNE DOUBLES IMPOSITIONS 15

ACCORD FRANCE-RUSSIE RESPONSABILITÉ CIVILE DOMMAGES NUCLÉAIRES 15

CONVENTION FRANCE-ANDORRE COOPÉRATION ADMINISTRATIVE 15

SÉCURITÉ INTÉRIEURE (suite) 16

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 16

La séance est ouverte à neuf heures.

ACCORD COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES-CROATIE
(
Procédure d'examen simplifiée)

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la République de Croatie, d'autre part.

M. le Président - Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée, dans les conditions prévues à l'article 106 du Règlement.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Si vous le permettez, je traiterai ensemble les deux premières conventions que nous devons examiner ce matin, concernant respectivement la Croatie et la Macédoine.

L'Union européenne, en entreprenant en juin 1999 le processus de stabilisation et d'association des cinq pays des Balkans occidentaux - Albanie, Macédoine, Bosnie-Herzégovine, Croatie, République fédérale de Yougoslavie - partait d'une triple constatation.

Ces pays, épuisés par des années de guerre, ne pouvaient être traités par le biais d'un accord d'association classique. Il fallait qu'ils puissent bénéficier des « dividendes de la paix » établis par les accords de Dayton en disposant d'une perspective crédible d'adhésion potentielle à l'Union européenne.

Les pays balkaniques devraient également normaliser leurs relations politiques et économiques dans la perspective d'une intégration régionale, tout en restructurant leurs institutions et leur économie pour les adapter aux normes européennes.

L'ancienne République yougoslave de Macédoine, le 9 avril 2001, et la Croatie, le 29 octobre 2001, ont été les deux premiers États à signer ce nouveau type d'accord.

Le processus de stabilisation et d'association représente un engagement à long terme de l'Union européenne à l'égard de cette région.

Dès le préambule de ces accords, une « clause évolutive » confirme aux deux pays leur qualité de candidats potentiels à l'adhésion.

Un renforcement du dialogue politique est prévu, destiné à promouvoir le rapprochement entre ces pays balkaniques et l'Union européenne, la sécurité et la stabilité en Europe, ainsi que la coopération régionale. Il se déroulera sur le plan ministériel, au sein du conseil de stabilisation et d'association, et sur le plan parlementaire, au sein de la commission parlementaire de stabilisation et d'association.

La coopération régionale est une spécificité de ces accords. Conformément aux conclusions du sommet de Zagreb du 24 novembre 2000, où les pays balkaniques s'étaient engagés à progresser sur la voie de l'intégration régionale, les accords de Luxembourg portent obligation de conclure des conventions de coopération régionale avec les autres pays de la région qui seront liés par un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne et offrent la possibilité d'en conclure avec d'autres pays candidats à l'UE.

Ces accords traduisent l'engagement de leurs signataires de parvenir, au terme d'une période de transition, à une pleine association avec l'Union européenne, l'accent étant mis sur le respect des principes démocratiques et sur la reprise des éléments fondamentaux de l'acquis communautaire.

Sur le plan économique, l'établissement d'une zone de libre-échange, pendant une période transitoire maximale de dix ans, renforcera les relations entre ces pays et l'Union européenne. Cette zone est le lieu de dispositions particulières pour les produits agricoles et de la pêche ainsi que pour l'acier et les textiles.

Afin de favoriser cette transition, les deux pays bénéficieront de préférences commerciales asymétriques exceptionnelles, qui faciliteront leur accès au marché communautaire des produits industriels et agricoles.

D'autre part, un nouveau programme d'assistance à la région, le programme CARDS, doté de 4,65 milliards d'euros pour la période 2000-2006, tend à conforter le processus de réformes démocratiques.

L'ouverture progressive de ces marchés et le rapprochement de leur législation avec celle de la Communauté sont susceptibles d'avoir des effets positifs pour les entreprises françaises. De même, les coopérations administratives devraient être favorables à notre expertise administrative.

Cette ouverture sera facilitée par les dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs et des capitaux, et à la prestation des services.

Un rapprochement de la législation de ces deux pays dans plusieurs domaines-clés de l'acquis communautaire est prévu - notamment concernant les quatre libertés de circulation du marché intérieur : marchandises, personnes, services et capitaux.

Une coopération plus étroite dans le domaine de la justice et des affaires intérieures est également prévue. Elle portera sur le renforcement de l'Etat de droit, sur les visas, sur le droit d'asile, le contrôle de l'immigration clandestine, les accords de réadmission, enfin sur la lutte contre le blanchiment des capitaux, contre la criminalité et le trafic de stupéfiants.

Les accords traitent de coopération dans de nombreux autres domaines.

Deux accords intérimaires sont entrés en vigueur afin de faire bénéficier les pays balkaniques des dispositions relatives à la libre circulation des marchandises. Les accords de Luxembourg entreront en vigueur lorsque l'ensemble des parties auront déposé leurs instruments de ratification - c'est le cas de l'ancienne République de Macédoine et de sept Etats membres, ainsi que de la Croatie et de cinq Etats membres.

Tel est l'objet des projets de loi qui vont sont aujourd'hui soumis.

M. Loïc Bouvard, rapporteur de la commission des affaires étrangères - En juin 1999, l'Union européenne a lancé le processus de stabilisation et d'association pour les Balkans occidentaux qui s'inscrit dans le cadre du Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est.

Ce processus repose sur l'idée que la perspective d'intégration dans l'Union européenne constitue le principal levier pour inciter ces pays à réaliser les réformes nécessaires. L'établissement, entre eux, de relations normales contribuera à la stabilité de la région.

Ce processus s'appuie sur le programme CARDS, et sur l'agence européenne pour la reconstruction. Il se traduit par la négociation et la conclusion d'accords de stabilisation et d'association.

Bien que l'ancienne République yougoslave de Macédoine soit le premier pays de la zone à avoir signé un tel accord - le 9 avril 2001 - la Croatie, qui l'a signé le 29 octobre 2001, est le pays le plus avancé sur la voie de ce processus. Si les autorités croates disposent de six années pour appliquer l'accord, elles ont fait savoir que trois ans seulement leur seraient nécessaires et comptent déposer une demande d'adhésion à l'UE au 1er janvier 2007.

La perspective d'adhérer à l'Union européenne constitue un stimulant pour tous les Etats de l'Europe du Sud-Est. L'empreinte des conflits qui ont embrasé la région au XXe siècle est encore très profonde. Ces pays hésitent ainsi entre deux logiques contradictoires : stabilisation puis reconstruction, ou désintégration puis recomposition ethnique.

L'Union européenne doit associer intégration et démocratisation. Seul ce projet permettra à ces pays de surmonter les haines ancestrales issues du nationalisme ; seule l'Union européenne est capable de mettre à profit l'élan démocratique née en 2000.

Ces pays ont pris conscience des méfaits du nationalisme ethnique. Ils ont compris l'enjeu d'une politique de coopération régionale, dont l'objectif n'est pas la reconstitution de l'ex-Yougoslavie, mais l'instauration d'un dialogue interétatique et l'intégration d'Etats distincts au sein de l'Union européenne.

Cette coopération régionale est une condition sine qua non pour bénéficier du pacte de sécurité pour l'Europe du Sud-Est. Elle constitue également l'une des conditions des accords de stabilisation et d'association, qui traitent de cette question dans leur titre III. Les pays signataires s'engagent à entamer des négociations dès la signature de l'accord et doivent conclure une convention de coopération régionale dans les deux ans suivant son entrée en vigueur.

Avec les accords de stabilisation et d'association et des mesures commerciales fondées sur une libéralisation asymétrique des échanges, l'Union européenne se donne les moyens d'une politique économique et commerciale dans la région, alors que jusqu'à présent elle paraît au plus pressé en injectant des aides ponctuelles.

Eu égard aux difficultés que ces pays ont connues - éclatement de l'ex-Yougoslavie, gestion de la période post-communiste - ou connaissent actuellement - mise en place progressive d'un Etat de droit et d'institutions démocratiques -, je vous recommande donc vivement, mes chers collègues, d'adopter ces deux projets.

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

ACCORD COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES-MACÉDOINE
(Procédure d'examen simplifiée)

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et l'ancienne République yougoslave de Macédoine, d'autre part.

M. le Président - Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée, dans les conditions prévues à l'article 106 du Règlement.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Je me suis déjà exprimé.

M. Loïc Bouvard, rapporteur de la commission des affaires étrangères - Moi aussi.

M. Henri Sicre - J'interviens en lieu et place de François Loncle, qui a été retardé.

Le groupe socialiste se félicite de la perspective d'une ratification de ces accords. Notre vote favorable sera une manifestation de l'espoir que suscite le travail remarquable effectué par les Quinze pour préparer le retour de ces pays dans la famille européenne. En tant que président de la commission des affaires étrangères, François Loncle avait reçu le 11 mai 2000 le Président croate, qui n'avait pas choisi par hasard la France pour faire sa première visite.

Nous avons tous en mémoire les événements tragiques qui ont mis la Bosnie, la Croatie, la Macédoine, le Kosovo à la une de l'actualité et qui ont forcé la communauté internationale à engager un bras de fer avec la Serbie. La logique de guerre a été, espérons-le, définitivement brisée. Je veux saluer ici le rôle exemplaire qu'ont joué et que continuent de jouer nos soldats et nos diplomates.

A l'occasion de la conférence de Zagreb le 9 novembre 2000, le ministre Hubert Védrine avait fixé le cap de nos rapports avec la Croatie, la Macédoine et leurs voisins. Nous ne pouvons bien sûr aujourd'hui que manifester notre approbation du processus de stabilisation et d'association en votant ces deux projets. Mais François Loncle suggère d'assurer un suivi parlementaire de ces traités, en coopérant de façon plus effective avec les élus de Croatie et de Macédoine.

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

PRÉVENTION DES RISQUES BIOTECHNOLOGIQUES
(
Procédure d'examen simplifiée)

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation du protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la convention sur la diversité biologique.

M. le Président - Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée, dans les conditions prévues à l'article 106 du Règlement.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Négocié en application de la convention sur la diversité biologique, adoptée le 22 mai 1992 au sommet de Rio de Janeiro, le protocole de Carthagène a pour objectif principal de renforcer la sécurité des échanges internationaux d'organismes vivants modifiés - OVM - en vue de protéger l'environnement, grâce à une évaluation des risques qu'ils peuvent présenter et conformément au principe de précaution.

Entreprises en juillet 1996 à Aarhus, les négociations se sont achevées à Montréal le 29 janvier 2000 par une adoption à l'unanimité. Le protocole, signé par 103 Etats, prévoit deux types de procédures. D'une part, une procédure d'accord préalable en connaissance de cause : l'importation d'un OVM destiné à être disséminé intentionnellement dans l'environnement - par exemple des semences - est subordonnée au consentement préalable de l'Etat importateur. D'autre part, une procédure d'information précoce applicable aux OVM destinés à être utilisés directement pour l'alimentation humaine ou animale ou à être transformés - par exemple des céréales : dès qu'une partie a pris la décision d'utiliser un OVM sur son propre territoire, elle doit en informer les autres parties pour leur permettre de se préparer à une demande éventuelle d'importation.

Toujours fondées sur une évaluation préalable des risques potentiels, ces deux procédures donnent ainsi à une partie la possibilité de soumettre à certaines conditions, voire d'interdire, un mouvement transfrontière intentionnel d'un OVM dont elle est destinataire. Ces décisions sont révisables, dans des délais déterminés, au gré du progrès des connaissances scientifiques.

Le dispositif est complété par un mécanisme d'alerte d'une partie vers l'Etat intéressé, concernant les mouvements transfrontières non intentionnels dangereux, c'est-à-dire les accidents.

L'efficacité du système reposera largement sur le partage d'informations. Le centre d'échange d'informations, base mondiale de données sur les OGM qui se trouve actuellement en phase pilote, renforcera l'autonomie des pays en développement en leur permettant de disposer des évaluations de risques déjà effectuées par d'autres parties. Il contribuera en outre à une meilleure transparence.

En posant des règles internationales harmonisées, fondées sur des principes similaires à ceux de la législation européenne, le protocole de Carthagène conforte la réglementation communautaire relative aux OVM, ce qui constitue un atout non négligeable dans la perspective d'un contentieux commercial éventuel avec les Etats-Unis.

Grâce aux financements du fonds pour l'environnement mondial, qui pourront être mobilisés par les pays en développement et en transition afin de se doter des moyens nécessaires à l'application du protocole, un grand nombre d'Etats pourront acquérir une capacité réelle de décision en matière d'OVM. Ce rééquilibrage des rapports entre Etats producteurs et Etats consommateurs d'OVM constituera un progrès décisif, eont des événements récents, tel le refus de la Zambie d'une aide alimentaire américaine contenant des OVM, soulignent toute l'importance.

