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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 49ème jour de séance, 126ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 28 JANVIER 2003

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

Sommaire

      CRÉATION D'UN ORDRE NATIONAL INFIRMIER 2

      SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION 14

      FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 14

      A N N E X E ORDRE DU JOUR 15

La séance est ouverte à neuf heures.

CRÉATION D'UN ORDRE NATIONAL INFIRMIER

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Luc Préel et de plusieurs de ses collègues relative à la création d'un ordre national de la profession d'infirmier et d'infirmière.

M. Jean-Luc Préel, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - La création d'un ordre des infirmières est à l'étude depuis de nombreuses années. Le groupe UDF a choisi d'inscrire la proposition de loi à l'occasion d'une séance d'ordre du jour d'initiative parlementaire - je salue à ce propos l'initiative de Philippe Séguin, qui a permis aux groupes d'inscrire à l'ordre du jour des propositions de loi intéressant l'ensemble de la population.

Pourquoi un ordre des infirmières ? Le but est d'organiser la profession de manière démocratique dans l'intérêt des malades, mais aussi pour reconnaître une profession qui occupe une place centrale dans notre système de soins.

Le rôle des infirmiers a beaucoup évolué du fait de l'évolution des techniques médicales et de l'utilisation de molécules très efficaces - donc potentiellement dangereuses -, nécessitant une grande compétence pour l'application de protocoles complexes, exigeant une formation initiale et continue de qualité.

Cette technicité n'a pas supprimé le rôle des infirmières dans le soutien moral et psychologique du malade. Elles assurent la permanence des soins, ont un contact étroit avec les malades qu'elles accompagnent dans leurs derniers instants. Elles participent aux soins mais aussi à la prévention et à l'éducation à la santé.

Bref, il est nécessaire de définir et de faire respecter des principes déontologiques propres à la profession afin de garantir une qualité et une sécurité optimale des soins. Or, cette profession, qui compte près de 450 000 membres dont 53 000 libéraux, n'est pas organisée. L'absence d'organe fédérateur conduit à l'éclatement de la représentation, partagée entre plus de 150 associations ou syndicats professionnels dont la représentativité est très faible, puisque seules 4 % des infirmières adhèrent à une confédération syndicale et 8 % à une association professionnelle. Les pouvoirs publics ne disposent donc pas d'un interlocuteur représentatif de la profession ; et la France est sous-représentée au conseil international des infirmières où elle n'occupe que la 37 ème place sur les 112 pays membres, alors que l'importance numérique de la profession lui donnerait la 1ère place si sa représentation était unifiée. Enfin des ordres d'infirmières existent dans de nombreux pays européens, Espagne, Irlande, Danemark, Italie, Royaume-Uni.

Un collectif réunissant 32 organisations et syndicats de la profession s'est formé en 1993 en faveur de la création d'un ordre, et a adopté des recommandations concrètes qui ont inspiré cette proposition de loi. Des enquêtes récentes montrent que 65 à 80 % des infirmières sont favorables à une structure à cotisation obligatoire.

Lors de la législature précédente, plusieurs propositions de loi avaient été déposées, notamment par MM. Micaux, Rochebloine et Bernard Accoyer, et celle-ci a été inscrite à notre ordre du jour en 1998. Depuis, la loi Kouchner du 4 mars 2002 a supprimé les ordres des masseurs-kinésithérapeutes et pédicures-podologues, créés en 1995, et institué un conseil des auxiliaires de santé.

M. Alain Néri - C'est une bonne décision.

M. le Rapporteur - Ce conseil comporte deux défauts : il ne permet pas de prendre en compte les problèmes spécifiques de chaque profession ; il ne comprend que les professionnels libéraux et laisse de côté les salariés.

Cette proposition tend à supprimer le conseil, dont les décrets ne sont pas parus, ce qui impliquera de recréer des conseils de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes et pédicures-podologues et de créer une union régionale des professions paramédicales élue par collèges.

L'ordre des infirmiers et infirmières sera démocratique puisque des élections sont prévues et que tous pourront voter et se présenter. L'ordre sera ensuite ce que les élus en feront.

Il sera l'interlocuteur privilégié des ministères pour l'orientation des politiques de santé publique, l'actualisation du code de déontologie, les projets de réglementation, la qualité de la formation. Il gérera une banque de données statistiques favorisant l'installation.

Trois niveaux de représentation sont prévus : un conseil départemental, élu pour six ans par quatre collèges représentant les cadres infirmiers, les infirmiers et infirmières spécialisés, les infirmiers et infirmières salariés, les infirmiers et infirmières libéraux ; un conseil régional élu de même ; un conseil national élu par les conseils régionaux pour six ans et représentant la fonction publique hospitalière, la fonction publique territoriale, l'éducation nationale, le secteur hospitalier privé, le secteur libéral, les infirmiers spécialisés, ainsi que la direction des services de soins infirmiers.

Votre rapporteur souhaite que l'Assemblée puisse débattre et adopter cette proposition de loi. La commission, tout en reconnaissant l'utilité de ce débat, n'a pas discuté les articles et a donc repoussé cette proposition, ce que je ne peux que regretter (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - L'idée de créer un ordre infirmier a fait l'objet de plusieurs propositions de loi et la représentation nationale a souvent souhaité exprimer sa reconnaissance à une profession respectée par tous. Je pense en particulier aux propositions de loi de François Rochebloine et de Bernard Accoyer, de Pierre Micaux ou à celle présentée en 1998 par Pierre Micaux, Jean-Luc Préel et François Rochebloine. Des députés de tous bords...

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - De certains bords...

M. le Président de la commission - ...ont soutenu par le passé la création d'un ordre spécifique, comme il en existe au Royaume-Uni, en Italie, en Irlande et au Québec. Les infirmières, en particulier libérales, militaient alors en ce sens.

Aujourd'hui, la donne a changé. Le système de santé a connu de profondes évolutions. Les infirmiers veulent faire partie d'une logique collective et travailler ensemble, libéraux et salariés, dans l'interdisciplinarité. La profession a acquis dans la dernière décennie une maturité incontestable - définition du rôle propre, décret de compétences, règles professionnelles - et est soumise à la loi « droits des malades » du 4 mars 2002.

