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Assemblée nationale
COMPTE
RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL
Session ordinaire de 2002-2003 - 46ème jour de séance, 121ème séance 1ère SÉANCE DU MARDI 21 JANVIER 2003 PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ Sommaire QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2 SÉCURITÉ À L'OCCASION RÉFORME DES RETRAITES 2 RÉUNION DU G8 À ÉVIAN 3 SALARIÉS DE MÉTALEUROPE 3 ASSISTANTS D'ÉDUCATION 4 RÉFORME DES RETRAITES 5 CLONAGE HUMAIN 6 QUARANTIÈME ANNIVERSAIRE POLITIQUE SPATIALE 7 COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME DE L'ONU 8 URGENCE SOCIALE 8 FILIÈRE AUTOMOBILE À SOCHAUX-MONTBÉLIARD 9 DÉCISIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR DES REQUÊTES EN CONTESTATION D'OPÉRATIONS ÉLECTORALES 9 SÉCURITÉ INTÉRIEURE (suite) 9 ART. 16 10 ART. 17 13 ART. 17 BIS 14 APRÈS L'ART. 17 BIS 17 ART. 17 SEXIES 24 La séance est ouverte à quinze heures. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. M. le Président - Je rappelle qu'il n'y aura pas demain de questions d'actualité, puisque nous nous retrouverons à Versailles avec nos collègues du Bundestag. SÉCURITÉ À L'OCCASION DES MATCHS DE FOOTBALL M. Pierre-Christophe Baguet - Certains matchs de football disputés au Parc des Princes ressemblent plus à une guerre de rue qu'à une fête familiale et sportive. Les forces de l'ordre sont toujours plus nombreuses, et les mesures contre les riverains toujours plus restrictives. Lors de la dernière rencontre PSG-OM, le dispositif, pourtant exceptionnel n'a pas suffi : 2 000 policiers étaient sur les lieux, les commerces avoisinants avaient été fermés, la vente d'alcool interdite, sans compter l'enlèvement de 6 heures 30 à 23 heures, des voitures des riverains, lesquels avaient été invités à ne pas quitter leur domicile dès 13 heures 30. Malgré cela, 61 personnes ont été arrêtées, et 12 placées en garde en vue. L'annonce d'un nouveau match du PSG, samedi prochain à 20 heures 45, cette fois en Coupe de France, apparaît comme une provocation. Claude Goasguen, le sénateur maire de Boulogne-Billancourt et moi-même ne voulons plus d'un raisonnement qui, depuis sept ans, fait passer les intérêts financiers avant la liberté des hommes. Il est urgent que le Gouvernement se saisisse de ce dossier avant que les riverains et les élus locaux, excédés, ne descendent à leur tour dans la rue (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Vous avez raison, la situation est devenue inacceptable. M. Jean-François Lamour et moi-même avons d'ailleurs contacté les dirigeants du football français amateur et professionnel, ainsi que les dirigeants des deux clubs. Comment accepter que les stades deviennent le lieu de ratonnades racistes, qu'un match amateurse transforme en bagarre de rue, que l'on puisse craindre d'envoyer ses enfants assister à un spectacle par essence familial ? Comment comprendre qu'il faille mobiliser pour le match PSG-OM 2 000 fonctionnaires, qui seraient certainement plus utiles ailleurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Cette dégradation est d'autant plus intolérable que, loin de concerner les seuls événements médiatisés, elle va jusqu'à toucher un match comme Rennes-Guingamp, à l'occasion duquel on a vu les supporters d'une équipe s'en prendre violemment aux supporters de l'autre. Par voie d'amendement, ces jours-ci, nous allons durcir la condamnation de ces voyous. Et je vais demander au Garde des Sceaux de réunir les présidents de clubs, les procureurs et le ministre de la jeunesse et des sports pour étudier les mesures nécessaires. Car rien ne sert de voter des lois si elles ne sont pas appliquées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. François Liberti - Tout d'abord, permettez-moi de vous faire part de la profonde indignation du groupe des députés communistes et républicains face au comportement prédateur du groupe Metaleurope qui met en péril 2 000 emplois, dans le plus profond mépris des salariés. Notre groupe a d'ailleurs déposé une demande de commission d'enquête sur ces agissements de voyous. J'en viens à la réforme des retraites, qui devrait donner l'occasion d'entamer une véritable avancée sociale. Or le Gouvernement semble aller dans le sens du recul des droits sociaux : alignement du public sur le privé, diminution du niveau des pensions, augmentation des cotisations et de leur durée, amorce de fonds de pension. Nous, nous avons d'autres propositions, que les salariés défendront massivement le 1er février prochain : consolidation du système par répartition, pour absorber les perturbations démographiques, rejet des fonds de pension, politique de plein emploi qui augmenterait le nombre de cotisants,... (« La question ! » sur les bancs du groupe UMP) Autres propositions sur lesquelles nous vous interrogeons, la lutte contre l'emploi précaire, le retour à 37,5 années de cotisation pour tous, la prise en compte des périodes d'apprentissage et d'étude, le maintien du dispositif des pré-retraites, et pour les fonctionnaires, la prise en compte du calcul des primes (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Le Premier ministre a appelé l'attention générale sur la nécessité d'une réforme des retraites et l'ensemble des formations politiques en est convenu. Les chiffres publiés par le conseil d'orientation des retraites parlent d'eux-mêmes : à partir de 2005, 300 000 retraités supplémentaires chaque année, tandis que la durée de vie s'allongera de six ans dans la prochaine décennie. D'où une impasse financière qui nous conduirait, en 2040, à réduire de moitié les pensions, ou à augmenter de 50 % les cotisations. Tous les pays européens ont déjà engagé un processus de réforme, consensuel en général, et nous essayons de faire de même. Avec Jean-Paul Delevoye, nous avons déjà reçu les partis politiques, et en particulier Mme Buffet et M. Bocquet. Nous savons gré au parti communiste de sa disponibilité. Le 3 février, le Premier ministre présentera le cadre général de la concertation qui se tiendra en février et mars avec les partenaires sociaux, à l'issue de laquelle le Gouvernement vous proposera un projet de loi, qui comportera des principes, des mesures immédiates et un processus de pilotage. Ne nous y trompons pas, nous serons jugés sur notre courage et notre capacité à mettre en _uvre des solutions durables à ce problème capital (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Claude Birraux - Dans un peu plus de quatre mois, la France accueillera à Evian le G8. Beaucoup de délégués, de journalistes, d'accompagnateurs sont attendus, mais aussi nombre de manifestants antimondialisation. Nous souhaitons évidemment que les actes de violence commis lors du précédent sommet dans un pays voisin et ami, ne se reproduisent pas. Où en est la préparation de cette réunion ? Quelles initiatives le Gouvernement entend-il prendre pour préserver un espace d'expression pluraliste afin que l'écoute, le dialogue, voire la compréhension, l'emportent sur la violence ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - C'est un fait, les sommets du G7 et du G8 ont pu déclencher dans le passé des affrontements terribles. La France, qui entend humaniser la mondialisation, doit donner l'image d'un pays où le débat démocratique est possible. Deux grands rendez-vous nous attendent : le G8 à Evian, en juin, et le Forum social européen, en région parisienne, en novembre. Ce dernier avait mobilisé à Florence des dizaines de milliers de participants, et plus de 5 000 associations organisatrices. Le Président de la République a fait mettre à l'ordre du jour de la conférence d'Evian des sujets tels que la mise en _uvre d'une économie responsable, et l'aide au développement de l'Afrique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), dans le souci d'une participation de tous. De même avons-nous reçu certaines organisations partenaires du Forum social européen, afin que la France donne l'image d'une démocratie ouverte où chacun peut s'exprimer, par-delà les clivages idéologiques, d'autant que nous comprenons l'inquiétude que peut susciter une mondialisation sauvage. Le Gouvernement participera également au Forum de Davos et au sommet de Porto Alegre, avec les parlementaires, aux côtés des associations qui veulent défendre la place de l'homme dans la mondialisation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Albert Facon - Après la disparition des cokeries de Drocourt - 700 emplois supprimés en juin 2001 -, après les 400 emplois de Solac Biache supprimés par le ministre de l'économie, quand il était président d'Arcelor, viennent s'ajouter les 832 salariés de Métaleurope-Nord. Ce vendredi 17 janvier, sept actionnaires de Métaleurope SA, réunis dans un bureau parisien, ont décidé de lâcher leur filiale Métaleurope-Nord et ce, dans un secteur dont le taux de chômage est supérieur à 20 %. Métaleurope-Nord n'a même pas les moyens d'assurer la paie du mois de janvier. Le dépôt de bilan est annoncé. 832 salariés sont donc jetés à la porte, du jour au lendemain, sans plan social et sans perspective de retrouver du travail. 1 000 emplois indirects sont menacés dans les entreprises sous-traitantes. Métaleurope n'a rien fait pour sauver un seul emploi, les actionnaires ne pensent qu'à se défiler. Ce site est par ailleurs un des plus pollués de France. Depuis un siècle, les rejets de plomb et de zinc s'accumulent sur 45 km2. 