Le protocole eevrait pouvoir entrer en vigueur cette année, 39 ratifications ayant été enregistrées à ce jour, dont celle de la Communauté européenne et de six Etats membres, sur les 50 nécessaires. Toutefois, le fait que les Etats-Unis, premier producteur mondial d'OGM, n'aient pas décidé de le ratifier, constitue un handicap certain, que les ratifications prévues du Canada et de la Chine ne compenseront que partiellement.

Lorsque le protocole enurera en vigueur, l'Union européenne sera en mesure de l'appliquer dans la mesure où la directive 2001/18, qui satisfait déjà à ses exigences en matière d'importation d'OGM, et dès lors qu'elle devrait promulguer prochainement un règlement clarifiant les obligations du protocole s'agissant des exportations d'OGM.

Telles sont les principales dispositions du protocole de Carthagène.

M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur de la commission des affaires étrangères - Le texte qui nous est soumis est important en soi, et pour les conséquences qu'il entraîne. D'abord, il est l'un des premiers à mettre concrètement en service le principe de précaution, dans la suite du premier sommet de la Terre réuni à Rio de Janeiro en 1992.

Les négociations entreprises en juillet 1996 à Aarhus se sont achevées à Carthagène, vieille ville colombienne d'où partaient les galions espagnols du Nouveau Monde, ce qui nous place dans le cadre de la mondialisation de l'économie.

Le protocole a été signé à Nairobi, siège du programme des Nations unies pour l'environnement, ce qui est également significatif, le 24 mai 2000.

Il tend à réglementer les échanges internationaux d'organes vivants modifiés, à établir des procédures de traçabilité et à créer une institution chargée de centraliser et de diffuser l'information sur ces produits.

En conséquence, il va à l'encontre des engagements de libéralisation des échanges dans le cadre de l'OMC, mais il peut contribuer à réduire les risques d'une mondialisation incontrôlée des échanges, en imposant une articulation entre droit international commercial et environnemental.

Il répond à un besoin urgent. L'évolution de la science et des techniques est rapide dans le domaine de l'ingénierie génétique. L'introduction des premiers plants génétiquement modifiés date des années 1980. Alors qu'elles occupaient 0,5 % de la zone agricole mondiale en 1996, les récoltes transgéniques en occupent actuellement 5 %, les Etats-Unis comptant pour deux tiers de ces récoltes et l'Argentine, pour 23 %. Il s'agit d'un sujet auquel l'opinion est sensible et qui fait l'objet de nombreuses campagnes d'hostilité.

Les attitudes des différents pays sont très variables.

L'Union européenne se dote actuellement d'un dispositif, pleinement compatible avec les principes fixés par le protocole de Carthagène. Un moratoire de fait avait été imposé en 1998 sur l'autorisation de nouvelles mises sur le marché et des normes strictes ont été émises dans une directive prenant effet le 14 février 2001. Sept pays de l'Union avaient instauré un moratoire sur les cultures d'OGM en 1999.

La Commission a accepté récemment un compromis. Le 29 novembre dernier, les ministres de l'agriculture ont ainsi prévu des seuils d'étiquetage des aliments au-delà de 0,9 % de composés transgéniques, tandis que les ministres de l'environnement ont décidé le 9 décembre d'obliger les opérateurs concernés à fournir une liste de « tous les OGM utilisés pour constituer le mélange » transportés par les vraquiers.

Le même souci de précaution existe en Australie et en Nouvelle-Zélande, mais aussi dans certains pays en développement, comme le Brésil et le Sri-Lanka, en raison de l'absence de certitude scientifique sur l'innocuité des produits. En revanche, les procédures sont simples et rapides aux Etats-Unis. L'étiquetage est exigé seulement si la nourriture est transgénique est substantiellement différente de son équivalent naturel.

Le protocole n'a pas été adopté sous la seule impulsion de pays riches. Certains pays en développement le soutiennent par crainte que leurs territoires puissent être utilisés pour des expérimentations. La Zambie a refusé récemment l'aide alimentaire de l'US Aid, redoutant l'origine transgénique de celle-ci. Les Etats-Unis ont soupçonné des pressions européennes.

Nous voilà placés devant l'une des manifestations de la confrontation entre Etats-Unis et Union européenne. D'un côté, la confiance dans le marché et la régulation naturelle issue de l'évolution de la technologie, de l'autre, la volonté de précaution et de sûreté de la connaissance scientifique, volonté largement issue de la crise de la vache folle.

Il est significatif que le protocole dispose que le manque de preuves scientifiques concernant des effets nuisibles des OGM sur la biodiversité, ne peut empêcher un pays signataire de restreindre ses importations d'un tel organisme.

Vous avez, Monsieur le ministre, détaillé les dispositions contenues dans le protocole. Je n'y reviens pas, sinon pour souligner la création d'un centre d'échange d'informations, auquel auront accès tous les acteurs économiques, et qui, en particulier, permettra aux pays pauvres de disposer d'une information qu'ils n'auraient pas pu acquérir eux-mêmes. Ajoutons que le protocole encourage l'éducation et la sensibilisation du public sur les risques que présentent les OVM.

L'intérêt majeur du protocole est d'imposer le principe de précaution dans le droit international, y compris commercial. Même s'il n'est pas excessivement exigeant sur l'information des consommateurs, il dépasse de loin la position des principaux pays exportateurs d'OGM et donne aux Etats une large liberté d'appréciation.

Pour entrer en vigueur, le protocole doit avoir été ratifié par 50 pays. A ce jour, il a été signé par 103 Etats et ratifié par 37 d'entre eux, dont 6 membres de l'Union européenne. Les quatre principaux pays producteurs d'OGM, Etats-Unis, Argentine, Canada et Chine, n'ont pas encore ratifié le protocole, les Etats-Unis n'en étant pas même signataire. Compte tenu de l'opposition de ces pays à une réglementation fondée sur le principe de précaution, le protocole a prévu un cadre de coopération avec les Etats non-parties.

L'Union européenne, elle-même, a ratifié le protocole sur la base d'une décision, adoptée à l'unanimité par le Conseil, en vertu du principe de compétence partagée.

Le protocole de Carthagène nous fait entrer dans la problématique d'une future organisation mondiale de l'environnement, exposée par le Président de la République à Johannesburg.

Le nouveau cycle de négociations de l'OMC s'est saisi de la compatibilité des accords multilatéraux en matière d'environnement avec les règles du commerce international. Mais les débats au sein du comité du commerce et de l'environnement, n'ont pour l'instant pas abouti.

C'est qu'il est difficile d'articuler le droit international environnemental avec le droit international commercial : les sanctions que peut prononcer l'organe arbitral de l'OMC font naturellement pencher la balance en faveur du droit commercial. Pour cette raison, il apparaît indispensable que l'OMC intègre certains principes, comme celui de précaution, dans son corpus de règles.

Le protocole, qui s'inscrit bien dans la logique de développement durable défendue à Johannesburg, consacre une avancée notable dans l'application du principe de précaution. Il constitue ainsi un signal fort adressé aux pays réticents à l'égard de celui-ci.

Surtout, son existence même oblige à articuler les règles de l'OMC avec le droit international environnemental. Il sera désormais établi que, quelles que soient les évolutions futures, et même si nos trois Académies se sont récemment prononcées sur le caractère non dangereux des OGM pour la santé humaine, la transparence est un impératif dû aux consommateurs, et l'information aux Etats. C'est dans ce contexte que votre commission vous propose d'adopter le projet.

M. Jean-Pierre Brard - Les propos du rapporteur illustrent bien le cas de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. Monsieur le rapporteur, votre allusion aux galions espagnols me rappelle ce qu'écrivait Las Casas au roi d'Espagne sur la conquête espagnole, qui fut très peu morale.

En parlant du risque de mondialisation incontrôlée, vous prêchez un converti. Je me félicite que nous nous rejoignions sur ce point, au-delà de nos différences politiques.

« Dame nature est un peu dépassée par les trouvailles de l'homme moderne. En manipulant la matière vivante, les chercheurs ne jouent-ils pas aux apprentis sorciers ? Quels seront les bénéficiaires de cette inquiétante loterie où se joue l'avenir de notre agriculture, de notre santé et de notre environnement ? Il est urgent, en attendant, d'imposer le principe de précaution. » Voilà ce que l'on peut lire sur le site Internet de Greenpeace.

De fait, dans l'état actuel des connaissances et des rapports de force entre industriels d'un côté, agriculteurs et consommateurs de l'autre, il est prudent de ne pas autoriser la dissémination commerciale des OGM.

Le protocole de Carthagène devrait, nous dit-on, contribuer à assurer un degré adéquat de protection de l'environnement et de la santé. Cependant le dernier conseil européen des ministres de l'environnement s'est satisfait d'avancées réglementaires sur l'étiquetage et la traçabilité, ainsi que d'une « réouverture probable du marché européen aux OGM ». C'est la langue d'Esope, alors que, sur ce point, des vides juridiques subsistent. De plus, l'Union européenne ne s'est toujours pas donnée les moyens d'établir les responsabilités en cas de contaminations génétiques. Il est inacceptable qu'une technologie qui n'a pas encore été testée de manière sérieuse soit disséminée dans l'environnement et dans la chaîne alimentaire sans qu'aucune règle de détermination des responsabilités ait été encore établie.

Mais les organismes génétiquement modifiés constituent aussi un enjeu économique considérable : la mise au point et la commercialisation de semences, par exemple, ont renforcé la position des grandes multinationales du secteur agro-alimentaire pour qui le profit importe plus que les considérations de santé publique. Nous avons donc le devoir de prendre en considération les souhaits, les interrogations et les craintes des consommateurs. Favorables à la thérapie génique, ceux-ci se montrent nettement plus réservés sur le recours au génie génétique en matière alimentaire. Ils entretiennent en effet un lien affectif fort avec leur alimentation, qu'ils souhaitent de qualité. Comme le constate le Conseil économique et social, ils sont sensibles à des craintes liées à des considérations psychologiques ou culturelles. L'essor des biotechnologies instaure donc de nouvelles relations entre science, politique et société. La France, dont les produits agro-alimentaires sont présents sur le marché mondial, doit s'appuyer sur leur réputation de qualité et sur sa tradition culinaire pour privilégier la recherche de la qualité, de manière à ce que les consommateurs européens tirent profit de la transgénèse en étant assurés de l'innocuité, de la provenance et de la nature des denrées - ce qui n'est certes pas encore le cas.

Les OGM concernent une multitude d'acteurs, qu'il convient de responsabiliser tous. Cela implique de faire prévaloir le principe de précaution - comme le demandent nos concitoyens - qui consiste à prendre des mesures de protection dès qu'un risque est avéré ou fortement soupçonné. Il faut également consacrer les crédits suffisants aux recherches sur les applications et sur l'innocuité des biotechnologies, recherches qui intéressent particulièrement le monde en développement.

Il ne faudrait pas que l'adoption de ce projet soit un prétexte pour emboîter le pas aux Américains, mais notre rapporteur m'a rassuré sur ce point, manifestant qu'il avait une fibre éthique, écologique et nationale à la fois : puisse-t-il adopter la même attitude sur d'autres sujets !

Je parlais de bouteille à moitié vide ou à moitié pleine : considérant les progrès en matière de traçabilité et d'étiquetage d'un côté et constatant des évolutions quelque peu inquiétantes de l'autre, je me comporterai en Normand que je suis et me cantonnerai dans une abstention positive, afin de vous encourager à aller plus loin, de sorte que je puisse un jour proche, j'espère, lever mes réserves.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet - Le protocole de Carthagène marque un progrès considérable dans la construction d'un droit international de l'environnement. Ce n'est certes pas la première fois que les logiques de l'écologie et du commercial international se confrontent, ni qu'on parvient à un accord pour rendre ce commerce plus sûr - ainsi a-t-on fait, déjà, pour le transport des substances chimiques et des déchets dangereux -, mais c'est la première fois que l'on pose une restriction à ce commerce dans un domaine où la dangerosité n'est pas prouvée. Le principe de précaution prend ici le pas sur celui de la liberté des échanges, en trouvant enfin une première application véritablement opératoire.

La négociation du protocole a, évidemment, été difficile, et le texte en porte la marque à travers certaines ambiguïtés, notamment pour ce qui est de l'articulation avec les accords commerciaux préexistants. Néanmoins, dans son équilibre compliqué, le protocole de Carthagène a le mérite de consacrer l'obligation, pour les importateurs, d'obtenir de la partie importatrice, un « consentement préalable en connaissance de cause ». Les pays importateurs seront donc désormais libres d'accepter ou de refuser les OGM. Ils disposeront pour cela d'un droit de s'informer, sans date limite. Cet instrument représente ainsi un progrès considérable pour les pays du Sud, disposant de peu de moyens de détection et d'expertise. Abritant la majeure partie de la diversité biologique mondiale, ils pourront par exemple refuser les OGM dérivés d'espèces présentes sur leur territoire : ainsi du maïs pour le Mexique.