Cette proposition de loi ne peut plus se réclamer de l'adhésion du personnel infirmier. L'attente d'un ordre n'existe plus. Il devient donc difficile de le créer et surtout de demander aux intéressés d'acquitter la cotisation obligatoire inhérente à toute structure ordinale ! J'imagine encore moins que l'attribution d'un poste en milieu hospitalier soit subordonnée à l'adhésion à cet ordre. Enfin, un ordre professionnel a pour objet de protéger le public des abus qui pourraient être commis. Or, il existe assez de mécanismes disciplinaires pour y parer et encadrer le travail avec rigueur. Cette structure lourde n'apporterait donc pas grand chose.

Ce qui est urgent, c'est que le ministère mette en _uvre la loi du 4 mars, puis évalue le fonctionnement des institutions avant que nous envisagions de les remplacer par un ordre. Le conseil supérieur national des professions de santé comprend une section spéciale pour les infirmiers. La commission a donc jugé préférable de ne pas passer à la discussion des articles. En revanche, nous sommes nombreux à vouloir saisir cette occasion pour en savoir plus sur la publication des décrets de la loi du 4 mars.

Je me réjouis que l'examen de cette proposition permette à la représentation nationale d'engager un débat approfondi, en séance publique, sur le monde infirmier. Depuis toujours, les infirmiers et infirmières mettent leur compétence au service de la population. Ils occupent une place primordiale et prouvent tous les jours leur dévouement, leur compassion et leur professionnalisme.

Mme Catherine Génisson - Et leur compétence !

M. le Président de la commission - Cette séance est une bonne occasion de remercier ces femmes et ces hommes qui prennent soin de milliers de patients, et aussi d'évoquer leurs revendications en matière de reconnaissance des compétences ou de revalorisation de la carrière. Ce sont des questions d'une tout autre ampleur et sur lesquelles le monde infirmier nous attend (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Olivier Jardé - Les infirmières ont un rôle primordial dans notre chaîne de soins. Elles sont l'interface humaine entre le patient qui souffre et le monde médical aux gestes techniques. On dit « mon » infirmière, et je crois qu'on les place au même niveau que les pompiers. Il s'agit d'une profession importante, avec 450 000 représentants, mais éclatée : entre libéraux et salariés du public et du privé, mais aussi entre infirmières de bloc opératoire, puéricultrices, anesthésistes ou encore scolaires... Par ailleurs, les infirmiers ne sont représentés qu'à hauteur de 6 % au niveau syndical et de 8 % dans les organisations professionnelles.

Les infirmières sont aussi importantes pour les soins que pour la prévention, et un problème de reconnaissance existe indubitablement. La profession est désespérée. Pour les infirmières libérales, le blocage de l'AMI, l'augmentation des charges sociales ou le cumul des actes posent problème. Sans oublier que, pour se rendre au chevet du même malade, leurs indemnités kilométriques sont inférieures à celles des médecins !

La loi du 4 mars a institué un conseil des professions paramédicales, mais elle ne concerne que les salariés. Il est regrettable de scinder encore une fois la profession. Un ordre permet de regrouper tout une profession et lui donne un label de qualité, d'indépendance et de moralité. En créer un apporterait la reconnaissance de la nation à la profession et permettrait de régler certains problèmes déontologiques, alors que les infirmières utilisent de plus en plus de produits à haute toxicité. Le procès en cours n'est pas représentatif. Il ne s'agit que d'un cas isolé, et chaque profession connaît de tels exemples. Néanmoins, il faut considérer l'accroissement des activités de niveau thérapeutique des infirmières, et le fait que bien souvent, elles sont les garantes des secrets de fin de vie des patients.

Il existe des ordres infirmiers dans l'Union européenne, que ce soit au Royaume-Uni, en Italie ou en Espagne. Pour la France, j'avais déploré lors de la discussion du budget de l'enseignement supérieur que les étudiants, au bout de deux ans de préparation à la médecine, n'aient aucune équivalence. Si le projet de tronc commun aboutissait, des ordres existeraient pour les dentistes, les pharmaciens et les sages-femmes, mais les infirmières seraient une fois de plus mises de côté.

Je voterai donc en faveur de ce texte. Néanmoins, quelle que soit l'issue de cette proposition, elle aura eu l'intérêt de permettre à la représentation nationale de parler des infirmières et de prendre conscience de leur rôle. Au-delà des clivages politiques, il faut organiser la reconnaissance de cette profession, en passant par l'amélioration de leurs conditions de travail et de leur rémunération (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Mme Muguette Jacquaint - Cette proposition du groupe UDF revient régulièrement, que ce soit sous la forme d'un texte de loi ou d'amendements.

Le groupe communiste et républicain reste opposé à la création d'un ordre national infirmier. Nous partageons les préoccupations des infirmiers liées à l'éthique, à la reconnaissance et à la valorisation de la profession, mais nous pensons, comme eux, que la création d'un ordre ne répondra en rien à ces préoccupations. Un tel ordre tend davantage à encadrer une profession sur la base d'un « ordre moral » qu'à partir d'un consensus respectant les diversités d'approches. J'ai souvenir que l'ordre des médecins a pris des positions choquantes, par exemple contre la sécurité sociale, le tiers payant et tout dernièrement contre l'interruption volontaire de grossesse.

Certes, de nombreuses infirmières libérales pensent qu'un ordre réglementerait la concurrence, mais ce n'est évidemment pas le problème des salariées !

En outre, cloisonner la profession serait contradictoire avec la réforme en cours des études médicales, selon laquelle la première année serait commune aux médecins et aux treize professions paramédicales. Réforme dont, par ailleurs, on conteste le bien-fondé et absence de concertation avec les organisations syndicales.

D'autre part, vous invoquez le prétexte de la sous-représentation des infirmiers. La nécessité de se rassembler pour imposer aux pouvoirs publics des mesures en faveur de la profession est évidente, qu'il s'agisse des effectifs, des conditions de travail, des salaires ou de la formation...

Cependant l'ordre aurait pour objectif de faire respecter l'éthique. Mais cela améliorera-t-il les conditions de travail ? Les ordres existants s'occupent surtout de discipline et des manquements à « l'honneur de la profession ». Ils sanctionnent les individus sans prendre en compte les conditions de l'exercice de sa profession. Nous n'y voyons donc pas grand intérêt.