31 % des enfants en bas âge ont un taux de plomb dans le sang trois à quatre fois supérieur à la norme autorisée. Certains sont atteints de saturnisme. Je vous demande d'obliger les actionnaires de Métaleurope SA à assumer le passif de Métaleurope-Nord sur le plan financier et en matière de dépollution. Comme les voyous des mers, les voyous de l'industrie doivent payer. Quelles mesures économiques comptez-vous prendre pour venir en aide à ces victimes du capitalisme boursier ? Qu'attendez-vous pour remplacer la compassion par l'action ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. le Président - La parole est à M. le ministre de la fonction publique (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). M. Christian Bataille - C'est à Raffarin de répondre ! M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire - Je vous ai rencontré samedi matin, Monsieur Facon, pour analyser cette situation qui est en effet inacceptable (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Ensemble, nous avons analysé les responsabilités des dirigeants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). J'ai demandé au directeur de l'usine, vous le savez : êtes-vous complice ou victime de la tentative d'une société mère d'échapper avec cynisme à ses responsabilités sur le plan social, environnemental et économique ? Je remercie Mme Bachelot qui m'a immédiatement assuré d'engager des poursuites judiciaires - en mobilisant des avocats spécialisés - pour déterminer les responsabilités quant à la pollution environnementale. Mme Fontaine et M. Mer ont exprimé leur indignation. Nous ne sommes pas responsables de cent cinquante ans de pollution. Il y a un passif environnemental de 150 millions d'euros. Nous avons été trompés, vous et nous, depuis le début de l'année 2001. Sous le gouvernement que vous avez soutenu, un plan social avait été accepté en 2001, un autre en 2002 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Nous devons nous mobiliser avec le souci de l'avenir. Nombreux sont les dirigeants d'entreprises qui ont compris que développement économique et développement social sont liés. Francis Mer, à propos de Biache, dont vous avez parlé, a lui-même initié une société de reconversion. Après la fermeture de Solac, Mme Génisson et moi-même avons signé à la préfecture du Pas-de-Calais un accord portant sur 100 emplois avec un groupe italien. Bref, je partage votre indignation et je compte bien agir ( Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Jean-Louis Christ - Jeudi dernier, M. le ministre de l'éducation a annoncé le recrutement de 16 000 assistants d'éducation pour la rentrée prochaine, ce qui traduit la volonté du Gouvernement de donner un caractère prioritaire au chantier éducatif. Ces nouveaux postes permettront de faire face aux besoins de surveillance, de mieux assurer les fonctions d'assistance éducative et de renforcer la scolarisation des enfants handicapés. Le Gouvernement fait le choix d'un statut d'agent public pour les assistants d'éducation. Ils sortiront ainsi de la précarité du statut « emplois-jeunes », ils pourront également faire valider leur expérience professionnelle. Pouvez-vous préciser le cadre général du nouveau dispositif pour les assistants d'éducation ainsi que les modalités et le calendrier de recrutement ? Vous avez annoncé l'ouverture de 30 000 postes d'enseignants pour la rentrée prochaine. Qu'en est-il exactement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire - En effet, l'éducation nationale est un chantier prioritaire. Les professeurs du premier degré sont les plus nombreux à partir à la retraite. En revanche, ce seront les professeurs du second degré de 2006 à 2009. Nous recrutons, en ce qui concerne le premier degré, 12 000 professeurs - ce qui permettra d'éviter le recrutement sur liste complémentaire, les professeurs de premier degré étant ainsi tous correctement formés. Nous maintenons, cette année, le recrutement de 18 000 professeurs dans le second degré, alors qu'il y aura 16 384 départs à la retraite - ce qui évitera certains découragements : dans plusieurs concours, le nombre de postes proposé est en effet supérieur au nombre de candidats. Nous avons décidé de mettre un terme, progressivement, au dispositif des maîtres d'internat et d'externat, tandis que les emplois-jeunes disparaissent. Nous créons, à la place, 16 000 postes d'assistants d'éducation. La représentation nationale sera invitée à un grand débat sur cette question (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Christian Jeanjean - Avec les partenaires sociaux, avec les présidents des commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat, vous avez commencé un « tour d'Europe des retraites ». Vous avez visité l'Allemagne et la Suède ; vendredi, vous étiez en Finlande ; jeudi, vous serez en Espagne. Alors qu'une réforme des retraites est essentielle pour l'avenir de notre pays, que l'urgence se fait sentir après des années d'inaction socialiste, pouvez-vous nous dire comment ce « tour d'Europe » s'inscrit dans votre démarche de concertation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - En effet, je me suis rendu en Allemagne, en Suède et en Finlande, accompagné de représentants de la CFDT, de FO, de la CGC, de la CFTC, ainsi que des deux présidents des commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat. La participation des organisations syndicales à ce déplacement témoigne de leur grande disponibilité dans l'effort de réforme que nous engageons. Ce voyage était une première : jamais un ministre des affaires sociales ne s'était déplacé en Europe, sur un sujet comme celui-ci, accompagné des représentants des différentes organisations syndicales. Les pays choisis ne l'ont pas été au hasard. Ils ont une forte tradition sociale ; de grandes réformes des régimes de retraite y ont été engagées et réussies ; elles ont été conduites de la façon la plus consensuelle qui soit. Nous ne sommes pas partis à la recherche d'un modèle : chaque pays a ses traditions - mais des idées peuvent être retenues, je pense au droit à l'information, concernant les retraites, dès l'âge de 29 ans, en vigueur en Suède. Je tire deux enseignements de ces déplacements : il n'y a pas eu de réforme réussie des retraites, en Europe, sans un considérable effort de dialogue social ; d'autre part, les pays que nous avons visités ont choisi une dynamique des réformes plutôt que des réformes définitives pour quarante ou cinquante ans. Ce déplacement a également permis d'engager à travers les médias un débat sur les réformes menées dans les autres pays européens. Les Français se sont aperçus que ces pays ont pris en compte l'allongement de la durée de la vie avant d'engager des réformes ambitieuses. Nous, nous avons du retard, et nous devrons maintenant faire preuve d'ambition et de courage (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Alain Claeys - Au cours de la précédente législative, notre Assemblée a qualifié de crime le clonage reproductif et fixé une sanction pénale qui s'appliquerait aussi si ce crime était commis par l'un de nos ressortissants hors nos frontières. Votre Gouvernement, Monsieur le Premier ministre, a dit son intention de renforcer les sanctions pénales. Mais, étant donné le tour que prennent les choses, il faut aboutir à l'interdiction universelle de tels dévoiements. Envisagez-vous, à cette fin, de relancer l'initiative franco-allemande prise dans le cadre de l'ONU pour interdire le clonage reproductif humain - et le seul clonage reproductif ? Chercheurs et malades ne comprendraient pas, en effet, que l'on prenne prétexte de ces pratiques criminelles pour interdire la progression de la connaissance dans le domaine du vivant et, en particulier, dans ce qui a trait aux cellules-souches. Votre Gouvernement a-t-il l'intention de remettre en cause ces recherches, strictement encadrées au cours de la précédente législature ? Allez-vous, enfin, renégocier la directive européenne relative à la brevetabilité du vivant, pour que les considérations commerciales ne priment pas sur le bien commun ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - En votre qualité de rapporteur du projet de loi sur la bioéthique, en janvier 2002, vous êtes bien placé, Monsieur Claeys, pour savoir que nous avons puni le clonage reproductif de vingt ans de réclusion criminelle. Mais il faut aller plus loin. C'est pourquoi M. Perben et moi-même proposerons sous peu au Parlement une nouvelle incrimination, qui s'inscrira entre le crime contre la personne et le crime contre l'humanité : le crime contre l'espèce humaine, qui sera assorti de l'imprescriptibilité et de l'extraterritorialité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). S'agissant du clonage thérapeutique, nous nous en tiendrons au texte voté lors de la précédente législature - quels que soient les bancs - et qui visait à l'interdire. Vous avez parlé des cellules-souches ; vous vous rappelez sans doute que j'attendais qu'elles montrent leur efficacité, mais je préfère en encadrer l'usage que d'avoir l'hypocrisie d'en interdire la production en France tout en les important. S'agissant de la brevetabilité du vivant, quel singulier retournement ! N'est-ce pas le gouvernement précédent qui a entériné la directive, en 1998 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) N'est-ce pas M. Schwartzenberg qui avait proposé la transposition sans l'article 5 ? Vous avez évolué : j'en suis heureux. Pour ma part, je souhaite que l'on puisse soigner le cancer du sein en France sans dépendre des Etats-Unis. Nous demanderons donc des licences d'office et nous réaffirmerons que le génome humain est le patrimoine de l'humanité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). QUARANTIÈME ANNIVERSAIRE DU TRAITÉ FRANCO-ALLEMAND M. Jean-Yves Besselat - Le 22 janvier, nous célébrerons le quarantième anniversaire du traité de l'Elysée, par lequel Charles de Gaulle et Konrad Adenauer tournaient l'une des pages les plus douloureuses de notre histoire commune. Ce traité de paix a permis le développement des échanges entre nos deux pays et renforcé les liens entre nos peuples. Pourtant, les échanges de jeunes se sont ralentis et il faut les redynamiser. D'autre part, l'allemand est de moins en moins enseigné en France et la réciproque est constatée en Allemagne. Comment remédier à ces insuffisances ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes - L'impact de la relation franco-allemande dans la construction européenne n'est plus à démontrer et les initiatives prises au cours du semestre écoulé en ont donné une nouvelle illustration : elles ont toutes été suivies par nos partenaires. Pour ce qui est des échanges de jeunes, le bilan est excellent puisque, en quarante ans, 7 millions de jeunes ont bénéficié des programmes de l'office franco-allemand de la jeunesse et que l'on compte encore 200 000 échanges annuels. La question la plus préoccupante est celle de l'enseignement de l'allemand en France, qui connaît un déclin régulier, alors même qu'un jeune Allemand sur quatre continue d'apprendre le français. Nos deux gouvernements souhaitent aller de l'avant ; c'est ainsi qu'une réflexion est lancée, en France, sur l'enseignement de l'allemand dès l'école primaire. Je ne doute pas que le Parlement des jeunes, qui se réunira cette semaine à Berlin, exprimera lui aussi le v_u d'aller plus loin (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Jean Diébold - La situation du secteur spatial est grave et ceux qui y travaillent, notamment à Toulouse, sont inquiets. M. Bonnet, président de la commission de réflexion sur la politique spatiale française, vient de vous remettre son rapport, Madame la ministre déléguée à la recherche. Il conclut à la