Le protocole de Carthagène constitue le maillon indispensable du dispositif qui se met en place en Europe pour assurer un étiquetage fiable des produits. Comment étiqueter, en effet, si les vraquiers peuvent déverser dans les ports, indifféremment, céréales OGM et céréales non-OGM ? Cependant, ce maillon n'est pas tout à fait suffisant : ainsi le distinguo qui est fait entre « organismes vivants modifiés » et « organismes génétiquement modifiés » - le protocole ne couvrant que les premiers - ne permet pas de prendre en compte l'ensemble du problème. En outre, l'étiquetage requis pour les OVM destinés à l'alimentation et à la transformation reste trop limité.

Mais ce texte n'en est pas moins une pierre ajoutée à l'édifice juridique qui se construit en Europe pour garantir la traçabilité et l'étiquetage ; il accroît la liberté du consommateur et il ajoute au droit international de l'environnement. J'invite donc tous les collègues à voter ce projet.

M. Henri Sicre - Le groupe socialiste a souhaité donner un caractère public à son approbation du protocole de Carthagène. En effet, à l'heure où certains apprentis sorciers annoncent la création d'être humains sur catalogue, par clonage effectué selon la demande, il convient en effet de rappeler certaines vérités morales élémentaires. Le progrès scientifique et les échanges économiques obéissent souvent à des logiques divergentes : le premier s'appuie sur la liberté et le savoir, les seconds visent le profit et le pouvoir. La relation entre les deux est d'autant plus difficile à maîtriser que nous sommes, avec les biotechnologies, en territoire nouveau et qu'on use d'un vocabulaire - « biosécurité », « principe de précaution » - peu accessible au citoyen. Il s'agit pourtant là d'un débat crucial pour l'avenir, débat qui exige l'approche la plus large et la plus démocratique possible.

Il convenait d'organiser les rapports de la science et du commerce dans ce domaine encore mal connu que sont les organismes vivants modifiés. Le traité que nous allons approuver vise à organiser le transfert et la manipulation de ces OVM dans des conditions de sécurité maximale, dans le prolongement de la convention-cadre adoptée au sommet de Rio en 1992. Comme le réclamait récemment Alain Claeys, rapporteur du projet sur la bioéthique, les politiques doivent dire jusqu'où il est possible d'aller pour empêcher que le vivant devienne l'objet de transactions et de négoce. Pour cette seule raison, l'adoption du protocole s'impose.

Mais ce ne doit pas être une fin en soi et il me semble utile de rappeler ce que disait François Mitterrand à Rio : il constatait qu'un élan était donné, mais il insistait pour que soit reprise la proposition faite par la France, le 11 mai 1981, à La Haye. Cette proposition visait à créer une haute autorité de l'environnement et du développement durable. Elle est toujours d'actualité, d'autant que les égoïsmes sont toujours là pour briser l'élan - je pense bien sûr aux Etats-Unis et à leur conception de plus en plus unilatérale du droit.

Ces idées doivent, bien sûr, être défendues la semaine prochaine à Porto Alegre. Je comptais donc conclure en regrettant que notre groupe ait été écarté de la délégation que l'Assemblée y enverra, mais j'apprends à l'instant que la composition de cette délégation vient d'être modifiée, à l'arraché, de sorte que nous y serons représentés. Je note cependant que cet oubli n'était pas le premier : auparavant, une délégation invitée par le Parlement italien pour discuter en Sardaigne des problèmes du pourtour méditerranéen avait également été constituée sans représentation du groupe socialiste. Je souhaite donc que l'on revienne rapidement aux traditions de la commission des affaires étrangères.

M. le Président - Comme vous le savez, le Bureau de l'Assemblée nationale se réunit en ce moment. Le problème de la composition de la délégation se rendant à Porto Alègre a été abordé lors de la dernière réunion et je suis persuadé que les représentants de votre groupe au sein du Bureau comme de la commission des affaires étrangères sauront défendre leur position et que le Président Debré fera preuve à leur endroit de sa compréhension habituelle.

M. Henri Sicre - Il reste que notre participation a été obtenue à l'arraché !

M. Jean-Pierre Brard - C'est le propre des grands sportifs !

La discussion générale est close.

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

ACCORD D'ASSOCIATION ENTRE LES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
ET L'ÉGYPTE (Procédure d'examen simplifiée)

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres et la République arabe d'Egypte.

M. le Président - Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifié dans les conditions prévues à l'article 106 du Règlement.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - L'accord d'association entre la Communauté européenne et l'Égypte s'inscrit dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen rassemblant les quinze Etats membres de l'Union européenne et douze pays de la Méditerranée, décidé lors de la conférence de Barcelone de novembre 1995.

Dans le contexte de « l'après 11 septembre 2001 », cette politique de coopération et de dialogue doit constituer une priorité de l'action extérieure de l'Union. La conclusion des accords d'association avec les partenaires de la rive sud de la Méditerranée procède directement de sa mise en _uvre.

L'accord du 25 juin 2001 vise à adapter les relations contractuelles euro-méditerranéennes à l'évolution des règles commerciales multilatérales en vigueur depuis le cycle de l'Uruguay. Par ailleurs, l'entrée en vigueur du traité de Maastricht a fait ressortir la nécessité d'inclure les questions politiques dans les nouveaux accords, en particulier la référence au respect des droits de l'homme, considérée comme un « élément essentiel » de chaque accord.

Côté égyptien, la décision de signer cet accord résulte d'un arbitrage politique du Président Moubarak. Il témoigne de la volonté d'équilibrer les relations de l'Égypte entre les Etats-Unis et l'Union européenne.

L'accord conclu avec l'Égypte est similaire aux accords euro-méditerranéens signés avec la Tunisie, le Maroc et Israël. Il stipule que la violation des principes démocratiques et des droits de l'homme peut entraîner la suspension de l'accord. Celui-ci s'articule autour de huit titres pour répondre aux objectifs suivants.

Un dialogue politique régulier est établi entre les parties sur tous les sujets présentant un intérêt commun et, plus particulièrement, sur les conditions propres à garantir la paix, la sécurité, le respect des droits de l'homme et le développement régional.

L'accord fixe aussi les conditions de la libéralisation progressive des échanges de marchandises, avec pour objectif d'établir une zone de libre-échange sur une période de transition de douze ans au maximum.

Le texte fixe les modalités du droit d'établissement et la libéralisation des prestations de services.

L'établissement de règles relatives à la circulation des capitaux s'inspire des règles de concurrence communautaires. Les parties s'engagent également à protéger les droits de propriété intellectuelle, conformément aux normes internationales. Enfin, elles conviennent de libéraliser progressivement les marchés publics.

Un important volet de coopération économique est prévu afin d'accompagner la libéralisation des échanges et, en particulier, l'instauration d'un libre-échange industriel avec la Communauté. Cette démarche favorisera le rapprochement des économies, le développement des secteurs créateurs d'emplois et l'intégration régionale, tout en tenant compte de la nécessité de préserver l'environnement. Un éventail très large de domaines de coopération est ainsi couvert par cet accord et je tiens à attirer toute votre attention sur l'article 59 relatif à la lutte contre le terrorisme.

L'institution d'une coopération renforcée portant sur les questions sociales est également prévue. Elle concernera les conditions de vie et de travail des travailleurs employés légalement, et traitera de l'ensemble des questions liées à l'immigration.

La coopération financière sera menée grâce à l'enveloppe globale arrêtée par le Conseil européen pour la Méditerranée, soit 5,35 milliards d'euros pour la période 2000-2006. Elle visera en priorité à moderniser l'économie et à promouvoir l'investissement privé.

Enfin, l'accord inclut des dispositions institutionnelles permettant son application : un conseil d'association se réunit annuellement au niveau ministériel ; un comité d'association est chargé de la gestion de l'accord.

Pour notre pays, cet accord primordial permettra d'ouvrir progressivement le marché égyptien aux exportations européennes et de favoriser l'ouverture politique de notre partenaire en intensifiant la coopération régionale au Proche-Orient.

Enfin, en raison de son poids politique, culturel, démographique, économique et de son rôle prépondérant dans une région à haut risque, l'Égypte est un partenaire essentiel pour la réussite du processus euro-méditerranéen. Je vous invite par conséquent à adopter sans réserve le présent texte.

M. Jean-Claude Guibal, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères - M. le ministre vient de nous le rappeler. Cet accord s'inscrit dans le cadre de la politique méditerranéenne de l'Union, laquelle vise à construire une zone de stabilité politique et de prospérité économique entre l'Europe et ses voisins de la Méditerranée.

Depuis toujours, mais plus encore depuis son élargissement, l'Union européenne doit porter attention au bassin méditerranéen, berceau de notre civilisation devenu épicentre de tensions qui peuvent menacer sa sécurité ou, au contraire, nourrir le dialogue des cultures auquel nous aspirons. La rive sud sera riche, dans vingt ans, d'une population de 344 millions d'habitants : demain, la Méditerranée sera jeune et peuplée cependant que le continent sera plus vieux qu'il n'a jamais été. Pour éviter qu'à une heure d'avion de nos côtes, des peuples se désespèrent dans des pays déstabilisés et pour prévenir des flux migratoires massifs, nous devons contribuer au développement économique et au renforcement des équilibres politiques des pays de l'arc méditerranéen. Au reste, c'est l'équilibre même de l'Union européenne qui est en cause. Du fait de son élargissement, le centre de gravité de l'Union va se déplacer vers le Nord. Portée par la résurgence des identités que suscite l'unification de l'espace économique, la sociologie parfois clanique des régions méridionales pourrait alimenter des forces centrifuges qui remettraient en cause la patiente construction de l'Union. Et n'est-ce pas aussi l'intérêt bien compris de la France que de maintenir l'équilibre entre le Nord et le Sud ? Si notre pays a joué un rôle aussi important en Europe, n'est-ce pas parce qu'il a su devenir la force d'équilibre entre ses composantes méridionales et septentrionales, latines et germaniques ?

L'intérêt de la France est que se constitue un pôle des nations méditerranéennes, certaines étant en outre francophones. Notre pays doit être à l'avant-garde de ce mouvement.

La politique méditerranéenne de l'Union s'appuie sur deux piliers complémentaires : le premier concerne le renouvellement et l'approfondissement des accords bilatéraux de coopération conclus au cours des années 1970 avec la plupart des pays du Maghreb et du Machrek ; le deuxième consiste en un partenariat global défini à la conférence de Barcelone de novembre 1995, qui lie les Quinze à douze pays de la rive sud de la Méditerranée - Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Autorité palestinienne, Israël, Jordanie, Liban, Syrie, Malte, Turquie, Chypre. A l'exception de la Syrie, tous ont désormais conclu un accord d'association avec l'Union européenne ; six seulement sont entrés en vigueur du fait de la lenteur des processus de ratification.

Enfin, les projets de coopération inscrits dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen sont, pour l'essentiel, financés par les programmes MEDA et la banque européenne d'investissement à hauteur de 13 milliards d'euros pour la période 2000-2006.

Dans ce contexte, quel pays allons-nous décider d'associer à l'Union européenne en adoptant le projet de loi qui nous est soumis ? Riche d'un million de km2 et de 69 millions d'habitants, l'Egypte est le pays le plus peuplé du monde arabe. Son potentiel de développement est considérable. Doté de frontières immuables, c'est un territoire familier de l'éternité qui, tout au long d'une histoire de plus de six mille ans, a vécu au rythme du fleuve qui l'a créé. Matrice de notre civilisation et de notre patrimoine spirituel, l'Egypte est un pays pacifique où s'enseigne, à la mosquée Al-Azhar, un islam ouvert et modéré, qui fait rempart contre la dérive terroriste. Enfin, le pays occupe une position stratégique à la charnière de trois mondes : l'Afrique, le Moyen-Orient et la Méditerranée. L'Egypte a fait de l'Union européenne son premier partenaire commercial et s'affirme comme l'un des principaux clients de la France dans la région.

L'enjeu majeur qu'elle représente en Méditerranée nécessite une intensification de ces échanges.

L'accord d'association a été paraphé le 26 janvier 2001 à Bruxelles, après de longues hésitations du côté égyptien du fait des conséquences prévisibles du démantèlement tarifaire, du volet agricole et de certaines dispositions sociales. Sa signature, le 25 juin 2001, résulte d'un arbitrage politique du Président Moubarak lui-même. Il est néanmoins possible que le débat de ratification par le Parlement égyptien, en février prochain, fasse resurgir certaines réticences.

Cet accord contient des dispositions analogues aux autres accords d'association entre l'Union et ses partenaires méditerranéens : objectif d'établissement progressif d'une zone de libre-échange, libéralisation des échanges industriels immédiate pour l'Europe et étalée pour l'Egypte, coopération économique, libre circulation des capitaux destinée aux investissements productifs. Pour les produits agricoles, des négociations doivent s'ouvrir trois ans après l'entrée en vigueur de l'accord.