M. Olivier Jardé - Oh !

Mme Muguette Jacquaint - Pour répondre aux préoccupations de ces professionnels, il existe déjà le conseil supérieur des professions paramédicales où tous les secteurs d'activité, les syndicats et les associations sont représentés. Sa commission infirmière donne des avis sur la formation, les règles professionnelles, la nomenclature des actes. Cette instance est donc la plus adéquate, à condition d'en améliorer le fonctionnement et de l'associer à toutes les décisions touchant ces professions, ce qui n'a pas été le cas lors de la réforme des études médicales. Il faut aussi associer ces partenaires à l'élaboration de l'ordre du jour, pour qu'il reflète bien leurs préoccupations. Enfin, il faut respecter l'avis de ce conseil, ce qui est loin d'être le cas. Ainsi transformé, ce conseil deviendra un partenaire précieux.

Un autre grand sujet de préoccupation pour les infirmières qui, par leur dévouement et leur professionnalisme jouent un rôle central dans le système de soins, est la difficulté croissante de leurs conditions de travail. On ne peut se contenter de leur exprimer notre gratitude sans rien faire pour améliorer ces conditions.

Aussi avons-nous fait de nombreuses propositions pour sortir de l'immobilisme. Contrairement à ce qu'affirme le rapport Berland, l'augmentation prévue du nombre de places dans les écoles d'infirmières ne suffit pas. On en forme actuellement 26 000, alors qu'il en faudrait 40 000 - et le même problème se pose pour les aides soignantes. Actuellement, on estime à 15 000 le nombre de postes non pourvus à l'hôpital public. En 2002, avec 100 % de réussite au diplôme d'Etat, il y a eu 18 000 diplômés pour 24 000 départs en retraite, et ces derniers seront plus nombreux encore dans les années à venir. Augmenter les quotas à 30 000 dans les écoles ne suffira pas, puisqu'en 2005 il devrait y avoir 36 000 départs. A cette date, sans tenir compte des recrutements nécessités par la réduction du temps de travail, le déficit sera de 36 000 postes.

Il est donc urgent d'augmenter encore les quotas, de rouvrir les écoles qui ont été fermées et de recruter des formateurs. Nous avons fait des propositions pour revaloriser la profession et inciter les jeunes à la choisir. Nous espérons être entendus, car ce n'est pas en rappelant des professionnels à la retraite dans des conditions nébuleuses que vous réglerez le problème. Beaucoup d'infirmiers hospitaliers sont en fin de carrière et ce secteur souffre de désaffection. Nous avons proposé de payer les études contre un engagement de travailler à l'hôpital, et aussi de valider des acquis professionnels et des formations continues qui permettent à certaines sages-femmes de devenir obstétriciennes, aux aides-soignantes de devenir infirmières, aux CES de devenir aides-soignants.

Créer un ordre rigide ne résoudra rien. Mieux vaut améliorer le fonctionnement du conseil supérieur des professions paramédicales. Nous voterons donc contre cette proposition.

M. Yves Bur - L'exigence d'une plus grande qualité des soins, celle de maîtriser les coûts obligent notre système de santé à évoluer. Les infirmières et infirmiers y jouent un rôle central en raison de la mission qu'ils exercent et de leur nombre ; ils sont près de 450 000, dont un dixième en exercice libéral. Je remercie donc le groupe d'UDF de son initiative, qui nous permet de débattre.

Nul ne peut nier qu'une technicité croissante, une demande sans cesse plus affirmée d'accompagnement du malade renforcent le rôle de coordonnateur de soins des infirmiers, à l'hôpital comme à la ville. Aussi la profession demande-t-elle une meilleure reconnaissance de ces compétences accrues, ainsi qu'une revalorisation, étant donné l'alourdissement de la charge de travail.

La proposition apporte-t-elle une réponse à ces attentes ? Pour plusieurs raisons, j'en doute. Certes, dans cette majorité, nombre d'entre nous ont proposé la création d'un ordre spécifique, mais c'était pour répondre à une demande, et dans un certain contexte.

Nous répondions effectivement à la demande des syndicats libéraux soucieux de défendre leur compétence professionnelle face aux médecins et d'éviter une dérive vers le médico-social au détriment des actes de soins. Mais si les infirmières, surtout libérales, ont milité il y a une dizaine d'années pour la création d'un ordre, aujourd'hui, les présidentes des organisations les plus représentatives des infirmières libérales, que j'ai personnellement contactées, m'ont fait part de leurs réticences. Quant aux syndicats de salariés, ils souhaitent être entendus par notre commission des affaires sociales avant toute décision. Leur syndicat FO se déclare même très réservé sur la création d'un ordre national. Nous le sommes donc aussi, face à un projet que la profession ne soutient plus.

D'autre part, en 1998, on venait de créer un ordre pour les kinésithérapeutes, un autre pour les pédicures-podologues. Il était logique d'étendre ce mode d'organisation à la profession de santé la plus nombreuse, pour « rassembler la profession et la responsabiliser dans son exercice » comme le disait alors M. Préel, rapporteur de la proposition. Aujourd'hui, le contexte est différent et nous ne pouvons nous contenter de reprendre ce texte. La loi du 4 mars 2002 a créé un office propre aux professions paramédicales et la fédération nationale des infirmières a dit son impatience de voir les décrets publiés. Cette instance apporte à ces professions la reconnaissance attendue, et leur permet de mieux s'organiser. Nous ne pouvons ignorer non plus les conséquences de la pénurie dramatique d'infirmières ni les effets de la loi relative aux droits des malades du 4 mars 2002. Face au malaise profond qui en découle, les vieilles recettes ne sont pas les plus adaptées. Comment se contenter, par une sorte de « copié-collé », de transposer des schémas d'organisation empruntés à d'autres professions médicales ? Il est surprenant que l'auteur de la proposition d'il y a cinq ans nous la propose dans les mêmes termes sans s'être assuré qu'elle répond aux attentes de la profession.

M. le Rapporteur - Vous n'avez pas tout lu.

M. Yves Bur - Faut-il faire le bonheur des gens contre leur gré ? (Exclamations sur les bancs du groupe UDF) Je suis surpris que M. Préel feigne d'oublier la nouvelle structure créée par la loi du 4 mars 2002...

M. le Rapporteur - Toute la première partie en tient compte.

M. Yves Bur - ...surpris qu'il propose ce « copié-collé » de ce qu'est l'ordre des médecins...

M. le Rapporteur - C'est complètement différent !

M. Yves Bur - Sans tenir compte de la spécificité d'une profession dont 10 % des membres seulement exercent en libéral.

Il n'a même pas tenu compte de la remarque de bon sens de M. Kouchner, en 1998, sur la difficulté arithmétique de renouveler par tiers une instance de quarante membres !