nécessité d'une agence spatiale française forte mais profondément réorganisée et il souligne les carences de la politique menée jusqu'à présent : manque d'ambition pour les missions militaires, désintérêt pour l'industrie des télécommunications et notamment les liaisons à haut débit, incohérences budgétaires... M. Bonnet, ancien directeur des programmes scientifiques de l'Agence spatiale européenne, jugeant le CNES menacé dans ses structures actuelles, recommande enfin la création d'un Conseil de l'espace présidé par le chef de l'Etat. Quelles suites le Gouvernement donnera-t-il à ce rapport ? Est-il prêt à reprendre une politique spatiale ambitieuse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP) Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies - Vous avez, à juste titre, souligné la situation critique du secteur spatial français et de son agence nationale, le CNES. Les conclusions du rapport que m'a remis le président de la commission de réflexion sont précises et sans ambiguïté. Elles pointent, en particulier, un défaut de vision stratégique et l'absence de décisions, pourtant cruciales pour l'avenir du CNES. Au terme des concertations indispensables, je proposerai donc un plan d'action traduisant une politique spatiale ambitieuse et rigoureuse (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME DE L'ONU M. François Loncle - Le Premier ministre évoquait notre attachement aux droits de l'homme. S'il y avait un Oscar du cynisme, de l'hypocrisie en politique internationale, la France aurait malheureusement toutes ses chances aujourd'hui (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Comment en effet expliquer que notre pays se soit abstenu lors du vote qui a abouti à désigner la Libye pour présider la commission des droits de l'homme de l'ONU ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Le Quai d'Orsay s'est empressé de se défausser sur l'Europe, éternel bouc émissaire de nos petites lâchetés (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste). Le gouvernement de Tripoli, lui, a parlé de reconnaissance historique pour le « dossier vierge de la Libye » dans le domaine des droits de l'homme ! Alors que la Convention que préside M. Giscard d'Estaing envisage d'intégrer la charte des droits fondamentaux dans la future Constitution européenne, comment justifier l'injustifiable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et quelques bancs du groupe UDF) M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - M. de Villepin est retenu à Bruxelles. En ces matières, il faut se garder des excès de langage et montrer un peu de sens des responsabilités (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Selon le système de rotation en vigueur, les groupes régionaux proposent un président de la commission pour un an. Cette fois, le groupe africain, appuyé par la plupart des pays du tiers monde, a soutenu la candidature de la Libye. D'ordinaire, la décision se prend par consensus ; dans ce cas le vote a été demandé. Vingt pays sur cinquante trois ont choisi de ne pas soutenir cette candidature. La France, comme ses partenaires européens, fait partie des dix sept pays qui ont choisi de s'abstenir... M. Hervé Mariton - Hélas ! M. le Ministre délégué -...Trois pays seulement ont voté contre. Ce vote a un sens. M. Christian Bataille - Il est scandaleux ! M. le Ministre délégué - Il prend acte d'une situation de fait et marque une distance. Mais le Gouvernement sera vigilant (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) sur la façon dont la présidence de cette commission sera assurée et il continuera à surveiller l'évolution des droits de l'homme en Libye (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Jean-Claude Abrioux - La récente vague de froid a mis en péril de nombreux « sans domicile fixe ». Il faut rendre hommage aux professionnels, aux associations et aux volontaires qui ont fait preuve de persévérance pour briser l'isolement de SDF désocialisés qui refusaient leur aide. Malgré de terribles échecs, la solidarité a été efficace grâce à la mise en _uvre de façon très anticipée du plan « grand froid ». Pouvez-vous nous donner des détails sur le contenu de ce dispositif qui risque malheureusement de servir encore ? Mme Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion - Dès cet été j'avais mis en place un plan de renforcement en prévision d'une période de grand froid comme celle que nous venons de connaître. Plusieurs députés socialistes - Et la CMU ? Mme la Secrétaire d'Etat - Grâce à l'effort de tous les ministères, 5 700 places d'hébergement d'urgence ont été ajoutées aux 82 000 places existantes. Les dispositifs d'appel d'urgence comme le 115 ont été renforcés et les lieux d'accueil de jour ont été ouverts la nuit. Plusieurs députés socialistes - La CMU ! Mme la Secrétaire d'Etat - Sur le problème des sans abri, vous devrez admettre que ce dispositif sans précédent a répondu à l'urgence sociale. Partout il y a eu assez de places d'hébergement. Un partenariat a été établi avec la Météorologie et les chaînes de télévision. Les associations ont reconnu que le dispositif était efficace. Reste un problème social, qui est le refus d'un certain nombre de nos concitoyens d'accepter l'aide qui leur est offerte (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP) FILIÈRE AUTOMOBILE À SOCHAUX-MONTBÉLIARD M. Marcel Bonnot - Les ventes de voitures ont diminué sensiblement en 2002. Tous ceux qui travaillent sur le site de Sochaux-Montbéliard s'inquiètent, d'autant qu'entre 1981 et 1998 il a perdu 25 000 emplois dans l'indifférence relative des gouvernements de gauche. Or on vient d'y annoncer 5000 suppressions d'emploi. Près de là un équipementier vient d'annoncer la suppression de 500 emplois et Belfort connaît aussi des vicissitudes. Je sais que le Gouvernement est déterminé à s'occuper de ces problèmes. Pouvez-vous nous dire quels moyens il compte employer face à la baisse du marché automobile ? Quelles mesures préventives peut-il mobiliser à Sochaux-Montbéliard ? Les perspectives de dégradation sociale dans le nord de la Franche-Comté ne justifient-elles pas l'intervention du CIADT ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP) Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - Il faut manier avec précaution les comparaisons pour le marché automobile, car 2001 était une année record suite à deux années de forte croissance. Mais le dynamisme du groupe PSA est remarquable grâce au succès de ses modèles, à son organisation, à sa compétitivité. En 2002, il a augmenté ses parts de marché de 0,7 % en Europe. Pour le site de Sochaux les perspectives sont encourageantes. 432 000 voitures y ont été produites en 2002, l'objectif est de 470 000 en 2003. Certes, une réorientation sur la gamme des véhicules moyenne inférieure va être nécessaire, ce qui suppose une augmentation de productivité. Mais sur l'emploi, je peux vous rassurer : la rumeur sur les 5 000 suppressions est infondée. Il y aura peut-être des transferts volontaires de salariés et des reclassements internes, mais pas de licenciements. Le Gouvernement poursuivra résolument sa politique pour renforcer la compétitivité de l'ensemble de l'industrie française (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP). M. le Président - Nous avons terminé les questions au Gouvernement. La séance, suspendue à 16 heures est reprise à 16 heures 20 sous la présidence de M. Baroin. PRÉSIDENCE de M. François BAROIN vice-président DÉCISIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR DES REQUÊTES EN CONTESTATION D'OPÉRATIONS ÉLECTORALES M. le Président - En application de l'article L.O. 185 du code électoral, j'ai reçu du Conseil constitutionnel communication de cinq décisions de rejet relatives à des contestations d'opérations électorales. Conformément à l'article 3 du Règlement, cette communication est affichée et sera publiée à la suite du compte rendu intégral de la présente séance. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, pour la sécurité intérieure. M. Noël Mamère - Cet article, qui est dans la continuité du précédent sur le fichier des empreintes génétiques, est extrêmement dangereux puisqu'il permet de procéder à des prélèvements externes sur toute personne concernée par la procédure. En prévoyant de sanctionner le refus de se soumettre à ces opérations, il porte atteinte à la présomption d'innocence. Le fichier est devenu une machine infernale, même si ceux qui étaient favorables à sa création pensaient qu'il servirait à innocenter les non-coupables : le FNAEG, désormais tentaculaire, va bien au contraire servir à confondre les présumés innocents, puisque le refus de se soumettre à un prélèvement biologique - destiné à identifier les empreintes génétiques - est puni d'un an d'emprisonnement, de même que, à l'article 16, le refus de se soumettre à des prélèvements externes. De simples témoins étant passibles de cette peine, il est recommandé à tout Français de ne pas se trouver près d'une manifestation ou dans un quartier considéré comme difficile ! Imaginons qu'un jeune homme, que nous prénommerons Lucien, participe à 17 ans au fauchage de plants de maïs transgénique, au nom de la désobéissance civile, et qu'il doive se soumettre lors de sa garde à vue à un prélèvement biologique ou à un prélèvement, dit externe, de salive. Vingt ans plus tard, après des études brillantes d'histoire de l'art, il postule à un poste de conservateur de musée : sa candidature est repoussée parce qu'il figure dans le FNAEG. Qui dégrade un champ de maïs peut lacérer un tableau de Rembrandt, telle est donc la nouvelle philosophie ! Parce que nous refusons cette dérive, nous souhaitons la suppression de cet article 16, qui s'inscrit dans une logique de contrôle social, consistant à faire de chaque Français un suspect. Il est d'ailleurs scandaleux que tout ce chapitre concernant les fichiers n'ait pas été soumis à la CNIL, qui a dû s'autosaisir de ce projet et a émis les plus fortes réserves, eu égard à ses conséquences négatives sur les libertés et la présomption d'innocence. M. André Gerin - Le groupe des députés communistes et républicains a déposé l'amendement 151, qui tend à la suppression. En effet celui-ci autorise l'officier de police judiciaire à procéder, ou à faire procéder par des personnes placées sons son contrôle, à des prélèvements externes de tous ordres : le rapporteur a précisé qu'il peut s'agir de prélèvements buccaux, d'empreintes digitales ou de prélèvements quelconques ; il a ajouté que toutes les personnes concernées par la procédure, c'est-à-dire aussi bien