Face à ces perspectives, quel est l'état de l'économie égyptienne ? A la fin des années 1980, l'Egypte procède à une réforme de grande ampleur de sa politique économique en s'engageant dans un programme soutenu par le FMI. Si les mesures de stabilisation ont été couronnées de succès au début des années 1990, la politique de libéralisation économique rencontre des résistances internes qui freinent certaines réformes structurelles indispensables.

La situation sociale, quant à elle, ne s'est pas améliorée. Si l'espérance de vie a augmenté, les inégalités se creusent, l'analphabétisme dépasse 44 %, la pauvreté s'aggrave. La croissance démographique reste forte et 700 000 personnes arrivent chaque année sur le marché du travail, alors que l'économie ne créé que 400 000 emplois, dont une grande partie dans le secteur public. Il en résulte une hausse constante du chômage, qui atteindrait 20 % de la population active.

Le volet politique de l'accord instaure un dialogue régulier sur tous les sujets d'intérêt commun, notamment la paix, la sécurité, la démocratie et le développement régional.

Il rappelle que les relations entre les parties se fondent sur le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques et l'Union européenne pourrait suspendre l'application de l'accord en cas de violation grave de ces droits par l'Egypte.

Une clause relative à la lutte anti-terroriste prévoit des échanges d'informations « sur les méthodes », ce qui va moins loin que l'accord signé avec l'Algérie en 2002, qui instaure une coopération sur les réseaux et leurs soutiens.

Le bilan de l'Egypte en matière de droits de l'homme est aujourd'hui mitigé, pour des raisons compréhensibles. Après l'attentat de Louxor, la crainte de nouveaux actes désastreux pour le tourisme et l'activité des associations islamistes conduisent l'Egypte, malgré l'indépendance réelle de son pouvoir judiciaire, à donner la priorité à la sécurité et à réprimer les mouvements liés à l'islamisme violent.

La ratification de l'accord d'association entre l'Egypte et l'Union européenne s'impose. Refuser d'appliquer le processus de Barcelone au pays le plus peuplé et stratégiquement le plus important du sud de la Méditerranée serait renoncer à la politique méditerranéenne de l'Union européenne. Or, quoi qu'en pensent nos partenaires septentrionaux, elle est essentielle pour sa sécurité.

Il convient donc d'accélérer les processus de ratification, qui sont beaucoup trop longs et reportent de dix ans l'instauration du libre-échange.

Il faut aussi accroître fortement l'effort d'investissement : 20 à 22 milliards d'euros par an, au lieu de 13 sur 7 ans, seraient nécessaires pour avoir une réelle incidence économique et stabiliser l'émigration.

Une assistance technique pour aider les bénéficiaires du programme MEDA à préparer leurs projets serait également souhaitable, ainsi que l'augmentation des fonds affectés à la coopération régionale.

En vous invitant à adopter ce projet, je vous invite donc aussi à relancer la politique méditerranéenne de l'Union.

M. Henri Sicre - Le groupe socialiste votera cet accord, conforme à l'intérêt bien compris de l'Europe, de la France et de l'Egypte. L'Union européenne a deux frontières, l'une à l'Est, l'autre au Sud et il convient de les stabiliser de la façon la plus sage qui soit - par la coopération. Les Quinze ont décidé avec raison d'avancer dans ces deux directions.

On a dit beaucoup de choses sur la Turquie, à cheval sur l'Est et le Sud, sur les limites géographiques supposées de l'Europe, sur son identité. Laissons à Charlemagne ce qui lui revient. Pour ma part, j'adhère à la construction en cercles concentriques réalisée au fil des ans : négociations d'adhésion avec certains pays, accords d'association avec d'autres, processus de stabilisation dans les Balkans. L'Europe reconstitue ainsi des liens anciens.

J'exprimerai cependant quelques regrets. L'ambition exprimée en 1995 à Barcelone était exigeante, notamment en ce qui concerne Israël et les Palestiniens. Tous les traités signés font référence aux valeurs démocratiques et au dialogue politique. Mais les engagements signés à Oslo et à Madrid ne sont plus respectés aujourd'hui et chacun doit prendre ses responsabilités.

L'Europe, principal donateur, devrait rappeler à l'autorité palestinienne que les bombes visant les civils ne servent pas sa cause et convaincre le gouvernement israélien que la poursuite de la colonisation et la répression indiscriminée alimentant les haines. Si la clause de dialogue politique des traités a un sens, l'Europe devrait en faire une arme.

Quant au respect des droits de l'homme, il pourrait, à en juger par les rapports d'Amnesty International sur l'Egypte et sur la France, donner lieu à critiques de la part de chacun des deux pays - sauf à considérer que les articles s'y référant n'ont qu'une portée virtuelle.

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

CONVENTION FRANCO-SUISSE SUR LE RÉSEAU FERRÉ
(Procédure d'examen simplifiée)

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relative au raccordement de la Suisse au réseau ferré français, notamment aux liaisons à grande vitesse.

M. le Président - Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée, selon l'article 106 du Règlement.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - La France et la Suisse ont signé, le 5 novembre 1999 à Genève, un accord concernant le raccordement du territoire helvétique au réseau ferré français.

Les autorités et les citoyens de la Confédération helvétique savent depuis longtemps l'importance du transport ferroviaire pour le franchissement des Alpes et du Jura, d'autant plus que la Suisse, comme la France, sont des grands pays de transit des voyageurs et des marchandises. Ainsi, l'amélioration des liaisons entre Berne, Lausanne et Dijon, entre Genève et Paris par Bellegarde et Bourg-en-Bresse et entre Bâle et Paris font partie du projet global de raccordement de la Suisse au réseau européen à grande vitesse.

Le Conseil fédéral suisse a décidé d'affecter à ce projet une partie de ses investissements ferroviaires. Ce principe, approuvé par les chambres fédérales suisses en avril 1998, a été adopté par référendum en novembre 1998.

L'accord vise donc à améliorer les liaisons ferroviaires à la fois par des mesures d'exploitation et des investissements sur le réseau français. La répartition des contributions tient compte des intérêts respectifs des deux Etats. Les autorités suisses ont accepté de financer un peu moins de 50 % du projet de réouverture de la ligne entre Bourg-en-Bresse et Bellegarde et du projet de modernisation de la ligne entre Dijon et Neuchâtel-Berne sur le territoire français. Il envisage également une participation financière au projet de ligne à grande vitesse Rhin-Rhône. Les discussions se poursuivent.

Un comité de pilotage se réunit régulièrement depuis la signature de l'accord. Les entreprises gestionnaires des infrastructures et les exploitants ferroviaires des deux pays participent à ses travaux.

La Suisse apprécie la qualité de nos infrastructures ferroviaires, le maillage TGV de notre territoire national et son insertion européenne. Elle s'associe au financement de ces améliorations dans le but d'accélérer la desserte de grandes villes grâce à notre réseau national.

M. Marc Reymann, suppléant de M. Bernard Schreiner, rapporteur de la commission des affaires étrangères - Force est de constater que les principales villes de la Confédération helvétique ne bénéficient pas de relations ferroviaires suffisantes avec notre pays.

Les trois principaux axes d'accès à la Suisse depuis la France desservent Genève, Berne, Lausanne et Bâle et les temps de parcours sont compris entre 3 heures 30 pour Genève et 4 heures 50 pour Bâle. Il existe aussi des liaisons secondaires dont certaines ont été désaffectées.

Des améliorations sont d'autant plus nécessaires que la Suisse a entrepris de moderniser ses transports ferroviaires. Elle a d'ores et déjà conclu des conventions avec l'Allemagne et l'Italie.

Si la convention signée à Genève le 5 novembre 1999 détermine des objectifs communs à nos deux pays, elle ne fixe pas de délais pour son application.

La convention pose le principe du cofinancement des projets d'intérêt commun qui permet de faire participer la Suisse au financement de certains travaux envisagés sur notre territoire.

La mise en _uvre de la convention devra « assurer la cohérence avec les besoins exprimés au niveau régional ».

Les infrastructures nouvelles permettront de développer le fret et le transport combiné rail-route par la libération de capacités sur les lignes existantes.

La convention définit une procédure de concertation technique et stratégique entre la France et la Suisse.

La liaison Paris-Genève doit faire l'objet d'importantes améliorations d'ici à 2006 : la ligne ferroviaire de Bourg-en-Bresse à Bellegarde doit être réhabilitée, ce qui permettra de gagner 30 minutes en diminuant le parcours de 47 kms. La desserte de Genève devrait être améliorée par la!réalisation des branches ouest et sud du TGV-Rhin-Rhône. Le temps de parcours serait ainsi ramené à 2 heures 30 au lieu de 3 heures 35. Le coût total est estimé à 250 millions d'euros, les autorités suisses ayant annoncé leur participation pour 110 millions d'euros.

La liaison transjurassienne doit également faire l'objet de travaux de modernisation, notamment en ce qui concerne son alimentation électrique.

La liaison Paris-Bâle devrait bénéficier de la réalisation du TGV-Rhin-Rhône - le trajet de Paris à Mulhouse, par une ligne à grande vitesse, passerait de 4 heures 50 à 2 heures 30.

Le TGV-Est devrait permettre de rallier Bâle à Strasbourg, de manière plus rapide que par l'actuelle ligne - en 3 heures 30 au lieu de 4 heures 50.

L'amélioration de cette liaison est suspendue aux résultats de l'audit sur les projets de liaisons ferroviaires, routières et fluviales annoncé le 7 août dernier. La commission des affaires étrangères, et son rapporteus, M. Bernard Schreiner ont souhaité obtenir des précisions du Gouvernement sur la date de remise des conclusions de l'audit et sur l'organisation d'un éventuel débat au Parlement sur ces questions. Je souhaiterais que le Gouvernement éclaire la représentation nationale sur les choix opérés pour la réalisation du TGV-Est européen et du TGV-Rhin-Rhône.

En promouvant un mode de transport non polluant et économe en énergie, cette convention constitue un instrument utile pour améliorer les relations entre la France et l'Allemagne. La commission des affaires étrangères vous propose donc d'autoriser son approbation en adoptant le présent projet.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - L'audit sera rendu à la fin du mois de janvier.

Le débat parlementaire sera organisé au printemps - dans les limites des possibilités de l'Assemblée nationale.

L'article unique du projet, mis aux voix dans le texte du Sénat, est adopté.

APPROBATIONS - RATIFICATIONS D'ACCORDS OU DE CONVENTIONS

L'ordre du jour appelle le vote, selon la procédure d'examen simplifié, de trois projets de loi dont deux adoptés par le Sénat autorisant l'approbation d'accords ou de conventions.

CONVENTION FRANCE-ALLEMAGNE DOUBLES IMPOSITIONS

L'article unique, mis aux voix, est adopté.

ACCORD FRANCE-RUSSIE RESPONSABILITÉ CIVILE DOMMAGES NUCLÉAIRES

L'article unique, mis aux voix, est adopté.

CONVENTION FRANCE-ANDORRE COOPÉRATION ADMINISTRATIVE

L'article unique, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 10 heures 40, est reprise à 10 heures 50.

SÉCURITÉ INTÉRIEURE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, pour la sécurité intérieure.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du Règlement.

M. Manuel Valls - L'attente de nos concitoyens en matière de sécurité est légitime, et nous devons y répondre sans tarder. Cependant l'examen de ce projet nécessite une réflexion préalable plus approfondie sur l'équilibre à trouver entre prévention et répression, entre encadrement et liberté.

Légiférer, agir - c'est votre obsession, Monsieur le ministre, et on ne peut pas vous le reprocher -, communiquer sur le terrain - j'ai apprécié votre présence à Évry mardi matin -, c'est apporter une réponse politique à la crise révélée par le 21 avril 2002. Mais la réponse par la sécurité est partielle et ne peut être suffisante. Le Gouvernement, une partie de la droite et même certains membres de la gauche, ne voient pas que le 21 avril a été un cataclysme, un avertissement terrible adressé aux politiques. Il s'agit aujourd'hui de sortir le pays de la crise de confiance qu'il traverse. Or, les électeurs nous ont envoyé un message complexe et contradictoire. L'hétérogénéité de leur vote ne peut appeler une réponse unique.

Or, la politique du Gouvernement Raffarin est caractérisée par un manque cruel de vision. La réforme-symbole du quinquennat sur la décentralisation, critiquée par de hauts personnages de l'Etat, rompt l'égalité des citoyens sur le territoire et crée de nouvelles féodalités. Les dispositifs en faveur de l'emploi sont abandonnés, alors qu'aucun gouvernement n'avait su, comme celui de Lionel Jospin, faire en sorte qu'il y ait en cinq ans 900 000 chômeurs de moins. On substitue aux dispositions efficaces de la loi de modernisation sociale un « Monsieur plans sociaux » qui ne va pas manquer d'activité... Le dispositif des contrats jeunes, qui n'impose aucune obligation de formation, témoigne d'une conception passéiste du travail, le meilleur moyen de lutter contre le chômage étant d'accroître la qualification des actifs. La baisse de l'impôt sur le revenu, injuste, ne fait qu'accroître la capacité d'épargne des ménages les plus aisés, alors qu'une réduction de la taxe d'habitation aurait au contraire stimulé la consommation. Les hypothèses de croissance irréalistes retenues pour bâtir le projet de loi de finances pour 2003 annoncent le retour du laxisme budgétaire et nous décrédibilisent au sein de l'Europe.