Bref, le groupe UMP s'interroge sur l'opportunité de créer un ordre dont les intéressés eux-mêmes perçoivent mal l'utilité. On peut d'ailleurs se demander si les infirmières accepteraient sereinement de verser une cotisation ordinale obligatoire alors qu'elles revendiquent une revalorisation de leur rémunération.

M. François Sauvadet - L'argument est spécieux.

M. Yves Bur - Demandez-leur leur avis ! De plus, nous imaginons mal, comme l'a souligné le président de notre commission, que l'attribution d'un poste en milieu hospitalier soit conditionnée par l'adhésion à un ordre, alors que la pénurie sévit.

Chacun convient que la question des rémunérations est centrale car elle participe du mal-être de la profession. C'est vrai pour les infirmières hospitalières comme pour les infirmières libérales, dont les préoccupations sont multiples, qu'il s'agisse des quotas d'actes trop restrictifs, de leur revalorisation, de l'insuffisance des indemnités kilométriques ou de l'indemnisation de la télétransmission des feuilles de soins électroniques. Etant donné ces revendications, que beaucoup trouvent légitimes, le groupe UMP considère la proposition comme une mauvaise réponse à de vrais problèmes. Mais ce débat nous donne l'occasion de rappeler au Gouvernement qu'une loi a été votée dont les organisations professionnelles attendent qu'elle soit appliquée avec l'installation du conseil supérieur des professions paramédicales. Les décrets d'application de la loi du 4 mars 2002 doivent tenir compte des attentes de la profession.

Parce qu'il ne veut pas légiférer contre la volonté des infirmières et des infirmiers le groupe UMP ne votera pas cette proposition. Mais il souhaite que le débat se prolonge en étroite concertation avec toutes les organisations professionnelles de ces infirmières dont notre système de santé a tant besoin pour assurer à nos concitoyens des soins de qualité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Si je n'ai pas, contrairement à un syndicat d'infirmiers reçu par le groupe socialiste, le sentiment de voir se rejouer un mauvais film, j'ai au moins l'impression que le film est ancien. Dois-je rappeler que, sous l'impulsion de Philippe Nauche, la loi du 4 mars 2002 a créé un conseil des professions paramédicales, qui répond enfin à la demande des intéressés, tant par ses missions que par son organisation ? Doté de la personnalité juridique et de l'autonomie financière, le conseil a un champ de compétences beaucoup plus large que celui d'un ordre, et il est beaucoup mieux adapté aux objectifs recherchés : la promotion de règles déontologiques, administratives et techniques propres à garantir un exercice paramédical de qualité, ainsi que la meilleure implication des professionnels dans la définition et l'application des politiques de santé !

Que l'on cesse donc de se pâmer sur la profession qui, parce qu'elle est fortement féminisée et qu'elle trouve ses origines dans les ordres religieux, serait « le plus beau métier du monde » ! Que l'on admette, une fois pour toutes, que le métier a considérablement évolué au cours des dernières décennies et que la profession a pris une place centrale dans le système de santé.

M. François Sauvadet - Raison supplémentaire pour créer un ordre !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Mais non ! La proposition méconnaît le rôle pivot joué par les infirmières, notamment dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes à domicile. De fait, elles coordonnent l'action des autres professionnels paramédicaux et elles veulent continuer de pouvoir le faire.

M. le Rapporteur - Ce n'est pas contradictoire.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Qui veut défendre la profession doit commencer par l'écouter ! Ni les infirmières ni le système de soins ne gagneront à l'isolement d'une profession. D'ailleurs, que reprochez-vous au conseil ? La représentativité de chaque profession est garantie par l'article 4392-1 du code de la santé publique et l'article 4398-1 assure leur autonomie. Il revient à présent au Gouvernement de publier les décrets d'application. Quand seront-ils prêts ?

Monsieur Préel, vous souhaitez la création d'un ordre dont les professionnels concernés ne veulent pas...

M. le Rapporteur - Ce n'est pas exact.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - C'est à croire que nous ne rencontrons pas les mêmes infirmières ! Les ordres sont des instances fondées sur des valeurs qui doivent être revues. Ainsi, l'ordre des médecins a été créé pour « assainir la profession et relever l'ordre moral ». Je ne pense pas que les professions paramédicales aient besoin d'être assainies ou moralisées ! Elles ont besoin d'être reconnues et peuvent l'être grâce au conseil des professions paramédicales. Du reste, l'ordre des médecins nous a habitué à une opposition presque systématique à toute évolution. C'est moins perceptible maintenant, mais il reste que les ordres sont essentiellement centrés sur la défense d'intérêts professionnels. Est-il vraiment indispensable, Monsieur Préel, de proposer la création d'une structure dont on sait qu'elle reflète un système à bout de souffle ? Repousser cette proposition n'empêchera pas de réfléchir, comme il le faut, aux moyens de répondre aux attentes de la profession.

Je ne peux donc, Madame la ministre, que vous demander quand vont sortir les décrets relatifs au conseil des professions paramédicales. C'est la seule question que posent les représentants syndicaux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Mme Maryvonne Briot - En 1994, un député avait évoqué dans une question au Gouvernement la création d'un ordre infirmier. En 1998, Jean-Luc Préel déposait déjà au nom du groupe UDF une proposition de loi en ce sens, précédé dans cette démarche par Bernard Accoyer et François Rochebloine ainsi que par Pierre Micaux.

A moi qui exerçais en milieu hospitalier public, la création d'un ordre infirmier me paraissait a priori intéressante pour structurer la profession et assurer sa représentation au niveau national, aux côtés des autres ordres, mais aussi au niveau international. Mais les organisations syndicales - auxquelles n'appartiennent que 5 à 8 % des infirmières - n'y sont pas favorables et les infirmières non syndiquées sont très réservées.

Les décrets du 18 février et du 15 mars 1993 définissent déjà précisément les règles déontologiques applicables aux infirmières et les actes qu'elles peuvent accomplir, soit sur prescription médicale soit de leur propre chef. Quant à leur représentativité, elle est déjà assurée au sein du conseil supérieur des professions paramédicales, qui comporte une commission infirmière appelée à se prononcer sur toutes les questions concernant l'exercice professionnel et la formation initiale.