les témoins que les suspects, devront s'y soumettre, le refus étant passible d'une peine d'emprisonnement que le projet fixe à six mois et que la commission propose de porter à un an. C'est donc un article dangereux, d'autant plus que l'OPJ ne sera pas, pour opérer des prélèvements, sous le contrôle d'un magistrat. De tels pouvoirs confiés aux policiers sont démesurés et portent atteinte à la présomption d'innocence. M. Christian Estrosi, rapporteur de la commission des lois - Monsieur Mamère, vous avez tenté de désinformer la représentation nationale et, plus grave encore, l'opinion publique : votre intervention portait presque exclusivement sur l'article 9, relatif au fichier STIC, et sur l'article 15, relatif au FNAEG, sur lesquels nous avons eu ici, en votre absence, des débats nourris et constructifs. L'article 16 ne concerne que les prélèvements externes, de tous ordres, qui peuvent contribuer à faire progresser les investigations. Serait-il dangereux à vos yeux de donner enfin aux policiers les moyens d'élucider des crimes ? En dénonçant dans la constitution du fichier FNAEG une atteinte aux libertés individuelles et aux droits de l'homme, en soutenant que ce fichier pourrait être consulté pour aider des entreprises dans leur recrutement, vous ne démontrez qu'une chose : votre méconnaissance de ce texte ! Le projet n'autorise en aucun cas la consultation de ce fichier ! Vous confondez en fait le fichier FNAEG, fichier non codant et, de ce fait, ne pouvant livrer aucune information sur quelque citoyen que ce soit, avec le fichier STIC. Selon vous, la CNIL aurait vu dans le projet une atteinte aux libertés individuelles et à la présomption d'innocence. Vous vous trompez encore : la CNIL, que la commission a entendue - mais vous n'y étiez pas -, a donné sa totale approbation aux objectifs visés, qu'il s'agisse du FNAEG ou du STIC. Monsieur Gerin, vous n'avez commis sur cet article aucun contresens de ce genre. Cependant, vous voudriez le supprimer, au motif qu'il élargirait à l'excès la gamme des prélèvements autorisés. Mais qu'il s'agisse d'un prélèvement buccal destiné au fichier des empreintes génétiques ou du recueil d'un échantillon d'écriture, tous ces éléments sont de nature à faciliter l'établissement des faits, dans le cadre d'une enquête. D'autre part, ne seront autorisés que les rapprochements entre empreintes de suspects, à l'exclusion donc des simples témoins. Bien évidemment, la commission s'est opposée à la suppression que vous demandiez. M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Même avis. M. Noël Mamère - Je n'ai pas le don d'ubiquité, Monsieur le Rapporteur, et nous ne sommes que trois députés Verts ! Incriminez plutôt le gouvernement précédent et celui-ci, qui ont refusé d'instiller une dose de proportionnelle dans notre loi électorale, interdisant ainsi une juste représentation de l'ensemble des familles politiques ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) D'autre part, si je ne participe pas aux réunions de la commission des lois, c'est que j'appartiens à celle des affaires étrangères ! J'ai lu attentivement ce projet et vos explications ne peuvent satisfaire personne. Les aura-t-on comprises, d'ailleurs ? Qui, dans les tribunes, sait ce que sont le FNAEG et le STIC ou ce que signifie « croiser des fichiers » ? Je doute fort que vous ayez convaincu que nos libertés étaient protégées... Je ne me suis pas trompé d'article : tous sont empreints du même esprit et nous savons tous que le fichier STIC et le fichier JUDEX de la gendarmerie peuvent être croisés. Nous savons aussi que le pouvoir scientifique l'emporte trop souvent sur l'Etat de droit, renversant les barrières que le législateur érige. Ainsi, pouvez-vous nous assurer que nous sommes à même de contrer les apprentis sorciers qui jouent actuellement avec l'identité de l'espèce humaine ? Evidemment non ! Or, avec ce projet, vous ouvrez grande la porte à d'autres apprentis sorciers, désireux de porter atteinte aux libertés et de placer ce pays sous leur contrôle. Dans le meilleur des mondes, tout ira bien... L'amendement 151, mis aux voix, n'est pas adopté. M. Bruno Le Roux - Ce qui est dangereux, ce ne sont pas les prélèvements, mais les conditions dans lesquelles ils seront autorisés. Si nous présentons trois amendements sur cet article, ce n'est donc pas pour nous opposer à ces prélèvements, nécessaires dès lors qu'on crée des fichiers, mais pour les encadrer en fonction de la procédure - flagrant délit, enquête préliminaire ou exécution d'une commission rogatoire. L'amendement 271, conforme aux recommandations de la commission Delmas-Marty, demande que, hors cas de flagrant délit, les prélèvements portant atteinte à la liberté individuelle et à l'intégrité de la personne soient autorisés par un magistrat ; la notion de « personne concernée par la procédure » nous semblant floue, nous y substituons celle de personne paraissant « avoir participé au crime ou au délit ». Enfin, il ne nous semble pas nécessaire de sanctionner le refus de se prêter au prélèvement de plus de trois mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende. M. le Rapporteur - Tout d'abord, l'article ne porte en rien sur les fichiers : il traite très précisément des « opérations de signalisation nécessaires à l'alimentation et à la consultation des fichiers de police », de sorte que les prélèvements ainsi opérés pourront très bien ne jamais être intégrés aux fichiers, selon le cours de l'enquête. Cela précisé, la commission a repoussé votre amendement, estimant qu'il restreignait par trop la portée du dispositif. En effet, la notion de personnes paraissant avoir participé au crime ou au délit, outre qu'elle est peu juridique, équivaut à réduire le champ d'application de l'article aux suspects. Néanmoins, je suis prêt à vous suivre jusqu'à un certain point et à admettre que la rédaction peut être améliorée. Il conviendrait simplement de préférer à votre amendement celui que présentera tout à l'heure M. Mariani et qui visera les suspects et les témoins, mais non les personnes extérieures à la procédure. Le parallèle que vous faites enfin, pour la sanction, avec le refus de se soumettre à un prélèvement d'empreintes digitales est peu convaincant. La bonne référence en la matière me semble plutôt être l'article L. 706-56 du code de procédure pénale. M. le Ministre - Je sais gré à M. Le Roux de nous avoir ramené au sujet. Je ne puis toutefois retenir son amendement, qui ne précise pas les crimes ou délits en cause et qui introduit une notion, celle de personnes paraissant avoir participé au crime ou au délit, qui ne figure pas dans le code de procédure pénale. J'admets qu'on pourrait faire le même reproche à la notion de « personne concernée par la procédure », mais à cela, l'amendement de M. Mariani devrait remédier, si j'ai bien compris... M. Bruno Le Roux - Il est clair, Monsieur le rapporteur, que nous ne sommes pas là dans le cadre de la constitution d'un fichier, mais n'est-il pas question dans l'article de « l'alimentation » du fichier ? Les prélèvements ne seront pas seulement comparés et consultés, ils nourriront le fichier national des empreintes génétiques. Je maintiens donc l'amendement. M. Pierre Cardo - Alors qu'il y a quelques temps, vous défendiez, Monsieur Le Roux, la présomption d'innocence, votre amendement est beaucoup plus stigmatisant et restrictif que la proposition du Gouvernement ou que celle de M. Mariani. Pour ma part, je ne voterai donc pas cet amendement. L'amendement 271, mis aux voix, n'est pas adopté. M. Thierry Mariani - La notion de « personne concernée par la procédure », nouveauté de ce projet de loi, risque de faire l'objet de controverses jurisprudentielles. Il est plus cohérent d'utiliser des expressions déjà présentes dans le code de procédure pénale, à savoir « toute personne susceptible de fournir des renseignements sur les faits en cause, ou toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre l'infraction ». M. le Rapporteur - Cet amendement n'a pas été examiné par la commission, mais j'y suis favorable, à titre personnel, en ce qu'il renforce la sécurité juridique d'un dispositif qui concerne exclusivement les témoins et les suspects. Pour ce qui est des empreintes, Monsieur Le Roux, elles obéissent au fonctionnement de chaque fichier. Ne généralisez pas. M. le Ministre - En vérité, ce débat est fort subtil. Prenons l'exemple de l'affaire Caroline Dickinson où, dans un souci de vérité, le juge a procédé à l'analyse d'ADN de tous les habitants de Pleine-Fougères. Ces prélèvements se sont avérés utiles en ce qu'ils ont innocenté des présumés coupables, mais n'ont pu s'opérer, en l'absence de base juridique, que sur le fondement du volontariat. Notre texte vise à donner une base juridique à ces prélèvements, et à ce sujet la rédaction de M. Mariani est meilleure que celle du Gouvernement en ce qu'elle reprend une notion du code de procédure pénale. J'y suis donc favorable. L'amendement 478, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 85 rectifié relève le niveau des sanctions prévues à l'encontre des personnes qui refusent de se soumettre à un prélèvement externe dans le cadre d'une enquête judiciaire. M. le Ministre - Avis favorable. L'amendement 85 rectifié, mis aux voix, est adopté. M. Bruno Le Roux - Il est incohérent de prévoir dans le cadre de l'enquête préliminaire un prélèvement externe sans l'assentiment de la personne concernée. L'amendement 272 tend à remédier à cette incohérence. M. le Rapporteur - Avis défavorable. M. le Ministre - Si l'on reprend l'affaire Dickinson, votre amendement aurait permis à certains habitants de refuser le prélèvement. Accorde-t-on la priorité à la liberté de refuser ou à la recherche de la vérité ? C'est un vrai débat. Je vous propose de repousser l'amendement. M. Bruno Le Roux - N'oubliez pas que le magistrat a toujours la possibilité d'ordonner des prélèvements dans la suite de la procédure. L'amendement 272, mis aux voix, n'est pas adopté. M. Bruno Le Roux - Eu égard à la nature du « prélèvement externe », il est normal que le juge d'instruction autorise cet acte. Dans une information judiciaire, l'officier de police ne doit pas exercer la contrainte sans l'accord du magistrat instructeur. Par ailleurs, cet amendement respecte les recommandations de la commission Delmas Marty. L'amendement 273, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté. L'article 16 modifié, mis aux voix, est adopté. M. Noël Mamère - Tout comme nous avions voté contre la loi sécurité quotidienne, nous ne voterons pas cet article qui