Les choix de votre gouvernement, synthétisés dans le budget pour 2003, ne vont pas sans nous inquiéter quant à la qualité de la réponse apportée à la crise politique et de confiance que traverse notre pays.

Avec vous, l'éducation a cessé d'être une priorité : fin des aides-éducateurs, oraison funèbre pour le plan pluriannuel du précédent gouvernement, qui comportait la création de 185 000 postes d'enseignants. Le ministre-philosophe, transformé en combattant de la lutte contre l'illettrisme, sert de paravent ; il masque votre absence d'ambition pour l'éducation. Les annonces de ce matin, à quelques jours d'une grève nationale, ne trompent personne. Au reste, elles contredisent les propos antérieurs de Luc Ferry, et aussi les dispositions du budget 2003.

L'égalité et la justice sociale sont absentes du discours de la droite. La fracture sociale, formidable argument de campagne en son temps, une fracture que le gouvernement Jospin voulait combler avec la CMU, la loi contre l'exclusion, la prime pour l'emploi, l'allocation personnalisée d'autonomie, demeure un diagnostic pertinent. Mais rien n'est entrepris réellement pour restaurer l'ascenseur social et créer des repères régénérant l'espoir.

Or, recréer l'espoir passe par la reconstruction des quartiers populaires.

M. Jean-Michel Ferrand - Un domaine où vous avez bien réussi !

M. Manuel Valls - Malgré l'activisme de Jean-Louis Borloo, celle-ci n'est pas pour demain. Alors que depuis des années, l'Etat met à la disposition du ministère de la ville des moyens sans doute insuffisants...

M. Pierre Cardo - Quels ont été vos résultats ?

M. Manuel Valls - ...mais tout de même en hausse significative, ce qui a notamment permis de lancer le dispositif des grands projets de ville, le budget de cette année est en stagnation. L'écart est grand entre les belles intentions du ministre itinérant, véritable VRP du Gouvernement, et les moyens qui lui sont accordés. Cet écart sera à la hauteur des désillusions qui assailliront les habitants de ces quartiers et les élus locaux.

Tout ce bilan est inquiétant. Le Gouvernement tourne le dos aux priorités sociales constitutives de l'avenir des Français. Alors, il lui reste M. Sarkozy et la lutte contre l'insécurité.

Celle-ci fut votre seul thème de campagne depuis le 14 juillet 2001. Pourtant, nous sommes nombreux à le comprendre, le message que les électeurs nous ont adressé va plus loin que la lutte contre la délinquance quotidienne, si indispensable que soit celle-ci.

M. Jean-Michel Ferrand - Que vous n'avez pas entreprise !

M. Manuel Valls - Lionel Jospin avait reconnu avec une modestie qui lui fait honneur mais qui lui fut terriblement reprochée, et encore par vous avant-hier, s'être trompé en croyant que la seule baisse du chômage pouvait apporter des réponses à la crise de confiance que nous traversons. Cela ne l'a pourtant pas empêché de faire de la sécurité la deuxième priorité de son action dès 1997.

M. Jean-Michel Ferrand - On ne s'en est pas aperçu !

M. Manuel Valls - Vous, Mesdames et Messieurs de la majorité, présentez de façon péremptoire la sécurité comme remède social absolu, oubliant le reste.

M. Pierre Cardo - Pas du tout !

M. Manuel Valls - C'est vrai, la croissance, les progrès de la justice sociale, la baisse du chômage ne font pas automatiquement baisser l'insécurité. Mais sans le progrès social, l'insécurité progresse fatalement. Hors de cela, toute action, si forte soit-elle, est à terme stérile. C'est une vérité empirique.

Aussi, prenez garde à l'effet boomerang. Vous avez attisé les peurs en 2001 et en 2002, année de parution du sinistre « tolérance zéro » de Georges Fenech, alors magistrat et désormais député. Les zélateurs du mythe de la sécurité absolue, les moralisateurs qui blâmaient le précédent gouvernement et qui dans leur grande modestie clamaient : « Nous avons la solution », se retrouvent aujourd'hui face à leur responsabilité.

M. Christian Estrosi, rapporteur de la commission des lois - Tout à fait !

M. Manuel Valls - Ils la pressent de bien mauvaise manière ! La route est à droite, bien sûr, mais la pente demeure très forte. Car les idéologues du pragmatisme absolue vont découvrir que le système qu'ils préconisent est stérile, que la sanction ne vaut rien sans la prévention, que sans espoir de progrès social, la délinquance augmentera.

M. Jean-Michel Ferrand - Vous n'avez fait ni répression ni prévention !

M. Manuel Valls - L'instrumentalisation politicienne des peurs, dans des documents agrémentés de graphiques truqués, tronqués, (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) a amplifié un sentiment dont la réalité est par ailleurs indéniable. Mais l'attente de nos concitoyens est à la hauteur de votre slogan « impunité zéro » et elle risque de se retourner contre ceux qui l'on créée. Les apprentis sorciers d'hier ont mis en jeu la République entière dans le combat contre l'insécurité.

M. Jean-Marie Le Guen - Très bien !

M. Manuel Valls - Votre tâche, votre responsabilité, Monsieur le ministre, sont immenses. Je souhaite que vous réussissiez, car votre échec serait lourd de conséquences.

M. Jean-Michel Ferrand - Enfin une parole intelligente !

M. Manuel Valls - Oui, la lutte contre l'insécurité est une nécessité absolue car la sécurité est d'abord une demande sociale. A partir des assises de Villepinte d'octobre 1997, moment-clé dans l'histoire des rapports entre la gauche et la sécurité, préparé dans l'opposition par Daniel Vaillant et Bruno Le Roux, nous avons porté des réformes, conscients qu'en effet l'insécurité concerne les plus modestes, les plus fragiles. Nous pouvons tous décrire nos expériences, notre révolte face aux jeunes rackettés, aux smicards dont les voitures partent en fumée. Nous n'avons aucune leçon à recevoir de vous ! Le grand reproche que de nombreux parlementaires de la majorité adressent à la gauche est de n'avoir rien fait sur la sécurité. C'est absurde et caricatural.

M. Jean-Michel Ferrand - C'est la vérité !

M. Manuel Valls - Nous avons eu pour méthode d'aborder le problème avec réalisme, avec la volonté d'y apporter des solutions concrètes, comme vous, Monsieur le ministre.

M. Jean-Michel Ferrand - Vous êtes un humoriste !

M. Manuel Valls - Avec la conviction que la sûreté, selon la déclaration des droits de l'homme de 1789, constitue le socle nécessaire à l'exercice de toutes les libertés, nous avons agi contre l'insécurité.

La première des réformes portées par Daniel Vaillant, et que vous ne remettez heureusement pas en cause, c'est le contrat local de sécurité, qui associe à l'action de l'Etat celle des collectivités locales, des acteurs de terrain, des professionnels de la prévention, de la justice, de l'éducation. L'établissement d'un diagnostic permet de définir les priorités d'action, qu'il s'agisse de l'apprentissage de la citoyenneté, de la prévention des toxicomanies ou des phénomènes de bandes, de la reconquête des espaces publics, de l'aide aux victimes, de la sécurité en milieu scolaire, de la coordination des forces de sécurité, notamment dans l'enregistrement des plaintes.

M. Pierre Cardo - Si c'était vrai, vous n'en seriez pas là !

M. Manuel Valls - Les maires sont au c_ur de ce dispositif. Vous avez renforcé leur rôle, ce qui est une bonne chose. Je l'avais demandé en son temps (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP).

600 contrats locaux de sécurité étaient signés au 1er mai 2002. Maire d'une ville bénéficiant d'un CLS intercommunal, je peux constater les bienfaits d'un dispositif permettant de solliciter toutes les institutions. Ainsi, à Évry, la délinquance a baissé de 8 %. Les contrats locaux de sécurité permettent une action à long terme qui est payante.

Une vertu des CLS est de détacher l'action de la lecture simpliste des statistiques. Nous le savons tous, la statistique de l'état « 4001 », qui permet aux forces de sécurité, de comptabiliser les faits constatés, est partielle et partiale, comme l'avais mis en évidence le rapport de nos collègues Caresche et Pandraud.

Monsieur le ministre, vous considérez que le juge de votre action ce sont les statistiques publiés régulièrement. Je me félicite de l'annonce, à une date habilement choisie, de la création d'un observatoire de la délinquance, à condition qu'il soit vraiment indépendant.

Le gouvernement précédent a également innové avec la police de proximité, qui est une rupture. Elle se caractérise en effet par sa capacité à répondre à l'insécurité urbaine quotidienne.

J'en ai vu les résultats sur le terrain, avec l'instauration d'un rapport nouveau entre citoyens et policiers, et aussi avec les jeunes. J'appelle néanmoins l'attention sur la discrimination que subissent ces derniers, en particulier le contrôle au faciès (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Cela existe. Enfin, le dispositif emplois-jeunes a permis d'améliorer la qualité du service public de sécurité. Les agents locaux de médiation sociale, à condition d'être bien recrutés et formés, ont sécurisé des lieux qui devenaient dangereux,

Ils ont libéré les policiers de tâches administratives, ce qui a permis de les rendre à leur mission. Enfin, ils accomplissent des tâches d'îlotage précieuses et parfois périlleuses.

La sécurité était donc bien une priorité du gouvernement Jospin !

M. Pierre Cardo - Ah bon ! Mais le dire ne coûte pas cher...

M. Manuel Valls - En 2000, 157 bureaux de police ont été ouverts et 410 autres en 2001. De 1997 à 2002, le nombre de policiers et de gendarmes a été accru de 6 200 et 25 000 départs à la retraite ont été comblés, ce qui n'avait pas été fait entre 1993 et 1997. Les budgets ont crû de 2,9 % en 1999, de 3 % en 2000 et de 6,8 % en 2001. Vous amplifiez cet effort, Monsieur le ministre, mais nous l'aurions fait aussi et c'est pourquoi nous avons voté l'article 2 de votre projet, cet été.

A cette action de l'Etat, il faut ajouter celle qui a été menée par les collectivités. Ainsi, le conseil régional de l'Ile-de-France a lancé de multiples expériences, touchant aussi bien la protection des lycées que la police des transports ; il a construit des commissariats et des gendarmeries, aidé à mettre en place la vidéosurveillance dans les centres commerciaux et mis un numéro d'appel à la disposition des jeunes victimes de rackets ou de violences. Tout cela a été fait par Jean-Paul Huchon, par moi-même, son premier vice-président, par Julien Dray et par bien d'autres socialistes ! Nous n'avons donc pas de leçons à recevoir en matière de lutte contre la délinquance. Vos caricatures, vos accusations de laxisme manquent leur cible.

Je reconnais toutefois que nous n'avons pas su nous faire entendre, que nous avons parfois brouillé notre propre message et que les moyens ont parfois manqué, de sorte que les violences contre les personnes ont continué d'augmenter. Mais les résultats ne peuvent être acquis que sur la durée et cela vaut aussi pour vous. Méfiez-vous par conséquent des berceuses, des discours ou des articles qui vous portent au zénith de l'action et de la pensée. Les mêmes soulignaient il y a cinq ans que la gauche s'emparait des thèmes de la droite pour les traiter avec pragmatisme, et que vous n'aviez plus d'espace. Ces revirements ne peuvent qu'inciter à la prudence, à la modestie.

A gauche, le désir commun était de poursuivre l'effort entamé, en nous appuyant sur le travail effectué par Julien Dray, sous le titre « Mieux prévenir, mieux punir », pour le colloque tenu à Evry en 2001. Cette analyse pertinente, ces propositions intelligentes restent notre référence.

M. Pierre Cardo - Auparavant, vous aviez eu vingt ans pour agir !

M. Manuel Valls - En effet, n'en déplaise aux apprentis sorciers des campagnes électorales, l'insécurité n'a pas toujours suivi le chemin qu'on lui prête. Cependant, si la délinquance générale est plutôt stable, les atteintes aux personnes n'ont cessé de cessé de croître - mais ce depuis 1987, et non depuis 1997 ! - et, avec plus de quatre millions de délits, on ne peut se borner à parler de « sentiment d'insécurité », vous avez raison. Mais Lionel Jospin et son gouvernement ont été les premiers à réagir, posant que chaque délit devait être sanctionné.