Force est de reconnaître que ce conseil, qui n'a qu'un rôle consultatif, n'a pas l'autorité suffisante, d'autant que les associations professionnelles qui y siègent sont peu représentatives. Mais avant de le remplacer par un ordre, mieux vaudrait lui donner les moyens de mieux fonctionner.

Par ailleurs, la profession souffre de l'absence d'instance disciplinaire. En effet, les commissions régionales et nationale de discipline, prévues par la loi du 12 juillet 1980, n'ont pas été mises en place, faute de décret d'application. Il en va de même pour la chambre disciplinaire de première instance issue du conseil des professions paramédicales décrit dans la loi du 4 mars 2002. L'obligation faite aux infirmiers d'appliquer les prescriptions médicales exige pourtant que leurs droits soient protégés : actuellement, les infirmiers libéraux affrontent seuls les plaintes déposées par les caisses d'assurance maladie, parfois sur le plan pénal, et fondées le plus souvent sur le non-respect des règles professionnelles par les prescripteurs.

Ce vide juridique concernant le contrôle, par les professionnels eux-mêmes, du respect des règles a été comblé par la loi du 4 mars 2002, mais nous sommes dans l'attente d'un décret d'application. Une évaluation permettra ensuite de déterminer si des correctifs sont nécessaires.

S'agissant de la formation, la proposition de loi confie à l'ordre infirmier un rôle de contrôle qui ne paraît pas souhaitable : il existe un conseil de perfectionnement des écoles d'infirmiers, qui a permis à la profession de se développer et de s'adapter aux nouvelles exigences. Il doit non seulement perdurer, mais s'affirmer davantage.

Enfin, une résistance supplémentaire des infirmiers à la création d'un ordre vient de l'exigence d'une cotisation.

Créer un ordre infirmier ne remettrait donc de l'ordre ni dans la profession, ni dans les établissements de santé... Cela ne ferait qu'alourdir le carcan administratif. Oui, il y a un malaise dans la profession, mais les infirmières ont avant tout besoin de moyens humains et matériels pour travailler. Je suis convaincue, Madame la ministre, que vous saurez prendre leurs préoccupations en compte dans le cadre du plan Hôpital 2007 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Catherine Génisson - Cette proposition de loi a déjà été discutée et rejetée par l'Assemblée nationale le 19 juin 1998. Force est de constater la persévérance de notre collègue Préel, qui n'a cependant pas réussi à convaincre l'ensemble de la majorité. En ce qui me concerne, je suis totalement opposée à ce texte.

La création d'un ordre infirmier entraînerait automatiquement la suppression du conseil des professions paramédicales créé par la loi du 4 mars 2002, qui suffit à traiter des problèmes spécifiques de la profession infirmière puisqu'il doit comporter en son sein un collège qui la représente.

Les infirmiers salariés ne sont nullement demandeurs, pas plus que les infirmiers libéraux, qui pour la plupart considèrent que la loi relative aux droits des malades, en créant le conseil des professions paramédicales, a répondu à leurs attentes. En outre, un ordre ferait doublon avec le conseil dans le dialogue avec les pouvoirs publics.

Bien plus, l'adoption de cette proposition de loi, qui semble nier le rôle des syndicats professionnels, nuirait au dialogue social. Elle irait, par des dispositions réactionnaires, à contre-courant de l'évolution du système de santé vers le travail en réseau. Et elle reviendrait sur l'une des grandes avancées de la loi du 4 mars 2002 qui, à la suite du rapport de M. Philippe Nauche, a institué le conseil des professions paramédicales, après une très large concertation.

Cette instance a pour mission d'améliorer la qualité des soins, de développer les bonnes pratiques, et d'assurer le respect des règles déontologiques, afin de garantir les droits des personnes malades. De surcroît, il offre aux professionnels une organisation unifiée et collégiale qui renforce la qualité des soins.

Alors que cette structure est née de la concertation, votre proposition de loi, source de discorde et de division, ne répond ni aux attentes des professionnels, ni à celles des malades.

Aussi est-il plus urgent de faire paraître les décrets d'application nécessaires à la mise en place du conseil des professions paramédicales. Ne forcez pas M. Préel à déposer une troisième proposition de loi qui diviserait encore votre majorité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe UMP)

Mme Claude Greff - Avant d'être députée, j'étais infirmière en milieu hospitalier, puis en milieu scolaire, et enfin formatrice dans le secteur paramédical, aussi ai-je été attentive à cette proposition de loi.

Le 8 juin 1998, M. Préel avait déjà déposé une proposition analogue, reprenant une démarche initiée en 1997 par MM. Rochebloine et Micaux, et généralisant les organisations ordinales aux professions de santé, sur le modèle de la loi du 4 février 1995 qui avait créé l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes et l'ordre des pédicures-podologues, instances abrogées par la loi du 4 mars 2002.

Si à l'époque, tous les députés ainsi que l'ensemble des infirmières libérales avaient soutenu la création d'un ordre spécifique à chacune des professions médicales et paramédicales, le système de santé a évolué depuis.

Après consultation des différents syndicats, il apparaît que les infirmières sont opposées à la création d'un ordre national et souhaitent une prise en charge globale de leur métier.

Personne ne conteste la place centrale occupée dans notre système de soins par les infirmières et les infirmiers dont le métier, comme celui des sapeurs-pompiers, est estimé par l'ensemble de la population. Il nous revient aujourd'hui de reconnaître véritablement leurs compétences et d'améliorer les conditions d'exercice d'une profession confrontée à des responsabilités toujours plus lourdes et plus techniques. Le nombre d'infirmières libérales est passé de 20 000 en 1986 à 52 000 en 2000. Mais le taux d'installation qui progressait de 6 % dans les années 1990, n'a augmenté que de 0,05 % entre 2000 et 2001. Certains départements, déjà en manque d'infirmières, connaissent une régression alarmante - moins 7,43 % à Paris, moins 5 % dans l'Eure, moins 4,80 % en Isère.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - C'est le texte de la loi !

Mme Claude Greff - Aussi est-il prioritaire de rendre plus attractive la profession des infirmières en augmentant leur rémunération et en améliorant leurs conditions de travail.

L'évolution de notre système de santé passe par une évolution des comportements, et donc une modification des textes. Dans un souci de simplification, publions les décrets d'application de la loi du 4 mars 2002 au lieu d'adopter de nouvelles dispositions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Pour les infirmières salariées, il existe déjà des structures de régulation professionnelle. Quant aux infirmières libérales, la loi du 4 mars 2002 répond à leurs attentes.