proroge jusqu'en 2005 les exceptions au droit pénal prévues par cette loi, telle la possibilité de procéder, sur simple accord du juge des libertés et de la détention, en enquête préliminaire, à certaines fouilles et perquisitions hors des locaux d'habitation. La récente affaire du bagagiste de Roissy, accusé de terrorisme pour avoir détenu des armes dans son coffre de voiture alors qu'il s'agissait d'un complot familial, ne peut que nous laisser interrogatifs face à l'extension même des procédures policières d'exception. Que dire également du projet de loi du Garde des Sceaux qui allonge la garde à vue jusqu'à quatre-vingt seize heures, et n'autorise la présence de l'avocat qu'à partir de la trente-sixième heure ? Votre politique pénale est axée sur une présence policière permanente et sur la répression, mais néglige la protection des libertés. M. Bruno Le Roux - Pourquoi briser un consensus qui, lors de l'examen de la loi sur la sécurité quotidienne, nous avait permis d'adopter des mesures dérogatoires dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le trafic de stupéfiants, à condition que le Parlement se saisisse à nouveau du problème au plus tard le 31 décembre 2003 ? La réalité du terrorisme doit nous inciter à mesurer l'efficacité de ce dispositif. L'échéance du 31 décembre 2003 n'est pas si éloignée. Pourquoi, dans ces conditions, vouloir pérenniser un dispositif dont le caractère dérogatoire avait fait l'objet d'un consensus il y a quelques mois ? C'est pourquoi nous proposons, par l'amendement 274, de supprimer l'article. M. le Rapporteur - Justement prolongeons ce consensus ! Au lendemain du 11 septembre, l'opposition d'alors n'avait pas hésité à suivre les propositions du Gouvernement. Le terrorisme est toujours une réalité, aussi le Gouvernement vous propose-t-il de proroger de 2003 à 2005 les mesures de la loi sur la sécurité quotidienne qui touchent aux perquisitions, aux visites par des agents de sécurité privée, et surtout à la conservation des données. Par ailleurs, le Gouvernement présentera à l'Assemblée nationale un état des lieux, avant le 31 décembre 2003. Je vous invite donc à retirer votre amendement. M. le Ministre - Concernant l'affaire du bagagiste, s'il est vrai que quinze jours de prison pour un innocent seront toujours quinze jours de trop, force est de reconnaître que l'ampleur des moyens mis en _uvre pour démanteler ce que l'on croyait être un réseau de terroristes a justement permis de faire éclater rapidement la vérité. Les moyens mis en _uvre par la police étaient à la mesure du risque qu'elle croyait avoir décelé. En l'occurrence, il y avait une belle-famille - je ne souhaite à personne d'en avoir une pareille ! - et des perquisitions ont même été effectuées chez l'oncle parti en Algérie. J'ai rencontré Martine Monteil. Je lui ai demandé de transmettre mes félicitations aux enquêteurs, pour leur remarquable travail - ce dont a témoigné l'avocat du malheureux bagagiste. Je déposerai un compte rendu les 31 décembre 2003 et 2004. Vous me demandez de faire un rapport pour savoir si ces mesures sont utiles. On pourrait inverser le raisonnement : dites-moi en quoi elles portent atteinte aux libertés ? Je vous rappelle qu'elles ont été proposées par mon prédécesseur socialiste, et, qu'à l'époque, vous ne sembliez pas y voir une atteinte aux libertés. La menace terroriste étant toujours la même, pourquoi ne pas les reprendre ? Je me situe dans une parfaite continuité. Encore un effort, camarades ! Vous avez voté pour ces mesures il y a deux ans, vous devez pouvoir les voter maintenant ! (Sourires ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. Bruno Le Roux - Pour répondre au camarade Sarkozy (Nouveaux sourires). S'agissant de mesures dérogatoires, une partie des garanties liées à l'application des procédures pénales disparaît. Dès lors, si nous devons certes nous préoccuper de la lutte contre le terrorisme, nous sommes aussi en droit de demander au Gouvernement comment ont été appliqués les textes votés par l'Assemblée nationale, avant de les pérenniser ou de les proroger éventuellement. M. André Gerin - Il convient de donner au Parlement la possibilité d'expertiser les mesures en question. C'est une sage mesure avant que de décider ou non de leur pérennisation. L'amendement 274, mis aux voix, n'est pas adopté. M. le Rapporteur - Autant l'article ne parle que de prorogation, autant je propose, par l'amendement 86, de pérenniser un certain nombre de dispositions qui touchent à la conservation de données informatiques dans le cadre de la lutte contre la cybercriminalité et toutes les formes de trafic - drogues, armes, blanchiment, prostitution, pédophilie... L'amendement 86, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. L'article 17, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté. M. Christophe Caresche - Cet article a trait à la traite des être humains et à la prostitution. Le texte qui nous est soumis appréhende ces questions uniquement sous l'angle de l'ordre public. Or, le problème de la prostitution ne saurait se réduire à un problème de nuisance, même s'il existe. Je suis élu du XVIIIe arrondissement de Paris et je ne compte pas parmi les belles âmes qui nient ces réalités. Les riverains qui subissent ces nuisances sont les premiers à dire que les prostituées vivent dans des conditions misérables. Or, votre texte présente un risque de stigmatisation des prostituées. Cette approche, de plus, ne fait que déplacer le problème. Les opérations de police au bois de Boulogne ont ainsi entraîné un déplacement de la prostitution sur les boulevards des Maréchaux. Une approche globale du problème de la prostitution est nécessaire. Peut-être notre Assemblée pourrait-elle envisager un débat, dans un autre cadre, comme la Suède, les Pays-Bas ou l'Allemagne l'ont engagé ? La question se pose du droit de chacun à disposer de son corps. M. le Ministre - Non. M. Christophe Caresche - Je reconnais cette liberté, mais la question que pose la prostitution est de savoir si l'on peut disposer du corps des autres. Il y a la liberté, et il y a l'exploitation. C'est l'exploitation qui domine aujourd'hui. Nous assistons au développement d'une forme de barbarie. Je souhaite que notre pays confirme son orientation abolitionniste. Mme Ségolène Royal - On ne peut aborder la question de la prostitution sans aller jusqu'au bout de la réflexion. Si l'esclavage et la traite des femmes se développent, c'est aussi que la demande croît ! Or, le projet n'aborde pas le problème des clients. Un autre débat me semble nécessaire. La lutte contre le proxénétisme doit être renforcée - nous vous soutenons sur ce point. La non-pénalisation des prostituées fait également l'unanimité. Il faut poser la question des inégalités entre les hommes et les femmes. L'anthropologue Françoise Héritier a démontré comment l'histoire de la domination masculine se fonde sur la domination du pouvoir de fécondité des femmes et, ipso facto, de leur sexualité avec, comme corollaire, le plaisir né de l'acte sexuel. Cette lutte pour s'approprier la fécondité - poussée à l'extrême dans les pratiques d'excision et d'infibulation - a imposé une conviction érigée au rang d'évidence : la pulsion masculine est licite et ne peut être réprimée dans son expression. La formule selon laquelle la prostitution serait le plus vieux métier du monde, autre version de cette idée reçue, n'est pas moins fausse. La légitimité de la pulsion masculine a été remise en cause avec les lois contre la pédophilie, le tourisme sexuel, la prostitution des mineurs, le harcèlement sexuel. La société évolue donc dans le bon sens. Le débat sur la pornographie, sur l'exhibition du corps féminin comme marchandise dans la publicité, relève de la même question, celle d'une société qui incite au passage à l'acte. Les enquêtes chez les collégiens et les lycéens témoignent de la dégradation des relations entre les garçons et les filles, comme si le contre-modèle pornographique servait d'éducation sexuelle. De tout cela, les filles sont victimes, mais les garçons aussi. Il faut donc extirper de l'inconscient collectif des hommes l'idée que toutes les pulsions masculines seraient légitimes. Or, tout en dissertant sur les droits des victimes, notre société n'a jamais autant encouragé les pulsions ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Il est grand temps de faire _uvre de pédagogie et de dire que 90 % des prostituées sont des esclaves qui subissent les pires sévices. En Italie, seize corps mutilés et écrasés de prostituées ont été trouvés. Comment savoir si de tels actes ne sont pas commis en France, où des femmes sont aussi considérées comme des marchandises ? Pourquoi est-il si difficile de réprimer la pulsion sexuelle à l'égard d'une esclave, alors que l'on réprime si communément la pulsion de vol ? Parce que l'homme croit s'affranchir en payant ? La pénalisation du client des prostituées a été évoquée pour la première fois quand notre Assemblée a débattu de la prostitution des mineurs. Mais il est difficile de sanctionner quelqu'un qui pense être dans son droit ! Pourtant, les Suédois l'ont fait, au terme d'un très long travail éducatif. C'est ce travail de longue haleine que nous devons mener, à l'école, à la télévision, pour que chacun sache que 90 % des prostituées sont des esclaves, et que recourir à l'esclavage, c'est y contribuer. Mme Martine Lignières-Cassou - Je me félicite que le Sénat ait repris la proposition relative à la lutte contre l'esclavage moderne adoptée par notre Assemblée, car le phénomène s'amplifie dans des proportions considérables, à mesure que se développe la traite des êtres humains à des fins de prostitution. Soixante-dix pour cent des 15 000 prostituées recensées en France sont étrangères, ce qui se comprend fort bien, puisque, selon interpol, une prostituée « rapporte » 100 000 € par an au proxénète et que les réseaux mafieux réinvestissent le capital de départ ainsi constitué dans des trafics d'armes et de stupéfiants (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Pourtant, le quotidien des prostituées victimes de la traite, c'est la barbarie. Notre réflexion n'est pas fondée sur des considérations d'ordre moral, car c'est une liberté fondamentale de se prostituer volontairement. Cette activité peut d'autant moins être considérée comme illégale qu'elle ne nuit pas à autrui ; c'est bien pourquoi nous condamnons le « tout répressif » en cette matière. Il n'empêche qu'une société démocratique doit affirmer des valeurs collectives et, en particulier, refuser la marchandisation des êtres