M. Pierre Cardo - Si cela vous fait plaisir de le dire...

M. Manuel Valls - Pour nous, « ordre », « norme », « règles » ne sont pas des mots tabous.

M. Pierre Cardo - Vous avez trouvé votre chemin de Damas !

M. Manuel Valls - La société a le droit et le devoir de se donner les moyens de punir ceux qui transgressent la loi républicaine, comme l'a redit hier avec force Marylise Lebranchu. Nous ne pensons pas que les délinquants soient d'abord des victimes : le soutenir serait démotiver ceux qui veulent s'en sortir honnêtement et constituerait une insulte aux victimes. Nous croyons en la responsabilité individuelle et nous n'avons pas transformé les explications de la délinquance en justifications de la délinquance, comme voudraient le faire croire certains orateurs de droite. Nous sommes lucides et cette lucidité, nous l'avons mise et nous continuons de la mettre au service de la France.

Nous avions défini une méthode, qui reste nôtre et qui s'articule autour de trois maîtres mots : précocité, intensité, continuité.

Précocité : notre projet visait à prévenir les comportements violents par une nouvelle politique de prévention à la française. Un système de détection aurait été mis en place. En effet, apporter une sanction dès la première alerte renforce l'autorité et la crédibilité de l'Etat et permet d'aider les parents dans leur mission d'éducation. Cela évite que la délinquance soit glorifiée chez les plus jeunes, et limite donc les risques de passage à l'acte.

Intensité : l'idée était d'étendre le principe des contrats locaux de sécurité à la politique de sécurité dans son ensemble, de manière à fédérer les acteurs et les moyens. Il faut échanger pour évaluer et pour gagner en efficacité. Aussi, nous donnons notre accord aux GIR, tout en rappelant que les résultats reposeront sur la persévérance et, souvent aussi, sur la discrétion...

Continuité, enfin : il faut agir dans la durée en considérant avec attention l'évolution de chacun pour y adapter les réponses et prévenir ainsi échecs et récidives.

Notre projet visait à créer une chaîne pénale intégrant tous les modes d'action de l'Etat, en associant tous les acteurs, en liant prévention et punition - ce qui eût été une innovation dans ce pays !

Votre projet représente le volet législatif, juridique et organisationnel de la loi de programmation du 29 août dernier. Parce qu'il est censé répondre à la demande de sécurité des Français, il est indispensable que nous nous prononcions sur une problématique plus complète, et c'est pourquoi je vous soumets cette motion de renvoi.

Selon vous, Monsieur le ministre, il s'agirait d'« aborder tout simplement les problèmes qui concernent directement les Français, de façon à être compris du plus grand nombre ». Nous partageons l'objectif, mais les solutions proposées ne nous semblent pas toujours adéquates.

Tout d'abord, votre loi accorde beaucoup de pouvoirs à la police, sans instituer de contre-pouvoirs, ce qui est dangereux pour les libertés individuelles et pour les droits de la défense. Vous donnez des solutions policières à des problèmes plus larges et qui auraient donc exigé l'intervention d'autres ministères, en premier lieu celle du ministère de la justice, bien absent de nos débats. ((Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Vous privilégiez les solutions purement pénales. Mais cette loi est avant tout une opération de promotion, car elle se borne souvent à réécrire des dispositions existantes ou à substituer à des mesures efficaces mais plus fines de la loi sur la sécurité quotidienne des mesures rigides - je pense en particulier à celles qui ont trait à l'occupation des halls d'immeubles.

Nombre de dispositions en sont floues, et donc dangereuses : ainsi celles de l'article relatif à la mendicité agressive, qui laisse trop de liberté à ceux qui seront chargés de l'appliquer et qui ne contribuera nullement au démantèlement des réseaux mafieux. Si la persistance de situations de précarité et d'exclusion est incompréhensible dans un pays riche, la réponse ne peut passer par le rejet des « SDF ». Il est dangereux de réduire le problème aux agressions commises par une infime minorité. Vos dispositions ne sont en fait que la justification légale des arrêtés pris par des maires, de gauche comme de droite, en période estivale. Elles donneront lieu à une interprétation rigide dans les centres-villes et à une autre beaucoup plus souple en périphérie, gageons-le.

S'agissant de la prostitution, vous avez le mérite d'ouvrir un débat difficile et complexe et de vous soucier du devenir de ces femmes et de ces hommes qui ont fait de leur corps un instrument de travail. Mais ce sujet exige une réflexion large et poussée, n'occultant pas les aspects sanitaires, éducatifs, financiers et sociaux. L'abandon de la prostitution ne se décrète pas et la prohibition suppose de pouvoir fournir une formation professionnelle à celles qui voudront sortir du système. La lutte contre la traite, à partir du travail effectué par Mme Lazerges et M. Vidalies, est évidemment prioritaire.

Pour les gens du voyage, nous nous réjouissons que vous entendiez faire vivre la loi Besson. Donner des moyens d'intervention supplémentaires à la police et à la gendarmerie ne suffit pas, il faut aussi accroître les capacités d'accueil.

Ce que vous proposez s'agissant du fichier génétique va incontestablement dans le sens souhaité par tous ceux que des crimes terribles ont révoltés, mais il importera d'instituer un contrôle par une autorité indépendante.

Pour ce qui est des squats, il est bien difficile de concilier droit au logement pour tous et préservation de la tranquillité, et l'on peut comprendre les occupations de bureaux de grandes sociétés par des sans-abri sans admettre celle d'immeubles dans des quartiers en difficulté. Je me bats souvent contre les associations à ce propos. Quant aux squats sauvages organisés par des réseaux mafieux, ils doivent évidemment être contrecarrés. Sur ce sujet non plus, nous n'avons pas de leçons à recevoir. Le renvoi en commission est aussi justifié par les nombreuses lacunes de la politique du Gouvernement.

Le premier problème que je vais évoquer est loin d'être mineur et il peut nous réunir. Les partisans du pragmatisme à tous crins y seront sensibles comme je sais que l'est le président de notre commission des lois. Lors de l'examen des crédits de la justice dans la loi de finances pour 2003, M. Clément déclarait en effet indispensables des mesures pour limiter la surpopulation carcérale, d'autant plus que les nouvelles sanctions prévues dans le présent projet risquaient d'engendrer une surpopulation plus aiguë encore ! Il convient de compléter cette remarque pleine de bons sens par les propos de M. Barella, président de l'union syndicale des magistrats : « Dans le seul domaine pénal, nous sommes saisis de 5,3 millions de procédures par an, pour des capacités de traitement qui sont d'environ 500 000 dossiers ». A lui seul, le problème de la continuité entre la politique de sécurité et les capacités de traitement de la justice justifie le renvoi en commission.

Il est nécessaire que nous ayons un grand débat sur les prisons. Les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires sont souvent effroyables : surpeuplement, manque de surveillants et d'éducateurs, suicides nombreux... Le préalable à tout renforcement des politiques pénales c'est de permettre à l'Etat d'appliquer la loi dans des conditions décentes.

Il est donc urgent de doter les prisons de moyens nouveaux, de renforts en personnel et d'en faire de véritables lieux d'insertion sociale. La peine, c'est la privation de la liberté, pas la détention dans des conditions détestables, pas la détention sans autre issue que de retomber dans la délinquance.

Comment concevoir qu'une loi créant de nouveaux délits et durcissant les peines ne soit pas accompagnée d'un volet justice ?

A ce stade, nous sommes confrontés à une limite terrible de ce texte et un examen budgétaire des conséquences prévisibles de son application nous paraît absolument indispensable.

Votre action pour lutter contre la délinquance des mineurs est à tous égards inquiétante. Sans doute cette dernière représente-t-elle plus de 20 % des crimes et délits commis en France mais en 1980, le seuil de 15 % était déjà dépassé. On est donc loin de l'explosion terrible stigmatisée ici ou là et imputée par certains aux socialistes laxistes, gauchistes régressifs et autres odieux « droits-de-l'hommistes » !

La délinquance des mineurs est insupportable car elle marque aussi l'échec de notre société à comprendre sa jeunesse. Mais il faut éviter tout amalgame, ne pas confondre « jeunes » et « délinquants », ne pas stigmatiser ceux qui sont issus de l'immigration ou vivent dans les quartiers populaires. Oui, il faut agir mais permettez-nous de douter que les centres fermés prévus par le Garde des Sceaux constituent une panacée ! Au cours de la dernière campagne présidentielle, MM. Chirac et Jospin ont tous deux insisté sur l'impérieuse nécessité de traiter la délinquance juvénile. A cet égard, il est essentiel que les centres fermés remplissent aussi une mission éducative. L'attente des familles des jeunes les plus violents - et notamment de ceux qui ont intégré des bandes - nous impose de conduire une action très volontaire de réappropriation par la société de ces enfants sans repères. J'ai la faiblesse de penser que les centres éducatifs fermés ont vocation à offrir une nouvelle chance aux jeunes qu'ils accueillent. A ce titre, des investissements massifs doivent être réalisés pour y développer la formation et faire en sorte que le passage dans la prison pour mineurs ne constitue pas un bon d'entrée pour une prison de majeurs à court ou moyen terme !

Il faut aussi repenser la place des parents dans l'éducation et aider ceux qui se sentent contestés dans l'exercice de leur autorité parentale. Ne négligeons pas le fait que certains enfants obéissent plus aux sollicitations de la télévision qu'à leurs parents... Il faut donc soutenir les parents et les aider à affirmer une autorité parfois défaillante. La puissance publique doit s'appuyer sur les associations pour remplir cette nouvelle mission, qui participe aussi de la prévention de la violence.

Quant à l'école, elle doit être de plus en plus impliquée dans le processus de socialisation et s'ouvrir à d'autres missions que l'apprentissage des savoirs fondamentaux.

M. Pierre Cardo - Baratin !

M. Manuel Valls - Le suivi judiciaire et la délinquance des mineurs doivent retenir toute notre attention, de même que la prise en charge des victimes. J'ai créé dans ma ville - et vous me pardonnerez de dire que je l'ai fait avant le maire de Valenciennes - un service d'aide aux victimes qui contribue à améliorer le dispositif de sécurité de la commune. La victime est restée trop longtemps la grande oubliée des politiques de sécurité. Le vécu de la violence et son traitement ne doivent plus être négligés. Il est indispensable de généraliser les lieux d'écoute et d'assister dans leurs démarches des victimes souvent désorientées par les violences qu'elles ont subies.

M. Pierre Cardo - Sans doute, mais elles restent des victimes !

M. Manuel Valls - L'existence de ces structures est de nature à recréer la confiance entre les victimes et la République. Nous devons avoir cela en tête : la déshumanisation du rapport entre les citoyens et les autorités administratives est au c_ur de la crise de notre pacte républicain.

M. Pierre Cardo - Même dans le discours, les socialistes font dans le développement durable ! (Sourires)

M. Manuel Valls - Je vous trouve bien péremptoire... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Souffrez que je m'exprime !

Enfin, comment justifiez-vous le peu de cas que fait le texte de la délinquance financière - pourtant très mal vécue par nos concitoyens ? Grands absents de ce texte, la délinquance financière et le blanchiment d'argent sale sont au centre de la spirale de la délinquance. Notre collègue Montebourg, auteur avec M. Peillon, d'un rapport sur le sujet a déjà abordé cette question. Nos concitoyens ne veulent plus avoir le sentiment de vivre dans un pays où la justice est aveugle pour les uns et impitoyable pour les autres. Les délinquants en col blanc ne doivent pas être oubliés et les propositions de la mission pour renfoscer la lutte contre le blanchiment doivent trouver toute leur place dans un texte sur la sécurité.

En traitant dans ce texte de la délinquance financière, le Gouvernement marquerait sa volonté de s'attaquer à toutes les formes de violence. Le livre de Denis Robert, intitulé Révélations, témoigne avec beaucoup de pertinence de l'opacité qui régit les transactions de la haute finance. Les liens qui peuvent se nouer entre financiers, mafieux et terroristes exigent que le législateur manifeste avec force sa volonté de casser aussi la « délinquance d'en haut ». Parce qu'elle étend son influence jusqu'au petit receleur, cette délinquance doit être combattue avec la plus grande fermeté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

A chaque acte délictuel doit correspondre une sanction adaptée pour mettre un terme au sentiment d'impunité, source de récidive. Et ce qui est vrai nationalement l'est aussi au plan local. C'est la raison pour laquelle nous amplifions à Evry notre dispositif de prévention-sécurité, lequel fait travailler ensemble la police municipale, un réseau de correspondants de nuit et d'agents locaux de médiation, et le service de victimologie que j'ai déjà évoqué pour soutenir l'action des différents services de l'Etat. L'intégration de toutes ces forces constitue un ensemble cohérent qui contribue à améliorer la situation sur le terrain.

Du reste, nous n'avons pas découvert hier les vertus d'une police municipale adaptée à la situation locale !