Un ordre interférerait avec le conseil interprofessionnel des professions paramédicales, créé par la loi du 4 mars 2002, et certaines des attributions proposées sont contestées par les infirmières, telles que l'avis qu'il donnerait sur les programmes de formation ou les agréments délivrés aux organismes de formation continue.

De surcroît, votre proposition de loi conditionne l'exercice de la profession à l'adhésion à cet ordre, et donc du paiement d'une cotisation, ce qui semble difficile dans le contexte actuel.

Hier, nous avons parlé des infirmières. Faisons mieux aujourd'hui : agissons. Créer un ordre n'est pas la priorité, et je vous propose de suspendre l'examen de cette proposition et de nous attaquer à des problèmes ô combien plus urgents (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Néri - Ce texte a au moins une vertu : réitérer notre considération aux infirmières et infirmiers dont le mérite fait l'unanimité chez nos concitoyens. Les infirmières n'ont pas besoin de compassion. Le conseil national créé par la loi du 4 mars 2002 répondait à leurs attentes en matière d'organisation ; votre loi apparaît donc inutile, voire réactionnaire (Exclamations sur les bancs du groupe UDF). La loi de 2002 permettait parfaitement de prendre en compte, grâce à une commission, la spécificité du métier d'infirmière, au sein de leur conseil national regroupant différentes professions paramédicales.

Par ailleurs, comment pouvez-vous, Monsieur le rapporteur, vous qui êtes si attaché à la réduction des charges, créer une charge supplémentaire par le biais de la cotisation obligatoire ? Comment pouvez-vous obliger les infirmières salariées à adhérer à un ordre pour pouvoir exercer leur profession ? S'il s'agit de représentativité, elles l'auraient à travers la commission nationale ou les organisations syndicales. Enfin, entre-t-il vraiment dans la compétence d'un ordre d'assurer des formations ? Mais je suppose que Monsieur le rapporteur, qui avait déjà déposé une proposition de loi en 1998, avait sans doute besoin d'une piqûre de rappel ! (Sourires)

M. André Santini - Quel esprit !

M. Alain Néri - D'ailleurs, Monsieur le rapporteur, vous avez soixante-dix ans de retard, puisque l'ordre des médecins, on en parlait déjà en 1928, et qu'il a été créé par le gouvernement de Vichy.

M. André Santini - Maréchal nous voilà !

M. Alain Néri - C'est dire, Monsieur le rapporteur, qu'il serait plus sage de retirer votre proposition de loi réactionnaire.

M. le Rapporteur - Soyons sérieux !

M. André Santini - C'est un néo-réac !

M. Alain Néri - Il faut prendre en compte l'évolution de la profession dans le cadre général de ses relations avec les autres professions paramédicales. Monsieur le rapporteur devrait s'associer aux demandes formulées plusieurs fois sur ces bancs : que Madame la ministre fasse paraître les décrets qui permettront de mettre en place la commission nationale et d'apporter des réponses aux infirmières. Nous voterons contre votre proposition de loi.

La discussion générale est close.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées - Je vous présente les excuses de M. Jean-François Mattei qui défend cette semaine, devant le Sénat, le projet relatif à la bioéthique. Il m'a chargée de le remplacer. Je vous reconnais, Monsieur le rapporteur, le mérite de la persévérance. Vous avez, en juin 1998, avec Pierre Micaux et François Rochebloine, déposé une proposition de loi quasi identique.

Nous étions nombreux à considérer que les professions paramédicales n'avaient d'autre alternative, pour être reconnues, que de s'organiser en ordre professionnel ; nous estimions alors devoir répondre favorablement à des revendications qui, par référence à l'ordre des médecins, attendaient d'une structure de même nature, une reconnaissance sociale.

Mais les choses bougent. Nous devons adapter notre analyse à l'évolution de l'organisation de notre système de soins et aux attentes réelles des professions de santé.

Nous comptons environ 410 000 infirmières dont 60 000 travaillent en exercice libéral et 350 000 sont salariées, la plupart en secteur hospitalier.

Sans elles, il n'y aurait pas de système de soins. Mais choisir d'organiser une profession autour d'un ordre professionnel ne doit pas résulter d'une simple démarche symbolique : elle doit traduire des choix d'organisation.

Or, l'avenir des professions de santé ne réside pas dans la multiplication anarchique d'ordres professionnels autonomes, procédant d'une vision étanche des professions entre elles et susceptible de reproduire les difficultés de certains ordres existants. Si les médecins n'avaient pas aujourd'hui une structure ordinale, la créerions-nous en 2003 ?

M. Alain Néri - Non.

Mme la Secrétaire d'Etat - Dans les années quarante, nous comptions 40 000 médecins : nous en avons aujourd'hui plus de 150 000. Ils exerçaient tous, alors, en secteur libéral et la sécurité sociale n'existait pas dans sa forme actuelle. Aujourd'hui, ils ne sont plus qu'aux trois-quarts libéraux, et 99 % d'entre eux sont conventionnés.

Il y a soixante ans n'existaient ni les tribunaux administratifs ni les cours administratives d'appel - ce qui légitimait l'existence de juridictions spécialisées.

La conception même de l'exercice professionnel s'est transformée. Le développement de la prise en charge à domicile des pathologies lourdes nécessitant une coordination des professionnels, l'émergence des réseaux de soins, la notion même d'interdépendance des professionnels nécessite la reconnaissance des spécificités des compétences et une approche interprofessionnelle du soin.

Vous proposez de décalquer le modèle national et hiérarchisé de l'ordre des médecins sur la profession d'infirmière. Souhaiter une structure ordinale centralisée et hiérarchisée pour représenter des infirmières dont l'exercice est très diversifié me semble peu compatible avec une société qui aspire à la souplesse, à la décentralisation et à l'interprofessionnalité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Votre proposition de loi reprend l'objectif traditionnel d'un ordre professionnel qui doit veiller au maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement. Soit, mais en matière de déontologie, les infirmières disposent déjà d'un « quasi-code » avec le décret en conseil d'Etat du 16 février 1993 ayant la même forme juridique que le code de déontologie dont se sont dotées les professions organisées en ordres. Ses dispositions s'appliquent à l'ensemble de la profession d'infirmière. Il couvre l'ensemble des questions intéressant leurs conditions d'exercice : règles morales et déontologiques, respect de la dignité du malade et de sa famille, secret professionnel, obligation de signalement des sévices ou déprédations aux mineurs ; règles professionnelles, interdépendance professionnelle, exercice dans le cadre de compétences propres reconnues à la profession, devoir de perfectionnement des connaissances, interdiction de se livrer à certaines activités lucratives.