humains. Si l'on veut combattre efficacement les réseaux mafieux, il faut donc interpeller les clients, non pour les stigmatiser mais pour leur enseigner que les relations entre les hommes et les femmes doivent être fondées sur l'égalité et le respect de l'autre. Cela, nous avons commencé de le faire en votant la loi du 4 mars 2002, qui mettait fin à l'impunité de ceux qui s'adressent à des prostitués mineurs. Il faut faire davantage. M. le Rapporteur - Je rappelle à toutes fins utiles que nous examinons l'article 17 bis et non l'article 18. Sur le fond, je partage le point de vue exprimé par Mme Royal sur l'esclavage des femmes prostituées, mais le débat me semble venir un peu tôt dans notre discussion, même si certaines femmes peuvent être concernées par des dispositions relatives à la lutte contre l'esclavage moderne. Pour autant, il ne faut pas oublier que 30 % des prostitués sont des hommes, ce qui n'a pas été dit. J'en viens à l'amendement 87, qui tend à supprimer les mots « que celle-ci soit consentante ou non », inutiles puisque, en droit français, l'infraction est constituée lorsqu'elle est constatée, que la victime soit ou non consentante. M. le Ministre - La population des prostitués, en France, est comprise entre 15 000 et 18 000 personnes, selon les estimations des services de police, lesquels ont d'autre part constaté en 2002 l'augmentation de 30 % des faits de proxénétisme. Ces statistiques désastreuses obligent à agir contre un phénomène qui, loin d'être anecdotique, ne cesse de s'aggraver. Je n'ai jamais dit que ce texte réglerait tous les problèmes, mais je suis certain qu'il en réglera une partie. Il faudra, bien sûr, continuer de travailler, mais au moins aurons-nous fait quelque chose ! L'article 17 bis tend à inclure dans notre code pénal sept articles nouveaux pour mettre notre droit en conformité avec d'heureuses dispositions de la convention de Palerme. Voilà ce dont il s'agit ! Le Gouvernement est donc favorable à l'amendement, qui supprime une précision inutile puisqu'en droit français l'infraction est constituée même si la victime est consentante. M. Alain Vidalies - Cet amendement, qui traduit un excès de juridisme, suscitera immanquablement des difficultés, puisque le texte retenu par le Sénat s'inspire directement de la décision-cadre du conseil de l'Union européenne du 19 juillet 2002. Mieux vaut adopter ce texte de portée internationale en l'état que le modifier par pur formalisme. M. Bernard Roman - Voilà qui est convaincant. Mme Martine Lignières-Cassou - Si à Palerme on a débattu du consentement, c'est que certains pays reconnaissent la prostitution. Pour nous qui sommes abolitionnistes, la distinction n'a pas d'intérêt. Cela étant, si l'on se réfère à une convention internationale, mieux vaut s'en tenir au texte que l'on a ratifié. M. le Rapporteur - Monsieur Vidalies, nous reprenons la rédaction du texte que votre majorité avait soumis à l'Assemblée... M. le Ministre - Le texte de Mme Lazerges. M. le Rapporteur - ...parce qu'il est meilleur que celui du Sénat. De surcroît, cette notion de consentement n'existant pas en droit français, l'introduire ici obligerait à le faire également dans toutes les dispositions du code pénal où il est question de faits caractérisés. Plusieurs députés socialistes - Non ! M. le Ministre - Le rapporteur a repris le texte d'origine socialiste. Il est antérieur, c'est vrai, à la convention de Palerme. Mais puisque cela ne change rien à notre droit pénal, le Gouvernement a émis un avis favorable. Ne faisons pas de juridisme, ce n'est pas là un élément essentiel. L'essentiel c'est qu'il y ait incrimination de la traite des êtres humains sans introduire de complexité supplémentaire. On suit la convention de Palerme, on ne complique pas le droit pénal, on s'aligne sur une proposition socialiste : Voilà trois raisons pour être heureux ! (Sourires) L'amendement 87 mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 88 complète la liste des circonstances aggravantes du délit de traite des êtres humains en y incluant l'usage de menaces à l'encontre de personnes en relation habituelle avec la victime. L'amendement 88, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. M. Thierry Mariani - L'amendement 22 évite une redondance de style en substituant « par » à « de par », locution issue d'une confusion avec l'ancienne forme « de part le roi » et utilisée une seule fois dans le code pénal. L'amendement 22, accepté par la Commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. M. Bruno Le Roux - L'amendement 275 de M. Montebourg est défendu. M. le Rapporteur - La commission l'a accepté car il allège la charge de la preuve en ce qui concerne la traite en s'inspirant de ce qui existe pour le proxénétisme. M. le Ministre - C'est le cas également pour le trafic de stupéfiants. J'y suis favorable, tout en considérant que cela doit concerner non seulement les auteurs mais aussi les victimes de ces infractions. L'amendement 275 mis aux voix, est adopté. L'article 17 bis, modifié, mis aux voix, est adopté. Mme Martine Lignières-Cassou - Notre amendement 278 corrigé introduit une sanction symbolique du client des personnes prostituées dans une visée éducative. Il ne s'agit pas de stigmatiser le client mais, comme on le fait en Suède ou aux Etats-Unis, de le sensibiliser à l'égalité entre hommes et femmes. Avec son accord, il suivra un stage alternatif. M. le Rapporteur - La commission l'a repoussé. Proposer de punir le client d'une personne prostituée avant que n'ait lieu le débat sur la prostitution, mais dans le cadre de la traite, est une idée qui a son intérêt. Mais il faudrait alors reprendre toutes les dispositions prévues par le Gouvernement à l'article 18 pour lutter contre la prostitution, et accepter que tombent tous les amendements déposés à cet article. Sanctionner le client, n'est-ce pas se donner bonne conscience ? Par cette mesure « symbolique », selon le mot de M. Caresche - un symbole coûteux toutefois puisque l'amende est de 3 750 € - vous choisissez de punir le client pour supprimer la prostitution. Plus modestement, nous choisissons de lutter contre les réseaux qui s'apparentent à l'esclavage. De toutes façons, la mesure que vous proposez ne fera pas disparaître la prostitution, mais elle affaiblira les moyens d'action de la police. La seule solution efficace est celle qui est proposée par l'article 18. M. le Ministre - Le Gouvernement souhaite le rejet de cet amendement. La difficulté vient de ce qu'existent sur la prostitution des écoles de pensée, au caractère un peu absolu, entre lesquelles chacun se sent obligé de choisir. Je vous propose une démarche plus pragmatique. Le code pénal prévoit déjà la pénalisation des clients de prostitués mineurs. J'ai demandé, par instruction écrite, que les services de police et de gendarmerie fassent en sorte que ces dispositions, jusque là restées théoriques, soient appliquées, et des décisions judiciaires sont récemment intervenues en ce sens, notamment à Paris. Nous nous proposons à l'article 18 d'aller un peu plus loin, en sanctionnant les clients de personnes prostituées et étant de particulière vulnérabilité, telles les femmes enceintes ou les prostituées handicapées - je pense à ce scandaleux réseau, qui a été démantelé de prostituées sourdes et muettes. Nous pourrons évaluer les résultats de ce début de pénalisation du client, sachant qu'en ce domaine l'expérience suédoise n'est pas très concluante. Mme Ségolène Royal - Il ne faut pas dire cela. M. le Ministre - Encore une fois, soyons pragmatiques : pénalisons certains clients, évaluons les résultats, et nous verrons ensuite : sans nul doute, le débat ne s'arrêtera pas là. Mme Christine Boutin - A l'occasion de la défense de mon sous-amendement 484, je prends la parole pour la première fois sur ce projet important, qui participe au rétablissement de l'autorité de l'Etat, dans l'intérêt des plus faibles. S'agissant de la prostitution, les orientations retenues sont bonnes dans leur principe. Toutefois, je m'étonne qu'on n'agisse pas plus clairement contre le client. La gauche s'arroge le droit de mettre des limites aux libertés au nom de la nécessité pour une société de partager des valeurs communes, mais lorsque d'autres expriment la même préoccupation, elle parle d'ordre moral ! S'appuyer sur des valeurs, n'est-ce pas proclamer une morale ? Mon sous-amendement répond à un souci d'égalité et d'affirmation de la dignité de toute personne. La prostitution suppose deux partenaires : il convient donc que le client soit sanctionné afin de bien montrer que la France veut tendre vers l'abolition de la prostitution. M. le Rapporteur - Etant défavorable à l'amendement, la commission l'est aussi au sous-amendement, qu'elle n'a pas examiné. M. le Ministre - Même avis. Mme Martine Billard - Ce débat partage en leur sein les forces politiques, de même que les associations. Nous rêvons sans doute presque tous de faire disparaître la prostitution, mais il faut surtout, sans se contenter d'en faire disparaître le caractère visible, aider les personnes prostituées à en sortir en soutenant le travail des associations. Le fait de sanctionner le client risque de pousser les personnes prostituées vers la clandestinité et, par là même - et c'est la critique que nous faisons aussi à l'article 18 - de les fragiliser en renforçant les réseaux de prostitution. Nous sommes donc contre cet amendement et contre l'article 18. Par ailleurs, la lutte contre la prostitution passe aussi par la construction d'une société plus humaine, favorisant les rencontres entre les gens... Mme Ségolène Royal - Je m'abstiendrai sur cet amendement, qui a le mérite d'ouvrir le débat. Je précise que s'il a été placé dans le chapitre relatif à la traite des êtres humains, c'est parce qu'il a trait à la prostitution « forcée ». Quant au risque d'un retour à la clandestinité, c'est un argument qu'on m'avait opposé à propos de la prostitution des mineurs. En réalité, la pénalisation des clients est très dissuasive pour les proxénètes ; c'est ce qu'on a constaté en Suède. Je ne crois pas, Monsieur le ministre, qu'il y ait plusieurs écoles de pensée : il s'agit de lutter contre l'esclavage, et donc de faire entendre que toute personne qui participe à ce système a une responsabilité. Or nous sommes dans un système totalement hypocrite, puisque l'Etat lui-même prélève des recettes fiscales sur la prostitution. On ne peut pas passer brutalement de cette hypocrisie à une pénalisation du client ; il faut d'abord, Monsieur le ministre, engager un travail d'éducation et de