M. Bruno Le Roux - C'est même nous qui avons légiféré !

M. Manuel Valls - Je suis particulièrement fier du lancement, en partenariat avec les bailleurs sociaux, des correspondants de nuit qui parcourent les zones sensibles de la ville et n'hésitent pas à intervenir - notamment dans les halls d'immeubles - pour prévenir les problèmes ou empêcher qu'ils ne dégénèsent. La police ne peut pas tout faire. Il nous revient aussi d'inventer des solutions adaptées.

M. Gérard Léonard - Quelle modestie !

M. Manuel Valls - Comme vous, je suis attentif à la sécurité dans ma ville (Murmures sur les bancs du groupe UMP) et tous les propos que je tiens devant vous me sont dictés par mon expérience de terrain.

Moi aussi, je vis dans ma circonscription. Mes enfants fréquentent les collèges et écoles publics, parfois difficiles. Ma femme exerce dans une école où les problèmes ne manquent pas. Moi aussi, je reçois dans mes permanences des gens qui souffrent ou qui sont simplement exaspérés. Cessez d'essayer de nous faire croire qu'il y aurait ici des députés qui ont tout compris et d'autres qui ne connaissent rien à la réalité. Les élus de gauche, Monsieur Cardo, exercent souvent leur mandat dans des zones sensibles. Ils n'ont pas de leçon à recevoir de vous (Murmures sur les bancs du groupe UMP). Et c'est précisément notre expérience de terrain qui nous conduit à refuser la politique de M. Raffarin.

L'objet de cette motion n'est pas d'abuser de cette tribune pour faire de l'opposition systématique (Rires sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Défendre des motions ne relève pas pour nous d'un réflexe pavlovien ; c'est un acte mûrement réfléchi.

Ce que nous voulons, c'est appeler votre attention sur le décalage qui existe entre la réponse du Gouvernement à la crise de notre pacte républicain et la nature du message que nous ont adressé les Français le 21 avril dernier.

Votre loi, Monsieur Sarkozy, n'est pas liberticide... (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Merci de m'en donner acte !

M. Manuel Valls - Mais, et M. Le Roux l'a brillamment démontré en commission, elle est incomplète, partiale et ambiguë. Nul ne conteste la nécessité d'agir contre l'insécurité qui porte atteinte au plus profond du triptyque républicain. Il faut du reste rendre hommage au courage des fonctionnaires chargés du maintien de l'ordre - souvent très jeunes - qui s'efforcent de faire face et de s'adapter à des environnements souvent hostiles. Leur mission doit être valorisée car il n'est pas de fonction plus respectable que de défendre partout sur le territoire les lois de la République. Mais, ce qui m'inquiète sincèrement, c'est la faiblesse de la réponse générale du Gouvernement à la crise de notre pacte républicain.

Au c_ur de ootre désaccord se trouve donc l'interprétation à donner au 21 avril. Avec près de 20 % des voix pour l'extrême-droite, 30 % d'abstentionnistes et le rejet des candidats des partis de gouvernement - 19 % pour le président sortant, 16 % pour le Premier ministre -, le 21 avril marque la défaite d'une certaine idée de la Grance, l'épuisement d'un système, la révélation du délitement de notre lien social.

Ce cataclysme oblige à repenser, sur tous les bancs, le sens de notre lien civique et la notion même de « République ».

La crise de la France est une crise politique, une crise sociale, une crise d'identité. La crise politique doit conduire à replacer l'individu au c_ur du processus décisionnel de la cité. Il faut redonner du sens aux concepts de démocratie et ee citoyenneté. Nos concitoyens ne comprennent plus ce que nous entendons par République, il ne croient plus en la capacité du politique d'apporter des réponses à leurs problèmes - j'ai d'ailleurs appsécié, Monsieur le ministre, vos propos sur le rôle du politique et, d'une certaine manière, on peut rendre hommage à votre activisme. Nos concitoyens doutent ainsi de la pertinence de notre contrat social.

Répondre à la crise sociale, c'est agir pour la sécurité, mais cela n'est pas suffisant. Donner la priorité à l'éducation, à la rénovation de l'habitat, à la justice sociale, aux services publics est tout aussi nécessaire. Cela suppose que l'Etat porte une ambition claire et connue de tous.

La crise de notre pays, enfin, est une crise d'identité. La France vit mal la double mutation de son environnement extérieur : la construction européenne, dont nos concitoyens ne comprennent pas toujours la finalité, et surtout la mondialisation, qui fragilise tous nos repères.

La lutte contre l'insécurité, parce qu'elle ne traite que les effets de la crise de notre pays sans soigner les causes, ne peut suffire à sortir notre pays de la crise du pacte républicain.

C'est là le problème du Gouvernemeot et, avec lui, celui de la France.

Pour que la situation change, le Gouvernement doit être offensif.

M. Pierre Cardo - Il l'est !

M. Manuel Valls - Il doit agir sur les causes de la crise et non se contenter de poser des sparadraps, comme on le fait depuis trente ans, Monsieur Cardo !

La réponse par la sécurité semble la seule que ce gouvernement soit capable de donner. C'est le ministre de l'intérieur, et lui seul, qui annonce les acuions de prévention qu'il compte mener avec M. Perben. C'est le ministre de l'intérieur, et lui seul, qui annonce les mesures touchant à l'immigration qu'il va prendre avec M. de Villepin. C'est le ministre de l'intérieur, et lui seul, qui annonce la mise en place de nouveaux dispositifs d'intégration avec M. Fillon.

La sécurité, qui a aimanté toutes les peurs de nos concitoyens, est une attente forte. Pourtant, n'y répondre que par le biais sécuritaire est un!choix de facilité. Personne ne peut se targuer d'avoir vu venir le séisme du 21 avril, ni à gauche, ni à droite. Pour redonner eu sens à notre pacte républicain, il faut d'abord agir pour l'habitat, en cassant les ghettos, en cassant la terrible ségrégation sociame, territoriale, ethnique qui déstructure notre société. La mixité sociale, l'équilibre des territoires doivent être une préoccupation prioritaire du Gouvernement.

Je faisais récemment le tour des écoles de ma circonscription et j'y ai constaté la présence massive de nouvelles familles misérables - souvent des primo-arrivants - qui déstabilisent les quartiers et les établissements. L'école a souvent joué le rôle de digue, mais aujourd'hui cette digue se lézarde. Le rôle de l'Etat, des bailleurs sociaux, des élus est donc fondamental pour lutter contre l'apartheid ethnique et le communautarisme - vous savez la controverse qui s'est élevée dans ma ville à propos d'une supérette qui ne devait s'adresser qu'à une partie de la population. Redonner du sens à notre pacte républicain, c'est aussi redonner la priorité à l'éducation. L'école doit reprendre sa place d'objectif central de l'action publique.

Redonner du sens à notre pacte républicain, c'est réussir le défi de l'intégration. Notre modèle n'assimile plus, il n'intègre pas. Fixer les droits et les devoirs de chacun est indispensable pour faire aimer l'idée France par ceux qui la découvrent et qui veulent y adhérer. Le respect de notre hymne national, de notre drapeau, de nos symboles sont importants pour le naturalisé que je suis. Sur ce point non plus, nous n'avons pas de leçon à recevoir de la droite (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Rendre du sens à notre pacte républicain, c'est aussi garantir la solidarité, agir contre le chômage, défendre les services publics.

C'est aussi porter la voix de la justice dans le monde en travaillant à la définition de champs de régulation internationaux pour l'environnement, les échanges économiques, les questions militaires, les normes sociales.

Le rôle de l'Etat est de fixer des règles, de créer des repères, de transformer en actes les ambitions collectives d'un peuple.

M. Christian Vanneste - Tout ce que vous n'avez pas fait !

M. Manuel Valls - Cela fait trente ans que ce n'est pas fait ! Si vous êtes fier du score de Jacques Chirac au premier tour, c'est que vous n'avez rien compris ! Cessons de nous renvoyer les responsabilités ! Notre pays a besoin d'un volontarisme politique, d'un élan nouveau et puissant pour redonner du sens au vivre ensemble.

La lutte contre l'insécurité contribue, oui, à créer ces nouveaux repères. Pour autant en faire l'unique levier de l'action publique n'a pas de sens. La lutte contre l'insécurité doit s'intégrer dans un projet global. Mais ce projet manque aujourd'hui, comme il a manqué avant le 21 avril (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP).

Pour finir, je reconnais très franchement - certains d'entre vous l'ont souligné avec une certaine gourmandise - que la question de la sécurité provoque des débats et des désaccords au sein de la gauche, comme dans toute la société. Vous exploitez avec talent, Monsieur le ministre, les déclarations des uns et des autres/ Mais ces désaccords se retrouvent aussi dans votre camp, notamment en ce qui concerne le droit de vote des immigrés et la double peine. Vous avez dit que vous ne vouliez pas faire un projet de loi moralisateur : mais quand j'entends M. Aeschlimann, par exemple, je le trouve beaucoup plus éloigné de vous que nous ne le sommes sur certains points ! Pour retrouver la confiance des Français qui vivent mal, il faut être clairs et ne pas nous laisser impressionner par quelques manifestants dont le principal but n'est de vous combattre, mais de nous combattre.

C'est un débat difficile, parce qu'il faut à la fois répondre à l'attente de nos concitoyens par des mesures concrètes et efficaces et intégrer la lutte contre la délinquance dans une vision plus générale.

L'enjeu est énorme, vous êtes attendu au tournant, sur vos résultats. Votre échec, que je ne souhaite pas, ouvrirait les vannes de l'extrême-droite. C'est pourquoi vous devez aussi nous écouter et intégrer nos propositions. La lutte contre l'insécurité mérite que tous y soient associés, qu'un équilibre soit trouvé. Nous ne pourrons pas retisser un lien social fort, nous ne pourrons pas « réenchanter » le lien des Français avec la politique sans travailler à la définition d'un nouveau contrat social, une nouvelle alliance entre les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre - Monsieur Valls, j'ai apprécié une partie importante de vos analyses et l'honnêteté de votre constat. Je ne chercherai pas à l'exploiter car je suis bien conscient que pour avancer sur un sujet aussi sensible nous devons dégager des zones de consensus. Je vous crois lorsque vous parlez de la nécessité d'une action commune et je vous remercie de ne pas souhaiter notre échec. Nous sommes tous concernés.

Certaines mesures vous paraissent raisonnables, d'autres soulèvent vos objections, c'est normal. Mais le seul vrai sujet de désaccord o'est-il pas celui-ci : vous défendez, au nom du groupe socialisue, une motion de renvoi en commission. Autrement dit, d'un côté vous soulignez qu'il y a urgence, de l'autre vous demandez le temps de réfléchir et de commander de nouveaux rapports ! N'y a-t-il pas là une contradiction ?

Le Gouvernement, lui, estime qu'oo a déjà perdu trop de temps.

Le maire d'Évry dit qu'il faut y aller, qu'il n'y a plus de temps à perdre, et je préfère l'homme de terrain au parlementaire en service commandé, si talentueux soit-il (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Christian Estrosi, rapporteur de la commission des lois - M. Valls demande un renvoi en commission, comme si la commission des lois n'avait pas travaillé correctement. Or, le débat au Sénat a eu lieu voilà près de deux mois et votre commission!des lois a organisé près de cinquante auditions. Je salue, à ce propos, un certain nombre de nos collègues, qui ont été particulièrement assidus. Nous avons rencontré à peu près tous les acteurs concernés par ce texte - il est vrai que les députés de votre groupe n'ont guère été assidus.

La commission a examiné près de 400 amendements, dont près de 160, le 19 décembre, un par un. Mais aucun ne provenait de votre groupe. Ce n'est qu'après la publication du rapport que vous vous!êtes décidés à déposer, dans l'urgence, un certain nombre d'amendements que nous avons examinés selon la procédure de l'article 88.

M. André Gerin - Ces propos ne sont pas corrects !

M. le Rapporteur - Nos travaux ont donc été conduits de telle sorte que rien ne justifie un renvoi en commission.

Je me suis retrouvé néanmoins dans quelques-uns de vos propos. Vous m'avez rappelé le jeune député que j'étais moi-même en 1988, benjamin de cette assemblée, élu d'un!territoire où l'insécurité était déjà présente. Lorsque je parlais de ce sujet, on voyait en moi un « vilain gasnement », et parfois chez les miens, eux-mêmes. Il m'a fallu des années avant d'être entendu. Enfin, lorsque chacun a mesuré combien notre pacte républicain était gangrené, le pragmatisme et me réalisme ont fini par l'emporter.

Vous, il vous aura fallu cinq années passées à défendre obstinément la politique de M. Jospin, avant de comprendre que le combat contre l'insécurité était ma priorité absolue. Vous avez même affirmé avoir reçu mandat pour sortir de la crise de confiance que traverse notre pays.