S'agissant de la reconnaissance professionnelle, c'est le support juridique opérationnel qui importe. Or, le « décret de compétence » du 11 février 2002 a doté la profession d'un cadre d'exercice revalorisé, reconnaissant ses responsabilités et son domaine d'intervention : identification des besoins de la personne, détermination d'un diagnostic infirmier, formulation d'objectifs de soins, leur mise en _uvre et leur évaluation.

Des dispositifs existent, qui permettent de sanctionner le non-respect de ces principes. La loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades, a créé des collèges professionnels, tant sur le plan régional que sur le plan national. Il y en a un par profession paramédicale. Les infirmières disposent dès lors d'un collège infirmier dans chaque région ; il est en charge de l'inscription au tableau et peut prononcer des suspensions d'exercice ; il est compétent pour diffuser auprès des professionnels les règles de bonne pratique et de leur évaluation.

La profession dispose aussi de son propre pouvoir disciplinaire. Il existe, sur le plan régional, des chambres disciplinaires de première instance et, sur le plan national, une chambre disciplinaire d'appel.

Vous souhaitez, en outre, investir le nouvel ordre des infirmiers de compétences supplémentaires, que ne détiennent pas les ordres existants : délivrance des agréments aux organismes en charge de la formation initiale des infirmiers ; validation des diplômes nationaux et internationaux. Je ne pense pas que cela soit souhaitable.

La délivrance des agréments aux instituts de formation en soins infirmiers est du ressort de l'Etat, qui fixe le quota d'entrée dans ces établissements, détermine les orientations pédagogiques et adapte l'appareil de formation aux évolutions souhaitées sur le plan démographique. Si l'ordre des infirmiers peut faire toute proposition sur ce plan là, il paraît difficile de lui transférer l'agrément des IFSI, qui dépend de considérations plus larges - choix de santé publique ou allocation de ressources. L'ordre des médecins ne dispose pas de compétences similaires pour la formation initiale des médecins.

Quant à la validation des diplômes nationaux et internationaux admis en équivalence, elle relève de l'Etat et il paraît difficile de la transférer à un ordre des infirmiers qui pourrait empêcher l'Etat de moduler ses décisions en fonction de la situation - rappelez-vous le cas des infirmières espagnoles ou des médecins étrangers autorisés à exercer la fonction d'infirmier en France. Et quid de la validation des acquis professionnels ?

Nous avons changé d'époque. Les ordres avaient pour objet la défense de principes intemporels et la valorisation du sacerdoce. Mais l'ordre des médecins a traversé récemment une crise révélatrice. Sur des sujets comme les conditions d'installation ou la permanence des soins, il peut paraître en décalage avec les attentes des médecins de terrain.

M. Alain Néri - Très bien !

Mme la Ministre - Les syndicats ont fait avancer la réflexion sur ces sujets. Ils sont investis d'une coresponsabilité dans la gestion du système des soins. Ils sont signataires d'accords qui engagent la profession en matière de bon usage des soins et de contrats de bonne pratique. Vous avez dit, Monsieur le rapporteur, que la création d'un ordre infirmier était urgente et vivement attendue par la profession. Si tel était le cas, je serais la première à reconsidérer notre analyse. Mais les organisations représentatives n'expriment pas une telle demande.

Les syndicats de salariés estiment que les sanctions disciplinaires prononcées à l'encontre d'infirmiers du secteur hospitalier feraient double emploi avec les dispositifs de droit commun qui existent déjà. Ils rejettent également le principe d'une cotisation obligatoire, qui conditionnerait leur autorisation d'exercer. Je ne pense pas que nous puissions nous permettre d'alourdir aujourd'hui le climat hospitalier, et d'ajouter encore une instance à un paysage déjà bien chargé. Par exemple, l'avis préalable à toute nomination entre directement en conflit avec les compétences du conseil supérieur de la fonction publique hospitalière et du conseil supérieur des professions paramédicales.

Les deux syndicats représentatifs des infirmiers libéraux sont également opposés à cette création. La FNI y était certes favorable il y a quelques années, parce qu'il n'existait alors aucune structure de représentation de la profession. Mais, depuis 1998, le cadre législatif a changé. Un conseil interprofessionnel des professions paramédicales, organisé au niveau national et régional, a été créé. Il s'agit maintenant de prendre les textes d'application qui le rendront opérationnel en matière de règles de moralité, de bonne pratique et de compétence, de contrôle de l'exercice libéral et de protection des usagers ou encore de formation. L'essentiel de ces décrets sera soumis au Conseil d'Etat avant la fin de ce semestre.

Plusieurs députés UMP - Très bien !

Mme la Ministre - Le Gouvernement veille aussi à revaloriser la profession. La loi du 4 mars contient des lourdeurs et des dispositions qui manquent de cohérence. Il serait souhaitable de rapprocher le conseil supérieur des professions paramédicales, qui a peu de pouvoir et de légitimité, et le conseil interprofessionnel des professions paramédicales. Il faudra également adapter la loi du 4 mars à la création d'un ordre des masseurs kinésithérapeutes, souhaité par la grande majorité de cette profession. Mais il est hors de question de supprimer le conseil interprofessionnel, qui permet à chaque profession paramédicale d'exercer des compétences propres tout en assurant une représentation collective.

Les décrets d'application seront rédigés en concertation avec toutes les professions. Il en faut beaucoup, et aucun n'a été élaboré par l'ancien gouvernement. Leur rédaction suppose des délais incompressibles de consultation, mais nous souhaitons aboutir dans les délais les plus courts possibles. Je rappelle que le Gouvernement a tenu à respecter les engagements qui avaient été pris. Le 28 juin a paru un arrêté inscrivant à la nomenclature la démarche de soin infirmier, qui va dans le sens de la mise en responsabilité des infirmiers sur la base du nouveau décret de compétences. M. Mattei envisage aussi de faire passer les places en IFSI de 26 000 à 30 000. Il est par ailleurs attaché à la première année commune pour l'ensemble des étudiants des professions de santé, qui donnera notamment aux infirmiers une reconnaissance universitaire.