communication, comme cela a été fait en Suède, pour marteler le message de l'illégitimité d'acheter un corps. Si nous progressons dans cette voie, ce débat n'aura pas été inutile. M. le Ministre - Je vous remercie de la manière dont vous vous êtes exprimée. Aucun parmi nous ne prétend détenir la vérité. Oui, il faut sortir de l'hypocrisie ; mais que dire de celle qui consiste à punir le racolage actif et à ne pas punir le racolage passif ? D'autre part, si l'on pénalise la demande, c'est-à-dire le client, comme vous en évoquez la possibilité, ne faut-il pas pénaliser l'offre également ? On ne peut se contenter d'envoyer un signal indécis et de laisser les proxénètes libres de mettre sur le trottoir tant de malheureuses victimes ! On ne peut non plus assimiler la prostitution à un esclavagisme et fermer les yeux quand elle s'expose ! La lutte contre l'hypocrisie, à laquelle je souscris, doit être menée sur tous les fronts (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). On m'opposera que ces dispositions conduiront à un développement de la prostitution en hôtel et je reconnais qu'elles peuvent en effet avoir des conséquences non désirées. Mais il vaut mieux prendre ce risque, quitte à s'attaquer ensuite à la prostitution en chambre, plutôt que de se scandaliser ou de s'apitoyer sans rien faire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Jean-Christophe Lagarde - Il est clair qu'il est bien difficile de légiférer sur une forme de sexualité et, encore davantage, sur la prostitution. Si le Gouvernement nous y invite, c'est sans doute en raison du développement de réseaux mafieux, d'une violence inouïe. Le débat en commission a permis de lever nos réserves initiales, nous convaincant qu'il convenait de compléter l'arsenal législatif, ne serait-ce que pour sauver quelques personnes. En revanche, lorsqu'on nous propose, de surcroît, de pénaliser le client, nous nous y refusons : la mesure est certes morale, mais il faut aussi viser à l'efficacité. S'attaquer aux clients fera disparaître la prostitution des trottoirs mais laissera subsister la prostitution des salons, la prostitution mondaine. D'autre part, que signifie prétendre interdire la prostitution lorsqu'on laisse en vente libre des magazines montrant des photos largement dénudées, accompagnées d'un numéro de téléphone ? Nous devrions plutôt nous inspirer, non de l'expérience suédoise, qui n'est pas totalement convaincante, mais du travail social effectué dans certains Etats des Etats-Unis, où l'on oblige les clients à entendre d'anciennes prostituées leur expliquer ce qu'elles ont vécu. Ils comprennent alors que la prostituée n'est pas une marchandise, mais un être humain exploité, qu'ils agressent et contribuent à dégrader, eux aussi. Cette voie me paraît bien préférable à celle qu'indique l'amendement. Mme Martine Lignières-Cassou - Nous ne légiférons pas sur la sexualité, Monsieur Lagarde ! Et il ne convient pas d'opposer lutte contre les réseaux et responsabilisation du client, Monsieur le rapporteur. En établissant un parallèle entre la pénalisation du client et la pénalisation des prostituées, Monsieur le ministre, vous vous enfermez dans une contradiction : d'une part, vous décrivez les prostituées comme des victimes ; d'autre part, vous les sanctionnez ! A la différence de Mme Boutin, je ne considère pas le client comme un malade, mais comme un inconscient, qui se considère quitte parce qu'il paie. C'est pourquoi je juge intéressantes, moi aussi, les expériences menées aux Etats-Unis. Mais, Monsieur Lagarde, pour procéder à ces actions de sensibilisation, il faut commencer par pénaliser le client ! Notre propos n'est pas de stigmatiser, mais on ne pourra éduquer que si l'on pose au préalable qu'il y a délit. M. le Ministre - En pénalisant le racolage, on pénalise le proxénète, non la prostituée ! Pour vous, la prostituée est esclave. De fait, si elle est sur le trottoir, la responsabilité en est au proxénète. En rendant le racolage pénalement répréhensible, on pénalise celui qui oblige à y recourir (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Je ne prétends pas détenir la vérité, mais je suis au moins convaincu que s'exposer sur un trottoir pour affronter ensuite des rencontres sordides, ce n'est pas la liberté ! Et je crois que ne pas pénaliser le racolage revient à favoriser le proxénétisme. Reconnaissez au moins la cohérence du propos ! En sanctionnant le racolage sur le trottoir, on frappe le proxénète au portefeuille. Autrement dit, c'est à lui qu'on rend la vie impossible, non à ses malheureuses victimes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Celles-ci, en général étrangères, connaissent une existence misérable dans nos villes, où elles ne connaissent personne, où elles sont logées dans des chambres sordides et exposées constamment aux menaces d'hommes sans scrupules. Faisons tout pour les sortir de cet esclavage mais ne disons pas qu'elles sont esclaves en les laissant sur les trottoirs ! Enfin, est-il logique de maintenir la situation actuelle, où le racolage actif est pénalisé et le racolage passif légal ? Je ne fais que mettre un terme à cette disparité absurde, choquante et, surtout, hypocrite. A tout prendre, mieux vaudrait d'ailleurs ne pas pénaliser du tout le racolage plutôt que d'en rester à des dispositions qui accordent à la police un pouvoir d'appréciation exorbitant - si j'étais encore avocat, il me semble que je serais tenté d'exploiter cette faille ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Mme Christine Boutin - Merci, Monsieur le ministre : c'est la première fois que nous avons sur la prostitution un débat aussi sérieux et responsable et que nous levons un tabou pour enfin aborder le problème du client. Sans prétendre détenir la vérité, vous nous suggérez une piste à suivre : je vous suivrai ! La rédaction de mon sous-amendement est en effet critiquable. Il convient notamment que notre société réfléchisse davantage à la place qu'elle fait à la personne. La prostitution est trop souvent assimilée à un commerce, à l'achat d'un service. Il faut que l'on respecte mieux la dignité de chaque être humain et, pour cela, il faut éduquer. C'est pourquoi je retire ma proposition. Le sous-amendement 484 est retiré. M. Noël Mamère - A l'évidence, sur ce sujet, le clivage ne passe pas entre la gauche et la droite, mais traverse chacun des deux camps ! Avec son habileté coutumière, le ministre a pris à leur propre piège les partisans de la prohibition. « Puisque vous réduisez la prostitution à l'esclavage, leur a-t-il dit, il faut la pénaliser ». Bertolt Brecht disait en 1953, à propos de la tentative de révolution du peuple allemand contre les dictateurs communistes : « Si vous n'aimez pas le peuple, changez de peuple ». Voyons la réalité en face, certaines des personnes qui se prostituent sont poussées à le faire pour des raisons économiques et sociales, pour des raisons familiales, par l'existence d'une misère sexuelle ; mais toutes les prostituées ne sont pas des étrangères, toutes ne sont pas sous la dépendance d'un proxénète. Vous voulez sanctionner le client et la prostituée, mais vous ne proposez rien pour casser les filières du proxénétisme ni pour créer de meilleures conditions sanitaires et sociales pour les prostituées. Si l'on doit tendre vers l'abolitionnisme, le législateur ne peut se contenter de condamner les prostituées et leurs clients pour rendre la France plus propre. Notre souci premier doit rester le respect de la personne humaine et nous devons tout mettre en _uvre pour que les plus vulnérables aient d'autres recours que de vendre leur corps. M. Alain Vidalies - Il peut être dangereux de confondre esclavagisme et prostitution. La traite des êtres humains a une définition précise : c'est la vente par un tiers d'un individu. Or, nombre de prostituées n'entrent pas dans le cadre de textes tels que le protocole de Palerme. Nous avons été nombreux à nous rendre sur le terrain, en Moldavie, en Ukraine, où nous avons constaté que de véritables marchés aux femmes existent, ce qui a inspiré notre proposition sur la traite. L'absence de cadre juridique sur la prostitution a pu expliquer que l'on rapproche traite et prostitution. Entretenant la confusion, vous proposez dans votre texte un chapitre relatif à la tranquillité publique où vous créez un délit dont le seul objet serait, non de condamner les prostituées, mais de les aider ! Vous-même, Monsieur le rapporteur, êtes d'ailleurs apparu à une émission de Canal Plus, en train de rassurer une prostituée « traditionnelle » en lui promettant que le projet de loi ne saurait la concerner !... Loin de pénaliser les victimes, c'est aux proxénètes qu'il faut s'attaquer. Et si la lutte à mener a pris du retard au niveau européen, il ne faut pas pour autant baisser les bras. M. le Ministre - J'ajouterai qu'il ne faut pas oublier les grands absents de ce débat, les habitants de nombreux quartiers, qui nous appellent au secours. Combien de maires, toutes tendances confondues, ont pris des arrêtés pour interdire la prostitution ici ou là ? Si encore la prostitution était limitée à certains quartiers « traditionnels », mais elle s'étend. N'abandonnons pas ces habitants qui sont, eux aussi, des victimes. Monsieur Mamère, même si je n'y suis pas complètement favorable, je ne reprocherai pas à ceux qui veulent pénaliser les clients de proposer une mesure à connotation morale. On ne me fera pas croire qu'en être réduit à vendre son corps soit une liberté ! Au demeurant, je n'ai pas l'ambition d'éradiquer la prostitution, mais simplement de la contenir. C'est d'ailleurs une hypocrisie que de participer à des soirées contre le sida - chose utile par ailleurs - et de fermer les yeux sur ce qui se passe au Bois de Boulogne où 90 % des travestis sont malades ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. Noël Mamère - Donnez la parole aux associations ! M. le Ministre - L'OCRET compte 18 fonctionnaires. Je porterai les effectifs à 50 fonctionnaires en 2003. La Brigade de répression du proxénétisme, à Paris, compte 20 fonctionnaires. Je porterai l'effectif à 50 fonctionnaires. Je ne me glorifie pas de ces chiffres, mais c'est du moins un premier pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Jean-Marie Le Guen - Merci de nous rappeler les raisons pour lesquelles nous avons aujourd'hui ce débat : des riverains se sont plaints de leur situation, d'autant d'ailleurs que des choix faits par la police ont tendu à déplacer et à concentrer les problèmes dans certains quartiers. Sur une telle question, j'aurais aimé qu'un travail plus