En même temps, vous vous êtes enfermés!dans une contradiction en prétendant que la lutte contre l'insécurité éuait l'unique préoccupation de la droite. Vous avez alors égrené toutes vos réalisations : politique de la ville, action sociale, lutte contre la précarité et le chômage, emplois-jeunes... Or, votre politique a affaibli la France qui, entre 1997 et 2102, est passée du 5e au 12e rang mondial en matière de développement économique.

M. Bruno Le Roux - Il faut demander l'audition du ministre des finances !

M. le Rapporteur - Le texte proposé répond aux préoccupations des Français telles qu'ils les ont exprimées au printemps dernier. Nous voulons mener la politique transversale que vous n'avez pas conduite.

M. Bruno Le Roux - Cela ne veut rien dire !

M. le Rapporteur - Vous avez parlé d'éducation nationale et d'équité. Comment peut-on parler d'équité ? Comment se fait-il que des gamins de douze ans mettent en coupe réglée un certain nombre de quartiers ? Ils avaient sept ans en 1997 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) 80 % des mineurs délinquants ne savent ni lire ni écrire. C'est là votre échec ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Le ministre de l'éducation nationale s'attaque aujourd'hui à la lutte contre l'illettrisme.

Vous avez parlé de « ghettos ». Mais qui a géré la politique de la ville ces dernières années ?

M. Manuel Valls - Pierre Cardo !

M. Pierre Cardo - Je suis une mauvaise conscience pour tout le monde !

M. le Rapporteur - Qui a géré la politique d'attribution de logements ? Les règles d'attribution font que, quelle que soit la mixité sociale - que nous voulons - les préfets imposent leur volonté aux élus locaux. C'est ainsi que nous avons des cités avec la « tour des Tunisiens », la « tour des Algériens », la « tour des Capverdiens ». Alors que la mixité sociale était nécessaire, vous avez développé des ghettos.

Vous nous demandez, Monsieur Valls, de ralentir nos travaux, mais vous allez plus vite en paroles dans votre ville d'Évry, lorsqu'un supermarché est transformé en établissement de marchandises Halal. Parce que vous n'acceptez pas les communautarismes, je partage à 100 % votre vision des choses. Mais ce qui vous arrive aujourd'hui résulte de la politique qui a été conduite pendant cinq ans.

M. Jean-Pierre Blazy - Ne soyez pas simpliste !

M. le Rapporteur - Il n'y a plus une seconde à perdre, et je vous appelle à voter contre cette motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Gérard Léonard - Tout a été dit. Nous venons de vivre un rituel, avec toutes ces motions de procédure qui servent de prétexte pour se livrer à de longs discours (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Mais c'est de bonne guerre...

M. Jean Le Garrec - Assurément !

M. Gérard Léonard - Lorsque nous étions dans l'opposition, nous ne manquions pas d'user de ces mêmes artifices.

Je ne me souviens pas que M. Valls ait explicitement demandé un renvoi en commission.

M. André Gerin - Vous avez été distrait.

M. Gérard Léonard - Il s'est d'abord livré à une attaque en règle contre la politique du gouvernement Raffarin...

M. André Gerin - Tout à fait !

M. Gérard Léonard - ...éducation, social, décentralisation. Etait-ce bien adapté à la nature de notre débat ?

M. Valls, et c'était très émouvant, a ensuite prononcé un éloge funèbre de la politique du gouvernement précédent : nous avons mis des moyens pour lutter contre l'insécurité, sans succès, et les Français ne nous ont pas compris parce que le message était brouillé. En réalité les Français ont compris que cette politique avait échoué. On juge un arbre à ses fruits ! Et les fruits sont amers : une progression de la délinquance de 16 % en cinq ans.

Enfin, vous avez abordé le sujet qui nous préoccupe. J'ai observé que vous épargniez le ministre de l'intérieur tout en accablant sa majorité. Il est pourtant aisé de comprendre que nous ne faisons qu'un. Nous approuvons la démarche engagée par Nicolas Sarkozy dans toutes ses dimensions.

Vous reconnaissez enfin que l'insécurité est un problème national justifiant une action prioritaire. La conversion est tardive ; elle mérite néanmoins d'être saluée. Mais reconnaissez qu'il faut se donner les moyens de lutter !

Vous avez instruit un procès injuste en prétendant que notre réponse était uniquement sécuritaire. C'est faux. Notre rapporteur a rappelé la faillite de la politique d'éducation : dans certains quartiers, difficiles, plus de la moitié des!jeunes d'âge scolaire ne fréquentent pas l'école.

Vous prétendez avoir réalisé des choses extraordinaires en matière de politique de la ville. Certes, vous avez englouti des moyens énormes, mais ce fut un vaste gaspillage -!d'ailleurs dénoncé par la Cour des comptes.

Christian Estrosi l'a bien montré, votre politique d'intégration est un échec. Certes, nous devons assumer collectiwement ces échecs, et donc rechercher ensemble des solutions. Certaines de celles qu'a évoquées M. Le Roux, en particulier le repérage précoce des jeunes en difficulté, méritent notre adhésion.

En commission, M. Le Roux avait déclaré que le groupe socialiste ne déposerait pas d'amendements, préférant attendre pour s'exprimer de connaître les nôtres...

M. Bruno Le Roux - Ce n'est pas cela !

M. Gérard Léonard - Cela nous a permis d'entendre un discours qui n'était pas inintéressant mais qui révèle que les socialistes ont encore un long chemin à parcourir pour relever le défi de la sécurité. Le groupe UMP s'opposera donc au renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Liebgott - Nous voterons le renvoi en commission parce que nous souhaitons aller au fond du débat.

A entendre la majorité, hier tout!était mal, aujourd'hui tout est bien... Je puis pourtant témoigner que, dans ma commune, des opérations de police judiciaire ont été menées avec des moyens conséquents, des réseaux de trafiquants ont été démantelés, nous avons installé des systèmes de vidéosurveillance...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Vous étiez contre !

M. Michel Liebgott - La police et la gendarmerie ne travaillent pas seulement depuis quelques mois ! La précédente majorité leur avait donné des moyens, et elles obtenaient des résultats. Je me demande d'ailleurs comment vous allez financer les augmentations d'effectifs que vous annoncez... Alors, un peu d'humilité ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

La politique, c'est aussi le sens de l'équilibre. En 1997, nous avons donné la priorité à la lutte contre le chômage, en particulier celui des jeunes, dont on sait bien qu'il n'est pas sans conséquences sur la délinquance.

M. Pierre Cardo - Tous les chômeurs ne sont pas délinquants.

M. Michel Liebgott - Mais nous avons aussi créé des postes de policiers, de gendarmes et de magistrats. D'ailleurs, j'ai été élu en 1997 contre un candidat du Front national, parce qu'entre 1993 et 1997 l'action menée contre l'insécurité était insuffisante ; cinq ans plus tard, le gouvernement Jospin ayant été plus efficace, j'ai été élu contre un candidat de la droite républicaine (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Aujourd'hui, vous faites de la sécurité une priorité absolue, mais vous négligez la prévention qui passe par la politique de la ville, par la politique de l'emploi, par la politique du logement - cassant la loi SRU, vous allez recréer des ghettos -, par la politique de la jeunesse.

Oui, il nous paraît nécessaire de continuer à réfléchir en commission, parce que, sans qu'il faille pour autant nous faire l'insulte de nous traiter de laxistes, nous considérons qu'il faut rétablir un équilibre entre la répression et la prévention. Sachons nous respecter mutuellement et avoir sur ce sujet un débat républicain ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. André Gerin - Nous voterons le renvoi en commission.

La droite n'a pas le monopole de la lutte contre l'insécurité. Le Gouvernement donne le sentiment de confisquer le débat public : il escamote les questions de fond pour justifier une politique libérale, amplifier la criminalisation de la misère et s'orienter vers une conception à l'américaine des prisons, devenues objets de marchés lucratifs.

Quelles mesures proposez-vous dans les domaines économique, financier, sanitaire, judiciaire pour lutter contre les violences sociales ? Pourquoi les grands trafics, la grande criminalité sont-ils absents de ce projet de loi ? Pourquoi l'Etat abandonne-t-il ses grandes missions régaliennes, au moment où vous prétendez vouloir rétablir son autorité ? Pourquoi ne redonne-t-on pas au logement social la priorité qui lui a été enlevée depuis la loi Barre-Barrot de 1977 ?

Nous ne voulons pas d'un « blairisme » à la française. Nous réclamons un vrai débat, qui permette aux députés communistes et républicains de présenter leurs propositions concrètes.

A l'insécurité, la gauche et la droite apportent chacune des réponses, mais ce ne sont pas les mêmes.

M. Jean-Christophe Lagarde - Que la politique est un exercice difficile !

J'avoue avoir apprécié l'intervention de Manuel Valls, et avoir eu envie d'applaudir certains passages frappés au coin du bon sens.

M. Jean-Pierre Blazy - Il ne fallait pas vous retenir !

M. Jean-Christophe Lagarde - Je ne me retiens jamais, y compris de le dire !

J'ai pu connaître M. Valls dans d'autres enceintes, et le voir évoluer, ainsi que d'autres socialistes comme Julien Dray.

Je n'ai pas regretté néanmoins de ne pas avoir applaudi lorsque j'ai entendu l'explication de vote socialiste. Nous sentons bien, comme nous l'avons senti dans la discussion de la LOPSI, qu'au sein du groupe socialiste coexistent des perceptions différentes. A en croire la presse, M. Valls fait partie de ceux qui ont beaucoup évolué sur les sujets dont nous traitons. Ce n'est pas le cas pour d'autres.

M. André Gerin - On fait ce qu'on peut !

M. Jean-Christophe Lagarde - Je ne suis pas sûr que vous n'ayez pas beaucoup évolué aussi, Monsieur Gerin !

Le ministre invite à un travail en commun. Vous avez, Monsieur Valls, fait état à un moment d'une plus grande proximité entre vous et le ministre qu'entre ce dernier et une partie de sa majorité. C'est donc que vous vous êtes beaucoup rapproché du ministre, et c'est tant mieux. Souhaitons que l'ensemble du groupe socialiste fasse de même. Dans le même esprit, je vous ai entendu avec émotion parler du drapeau national et de la Marseillaise. Voilà encore un motif de rapprochement, puisque Rudy Salles propose de faire évoluer la législation relative à nos symboles nationaux. Mais quel dommage que lorsque la Marseillaise fut sifflée au Stade de France, en présence du Président de la République et du Premier ministre, le gouvernement de l'époque n'ait pas pris l'initiative de montrer que le drapeau et l'hymne nationaux devaient être respectés.

Vous avez, Monsieur Valls, tenté de justifier le renvoi en commission par le manque de moyens mis au service de la sécurité. Or, la politique, c'est l'histoire en marche. La loi de programmation que nous avons votée apportera progressivement les moyens dont ont besoin les forces de l'ordre, et aussi la justice.

Vos propos sur la stigmatisation des jeunes issus de l'immigration n'étaient pas heureux. Je ne crois pas que, dans nos villes, ces jeunes se sentent concernés lorsque nous parlons de jeunes voyous. C'est en rappelant leurs origines que vous risquez de les stigmatiser, comme s'ils étaient plus responsables que d'autres de l'insécurité.

Je suis d'accord, en revanche, sur la nécessité de casser les ghettos dans lesquels on enferme des groupes de populations. Oui, on a besoin de lieux d'écoute et de correspondants de nuit. Mais, à force de vous entendre, il semble que vous demandiez au ministre de l'intérieur d'être à lui seul tout le Gouvernement, que vous souhaitiez le voir remplir le rôle du Premier ministre ! Or, le ministre de l'intérieur défend un projet qui relève de sa compétence, même si nous attendons par ailleurs une augmentation des moyens au service de la prévention.

Sur la délinquance en col blanc, sur les trafics financiers dont vous avez parlé, tout montre que les mafias, les terrorismes, se nourrissent aussi de la petite délinquance qui déstructure nos quartiers.

M. André Gerin - Ce sont les grands trafics qui la nourrissent !

M. Jean-Christophe Lagarde - Si certains se sont retrouvés dans des camps en Afghanistan, c'est aussi pour cette raison. Lutter contre la petite délinquance n'est pas contradictoire avec le fait de lutter contre les grands réseaux. Je me réjouis que le Gouvernement fasse l'un, et que, avec Dominique Perben, il fasse bientôt l'autre.

M. André Gerin - A voir !

M. Jean-Christophe Lagarde - Le Gouvernement ne nous présente pas aujourd'hui la totalité de son action de lutte contre l'insécurité, mais un des éléments qui permet de progresser.

M. Liebgott ne peut pas prétendre que la motion de renvoi en commission n'est pas un instrument de blocage de la discussion. Il aurait raison si, dans la défense de l'exception d'irrecevabilité, on ne nous avait pas accusés d'être sécuritaires, liberticides, anticonstitutionnels... La demande de renvoi en commission n'étant pas l'occasion d'une tribune politique, nous voterons contre (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 40.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

    www.assemblee-nationale.fr


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