Plusieurs députés UMP - Très bien !

Mme la Ministre - Le ministère tirera également toutes les conclusions du rapport Berland sur la démographie des professions de santé, notamment sur les conditions d'installation et de répartition sur le territoire et sur les compétences nouvelles qui pourraient être exercées en propre par les infirmiers (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Le Gouvernement n'a de cesse de restaurer la confiance des professionnels de la santé.

M. Yves Bur - C'était nécessaire !

Mme la Ministre - Monsieur le rapporteur, je sais que le dépôt de ce texte résulte d'un réel souci de valorisation de la profession infirmière, mais cette initiative n'est pas la réponse qui convient. Pour l'ensemble des raisons que j'ai développées, je ne peux que demander à votre assemblée de ne pas l'adopter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur - La commission n'a pas souhaité discuter des articles. Mais la création d'un ordre infirmier, qui semble urgente à l'UDF, aura eu au moins le mérite de permettre à la représentation nationale de débattre et de témoigner de sa reconnaissance envers les infirmiers (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Par ailleurs, le ministre a pu nous informer de la sortie prochaine des décrets d'application et confirmer la création de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes. Je ne peux que me demander ce qu'il adviendra des pédicures-podologues...

Certains ont fait semblant de ne pas comprendre l'objet de cette proposition et l'ont caricaturée (Approbations sur les bancs du groupe UDF). La profession infirmière est essentielle dans notre système de soins.

Mme Muguette Jacquaint - Tout le monde en est convaincu !

M. le Rapporteur - Elle a besoin de reconnaissance et d'organisation. Avec 450 000 membres, il n'est pas normal que le pourcentage de syndiqués soit de l'ordre de 4 %.

M. Yves Bur - C'est leur problème !

M. le Rapporteur - S'agissant d'un tel sujet, on ne peut le passer sous silence !

M. le Président - Monsieur le rapporteur, ne recommencez pas la discussion générale !

M. le Rapporteur - Trois aspects sont essentiels. Les syndicats ont d'abord un rôle primordial pour défendre les intérêts de leurs mandants. Ensuite, une organisation doit associer les libéraux et les salariés dans une même logique déontologique, et cela n'existe pas actuellement. Enfin, il est nécessaire de coordonner les professions paramédicales et c'est pourquoi je milite pour la création d'unions régionales.

Certains, comme Yves Bur, ont caricaturé cette proposition. C'est à se demander s'il l'avait bien lue.

M. Yves Bur - Je ne vous permets pas !

M. le Rapporteur - Je puis me le permettre, car la loi Kouchner du 4 mars 2002 avait créé un conseil - et non un « office », Monsieur Bur - que ma proposition de loi entendait modifier. Vous n'en avez pas tenu compte le moins du monde.

La discussion va s'arrêter là et je vous rappelle que la commission, contre l'avis du rapporteur, a décidé de ne pas examiner les articles de cette proposition.

M. le Président - La commission des affaires culturelles, familiales et sociales n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Conformément aux dispositions du même article du Règlement, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

L'Assemblée, consultée, vote contre le passage à la discussion des articles. En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION

M. le Président - La commission des lois a décidé de se saisir pour avis des articles premier à 3, 5, 7, 8, 13 à 16, 24 à 27 et 30 à 34 du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique.

FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président - L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 13 février 2003, a été fixé ce matin en Conférence des présidents. Il sera annexé au compte rendu de la présente séance.

Par ailleurs, en application de l'article 65-1 du Règlement, la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet pour l'initiative économique auraient lieu le mardi 11 février, après les questions au Gouvernement.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE

A N N E X E
ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 13 février 2003 inclus a été ainsi fixé ce matin en Conférence des présidents :

CET APRÈS-MIDI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement :

_ Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet, adopté par le Sénat, pour la sécurité intérieure ;

_ Projet portant diverses dispositions relatives à l'urbanisme, à l'habitat et à la construction ;

à 18 heures, dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes ;

_ Suite du projet portant diverses dispositions relatives à l'urbanisme, à l'habitat et à la construction ;

A 21 heures,

_ Suite du projet portant diverses dispositions relatives à l'urbanisme, à l'habitat et à la construction.

MERCREDI 29 JANVIER, à 15 heures, après les questions au Gouvernement et à 21 heures :

_ Proposition de résolution de MM. Jacques BARROT, Patrick OLLIER et Pierre MÉHAIGNERIE tendant à la création d'une commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques afin d'améliorer le système de prise de décision ;

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

JEUDI 30 JANVIER, à 9 heures :

_ Proposition de M. Jean-Pierre ABELIN et plusieurs de ses collègues tendant à la reconnaissance du vote blanc aux élections ;

(Séance d'initiative parlementaire) ;

à 15 heures et à 21 heures :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

MARDI 4 FÉVRIER, à 9 heures :

_ Questions orales sans débat ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

_ Projet pour l'initiative économique.

MERCREDI 5 FÉVRIER, à 15 heures, après les questions au Gouvernement et à 21 heures :

_ Proposition de résolution de MM. Edouard LANDRAIN, Christophe PRIOU et Jacques BARROT tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'application des mesures préconisées en matière de sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants et l'évaluation de leur efficacité ;

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

JEUDI 6 FÉVRIER, à 9 heures, à 15 heures et à 21 heures :

_ Proposition, adoptée par le Sénat, portant réforme des règles budgétaires et comptables applicables aux départements ;

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

MARDI 11 FÉVRIER, à 9 heures :

_ Débat sur la chasse ;

(Séance d'initiative parlementaire)

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

_ Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet pour l'initiative économique ;

_ Sous réserve de son dépôt, projet relatif à l'élection des conseillers régionaux, à l'élection des représentants au Parlement européen, et à l'aide publique aux partis politiques.

MERCREDI 12 FÉVRIER, à 15 heures, après les questions au Gouvernement et à 21 heures :

_ Texte de la commission mixte paritaire sur le projet pour la sécurité intérieure.

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

JEUDI 13 FÉVRIER, à 9 heures :

_ Sous réserve de son dépôt, proposition tendant à la création de délégations parlementaires aux droits de l'enfant ;

(Séance d'initiative parlementaire)

à 15 heures et, éventuellement, à 21 heures :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.


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