approfondi soit mené, car nous avons parfois des idées préconçues. Vous avez annoncé des moyens supplémentaires de lutte, ce qui est positif, mais vous serez sans doute amené à aller au-delà (Approbation de M. le ministre). La confusion entre impératif moral et action politique provoque souvent des désillusions et peut susciter des prises de position dangereuses. Des prostituées, en effet, prétendent exercer librement. Sont-elles libres ? Non, selon nos conceptions, mais avons-nous le droit d'en juger ? Certaines façons de traiter les problèmes de société m'inquiètent. Mme Boutin a ainsi proposé une approche médicale qui n'est pas acceptable. Mme Christine Boutin - J'ai retiré mon amendement. M. Jean-Marie Le Guen - J'ai entendu, sur d'autres bancs, le terme de « pulsion ». L'instauration d'un ordre médical n'est pas souhaitable. Les problèmes psychologiques ne sont pas nécessairement pathologiques. Je ne pense pas que le traitement des phénomènes sociaux relève de l'ordre législatif ou de la répression policière et judiciaire. Si, au-delà de la question de l'ordre public soulevée par la présence des prostituées dans certains quartiers, nous voulons aider les prostituées, nous devons le faire par une action sociale. Toute autre approche me semble régressive. M. Claude Goasguen - Je ne suis pas sûr que ce soit faire avancer le débat que de le placer sur le plan théorique. Je suis sceptique sur l'assimilation de la prostitution à la « traite d'êtres humains ». Des femmes ont, c'est un fait, prétendu s'adonner à la prostitution en toute liberté. Je suis pour ma part l'élu d'une circonscription qui souffre d'un accroissement de la prostitution et d'un changement considérable de sa nature. Je me suis renseigné auprès d'experts, notamment du ministère de l'intérieur qui m'ont dit que 95 % des prostituées sont soumises à des proxénètes. Des écrivains, des sociologues ont décrit l'extrême violence du proxénétisme sur les boulevards parisiens. Les proxénètes veillent à l'« occupation du terrain » et se livrent à des menaces physiques. Comment donc prétendre que ces prostituées seraient indépendantes ? De même, les maisons closes, paradis d'indépendance où l'on vient faire des passes de temps en temps pour arrondir ses fins de mois relèvent d'une conception idyllique du XIXe siècle. Arrêtons de parler du libre-arbitre de la prostitution ! Une fois ce point acquis, la démonstration du ministre de l'intérieur est très claire. Des femmes sont menacées ; elles peuvent être soumises à des chantages permanents. Comment peut-on gêner l'exercice du proxénétisme sans gêner l'exercice du racolage ? Si on me l'explique, je suis d'accord avec tous les amendements de la terre. Dans ma circonscription, nous avons essayé d'expliquer à des prostituées quelles sont les possibilités d'asile qui peuvent leur être offertes. Le lendemain, elles étaient lardées de coups de rasoir ! La seule manière de gêner le proxénète est de gêner l'exercice du racolage. M. le Rapporteur - L'article 18 aborde la question de la lutte contre le proxénétisme. Nos collègues socialistes ont choisi de rattacher leurs amendements relatifs à la prostitution à l'article consacré à la traite des êtres humains. Soit. Mais puis-je leur faire observer que le champ de cet article est bien plus large que la seule prostitution ? Qui ne se rappelle les jeunes infirmes roumains exploités par des chefs mafieux sans scrupules ? Qui ne sait, à présent, que l'esclavage domestique prospère dans certains milieux, et même chez certains diplomates en poste en France ? Voilà ce dont traite, entre autres choses, l'article 17 bis, cependant que l'article 18 est, lui, entièrement consacré à la prostitution. Le ministre a souligné qu'il s'agissait d'abord de sécurité intérieure. On note que le texte proposé par le Gouvernement est très équilibré, puisque répression et prise en compte des victimes y sont également présents. Au cours du débat qui vient d'avoir lieu, j'ai constaté des divergences sur les bancs de la gauche, mais j'ai entendu beaucoup de réflexions intéressantes, qui traduisent l'intérêt suscité par les dispositions proposées. Le texte sera encore amélioré par des amendements de la commission et du Gouvernement visant à adoucir le sort des prostituées. Ces prostituées, nous les avons entendues, Monsieur Vidalies, vous ne l'ignorez pas, et nous les avons convaincues que nous n'entendions pas criminaliser leur activité mais les protéger des réseaux mafieux et protéger aussi les riverains, confrontés à des situations intolérables. Ce texte leur apporte des réponses et il n'est que temps. Reprenons, en effet, l'historique de la question. En 1992, il a été décidé que le racolage passif ne serait plus un délit et que seul le racolage actif serait désormais poursuivi... et passible d'une contravention de cinquième classe... Depuis lors, la prostitution a augmenté de 80 % ! Telle est la réalité ! L'assouplissement de la législation a amplifié le phénomène et ses conséquences (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). C'est incontestable ! A Paris, en Ile-de-France dans une moindre mesure, dans la région lyonnaise, sur la Côte d'Azur et en particulier dans les Alpes-Maritimes, les services sociaux aussi bien que les services de police constatent l'augmentation formidable de la prostitution étrangère. Je ne citerai qu'un exemple : la Promenade des Anglais, à Nice, comptait cent de ces femmes au début des années 1990. Aujourd'hui, elle sont 450 qui, pour la majeure partie d'entre elles, viennent des PECO ou d'Albanie. Et que peuvent faire les forces de l'ordre ? Rien, car les proxénètes qui dirigent la man_uvre, sans même prendre le risque d'être sur le sol français, leur interdisent le racolage actif, si bien que la police n'a pas même le droit de leur demander leur identité. M. Jean-Marie Le Guen - Comment pouvez-vous dire des choses pareilles ? M. le Rapporteur - On ne peut contrôler l'identité d'un citoyen qui ne se livre pas au racolage actif (Exclamations ironiques sur les bancs du groupe socialiste). Vous ne l'ignorez pas : il faut des circonstances exceptionnelles pour contrôler les identités. M. Jean-Marie Le Guen - Par exemple, se trouver à une sortie de métro ! M. Gérard Léonard - Mais enfin, les contrôles d'identité sont réglementés ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) M. le Rapporteur - La commission a entendu de nombreux juristes, et tous ont souligné la duplicité des proxénètes. Car même lorsqu'une commission rogatoire est délivrée, elle ne peut aboutir, les prostituées étrangères étant munies de visas de tourisme en règle et se gardant soigneusement, sur ordre, de toute activité délictueuse au regard du droit français. Il est donc très difficile d'agir. L'objectif du texte est celui-ci : permettre d'enquêter pour remonter les filières et démanteler les réseaux mafieux qui gangrènent notre société. Ce sont des multinationales de la criminalité organisée qui se créent sur notre sol, et pour lesquelles la prostitution n'est qu'une activité lucrative parmi d'autres, qui ont pour noms blanchiment, trafic d'armes et de stupéfiants, projets immobiliers douteux. Le Gouvernement nous donne un moyen de les atteindre et de les empêcher de nuire. Enfin, il ne faut pas mésestimer l'aspect économique. Alors que nos petits commerçants sont soumis à des contrôles fiscaux et sociaux multiples, il est inadmissible qu'une économie souterraine puisse subsister qui permette d'expédier 167 millions d'euros à l'étranger par le truchement de Western Union. Pour toutes ces raisons, je souhaite vivement que le Parlement donne au Gouvernement les moyens de mettre un terme à ces dérives criminelles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). L'amendement 278 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté. M. le Président - L'amendement 279 tombe. M. Bruno Le Roux - L'amendement 276 tend à réintégrer dans le chapitre V du titre II du Livre II du code pénal la pénalisation de l'exploitation des prostitués particulièrement vulnérables. Mieux vaudrait adopter ici cette disposition utile et traiter de la prostitution dans un autre texte, après un travail préparatoire approprié. M. le Rapporteur - Rejet. En traitant le sujet à cet endroit, l'amendement ne reprend qu'une partie des mesures proposées contre la prostitution. L'amendement 276, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté. M. Bruno Le Roux - L'amendement 277 traite de la mendicité, considérée comme une esclavage moderne. M. le Rapporteur - Rejet pour la même raison que précédemment : ce sujet sera traité à l'article 22. M. Noël Mamère - On ne saurait réduire la mendicité à l'esclavage. Mais nous y reviendrons. L'amendement 277 mis aux voix, n'est pas adopté. M. Lionnel Luca - Mon amendement 196 corrigé n'a plus vraiment de raison d'être puisque le Sénat a défini la traite de façon large. Je rappelle simplement le travail considérable, et efficace, accompli par la mission d'information, qui avait abouti à l'adoption à l'unanimité de la proposition de loi socialiste. Je remercie M. le ministre d'en avoir repris le contenu dans ce texte. Simplement, la lutte contre l'esclavage ne s'arrête pas à la lutte contre la prostitution : n'oublions pas le travail clandestin. Protéger les plus vulnérables, renforcer les peines, confisquer les biens, cela va dans le bon sens. Le Gouvernement a su profiter de l'acquis et agir sans s'en prendre aux victimes. M. le Rapporteur - La commission n'a pas adopté cet amendement, puisqu'il est effectivement satisfait par l'article 17 bis. C'est l'occasion de rappeler que cet article est en partie dû à M. Luca et de rendre hommage au travail qu'il avait accompli en tant que porte-parole de l'opposition dans le débat sur l'esclavage moderne. M. le Ministre - Même avis. M. Lionnel Luca - Je retire l'amendement. Les articles 17 ter, 17 quater, 17 quinquies, successivement mis aux voix, sont adoptés. M. Pascal Clément, président de la commission des lois - La commission fait la chasse aux « notamment ». Par l'amendement 458, je propose d'en supprimer un qui affaiblit l'incrimination pénale dans le cas de personnes vulnérables. M. le Ministre - Favorable. L'amendement 458 mis aux voix, est adopté. L'article 17 sexies, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté de même que les articles 17 septies, 17 octies, 17 nonies, 17 decies, 17 undecies. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce soir à 21 heures. La séance est levée à 19 heures 10. Le Directeur du service |
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